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Points de vue - Page 122

  • Vers la dissolution des peuples : un projet de gouvernance supranationale des migrations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue éclairé de Michèle Tribalat cueilli sur Figaro Vox et consacré aux mécaniques de gouvernance supranationale de l'immigration qui vont progressivement nous broyer si nous ne réagissons pas politiquement. Démographe, Michèle Tribalat a été directrice de recherche à l’INED (Institut national des études démographiques) et membre du Haut Conseil à l’Intégration. Elle a publié plusieurs livres remarqués dont Les Yeux grands fermés (Denoël, 2009) et Assimilation : la fin du modèle français (Toucan, 2017).

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    Michèle Tribalat: les politiques seront-ils bientôt dépossédés de la question migratoire ?

    Il y a une quinzaine de jours, un collège d’experts remettait un rapport au Président de la République et au gouvernement afin qu’ils amendent leur politique migratoire jugée inutilement restrictive.

    Ce rapport se présente comme une troisième voie entre une posture qui n’a que les apparences de la fermeté mais reste impuissante et une posture qui prône l’ouverture complète des frontières sans poser aucune limite. En somme, la seule voie raisonnable, qui affiche l’ambition de «reconstruire un consensus autour de la politique des étrangers», de mettre les Français enfin d’accord sur un sujet aussi contentieux.

    Pourtant, il ne déroge pas à la rhétorique technocratique qui affirme que l’immigration ne s’est pas accélérée dernièrement - «leur nombre [des étrangers] est d’ailleurs stable» - se référant en cela aux tours de magie d’Hervé le Bras sur l’évolution du solde migratoire depuis 1955. Tout en affirmant que cette accélération est inéluctable - «l’immigration plus ou moins qualifiée de jeunes en provenance d’Afrique, du Maghreb et du Moyen-Orient est inscrite dans l’évolution récente de ces pays» - que la démographie française commande d’y avoir recours - «le vieillissement de la population rend nécessaire l’augmentation du solde migratoire» - et que, de toute façon, c’est bon pour l’économie. Rien de très neuf.

    La première question qui vient à l’esprit à la lecture du document porte sur l’appellation «politiques migratoires» pour caractériser les préconisations de ce collège de praticiens. En effet, dans cette expression, le mot «politique» suppose à la fois une volonté de répondre aux attentes des citoyens et une capacité de l’État à formuler un objectif qui permettrait d’y répondre. Or tel n’est pas du tout le propos de nos experts qui, d’ailleurs, annoncent la couleur dans le sous-titre - «Faire reculer les situations de non-droit» -. Leur objectif est d’étendre toujours plus les droits des étrangers à séjourner en France, par la loi et la gestion administrative ou judiciaire de l’immigration, afin d’être à la hauteur de l’idée qu’ils se font de la République. Leur méthode: «adapter les normes de droit et leurs conditions de mise en œuvre pour régler par le séjour le plus grand nombre de situations selon des critères transparents». À terme, les procédures de régularisation sont appelées à se raréfier puisqu’elles auront été intégrées dans la loi. Mais, en attendant, il faut, disent les experts, adapter la circulaire Valls afin d’écouler le «stock» d’étrangers en situation irrégulière. Ils nous assurent que les reconduites prononcées devront par la suite être effectives. Pour cela, ils invoquent des contrôles renforcés aux frontières de l’UE dans des centres établis dans des ports européens. Pas sûr que les pays situés aux frontières maritimes de l’UE soient très emballés par le projet d’installation de camps chez eux.

    Les effets quantitatifs des mesures qu’ils préconisent leur sont, au fond, indifférents, comme l’est leur coût sur lequel ils ne fournissent aucune information, si ce n’est le souhait d’une grande réactivité afin que les budgets s’adaptent très vite à la demande.

    L’extension des droits

    L’outil décisif est le couperet mis sur le délai de gestion des dossiers: accès à un titre de séjour (sauf motif d’ordre public) ou départ effectif du territoire national en six mois. Par ailleurs, l’administration se devrait d’examiner, avant tout rejet, si l’intéressé peut bénéficier d’un autre titre que celui demandé. Si tel est le cas, elle serait tenue de le lui délivrer. Cette machine à régulariser mettrait sûrement en échec et l’administration et les juges chargés des recours.

    D’ailleurs, le juge administratif saisi d’un recours contre un refus de titre de séjour deviendrait un juge de plein contentieux, ce qui lui permettrait de substituer sa décision à celle de l’administration et de forcer cette dernière à délivrer un titre de séjour pour le motif qu’il aurait retenu (familial ou humanitaire).

    S’y ajoute la création d’un titre de séjour mention «humanitaire», censé répondre à des situations de détresse les plus variées, lesquelles ne manquent pas dans le monde, après avis d’une commission départementale du séjour humanitaire composée de médecins, psychologues, psychiatres et travailleurs sociaux. Seraient ainsi visés les victimes de la traite, de violences domestiques ou familiales, de sévices au cours du parcours migratoire et les étrangers dont les problèmes de santé nécessitent un traitement durable inaccessible dans leur pays d’origine. Les experts renoncent à renégocier la Convention de Genève pour y introduire de nouvelles catégories de réfugiés tant le résultat d’une pareille renégociation leur paraît incertain. Ils préconisent, dans l’attente d’une Convention internationale pour la protection des déplacés environnementaux, dont ils esquissent le profil dans une annexe, de créer un visa humanitaire «pour pouvoir agir dans des cas de catastrophes naturelles».

    La simplification préconisée, réduisant à 6 catégories (étudiant, vie privée et familiale, activité professionnelle, asile/apatride, humanitaire et excellence) le nombre de titres de séjour possible, s’accompagne elle aussi d’une extension de droits. Cette extension se porte tout particulièrement sur les titres «vie privée et familiale». C’est le cas, par exemple, des droits des conjoints de Français ou d’étrangers en situation régulière qui s’étendent au-delà du mariage aux concubins et aux pacsés ou de ceux des parents d’enfants français pour lesquels aucune condition n’est posée. De même, les étrangers confiés à l’Aide sociale à l’enfance comme mineurs non accompagnés obtiendraient de plein droit un titre «vie privée et familiale» à leur majorité. Ce serait également le cas des étrangers ayant séjourné irrégulièrement pendant dix ans ou dont l’éloignement a échoué par deux fois. Une telle mesure ne pourrait que rendre plus difficile l’éloignement.

    Dans la perspective d’une relance de l’immigration professionnelle, tout étranger muni d’une promesse d’embauche dans un secteur figurant sur une liste d’emplois établie après consultation d’un Comité d’évaluation de la migration de travail aurait droit à un titre de séjour. Idem pour l’étranger qui a obtenu un diplôme universitaire en France ou qui détient un master, mais sans limitation sur les secteurs d’activité pourvu que cette promesse concerne une activité en lien avec son diplôme.

    Un même titre de séjour serait attribuable aux réfugiés et aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire ou de l’asile constitutionnel, à leurs conjoints (mariés ou non), leurs enfants majeurs ou leurs parents s’ils sont mineurs. Les experts souhaitent d’ailleurs qu’on incite les mineurs isolés à demander l’asile, ce qui réglerait d’emblée la question de la régularisation de leur situation à la majorité. Les autorités diplomatiques et consulaires seraient tenues de délivrer un visa «asile» à toute personne invoquant une raison crédible. En cas de refus et de recours gracieux, c’est l’OFPRA, une fois consulté, qui aurait le dernier mot. Il est également proposé, dans l’attente d’une solution européenne, de restreindre unilatéralement les dispositions de Dublin en permettant à l’État, de manière discrétionnaire, d’examiner les demandes d’étrangers visés par la procédure Dublin lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables ou pouvant arguer de liens avec la France. C’est déjà un peu ce qui se fait aujourd’hui lorsqu’on décide de l’extinction des procédures Dublin. Ce ne serait évidemment pas de nature à freiner les mouvements secondaires à destination de la France. Enfin, en fondant l’aide médicale d’État (AME) dans la protection universelle maladie (PUMA), comme le propose le défenseur des droits, les experts espèrent «éviter l’effet de cristallisation qui résulte de l’existence d’un dispositif spécifiquement conçu pour les étrangers en situation irrégulière». C’est si joliment dit!

    La durée des titres serait de cinq ans d’emblée et leur renouvellement conduirait à un titre de séjour permanent, sauf pour les études et les motifs professionnels. La durée du titre serait alors adaptée à celle des études ou du contrat.

    Que reste-il comme marge de décision à l’État ?

    Pas grand-chose, si ce n’est la tentative de réexpédier chez eux ceux qui auraient échappé à la mansuétude de l’administration ou des juges qui sont sommés de personnaliser l’examen des situations individuelles - «l’administration et le juge seront tenus d’examiner l’ensemble des possibilités de délivrance d’un titre de séjour» - ce qu’ils faisaient déjà de leur plein gré. Si la politique d’immigration n’est plus guère de son ressort, il resterait à l’État la tâche de mettre en œuvre une politique d’intégration dont, évidemment, le rapport ne donne aucune évaluation puisque, de toute façon, la question du nombre ne compte pas.

    Les experts préconisent de placer, auprès du Premier ministre, un Haut-Commissariat à l’asile et aux migrations dont la tâche serait de veiller à assurer l’homogénéité de la doctrine de ses services dans une «logique d’effectivité des droits et de sortie du non-droit». Ce Haut-Commissariat exercerait ainsi la tutelle d’une Agence de l’asile qui prendrait en charge l’intégralité du parcours des demandeurs, fusionnant les services de l’OFPRA, ceux de l’OFII et du ministère de l’Intérieur sur l’asile, tout en restant en prise avec les collectivités territoriales, les travailleurs sociaux, les associations et la recherche. Resterait à l’OFII (lui aussi sous tutelle de ce Haut-Commissariat), rejoint par les services actuels du ministère de l’Intérieur, la gestion de la migration économique, des mesures d’intégration en début de séjour et du retour volontaire. Le ministère de l’Intérieur conserverait la mission d’éloignement et la gestion des titres de séjour. Ce Haut-Commissariat serait doté d’un comité d’évaluation composé d’experts et de partenaires sociaux chargé d’évaluer les besoins de la France en main-d’œuvre et de communiquer sur «la réalité des migrations». Il devrait établir chaque année un rapport sur l’immigration et l’émigration. Les experts rédacteurs de cette proposition ne s’interrogent guère sur les manières d’y parvenir ni sur les outils statistiques qui permettraient d’informer sur «la réalité des migrations». Rien d’étonnant à cela quand on voit la rareté des informations chiffrées figurant dans leur rapport. Il existe bien un tableau sur l’éloignement en France, en Allemagne et dans l’UE, mais sans que soient indiquées ni la date, ni la source.

    Le Haut-Commissariat serait également doté d’un service de la protection humanitaire qui superviserait l’action de commissions départementales du séjour humanitaire.

    Une «politique» de l’asile sous direction européenne

    Deux options sont envisagées. La première affecte à une agence de l’asile européenne l’élaboration des lignes directrices encadrant l’instruction des demandes d’asile et éventuellement la mise en œuvre des opérations de relocalisation. Les agences nationales, toutes indépendantes du pouvoir politique, reconnaîtraient les décisions prises par chacune d’entre elles. La seconde option serait de disposer d’une agence unique indépendante dont les agences nationales ne seraient que les antennes.

    Quoi qu’il en soit, en cas d’alerte du type de celle connue en 2015, l’agence européenne pourrait prendre la main et aurait la faculté de distribuer les demandeurs sur l’ensemble du territoire de l’UE. Si ce n’est pas possible avec tous les États, cette organisation pourrait se mettre en place dans le cadre d’une coopération renforcée.

    Une gouvernance mondiale: la convention internationale de protection des déplacés environnementaux

    Cette convention, dont le projet figure en annexe, si elle voyait le jour, créerait un statut légal de déplacé environnemental, qui supposerait d’établir des liens de causalité entre le déplacement et des dommages liés à l’environnement et de fixer des seuils de gravité aux impacts du réchauffement climatique. Les États seraient en cela aidés par un «appareil scientifique de référence, dans la lignée des travaux du GIEC».

    Comme on y est habitué avec ce genre de texte (cf. pacte de Marrakech), la convention s’appliquerait «dans le respect du principe d’égalité souveraine des États parties, de leur intégrité territoriale et de leur indépendance politique, tel qu’énoncé par la Charte des Nations unies». Rien n’est moins sûr puisqu’on apprend que, si tout État ayant ratifié la convention pourrait la dénoncer «à tout moment par notification motivée et adressée au Comité d’experts indépendants», cet État devrait en discuter avec les autres États chargés de tout faire pour l’en dissuader.

    Si cette dissuasion s’avérait infructueuse et que le comité d’experts indépendants ne validait pas la dénonciation, l’État ne pourrait pas sortir de la convention. Ce comité serait composé de 17 experts «indépendants et impartiaux» renouvelé par moitié à la majorité qualifiée tous les cinq ans. Ces experts seraient choisis lors d’une des conférences annuelles, chaque candidat devant représenter au moins 5 États. Par ailleurs, c’est le comité d’experts qui proposerait un financement plancher pour chacun des États (qui seraient invités à aller au-delà) afin d’alimenter un fonds international.

    Avec cette convention nous aurions franchi le stade ultime de la dépolitisation de la question migratoire, sans possibilité de retour en arrière. Tout le contraire de ce que semblent souhaiter les citoyens français. Difficile de croire que ce rapport d’experts, s’il était suivi d’effets, serait en mesure d’atteindre l’objectif affiché d’un «consensus national apaisé autour des migrations».

    Michèle Tribalat (Figaro Vox, 7 février 2020)

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  • L’Eurasie : le nouveau Far East économique et stratégique pour la France et l’UE ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Geopragma et consacré à la question de l'Eurasie. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    L’Eurasie : le nouveau Far East économique et stratégique pour la France et l’UE ?

    « Celui qui domine le Heartland commande « l’ile-monde » (l’autre nom de l’Eurasie) ; celui qui domine « l’ile-monde » commande le monde. » 

    Ainsi parlait le géographe- stratège britannique Mackinder …en 1904 ! L’Amérique a fait son mantra géopolitique de cet oracle et le grand Z. Brezinski conseiller de bien des présidents américains jusqu’à Barack Obama, l’a candidement expliqué dans son remarquable « Grand échiquier » en 1997.

    Eh bien nous y sommes ! La hantise de la géopolitique américaine a toujours été l’unification de l’Eurasie et l’émergence d’une puissance continentale la contrôlant. Les Etats-Unis s’appliquent à dominer cet espace géopolitiquement concurrent par l’éparpillement et l’affaiblissement des souverainetés étatiques européennes et eurasiatiques. Via l’embrigadement otanien, l’extraterritorialité juridique, les sanctions contre la Russie, les intimidations et chantages de tous ordres, etc… Divide et impera. C’est la raison de toute la pression exercée depuis 60 ans sur l’UE – comme de toutes les politiques antirusses -, afin que jamais l’Europe de l’Ouest n’ose se tourner vers l’est du continent. Car, sans même parler d’union ou d’intégration, un simple rapprochement tactique assumé entre l’UE et l’Eurasie amoindrirait mathématiquement l’influence américaine globale et régionale, y compris face désormais à la puissance chinoise.  

    A l’autre bout du monde, le nouveau « deuxième Grand » du duopôle stratégique, la Chine, via les Nouvelles routes de la Soie, cherche à prendre l’Europe en sandwich. Et que dit la malheureuse proie ? Elle s’insurge mollement, se laisse faire et se croit même maligne en jouant la Chine contre la Russie. La tenue en 2016 du Forum de « l’initiative des Trois mers » (Baltique, Adriatique, Mer noire) a vu s’ébaucher le raccordement de 12 pays d’Europe centrale et orientale au projet des Routes de la Soie…mais contre la Russie. En 2020 doit se tenir 1er forum UE-Asie centrale, qui sera lui aussi dirigé indirectement contre la Russie. L’UE veut donc bien collaborer avec l‘Asie centrale…. Mais en en excluant la puissance centrale et stratégiquement pivot ! Elle voit l’Eurasie…. à moitié. Ce n’est évidemment pas un hasard, mais c’est une erreur stratégique lourde qui procède d’un aveuglement atlantique. Encore une fois, nous faisons le jeu américain sans voir que nous en sommes la cible. 

    Pourtant, si l’UE (et ses acteurs économiques petits ou grands) se rendaient compte du potentiel économique, géopolitique et sécuritaire qu’un dialogue institutionnel et une coopération étroite avec l’Eurasie au sens large (Asie centrale plus Russie) recelait, elle sortirait ipso facto de sa posture si inconfortable entre USA et Chine et constituerait une masse stratégique-économique considérable qui compterait sur la nouvelle scène du monde. 

    Or, ce sujet n’est quasiment jamais abordé dans son potentiel véritable et est totalement absent des radars de l’UE et de celle de la plupart de nos entreprises. Par anti-russisme primaire, inhibition intellectuelle, autocensure, aveuglement.  

    Les parties orientale et occidentale du continent eurasiatique sont les 2 plus grandes économies mondiales : UE et Chine. Pour ne parler que de l’UEE  -pendant de l’UE- : un marché de plus de 180 millions d’habitants (sans parler de tous les accords de partenariat en cours de négociation). L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) représente 43% de la population mondiale mais est dominée par la Chine. La force de l’Eurasie tient à son capital en matières premières et ressources minérales. 38% production mondiale d’uranium sont notamment concentrés au Kazakhstan. 8% du gaz et 4% du pétrole aussi, pour les seuls pays d’Asie centrale, sans compter naturellement la Russie. La construction d’infrastructures gigantesques à l’échelle continentale de l’Eurasie est la grande affaire du 21 siècle. Avec le passage des corridors et routes de transit, on est face à un gigantesque hub de transit eurasiatique. 

    L’Eurasie est donc l’espace naturel du maintien de la puissance économique européenne et de son renforcement stratégique à court, moyen et long terme.Bref, c’est le socle du futur dynamique de l’Europe. Nous devons nous projeter vers cet espace plutôt que de nous blottir frileusement en attendant que Washington, qui poursuit à nos dépens ses objectifs stratégiques et économiques propres, consente à nous libérer de nos menottes. 

    On retorquera que rien n’est possible sans le règlement des questions de l’Ukraine et de la Crimée ? C’est faux ! Ce sont des freins largement artificiels et gonflés pour les besoins d’une cause qui n’est pas la nôtre et nous paralyse. Ce syndrome de Stockholm nous affaiblit et justifie les sanctions interminables pour limiter les capacités économiques et financières russes face à Pékin et neutraliser le potentiel économique européen. Tout cela saute aux yeux. Pourquoi, pour qui se laisser faire ? Il nous faut prendre conscience d’une communauté d’intérêts et d’une urgence à changer drastiquement d’approche en y associant des partenaires européens parfois contre-intuitifs, tels la Pologne, pont logistique idéal entre les deux espaces.

    Comme la Russie, l’Europe est en effet prise entre USA et Chine. Le point de rencontre -et de concurrence- Russo-chinois est l’Asie centrale. Certes il existe depuis 2015 un accord d’intégration de l’UEE dans les projets de la Routes de la Soie conclu entre les présidents Poutine et Xi Jing Ping. Mais c’est un accord inégal, du fait des masses économiques et financières trop disparates entre Moscou et Pékin qui avance à grands avec l’OBOR et au sein de l’OCS pour contrôler l’Asie centrale, pré carré russe, puis se projeter vers l’UE.

    Nous avons en commun avec la Russie tant de choses, mais certainement une commune crainte d’un engloutissement ou du dépècement chinois. Ainsi, l’Eurasie est prise entre deux poids lourds et promise à la dévoration si UE et Russie ne se rapprochent pas autour d’enjeux économiques industriels et sécuritaires notamment. La Russie est en conséquence, n’en déplaise à tous ceux qui la voient encore comme une pure menace, l’alliée naturelle de l’UE dans cette résistance qui ne se fera ni par le conflit, ni par l’intégration stricte, mais par la coopération multilatérale et multisectorielle. Il faut en conséquence ne pas craindre d’initier des coopérations économiques, politiques, culturelles, scientifiques et évidemment sécuritaires entre ces deux espaces. 

    L’intégration continentale eurasiatique en tant que coopération des sociétés et des économies à l’échelle du continent eurasiatique tout entier doit devenir une priorité pour l’UE et la nouvelle Commission européenne. La modernisation et la puissance économique sont en train de changer de camp. L’Europe s’aveugle volontairement par rapport à cette révolution. Ses œillères géopolitiques et l’incompréhension dans laquelle elle demeure, face à la Russie qui est pourtant son partenaire naturel face à la Chine comme face aux oukases américains extraterritoriaux, l’empêchent de tirer parti des formidables opportunités économiques, énergétiques, industrielles, technologiques, intellectuelles et scientifiques qu’une participation proactive aux projets d’intégration eurasiatique lui permettrait. Il faut en être, projeter nos intérêts vers cet espace d’expansion et de sens géopolitique si proche et si riche, et cesser de regarder passer les trains en attendant Godot.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 3 février 2020)

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  • Interdit de ne pas interdire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux nouvelles formes de censure instaurées au nom du politiquement correct. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

     

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    Interdit de ne pas interdire ?
     
    Interdits de parole publique à tel endroit ou menacés pour tel propos sur telle antenne : Agacinski, Finkielkraut, Zemmour, Sifaoui, Zineb el Rhazoui, G. Lejeune. Tous ces gens connus, qui ne disent ni ne pensent la même chose, ont en commun de subir l’interdit pour crimepensée. Ils ont été menacés et empêchés de parler depuis quelques mois (et bientôt depuis quelques lois). De belles âmes (de Nutella aux associations antifas) le réclament de la justice, de l’administration qui gère des salles et des formations, ou des médias (menace de boycott par les annonceurs via les Sleeping Giants): faites les taire.

    Certains au nom de l’héritage de Mai 68. Le « il est interdit d’interdire » est devenu « censurer sans entraves ».

    Bien sûr, les suspects peuvent encore écrire ou fréquenter des plateaux de télévision. Là, avant le clash qui fera le buzz, ils entendront le rituel : « Ne nous assommez pas avec votre on ne peut plus rien dire, la preuve : vous êtes à l’antenne ». Mais ils sont placés en situation de défense, confrontés à des accusateurs, toujours en position de se justifier: sous-entendus, faux degrés d’interprétation, complicité objective qu’ils entretiendraient avec les forces du mal, peurs et des haines qu’ils déclencheraient. On attendra qu’ils franchissent une ligne rouge ou révèlent leurs sous-entendus. Pour ce qu’ils penseraient subjectivement voire inconsciemment comme pour ce qu’ils provoqueraient objectivement (comme la « libération des tabous »). Avant de parler, ils doivent prouver d’où ils parlent et qui visent leurs paroles.

    Cette asymétrie (nul ne soumet à pareil examen les tenants du consensus idéologique), montre qu’une idéologie dominante se défend aussi par interdits et soupçons. Cela consiste ici à créer une catégorie de: les « dangers » de leurs propos sont pesés (incitation ?), leurs arrière-pensées (discriminantes ?).

    Le rétablissement de l’interdit au nom d’une prétendue post-gauche (celle qui ne veut plus changer le monde, mais les âmes des phobes et haineux) repose sur trois postulats. Ils ont mis quelques décennies à s’imposer, notamment via le politiquement correct.

    Le postulat d’irréversibilité. L’État de droit libéral, le mariage pour tous et la PMA, l’ouverture européenne et multiculturelle, la tragédie du réchauffement climatique, etc. sont définitivement entrés et dans les faits et dans les cerveaux. Ce sont des cliquets d’irréversibilité. Toute critique à cette égard est non seulement réactionnaire (jusque là on peut admettre), mais c’est une non-pensée. Voire un négationnisme. Elle est socialement dangereuse et s’exclut ipso facto du champs du débat : il ne peut porter que sur l’approfondissement de ce qui est. Et il implique la liquidation des dernières poches de domination, dans la tête des gens.

    Le postulat de fragilité des masses (devenues des foules et sur lesquelles décidément on ne peut plus compter). Elles ne peuvent bien voter, c’est-à-dire soutenir les élites bienveillantes, que protégées du faux (fake news), rassurées (certains pourrait surfer sur leurs peurs) et convenablement protégées des pseudo-idées populistes qui sont autant d’incitation à la haine. Isoler leur cerveau des contagions complotistes ou autres désinformations, c’est garantir la démocratie et nos valeurs. À ce compte, pourquoi ne pas rétablir le suffrage censitaire : il n’y aurait plus que des gens ouverts et bien informés qui voteraient.

    Le postulat victimaire. Il consiste à évaluer une idée ou une affirmation à l’aune de la souffrance présumée qu’elle cause à telle communauté ou de l’affront fait à telle identité imaginaire. Les idées ne sont plus soumises au critère de vérification mais de réception : ça fait mal à qui se réclame de telle identité ou telle conviction ? Il faut aussitôt en contrôler la diffusion.

    L’affaire Mila l’illustre parfaitement : une LGBT de seize ans dit détester toutes les religions, en particulier l’islam qu’elle qualifie de religion de haine et de merde. Aussitôt pleuvent des milliers de menaces de mort ou de viol sur les réseaux sociaux. Mais le plus significatif est la réaction embarrassée des médias, des leaders d’opinion ou des dirigeants. On se polarise sur le droit (on n’a pas le droit de menacer, le blasphème n’est pas interdit, mais où passe la frontière avec l’injure aux personnes et non aux idées ?), on se demande même si la gamine n’a pas un peu attenté à la liberté de conscience des croyants. Mais en adoptant ces postulats - et pour certains en mettant sur le même plan des injures et menaces de mort à une personne dont la vie est maintenant brisée et la souffrance subjective que l’on éprouve de savoir que d’autres méprisent nos convictions -, on fait de l’argument victimaire une arme paradoxale : plus vous hurlez que vous souffrez, plus vous avez le droit de menacer.

    Ce processus fait partie de l’américanisation de la vie intellectuelle française : les principes de politiquement correct et de respect des sensibilités chers aux universités américaines. Toute pensée qui fait obstacle à une identité, héritée ou choisie, vaut oppression. Elle ne peut donc être - on en revient au même - une pensée mais une action agressive. Donc punissable.

    Et si tous ces postulats relevaient d’une forme d’idéalisme ? Pour lui, les pensées perverses sont puissantes, elles naissent absurdement dans certaines cervelles, ils faut donc les faire disparaître pour abolir toutes les dominations. Élégante façon d’oublier les rapports sociaux au profit des rapports de censure.
     
    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr,
     

     

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  • La colonisation et sa « légende noire »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, cueilli sur son site et consacré à la question complexe de la colonisation. Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont  Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Les guerres du Sahel (L'Afrique réelle, 2019).

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    Quand Arte apporte sa pierre à l’escroquerie historique de la «légende noire» de la colonisation

    La chaîne Arte vient de se surpasser dans le commerce de l’insupportable escroquerie historique qu’est la « légende noire » de la colonisation. Or, le bilan colonial ne pourra jamais être fait avec des invectives, des raccourcis, des manipulations et des mensonges.

    Regardons la réalité bien en face : la colonisation ne fut qu’une brève parenthèse dans la longue histoire de l’Afrique. Jusque dans les années 1880, et cela à l’exception de l’Algérie, du Cap de Bonne Espérance et de quelques comptoirs littoraux, les Européens s’étaient en effet tenus à l’écart du continent africain. Le mouvement des indépendances ayant débuté durant la décennie 1950, le XXe siècle a donc connu à la fois la colonisation et la décolonisation.

    Quel bilan honnête est-il possible de faire de cette brève période qui ne fut qu’un éclair dans la longue histoire de l’Afrique ? Mes arguments sont connus car je les expose depuis plusieurs décennies dans mes livres, notamment dans Osons dire la vérité à l’Afrique.J’en résume une partie dans ce communiqué.

     

    1) Les aspects positifs de la colonisation pour les Africains

    La colonisation apporta la paix

    Durant un demi-siècle, les Africains apprirent à ne plus avoir peur du village voisin ou des razzias esclavagistes. Pour les peuples dominés ou menacés, ce fut une véritable libération.

    Dans toute l’Afrique australe, les peuples furent libérés de l’expansionnisme des Zulu, dans tout le Sahel, les sédentaires furent libérés de la tenaille prédatrice Touareg-Peul, dans la région tchadienne, les sédentaires furent débarrassés des razzias arabo-musulmanes, dans l’immense Nigeria, la prédation nordiste ne s’exerça plus aux dépens des Ibo et des Yoruba, cependant que dans l’actuelle Centrafrique, les raids à esclaves venus du Soudan cessèrent etc.

    A l’évidence, et à moins d’être d’une totale mauvaise foi, les malheureuses populations de ces régions furent clairement plus en sécurité à l’époque coloniale qu’aujourd’hui…

    La colonisation n’a pas pillé l’Afrique

    Durant ses quelques décennies d’existence la colonisation n’a pas pillé l’Afrique. La France s’y est même épuisée en y construisant 50.000 km de routes bitumées, 215.000 km de pistes toutes saisons, 18.000 km de voies ferrées, 63 ports équipés, 196 aérodromes, 2000 dispensaires équipés, 600 maternités, 220 hôpitaux dans lesquels les soins et les médicaments étaient gratuits. En 1960, 3,8 millions d’enfants étaient scolarisés et dans la seule Afrique noire, 16.000 écoles primaires et 350 écoles secondaires collèges ou lycées fonctionnaient. En 1960 toujours 28.000 enseignants français, soit le huitième de tout le corps enseignant français exerçaient sur le continent africain.

    Pour la seule décennie 1946 à 1956, la France a, en dépenses d’infrastructures, dépensé dans son Empire, donc en pure perte pour elle, 1400 milliards de l’époque. Cette somme considérable n’aurait-elle pas été plus utile si elle avait été investie en métropole ? En 1956, l’éditorialiste Raymond Cartier avait d’ailleurs écrit à ce sujet : 

    « La Hollande a perdu ses Indes orientales dans les pires conditions et il a suffi de quelques années pour qu'elle connaisse plus d'activité et de bien-être qu’autrefois. Elle ne serait peut-être pas dans la même situation si, au lieu d’assécher son Zuyderzee et de moderniser ses usines, elle avait dû construire des chemins de fer à Java, couvrir Sumatra de barrages, subventionner les clous de girofle des Moluques et payer des allocations familiales aux polygames de Bornéo. »

    Et Raymond Cartier de se demander s’il n’aurait pas mieux valu « construire à Nevers l’hôpital de Lomé et à Tarbes le lycée de Bobo-Dioulasso ».

    Jacques Marseille[1] a quant à lui définitivement démontré quant à lui que l’Empire fut une ruine pour la France. L’Etat français dût en effet se substituer au capitalisme qui s’en était détourné et s’épuisa à y construire ponts, routes, ports, écoles, hôpitaux et à y subventionner des cultures dont les productions lui étaient vendues en moyenne 25% au-dessus des cours mondiaux. Ainsi, entre 1954 et 1956, sur un total de 360 milliards de ff d’importations coloniales, le surcoût pour la France fut de plus de 50 milliards.

    Plus encore, à l’exception des phosphates du Maroc, des charbonnages du Tonkin et de quelques productions sectorielles, l’Empire ne fournissait rien de rare à la France. C’est ainsi qu’en 1958, 22% de toutes les importations coloniales françaises étaient constituées par le vin algérien qui était d’ailleurs payé 35 ff le litre alors qu’à qualité égale le vin espagnol ou portugais était à19 ff.

    Quant au seul soutien des cours des productions coloniales, il coûta à la France 60 milliards par an de 1956 à 1960.

    Durant la période coloniale, les Africains vivaient en paix

    Dans la décennie 1950, à la veille des indépendances, à l’exception de quelques foyers localisés (Madagascar, Mau-Mau, Cameroun) l’Afrique sud-saharienne était un havre de paix.

    Le monde en perdition était alors l’Asie qui paraissait condamnée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits : guerre civile chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises.

    En comparaison, durant la décennie 1950-1960, les habitants de l'Afrique mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire attaquer et rançonner.

    Soixante-dix ans plus tard, le contraste est saisissant: du nord au sud et de l'est à l'ouest, le continent africain est meurtri :

    - Dans le cône austral, ce qui fut la puissante Afrique du Sud sombre lentement dans un chaos social duquel émergent encore quelques secteurs ultra-performants cependant que la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du "vivre ensemble".

    - De l'atlantique à l'océan indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se situent au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie.

    - Plus au sud, la Centrafrique a explosé cependant que l'immense RDC voit ses provinces orientales mises en coupe réglée par les supplétifs de Kigali ou de Kampala.

    Si nous évacuons les clichés véhiculés par les butors de la sous-culture journalistique, la réalité est que l’Afrique n’a fait que renouer avec sa longue durée historique précoloniale. En effet, au XIX° siècle, avant la colonisation, le continent était déjà confronté à des guerres d’extermination à l’est, au sud, au centre, à l’ouest. Et, redisons-le en dépit des anathèmes, ce fut la colonisation qui y mit un terme.

    Aujourd’hui, humainement, le désastre est total avec des dizaines de milliers de boat people qui se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la "terre promise" européenne. Les crises alimentaires sont permanentes, les infrastructures de santé ont disparu comme l'a montré la tragédie d'Ebola en Afrique de l'Ouest ou la flambée de peste à Madagascar, l'insécurité est généralisée et la pauvreté atteint des niveaux sidérants.

    Economiquement, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique est aujourd’hui largement en dehors du commerce, donc de l’économie mondiale, à telle enseigne que sur 52 pays africains, 40 ne vivent aujourd’hui que de la charité internationale

     

    2) Les conséquences négatives de la colonisation

    La colonisation a déstabilisé les équilibres démographiques africains

    La colonisation a mis un terme aux famines et aux grandes endémies. Résultat du dévouement de la médecine coloniale, la population africaine a été multipliée par 8, une catastrophe dont l’Afrique aura du mal à se relever.

    En effet, le continent africain qui était un monde de basses pressions démographiques n’a pas su « digérer » la nouveauté historique qu’est la surpopulation avec toutes ses conséquences : destruction du milieu donc changements climatiques, accentuation des oppositions entre pasteurs et sédentaires, exode rural et développement de villes aussi artificielles que tentaculaires, etc.

    La colonisation a donné le pouvoir aux vaincus de l’histoire africaine

    En sauvant les dominés et en abaissant les dominants, la colonisation a bouleversé les rapports ethno-politiques africains. Pour établir la paix, il lui a en effet fallu casser les résistances des peuples moteurs ou acteurs de l’histoire africaine.

    Ce faisant, la colonisation s’est essentiellement faite au profit des vaincus de la « longue durée » africaine venus aux colonisateurs, trop heureux d’échapper à leurs maîtres noirs. Ils furent soignés, nourris, éduqués et évangélisés. Mais, pour les sauver, la colonisation bouleversa les équilibres séculaires africains car il lui fallut casser des empires et des royaumes qui étaient peut-être des « Prusse potentielles ».

    La décolonisation s’est faite trop vite

    Ne craignons pas de le dire, la décolonisation qui fut imposée par le tandem Etats-Unis-Union Soviétique, s’est faite dans la précipitation et alors que les puissances coloniales n'avaient pas achevé leur entreprise de « modernisation ».

    Résultat, des Etats artificiels et sans tradition politique ont été offerts à des « nomenklatura » prédatrices qui ont détourné avec régularité tant les ressources nationales que les aides internationale. Appuyées sur l’ethno-mathématique électorale qui donne automatiquement le pouvoir aux peuples dont les femmes ont eu les ventres les plus féconds, elles ont succédé aux colonisateurs, mais sans le philanthropisme de ces derniers…

    Les vraies victimes de la colonisation sont les Européens

    Les anciens colonisateurs n’en finissent plus de devenir « la colonie de leurs colonies » comme le disait si justement Edouard Herriot. L’Europe qui a eu une remarquable stabilité ethnique depuis plus de 20.000 ans est en effet actuellement confrontée à une exceptionnelle migration qui y a déjà changé la nature de tous les problèmes politiques, sociaux et religieux qui s’y posaient traditionnellement.

    Or, l’actuelle politique de repeuplement de l’Europe est justifiée par ses concepteurs sur le mythe historique de la culpabilité coloniale. A cet égard, la chaîne Arte vient donc d’apporter sa pierre à cette gigantesque entreprise de destruction des racines ethniques de l’Europe qui porte en elle des événements qui seront telluriques.

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 13 janvier 2020)

     

    Note :

    [1] Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce. Paris, 1984. Dans ce livre Marseille évalue le vrai coût de l’Empire pour la France.

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  • On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Tormenen, cueilli sur Polémia et consacré  à l'islamisation de notre pays. Paul Tormenen est juriste.

     

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    Islamisation de la France : on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas

    L’islamisme parfois meurtrier fait l’actualité en ce début d’année. Le 5anniversaire de l’attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo en janvier 2015, l’éventualité du retour de djihadistes français de Syrie et la libération prochaine de terroristes islamistes détenus en France sont autant d’occasions de parler de l’islamisme qui se propage dans la société française. On ne peut pas dire que l’information manque à ce sujet : plusieurs livres très documentés sur ce thème viennent d’être publiés. Par contre, la volonté politique d’éradiquer ce phénomène est largement insuffisante de la part de nos dirigeants. Nous risquons d’en payer chèrement les conséquences.

    Les attentats perpétrés en 2015 et ceux qui ont suivi ont entraîné un besoin de connaissance non seulement du djihadisme, mais aussi plus largement de l’islamisme qui gagne du terrain en France. Il est apparu important à de nombreux citoyens de mieux connaitre le terreau idéologique et religieux à partir duquel certaines personnes radicalisées sont passées à l’acte.

    Dans les dernières années, plusieurs ouvrages ont été publiés, qui apportent un éclairage capital sur les causes, la stratégie, l’ampleur et les risques liés à l’expansion de l’islamisme. Il nous a paru important d’en recenser quelques-uns et de les présenter.

    La stratégie d’expansion de l’islamisme

    Le temps est loin d’une pratique quasi-uniquement discrète et modérée de l’islam dans notre pays. Avec l’aide financière de pétromonarchies du golfe, un islam plus radical a non seulement gagné en influence dans les pays du Maghreb, mais aussi en France.

    Deux journalistes, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, ont publié en avril 2019 le livre « Qatar papers » qui recense des financements qataris de mosquées en France (1). Le subventionnement de projets initiés par des frères musulmans est étroitement lié à la volonté de propager une certaine vision, très rigoriste, de l’islam. L’Arabie saoudite n’est pas en reste. Le prince héritier saoudien a admis récemment que son pays a contribué à la propagation de l’idéologie wahhabite en Occident. Son annonce d’y mettre un terme est bien tardive : l’expansion du salafisme est lancée et poursuit son œuvre (2).Comme le souligne Bernard Rougier dans un récent ouvrage, la diffusion d’un islam rigoriste correspond également à une volonté de contrôle social des immigrés maghrébins en Europe par leurs pays d’origine (3).

    La stratégie de conquête et d’infiltration des frères musulmans en France et dans le monde a fait l’objet d’un livre paru fin 2019, « Le projet », écrit par le géopolitologue Alexandre Del Valle (4). Cette stratégie passe notamment par la mise en place d’une contre-société islamique et par la désassimilation d’une partie des musulmans, dont on perçoit déjà les effets.

    Le projet de conquête de l’occident est également le thème central du livre publié fin 2018 par Jean-Frédéric Poisson, « L’islam à la conquête de l’Occident ». Le point de départ de l’enquête du dirigeant du P.C.D. est un document découvert par inadvertance intitulé « Stratégie de l’action culturelle islamique à l’extérieur du monde islamique », qui a été élaboré en 2000 par l’ISESCO, le département culturel de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), regroupant 57 États musulmans (5). Un document qui évoque notamment la volonté d’installer « une société pure et saine » en Occident.

    Les moyens de l’expansion de l’islamisme

    L’islamisme ne pourrait pas autant se développer si une forte résistance lui était opposée. Les changements de notre société causés par la progression de l’islamisme ont amené le journaliste Yves Mamou à enquêter sur « Le grand abandon » des élites françaises à ce sujet (6). Son livre publié fin 2018 se lit comme un bottin des idiots utiles de l’islamisme. Complices aveugles ou volontaires du grand changement qui est à l’œuvre, ils sont nombreux au sein des mouvements antiracistes, de la justice, des grands corps de l’Etat, des médias, de la culture, de l’école, de l’église catholique, des intellectuels et des entrepreneurs du « capitalisme charia » à être recensés par le journaliste. Tous concourent à leur échelle,par leur inertie ou leur aveuglement, à l’avènement d’une contre société avec ses propres mœurs et ses propres règles.

    La stratégie de prise de contrôle de certains territoires par les islamistes a fait l’objet d’une analyse dirigée par Bernard Rougier, un spécialiste de l’islam radical. Le résultat du travail qu’il a réalisé avec une équipe d’universitaires a été publié en ce début d’année dans le livre « Les territoires conquis de l’islamisme » (3). L’ouvrage nous confirme que la transformation idéologique et religieuse de l’islam n’est pas le fruit du hasard. Elle s’est selon Bernard Rougier « accomplie grâce à un travail continu et permanent sur les populations des quartiers, dans le but déclaré d’en refaçonner les catégories de perception et de jugement ».

    Au travers de plusieurs enquêtes sur pièces et de terrain, le livre passe en revue les différentes formes d’islamisme, la façon dont le contrôle social et le prosélytisme (dans la rue, sur les marchés, dans les clubs sportifs, etc.) s’effectuent dans les banlieues islamisées, le contenu de plus en plus radical des livres confessionnels, le cyber-djihadisme et la construction d’« écosystèmes islamistes » dans différentes communes. La prison a pour l’auteur une importance particulière : c’est à la fois un lieu de socialisation, d’endoctrinement et d’élaboration de nouvelles doctrines de l’islamisme.

    Ces différents éléments de contexte aident à mieux comprendre l’émergence d’un islamisme qui dans sa forme la plus extrême a poussé des jeunes à partir combattre dans les rangs de l’Etat islamique. La simplification de l’islam, le rôle de l’instance religieuse saoudienne et la volonté de contrôle de la population immigrée sont décrits comme autant de facteurs concourant à la propagation d’un islam de plus en plus rigoriste et sécessioniste en France.

    L’ampleur de l’islamisme

    Un récent rapport de la DGSI évaluerait à 150 les quartiers « tenus » par les islamistes en France (7). Mais au-delà de cette partition, c’est une diffusion plus large de l’islamisme qui est à l’œuvre. La progression du nombre de mosquées sous influence salafiste, tabligh et des frères musulmans fait l’objet de fréquents recensements, notamment à l’occasion de rapports parlementaires (8).

    On peut saluer à ce sujet l’irremplaçable travail réalisé par Joachim Veliochas avec son « Observatoire de l’islamisation », qui dispense une information permanente sur les signaux plus ou moins faibles du radicalisme islamique (9). Il a réuni dans un livre plusieurs éléments de preuve sur « ces maires qui courtisent l’islamisme », en accordant différents concours (prêt de terrains, de locaux, etc.) à la construction de mosquées (10).

    Les manifestations de l’islamisme

    Les manifestations de l’islamisme sont évidemment présentes dans les différents ouvrages que nous mentionnons. Elles prennent la forme de la conviction partagée par une frange croissante des musulmans (27% selon l’IFOP) de la supériorité de la loi islamique, la sharia, sur les lois de la république (11). L’essor de la viande halal traduit une volonté des fondamentalistes de contrôler le comportement des musulmans. Inexistante il y a quelques dizaines d’années, la nourriture halal prend une importance considérable grâce notamment à sa promotion par de nombreuses entreprises privées. Comme le souligne Yves Mamou, le halal s’étend même à des produits non alimentaires pour mieux régimenter la consommation « licite » des musulmans et marquer la partition des populations.

    La multiplication des signes et des manifestations d’appartenance religieuse dans certains établissements scolaires, recensés dans le rapport Obin en juin 2004, s’est propagée à d’autres secteurs (12).

    Outre des enseignants, ce sont des infirmières, des assistantes sociales, des maires, des formateurs et des policiers qui témoignent dans l’ouvrage collectif « Une France soumise » de la progression de l’islam politique et d’une sécession d’une partie de la société, en particulier dans les quartiers de l’immigration. Les auteurs pointent du doigt le manque de soutien des professionnels par leur hiérarchie et des élus qui préfèrent regarder ailleurs (13).

    Un rapport parlementaire a été consacré en 2019 aux services publics face à la radicalisation (14). Bien que différents plans contre la radicalisation aient été mis en œuvre dans le passé, les auteurs évoquent benoîtement une insuffisante prise de conscience et des difficultés à mesurer le phénomène dans certains secteurs. L‘absence du mot « islamisme »tant dans l’intitulé que dans la table des matières du rapport illustre la difficulté à bien nommer le problème pour mieux le combattre.Le monde de l’entreprise n’est pas en reste, avec certains secteurs plus particulièrement touchés (transport, sécurité, etc.) (15).

    L’histoire récente de la France peut également être revisitée à l’aune de l’islamisme, comme l’a fait de façon chronologique un collectif anonyme qui relate l’« histoire de l’islamisation française de 1979 à 2019 » en 40 chapitres passionnants mais inquiétants. C’est une nouvelle grille de lecture qui est donnée à de nombreux événements dans l’histoire française récente (16).

    L’impact sur la société française

    La propagation de l’islamisme n’a pas qu’un impact auprès des musulmans. Elle a également des conséquences sur la société française dans son ensemble. C’est la liberté d’expression qui recule, avec l’invocation fréquente d’«islamophobie » pour disqualifier voire faire condamner les opposants. Le droit au blasphème se limite désormais pour les humoristes ricaneurs à « gifler la grand-mère catholique » (17).Ce sont les nombreuses personnes qui vivent sous protection policière permanente après avoir été menacé pour avoir critiqué l’islam (18). C’est la viande halal qu’on nous impose massivement, comme le souligne depuis plusieurs années Alain de Peretti et son association « Vigilance halal » (19). Ce sont des professeurs qui s’auto-censurent sur leurs programmes pour ne pas connaitre de protestations de la part d’élèves endoctrinés. On pourrait multiplier les exemples.

    Et maintenant ?

    On peut effectivement se demander ce que l’on fait maintenant. Concrètement, des islamistes jugés dangereux il y a quelques années – comme celui qui a menacé Pierre Sautarel du site Fdesouche -sont progressivement remis en liberté. Comme si cela ne suffisait pas, la ministre de la justice a évoqué récemment la possibilité de rapatrier des djihadistes détenus en Syrie. Un islam radical continue à être propagé dans certaines mosquées alors que des écoles hors contrat échappent en grande partie au contrôle des messages qui y sont véhiculés. Les éléments de diagnostic sont présents. Reste à élaborer un plan d’action plus convaincant que ceux qui ont jusqu’à présent échoué à enrayer la progression de l’islamisme (20).

    Les signaux sont nombreux qui laissent à penser qu’il ne faut pas attendre grand-chose du gouvernement dans le plan de lutte contre l’islamisme qui devrait être dévoilé en février (21). Car« en même temps », le déni continue. L’immigration massive et essentiellement musulmane atteint des niveaux inégalés.

    Ceci alors qu’un moyen de freiner la propagation de l’islamisme est d’arrêter l’immigration. Mais de cela, il ne sera pas question. Il y a fort à craindre que, sauf surprise, ce sera encore au mieux des mesurettes dont on a l’habitude, au pire un rendez-vous des occasions manquées.

    Paul Tormenen (Polémia, 27 janvier 2020)

     

    Notes :

    (1) « Qatar papers ». Georges Malbrunot et Christian Chesnot. Ed. Michel Lafon. 2019

    (2) « Selon Mohamed Ben Salmane, c’est l’occident qui a réclamé l’exportation du wahhabisme ». Valeurs actuelles. 30 mars 2018. « L’Arabie saoudite tente de contenir la propagation du salafisme. Ça ne marchera pas ». Les crises.fr. 24 janvier 2018.

    (3) « Les territoires conquis de l’islamisme ». Bernard Rougier. PUF.2020.

    (4) « Le projet ». Alexandre Del Valle. Ed. de l’Artilleur. 2019.

    (5) « L’islam à la conquête de l’occident ».Jean-Frédéric Poisson. Ed. du Rocher. 2018.

    (6) « Le grand abandon. Les élites françaises et l’islamisme ». Yves Mamou. Ed. de l’Artilleur. 2018.

    (7) « Le défi communautariste ». Le JJD. 19 janvier 2020.

    (8) « Rapport au nom de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens des services de l’État pour faire face à l’évolution de la menace terroriste après la chute de l’État islamique ». Sénat. 4 juillet 2018.

    (9) https://islamisation.fr/

    (10) « Ces maires qui courtisent l’islamisme ». Joachim Véliochas. Ed.Tatamis. 2015.

    (11) « Les musulmans en France, 30 ans après l’affaire des foulards de Creil ». IFOP. 23 septembre 2019.

    (12)« Les signes et des manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Rapport présenté par J.P. Obin. Juin 2004.

    (13) « Une France soumise ». Ouvrage collectif. Ed. Albin Michel. 2017.

    (14)« Rapport d’information sur les services publics face à la radicalisation ». E. Diard. E. Poulliat. 27 juin 2019.

    (15) « Comment les entreprises font face à l’islam radical ». Capital. 21 avril 2016.

    (16) « Histoire de l’islamisation française de 1979 à 2019 ». Ed. de l’Artilleur. 2018.

    (17) Emission I Media sur TV Libertés. « France inter contre Jésus : blasphème à sens unique ». n°281. 16 janvier 2020.

    (18) « France : critiquer l’islam et vivre sous protection policière ». Gatestone Institute. 3 mars 2016.

    (19)https://vigilancehallal.com/

    (20)« Plans d’action contre la radicalisation 2014, 2016, 2018 ». Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

    (21) Requêtes Macron, LREM sur le site de l’Observatoire de l’islamisation.

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  • « No Society » : le constat implacable de Christophe Guilluy...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Grégoire Gambier consacré aux positions défendues par le géographe Christophe Guilluy dans son livre No Society (Flammarion, 2018) et cueilli sur Polémia. Grégoire Gambier est délégué général de l'Institut Iliade.

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    « No Society » : le constat implacable de Christophe Guilluy

    L’édition en format poche de No Society – La fin de la classe moyenne occidentale, enrichie d’un avant-propos consacré au phénomène des Gilets jaunes, est l’une des lectures les plus indispensables du moment. Le géographe Christophe Guilluy y propose une forme de synthèse de ses analyses, bien moins manichéennes que ne le voudraient ses détracteurs. Cet ouvrage constitue sans conteste l’un des livres de chevet de tout responsable « populiste » ayant à cœur d’offrir une perspective politique victorieuse au « Bloc populaire ».

    Partant de la fameuse formule de Margaret Thatcher en octobre 1987, « There is no society », qui entendait ainsi justifier le bien fondé de ses réformes libérales, Christophe Guilluy déroule une analyse que l’on pourrait résumer en quelques points saillants :

    • Ce message libéral donc par essence apolitique, porté par une vision mondialiste devenue idéologie, dont la portée s’est accélérée après la chute du Mur de Berlin et la disparition du bloc soviétique, a été entendu par l’ensemble des classes dominantes occidentales.
    • Sa conséquence immédiate ? La « grande sécession du monde d’en haut »d’avec ses peuples et ses pays originels, qu’avait analysé dès 1995 Christopher Lasch dans La Révolte des élites et la trahison de la démocratie(Champs Flammarion, 2010) et que rappelle très bien le président de TV Libertés Philippe Milliau dans son message du nouvel an 2020.
    • Les conséquences concrètes que nous subissons aujourd’hui, après trente ans de nouvelle « trahison des élites », sont l’abandon du bien commun et l’avènement du chaos de la « société relative » caractéristiques des pays occidentaux – « la réalité d’une société désormais travaillée par des tensions ethno-raciales qui rappellent en tout point celles de la société américaine ».
    • « La rupture du lien, y compris conflictuel, entre le haut et le bas, nous a fait basculer dans l’a-société. No more society.» Le sacrifice volontaire, sur l’autel de la mondialisation, des classes moyennes autrefois matrices des sociétés occidentales, a débouché sur la prolétarisation, l’atomisation et finalement la désespérance du « bloc central » constitué du peuple au travail – l’échec du mouvement des Gilets jaunes ne pouvant qu’accentuer cette désespérance sociale, avec des risques évidents pour le maintien de toute « paix civile ».

    Dès lors, comment « refaire société » – c’est-à-dire en réalité refaire un peuple, avec un territoire, des coutumes et des lois qu’il aurait en propre ? C’est à cette réhabilitation du politique qu’appelle Guilluy, avec la pertinence qu’impose la tournure des événements, légitimant en grande partie ses analyses antérieures (notamment dans La France périphérique en 2014 et Le crépuscule de la France d'en haut en 2016), malgré les limites de quelques-unes de ses références par trop crypto-chevènementistes.

    Phénoménologie de la « société ouverte »

    La partie principale de l’ouvrage de Christophe Guilluy est relative au constat de la société produite par l’avènement de l’idéologie multiculturaliste et « diversitaire » (cf. Mathieu-Bock Côté, Le multiculturalisme comme religion politique, Les éditions du Cerf, 2016). Idéologiquement progressiste, multiculturelle et techno-marchande, la « France d’en haut » a promu cette forme de post-démocratie (car réalisée sans le consentement du peuple souverain, et en lui retirant l’essentiel de ses prérogatives politiques, avant de le faire disparaître économiquement puis socialement), avec d’autant plus d’entrain qu’elle a su se préserver des externalités négatives d’un tel « modèle » (ghettos ethniques, effondrement du système éducatif, chômage structurel et massif, explosion de la criminalité de rue, etc.). Et ce, en utilisant cyniquement le lumpenprolétariat immigré à son profit :

    • pour répondre à ses besoins de services dans les métropoles constituant ses lieux de vie privilégiés (ménage, cuisine, garde d’enfants, transports, traitement et recyclage des déchets, etc.) ;
    • mais aussi pour contenir voire délégitimer les revendications salariales ou simplement sociales de l’ancienne « working class » autochtone, accusée au moindre prétexte de racisme, pour ne pas dire de bêtise crasse (les « déplorables » dénoncés par Hillary Clinton en visant les électeurs de son opposant républicain en 2016) – technique permettant « le verrouillage du débat public » afin d’écraser dans l’œuf toute velléité de révolte.

    Ce que décrit Guilluy, c’est « le repli d’une bourgeoisie asociale » : « En réalité, la société ouverte et mondialisée est bien celle du repli du monde d’en haut sur ses bastions, ses emplois, ses richesses. Abritée dans ses citadelles, la bourgeoisie ‘progressiste’ du XXIe siècle a mis le peuple à distance et n’entend plus prendre en charge ses besoins. L’objectif est désormais de jouir des bienfaits de la mondialisation sans contraintes nationales, sociales, fiscales, culturelles…. Et peut-être, demain, biologiques » [en pariant sur la révolution de l’intelligence artificielle et le transhumanisme].

    Une nouvelle lutte des classes ?

    A l’impasse que constitue cette « a-société » par nature centrifuge, quand elle n’est pas sécessionniste, répond le besoin de « commun » d’un peuple certes relégué aux marges géographiques, culturelles et économiques de la société, mais toujours majoritaire : la « France périphérique » représenterait 60 % de la population, constituant « un socle populaire irrépressible ». Mieux, toujours selon Christophe Guilluy, cette population majoritaire se penserait encore, malgré sa prolétarisation accélérée, comme « référent culturel » d’une France qui ne voudrait pas mourir, car disposant d’un socle de valeurs cohérent et fédérateur :

    • La nécessité de préserver le cadre national « qui conditionne la défense du bien commun » et qui comprend celle des services publics ;
    • L’attachement à « la réalité d’un monde populaire sédentaire beaucoup plus durable » que le « mythe de l’hyper-mobilité » ;
    • « La préservation d’un capital culturel protecteur [face] à la construction d’un monde de l’indistinction culturelle » ;
    • Et finalement, mais de façon très concrète et palpable, le refus instinctif de l’invasion migratoire, qui déstabilise la société populaire et en modifie les contours ethniques comme les attaches culturelles.

    Même s’il s’en défend, Guilluy voit ainsi se dessiner une nouvelle lutte des classes entre les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation, les premiers constituant « une bourgeoisie dont le seul objectif est de maintenir sa position de classe » et les seconds regroupant ceux « qui adhèrent de moins en moins à la doxa de la société ouverte » – mais qui bénéficieraient aujourd’hui d’un mouvement de balancier favorable.

    L’analyse est d’autant plus convaincante qu’elle rejoint les dichotomies mises à jour aussi bien par David Goodhart entre « Anywhere » et « Somewhere » (The Road to Somewhere : The Populiste Revolt and the Future of Politics, 2018), par Michel Geoffroy entre « super-classe mondiale » et « peuples » (La super-classe mondiale contre les peuples, Via Romana 2018), par Jérôme Sainte-Marie entre « bloc élitaire » et « bloc populaire » (Bloc contre bloc : La dynamique du Macronisme, Les éditions du Cerf 2019), ou encore très récemment par Michel Onfray entre « ceux qui exercent le pouvoir » et « ceux sur lesquels s’exerce le pouvoir » (La Grandeur du petit peuple, Albin Michel 2020).

    Eviter le spectre de la « guerre civile »

    Pour Guilluy, « les classes dominantes ont créé les conditions de leur impuissance à réguler, à protéger (…) par une dépendance accrue au système bancaire et aux normes supranationales du modèle mondialisé ». Mais ce faisant, elles se sont engagées dans une « fuite en avant économique » qui les condamne à terme. « La réalité est qu’aujourd’hui la classe dominante cherche moins à préserver la société qu’à gagner du temps (y compris en refusant ou en freinant l’application des résultats des urnes – du référendum européen de 2005 aux élections italiennes de 2018 en passant par le Brexit). » Or le vent tourne : « Croire que le mouvement des Gilets jaunes ou celui des brexiters n’est qu’un phénomène conjoncturel est une absurdité. C’est au contraire le produit d’une recomposition sociale de temps long, qui fait émerger une nouvelle polarisation politique », qui dépasse évidemment le vieux clivage institutionnel droite-gauche. Et ce, au moment même où « la posture morale du monde d’en haut a vécu » : « Le monde politique, académique ou médiatique ânonne les versets de la doxa dominante mais n’a plus qu’une influence culturelle marginale sur le monde d’en bas. »

    En annonçant « la fin du magistère des prétentieux », qui contraindra ces derniers à rejoindre le monde réel ou à disparaître, Christophe Guilluy se montre à la fois optimiste et volontariste. Pour conjurer l’accentuation des fractures sociales, voire un risque de « guerre civile » largement mis en scène et instrumentalisé par le pouvoir, il mise en effet sur la réconciliation de la France d’en haut avec le « môle populaire », en prenant acte de la concomitance de deux « victoires »:

    • Victoire technique, liée à l’essoufflement du modèle économique et sociétal actuel : « L’heure est au développement durable, à la relocalisation des activités, à la baisse de la mobilité, ni par idéologie ni par passéisme, mais simplement parce que les contraintes économiques, écologiques et sociales nous l’imposent » ;
    • Victoire idéologique : confrontés de surcroît à la perte de leur hégémonie politique et culturelle, les « Anywhere » doivent « reprendre le chemin de l’Histoire », celui d’une réintégration démocratique par réconciliation avec les « Somewhere » – « Aidons-les à réintégrer la communauté nationale ! » plaide ainsi Guilluy.

    Tout « populisme » a besoin d’une élite

    Pour atteindre cet objectif, Guilluy ne mise pas seulement sur la bonne volonté du « bloc élitaire ». Il a bien conscience qu’il faut que le « bloc populaire » dispose de sa propre élite, apte à engager un rapport de force qui lui serait favorable : « Aucun processus [révolutionnaire] ne peut émerger sans l’engagement d’une fraction des élites ou de la bourgeoisie en faveur des plus modestes, et donc une volonté de préserver le bien commun ». Dit autrement : « Pas de mouvement de masse, pas de révolution sans alliance de classes ! »

    Cette élite doit notamment garantir la réintégration du « bloc populaire » dans les circuits économiques : « On ne peut prétendre au respect et encore moins à un statut de référent culturel ni à aucun pouvoir politique sans intégration économique ». Ce que les auteurs de la postface au « manuel de guérilla culturelle » publié récemment à La Nouvelle Librairie par François Bousquet (Courage !, 2019), affirment également sans ambiguïté : « L’économie, la bonne économie qui réalise et qui crée, est au fondement, aussi, au même titre que la génétique et la culture, de notre identité européenne. […] Rêvons à un réinvestissement de l’économie par nos forces vives. […] Nous devons lever des armées de chefs d’entreprise soudés et enracinés. »

    Le récent Dictionnaire des populismes (éditions du Cerf, 2019) réalisé sous la direction de Frédéric Rouvillois, Olivier Dard et Christophe Boutin, ne fait pas l’impasse sur ce sujet. Dans un article consacré à l’élitisme, Alexandre Avril s’oppose à l’opposition entre celui-ci et le populisme : « Cette vision simpliste et antagoniste des choses n’est pas celle de la théorie politique classique, qui voit plutôt dans la dualité organique du peuple et de l’élite une division fonctionnelle et non pas concurrentielle ». Et de préciser que « le populisme peut être entendu non comme une simple critique anti-élitiste mais au contraire, comme l’aspiration à restaurer les principes et la fonction classiques de l’élite : celle de former le petit nombre des plus vertueux, qui sont aussi les plus aptes à gouverner et à conduire le peuple dont ils sont indissociables ».

    « Même le populisme a besoin d’un élite », rappelle aussi Pascal Gauchon dans le dernier numéro de la revue Conflits (n°25, janvier-février 2020, « Les yoyos du populisme », p. 70-71) : « Le vrai problème des populistes est leur rapport aux élites. En se contentant de les dénoncer, ils mobilisent, mais se privent de leurs réseaux et de leur savoir-faire ». Car si la preuve a été faite que les populistes peuvent accéder au pouvoir, au moins dans le cadre de coalitions s’agissant du continent européen, « peuvent-ils y rester et agir ? »

    C’est sans doute l’enjeu principal des mois et années à venir. Et ce n’est pas le moindre des intérêts de No Society que de ne pas faire l’impasse sur un sujet aussi essentiel. Car de la capacité du « bloc populaire » à se doter d’une élite, politique, intellectuelle et économique, dépend directement ses perspectives de pouvoir.

    Grégoire Gambier (Polémia, 14 janvier 2020)

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