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Points de vue - Page 120

  • Y a-t-il encore un État en France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un  point de vue de Pierre Villiers-Moriamé , cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré à la désagrégation de l’État en France.

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    Y a-t-il encore un État en France ?

    On se souvient tous du mot de Ronald Reagan, qui ouvrait l’âge néolibéral : « L’État n’est pas la solution à notre problème ; l’État est le problème. » À force de raisonner ainsi, la puissance publique a fini par rogner ses prérogatives régaliennes pour les abandonner au marché et à ses acteurs les plus puissants. Résultat : l’État a organisé sa propre impuissance. Il est temps de renouer avec un État stratège.

    Il est 13 h 02, un jeudi de janvier pluvieux comme tant d’autres. Jean-Louis, sexagénaire dégarni, calfeutré à l’instar de millions de Français, décide de prendre sa dose de sinistrose quotidienne. Il allume son poste de télévision et parcourt les programmes de diverses chaînes, avant de s’arrêter sur un journal d’information en continu. Les nouvelles ne sont pas bonnes, des usines ayant bénéficié d’aides publiques ferment pour mieux rouvrir ailleurs, des raves parties sauvages sont organisées partout en France au nez et à la barbe des autorités, pourtant informées… Après une quatrième page de publicité en vingt minutes, Jean-Louis, atterré, apprend que 95 % des arrêtés d’expulsion prononcés ne sont jamais exécutés. Lui qui dans sa jeunesse a connu un pays bien différent ne sait plus où il habite. Traité pour hypertension, il préfère en rester là et appuie sur la télécommande. Il faut dire qu’il a mal dormi, la faute aux rodéos en moto qui ont lieu tous les jours en bas de chez lui et pour lesquels la police ne se déplace plus depuis longtemps. Alors même que les citoyens lambda sont soumis depuis des mois à d’innombrables restrictions et qu’on n’a de cesse de répéter qu’il faut empêcher la constitution de clusters, il observe les « jeunes » se rassembler en bas de son HLM et fumer leurs pétards, en toute impunité.

    Cet énième renoncement, ce refus d’appliquer la loi et de faire respecter l’ordre public, est tout sauf neutre. Pour paraphraser Clouscard, l’anodin est révélateur de l’essentiel. Ces exemples en disent long sur l’état de délabrement de nos institutions : ici la force régalienne, pourtant détentrice du monopole de la violence légitime, qui apparaît comme purement et simplement absente.

    D’où vient cette impuissance ?

    La pensée soixante-huitarde, nihiliste et individualiste, qui a fait du jeunisme un credo et de la contestation des institutions, un nouveau conformisme chez une partie des élites, y est pour beaucoup. Zweig, dans Le monde d’hier, nous narre ses efforts pour paraître plus âgé, à une époque où on écoutait davantage les aînés. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. On reproche même aux anciens, de façon puérile et assez absurde, leurs agissements passés (contre l’environnement, contre l’égalité…). Le passé n’est plus perçu que comme un temps arriéré et dépassé dont rien de positif ne devrait être conservé.

    Cette valorisation démagogique des « jeunes », le refus des adultes d’accepter leurs responsabilités, d’exercer leur autorité, d’endosser le mauvais rôle et de réprimer les comportements et les actes qui devraient l’être, a eu des répercussions considérables sur toutes les institutions supposées jouer un rôle social comme la police, l’école ou la justice.

    La crise du covid a par ailleurs révélé au grand jour une faillite d’une autre nature, affectant différents piliers de notre État. L’hôpital public, probablement le meilleur au monde il y a encore trente ans, asphyxié par la vision comptable des managers et l’obsession de réduction des budgets, n’a pas pu répondre présent. Nos dirigeants ont donc préféré nous enfermer chez nous.

    Un point apparaît assez toutefois surprenant : la classe politique dans son ensemble a critiqué ces déficiences.

    La situation actuelle résulte pourtant d’une succession de choix politiques initiés il y a plus de trente ans. Le peuple français, par l’action de ses gouvernements, a considérablement affaibli l’État et réduit au strict minimum l’appareil productif, remettant ainsi une part de son destin entre des mains étrangères. L’impuissance a donc été en quelque sorte organisée par le haut (ouverture totale des frontières, transferts de compétences à l’Union européenne, rôle croissant des juges…) et par le bas (décentralisation, diminution drastique des investissements et importance accrue des médias dans les orientations politiques…).

    D’aucuns (du gourou de La France insoumise aux caciques des Républicains), ayant pourtant pris part à ses décisions, feignent de le découvrir et se plaignent des retards dans la vaccination, des difficultés du système médico-social, de notre dépendance de l’étranger pour les médicaments, etc. On pense à Bossuet (« Dieu se rit des hommes qui chérissent les causes dont ils déplorent les effets ») et on se dit que le prétendu « Nouveau monde » n’est que l’ancien avec quelques tartuffes, plus d’anglicismes et un personnel politique chez qui la communication a supplanté l’action.

    Où est donc le pouvoir ?

    L’État, même diminué, œuvre toujours. Il suffit de voir le poids des dépenses sociales, antidépresseurs pour classes populaires à la dérive et stimulants pour les immigrés du monde entier, pour le constater. De même, les bases napoléoniennes demeurent solides, et la haute administration publique reste d’une compétence rare. À défaut de pouvoir nous protéger contre le virus, le chômage de masse et une immigration indésirée, le gouvernement a toujours les moyens de nous entraver. Il peut nous confiner, multiplier les arrêtés, imposer un couvre-feu, instiller la peur. Cette peur, qu’il tente de nous inoculer, semble également motiver son action. Trivialement, le désordre ambiant invite à penser que les gouvernants, politiques et administratifs, cherchent avant tout à se couvrir, paralysés par une vindicte médiatique permanente et inquiets à l’idée des procès qu’on ne manquera pas de leur intenter…

    On fait donc diversion, on a recours aux experts, aux comités consultatifs divers et variés, et on multiplie les gri-gris, comme le panel « citoyen » pour le contrôle des vaccins, artifices désolants d’un pouvoir immature qui refuse d’assumer ses responsabilités et en vient à oublier les fondements du contrat qui nous unit. Nous n’avons renoncé à une part de notre liberté, renoncement aujourd’hui plus patent que jamais, que pour autant que l’État assure notre sécurité.

    Hors temps de crise, il ne manquait pas de gens pour se réjouir de cet affaiblissement de l’État, de son désengagement de la vie économique, et de sa transformation en un immense guichet de prestations sociales. Patrons, classes moyennes supérieures et autres catégories sociales favorisées, y ont trouvé leur compte, à court terme.

    La conjoncture marque le retour d’un interventionnisme, certes désorganisé et sans stratégie, mais réel, de l’État. La planche à billets tourne, l’argent pleut. Alors qu’hier, il était impensable de voir des budgets augmenter, aujourd’hui tout apparaît possible.

    L’État, c’est nous !

    Cette crise pourrait être une opportunité, l’occasion pour les citoyens de se souvenir de l’importance de l’État et la nécessité de le renforcer. La France est un pays à part, essentiellement politique, où l’État a précédé et engendré la Nation. L’État, à travers la personne du roi, puis différents régimes et des institutions puissantes, a unifié le pays et un peuple aux composantes multiples. Cette construction, artificielle, demeure précaire.

    Le XXIe siècle sera celui de tous les dangers pour la France (et l’Europe), menacée de désintégration par une immigration de peuplement massive et la montée en puissance de l’islam, fragilisée par un dérèglement climatique croissant et « standardisée » par un capitalisme financier qui voudrait en faire un marché comme un autre sans identité.

    Face à de tels périls, l’individu-roi, esseulé, adolescent et irresponsable, ne fera pas long feu. Il faudra faire un choix. Soit la France renforcera son État et ses institutions collectives, pour tenter de maintenir l’unité du pays, soit elle renoncera à son histoire, laissera s’émietter la Nation et les individus rallier des communautés (ethniques, religieuses, voire sexuelles…) avec tous les risques que comporte une telle balkanisation.

    Pour contrer ces dangers, éviter l’anomie et la guerre du tous contre tous, un pouvoir politique exerçant la plénitude de ses compétences est vital. Paul Valéry affirmait en son temps que « si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »

    Aujourd’hui, la classe politique, pusillanime, peine à répondre à cette impérieuse nécessité. Un espoir reste toutefois permis : les Français, comme Jean-Louis, notre sexagénaire exaspéré, continuent à attendre beaucoup de leur État et aspirent à un pouvoir fort.

    Quelqu’un saura-il se saisir, à temps, de cette demande ?

    Pierre Villiers-Moriamé (Site de la revue Eléments, 1er février 2021)

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  • Maître ou esclave ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin,  cueilli sur son site personnel et consacré à la sujétion sanitaire qui impose progressivement au sein de la population une conception dégradée de la vie, reposant sur sa prolongation et non sur sa qualité.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Maître ou esclave ?

    « La vie vaut ce que nous sommes capables de risquer pour elle ».

    La parabole du Maître et de l’esclave figure dans la « Phénoménologie de l’Esprit », l’une des œuvres maîtresses du philosophe allemand Hegel. Son enseignement est brutal ; ceux qui mettent leur vie en jeu sont les maîtres, ceux qui attendent leur protection d’un autre sont les esclaves.

    La parabole d’Hegel retrouve une cruelle actualité en cette période de COVID19. Il faut y penser et y repenser sans cesse. Car elle interroge le paradigme dominant de l’Europe et de quelques autres sociétés avec elle. Vers quel avenir nous conduit la préférence sans limites pour la vie qui tient tout gouvernement, toute autorité, responsable de la vie longue, sans maladie, sans accident et sans handicap pour tous ? Et, de manière plus large, et donc indécidable ; vers quel modèle de vie nous conduit l’obsession de la précaution, du risque zéro, du « care » permanent — vers quel modèle de confort douillet ou de cauchemar ?

    Trois faits obligent à poser la question

    D’abord, les données connues sur la réalité de la pandémie de COVID19. Dans leur immense majorité, les cas graves et les victimes sont des personnes âgées de plus de 80 ans, souffrant d’un ou plusieurs facteurs de comorbidité, tels que le diabète, l’insuffisance cardiaque et respiratoire ou l’obésité, et donc l’espérance de vie était inférieure à une année sans le COVID. Plus de 90 % des cas de personnes plus jeunes présentent de tels facteurs de comorbidité, au point que les personnes jeunes ou adultes en parfaite santé victimes du COVID sont l’exception. Les assureurs pourraient le dire ; les quelque 50 000 décès attribués au COVID en France ne représentent qu’un nombre dérisoire d’années de travail perdues, et un nombre très faible d’années de vie en bonne santé et en toute autonomie perdues.

    Ensuite, les données inconnues à ce jour — ou non diffusées. Par exemple, sur les traitements par lesquels des médecins ont aidé leurs clients à surmonter les premières atteintes de la pandémie. Beaucoup ont traversé l’épreuve sans suites, et à moindres frais, bien aidés par leur médecin de famille, bien avant l’arrivée de vaccins supposés être la panacée, et qui semblent se révéler décevants (notamment en Israël). Par exemple aussi, sur les modes de contamination réels, qui semblent rendre accessoires et le port du masque et les distances sociales si inégalement observées — allez prendre le métro à Paris ou Bruxelles aux heures de pointe !  

    Enfin, l’extraordinaire censure qui pèse sur toute opinion, toute information, tout conseil non conforme aux objectifs des « Big Pharma «  et de l’industrie de la santé. Le renforcement des contrôles sur les médecins libéraux, la restriction de leur liberté de prescription sous l’égide du Conseil de l’ordre, leur mise à l’écart spectaculaire du processus de vaccination, le terrorisme corporatiste dont différents médecins ou experts ont été victimes, traduit une prise de pouvoir des industriels sur les indépendants, et une volonté d’étouffer toute contestation de l’ordre de la médecine numérique et des ‘Big pharma’ qui nous fait entrer dans un nouvel âge du ‘soigner-guérir’.

    Un goût perdu pour la liberté ?

    En un mot, l’homme devient une machine comme les autres, le corps est un ensemble de pièces mécaniques comme les autres, l’Intelligence artificielle indifférente au cadre familial, au contexte social, à l’origine et au mode de vie, doit en finir avec la médecine libérale et le ‘médecin de famille’ — en existe-t-il encore de ceux dont la seule arrivée valait déjà réconfort ? — pour que la maladie devienne la ressource illimitée des laboratoires pharmaceutiques, des fabricants d’algorithmes, des petites mains qui établissent les diagnostics — et de ceux dont elle finance les campagnes électorales.

    Ces constats d’une sujétion sanitaire établie renvoient à Hegel. Avec une soumission avérée, les populations européennes préfèrent : ‘une minute monsieur le Bourreau’ à leur liberté. Il leur est affirmé qu’ils vivront plus longtemps à la condition d’abdiquer toute autonomie individuelle. Ils l’acceptent. Mais quelle est cette vie sous le masque, quelle est cette vie confinée, quelle est cette vie sans les autres, les rencontres, les échanges, la découverte, le spectacle et la fête ? Tout au long de ce stupéfiant épisode de fabrique de l’obéissance, ce sera la dignité des philosophes que d’avoir posé la question ; que vaut une vie privée de la culture, de la rencontre, de l’amitié, une vie végétative, une vie réduite à la survie ?

    Il faut d’ailleurs signaler que bien peu de politiques et aussi de religieux, ont su poser les questions qui comptent, et qui vont bien au-delà de la critique, justifiée ou non, de l’intendance gouvernementale et de la logistique sanitaire. Où sont ces élus qui n’avaient que le mot ‘culture’ à la bouche ? Ceux qui répétaient ‘libertés publiques, libertés individuelles’ comme des perroquets ? Au nom de quoi tolérer l’entassement du métro et du RER, mais fermer les restaurants ? Au nom de quoi accepter les files d’attente aux portes des magasins ou au comptoir des ‘fast food’ qui prospèrent sur la crise, mais refuser que les cinémas ou les théâtres acceptent, par exemple, que leurs sièges soient occupés au quart de leur capacité, et détruire le spectacle vivant ? Au nom de quoi enfin interdire la libre circulation dans tout ce que la France compte d’espaces vides, de chemins de randonnée et de forêts ? Et sans masques !

    Soir après soir, ceux qui croient qu’ils gouvernent exposent une joie malsaine à imposer des restrictions, à détailler de nouvelles contraintes, à agiter les sanctions prévues contre les contrevenants. Et sans doute agissent-ils avec la double crainte, d’un côté d’être accusés de trop en faire, et d’achever de ruiner une économie et des professions au bord du gouffre, de l’autre, d’être poursuivis, de voir leur responsabilité pénale engagée, et de passer le reste de leur vie à se défendre — la menace n’est pas théorique, et il faudra bien un jour délivrer la décision et l’action politique de la menace paralysante du droit. Mais ils participent à la tentative de ‘nouvel ordre social’, de ce ‘Great Reset’ qui voit l’hypercapitalisme inventer une société de l’obéissance et de la conformité, et les libertés économiques, en particulier celles de constituer des monopoles mondiaux, rêver d’en finir avec les libertés politiques — notamment celle de mal voter.

    La question posée par la pandémie de COVID19 n’a en réalité que bien peu à voir avec chiffres, statistiques et origine du virus. Elle porte sur la conception de la vie. Qu’est-ce qu’une vie ? Qu’est-ce qui fait qu’une vie vaut d’être vécue ? Est-ce qu’une vie sans rencontres, sans concerts publics, sans cinémas, sans expositions, sans théâtres, une vie sans restaurants, sans manifestations culturelles, reste une vie ? Qu’est-ce qui fait une bonne vie ? La séparation physique d’avec les autres, la distanciation sociale, l’enfermement à domicile, devant son écran, valent-ils les quelques mois, quelques années de vie qu’ils sont prétendus aider à gagner ?

    La question fait partie des trous noirs des sociétés développées, libérales, modernes. Il n’est pas permis d’interroger ce qu’est une vie bonne, encore moins d’en proposer des modèles. C’est du moins ce que l’individualisme radical répond au travail millénaire des penseurs, des savants et des politiques qui se sont attachés à définir, dans des sociétés particulières, à des moments particuliers de leur histoire, ce qui faisait une vie bonne. Sénèque, Montaigne, Rabelais sont loin. Et le Décalogue. Nous payons ce manque. Car ceux qui n’ont pas appris qu’une vie bonne a pour première condition la liberté d’être sont promis à l’esclavage que leur promet le seul attachement à la durée d’une vie dans laquelle plus rien ne reste de vivant.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 30 janvier 2021)

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  • Souveraineté : puissance, légitimité et liberté...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un exposé de Laurent Ozon diffusé sur son canal d'expression Odyssée, "Les topos de Laurent Ozon", et consacré à la question de la souveraineté.

    Essayiste et analyste politique, tenant d'une écologie localiste et identitaire, premier promoteur de l'idée de remigration, Laurent Ozon est l'auteur de l'excellent essai intitulé France, années décisives (Bios, 2015).

     

                                               

     

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  • Est et Ouest : un état de la question...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux relations entre l'Europe orientale et l'Europe occidentale au sein de l'Union européenne.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    Est et Ouest – un état de la question

    En dépit de la pandémie du coronavirus qui monopolise toute l’attention médiatique, les discussions récentes autour du budget européen montrent de plus en plus clairement que la fracture la plus importante qui traverse l’Europe n’est pas celle qui la divise en Nord et Sud, mais plutôt en Est et Ouest. Cette fracture est d’autant plus importante qu’elle est inattendue, car durant les années après la chute du Mur et la réunification de l’Europe, il paraissait évident à beaucoup de spectateurs que l’Est européen allait se contenter de son rôle de « hinterland » de l’économie allemande et s’adapterait rapidement au libéralisme occidental.

    Or, depuis quelques années, il devient évident que cette « Europe kidnappée », pour citer Kundera, suit de plus en plus un chemin qui lui est propre et qui est probablement le fruit paradoxal et inattendu de ce même « kidnapping » qui a empêché ces régions de suivre l’évolution de ses voisins occidentaux et les a soumises à la chappe de plomb du communisme russe. Ceci a eu deux conséquences : d’un côté, la résistance nationale tacite des Polonais, Hongrois, Tchèques, Slovaques et autres au « grand frère » russe a maintenu en vie des facteurs identitaires comme le patriotisme, le christianisme ou les traditions nationales qui, en occident, ont de plus en plus fait place à un genre de melting-pot globaliste et américanisé. D’un autre côté, la vie sous un régime dictatorial a, pour utiliser un mot à la mode, « vacciné » les Européens de l’autre côté du Mur contre les tentations du totalitarisme et leur a appris à déceler, derrière les paroles pseudo-humanistes, derrière les décisions politiques « unanimes » ou derrière les invectives des médias, l’ombre de l’appareil autoritaire.

    Dès lors, il n’est guère étonnant que les citoyens de l’Europe orientale aient été fort étonnés de découvrir que leurs voisins occidentaux, après avoir chaudement salué les mouvements anti-communistes, les ont considérés, une fois le rideau de fer tombé, de manière de plus en plus sceptique et ont finalement commencé à invectiver les mêmes forces qui avaient amené la chute du communisme comme « nationalistes », « cléricaux », « illibéraux », « intolérants », etc. Croyant que la chute du Mur allait leur permettre de rejoindre cette « Europe des nations » ancrée dans les traditions et les valeurs gréco-romaines et judéo-chrétiennes telle que voulue par les pères fondateurs comme Schuman, le réveil a été brutal pour les nouveaux citoyens des Communautés européennes : ils ont dû constater que cette même Europe s’est de moins en moins limitée à simplement souligner la différence entre une partie occidentale « globaliste » et une moitié orientale plutôt « traditionaliste » et à œuvrer pour une meilleure compréhension mutuelle, mais a adopté une attitude de domination et tente même de toutes ses forces d’influencer la politique intérieure de ses nouveaux États membres orientaux.

    Ainsi, depuis la politisation de l’alliance Visegrád et l’élection du Fidesz en Hongrie (2010, ndlr) et du PiS en Pologne (2015, ndlr), une véritable fracture s’est ouverte entre Est et Ouest, et il est difficile de dire si, quand et comment elle pourra se refermer. Car d’un côté, les tentatives de plus en plus massives de faire tomber les gouvernements hongrois ou polonais par le biais de la Cour européenne de Justice, par une coupure des subsides européens ou par l’aide indirecte apportée par les médias et ONGs aux partis d’opposition, même si elles devaient être couronnées de succès, ne feront qu’aliéner une partie substantielle de citoyens et hypothéqueront lourdement leur soutien initial au projet européen, avec des conséquences incalculables, comme l’a montré le Brexit. D’un autre côté, la fracture s’étend maintenant de plus en plus à d’autres États européens à qui l’exemple de l’alliance Visegrád montre que l’on peut être patriote sans être nationaliste, fier de sa culture sans être chauviniste, proche de ses racines chrétiennes sans être intolérant, conservateur sans être extrémiste, et amoureux de la démocratie sans être politiquement correct – un précédant dangereux, car discréditant la narration habituelle selon laquelle tout ce qui est à droite de l’universalisme multiculturel doit mener inévitablement au fascisme.

    À ce stade-ci, et surtout après le départ de Donald Trump, il est difficile de savoir comment ce conflit continuera à évoluer, et la crise du Covid-19 a ajouté de nouvelles incertitudes, de telle manière que de nombreux spectateurs annoncent déjà la fin de l’époque « populiste ». Du moins pour les pays Visegrád, ce constat est doublement faux. D’abord, parce que les gouvernements polonais et hongrois ne sont pas « populistes » à strictement parler : avec une longue expérience du pouvoir et profondément enracinés dans des traditions culturelles encore très vivaces, ils se distinguent nettement de l’approche purement oppositionnelle et souvent plutôt libérale que conservatrice des « populistes » occidentaux. De plus, la crise du coronavirus pourrait s’avérer être un avantage relatif pour l’Est de l’Europe, économiquement plus résiliant, culturellement plus stable et financièrement moins lié à la zone euro (du moins la Pologne et la Hongrie) et donc peut-être apte à surmonter la crise mieux que bon nombre de ses voisins occidentaux.

    Même en ce qui concerne les prétendues « entorses » à l’état de droit, l’on peut supposer que, dans un futur pas tellement lointain, quand des pays comme la France ne pourront plus maintenir l’ordre et la sécurité qu’au moyen de mesures autoritaires et se seront transformés en États policiers, ce sera dans ces pays dits « illibéraux » que cette « normalité » à la fois politique et civique qui fait de plus en plus défaut en occident continuera de fleurir. Alors, la décision de maintenir une certaine homogénéité culturelle, de rester fidèle aux traditions et de ne pas se laisser intimider politiquement par Bruxelles (ou Berlin) pourrait s’avérer avoir été la bonne – à condition d’être fermement maintenue durant les années cruciales à venir…

    David Engels (Visegrád Post, 2 février 2021)

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  • Laxisme et tentations totalitaires de l’État : le règne de l’« anarcho-tyrannie » ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Philippe-José Salazar, cueilli sur Les influences et consacré à la notion d'anarcho-tyrannie, sur lequel Polémia a attiré notre attention. Rhétoricien et philosophe français, Philippe-Joseph Salazar enseigne depuis 1995 la rhétorique à l’université du Cap. Il est l’auteur de nombreux essais, dont  Paroles de leaders - Décrypter le discours des puissants (François Bourin Éditeur, 2011), Blabla république - Au verbe, citoyens !   (Lemieux, 2017) ou, dernièrement, Suprémacistes (Plon, 2020).

     

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    Quand viendra l’ « anarcho-tyrannie » ?

    Dans les flux d’influence intellectuelle, c’est- à-dire dans le trafic vibrionnant de slogans qui naviguent d’un pays à un autre, et puis prennent racine et deviennent des « idées » politiques, dans cette circulation suractivée par la Toile, les slogans français font pauvre figure. L’anglo-saxonnisme est le discours maître. L’expression de « biopolitique », conceptualisée par Michel Foucault, a dû être le dernier exemple d’une invention française qui a pris – quarante ans après, hélas, décanillée comme concept pour devenir une « idée » politique, et donc mis à toutes les sauces depuis la crise sanitaire qui nous afflige.
    Mais à être toujours là, à attendre que le dernier mot d’ordre tendance venu des States passe l’Atlantique et refasse surface dans Causeur ou L’Obs, on rate ce qui est encore off shore. Car, depuis quelque temps, circule un terme choc dans les milieux de la droite anglo-saxonne et nordique nationaliste, ou raciale, ou blanche, ou européaniste, ou « suprémaciste » – sur cette casuistique très lacanienne autour du Nom du Père, bref de ce qu’on ne doit pas dire, voir mon Suprémacistes (Plon).
    Ce terme est « anarcho-tyranny », anarcho-tyrannie. Le mot, et la réflexion politique qui le soutient, signale qu’une autre étape a été franchie par l’idéologie en formation du « suprémacisme » international. Ce n’est qu’une question de temps pour que le mot, ou la pensée qui sert de référence au mot, et avec lui toute une rhétorique, c’est-à-dire un système persuasif d’influence, ne se solidifie, et impacte, qui sait, le manège à idées français. « Anarcho-tyrannie » est devenu un instrument de réflexion politique.

    Le terme, et la réflexion dont il est le label, date des années 1990. Il est le fruit de l’imagination politique d’un essayiste américain de talent, Samuel (« Sam ») T. Francis (1947-2005), auteur d’un ouvrage plus d’essayiste que de philosophe (ce qu’il n’était pas) sur l’État moderne, Leviathan (2016, posthume). Sam Francis, avec « anarcho-tyranny », connaît depuis récemment un véritable revival dans les milieux « nationalistes blancs », porté par la jeune génération de l’ « alt right », que je décris aussi dans Suprémacistes. Trente ans de travail en tapinois pour une idée brillante. Car les « idées » politiques, qui ne sont pas des concepts mais des montages opportunistes, à la fois inspirés par l’Histoire et aspirés par l’actualité, tributaires d’une ascendance et créant leur propre tribu de partisans, là, maintenant, souvent mettent du temps à sortir du terrier. « Anarcho-tyrannie », inventé donc vers 1990 par Sam Francis, est désormais hors du trou – sauf en France, pour le moment.

    L’expression aura peut-être du mal à s’acclimater en France du fait que dans notre magasin d’idées en boîte « anarchie » est marquée extrême gauche, et « tyrannie » extrême droite. Un Américain a moins de scrupules à user de ces mots : les États-Unis n’ont jamais connu d’anarchie, et encore moins de tyrannie. L’Europe, oui, par contre. Car le problème rhétorique est que l’expression ne désigne aucun des extrêmes de notre éventail politique, mais tout à fait autre chose : l’État. Oui, l’État, notre État de droit – libéral, démocratique, républicain, parlementaire, sur toute la gamme des qualificatifs. C’est cet État de droit qui est une anarcho-tyrannie.
    Qu’est-ce à dire ? Je traduis Francis :
    « Dans un État d’anarcho-tyrannie le gouvernement n’applique pas la loi et ne remplit pas les fonctions que son devoir légitime lui impose d’accomplir ; et en même temps l’État invente des lois et des fonctions qui n’ont pas de raison valide et ne répondent pas à un devoir légitime. Une caractéristique de l’anarcho-tyrannie est cette propension de l’État à criminaliser et à punir des citoyens innocents qui obéissent à la loi, et en même temps de se refuser à punir les délinquants. Une autre est le refus par l’État d’appliquer des lois existantes et de prendre encore plus de lois qui sont sans effet sur la véritable criminalité, mais qui criminalisent encore plus les innocents, ou restreignent leurs libertés civiles ».

    Est-il utile de faire un dessin et d’enfoncer le clou ? La crise endémique des Gilets Jaunes où l’État sans valide raison a puni des citoyens innocents au delà d’un usage légitime de la coercition ; les tergiversations de l’État au regard de la population musulmane en France en rapport avec la lutte armée des djihadistes et la propagande des imams ; l’appareil de censure des opinions et de la liberté d’expression, appuyé souvent par le pouvoir judiciaire, et le laxisme vis-à-vis de rappeurs haineux ; les dissolutions rapides d’organisations et la tolérance prolongée envers d’autres ; la surveillance électronique des citoyens, et l’existence protégée des zones dites de non-droit ; des règles draconiennes pour le confinement, et le laissez-faire des dealers dans les cités … autant d’exemples, si on suit Francis, d’un État d’anarcho-tyrannie.

    Nous vivrions donc dans un État qui d’une part opprime de manière mesquine, ou dure, les citoyens qui obéissent aux lois, observent les règlements, remplissent la paperasserie administrative sans broncher, et qui d’autre part et en même temps (c’est cette simultanéité qui est violente) laisse d’autres faire comme ils veulent ; un État qui applique tel règlement et pas tel autre selon que le délinquant est loup ou lapin. Telle est la rhétorique, l’argumentaire qui soutient le slogan de l’anarcho-tyrannie : car il serait aisé, à partir de ces exemples, vrais ou faux – peu importe puisque la politique est toujours affaire de l’efficacité d’une opinion rendue plus persuasive qu’une autre – de bâtir un argumentaire, de lancer un programme politique, de renverser même l’État. Car le slogan est puissant, attirant, convaincant.
    Qui aura donc la chutzpah, en France, de crier à l’anarcho-tyrannie de la République ? Les « nationalistes blancs » français d’établissement sont probablement trop intellectuels, trop confits dans ce qu’ils nomment l’action « métapolitique » à longue portée, pour goûter, à l’américaine, à l’anglaise, à la nordique aussi, ce produit tout fait, emballé net, et prêt à la consommation. Prêt à entrer en action, car « eppur si muove », dixit Galilée.

    Philippe-Joseph Salazar (Les Influences, 4 janvier 2021)

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  • Le courage face au mensonge...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo d'Ego Non qui présente l’œuvre d'Alexandre Solenitsyne au travers du thème du refus du mensonge, qu'il a développé notamment dans son texte Le déclin  du courage.

     

                                             

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