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L'Europe contre l'Union européenne...

Nous reproduisons ci-dessous le texte d'une conférence de David Engels donnée le 3 décembre 2021 à l’occasion du colloque “How to Reform the Union for the Future of Europe” (« Comment réformer l’Union pour le futur de l’Europe »), publiée sur le Visegrad Post et consacrée aux valeurs historiques de l'Europe.

Historien, spécialiste de l'antiquité romaine et président de la société Oswald Spengler, David Engels, qui vit en Pologne, est devenu une figure de la pensée conservatrice en Europe et est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

 

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L’Europe contre l’UE : comment ancrer les valeurs historiques de l’Occident dans la constitution d’une future confédération européenne ?

L’Europe traverse une crise profonde, car elle est confrontée simultanément à des défis aussi divers que : mondialisation, migration de masse, désintégration de la famille, Cancel Culture, déclin démographique, déchristianisation, désindustrialisation, dégâts environnementaux, polarisation sociale, chômage, crise de la dette, guerres asymétriques, dé-démocratisation, islamisation, fondamentalisme, délabrement des infrastructures, terrorisme, hédonisme, obsolescence, relativisme juridique, ultralibéralisme, idéologie LGBTQ, augmentation des dépenses sociales, criminalité, bureaucratie dysfonctionnelle, folie des genres, etc. – pardonnez-moi cette longue énumération, mais ce n’est que lorsque nous aurons pris conscience de toute l’ampleur de notre déclin que nous pourrons réfléchir à des solutions adéquates.

Cette crise n’est pas imposée de l’extérieur, elle est faite maison. Ce que craignaient déjà les pères fondateurs comme Robert Schuman, à savoir qu’une Europe unie ne doit pas rester une entreprise économique et technocratique, se paie aujourd’hui : il lui faut une âme, une prise de conscience de ses racines historiques. Sans identité commune, il ne peut y avoir de solidarité européenne en période de bouleversements comme aujourd’hui ; une telle identité doit toutefois se référer à autre chose qu’aux droits de l’homme universels, mais doit tenir compte de ce qui est propre à l’Europe et aux Européens : une vision occidentale de l’homme profondément enracinée dans la tradition et l’histoire. Si une telle entreprise échoue, il n’y a que deux possibilités : l’éclatement en États-nations, qui seront alors à la merci de puissances telles que la Chine, la Russie, le monde islamique ou les États-Unis, ou bien un centralisme bureaucratique et sans âme.

Bien sûr, les partisans de l’actuelle UE politiquement correcte affirment que tout scepticisme à l’égard de l’UE est « conservateur » et donc condamnable, car il devrait automatiquement entraîner un retour au nationalisme, à l’autoritarisme d’extrême droite et finalement à la guerre et au génocide. Pourtant, le nombre de ceux qui veulent combiner patriotisme conservateur et défense de l’identité occidentale pour faire face aux nombreuses menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur notre civilisation ne cesse de croître. Les pays de Visegrád sont sans aucun doute à la pointe de ce mouvement à l’heure actuelle, ce qui explique pourquoi il s’agit précisément d’une institution polonaise, l’Association des artistes pour la République (Stowarzyszenie Twórców dla Rzeczypospolitej), qui a pris l’initiative, sous la présidence de Zdzisław Krasnodębski, de commander en 2020 un préambule pour une future constitution d’une « confédération de nations européennes ». Cette constitution doit pouvoir servir de point de ralliement à tous les conservateurs qui veulent s’efforcer de défendre l’Occident, indépendamment des familles politiques auxquelles ils peuvent appartenir au Parlement européen. L’objectif du préambule était d’inscrire fermement dans la Constitution les valeurs conservatrices attaquées par l’UE actuelle, en éliminant les erreurs idéologiques fondamentales de l’ancien projet de Constitution de Valéry Giscard d’Estaing.

Ce fut un grand honneur pour moi de pouvoir rédiger en ce sens ledit « préambule », qui, entre-temps, a été publié dans de nombreuses langues européennes et paraîtra également sous forme de livre dans les prochains mois, et qui s’inscrit pleinement dans la continuité de l’idéologie de l’hespérialisme telle que je l’ai développée en 2019 dans le livre Renovatio Europae. L’idée de base de l’« hespérialisme » est très simple : il est grand temps de revenir aux valeurs qui ont jadis fait la grandeur de l’Occident, si nous voulons éviter les pires scénarios. La défense de la famille naturelle, une régulation stricte de l’immigration, le retour au droit naturel, la protection d’un modèle économique socialement responsable, la mise en œuvre radicale de la subsidiarité, la renaissance des racines culturelles de notre identité et le renouvellement de notre sens de la beauté – tels sont, en résumé, les piliers d’une telle nouvelle Europe « hespérialiste ». Si l’Europe veut survivre en tant que civilisation au 21e siècle, elle doit revenir aux valeurs et traditions historiques qui l’ont façonnée depuis le Moyen-Âge et réduire drastiquement la tendance bruxelloise au centralisme. En même temps, elle doit garantir un partenariat étroit entre les nations européennes dans certains domaines politiques clés, tels que la protection des frontières, la recherche, la lutte contre la criminalité, les infrastructures, la défense, les ressources stratégiques ou les normes juridiques. L’exemple idéal d’une telle communauté d’États n’est donc pas les États-Unis ou la République fédérale d’Allemagne, mais plutôt les grands empires pré-modernes comme l’Union polono-lituanienne ou le Sacrum Imperium, le Saint Empire romain germanique.

On peut se demander pourquoi l’Europe a besoin d’une véritable constitution, car d’une part la dernière tentative d’élaborer une constitution explicite s’est soldée par un véritable fiasco, tandis que d’autre part, les conservateurs semblent justement plutôt favorables à une réduction, voire à un démantèlement des institutions européennes et s’opposent donc généralement à toute constitution commune contraignante. Mais c’est une erreur : d’abord, l’opposition de nombreux citoyens n’était clairement pas dirigée contre l’idée générale de l’unification européenne, mais contre sa forme concrète et très problématique ; pui, la Constitution envisagée ici ne doit pas livrer les Européens encore plus qu’avant à l’administration bruxelloise et à son idéologie de plus en plus gauchiste, mais plutôt à les en protéger : notre projet est certes une Constitution « pour » l’Europe, mais une Constitution « contre » l’UE.

Notre Constitution veut refonder une Europe forte, fière et patriotique, qui défend son identité au lieu de la salir ; qui respecte les nations au lieu de les fusionner ; qui honore son héritage historique au lieu de le soumettre au multiculturalisme ; qui combat la polarisation sociale au lieu de faire de la politique pour les élites ; qui protège et met en œuvre la démocratie au lieu de déléguer le pouvoir à des institutions internationales sans âme et non démocratiques ; qui défend l’importance de notre continent dans le monde au lieu de le brader. Cette Europe, nous devons la reconquérir – avec les citoyens, contre ses élites actuelles. L’union politique de toutes les vraies forces conservatrices et patriotiques autour d’un tel objectif commun est un premier pas dans cette voie – espérons donc que l’histoire s’écrira aujourd’hui dans ce sens.

David Engels (Visegrád Post, 12 décembre 2021)

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