Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Lévine, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré à la protection que constitue pour le système la quête de cinq cents parrainages d'élus locaux pour les candidats à l'élection présidentielle.
Éric Zemmour et les cinq cents
Ça ne leur suffit pas que des millions de voix ne soient pas représentées dans les chambres et les assemblées, encore faut-il que les candidats putatifs de ce peuple bafoué ne puissent pas se présenter à l’élection présidentielle faute de signatures. C’est le risque qui pesait hier sur la candidature Le Pen, aujourd’hui sur celle de Zemmour. Ces 500 signatures, c’est le pass vaccinal de la République, celui qui ouvre les portes et les referme. La démocratie est morte, vive l’oligarchie !
Vous vous souvenez du Grand débat ? Alors que la magistrature et les antifas, alliés comme jamais, réduisaient les Gilets jaunes sous les applaudissements des gardiens de la démocratie, des vigies de l’humanisme – je parle bien sûr des journalistes, mais tout le monde aura deviné qui étaient ces héros des temps modernes –, Macron, avec la cape de premier de la classe qu’il porte depuis la première échographie de sa mère, se lançait dans une tournée des salles des fêtes, invitant les maires à venir le questionner afin de sortir de la « crise ». J’ai longuement regardé. C’était dingue. Les journalistes politiques n’en pouvaient plus, ils étaient excités comme un soir de partouze. Ohlala ! qu’il était beau, qu’il était intelligent, comme il tombait bien la veste, comme il était bien peigné, comme il avait – c’est vrai – réponse à tout, Macron ! Au moment où une majorité de Français, selon tous les sondages, continuait de soutenir le mouvement des Gilets jaunes malgré les tombereaux de merde que la plupart des commentateurs jetaient sur ces derniers et les manipulations de toutes sortes dont ils étaient l’objet, ces élus, eux, manifestaient une servilité totale.
Le Kennedy d’Amiens
Il est vrai que l’Élysée sélectionnait les élus en question. Les rares maires RN et LFI étaient écartés. Pour le fun et parce que, depuis fort longtemps, le PCF est révolutionnaire comme moi j’aime le RnB, on avait bien choppé deux ou trois vieux communistes à béret pour animer un tout petit peu un exercice qui, en fait, tenait plus de l’autofellation que du « débat ». Dotation, subvention, péréquation : de toute évidence, parmi tous les problèmes soulevés par cette « crise », les maires de France ne voyaient que celui de leurs ressources – donc de leur réélection. Alors que, durant quatre mois, les Gilets jaunes, en plus de très justes revendications sociales, avaient mis sur la table la représentation d’abord, l’immigration, la souveraineté, l’Europe ensuite, les maires, eux, se lamentaient parce que les travaux de la médiathèque Nelson-Mandela et de la piscine Salvador-Allende avaient pris du retard… La déconnection entre représentants nationaux et peuple était acquise – sauf aux yeux des oligarques, bien sûr. Grâce au grand one-man-show du Kennedy d’Amiens, ceux qui ignorent tout de la politique locale, comment elle se fait – entre Rotary et Grand Orient de France –, purent découvrir que les « élus de terrain », les « élus des territoires » (sic) représentaient finalement encore plus mal les citoyens français. Il y eut cinq cents questions posées à Macron, ai-je entendu. Sur cinq cents questions, il y en eut une seule, UNE SEULE sur l’immigration – il faut rendre hommage au maire de Montauban, Brigitte Barèges, qui seule osa et qui fut alors huée par les autres maires présents dans la salle – et qui fut, ensuite, lourdement punie pour cette audace.
La grève des isoloirs
La perpétuation du scrutin uninominal majoritaire à deux tours n’a qu’un objectif : exclure de la représentation ceux qui votent mal et, par là même, pourraient brider la marche du Progrès. Dans le peuple, le MODEM ne représente rien : il a pourtant plus de quarante députés. LFI et le RN en ont respectivement dix-sept et… six1. Soit, tous les mots sont aujourd’hui galvaudés ; Macron se dit patriote… Mais je ne vois pas bien comment quelqu’un qui se dit démocrate peut soutenir un système qui admet sans faiblesse qu’un pan considérable de l’électorat ne peut pas être représenté dans nos chambres. La proportionnelle produirait une instabilité ? Sans doute, mais s’il faut choisir entre la stabilité de nos institutions fantoches et la justice, je choisis tous les jours la seconde. Ce n’est évidemment pas le choix des macronistes, des libéraux en général ; êtres moralement très supérieurs, êtres de lumière qui, comme le Skippy des Inconnus, conduisent leurs semblables dans une totale liberté de pensées cosmiques vers un nouvel âge reminiscent, les libéraux se satisfont visiblement très bien d’un régime qui leur assure, de trahison en trahison, sans rien changer à leurs convictions – ce qui est plutôt facile quand on n’en a aucune sinon la volonté de faire carrière, voyez par exemple Gérald Darmanin –, de garder le pouvoir. Sans cesse plus importante, la grève des isoloirs, qui concerne pour l’essentiel les classes populaires, s’explique d’abord ainsi. Ceux qui, à commencer par les politiques, ont chialé après les dernières régionales à cause du minable taux de participation sont au mieux des gros crétins, au pire de gros Tartuffes.
La quête des signatures
Ainsi donc, la « démocratie locale » se porterait mieux, nous dit-on. Les dizaines de milliers de maires que notre pays compte seraient de meilleurs porte-parole des « petites gens ». À l’heure où j’écris ces mots, Éric Zemmour ne dispose pas des signatures nécessaires pour entrer officiellement dans la course à la présidence de la République française. Les sondages lui donnent entre 14 et 17 % au premier tour ; ce sont justement et surtout les « petites gens » qui le suivent ; il suffit de ne pas être macroniste, de connaître d’autres « travailleurs » que les nounous ivoiriennes et les Uber maghrébins des « métropoles connectées sur le monde » (sic) pour savoir combien l’homme est populaire dans le peuple. À chaque présidentielle, le RN galère pour trouver ces fameuses cinq cents signatures ; ses difficultés en la matière sont, hélas, un marronnier des campagnes élyséennes. Zemmour fait donc face au même problème, rendu quasi insoluble depuis que François Hollande, entre deux humiliations des Françaises-et-des-Français – ô, Leonarda ! ô, Mistral ! –, a décidé que lesdites signatures seraient rendues publiques. Quel pouvait être le but de cette décision – que personne ne réclamait – sinon de compliquer encore davantage la vie des vraies oppositions et de renforcer le bipartisme, de nous empêcher d’échapper à la légendaire « alternance » entre sociaux-démocrates et démocrates-sociaux, gauche libérale et droite libérale, mondialistes bourgeois et bourgeois mondialistes ?
Vos papiers, candidat Zemmour !
Si Éric Zemmour ne pouvait finalement pas se présenter à cette élection, il ne s’agirait pas d’un « déni de démocratie », expression que même une Valérie Pécresse peut éhontément employer. Il s’agirait de l’acte de décès officiel du peu qu’il reste de notre démocratie. Et bien sûr, passée la fausse indignation produite par la subséquente « polémique », on trouverait sans peine des zozos libéraux pour venir défendre, au nom de la « transparence », la porte claquée au nez de celui derrière qui tous les patriotes vraiment désireux de vaincre, de rendre enfin aux élites apatrides qui les méprisent, les moquent, les nazifient la monnaie de leur pièce se rangent aujourd’hui.
Il en va de ces fichues signatures comme de l’incroyable pass vaccinal : dans l’incapacité d’interdire, le système entend bien « emmerder jusqu’au bout » ceux qui le défient. Cette logique nourrit une colère on ne peut plus légitime. Et c’est cette colère qui est la plus authentiquement démocratique.
Nicolas Lévine (Site de la revue Éléments, 8 janvier 2022)
Note :
1. Si l’absence de l’extrême gauche dans les chambres est scandaleuse, elle l’est moins que celle de l’extrême droite dans la mesure où la première est hégémonique dans le champ culturel même si, comme le dit justement Mathieu Bock-Côté, la gauche est tellement habituée à dominer intellectuellement depuis l’après-guerre – et en fait depuis 1789 – qu’il lui suffit d’être contestée pour se sentir assiégée.