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Géopolitique - Page 39

  • Identité(s) européenne(s)...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Robert Steuckers, réalisé par le Cercle des Volontaires et consacré à la question de l'identité européenne ainsi qu'à quelques grands thèmes de l'actualité internationale. Figure de la Nouvelle Droite et ancien responsable des revues Orientations et Vouloir, Robert Steuckers vient de publier aux éditions du Lore un ouvrage intitulé La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis.

     

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  • Traité transatlantique : le dessous des cartes...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur Figaro Vox et consacré au Traité transatlantique en cours de négociations entre les États-Unis et l'Union européenne. Journaliste, Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Le Choc des empires - États-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? (Gallimard, 2014).

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    Traité transatlantique : le dessous des cartes

    Le traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant: tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu: celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé «National medium and long term program for science and technology development» dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial: non plus l'usine mais le laboratoire du monde! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modelés qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs: uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan: passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est: comment et où allons-nous créer de l'emploi? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle «Iconomie», c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite! La France avait tout à fait les moyens de le faire! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire «googeliser»!

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans: démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.

    Jean-Michel Quatrepoint, propos recueillis par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio (Le Figaro Vox, 25 avril 2014)

     

     

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  • Rwanda : l'histoire truquée....

    A l'heure où les médias répercutent  sans la moindre gêne les accusations délirantes du sympathique Paul Kagamé, dictateur du Rwanda depuis 20 ans, à l'encontre de la France, Julien Teil et Paul-Éric Blanrue reviennent dans leur documentaire Rwanda, l'histoire truquée sur la genèse de la guerre civile rwandaise des années 1990-1994 ainsi que sur les responsables et les bénéficiaires des massacres qui ont suivi...

     

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  • La vraie cause de la crise ukrainienne : la guerre économique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son site J'ai tout compris et consacré aux causes de la crise ukrainienne.

     

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    Vraie cause de la crise ukrainienne : la guerre économique

    Les sanctions économiques stupides contre la Russie prises par les USA et l’Union européenne sont une énorme erreur qui va d’abord nuire à l’Europe et surtout… à la France. Elles sont un moyen pour Washington de casser le lien économique euro-russe en construction. Voilà les vraies raisons, économiques, de la crise ukrainienne, provoquée par l’Occident (USA et EU soumise) à son bénéfice.  

    Les sanctions anti-russes (complètement contraires au droit international, par ailleurs) nuisent d’abord à l’économie russe, qui souffre de son manque de diversification et de sa trop grande dépendance du secteur énergétique pétrogazier, en favorisant une fuite des capitaux russes. La Banque centrale russe a déjà enregistré 50 milliards de dollars d’actifs désertant Moscou. (1)

     Les États-Unis poussent à l’accord de libre-échange avec l’UE, accord inégal qui les favorisera grandement, et que la Commission européenne n’ose pas contrecarrer. Leur but est d’éviter à tout prix  une zone de libre échange euro-russe incluant l’Ukraine, et la naissance d’un espace économique continental euro-russe qui pourrait marginaliser et affaiblir la position économique dominante américaine.

    L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, concocté par la Commission européenne sans mandat clair, fut la provocation  qui déclencha la crise actuelle (voir autres articles de ce blog). Cet accord était économiquement irréalisable, invivable, l’Ukraine n’étant même pas au niveau économique d’un pays émergent. Il violait des conventions passées entre la Russie et l’Ukraine. La crise fut déclenchée lorsque, sous pression du Kremlin, l’ancien pouvoir de Kiev revint en arrière et renonça à l’accord proposé par Bruxelles. Le nouveau pouvoir ukrainien russophobe par idéologie (illégitime au regard du droit international puisque issu d’un coup d’État) entend reprendre cet accord absurde avec l’UE. Les mesures russes de rétorsion contre l’Ukraine (fin du tarif gazier préférentiel et facturations rétroactives) semblent peut-être dures mais elles sont conformes à toutes les pratiques commerciales internationales, par exemple celles qui ont toujours été pratiquées par l’Opep – Organisation des pays exportateurs de pétrole.

    Petit rappel historique : début 2012, une zone de libre échange euro-russe avait été programmée par Paris et Moscou, avec l’accord du gouvernement Sarkozy et du Kremlin, incluant l’Ukraine et la Communauté des États indépendants (CEI). Berlin était d’accord, vu que l’Allemagne est dépendante du gaz russe et investit énormément en Russie. Mais Washington et Londres étaient très inquiets, vieux réflexe géopolitique anglo-saxon. D’autant plus que la France avait passé des accords d’exportation de navires militaires de type BPC Mistral avec la marine russe, ce qui constitue pour l’Otan une entorse aux règles implicites, une ligne rouge à ne pas franchir.

    La Russie était d’accord pour entrer dans l’Organisation mondiale du commerce en échange d’un partenariat privilégié avec l’UE.  Cet objectif est inacceptable pour Washington : en effet, les Américains exigent la signature de l’accord (inégal) de libre échange avec l’UE qui favorise tous leurs intérêts.

    En décembre 2012, Manuel Barroso, président de la Commission européenne,  a rejeté la proposition de M. Poutine d’une zone de libre-échange euro-russe incluant l’Ukraine ; puis, il a proposé  à l’Ukraine de s’associer à l’UE pour une future adhésion, solution qu’il savait impossible. Mais Manuel Barroso, outrepassant ses fonctions et violant juridiquement son mandat, est-il un simple agent de Washington ? N’aurait-t-il pas volontairement provoqué la crise, afin de briser dans l’œuf une union économique euro-russe ?  

    Les intérêts économiques européens en Russie  dépassent de très loin ceux des USA, ce qui dérange ces derniers. La moitié des investissements en Russie sont européens. Même proportion pour les exportations russes.

    Les sanctions contre Moscou, décidées en fait à Washington et à Bruxelles – l’UE jouant le rôle peu reluisant de filiale des USA –  vont d’abord nuire aux investissements européens et français en Russie et à leurs exportations industrielles et de services. Les sanctions anti-russes risquent de mettre en péril non seulement les importations vitales de gaz russe mais de nombreuses participations françaises dans l’économie russe : industries ferroviaire, automobile, pharmaceutique, travaux publics, luxe, viticulture, aéronautique, agro-alimentaire, grande distribution, défense. Au moment même où la France a un besoin vital d’exporter pour rééquilibrer sa balance des paiements déficitaire et créer des emplois.

    Le gouvernement socialiste français, dont la diplomatie est dirigée par l’atlantiste Laurent Fabius (qui n’a pas de doctrine précise à part la vacuité des ”Droits de l’homme”) a enterré la position gaullienne et indépendante de la France. Il s’est aligné, contre les intérêts de la France et de l’Europe (la vraie, pas celle de l’UE) sur la position de Washington. En réalité, Washington et l’UE ont instrumentalisé l’Ukraine au seul bénéfice des intérêts économiques américains.

    Il existe un autre aspect fondamental : tout se passe, par ces sanctions économiques anti russes,  comme si Washington voulait créer une crise des approvisionnements gaziers russe en Europe, afin d’y substituer les exportations américaines de gaz de schiste liquéfié, nouvelle source d’énergie extrêmement juteuse pour l’économie américaine. 

     D’un point de vue géostratégique, l’axe Paris-Berlin-Moscou est le cauchemar  des milieux atlantistes, ainsi que son corollaire, un espace économique de complémentarité mutuelle ”eurosibérien”, ainsi qu’une coopération militaro-industrielle franco-russe. Le président russe a eu le tort pour Washington de vouloir esquisser cette politique.

    C’est pourquoi la crise ukrainienne – latente depuis longtemps – a été instrumentalisée, entretenue, amplifiée par les réseaux washingtoniens (2) pour tuer dans l’œuf un grand partenariat économique et stratégique euro-russe. Pour découpler l’Europe de la Fédération de Russie.

    N’en voulons pas aux USA et ne sombrons pas dans l’anti-américanisme dogmatique. Ils jouent leur carte dans le poker mondial. Seuls responsables : les Européens, qui sont trop mous, faibles, pusillanimes pour défendre leurs intérêts, qui laissent la Commission européenne  décider – illégalement – à leur place.  De Gaulle doit se retourner dans sa tombe.

     Mais il n’est pas évident que cette stratégie de la tension avec la Russie et que cette réactivation de la guerre froide soient dans l’intérêt des USA eux-mêmes.  Car cette russophobie – qui prend prétexte du prétendu ”impérialisme” de M. Poutine (3), cette désignation implicite de la Russie comme ennemi principal ne sont pas intelligentes à long terme pour les Etats-Unis. Pour eux, le principal défi au XXIe siècle est la Chine, sur les plans économique, géopolitique et stratégique globaux. Pékin se frotte les mains de cette crise, en spectateur amusé.

    Dans l’idéal, il reviendrait à la France et à l’Allemagne (négligeant le Royaume–Uni aligné sur les USA et la Pologne aveuglée par une russophobie émotionnelle et contre-productive) de négocier, seules, avec Moscou, un compromis sur la crise ukrainienne. En passant par dessus la technocratie bruxelloise qui usurpe la diplomatie européenne et qui, comme toujours, marque des buts contre le camp européen. On peut toujours rêver.   

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 20 avril 2014)

    Notes :

    1. AFP, 15/04/2014

    2. Barack Obama, qui est un président faible de caractère et indécis, ne voulait plus impliquer son pays dans les affaires européennes et russes, préférant se tourner vers l’Asie. Ce qui était réaliste. Mais il a dû s’incliner devant les lobbies qui ont toujours  dirigé la politique étrangère américaine, souvent plus pour le pire que pour le meilleur.

    3. ”Impérialisme” minuscule face aux interventions armées des USA et de l’Otan (mais toujours pour la bonne cause) depuis la fin de l’URSS.

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  • Les grands théoriciens de la géopolitique...

    Les éditions des Presses universitaires de France publient cette semaine un essai de Louis Florian intitulé Les grands théoriciens de la géopolitique. Agrégé d’histoire, Florian Louis enseigne l’histoire, la géographie et la géopolitique en classes préparatoires aux grandes écoles et est déjà l’auteur avec Tancrède Josseran et Frédéric Pichon de Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Puf, 2012).

     

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    "La géopolitique a une histoire. Faite d’audaces théoriques et de vives controverses, celle-ci n’avait jamais été retracée dans son intégralité. C’est désormais chose faite grâce à cet ouvrage qui en dresse la généalogie intellectuelle en s’attachant à l’œuvre de ceux qui, depuis les fondateurs (Ratzel, Mahan, Mackinder, Spykman) jusqu’aux auteurs les plus contemporains (Huntington, Nye, Lacoste, Luttwak), ont contribué à en infléchir le cours. C’est également l’occasion de mettre en lumière l’apport déterminant quoique largement ignoré d’auteurs comme Jean Gottmann ou Carl Schmitt, et d’introduire le lecteur francophone aux dernières tendances de la discipline (critical geopolitics anglo-saxonne).
    Plus qu’une simple galerie de portraits, c’est donc un véritable panorama critique de l’histoire des idées géopolitiques qui est ici proposé. Grâce à de nombreux extraits traduits pour la première fois en français, ce sont tous les concepts cruciaux de la discipline qui se trouvent explicités et mis en perspective : Heartland, Rimland, Lebensraum, Grossraum, etc. Il en ressort le visage inédit d’une discipline dont le foisonnement n’a d’égal que la diversité."

    Au sommaire :

    Introduction : Pour une histoire critique des idées géopolitiques

    I – Le précurseur – Friedrich Ratzel

    II – Le sea power – Alfred Mahan

    III – Le Heartland – Halford Mackinder

    IV – Le Rimland – Nicholas Spykman

    V – Le monde post-étatique – Carl Schmitt

    VI – Une école française de géopolitique ? – Reclus, Vidal, Ancel…

    VII – Le grand échiquier – Zbigniew Brzezinski

    VIII – Le choc des civilisations – Samuel Huntington

    IX – De la géopolitique à la géo-économie – Edward Luttwak

    X – Le soft power – Joseph Nye

    XI – Penser les guerres du XXIe siècle – Keegan, Walzer, Petraeus…

    XII – La géopolitique critique – Gearóid Ó Tuathail
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  • La guerre contre la Russie dans sa dimension idéologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexandre Douguine, cueilli sur le site The Fourth Political Theory et consacré à la crise entre l'Occident et la Russie sur la question de l'Ukraine et de la Crimée... Théoricien russe du néo-eurasisme et géopolitologue influent et lu dans les cercles du pouvoir moscovites, Alexandre Douguine a vu un de ses essais La quatrième théorie politique récemment publié en France aux éditions Ars magna.

     

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    La guerre contre la Russie dans sa dimension idéologique

    La guerre à venir comme concept

    La guerre contre la Russie est actuellement la problématique la plus discutée en Occident. Il ne s’agit encore que d’une suggestion et d’une possibilité. Cela peut devenir une réalité en fonction des décisions prises par les différentes parties impliquées dans le conflit ukrainien (Moscou, Washington, Kiev, Bruxelles). Je n’entends pas discuter ici tous les aspects de ce conflit ainsi que son histoire. J’aimerais proposer à la place une analyse de ses racines idéologiques profondes. Ma vision des principaux événements s’appuie sur la Quatrième Théorie Politique dont j’ai exposé les principes dans mon ouvrage du même nom (publié en français aux éditions Ars Magna). Je ne vais ainsi pas étudier la guerre de l’Occident contre la Russie en évaluant ses risques, dangers, problèmes, coûts et conséquences mais plutôt sa signification idéologique à l’échelle du monde. Je vais ainsi réfléchir sur le sens d’une telle guerre et non sur la guerre elle-même (réelle ou virtuelle).

    L’essence du libéralisme

    L’Occident moderne ne connaît qu’une seule et unique idéologie dominante : le libéralisme. Il en  existe  bien  des  formes  aux  nombreuses  nuances  mais  l’essence  demeure  toujours identique. La structure interne fondamentale du libéralisme est composée des principes axiomatiques suivants :

    -Individualisme anthropologique (l’individu est la mesure de toute chose) ;

    -Progressisme (le monde se dirige vers un futur meilleur, le passé est toujours pire que présent) ;

    -Technocratie  (le  développement  technologique  et  sa  performance  effective  sont  perçuscomme les meilleurs outils pour juger de la nature d’une société) ;

    -Eurocentrisme (les sociétés euro-américaines sont considérées comme l’unité de mesure fondamentale pour le reste de l’humanité) ;

    -L’économie  comme  destin  (l’économie  basée  sur  le  libre  marché  est  l’unique  modèle économique valable, toutes les autres alternatives sont à réformer ou à détruire) ;

    -La démocratie comme règne des minorités (qui se défendent contre la majorité qui serait toujours prompte à dégénérer en totalitarisme ou en « populisme ») ;

    -La  classe  moyenne  est  le  seul  acteur  social  existant  et  devient  la  norme  universelle(indépendamment du fait que la personne ait déjà atteint ce statut ou soit sur le point de l’atteindre) ;

    -Un monde unique, mondialisme (les êtres humains sont essentiellement identiques. Il ne peut exister  que  des  différences  individuelles.  Le  monde  devrait  être  unifié  sur  une  base individualiste : cosmopolitisme, citoyenneté mondiale).

    Telles sont les valeurs centrales du libéralisme, qui n’est qu’une des trois tendances nées de la philosophie des Lumières, aux côtés du communisme et du fascisme, qui ont proposé des interprétations alternatives de l’esprit authentique de la Modernité. Au cours du XXème siècle, le libéralisme a vaincu ses deux rivaux et acquis, après 1991, le rôle d’unique idéologie dominante à l’échelle mondiale. Au Royaume du libéralisme, la seule liberté de choix était entre le libéralisme de gauche ou d’extrême gauche ou bien entre le libéralisme de droite ou d’extrême droite. Le libéralisme agissait ainsi comme le système opérationnel des societés occidentales et de toutes les sociétés placées sous l’influence de l’Occident. Le libéralisme est ainsi devenu à partir d’un certain moment le dénominateur commun à tout discours politiquement correct, le critère permettant de distinguer les discours acceptés par l’idéologie dominante de ceux rejetés dans la marginalité. La sagesse populaire est elle-même devenue libérale.

    Sur un plan géopolitique, le libéralisme s’est inscrit dans un modèle américano-centré où les anglo-saxons constituaient le coeur et où l’OTAN, le partenariat atlantiste entre l’Europe et l’Amérique, représentait le noyau stratégique du système de sécurité mondiale. La sécurité du monde était assimilée à la sécurité de l’Occident et, en dernière instance, à la sécurité de l’Amérique. Le libéralisme n’est ainsi pas qu’un pouvoir idéologique mais également un pouvoir politique, militaire et stratégique. L’OTAN est profondément libéral. Il défend les sociétés libérales. Il combat pour le libéralisme.

    Le libéralisme comme nihilisme

    Un élément de l’idéologie libérale est responsable de sa crise actuelle. Le libéralisme est profondément nihiliste dans ses fondements mêmes. L’ensemble des valeurs défendues par le libéralisme est lié à l’idée centrale de liberté, de libération. Cependant, la liberté dans la vision libérale est essentiellement une catégorie négative : on exige d’être libre par rapport à (John Suart Mill), et non pas d’être libre pour. Cela n’est pas un point secondaire, il s’agit de l’essence même du libéralisme.

    Le libéralisme est une lutte contre toute forme d’identité collective, contre tout type de valeurs, projets, stratégies, buts et fins qui s’établiraient sur une base collectiviste, ou à tout le moins non-individualiste. C’est la raison pour laquelle l’un des plus importants théoriciens du libéralisme, Karl Popper (suivant Friedrich van Hayek), affirme dans son important livre « La société ouverte et ses ennemis » (considéré par George Soros comme sa bible personnel) que les libéraux doivent combattre toute idéologie ou philosophie politique (de Platon et Aristote à  Hegel  et  Marx)  qui  proposerait  aux  sociétés  humaines  un  but  commun,  une  valeur commune, un sens commun. Tout but, toute valeur, tout sens doit être, dans la société libérale (la « société ouverte »), strictement individuel. Les ennemis de la « société ouverte » (toute la société occidentale post-guerre froide qui est considérée comme la norme de référence pour le reste du monde est précisément ce modèle libéral de société ouverte) sont ainsi faciles à identifier. Les ennemis principaux sont le communisme et le fascisme qui sont tous deux issus de la philosophie des Lumières et basés sur un concept fondateur non-individuel : la classe dans le marxisme, la race dans le national-socialisme, l’Etat national dans le fascisme. Le sens du combat libéral contre les alternatives modernes (fascisme ou communisme) est par ailleurs assez évident. Les libéraux prétendent libérer la société du fascisme et du communisme, des deux versions majeures du totalitarisme (explicitement non-individualiste). Le combat du libéralisme pour la liquidation des sociétés non-libérales est assez significatif : le libéralisme acquiert son sens par l’existence même d’idéologies qui se refusent à admettre l’individu comme valeur suprême. Il apparaît clairement contre quoi le combat a lieu, de quoi il faut se libérer. Le fait que la liberté telle que la conçoivent les libéraux est essentiellement une catégorie négative n’est ici pas clairement perçu. L’ennemi est ici et maintenant. Ce fait réel donne au libéralisme son contenu concret. Il est des sociétés « non ouvertes » et leur existence même suffit à justifier le processus de libération.

    La période unipolaire : la menace d’implosion

    En 1991, la chute de l’URSS, le dernier opposant au libéralisme occidental, a amené certains idéologues occidentaux à proclamer la fin de l’Histoire (p. ex : Francis Fukuyama). Assez logiquement : il n’y avait plus d’ennemi direct de la « société ouverte » et donc plus d’histoire au sens de la modernité, à savoir une lutte entre trois idéologies politiques (libéralisme, communisme, fascisme) pour l’héritage des Lumières. En termes stratégiques, ce fut le moment unipolaire (Charles Krauthammer). Cette période (1991-2014, avec en point d’orgue les attaques de Ben Laden sur le World Trade Center) fut réellement la période de domination mondiale du libéralisme. Les axiomes du libéralisme étaient acceptés par les principaux acteurs  géopolitiques,  y  compris  la  Chine  (dans  son  économie)  et  la  Russie  (dans  son idéologie, son économie et son système politique). Il y avait alors des libéraux, des libéraux en devenir, des « pas assez » libéraux et ainsi de suite. Les exceptions réelles et explicites étaient rares (Iran, Corée du Nord). Le monde devint libéral par ses axiomes idéologiques.

    Cela a été précisément le moment le plus important dans l’histoire du libéralisme. Il a vaincu ses ennemis mais les a en même temps perdus. Le libéralisme est essentiellement une libération, une lutte contre ce qui n’est (pas encore ou pas du tout) libéral. Le libéralisme a ainsi acquis son contenu, sa signification réelle par ses ennemis. Lorsque le choix porte entre la  non-liberté  (représentée  par  une  société  totalitaire  donnée)  et  la  liberté,  beaucoup choisissent la liberté sans se demander sur quoi porte cette liberté. Lorsque des sociétés non- libérales existent, le libéralisme est positif. Il commence à manifester son essence négative qu’après sa victoire.

    Après sa victoire en 1991, le libéralisme est entré dans sa phase implosive. Il est resté seul, sans ennemi à combattre, après avoir vaincu le communisme et le fascisme. Ce fut alors le moment pour débuter une lutte interne, une purge au sein même des sociétés libérales pour les débarrasser de tout élément non-libéral (le sexisme et les inégalités entre les sexes, le politiquement incorrect, toute dimension non-libérale qui imprègne des institutions comme l’Etat, l’Eglise et ainsi de suite). Le libéralisme a un besoin permanent d’ennemis pour s’en libérer. Autrement, il perd son contenu, son nihilisme implicite devient trop évident. Le triomphe absolu du libéralisme est sa mort.

    C’est tout le sens idéologique de la crise financière du début des années 2000 et de 2008. Les succès et non les échecs de cette nouvelle économie totalement financiarisée (le turbocapitalisme selon G. Luttwak) sont responsable de son effondrement. La liberté de faire tout ce qu’il vous plaît – mais uniquement au niveau individuel – provoque l’implosion de la personnalité. L’humain passe dans le monde de l’infra-humain, dans le domaine infra- individuel. Il rencontre là la virtualité. Être libéré de tout est un rêve infra-individuel ; c’est l’évaporation de l’humain. L’Empire du Néant est le dernier mot de la victoire totale du libéralisme. Le post-modernisme prépare le terrain de ce cycle infini de non-sens auto- référencé et post-historique.

    L’Occident en quête de l’Ennemi

    Vous  pourriez  vous  demander  maintenant :  mais  en  quoi  tout  ceci  concerne  la  guerre (présumée) à venir contre la Russie ? Je suis à présent prêt à répondre.

    Le libéralisme l’a emporté au niveau mondial. C’est un fait depuis 1991. Et il a commencé immédiatement à imploser. Il est arrivé à son stade terminal et a commencé à se liquider lui- même. L’immigration de masse, le choc des cultures et des civilisations, la crise financière, le terrorisme virtuel, la montée de l’ethnisme sont les marques d’un chaos qui s’approche. Ce chaos met en danger l’ordre, n’importe quel type d’ordre dont l’ordre libéral lui-même. Plus le libéralisme s’impose, plus il s’approche de sa fin, et donc de la fin du monde présent. Nous avons ici affaire à l’essence nihiliste de la philosophie libérale, où le néant apparaît comme le principe ontologique interne à la « liberté par rapport à ». L’anthropologue allemand Arnold Gehlen a justement défini l’homme comme une créature déficiente (Mängelwesen). L’homme en lui-même n’est rien. Tout ce qui compose son identité est issu de la société, de l’histoire, du peuple, de la politique. L’homme serait confronté au néant s’il retournait à sa pure essence. Cet abîme est dissimulé derrière des débris fragmentés de sentiments, des pensées vagues, des désirs obscurs. Derrière le voile fin de la virtualité des émotions infra-humaines ne se trouve qu’une pure obscurité. Ainsi, la découverte explicite du fondement nihiliste de la nature humaine  est  la  dernière  réalisation  du  libéralisme,  mais  aussi  son  ultime.  Cela  signifie également la fin pour ceux qui utilisent le libéralisme dans leur propre intérêt, qui sont les bénéficiaires   de   l’expansion   libérale,   les   maîtres   de   la   mondialisation.   Tout   ordre s’effondrerait devant un nihilisme aussi impérieux. L’ordre libéral également.

    Les bénéficiaires du libéralisme ont ainsi besoin de prendre un certain recul afin de sauver leur domination. Le libéralisme doit acquérir son sens en affrontant à nouveau une société non-libérale. Faire un pas en arrière est l’unique façon de sauver les restes de l’ordre, de sauver le libéralisme de lui-même. La Russie de Poutine apparaît alors à l’horizon. Ni antilibérale, ni totalitaire, ni nationaliste, ni communiste, mais plutôt pas encore assez libérale, pas totalement libéral-démocrate, insuffisamment cosmopolite, pas assez radicalement anti- communiste. Mais sur la voie de devenir libérale, pas à pas, dans un processus gramscien d’ajustement de l’hégémonie (Transformismo). Dans l’agenda mondial du libéralisme (USA, OTAN), il y a un besoin d’un nouvel acteur, d’une Russie qui justifierait l’ordre dans le camp libéral, qui aiderait à mobiliser l’Occident en train de s’effondrer en raison de ses problèmes internes, qui repousserait l’irruption inévitable du nihilisme interne du libéralisme, le sauvant ainsi de sa logique fin apocalyptique. C’est pourquoi tous ces gens ont un besoin impérieux de Poutine, de la Russie, de la guerre. C’est la seule manière de prévenir le chaos en Occident et de sauver les restes de son ordre. Le rôle idéologique de la Russie est de justifier l’existence du libéralisme, car la Russie est l’ennemi qui donne un sens au combat pour la « société ouverte », qui l’aide à se consolider et à s’affirmer.

    L’Islam radical (Al-Qaeda) était l’autre candidat pour ce rôle mais un tel ennemi manquait d’envergure.  Il  a  été  utilisé  à  un  niveau  uniquement  local.  Il  a  permis  de  justifier l’intervention en Afghanistan, l’occupation de l’Irak, le renversement de Kadhafi, et la provocation de la guerre civile en Syrie. L’islam radical était cependant trop faible et idéologiquement primitif pour constituer le défi réel dont les libéraux ont besoin. La Russie – ennemi géopolitique traditionnel des anglo-saxons – est un adversaire bien plus sérieux. Elle répond correctement à toutes les exigences : l’histoire et la mémoire de la guerre froide sont encore présentes dans les esprits et la haine de la Russie peut se susciter à l’aide de moyens relativement faibles. Pour cette raison, je pense que la guerre contre la Russie est possible. Elle est idéologiquement nécessaire en tant que moyen ultime de repousser l’implosion finale de l’Occident libéral. Un pas en arrière.

    Sauver l’ordre libéral

    En regardant les différents niveaux du concept de « guerre contre la Russie », je suis à même de soulever différents points.

    1) La guerre contre la Russie aide à différer le désordre général au niveau mondial. La majorité  des  pays  participant  à  l’économie  libérale,  qui  partagent  les  axiomes  et  les institutions de la démocratie libérale et qui dépendent ou sous directement contrôlés par les Etats-Unis ou l’OTAN pourront une nouvelle fois s’unir sous la bannière de l’Occident libéral dans son combat contre le non-libéral Poutine. Cette guerre servira à réaffirmer le libéralisme comme une identité positive au moment même où cette identité se dissout en raison de son essence nihiliste.

    2) La guerre contre la Russie renforcera l’OTAN et surtout ses membres européens qui seront obligés encore une fois de considérer que l’hyperpuissance américaine est positive et utile plutôt que d’y voir un reste obsolète de la guerre froide. Dans la peur de l’arrivée des méchants Russes, les Européens se sentiront à nouveau loyaux envers leur sauveur états- unien. Le rôle des Etats-Unis au sein de l’OTAN en sera d’autant plus renforcé.

    3) L’UE est en train de s’effondrer. La menace générale représentée par la Russie pourrait prévenir une éventuelle scission en mobilisant les peuples pour leur faire défendre encore une fois leurs libertés et leurs valeurs menacées par l’Empire de Poutine.

    4) L’Ukraine et la junte de Kiev ont besoin de la guerre pour justifier et couvrir toutes les forfaitures commises au niveau juridique et constitutionnel, pour suspendre la démocratie (qui entraverait leur domination dans les districts du sud-est majoritairement pro-russes) et pour installer un ordre nationaliste par des moyens extrêmes.

    Le seul pays qui ne souhaite pas la guerre est la Russie. Cependant, Poutine ne peut laisser un gouvernement radicalement anti-russe gouverner un pays dont la moitié de la population est russe et qui est composé de nombreuses zones pro-russes. S’il laissait faire, il en serait fini de lui sur la scène internationale comme sur la scène de la politique intérieure. Il accepte donc la guerre à contrecœur. Une fois entrée en guerre, il n’y aura d’autre solution pour la Russie que la victoire. Je n’aime pas spéculer sur les aspects stratégiques de la guerre. Je laisse ça à des experts qualifiés. Je voudrais formuler plusieurs idées concernant la dimension idéologique de cette guerre.

    La représentation de Poutine

    Cette guerre contre la Russie est le dernier effort pour sauver le libéralisme de l’implosion. En ce sens, les libéraux doivent définir idéologiquement la Russie de Poutine comme l’ennemie de  la  société  ouverte.  Il  n’existe  que  trois  entrées  dans  le  dictionnaire  des  idéologies modernes : le libéralisme, le communisme et le fascisme (nazisme). Il est assez clair que le libéralisme est représenté par tout sauf la Russie (Etats-Unis, OTAN, Euromaïdan, la junte de Kiev).  Il  reste  donc  le  communisme  et  le  fascisme.  Ainsi  Poutine  est  un  Soviet,  un communiste  du  KGB.  Cette  image  sera  vendue  à  la  frange  la  plus  stupide  du  public occidental. Certains aspects de la réaction patriotique de la population ukrainienne pro-russe et anti-banderiste pourront cependant confirmer cette idée (défense des monuments de Lénine, des portraits de Staline et de la mémoire de la seconde guerre mondiale). Le nazisme et le fascisme sont trop éloignés de Poutine et de la Russie moderne, mais le nationalisme et l’impérialisme russes seront invoqués dans la construction de l’image du grand Satan. Ainsi Poutine est nationaliste, fasciste et impérialiste. Cela fonctionnera sur d’autres occidentaux. Poutine peut aussi être les deux à la fois, communiste et fasciste en même temps, il sera ainsi dépeint comme un national-bolcheviste (mais cela sera un peu compliqué à vendre au public occidental post-moderne complètement ignorant). En réalité, il est évident que Poutine n’est rien de tout cela, ni communiste, ni fasciste, ni les deux. Il est politiquement réaliste (au sens que ce terme a dans les relations internationales, c’est pourquoi il apprécie Kissinger et que Kissinger l’apprécie en retour). Il n’a aucune idéologie d’aucune sorte. Mais il sera obligé de composer avec sa représentation idéologique. Il n’a pas le choix car telles sont les règles du jeu. Au cours de la guerre, Poutine fera l’objet de représentations et c’est là l’aspect le plus intéressant et passionné de la situation.

    Les  libéraux  vont  principalement  tenter  de  définir  Poutine  idéologiquement  comme  une ombre du passé, un vampire « qui parfois revient ». C’est la véritable raison du recul visant à prévenir l’implosion finale du libéralisme. Le message principal sera que le libéralisme est réellement en vie et plein de force car il y a encore quelque chose dans le monde dont nous devons  nous  libérer.  La  Russie  deviendra  l’objet  de  la  libération.  Le  but  est  de  libérer l’Ukraine (et l’Europe, voire l’humanité) de la Russie et à la fin de libérer la Russie elle- même de son identité non-libérale. Ainsi nous avons l’Ennemi. Un tel ennemi donne au libéralisme une raison d’exister encore. La Russie est ainsi le défi que le passé pré-libéral jette au présent libéral. Sans un tel défi, il n’y a plus de vie dans le libéralisme, plus d’ordre dans le monde, tout se dissout et implose. Avec un tel défi, le géant décadent du mondialisme acquiert une vigueur nouvelle. La Russie est là pour sauver les libéraux.

    A cette fin, la Russie doit idéologiquement être représentée comme quelque chose de pré- libérale. Il doit s’agir d’une Russie communiste, fasciste ou au moins national-bolcheviste. C’est la règle idéologique. Au-delà de combattre la Russie ou de juste considérer la possibilité de la combattre, il existe une tâche plus profonde qui consiste à qualifier idéologiquement la Russie. Cela se fera de l’intérieur et de l’extérieur. Ils essaieront de contraindre la Russie à accepter le communisme ou le nationalisme ou bien traiteront la Russie comme si elle était communiste ou nationaliste. C’est le jeu de la représentation.

    La Russie post-libérale : la première guerre de la Quatrième Théorie Politique

    En conclusion, je propose ce qui suit.

    Nous devons consciencieusement combattre toute tentative visant à représenter la Russie comme une puissance pré-libérale. Nous ne devons pas laisser les libéraux se sauver de leur fin qui s’approche fatalement. Nous ne devons pas retarder cette fin mais l’accélérer. A cette fin, nous devons présenter la Russie non comme une entité pré-libérale mais comme une force révolutionnaire post-libérale combattant en faveur d’un futur alternatif pour tous les peuples de la planète. La guerre russe ne se fera pas pour les intérêts nationaux russes mais pour le monde multipolaire juste, pour la dignité authentique et la véritable liberté positive, non pas la liberté « par rapport à » mais la liberté « pour ». Dans cette guerre, la Russie deviendra le modèle de la défense de la Tradition, des valeurs conservatrices organiques et de la libération réelle de la société ouverte et de ses bénéficiaires : l’oligarchie financière mondiale. Cette guerre n’est pas contre les Ukrainiens ou une partie des Ukrainiens, ni contre l’Europe. C’est une guerre contre le (dés)ordre libéral mondial et nous n’allons pas sauver le libéralisme mais l’abattre une fois pour toutes. La Modernité était fausse pour l’essentiel. Nous sommes au stade terminal de la Modernité. Cela signifie la fin réelle de ceux qui ont fait de la Modernité leur propre destin ou qui l’ont inconsciemment laissé faire. En revanche, cela sera un nouveau commencement pour ceux qui sont du côté de la vérité éternelle de la Tradition, de la Foi, de l’essence humaine spirituelle et immortelle.  Le combat le plus important actuellement est le combat pour la Quatrième Théorie Politique. C’est l’arme qui nous permettra d’empêcher que l’on représente Poutine comme les libéraux le voudraient. A l’aide de cette arme, nous pourrons réaffirmer que la Russie est la première puissance idéologique post-libérale combattant contre le libéralisme nihiliste pour le salut d’un futur ouvert, multipolaire et réellement libre.

    Alexandre Douguine (The fourth political theory, 12 mars 2014)

     

     

    La guerre à venir comme concept

    La guerre contre la Russie est actuellement la problématique la plus discutée en Occident. Il ne s’agit encore que d’une suggestion et d’une possibilité. Cela peut devenir une réalité en fonction des décisions prises par les différentes parties impliquées dans le conflit ukrainien (Moscou, Washington, Kiev, Bruxelles). Je n’entends pas discuter ici tous les aspects de ce conflit ainsi que son histoire. J’aimerais proposer à la place une analyse de ses racines idéologiques profondes. Ma vision des principaux événements s’appuie sur la Quatrième Théorie Politique dont j’ai exposé les principes dans mon ouvrage du même nom (publié en français aux éditions Ars Magna). Je ne vais ainsi pas étudier la guerre de l’Occident contre la Russie en évaluant ses risques, dangers, problèmes, coûts et conséquences mais plutôt sa signification idéologique à l’échelle du monde. Je vais ainsi réfléchir sur le sens d’une telle guerre et non sur la guerre elle-même (réelle ou virtuelle).

    L’essence du libéralisme

    L’Occident moderne ne connaît qu’une seule et unique idéologie dominante : le libéralisme. Il en  existe  bien  des  formes  aux  nombreuses  nuances  mais  l’essence  demeure  toujours identique. La structure interne fondamentale du libéralisme est composée des principes axiomatiques suivants :

    • -Individualisme anthropologique (l’individu est la mesure de toute chose) ;
    • -Progressisme (le monde se dirige vers un futur meilleur, le passé est toujours pire que présent) ;
    • -Technocratie  (le  développement  technologique  et  sa  performance  effective  sont  perçuscomme les meilleurs outils pour juger de la nature d’une société) ;
    • -Eurocentrisme (les sociétés euro-américaines sont considérées comme l’unité de mesurefondamentale pour le reste de l’humanité) ;
    • -L’économie  comme  destin  (l’économie  basée  sur  le  libre  marché  est  l’unique  modèleéconomique valable, toutes les autres alternatives sont à réformer ou à détruire) ;
    • -La démocratie comme règne des minorités (qui se défendent contre la majorité qui seraittoujours prompte à dégénérer en totalitarisme ou en « populisme ») ;
    • -La  classe  moyenne  est  le  seul  acteur  social  existant  et  devient  la  norme  universelle(indépendamment du fait que la personne ait déjà atteint ce statut ou soit sur le point de l’atteindre) ;
    • -Un monde unique, mondialisme (les êtres humains sont essentiellement identiques. Il ne peut exister  que  des  différences  individuelles.  Le  monde  devrait  être  unifié  sur  une  baseindividualiste : cosmopolitisme, citoyenneté mondiale).

    Telles sont les valeurs centrales du libéralisme, qui n’est qu’une des trois tendances nées de la philosophie des Lumières, aux côtés du communisme et du fascisme, qui ont proposé des interprétations alternatives de l’esprit authentique de la Modernité. Au cours du XXème siècle, le libéralisme a vaincu ses deux rivaux et acquis, après 1991, le rôle d’unique idéologie dominante à l’échelle mondiale. Au Royaume du libéralisme, la seule liberté de choix était entre le libéralisme de gauche ou d’extrême gauche ou bien entre le libéralisme de droite ou d’extrême droite. Le libéralisme agissait ainsi comme le système opérationnel des societies occidentales et de toutes les sociétés placées sous l’influence de l’Occident. Le libéralisme est ainsi devenu à partir d’un certain moment le dénominateur commun à tout discours politiquement correct, le critère permettant de distinguer les discours acceptés par l’idéologie dominante de ceux rejetés dans la marginalité. La sagesse populaire est elle-même devenue libérale.

    Sur un plan géopolitique, le libéralisme s’est inscrit dans un modèle américano-centré où les anglo-saxons constituaient le coeur et où l’OTAN, le partenariat atlantiste entre l’Europe et l’Amérique, représentait le noyau stratégique du système de sécurité mondiale. La sécurité du monde était assimilée à la sécurité de l’Occident et, en dernière instance, à la sécurité de l’Amérique. Le libéralisme n’est ainsi pas qu’un pouvoir idéologique mais également un pouvoir politique, militaire et stratégique. L’OTAN est profondément libéral. Il défend les sociétés libérales. Il combat pour le libéralisme.

    Le libéralisme comme nihilisme

    Un élément de l’idéologie libérale est responsable de sa crise actuelle. Le libéralisme est profondément nihiliste dans ses fondements mêmes. L’ensemble des valeurs défendues par le libéralisme est lié à l’idée centrale de liberté, de libération. Cependant, la liberté dans la vision libérale est essentiellement une catégorie négative : on exige d’être libre par rapport à (John Suart Mill), et non pas d’être libre pour. Cela n’est pas un point secondaire, il s’agit de l’essence même du libéralisme.

    Le libéralisme est une lutte contre toute forme d’identité collective, contre tout type de valeurs, projets, stratégies, buts et fins qui s’établiraient sur une base collectiviste, ou à tout le moins non-individualiste. C’est la raison pour laquelle l’un des plus importants théoriciens du libéralisme, Karl Popper (suivant Friedrich van Hayek), affirme dans son important livre « La société ouverte et ses ennemis » (considéré par George Soros comme sa bible personnel) que les libéraux doivent combattre toute idéologie ou philosophie politique (de Platon et Aristoteà  Hegel  et  Marx)  qui  proposerait  aux  sociétés  humaines  un  but  commun,  une  valeur commune, un sens commun. Tout but, toute valeur, tout sens doit être, dans la société libérale (la « société ouverte »), strictement individuel. Les ennemis de la « société ouverte » (toute la société occidentale post-guerre froide qui est considérée comme la norme de référence pour le reste du monde est précisément ce modèle libéral de société ouverte) sont ainsi faciles à identifier. Les ennemis principaux sont le communisme et le fascisme qui sont tous deux issus de la philosophie des Lumières et basés sur un concept fondateur non-individuel : la classe dans le marxisme, la race dans le national-socialisme, l’Etat national dans le fascisme. Le sens du combat libéral contre les alternatives modernes (fascisme ou communisme) est par ailleurs assez évident. Les libéraux prétendent libérer la société du fascisme et du communisme, des deux versions majeures du totalitarisme (explicitement non-individualiste). Le combat du libéralisme pour la liquidation des sociétés non-libérales est assez significatif : le libéralisme acquiert son sens par l’existence même d’idéologies qui se refusent à admettre l’individu comme valeur suprême. Il apparaît clairement contre quoi le combat a lieu, de quoi il faut se libérer. Le fait que la liberté telle que la conçoivent les libéraux est essentiellement une catégorie négative n’est ici pas clairement perçu. L’ennemi est ici et maintenant. Ce fait réel donne au libéralisme son contenu concret. Il est des sociétés « non ouvertes » et leur existence même suffit à justifier le processus de libération.

    La période unipolaire : la menace d’implosion

    En 1991, la chute de l’URSS, le dernier opposant au libéralisme occidental, a amené certains idéologues occidentaux à proclamer la fin de l’Histoire (p. ex : Francis Fukuyama). Assez logiquement : il n’y avait plus d’ennemi direct de la « société ouverte » et donc plus d’histoire au sens de la modernité, à savoir une lutte entre trois idéologies politiques (libéralisme, communisme, fascisme) pour l’héritage des Lumières. En termes stratégiques, ce fut le moment unipolaire (Charles Krauthammer). Cette période (1991-2014, avec en point d’orgue les attaques de Ben Laden sur le World Trade Center) fut réellement la période de domination mondiale du libéralisme. Les axiomes du libéralisme étaient acceptés par les principaux acteurs  géopolitiques,  y  compris  la  Chine  (dans  son  économie)  et  la  Russie  (dans  son idéologie, son économie et son système politique). Il y avait alors des libéraux, des libéraux en devenir, des « pas assez » libéraux et ainsi de suite. Les exceptions réelles et explicites étaient rares (Iran, Corée du Nord). Le monde devint libéral par ses axiomes idéologiques.

    Cela a été précisément le moment le plus important dans l’histoire du libéralisme. Il a vaincu ses ennemis mais les a en même temps perdus. Le libéralisme est essentiellement une libération, une lutte contre ce qui n’est (pas encore ou pas du tout) libéral. Le libéralisme a ainsi acquis son contenu, sa signification réelle par ses ennemis. Lorsque le choix porte entre la  non-liberté  (représentée  par  une  société  totalitaire  donnée)  et  la  liberté,  beaucoup choisissent la liberté sans se demander sur quoi porte cette liberté. Lorsque des sociétés non- libérales existent, le libéralisme est positif. Il commence à manifester son essence négative qu’après sa victoire.

    Après sa victoire en 1991, le libéralisme est entré dans sa phase implosive. Il est resté seul, sans ennemi à combattre, après avoir vaincu le communisme et le fascisme. Ce fut alors le moment pour débuter une lutte interne, une purge au sein même des sociétés libérales pour les débarrasser de tout élément non-libéral (le sexisme et les inégalités entre les sexes, le politiquement incorrect, toute dimension non-libérale qui imprègne des institutions comme l’Etat, l’Eglise et ainsi de suite). Le libéralisme a un besoin permanent d’ennemis pour s’en libérer. Autrement, il perd son contenu, son nihilisme implicite devient trop évident. Le triomphe absolu du libéralisme est sa mort.

    C’est tout le sens idéologique de la crise financière du début des années 2000 et de 2008. Les succès et non les échecs de cette nouvelle économie totalement financiarisée (le turbocapitalisme selon G. Lytwak) sont responsable de son effondrement. La liberté de faire tout ce qu’il vous plaît – mais uniquement au niveau individuel – provoque l’implosion de la personnalité. L’humain passe dans le monde de l’infra-humain, dans le domaine infra- individuel. Il rencontre là la virtualité. Être libéré de tout est un rêve infra-individuel ; c’est l’évaporation de l’humain. L’Empire du Néant est le dernier mot de la victoire totale du libéralisme. Le post-modernisme prépare le terrain de ce cycle infini de non-sens auto- référencé et post-historique.

    L’Occident en quête de l’Ennemi

    Vous  pourriez  vous  demander  maintenant :  mais  en  quoi  tout  ceci  concerne  la  guerre (présumée) à venir contre la Russie ? Je suis à présent prêt à répondre.

    Le libéralisme l’a emporté au niveau mondial. C’est un fait depuis 1991. Et il a commencé immédiatement à imploser. Il est arrivé à son stade terminal et a commencé à se liquider lui- même. L’immigration de masse, le choc des cultures et des civilisations, la crise financière, le terrorisme virtuel, la montée de l’ethnisme sont les marques d’un chaos qui s’approche. Ce chaos met en danger l’ordre, n’importe quel type d’ordre dont l’ordre libéral lui-même. Plus le libéralisme s’impose, plus il s’approche de sa fin, et donc de la fin du monde présent. Nous avons ici affaire à l’essence nihiliste de la philosophie libérale, où le néant apparaît comme le principe ontologique interne à la « liberté par rapport à ». L’anthropologue allemand Arnold Gehlen a justement défini l’homme comme une créature déficiente (Mängelwesen). L’homme en lui-même n’est rien. Tout ce qui compose son identité est issu de la société, de l’histoire, du peuple, de la politique. L’homme serait confronté au néant s’il retournait à sa pure essence. Cet abîme est dissimulé derrière des débris fragmentés de sentiments, des pensées vagues, des désirs obscurs. Derrière le voile fin de la virtualité des émotions infra-humaines ne se trouve qu’une pure obscurité. Ainsi, la découverte explicite du fondement nihiliste de la nature humaine  est  la  dernière  réalisation  du  libéralisme,  mais  aussi  son  ultime.  Cela  signifie également la fin pour ceux qui utilisent le libéralisme dans leur propre intérêt, qui sont les bénéficiaires   de   l’expansion   libérale,   les   maîtres   de   la   mondialisation.   Tout   ordre s’effondrerait devant un nihilisme aussi impérieux. L’ordre libéral également.

    Les bénéficiaires du libéralisme ont ainsi besoin de prendre un certain recul afin de sauver leur domination. Le libéralisme doit acquérir son sens en affrontant à nouveau une société non-libérale. Faire un pas en arrière est l’unique façon de sauver les restes de l’ordre, de sauver le libéralisme de lui-même. La Russie de Poutine apparaît alors à l’horizon. Ni antilibérale, ni totalitaire, ni nationaliste, ni communiste, mais plutôt pas encore assez libérale, pas totalement libéral-démocrate, insuffisamment cosmopolite, pas assez radicalement anti- communiste. Mais sur la voie de devenir libérale, pas à pas, dans un processus gramscien d’ajustement de l’hégémonie (Transformismo). Dans l’agenda mondial du libéralisme (USA, OTAN), il y a un besoin d’un nouvel acteur, d’une Russie qui justifierait l’ordre dans le camp libéral, qui aiderait à mobiliser l’Occident en train de s’effondrer en raison de ses problèmes internes, qui repousserait l’irruption inévitable du nihilisme interne du libéralisme, le sauvant ainsi de sa logique fin apocalyptique. C’est pourquoi tous ces gens ont un besoin impérieux de Poutine, de la Russie, de la guerre. C’est la seule manière de prévenir le chaos en Occident et de sauver les restes de son ordre. Le rôle idéologique de la Russie est de justifier l’existence du libéralisme, car la Russie est l’ennemi qui donne un sens au combat pour la « société ouverte », qui l’aide à se consolider et à s’affirmer.

    L’Islam radical (Al-Qaeda) était l’autre candidat pour ce rôle mais un tel ennemi manquait d’envergure.  Il  a  été  utilisé  à  un  niveau  uniquement  local.  Il  a  permis  de  justifier l’intervention en Afghanistan, l’occupation de l’Irak, le renversement de Kadhafi, et la provocation de la guerre civile en Syrie. L’islam radical était cependant trop faible et idéologiquement primitif pour constituer le défi réel dont les libéraux ont besoin. La Russie – ennemi géopolitique traditionnel des anglo-saxons – est un adversaire bien plus sérieux. Elle répond correctement à toutes les exigences : l’histoire et la mémoire de la guerre froide sont encore présentes dans les esprits et la haine de la Russie peut se susciter à l’aide de moyens relativement faibles. Pour cette raison, je pense que la guerre contre la Russie est possible. Elle est idéologiquement nécessaire en tant que moyen ultime de repousser l’implosion finale de l’Occident libéral. Un pas en arrière.

    Sauver l’ordre libéral

    En regardant les différents niveaux du concept de « guerre contre la Russie », je suis à même de soulever différents points.

    1) La guerre contre la Russie aide à différer le désordre général au niveau mondial. La majorité  des  pays  participant  à  l’économie  libérale,  qui  partagent  les  axiomes  et  les institutions de la démocratie libérale et qui dépendent ou sous directement contrôlés par les Etats-Unis ou l’OTAN pourront une nouvelle fois s’unir sous la bannière de l’Occident libéral dans son combat contre le non-libéral Poutine. Cette guerre servira à réaffirmer le libéralisme comme une identité positive au moment même où cette identité se dissout en raison de son essence nihiliste.

    2) La guerre contre la Russie renforcera l’OTAN et surtout ses membres européens qui seront obligés encore une fois de considérer que l’hyperpuissance américaine est positive et utile plutôt que d’y voir un reste obsolète de la guerre froide. Dans la peur de l’arrivée des méchants Russes, les Européens se sentiront à nouveau loyaux envers leur sauveur états- unien. Le rôle des Etats-Unis au sein de l’OTAN en sera d’autant plus renforcé.

    3) L’UE est en train de s’effondrer. La menace générale représentée par la Russie pourrait prévenir une éventuelle scission en mobilisant les peuples pour leur faire défendre encore une fois leurs libertés et leurs valeurs menacées par l’Empire de Poutine.

    4) L’Ukraine et la junte de Kiev ont besoin de la guerre pour justifier et couvrir toutes les forfaitures commises au niveau juridique et constitutionnel, pour suspendre la démocratie (qui entraverait leur domination dans les districts du sud-est majoritairement pro-russes) et pour installer un ordre nationaliste par des moyens extrêmes.

    Le seul pays qui ne souhaite pas la guerre est la Russie. Cependant, Poutine ne peut laisser un gouvernement radicalement anti-russe gouverner un pays dont la moitié de la population est russe et qui est composé de nombreuses zones pro-russes. S’il laissait faire, il en serait fini de lui sur la scène internationale comme sur la scène de la politique intérieure. Il accepte donc la guerre à contrecœur. Une fois entrée en guerre, il n’y aura d’autre solution pour la Russie que la victoire. Je n’aime pas spéculer sur les aspects stratégiques de la guerre. Je laisse ça à des experts qualifiés. Je voudrais formuler plusieurs idées concernant la dimension idéologique de cette guerre.

    La représentation de Poutine

    Cette guerre contre la Russie est le dernier effort pour sauver le libéralisme de l’implosion. En ce sens, les libéraux doivent définir idéologiquement la Russie de Poutine comme l’ennemie de  la  société  ouverte.  Il  n’existe  que  trois  entrées  dans  le  dictionnaire  des  idéologies modernes : le libéralisme, le communisme et le fascisme (nazisme). Il est assez clair que le libéralisme est représenté par tout sauf la Russie (Etats-Unis, OTAN, Euromaïdan, la junte de Kiev).  Il  reste  donc  le  communisme  et  le  fascisme.  Ainsi  Poutine  est  un  Soviet,  un communiste  du  KGB.  Cette  image  sera  vendue  à  la  frange  la  plus  stupide  du  public occidental. Certains aspects de la réaction patriotique de la population ukrainienne pro-russe et anti-banderiste pourront cependant confirmer cette idée (défense des monuments de Lénine, des portraits de Staline et de la mémoire de la seconde guerre mondiale). Le nazisme et le fascisme sont trop éloignés de Poutine et de la Russie moderne, mais le nationalisme et l’impérialisme russes seront invoqués dans la construction de l’image du grand Satan. Ainsi Poutine est nationaliste, fasciste et impérialiste. Cela fonctionnera sur d’autres occidentaux. Poutine peut aussi être les deux à la fois, communiste et fasciste en même temps, il sera ainsi dépeint comme un national-bolcheviste (mais cela sera un peu compliqué à vendre au public occidental post-moderne complètement ignorant). En réalité, il est évident que Poutine n’est rien de tout cela, ni communiste, ni fasciste, ni les deux. Il est politiquement réaliste (au sens que ce terme a dans les relations internationales, c’est pourquoi il apprécie Kissinger et que Kissinger l’apprécie en retour). Il n’a aucune idéologie d’aucune sorte. Mais il sera obligé de composer avec sa représentation idéologique. Il n’a pas le choix car telles sont les règles du jeu. Au cours de la guerre, Poutine fera l’objet de représentations et c’est là l’aspect le plus intéressant et passionné de la situation.

    Les  libéraux  vont  principalement  tenter  de  définir  Poutine  idéologiquement  comme  une ombre du passé, un vampire « qui parfois revient ». C’est la véritable raison du recul visant à prévenir l’implosion finale du libéralisme. Le message principal sera que le libéralisme est réellement en vie et plein de force car il y a encore quelque chose dans le monde dont nous devons  nous  libérer.  La  Russie  deviendra  l’objet  de  la  libération.  Le  but  est  de  libérer l’Ukraine (et l’Europe, voire l’humanité) de la Russie et à la fin de libérer la Russie elle- même de son identité non-libérale. Ainsi nous avons l’Ennemi. Un tel ennemi donne au libéralisme une raison d’exister encore. La Russie est ainsi le défi que le passé pré-libéral jette au présent libéral. Sans un tel défi, il n’y a plus de vie dans le libéralisme, plus d’ordre dans le monde, tout se dissout et implose. Avec un tel défi, le géant décadent du mondialisme acquiert une vigueur nouvelle. La Russie est là pour sauver les libéraux.

    A cette fin, la Russie doit idéologiquement être représentée comme quelque chose de pré- libérale. Il doit s’agir d’une Russie communiste, fasciste ou au moins national-bolcheviste. C’est la règle idéologique. Au-delà de combattre la Russie ou de juste considérer la possibilité de la combattre, il existe une tâche plus profonde qui consiste à qualifier idéologiquement la Russie. Cela se fera de l’intérieur et de l’extérieur. Ils essaieront de contraindre la Russie à accepter le communisme ou le nationalisme ou bien traiteront la Russie comme si elle était communiste ou nationaliste. C’est le jeu de la représentation.

    La Russie post-libérale : la première guerre de la Quatrième Théorie Politique

    En conclusion, je propose ce qui suit.

    Nous devons consciencieusement combattre toute tentative visant à représenter la Russie comme une puissance pré-libérale. Nous ne devons pas laisser les libéraux se sauver de leur fin qui s’approche fatalement. Nous ne devons pas retarder cette fin mais l’accélérer. A cette fin, nous devons présenter la Russie non comme une entité pré-libérale mais comme une force révolutionnaire post-libérale combattant en faveur d’un futur alternatif pour tous les peuples de la planète. La guerre russe ne se fera pas pour les intérêts nationaux russes mais pour le monde multipolaire juste, pour la dignité authentique et la véritable liberté positive, non pas la liberté « par rapport à » mais la liberté « pour ». Dans cette guerre, la Russie deviendra le modèle de la défense de la Tradition, des valeurs conservatrices organiques et de la libération réelle de la société ouverte et de ses bénéficiaires : l’oligarchie financière mondiale. Cette guerre n’est pas contre les Ukrainiens ou une partie des Ukrainiens, ni contre l’Europe. C’est une guerre contre le (dés)ordre libéral mondial et nous n’allons pas sauver le libéralisme mais l’abattre une fois pour toutes. La Modernité était fausse pour l’essentiel. Nous sommes au stade terminal de la Modernité. Cela signifie la fin réelle de ceux qui ont fait de la Modernité leur propre destin ou qui l’ont inconsciemment laissé faire. En revanche, cela sera un nouveau commencement pour ceux qui sont du côté de la vérité éternelle de la Tradition, de la Foi, de l’essence humaine spirituelle et immortelle.  Le combat le plus important actuellement est le combat pour la Quatrième Théorie Politique. C’est l’arme qui nous permettra d’empêcher que l’on représente Poutine comme les libéraux le voudraient. A l’aide de cette arme, nous pourrons réaffirmer que la Russie est la première puissance idéologique post-libérale combattant contre le libéralisme nihiliste pour le salut d’un futur ouvert, multipolaire et réellement libre.

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