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Points de vue - Page 114

  • Déconfinement, le jour se lève…

    Assigné à résidence, le bipède social dépérissait. Il attendait le feu vert du gouvernement pour se dégourdir de nouveau les jambes et la langue. C’est fait. Déconfinons-nous avec la rédaction d’Éléments, à l’occasion de son rendez-vous hebdomadaire sur TV Libertés. Retrouvez Christophe A. Maxime qui en appelle au retour des grands ancêtres. Nicolas Gauthier, le Monsieur bons plans du post-confinement. David L’Épée et le coronavirus dans les films de zombies…

     

                                         

     
     
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  • Des LBD au confinement strict: la France à l’heure de l’Etat total...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner cueilli sur Antipresse et consacré au basculement progressif de la France dans le despotsme. Penseur important et trop peu connu, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015), De l'extermination (Xénia, 2013), ou Un air de guerre (Xénia, 2017), et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019).

     

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    Des LBD au confinement strict: la France à l’heure de l’Etat total

    Il faut, comme Tocqueville, s’écarter un peu de la France pour voir à quel point la réalité de ce pays contredit les principes dont il se réclame. Par-delà les questions de personnes et de partis, n’est-il pas temps de faire table rase de son culte inconsidéré de l’État? À moins de se laisser délibérément tomber dans la tyrannie absolue ou la guerre civile.

    Nous avions évoqué il y a quelques semaines le chef-d’œuvre de Tocqueville, son grand livre sur la Démocratie en Amérique. Revenons-y une nouvelle fois, car on ne se lasse pas de le faire.

    Tocqueville est bien sûr intéressant par ce qu’il nous dit de l’Amérique. L’Amérique est le sujet du livre. Mais le lecteur comprend vite en parcourant l’ouvrage qu’il n’y est pas seulement question de l’Amérique, mais de la France. C’est peut-être même elle, surtout, le sujet. Tocqueville feint de nous parler de la démocratie en Amérique, mais au travers même de ce qu’il en dit, il nous parle de la France et de la démocratie en France. Tocqueville emprunte ce détour pour aborder des problèmes qu’il estime ne pouvoir aborder que de cette manière: non pas donc directement, mais indirectement. On est ici dans le non-dit. Mais ce non-dit se lit bien entre les lignes.

    C’est en quoi Tocqueville est un très grand penseur. Ce qu’il dit de l’Amérique est certes important. Mais ce qu’il dit de la France est presque plus important encore. Pas seulement parce qu’il le dit indirectement («obliquement», dirait Montaigne. Les choses importantes se disent toujours obliquement: sans les dire tout en les disant), mais parce qu’il est plus ou moins le seul à l’avoir dit. Que dit-il en effet? Que la France, tout comme le reste de l’Europe, va très vite, si ce n’est pas déjà fait, basculer dans la démocratie (la démocratie telle que lui, Tocqueville, la définit: non pas comme un certain régime politique, la démocratie par opposition à la monarchie, mais comme un certain type de société, celle articulée à l’idée d’égalité), mais qu’il n’est pas sûr pour autant qu’elle ne bascule pas en même temps dans le despotisme. Tant il est vrai qu’on peut très bien imaginer l’égalité sans la liberté. On l’imagine même mieux sans qu’avec.

    Égalité se passe fort bien de Liberté

    L’Amérique, elle, a très bien su concilier l’égalité et la liberté. Tocqueville est relativement optimiste sur l’Amérique. Mais il n’est pas sûr que la France, elle, réussisse à le faire. On est même porté à penser le contraire. Tocqueville nous en donne les raisons: une tradition de l’État fort remontant à l’Ancien Régime et que la Révolution française, les guerres aidant, n’a fait que renforcer encore, la centralisation qui lui est associée, la peur de l’anarchie et l’aspiration (en découlant) à l’ordre quel qu’il soit, la disparition des corps intermédiaires, l’habitude, enfin, bien ancrée en France consistant à tout attendre de l’État, alors qu’aux États-Unis les citoyens se débrouillent très bien entre eux pour résoudre les problèmes (en créant par exemple des associations).

    Voilà en gros ce que nous dit Tocqueville dans la Démocratie en Amérique. L’Amérique nous offre l’exemple d’une société égalitaire, mais tempérée par un ensemble d’habitudes et d’institutions faisant barrage au despotisme, alors qu’en France de telles habitudes et institutions n’existent pour ainsi dire pas, avec pour conséquence, effectivement, le risque de basculement dans le despotisme. C’est en comparant la société française à la société américaine que Tocqueville parvient à cette conclusion. Insistons sur l’originalité de sa démarche. Tocqueville a compris que pour parler intelligemment de la France, il lui fallait prendre un certain recul, en parler donc non pas de l’intérieur, mais de l’extérieur. C’est ce point de vue décentré qui le hisse au niveau des très grands penseurs politiques (en France, sans doute même, le plus grand). Encore une fois, s’il l’est, ce n’est pas à cause de ce qu’il dit de l’Amérique, mais de la France. Il parle de la France comme personne d’autre, après lui, ne le fera plus. En ce sens, il est resté sans héritier.

    Pourquoi est-ce que je dis tout ça? On ne reviendra pas ici sur les violences policières qui ont marqué, en France, l’épisode des Gilets jaunes. Sauf qu’elles ont eu un rôle de révélateur. Elles en ont amené plus d’un à s’interroger sur la réalité, aujourd’hui en France, de l’État de droit, en même temps que sur la nature exacte du régime aujourd’hui en place à Paris. L’État français s’érige volontiers en donneur de leçons quand il s’agit de pays comme la Hongrie et la Pologne, leur reprochant de sortir des rails en un certain nombre de domaines. En Pologne c’est l’indépendance de la justice qui est menacée, en Hongrie celle des médias, etc. C’est l’histoire de la paille et de la poutre. Demandez à François Fillon ou à Jean-Luc Mélenchon ce qu’ils pensent de l’indépendance, en France, de la justice. Ou aux gens en général ce qu’ils pensent de l’indépendance des médias publics ou même privés en France. Ou de la loi Avia.

    Dois-je le préciser, le risque actuel de basculement dans le despotisme ne se limite évidemment pas aujourd’hui à la France. Partout ou presque en Europe (davantage, soit dit en passant, en Europe occidentale que centrale et orientale), on a de bonnes raisons de s’inquiéter pour l’avenir des libertés fondamentales. La liberté d’expression est en particulier très menacée. Partout ou presque, également, on assiste à un renforcement des pouvoirs de la police et des services spéciaux, au prétexte de lutte contre le terrorisme. Sauf qu’en France cela va beaucoup plus loin qu’ailleurs. On vient de faire référence à l’épisode des Gilets jaunes, mais l’épisode actuel, celui du Covid-19, est aussi très éclairant. La France n’a pas été le seul pays d’Europe à instaurer un confinement strict de sa population, mais nulle part ailleurs la répression policière en lien avec la mise en œuvre de cette mesure, en elle-même, il est vrai, déjà très discutable, n’a comporté des traits d’une telle férocité, parfois même d’inhumanité. Certaines vidéos en font foi. L’État français traite aujourd’hui sa propre population comme s’il était en guerre avec elle. Une telle situation est complètement atypique et même unique en Europe.

    Observons au passage que les Français dans leur ensemble n’en ont pas ou que rarement conscience. Il faudrait que quelqu’un prenne un jour la peine de le leur expliquer: leur dire que nulle part ailleurs sur le continent la police ne se permettrait de traiter ainsi les gens. Ce n’est même pas imaginable. Le leur dirait-on qu’ils se montreraient peut-être moins timides dans leurs protestations. Quand on croit que c’est la même chose ailleurs, on a tendance à dédramatiser, quand ce n’est pas à banaliser. Or, justement, ce n’est pas la même chose ailleurs.

    En finir avec le culte de l’État

    Pour expliquer toutes ces dérives et d’autres encore (il semble bien, par exemple, que l’État français ait limité par directive l’accès aux urgences des personnes âgées, ce qu’on interprétera comme on voudra, mais assurément pas comme un acte de particulière philanthropie), certains rappellent que la Cinquième République est née en France d’un coup d’État militaire et que ceci explique peut-être cela. La constitution de 1958 confère au président de très grands pouvoirs. Le poste avait été taillé sur mesure pour le général de Gaulle, qui était un dictateur, mais à la romaine, autrement dit complètement dévoué au bien commun. Après lui, le poste aurait raisonnablement dû être repensé. Tout pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument, disait Lord Acton. On insistera dans ce contexte sur le fait que le président actuel et son entourage donnent souvent l’impression d’être dépourvus de tout surmoi et par voie de conséquence aussi particulièrement sujets à succomber à certaines tentations dans ce domaine. On l’a vu lors de l’épisode des Gilets jaunes, mais pas seulement (affaire Benalla).

    Ces explications éclairent une partie de la réalité, mais restent insuffisantes. Il faut remonter plus haut encore dans le temps. Je suis toujours frappé quand je lis les déclarations des hommes politiques en France par le fait que tous, qu’ils soient de droite ou de gauche, participent du même culte inconsidéré de l’État, culte les conduisant, presque unanimement également, à ne rien remettre en question de ce qui en découle: le nucléaire civil, entre autres, mais aussi militaire. C’est ici, peut-être, qu’il pourrait être utile de relire Tocqueville. La démocrature macronienne, biberonnée à l’idéologie managériale et aux nouvelles théories du maintien de l’ordre enseignées dans les séminaires de l’OTAN, n’a qu’un lointain rapport avec la statolâtrie capétienne et son retapage gaullien au XXe siècle. Mais même lointain il n’en imprime pas moins sa marque à la réalité française actuelle. Il serait peut-être temps de remettre les compteurs à zéro.

    Eric Werner (Antipresse n°232, 10 mai 2020)

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  • Festivus Coronafestivus, Philippe Muray à mon balcon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré à l'idéologie du "care" et à son impératif de sollicitude. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).

     

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    Biopolitique du coronavirus (8). Festivus Coronafestivus, Philippe Muray à mon balcon

    Tous les soirs un peu avant 20 heures, j’ai l’impression que Philippe Muray frappe à ma porte, un cigarillo coincé entre les dents, avec sa dégaine inimitable de misanthrope contrarié et de gourmand renfrogné. Il me glisse quelques mots, puis s’en retourne faire des ronds de fumée dans les nuages. Jusqu’au lendemain soir.

    – Hé Bousquet !

    – Quoi ?

    – Surtout, ne l’ouvre pas ! Ni ta fenêtre ni ta gueule ! Boucle-la et boucle-toi ! Chut ! À 20 heures, c’est leur minute de tintamarre, c’est ta minute de silence. Leur minute d’indécence, ta minute de jouissance. La décence te sera peut-être offerte en supplément. L’innocence, elle, est perdue depuis toujours, foi de Muray !

    Sacré bonhomme. « Cigars, whisky et no sport ! » La formule ne lui a pas réussi aussi bien qu’à Churchill, mais lui combattait un ténia bien plus téméraire : la métaconnerie – Homo festivus, pour ne pas le citer. Sans Muray, Homo festivus n’aurait été qu’un con de plus dans la longue histoire de la connerie. Il l’a accouché du néant dont il procède et où il retournera. Le mariage du Bien et du Rien, c’est lui. Les rebelles qui bêlent leur désir panurgique de Fêêête et de paillettes, c’est lui. Les « mutins de Panurge », ricanait-il. Le « nous » des gnous. Ils sont de retour. En masse. En messe même.

    Une machine à clics

    20 heures. L’heure fatidique. Celle à laquelle Panurge apparaît pontificalement à son balcon pour sa bénédiction quotidienne urbi et orbi, qu’il adresse aux soignants du monde entier. Spectacle extraordinaire. On a l’impression d’assister à la sortie troglodytique de tous les confinés du monde, arrachés des cavernes où ils végètent. Dans les rues désertes, les façades se couvrent d’émoticônes radieuses accrochées aux fenêtres, des rangées d’émoticônes, toute la gamme de sourires, des plus tartes aux plus cornichons. #OnApplaudit, #TousAlaFenêtre. Depuis qu’il a découvert les hashtags, Homo festivus est devenu une machine à clics. Serial cliqueur, c’est l’homme qui clique plus vite que son ombre. Cliquer donne un sens à sa vie. Des clics et des claques en somme.

    Mais cette fois-ci, c’est… comment dire… c’est juste…

    – Oui, c’est quoi au juste ? Dis-le nous s’il te plaît, Festivus ?

    – C’est juste mieux, c’est juste hé-naur-me, ouah, juste, comment dire, juste plus tout.

    Les seuls événements planétaires que Festivus connaissait jusqu’ici, c’étaient de vulgaires Coupes du monde, des Jeux olympiques truqués par le CIO et les hormones de croissance, des concerts plus arthritiques qu’électriques de papys rockers à bout de souffle qui affichent tous au moins 350 000 km au compteur, maintenant il y a des virus, des morts par milliers, des villes fantômes, des couvre-feux partout, la guerre invisible. La Terre retient son souffle. Il suffit d’un postillon, hein ! C’est l’effet postillon : un postillon à Wuhan peut déclencher une pandémie à Paris. Putain, même Nicolas Hulot ne l’avait pas prévu ! Cela vaut bien un tonnerre d’applaudissements tous les soirs.

    Comme Festivus festivus ne peut plus faire du patin à roulettes, il roule des patins à la terre entière. Love, love, kiss. Finie la Gay Pride, remisée la Techno Parade, en hibernation Nuit blanche, enterrée la Fête des voisins. Quant à la Fête de la musique, seul sur son canapé, non, non, c’est presque aussi sinistre qu’un concert de Julien Doré. Alors, à 20 heures, Festivus festivus remixe tout ça. Il tient sa fête, la Clapping Pride. Retiens ce nom. Il ne le lâchera pas de sitôt. Pride – sa fierté, celle emphatique du « señorito satisfecho », le petit homoncule bouffi de lui-même décrit par Ortega y Gasset, qui perçait déjà dans les ronronnements de plaisir de Joseph Prudhomme. Avec l’écriture inclusive, Monsieur Prudhomme a perdu son patronyme offensant – il est maintenant indifféremment la dame et le monsieur. Ce qui a survécu, c’est son contentement, celui de tous les pharisiens, les néo, les paléo, les trans, les hyperfestifs, qu’importe.

    Le carnaval des masques

    On n’a encore rien vu. Pour le moment, Festivus festivus ne sort qu’à sa fenêtre. Il attend le 11 mai pour enfiler son masque. Ce sera pour lui comme le grand retour du carnaval. Des masques pour tous. Tout le monde sera voilé, pas seulement les femmes. Enfin la parité, des masques unisexes, le voile hygiénique pour tous ! Il y en aura de toutes les couleurs, même arc-en-ciel. Le plus beau entre tous sera celui qu’Anne Hidalgo fera installer sur la façade de l’Hôtel de Ville : il sera immense. On ne sait pas encore s’il ressemblera à un préservatif XXL ou à un plug viral. Impossible de trancher à ce stade. Il y aura écrit en lettres géantes arc-en-ciel : « Couvrez-vous ! » Le citoyennisme d’Homo festivus s’en trouvera rasséréné. Quand il enfilera chaque matin son masque, il aura la sensation d’enfiler un préservatif. Plus déterminé que jamais, il luttera contre le Covid et contre le Sida. Il exultera. Arrière, les gestes barrières ! La distanciation spatiale ne renverra pas à cette philosophie moisie du repli sur soi qu’est la distanciation sociale. La trottinette ignore la distanciation. Elle lui permettra d’échapper à l’enfer programmé des transports en commun, mais pas à son amour du genre urbain. Il glissera de nouveau sur la chaussée, la street sera à lui. Il reprendra sa vie d’intermittent de la société du spectacle. Cet été, il ira à la mer, à Paris Plages, où il fera de la trottinette à voile et ses exercices de yoga. Il se dira que, oui, décidément, Bertrand Delanoë a quand même été un sacré visionnaire qui avait tout prévu, jusqu’au confinement estival des Parisiens, même si nul n’est prophète en sa ville. Et il l’applaudira.

    Clap, clap, clap

    Cette déferlante d’applaudissements avait pourtant bien commencé, en Italie, où se perpétue encore, entre un scandale de Silvio Berlusconi et une blague de Beppe Grillo, l’antique sociabilité populaire, où la communication s’établit d’une fenêtre à l’autre, d’un étage à l’autre, d’une corde à linge à l’autre, où tout circule jusqu’aux odeurs de cuisine, jusqu’aux airs d’opéra, où les mamma donnent des nouvelles du bambino comme s’il était déjà chef d’orchestre à l’opéra de Naples ou capitaine de la Squadra azzurra, tout en pestant contre l’indolence de leurs maris. Les palabres, les cris, les applaudissements, tout cela appartient en propre à la commensalité sudiste qui transforme le voisinage en théâtre de l’intimité. Et même à l’occasion en espace politique, au lieu d’être cet espace impolitique du consentement et du contentement, comme jadis au théâtre les balcons d’où fusaient les quolibets et les sifflets.

    Mais voilà, il faut désormais compter avec les réseaux sociaux, virus dans le virus, pandémie dans la pandémie, qui enjambent les fuseaux horaires et démultiplient la contagiosité des applaudissements. Savez-vous que la courbe d’intensité des applaudissements correspond à celle des virus ? Il y a quelques années des chercheurs suédois s’étaient amusés à les comparer, elles se confondent trait pour trait. Il y aurait une physiologie balzacienne de l’applaudissement à écrire. De quoi serait-elle l’expression ? D’une autocélébration collective ? D’un pic de narcissisme mesuré à l’applaudimètre ? Les applaudissements ont gagné leurs galons scientifiques, ils font partie de l’arsenal du management positif et de la panoplie de la psychologie elle aussi positive, quand bien même ils n’ont pas de vertu performative. On ne sache pas à ce jour qu’ils fabriquent des lits d’hôpital, des masques ou des tests.

    For me, formidable

    La génération selfie n’applaudit pas seulement pour féliciter, ce serait trop beau, mais pour s’encourager, se féliciter, s’autocongratuler. Ce qui la résume, c’est la bande-son de ce film publicitaire pour je ne sais quelle banque : « Vous êtes formidables, nous sommes formidables, tu es formidable », le tout rythmé par la chanson d’Aznavour « For me, formidable ». Comme si la vie requerrait désormais un tel niveau d’héroïsme qu’on ne saurait plus la concevoir autrement qu’à travers des superlatifs, des encouragements, des  applaudissements. Ils fonctionnent en boucle dans leur itération indéfinie. Les infirmières applaudissent les aides-soignantes qui applaudissent les brancardiers qui applaudissent les ambulanciers qui applaudissent les malades qui applaudissent les soignants. Et on recommence.

    C’est le « Valete et plaudite », le « Portez-vous bien et applaudissez » des spectacles de la Rome impériale. Pas un courriel sans qu’une assistante d’on ne sait trop quoi vous le ressorte, au latin près, en guise de formule de politesse. Serions-nous entrés dans la civilisation de l’applaudissement, l’applaudissement comme espéranto du confinement ? Étonnante prescience des génies : en 1786, Goethe écrivait à Charlotte von Stein, qu’il courtisait passionnément : « Notre monde qui devient un énorme hôpital, chacun de nous devenu l’infirmier de l’autre. » Goethe, c’était quand même autre chose que Jean d’Ormesson, hein !

    Le RER à 6 heures du soir

    Les soixante-huitards traçaient sur les murs leur programme, qui consistait pour l’essentiel à faire tomber les murs. « Bannissons les applaudissements, le spectacle est partout », proclamait un de leurs slogans. Lourde erreur d’appréciation. Il y a une loi théâtrale que les auteurs d’avant-garde du XXe siècle, d’Antonin Artaud au Living Theatre, ont voulu abolir, c’est la scène, la médiation de la scène, au prétexte que la scène serait partout, dans la salle, dans la rue. Mais si la scène est partout, elle n’est nulle part ; et si la scène n’est nulle part, c’est que l’obscène, son antonyme, est partout. C’était le risque.

    On ne sait pas trop où ce style « happy-clappy » a vu le jour, ni comment il s’est diffusé. Aux États-Unis sans nul doute. Peut-être dans les assemblées applaudissantes des évangéliques et autres pentecôtistes. Il y aurait alors comme une sorte de retournement facétieux de l’histoire. Ces rassemblements d’allumés du septième jour n’ont-ils pas été les foyers de diffusion du Covid-19 en France et en Corée du Sud ? La proximité s’y transforme tout de suite en promiscuité. Regardez des vidéos de culte qui circulent sur Internet, elles devraient toutes être cultes. Sociologiquement, ce n’est pas le métro à 6 heures du soir, comme disait Malraux, c’est le RER et les trains de banlieue. Quel que soit l’âge, on saute pour Jésus, on se trémousse pour Jésus, on s’étreint pour Jésus. C’est la rencontre de Walt Disney, du Sermon sur la montagne et des thérapies de groupe. La descente de l’Esprit Saint dans les corps convulsés donne lieu à des effusions de joie indescriptibles, à des scènes de pleurs diluviennes, à des tremblements parkinsoniens, même pas forcés, quand bien même tout ça donne l’impression de sortir d’une émission de Patrick Sabatier. Les pom-pom girls servent de modèles néosulpiciens pour des madones stylisées sur des vitraux en plexiglass dans le plus pur style de Las Vegas, assez éloigné de l’original on en conviendra. Au milieu, un pasteur en bermuda. On ne sait pas trop ce qu’il fait dans la vie courante : représentant en pâtes alimentaires ou gérant de fast-food ? Gérant de fast-food apparemment puisqu’au moment de célébrer l’eucharistie, il tend des pop-corn aux fidèles et dit : Ceci est mon corps. Puis du Coca-Cola : Ceci est mon sang. On comprend alors que la bataille culturelle n’est pas gagnée, sacré nom.

    Pourquoi des rites ?

    Une société sans rites collectifs les recrée spontanément, sauvagement, clownesquement, toujours sous un mode parodique ou infantile. Les marches blanches pour la pédophilie, les empilements de fleurs pour le décès des « people », les bougies pour les attentats, les câlins, les étreintes. Appelons ce processus la schtroumpfisation du monde qui donne lieu à une orgie planétaire de pelucherie et de nunucherie. On dessine des cœurs à gros traits de feutre fluo, on met des petits ronds sur les « i » de Lady Diana et de Michael Jackson, on scotche des photos du défunt, on multiplie les lieux de mémoire éphémères parce qu’on sait la mémoire de ce monde éphémère, soumise elle aussi à la dure loi de l’obsolescence programmée.

    L’effacement des rites funéraires marquerait-il le début de la fin ? Tout n’a-t-il pas commencé par là, quand nos lointains ancêtres ont parachevé le processus d’hominisation en créant les premiers rites de la mort ? C’est la découverte de leurs sépultures qui a fait dire aux anthropologues, aux prêtres et aux poètes : Ecce homo, voici l’homme.

    Quelle est la fonction des rites ? Prendre en charge les émotions collectives pour les inscrire dans un cadre qui fonctionne à l’instar de la catharsis théâtrale selon Aristote. Ces dispositifs, pour recourir à un langage caractéristique de la déconstruction, ont été institutionnellement et intentionnellement démantelés, étant perçus comme par trop archaïques, trop codifiés, trop asphyxiants, pas assez « authentiques ». Or sans eux, l’homme est nu face à l’énigme du destin. Que reste-t-il alors ? Norbert Elias expliquait le processus de civilisation par le travail des mœurs sur elles-mêmes, elles s’autoproduisent, s’épurant sans cesse, s’affinant, se complexifiant. Peut-être nous faudra-t-il envisager le processus de dé-civilisation en cours comme le travail des mœurs contre elles-mêmes.

    La sollicitude nous tue

    Comment comprendre tout ce pathos autour de la vulnérabilité et ce nouvel impératif de sollicitude, qui est au cœur de l’idéologie du « care » ? Il ne s’agit pas de nier la vulnérabilité et la sollicitude, mais de rappeler qu’elles n’ont jamais rien fondé de solide, de durable, de pérenne. « Il est possible de traverser une rivière sur une poutre mais pas sur un copeau », fait dire Dostoïevski à Stavroguine dans Les Démons. Sans cela, on s’y ensable, même ce démon princier et rimbaldien de Nicolaï Stavroguine. Oui, l’homme est vulnérable, mais il est loin de n’être que cela. La vulnérabilité en soi et pour soi n’appartient qu’à la petite enfance et à la grande vieillesse – pas à l’homme mûr, dans la force de l’âge. Dès lors quel besoin de l’élargir à l’ensemble du corps social, sauf à prendre le risque de lui briser les reins. La vulnérabilité ne peut fournir le cadre d’une philosophie générale de la vie. Il faut la laisser à Emmanuel Levinas, à Cynthia Fleury, à cet humanisme mou et caramélisé qu’on a panthéonisé. Leur philosophie, c’est du pathos à tartiner. Pas la nôtre. À moins bien sûr d’engager notre civilisation dans la voie sans issue d’une philosophie du burn-out et d’un burn-out philosophique, en tant que syndrome d’épuisement intellectuel et spirituel.

    Si on veut livrer à l’examen critique, clinique même, cette empathie universelle, ces remerciements humides, ces applaudissements incessants, ces pleurs, cette responsabilité pour autrui, il faut se tourner vers l’éthique de la sollicitude, le « care » donc. On aurait pu voir d’un bon œil l’apparition de cette éthique portée sur les fonts baptismaux par le féminisme américain parce qu’en instaurant des domaines réservés à chaque sexe, elle postule qu’il y a une essence masculine et une essence féminine. L’éthique de la sollicitude répondrait à un souci féminin légitime : introduire dans la philosophie morale une vision féminine très largement absente. Il s’en dégage que l’approche morale des femmes serait différente de celle des hommes, plus émotionnelle que rationnelle, plus empathique, plus sensible à la souffrance et aux enjeux de la vulnérabilité – en un mot, plus humaine. Elle procéderait d’une approche empirique plutôt que conceptuelle, concrète, pas abstraite, guidée par une éthique du soin. Pourquoi pas ! Mais cette philosophie ne saurait être qu’une condition nécessaire, loin, très loin d’être suffisante, à la production du social. Si jamais on devait la généraliser, elle ferait de nous les acteurs passifs de notre vie, potentiellement des victimes. Une telle vision des choses ne peut à elle seule organiser les comportements sociaux, seulement les pacifier – c’est déjà beaucoup –, pas les animer, les stimuler, les renforcer.

    Attention Babtou fragile !

    On est arrivé à un tel degré de confusion des sexes, de troubles dans l’identité, de mélange des genres, qu’on en est venu à oublier le cœur générique, peut-être même génétique, de l’altérité humaine : l’homme et la femme. Vue depuis Mars guerrier, Vénus ressemble à une exoplanète peuplée de créatures douces, délicates et vaguement extra-terrestres – les femmes – que les Martiens chérissent certes, mais à qui ils n’ont aucune envie de ressembler. On ne peut pas demander à ces derniers de faire des choses qui leur répugnent instinctivement. Un homme normalement et moralement constitué ne peut éprouver qu’une immense gêne face au torrent de sollicitude que la société victimaire, chrétienne, postchétienne, déverse sur lui. Elle ne lui est pas familière. La sollicitude d’un homme est toujours embarrassée, elle n’a pas chez lui l’élan spontané qu’elle peut avoir chez les femmes, elle est bridée, maladroite, branchée sur courant alternatif, entravée par des codes culturels si on veut, alors que l’élan est plus naturel chez les femmes. Nous, on effleure plus qu’on étreint, on désire plus qu’on aime et on aime plus qu’on aide. C’est ainsi.

    Un homme ne peut pas se satisfaire de ce caramel mou, ou alors c’est un mongolien comme ce journaliste belge célébré par les médias centraux au lendemain des attentats de Bruxelles, en 2016, pour avoir écrit qu’il refusait de se « battre avec autre chose que des mots, des craies et des câlins ». Pauvre con, tu as bien mérité ton surnom de tarte à la crème et de Babtou fragile !

    Nous n’avons aucune envie d’être perçus comme des victimes. Rien de plus humiliant pour nous. Ce sont les formules d’Aristote sur la virilité, sobre pas tapageuse, dans l’Éthique à Nicomaque qui nous définissent le mieux, pas cette éthique dévoyée, envahissante, écœurante à la longue, de la sollicitude réservée, selon les mots mêmes du Stagirite, aux « femmelettes » et aux « hommes qui leur ressemblent ». Plus puissantes encore, ces lignes extraites de Balzac : « Le sentiment que l’homme supporte le plus difficilement est la pitié, surtout quand il la mérite. La haine est un tonique, elle fait vivre, elle inspire la vengeance ; mais la pitié tue, elle affaiblit encore notre faiblesse. C’est le mal devenu patelin, c’est le mépris dans la tendresse ou la tendresse dans l’offense. »

    Une hypersensibilité à la douleur

    Dans un chapitre essentiel des Huit péchés capitaux de notre civilisation (1973), le grand zoologiste et prix Nobel Konrad Lorenz pointait un danger mortel, parmi tous les périls qui nous menacent : la pharmacologie moderne. Pourquoi elle en particulier ; et pourquoi singulièrement aujourd’hui ? Parce qu’elle nous prive à un degré jusque-là inconnu de l’expérience de la douleur, phénomène sans précédent dans la longue durée de l’évolution. Celle-ci s’est accomplie à travers un double mouvement de plaisir et déplaisir. Par exemple, c’est la promesse d’une récompense (s’emparer d’une proie) qui poussait nos ancêtres chasseurs-cueilleurs à se livrer à de longues et harassantes traques, à se dépasser, à accepter des situations contraignantes qui éprouvaient leur capacité d’endurance et leur aptitude à souffrir. Jamais ils n’auraient consenti à ces sacrifices s’ils n’avaient débouché sur une récompense ou du moins sur sa promesse. Pour Lorentz, cette économie du plaisir et du déplaisir est la formule gagnante de l’évolution. Or, c’est cet équilibre que la société de consommation a brisé en asséchant les sources de déplaisir. Elle a développé en nous une hypersensibilité à la douleur, une aversion au risque, une intolérance à l’effort prolongé. Qu’est-ce qui endurcira les hommes s’ils ne sont plus disposés à rien sacrifier qui vienne troubler leur confort et la jouissance immédiate des biens à leur disposition ? L’humiliation ? Qui sait ?

    François Bousquet (Eléments, 4 mai 2020)

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  • La mobilité comme liberté de bouger ou l’autonomie comme vraie liberté ?...

    Nous reproduisons c-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré à l'autonomie comme liberté supérieure. Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015) et dernièrement Achever le nihilisme (Sigest, 2019).

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    La mobilité comme liberté de bouger ou l’autonomie comme vraie liberté

    Nous sommes, en ce moment de confinement, privés de mobilité. Mais si la mobilité est une liberté, elle n’est pas toute la liberté. Il y a une liberté supérieure, qui implique de pouvoir être mobile, mais de pouvoir choisir aussi d’être immobile. Cette liberté supérieure, c’est l’autonomie. Et au-delà de la liberté de circuler, dont nous ne pouvons être durablement privés, la grande question qui se pose est celle de reconquérir une liberté comme autonomie, perdue depuis la révolution industrielle et les sociétés de masse.

    Dés le XIXe siècle, les inconvénients des sociétés de masse avaient été relevés par Tocqueville, puis par Nietzsche : instinct grégaire, perte du sens de l’initiative et de la responsabilité, Le paradoxe de la situation actuelle est que le confinement de masse fait suite à la mobilisation de masse. Le contraste est fort entre l’incitation à la mobilité, il y a encore deux mois (« Bougez-vous »), et l’assignation à résidence, à 1 km maximum de son domicile (« Restez chez vous »). Et pourtant, une question se pose : et si la logique était la même ? Sachant que ce sont en tout cas les mêmes qui nous reprochaient « de ne pas traverser la rue pour trouver un travail » qui nous demandent maintenant de ne pas traverser la rue, sauf pour des courses de première nécessité. Jusqu’à la mi-mars, la mobilité était louée, elle était au service de la mobilisation de toutes les énergies au service de l’économie. Nous devons maintenant nous croiser le moins possible, ce qui, dans sa forme extrême, donne l’injonction « Restez chez vous », la distanciation sociale étant rabattue sur l’enfermement chez soi. Nous nous apercevons alors que presque rien n’est possible sans déplacement. Et nous prenons la mesure de notre vulnérabilité. Dans la France périphérique, celle des campagnes, mais aussi celles des grandes banlieues, où les petits commerces ont disparus, il faut faire des km pour rejoindre le supermarché. Un peu partout, pour voir ses amis, et sa famille, il faudrait faire un trajet excédant les limites autorisées. La mobilité perdue fait partie de nos libertés. Mais en a-t-il toujours été ainsi ?

    A partir du moment où les hommes se sont sédentarisés, ils n’ont pu échapper à l’impôt, ni aux pouvoirs, royaux et féodaux. Mais une société de sédentaires est une société d’inégaux. Cela limite le pouvoir du souverain, car le souverain veut l’homogène, plus facile à contrôler, et rencontre l’hétérogène, plus insaisissable. Quant à l’ancrage de chacun dans sa terre, propriétaire ou aspirant à le devenir, il freine les possibilités de mobilisation par le souverain. Allez mobiliser des paysans en période de moisson ! Même Napoléon n’a pas trouvé à cela des solutions satisfaisantes. Le paysan n’aime pas être longtemps loin de chez lui. La terre donne une inertie. Et l’inertie limite le pouvoir. A partir du moment où le monde immobile de la terre s’est mis en mouvement, sous les coups de butoirs de la révolution industrielle, les choses ont changées. Première mobilité, l’exode rural a commencé quand le paysan n’a plus pu vivre de sa terre. Et avec l’industrie arriva la démocratie. Du moins le principe premier de toute démocratie : l’idée d’égalité des hommes qui les fait, à part égale, des citoyens. Chacun est alors légitime à participer à la vie politique, quelle que soit sa situation et sa position sociale.

    A partir de là, tout le monde peut désirer ce qu’a tout le monde. C’est même un moteur – la jalousie – dont le capitalisme a besoin. L’envie remplace le besoin (Franck Fischbach), l’envie étant plus flexible et plus souple que le besoin, et même que le simple désir, encore ancré dans le réel. Le besoin tend à se limiter désormais à un seul domaine, les rapports du capitalisme et de la terre, car le capitalisme a un besoin objectif d’un certain nombre de matières premières nécessaires à la production d’énergie, et se heurte à des limites objectives, la terre offrant des ressources non infiniment renouvelables.

    Mais, entre le capitalisme et les hommes, ce qui prédomine, ce sont désormais les valeurs mobilières (capitaux, placements…). La société industrielle devient à la fois de plus en plus mobile et de plus en plus marchande. Mais cette mobilité n’est plus le nomadisme des sociétés sans Etats étudiées par Pierre Clastres. Ce nomadisme connaissait des souverainetés éphémères, militaires, fragiles. La mobilité moderne est une mobilité sous contrôle. Elle l’est avec les permis de voyager que devaient porter sur eux les ouvriers du XIXe siècle (le « livret ouvrier »). Chacun est sous tutelle, et dépendant du système de l’argent : banques, crédit, assurances, centrales d’achat pour grandes surfaces, … .

    Dans ce système où chacun dépend d’une grande machine étatique et marchande lointaine, la liberté de mobilité n’est en rien une liberté comme autonomie. Cette liberté comme autonomie, c’est celle dont disposait le paysan dans une économie localisée, peu monétarisée. La liberté comme mobilité est en fait la liberté de devoir être mobile, de devoir être flexible, de devoir être adaptable, et interchangeable. C’est Spinoza interprété au premier degré : « La liberté, c’est l’intellection de la nécessité ».

    Confinés, nous voyons que l’on demande d’être encore plus flexible (le télétravail n’a plus d’heure et déborde sur toute la vie), de nous passer plus encore des services publics (réduits au minimum), de nous auto-contrôler plus encore (en nous délivrant à nous-mêmes des autorisations de sortie dérogatoire). La numérisation de tout le vivant et le traçage de tous à tout moment ont fait un grand pas, légitimés par la « santé », réduite au Covid-19, tandis que se multiplie les dégâts collatéraux (chômage, dépressions, violences, …) dus à la gestion de la crise sanitaire. A l’occasion du confinement, le gouvernement, faisant sortir notre pays de la démocratie parlementaire, multiplie les ordonnances, notamment sur le travail, et en profite pour affaiblir les protections sociales. Au même moment, les délais pour décider d’avorter sont encore allongés, après la suppression du délai de réflexion en 2015, et de la notification des droits de la femme enceinte, le ministre Olivier Véran s’étant inquiété, suite au confinement, de la baisse du nombre d’avortements : « Il y a une réduction inquiétante du recours à l’IVG », Public Sénat, 1er avril 2020, formulation pour le moins choquante, loin de l’esprit initial de la loi de Simone Veil. On voit par-là que le confinement n’empêche pas la marche du monde libéral de se poursuivre, et même de forcer l’allure. Toujours plus de mobilisation, toujours plus de « c’est mon choix », toujours plus d’individualisme.

    Pas plus en confinement qu’auparavant, l’économie n’est mise au service du bien commun. Le pouvoir de l’argent, et la jouissance malsaine de la transparence, de vouloir tout savoir sur tous, et de vouloir tout contrôler se sont réunis. Ils ont étendu leur emprise de la sphère économique à l’ensemble de la vie. Biopouvoir : le voilà. Si le confinement permettait à chacun de comprendre qu’il va nous falloir, collectivement, reprendre le pouvoir sur nos vies, il n’aura pas été totalement inutile.

    Pierre Le Vigan (Cercle Aristote, 1er mai 2020)

     

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  • Le feu qui couve sous le couvre-feu...

    Le confinement vire à la réclusion forcée. Rompons-la avec la rédaction d’Éléments. Retrouvez ses rédacteurs à l’occasion de leur rendez-vous hebdomadaire sur TV Libertés. François Bousquet et les « métiers de merde » à l’épreuve de la crise. Christophe A. Maxime et l’incroyable beauté de Paris sans âmes qui vivent. Nicolas Gauthier et les bons plans du confinement…

     

                                           

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  • La France doit engager la renégociation des traités européens !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à l'avenir de l'Union européenne et à la caducité des traités européens. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    La France doit engager la renégociation des traités européens : Pour une Europe des Nations

    Toutes les règles établies au moment de la préparation de l’euro ont été oubliées, tous les traités européens rompus, toutes les limites dépassées.

    Ces traités européens caducs

    C’est le cas du traité instituant la BCE. L’objectif unique de stabilité des prix est oublié. La BCE pratique la monétisation des dettes, se prépare à acheter des titres de toute nature (y compris des titres de titres ayant un rating de junk-bonds) et annonce qu’elle fera tout ce qu’il faut (selon Mario Draghi, repris par Christine Lagarde, le 30 avril encore, « whatever it takes ») pour sauver l’euro. Elle assume un rôle politique, s’engage dans le soutien du prix des actifs financiers, et se permet des opérations strictement interdites aux banques centrales des États membres, comme la monétisation des dettes publiques. Et la règle qui limitait l’aide de la BCE à des pays en difficulté en fonction de leur participation à son capital elle aussi a été suspendue.

    C’est le cas du Pacte de stabilité, plus connu sous le nom de « traité de Maastricht. La majorité des pays de l’Union ne respectera ni le critère de dette publique sur PIB, ni celui de déficit budgétaire, et celui d’inflation est oublié. Les colonnes du temple de la rigueur budgétaire et de la vertu des finances publiques devaient assurer la convergence des nations membres de l’union monétaire ; tous, tous Allemands, derrière l’euro-mark ! Chacun peut voir ce qu’il en est advenu !

    C’est le cas de dispositifs comme le Mécanisme Européen de Stabilité, dont les concours sont subordonnés à des conditions rigoureuses de rigueur budgétaire (appliquées par exemple à la Grèce). Après l’Eurogroup du 8 avril, il semble que ces conditions soient suspendues, sans que les Italiens et les Français d’un côté, les Néerlandais ou les Allemands de l’autre, aient le même avis à ce sujet (d’ailleurs l’Italie refuse à ce jour d’y avoir recours).

    C’est le cas du Pacte de stabilité et de croissance, de 1997, comme du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro de 2013, qui le précise et le renforce, avec ses prescriptions budgétaires imposées en violation manifeste de la souveraineté des États.

    C’est aussi le cas de l’équilibre entre les institutions de l’Union européenne. Sous des prétextes divers, la Commission européenne a continué à s’insinuer dans les domaines réservés aux États, jusqu’à s’inventer une diplomatie, jusqu’à se prétendre gardienne de “valeurs” autoproclamées, jusqu’à financer des Fondations et des ONG ouvertement hostiles à la souveraineté des Nations.

    C’est enfin le cas de l’accord de libre-circulation, dit accord de Schengen, qui a considérablement facilité l’immigration illégale et le pillage des systèmes les plus favorables par les migrants. 16 pays participant à cet accord en ont suspendu les effets, fermant tout ou partie de leur frontière ; parmi eux, beaucoup des pays, comme l’Autriche ou la Hongrie, qui ont le plus efficacement contenu la pandémie. Et certains pays, comme l’Italie, n’ont pas jugé utile d’avertir l’Union européenne de leur décision de fermer leurs frontières ; d’ailleurs, à quoi bon ?

    Un aveuglement idéologique

    L’Union européenne refuse de voir l’évidence ; si le sol sur lequel est construit le Parlement européen de Bruxelles menace d’effondrement, le sol des traités et des institutions sur lequel l’Union affiche son arrogance s’est déjà effondré, miné par le coronavirus, et plus profondément, par la réalité nationale plus forte que tous les traités, les pactes et les injonctions étrangères. Plus rien de ce sur quoi la nouvelle Union européenne s’est construite depuis l’Acte Unique et le traité d’union monétaire ne tient debout. Inconsciente, ou provocatrice, l’Union n’en tient aucun compte, signe le 28 avril un accord de libre-échange avec le Mexique sans aucune garantie environnementale et sanitaire (voir le communiqué d’Interbev), appelle à garder les frontières ouvertes, et entend ouvrir les négociations de préadhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, sans tirer aucune conclusion de l’échec avéré des adhésions récentes, sans remettre en cause le principe “un État, un commissaire” — l’Albanie avec un commissaire européen, comme l’Allemagne ou la France ! Autrement dit, l’Union européenne continue de courir sur la vitesse acquise parce que tout arrêt la condamnerait sans recours.

    La lucidité commande d’en tirer toutes les conséquences. L’Union telle qu’elle a été subvertie dans les années 1980, telle qu’elle a été soumise à la globalisation marchande, n’est pas l’Union voulue par ses fondateurs. Et l’Union monétaire a été conclue à des conditions qui creusent un écart à terme insurmontable et insupportable entre pays du Nord et du Sud. Elle n’est pas durable en l’état.

    L’Europe soumise à l’union monétaire, l’Europe de Maastricht a vécu.

    Nous n’en conclurons pas qu’il faut ajouter de la crise à la crise, comme ceux qui voient dans l’effondrement économique actuel un bon prétexte pour sortir de l’euro, faire éclater l’Union, et abandonner tout espoir réel d’indépendance et de souveraineté, qui ne peuvent exister que si elles sont coordonnées et partagées.

    Un avenir pour l’Union ?

    Pourtant, les circonstances banalisent la sortie d’un pays de l’Union de la monnaie unique. Sortir de l’euro n’est plus l’épouvantail agité partout, depuis que la pandémie menace de ruiner l’épargne et l’entreprise.

    D’abord en raison du “Brexit”. L’Union n’est plus un club dont nul ne peut sortir. Ce qui s’est produit peut se reproduire, même si l’euro introduit une dépendance de niveau supérieur entre ses participants.

    Ensuite et surtout parce que les conséquences considérables de la pandémie sur les équilibres macro-économiques de la plupart des pays de la zone euro relativisent considérablement les effets d’une sortie de l’euro, qui peuvent sembler noyés dans le brouillard macroéconomique provoqué par la pandémie. Les prévisions apocalyptiques – – 3 % de croissance, 2 % de déficit public, etc. — associés à la sortie de l’euro semblent aujourd’hui anecdotiques par rapport aux impacts annoncés de la pandémie — jusqu’à 8 % ou 10 % de déficit public, -8 % de croissance, etc.

    Enfin, parce que plusieurs pays membres de l’Union considèrent que l’Union a fait preuve d’une indifférence coupable, voire d’une absence totale de solidarité à l’occasion de l’impact asymétrique de la pandémie. Les excuses publiques de Mme Van der Leyen veulent tout dire. Il leur manque seulement de reconnaître que les déficits des pays du Sud ont pour une part non négligeable leur contrepartie dans les excédents commerciaux de l’Allemagne et des pays du bloc mark. Face à la pandémie, comme face l’invasion migratoire, seuls, des Etats ont tenu, des Nations se sont levées, et l’Union a manqué, quand elle n’a pas trahi.

    L’expérience commande de reconnaître que l’union monétaire repose sur la croyance que les peuples des Nations membres vont peu à peu adopter les mêmes comportements en matière d’épargne, de discipline budgétaire, de tenue des déficits publics, etc. Cette croyance est démentie par les faits. Les identités nationales sont plus puissantes que tous les mécanismes de convergence forcée institués par l’Union européenne, que les traités et les engagements chiffrés.

    Voilà pourquoi il est urgent que la France prenne l’initiative d’une conversation entre chefs d’État, préparant un nouveau traité d’Union des Nations européennes, sur la base de la diversité et de la souveraineté des Nations, sur la base aussi d’une commune recherche de puissance et d’indépendance.

    La seule condition qui puisse rendre pertinent le maintien de l’euro, rallier les opinions qui doutent et permettre de dépasser les spécificités nationales légitimes est le projet d’une Europe puissance, de l’Atlantique à l’Oural, capable d’améliorer la sécurité et l’indépendance des Nations européennes, notamment par la tenue des frontières extérieures, le contrôle des migrations, l’autonomie industrielle, financière et de Défense. Cette Europe puissance serait l’Europe des Nations telles que le traité de l’Élysée, signé par le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer, en avait jeté les bases (22 janvier 1963).

    C’est le moment français !

    Il appartient à la France de restaurer l’Union européenne, la seule qui serve l’Europe, celle des Nations d’Europe — des Nations européennes libres. Cosignataire du Traité de Rome, initiatrice du Traité de l’Élysée, seul membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, la France doit prendre l’initiative d’une refondation de l’Union sur la base d’un accord réaliste et durable des Nations européennes. Elle est seule à pouvoir le faire, ce qui lui donne le devoir de le faire.

    La France doit prendre l’initiative que son engagement dans la fondation de l’Union européenne, son autorité internationale, l’autonomie de sa Défense, lui permettent de prendre, et elle seule.

    La France invite les chefs d’État et de gouvernement des États membres à prendre acte de l’effondrement des traités et des accords qui ont présidé à la naissance de la monnaie unique et à la construction d’une Europe ouverte au libre-échange, aux mouvements de populations, à la globalisation.

    La France appelle les pays européens à refonder leur union dans un projet de puissance et d’indépendance de l’Europe, sur la base de leur souveraineté nationale et de frontières extérieures tenues.

    La France appelle les dirigeants des Nations signataires du traité de Rome à une conférence de refondation de l’Europe, à Paris, en juillet prochain.

    Cette conférence aura pour but d’élaborer les principes fondateurs d’une nouvelle Union, principes qui seront ensuite proposés à tous les États membres de l’Union, sur la base de la souveraineté des Nations et de la puissance de l’Europe, dans le but d’assurer l’intégrité de leurs territoires, de protéger les modes de vie et la liberté de leurs citoyens, leur identité et leur diversité, de garantir la défense efficace de leurs frontières extérieures et leur indépendance par rapport à toute puissance extérieure, de gérer dans l’intérêt commun leur monnaie commune en vue du progrès social, de l’équilibre des échanges et de la stabilité des prix.

    Cette conférence prendra acte de la rupture des traités fondateurs de l’Union monétaire. Elle engagera la redéfinition du mandat de la BCE, les conditions de négociation des traités commerciaux et de Défense, les modalités de tenue des frontières, de contrôle des mouvements de personnes, de capitaux, de produits et de services, de données et d’informations. Elle travaillera à construire les nouveaux équilibres institutionnels au sein de l’Union, et notamment les rôles respectifs de la Commission européenne, secrétariat permanent du Conseil de l’Europe, et du Parlement européen, représentant des Nations auprès du Conseil.

    En cas de refus des Nations invitées à participer à cette conférence, ou d’échec des négociations engagées pour la refondation de l’Union de l’Europe avec tous les États membres, la France devra en tirer toutes les conséquences que comportent la défense de son territoire, l’indépendance nationale, et le principe de souveraineté du peuple français.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 3 mai 2020)

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