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Géopolitique - Page 37

  • Occident-Russie : un tango stratégique à haut risque...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la crise ouverte entre l'Occident et la Russie. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre(Nuvis, 2013).

     

     

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    Occident-Russie : un tango stratégique à haut risque

    Danser le tango sur un volcan les yeux fermés, c'est grisant. Cela donne une illusion de puissance. Mais le tango est une danse où l'on ne peut tenir son partenaire à distance, encore moins le mépriser ou le sous-estimer, sans se prendre les pieds dans le tapis. Il faut sinon s'aimer, du moins se rapprocher assez pour avancer sans chuter.

    L'Europe et, derrière elle, l'Amérique sont un peu dans cette situation. Elles croient encore mener la danse, mais humilient tant leur partenaire russe qu'elles vont faire advenir ce qu'elles redoutent. Une prophétie autoréalisatrice dramatique pour la paix et la sécurité mondiales. Notre indécrottable ethnocentrisme pourrait nous entraîner dans une surenchère diplomatico-militaire jusqu'au cratère incandescent de l'affrontement militaire sans autre issue qu'un affaiblissement stratégique durable de notre continent.

    Incapables d'ouvrir les yeux sur nous-mêmes comme sur ce "Grand Russe" et son peuple enamouré d'un autre d'âge, qui heurtent notre conception de la modernité politique, on croit avoir enfin trouvé la parade en criant à la provocation et au complot. Selon l'Occident, les menaces de Vladimir Poutine ne traduisent pas la crispation croissante d'une puissance acculée qui montre les dents en attendant une main tendue pour baisser les babines. C'est la marque belliqueuse d'une volonté de puissance incompréhensible et intolérable. Interprétation confondante de simplisme et d'ignorance.

    La stratégie du pire

    Qui a provoqué qui ? Le grand méchant tsar Poutine ? L'Occident qui en veut à la Russie de vouloir survivre comme puissance globale ? Au point où l'on en est, il serait temps de faire preuve d'un minimum d'honnêteté intellectuelle et de dédramatiser la situation. Avant que les "jusqu'au-boutistes" locaux de chaque camp ne rendent le conflit incontrôlable et n'attisent les braises d'autres théâtres de confrontation globale avec Moscou où nous ne pouvons que perdre.

    Le risque en effet n'est pas seulement de pousser la Russie à compliquer, en représailles, notre lutte contre le salafisme combattant en Orient, en Irak ou en Syrie. Elle aussi en souffre dans le Caucase, avec la réapparition opportune d'un sombre émir tchétchène qui promet de porter le feu sur son territoire. On en vient surtout à craindre que l'Europe et l'Amérique ne se laissent entraîner dans un conflit militaire direct contre la Russie. Au prétexte - seriné à nos oreilles naïves par certains dirigeants ukrainiens - que l'Ukraine constituerait l'ultime rempart de l'Occident et de l'Europe contre la "barbarie néo soviétique" ! La montée en gamme courroucée des capitales occidentales contre Moscou et les "appels à l'aide" de Kiev rappellent une autre stratégie du pire, celle des autorités de Sarajevo en 1991-1992, avec les résultats sanglants que l'on connaît...  

    Si le président P. Porochenko, oligarque pragmatique, paraît vouloir lancer la réforme du pays le plus corrompu d'Europe, son Premier ministre A. Iatseniouk s'affaire à répandre des bonbonnes d'huile sur le feu en bombardant les faubourgs des villes pro-russes ; en refusant de payer fonctionnaires et retraités des régions félonnes, consolidant ainsi la séparation politique et économique des populations orientales d'avec celles de l'ouest du pays ; en faisant de Kiev le nouveau hot spot pour les responsables de l'Otan en goguette ; en remettant les clefs des Finances ukrainiennes à une Américaine du Département d'État opportunément naturalisée, celles de l'Économie à un Lituanien, la réforme du système de santé à un Géorgien dont on peut imaginer les soutiens et les allégeances.

    "La Russie éternelle"

    Ce n'est plus un chiffon rouge, mais un grand drap cramoisi que l'on agite sous le nez de Moscou. Tout est fait pour que la situation dégénère, que Poutine perde son calme, que ses "proxys" locaux, réels ou autoproclamés, en profitent, que les marionnettes des deux camps s'affranchissent de leurs "animateurs" pour mettre le pays à feu et à sang. Tout cela dans un contexte de faillite imminente du pays et de sanctions qui affaiblissent durablement l'économie russe, donc poussent son chef à plus de rigidité et de contrôle sur sa population.

    Un peuple qui l'adule dans son immense majorité. Pourquoi ? Vladimir Poutine lui propose de se vivre comme grand et incompris ; il l'appelle au sauvetage de la patrie et au sacrifice au nom d'une orthodoxie vivante jumelée au pouvoir politique. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre cette alliance détonante et efficace. Poutine n'a pas besoin de notre accord ni qu'on vienne lui faire la leçon ou lui reprocher ses menaces de représailles dans l'affaire des Mistral. Il s'agit de comprendre que cette dimension sacrificielle du peuple russe constitue le socle d'un régime qui incarne la "Russie éternelle" - dont les cérémonies des Jeux de Sotchi ont donné une somptueuse métaphore -, la destinée glorieuse et souffrante d'un peuple différent par essence, qui doit survivre et trouver sa place dans le monde sans se soumettre.

    Ce vécu collectif intense est le moteur d'une formidable résilience populaire, qui protège le régime de nos assauts et que nous serions bien inspirés de mesurer, car il impacte directement l'efficacité de toute "stratégie" dans cette crise. Crise vue par les Russes, même les plus simples, surtout les plus simples, comme symbolique de la lutte en cours pour la redéfinition des "valeurs" et principes structurants de l'Occident au sens large, dont, ne nous en déplaise, Moscou se considère comme l'un des piliers.

    Un dogmatisme inopérant

    Mais, à Paris du moins, on ne prend pas le chemin de la lucidité ou de la conciliation. On s'enkyste dans un dogmatisme inopérant, on croit pouvoir encore dire à Moscou que l'on n'est pas content, que Vladimir Poutine doit faire acte de repentance, se soumettre à nos desiderata, laisser l'Ukraine basculer dans notre camp, entrer dans l'UE et l'Otan ; qu'il doit abandonner ses populations russophones à notre influence bienveillante et renoncer à une quelconque ambition de préserver et/ou de restaurer sa sphère d'influence régionale ancienne, qui nous appartient désormais. Un point c'est tout.

    Souhaitons que la récente rencontre-éclair de notre président avec le maître du Kremlin ne soit pas qu'un "coup" à visée politique interne, mais traduise une prise de conscience salutaire et durable, redonnant ainsi à notre pays une place de médiateur utile sur de multiples fronts de crise, à l'instar du rôle précieux joué par la France entre Moscou et Washington durant la guerre froide.

    En matière internationale, savoir tendre la main à l'adversaire est toujours plus fécond que lui enfoncer la tête sous l'eau lorsqu'il se noie. Mais l'Occident n'a jamais eu le triomphe modeste, pas plus aujourd'hui qu'en 1991, lorsque, l'URSS décomposée, la Russie s'est enfoncée dans la déstructuration économique et politique sous notre patronage. On n'a rien appris de cette décennie que l'on a assimilée à une "victoire".

    Dans l'affaire malheureuse des bâtiments de projection et de commandement (BPC), au lieu de gagner en crédibilité aux yeux de Moscou, de travailler la relation de confiance, on crie "au loup" tous les matins et on nourrit la défiance. On juge conforme aux intérêts nationaux et même européens de céder aux pressions américaines, polonaises et baltes (qui ne devraient pas faiblir avec la nomination de l'ancien Premier ministre polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen, symbole éclatant de la mise sous tutelle de l'UE) et de renier la signature de la France en reportant sine die la livraison de nos bâtiments et en la soumettant au respect de l'accord de Minsk du 5 septembre, comme si son respect ne dépendait que de la seule Russie !

    Le coup perdant-perdant

    On dira que l'on ne pouvait pas faire moins que de surseoir à nos engagements d'État, que l'on devait cela à nos alliés. Ils se frottent les mains de notre naïveté et, comme en Iran, préparent les alternatives à nos manquements et préservent leurs relations commerciales avec Moscou - en obtenant, par exemple, l'exclusion du champ des sanctions des produits pétroliers et gaziers indispensables à l'économie allemande, ou des services financiers vitaux pour la City de Londres. Qui veut-on convaincre de notre fiabilité ? Les Russes, les Chinois, les Indiens, les Saoudiens, les Américains, les Européens ?

    Paris a inventé un nouveau coup stratégique : le coup "perdant-perdant". Désormais, nos alliés sont convaincus de notre pusillanimité, nos adversaires de notre insignifiance stratégique, nos putatifs clients en matière d'armement de notre faiblesse commerciale et Moscou de notre incapacité à constituer un canal de médiation utile. Car la politique étrangère d'un État, même en nos temps cathodiques sans histoire ni mémoire, ne s'adresse pas à sa population, mais au reste du monde. Elle doit définir et suivre un cap, mettre en cohérence des objectifs stratégiques constants, envisager les rapports de force dans leur globalité, ne pas "saucissonner" artificiellement les problèmes, mais se donner les moyens d'une influence multicanal sur un maximum de théâtres de friction ou de conflit.

    La bannière patriotique

    Or la crise ukrainienne n'est que le témoin inquiétant de l'état de la relation douloureuse de la Russie à l'ensemble du monde occidental. Elle nous impose de comprendre (ce qui ne veut pas dire admettre ou partager) la problématique d'un État multinational et fédéral, la relation d'un peuple complexe avec son dirigeant qui heurte nos consciences amollies. Car, il faut l'admettre, seule l'Union européenne a renoncé à la puissance globale et l'a réduite à son expression économique et commerciale. Le reste du monde croit plus que jamais à la souveraineté, à la projection de puissance et éventuellement de forces, à l'affirmation d'une ambition collective, à la mise en ordre de marche de populations derrière une bannière pas forcément nationaliste, mais certainement patriotique. Ce n'est pas un mouvement fasciste ou anti-moderne, mais une réaction aux illusions destructrices d'une hyper-modernité individualiste et mercantile qui trahit l'idéal libéral démocratique qu'elle prétend incarner.

    Quoi qu'il en soit, même si Washington et Pékin le déplorent, la multipolarisation à géométrie variable des centres de puissance du monde que revendique Moscou existe de fait, comme existe la lutte maladroite contre l'hégémonisme américain. La charge symbolique des postures martiales de Vladimir Poutine ne relève pas de la magie noire. Elle s'explique aisément.

    Ce qu'est la Russie ?

    Depuis la fin de la guerre froide, la Russie a fait face à un double défi unique au monde pour un empire : renoncer à sa vision d'elle-même comme pôle alternatif régionalement intégré de puissance et d'influence globale, et réformer en profondeur son système étatique et social pour le rapprocher des standards politiques et économiques occidentaux. Les difficultés rencontrées durant la décennie 1990 pour achever cette mutation colossale l'ont conduite à rechercher une voie nationale spécifique permettant d'échapper au démembrement social, au dépeçage de son économie et à l'effacement stratégique.

    La question de "ce qu'est la Russie" (le vieil ideinost) demeure centrale pour l'unité nationale d'un pays immense au coeur d'un ensemble à la fois fédéral et multinational. De ce point de vue, la triade conservatrice tsar-peuple-orthodoxie soude l'identité russe en protégeant le peuple des ferments de dilution nés de l'ouverture des années 1990. Un conservatisme garant d'une continuité historique qui transcende en les synthétisant la période impériale, celle du socialisme et celle de la démocratisation post-1991.

    La stabilité politique est dès lors vécue comme un atout et le changement comme un risque, même si la nostalgie d'un paradis soviétique perdu est essentiellement folklorique et ne signifie pas volonté d'un retour à l'âge communiste. Être à la fois différents et puissants, moderniser la tradition, trouver une forme russo-compatible du modèle démocratique : voilà la quadrature du cercle dans laquelle se débattent les dirigeants russes. Au lieu de les stigmatiser comme d'antédiluviens autocrates, l'Europe et la sécurité du monde ont tout à gagner à les aider à opérer cette délicate synthèse.

    Caroline Galactéros (Le Point, 11 et 14 décembre 2014)

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  • La dimension stratégique et géopolitique de la criminologie...

    Les éditions Eska viennent de publier un essai de Xavier Raufer intitulé Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique. Criminologue, enseignant à l'université de Paris II, Xavier Raufer a récemment publié Les nouveaux dangers planétaires - Chaos mondial, décèlement précoce (Editions du CNRS, 2009) et Géopolitique de la mondialisation criminelle - La face obscure de la mondialisation (PUF, 2013).

     

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    " Loin des faits et données étriqués, bornés par des idéologies caduques au seul territoire national, ce livre explore et éclaire ce qu'il y a devant nous, plus loin sur la route.

    Aux diverses échelles concernées, on analyse dans cet ouvrage :

    - MONDE - Le cadre mondialisé dans lequel grouille et s'agite la criminalité mondiale : l'Europe, les grands réseaux des trafics illicites : êtres humains, stupéfiants, armes, etc.

    - MONDE encore - Les bouleversements immenses qui s'amorcent en matière de consommation de stupéfiants, de terrorisme, etc. ; à l'issue desquels la "planète criminelle" sera transformée de part en part.

    - NATION - des échecs majeurs dans l'ordre social ("politique de la ville") ayant conduit à la présente criminalisation de nombreux quartiers et cités,

    - MÉDIAS - les complexes rapports entre la société de l'information et le réel criminel, et les nuisibles répercutions de ces difficultés sur la société humaine.

    A qui s'intéresse aux rapports entre criminalité, terrorisme  et mondialisation ; ce, en France, en Europe et dans le monde ; aux réactions des médias face aux dangers et menaces du monde qui émerge, ce livre apporte une vision - et des réponses. "

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  • "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec à l'hebdomadaire Marianne et consacré à l'affaire de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral à la Russie. Olivier Zajec est maître de conférences en science politique à l'université de Lyon 3 et a notamment publié La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique (Editions de l’œuvre, 2011).

     

     

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    "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"

    Marianne : La France a suspendu sine die la livraison du Mistral « Vladivostok » à la Russie. Que vous inspire cette décision et quelles seraient selon vous les conséquences stratégiques et économiques d’une non-livraison de ces bateaux ?
    Olivier Zajec* : Je suis en faveur de la livraison de ce bâtiment, et j’ai peur que le report décidé le 25 novembre ne soit à la fois impolitique, masochiste et décrédibilisant. Impolitique, car nous avons intérêt, sur le long terme, à une relation plus adulte avec la Russie, et ce n’est pas en reniant notre parole que nous y parviendrons.  Masochiste, car nous fragilisons notre industrie de défense, l’un de nos atouts les plus solides sur le plan industriel. Décrédibilisant, car la valeur ajoutée de l’offre française d’armement sur le marché export réside justement dans une alternative à la vassalisation technologique et normative américaine. C’est ce que recherche un client comme l’Inde. Avec cette décision qui ravit les paléo-atlantistes, nous manifestons notre soumission à des postures stratégiques qui ne servent pas nos intérêts (et je ne parle pas seulement de la France, mais de l’Europe). Livrer le Mistral n’empêcherait nullement la France de jouer son rôle dans la crise en cours en Ukraine, qui doit absolument être dénouée. Tout au contraire, en réalité, car cette manifestation d’indépendance lui conférerait le rôle de tiers, ce qui lui permettrait d’arbitrer le pugilat grotesque qui oppose les nostalgiques de l’URSS que l’on rencontre parfois au Kremlin, et les hystériques russophobes qui semblent avoir pris l’ascendant à l’OTAN. Notons tout de même que beaucoup de ceux qui s’élèvent contre cette vente sont les mêmes qui dansaient de joie lors de l’entrée des Américains dans Bagdad en 2003. À défaut d’autres qualités, il faut leur reconnaître une certaine constance dans l’aveuglement. 

    Comment évaluez-vous les conséquences d’une brouille avec Moscou notamment en ce qui concerne les négociations avec l’Iran ou sur la Syrie ?
     Moscou est un acteur incontournable du jeu moyen-oriental, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette. M. François Hollande, étant donné la complexité du puzzle régional et suivant l’impulsion américaine, est en passe, bon gré mal gré, de se convertir au réalisme sur le dossier iranien, ce qui était hors de question il y a encore peu de temps. Puisque cette lucidité bienvenue s’applique désormais vis-à-vis de Téhéran, qui redevient un interlocuteur, pourquoi ne pas l’appliquer – même provisoirement – à Damas, étant donné la nature de l’adversaire commun ? Bachar el-Assad n’est pas la menace immédiate. La fourniture d’armes aux islamistes syriens fut une faute majeure de notre diplomatie. Agir stratégiquement, c’est aussi hiérarchiser les priorités et coordonner les fronts : que se passerait-il si le régime syrien s’effondrait aujourd’hui ? Il suffit d’observer la Libye post-kadhafiste pour le comprendre. L’intervention militaire peut être une solution, il ne faut jamais l’exclure a priori. Mais à condition qu’elle ne perde jamais de vue le contexte de l’engagement. « Frapper » n’est pas une fin en soi, mais seulement le préalable ponctuel et maîtrisé d’un nouvel équilibre instable des forces politiques. L’État islamique n’est pas sorti tout armé des enfers du soi-disant « terrorisme global ». Ce n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il est comptable d’une histoire longue qui plonge ses racines dans l’échec du nationalisme laïc arabe. Cet échec a des causes internes, à commencer par la haine qui sépare Sunnites et Chiites, et les réflexes claniques des élites arabes. Mais aussi des causes externes, en particulier l’incroyable légèreté avec laquelle certaines puissances (et d’abord les États-Unis) ont, depuis des décennies, détruit les fragiles équilibres de la région en jouant l’obscurantisme pétro-rentier contre l’autoritarisme laïc, et le wahhabisme contre la puissance iranienne. Les Occidentaux, de ce point de vue, ont aussi besoin de Moscou pour parvenir à une solution sur place, qui prenne en compte l’intérêt de tous les acteurs.

    Pourtant lors du récent G20 de Brisbane, Poutine a été à l’unanimité, par les médias comme les politiques, présenté comme « isolé » sur la scène internationale...
    « Si tout le monde pense la même chose, c’est que quelqu’un ne pense pas ». Cet unanimisme, sur un sujet aussi complexe, n’est certainement pas un très bon signe pour la pensée stratégique et politique française. Vladimir Poutine est moins isolé sur la scène mondiale que François Hollande sur la scène européenne. Tout est question de focale, d’échelles d’analyse, et en l’occurrence, c’est une myopie persistante qui caractérise le commentaire journalistique occidental.

    Lors du dernier sommet de l’APEC (un forum de coopération économique dans la région Asie-Pacifique, ndlr), Moscou et Pékin ont eu, de leur côté,  plaisir à mettre en scène leur rapprochement entre « isolés » de la scène internationale. Ce rapprochement est-il viable et peut-il marquer un changement majeur dans les équilibres internationaux ?

     Très certainement. Mais il ne faut surtout pas surestimer ce rapprochement. Pékin et Moscou se méfient l’un de l’autre. Cependant, sur ce sujet comme sur d’autres (politique spatiale, énergie, défense du principe de non-ingérence dans les relations internationales), Russes et Chinois semblent poussés les uns vers les autres par un certain unilatéralisme moraliste occidental. 

    Beaucoup de commentateurs considèrent que l’objectif de Poutine est de reconstituer un empire soviétique. On retrouve également tout un discours sur les supposés « réflexes de guerre froide de la Russie ». Comment percevez-vous l’agitation de ce spectre d’une nouvelle guerre froide  ? 
    J’y discerne le signe que le logiciel de certains experts est resté bloqué en 1984, et que leur appréhension diplomatique est celle qui prévalait sous Ronald Reagan. Les saillies de M. John McCain sont typiques de ce blocage générationnel : « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, dit-il, pour empêcher que les ténèbres du monde de M. Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Sans nier la vigueur des réactions russes en Ukraine, il faut remettre les choses dans leur contexte, car cette crise procède d’éléments de nature différente : la profonde corruption des élites ukrainiennes, pro et antirusses confondus ; l’extension ininterrompue de l’OTAN aux marges de la Russie, depuis plus de vingt ans, alors que la main tendue s’imposait ; la méfiance atavique des Baltes et des Polonais vis-à-vis de Moscou, qui ne cesserait que si les Russes rentraient dans l’OTAN (et encore n’est-ce pas sûr) ; enfin, la propension américaine à jouer sur les divisions européennes. La France et l’Allemagne, qui ont tout à gagner à une relation apaisée avec la Russie, sont les premiers perdants du mauvais remake de John le Carré auquel nous assistons. 

    Que pensez-vous justement de l’absence totale d’identité stratégique de l’Europe, sinon l’alignement aveugle sur Washington ?
    Je crois sincèrement que les mots ont un sens. Il n’y a pas, en l’état, d’identité « stratégique » de l’Europe. Nous apportons simplement un appui tactique ponctuel à des opérations relevant d’une stratégie américaine, qui a intérêt à ce que l’Europe demeure un objet et non un sujet des relations internationales. Cette tutelle prolongée sur des alliés tétanisés permet à Washington de masquer sa propre perte d’auctoritas au niveau mondial. Plus généralement, les démocraties « occidentales » semblent s’ingénier à se placer dans le temps court du spasme moral, et non dans le temps long de la stratégie. S’il en était autrement, nos décisions sur les dossiers ukrainien, irakien, syrien, libyen et iranien auraient pris une autre tournure, moins tonitruante et plus réaliste. Pour avoir une stratégie, il faut avoir une conscience politique. L’Europe prise dans son ensemble n’en a pas, malheureusement. La France, elle, qui a la chance de disposer d’une armée extrêmement professionnelle malgré des budgets en baisse constante, a prouvé au Mali en 2013 et en Côte-d’Ivoire en 2002 qu’elle pouvait agir avec efficacité. Et qu’elle pouvait donc encore avoir une stratégie. Ce sont ces modèles, mesurés et dépourvus d’hubris, qu’il faut considérer en priorité.

    Olivier Zajec, propos recueillis par Régis Soubrouillard (Marianne, 1er décembre 2014)

     

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  • Le fantôme de la diplomatie française (2)...

    Vous pouvez découvrir la deuxième partie de l'excellent article de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française.

    Lire la première partie :

    Le fantôme de la diplomatie française (1)

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    Le fantôme de la diplomatie française (2)

    En politique étrangère, le suivisme précipité "pour en être" ne suffit pas. Sur les fronts irakien et syrien ouverts contre Daesh, la France "en est" certes, mais... de quoi au juste ? D'une alliance aléatoire dont certains membres, non des moindres, jouent un jeu si trouble qu'il confine à la trahison ? La question est posée, car la défiance est au cœur même de cette coalition de circonstance et d'affichage.
    Notre crédibilité militaire et politique pâtit de ce vice de fond, face à l'ennemi comme aux yeux de nos propres populations. En bout de ligne, ce sont les Français qui risquent de subir dans leur chair l'impact de cette réduction de l'action diplomatique à des postures martiales. Car nous avons de fait laissé grandir la menace. En niant la gravité de phénomènes politiques et sociaux internes, en faisant mine de croire que l'Afghanistan était sur la voie de la démocratie, que l'Irak se stabilisait, que la démocratie avançait en Libye grâce à notre intervention, que l'Iran renoncerait au nucléaire militaire, que l'on pourrait contenir durablement l'offensive des mouvements djihadistes au Sahel, que l'Occident parviendrait rapidement à retrouver son leadership mondial. Péchant par orgueil, ethnocentrisme et ignorance, saisis de spasmes d'impuissance désordonnés, nous faisons en fait de l'anti-diplomatie.

    Se garder du moralisme

    Notre auto-enfermement dans un moralisme décorrélé du réel nous empêche de penser librement et de définir une vision ambitieuse et des lignes pragmatiques de déploiement de l'action diplomatique qui servent nos intérêts de puissance et d'influence. Il est vrai que ces trois derniers mots, "intérêts", "puissance" et "influence", sentent le soufre. La France, confite dans une grandiloquence abstraite, a peur de son ombre et devient la spectatrice automutilée des vastes mouvements géostratégiques en cours.
    Car le monde réel refuse d'épouser les contours des visions iréniques de nos diplomates. La parole ne fait pas plus advenir la réalité en politique internationale qu'en économie. De même que la danse de la pluie ne suffit pas pour faire venir la croissance, rêver éveillé que Bachar el-Assad "n'en a que pour quelques semaines" ou que la "résistance libyenne modérée" est une réalité politique confine à l'auto-aveuglement ! Il fut pourtant un temps où nous étions moins présomptueux et plus habiles, où la France se gardait bien de soutenir ou de condamner des régimes, se limitant à reconnaître des États. Il faut réapprendre les fondamentaux de l'action diplomatique. Le diplomate n'est pas un grand inquisiteur ni un censeur ; il peut et doit parler à tout le monde, surtout "aux pires" des interlocuteurs, à ceux qui ne pensent pas comme lui. C'est sa raison d'être. Il doit maintenir en toutes circonstances des canaux, officiels ou secrets, de communication et de renseignement avec toutes les parties au conflit. Son pire ennemi est le moralisme au petit pied qui ne fait qu'enkyster les oppositions et isoler ceux qui devront finir par se parler pour que certaines lignes bougent.

    Définir notre objectif

    Une fois ce bon sens diplomatique retrouvé, à nous de structurer une stratégie globale de puissance et d'influence. Lucidité, réalisme, ambition et humanité en sont les pierres angulaires. La capacité d'écoute, le goût de l'autre, la recherche d'effets de longue portée, le déploiement sans états d'âme de notre capacité de nuisance ou de bienveillance et l'édification de liens et de réseaux dans la durée sont ses tenons et mortaises. Certes, la France n'est plus une grande puissance, mais son histoire politique, militaire et culturelle lui offre l'opportunité d'un rôle unique et indispensable dans la comédie pathétique du monde et de ses jeux de puissance.
    Cette stratégie suppose la définition d'un objectif à long terme (en langage militaire, un "effet final recherché" - EFR) et d'un faisceau de manœuvres tactiques de moyen et court terme autour de "lignes d'opérations" (militaire, diplomatique, médiatique, culturelle, normative, économique, financière, scientifique, éducative, industrielle, etc.) visant à l'atteindre.
    Pour la France, l'EFR peut être ambitieux mais raisonnablement atteignable : forger et conserver un positionnement de médiateur incontournable et recherché sur l'ensemble des points majeurs de conflit et de crise, faire jeu égal avec Berlin en Europe, être en capacité de peser sur le cours des choses et de faire avancer, y compris lorsqu'ils ne se rencontrent pas, nos intérêts (économiques et militaires) et nos principes politiques. Cela suppose évidemment que l'on renonce au rôle de pédant professeur en maturité démocratique que ses élèves turbulents n'écoutent plus depuis longtemps.

    Se tourner vers la Russie

    Nous devons ensuite identifier des points d'appui majeurs pour le déploiement de cette stratégie. Tout en repensant une politique arabe évanouie, il faut structurer notre nouvelle assise stratégique globale autour d'une relation multicanal soutenue avec l'Iran et la Russie. Contrairement à la doxa ridicule qu'ânonne l'Europe, notamment depuis la crise ukrainienne, ces deux États sont à l'évidence des pivots de croissance et de stabilité déterminants pour nous Français et pour le continent tout entier.
    L'Europe a un besoin stratégique évident de la Russie pour exister vis-à-vis de la Chine et de l'Asie, vis-à-vis de l'Amérique, vis-à-vis du Moyen-Orient, bref, partout. Nous devons donc faire admettre à certains de nos partenaires européens, tels la Pologne ou les pays Baltes, que si nous comprenons évidemment leur relation historique douloureuse avec Moscou, on ne peut pour autant brader les intérêts stratégiques globaux de l'Union en niant par exemple l'appartenance de la Russie à l'ensemble géographique, culturel et religieux européen. Sauf à consentir à l'abaissement politique, économique et stratégique définitif de l'Union européenne au profit des USA, y compris au plan technologique et industriel. N'oublions pas que l'Otan est aussi une vitrine et un véhicule commercial redoutablement efficace pour l'industrie américaine de l'armement.

    Cesser de se tromper sur l'Iran

    Quant à l'Iran, déjà évoqué, cette puissance régionale est en passe de retrouver un rôle global de premier plan. Située à la charnière des mondes indien, chinois et russe, elle est évidemment un tampon essentiel pour l'Occident dans la reconfiguration agressive des équilibres stratégiques du monde, sans même parler de son potentiel économique. Nous l'avons vu, les États-Unis ne s'y trompent pas. Un esprit "complotiste" pourrait même faire remonter à l'invasion américaine de l'Irak en 2003 et au fait de favoriser massivement la mainmise chiite sur le pays l'amorce réelle du basculement stratégique de Washington vers la Perse, dans une tentative de rééquilibrage de sa relation avec l'Arabie saoudite et Israël. Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter, la question reste entière. Quoi qu'il en soit, les Américains avancent leurs pions. Le maintien des sanctions est essentiellement dû à leur volonté de lever l'embargo au bon moment, celui où sera atteint un accord stratégique sur le nucléaire monnayé au mieux de leurs intérêts. Pendant ce temps, Téhéran fait monter les enchères, Allemands et Britanniques se placent... et Paris se trompe.

    Augmenter le budget de la défense

    Évidemment, une telle approche diplomatique ne peut réussir qu'appuyée sur un outil militaire fort et son engagement à niveau suffisant pour garantir un effet de crédibilité politique indiscutable. Cela requiert évidemment un renforcement de nos effectifs comme de nos moyens, donc une augmentation du budget de la défense.
    Last but not least, cette nouvelle "intelligence du monde" requiert une action pédagogique résolue et décomplexée vers l'opinion publique nationale pour développer son adhésion à cette diplomatie refondée. Arrêtons de prendre nos concitoyens pour des imbéciles. Expliquons-leur le monde tel qu'il est au lieu de le peindre en rose et d'être sans arrêt démentis ou ridiculisés par les faits. Ils nous en sauront gré.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014)

     

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  • Le fantôme de la diplomatie française (1)...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française... ou à ce qu'il en reste ! Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre  (Nuvis, 2013).

     

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    Le fantôme de la diplomatie française (1)

    La diplomatie française est introuvable. Dans un contexte international marqué par une grande dangerosité et une forte imprévisibilité, la France est aphone. Elle produit un timide bruit de fond, mais n'invente plus les paroles ni les mélodies du monde. Les guerres dans lesquelles elle se jette imprudemment ne sont que les pointes émergées de frustrations géopolitiques ou culturelles de parties du monde qui refusent l'arasement ou l'indifférenciation. Paris veut ignorer cette réalité et préfère se rassurer dans un alignement naïf et sans contreparties sur les positions américaines... avec des années de retard toutefois. On "fait du George W. Bush" à contretemps alors que les Américains eux-mêmes semblent revenus des outrances vengeresses post 11 Septembre et renoncent à la guerre punitive. Nous faisons de la diplomatie américaine l'étalon de notre propre politique étrangère alors que nous ne sommes pas l'Amérique. Nous n'avons ni son histoire, ni sa géographie, ni sa pratique politique, ni surtout ses intérêts.

    Étonnamment plus royaliste que le roi, le Quai d'Orsay semble dominé par des crypto-néoconservateurs qui sentent la naphtaline et refusent de voir les inflexions géostratégiques considérables opérées par notre "grand allié". L'Amérique nous a pourtant volontiers laissé intervenir en Libye - et aujourd'hui agir au Sahel et en Centrafrique -, puis abandonnés en rase campagne dans nos habits de guerre face à Bachar el-Assad, oubliant la "ligne rouge" des armes chimiques syriennes qu'elle avait elle-même tracée. Humiliée par dix ans de fiascos irakien et afghan hors de prix, elle a fait ses choix. Recentrée massivement vers l'Asie-Pacifique, elle vante désormais en Europe les atouts d'un leadership from behind (qui peut être traduit par "Direction en soutien", NDLR), d'une - very - light footprint ("empreinte légère", NDLR), et recule devant les aléas de nouveaux engagements massifs au sol.

    Surtout, Washington infléchit depuis déjà quelques années sa position vis-à-vis de l'Iran et cherche à hâter un rapprochement économique et politique devenu impérieux et réclamé par les lobbys d'affaires américains. Pendant ce temps, au lieu de nous demander pourquoi la terre entière favorise en sous-main la levée des sanctions contre Téhéran et y envoie ses hommes d'affaires et de réseaux par avions entiers "en avance de phase", nous invoquons la menace d'un Iran nucléaire et faisons pression pour que nos patrons restent l'arme au pied et arrivent bons derniers dans ce nouvel eldorado ! Nous continuons à mépriser ce grand État moderne, faisant mine de croire qu'il veut la bombe non pour sanctuariser son territoire, édifié par le sort du malheureux Irak, mais pour s'en servir contre Israël ou l'Occident !

    Coopération militaro-énergétique

    Pire, dans le conflit qui oppose sunnites et chiites, où nous devrions nous garder de prendre parti, ignorant le vaste mouvement à l'oeuvre en Irak, en Syrie et en Iran, de prise d'ascendant du chiisme, on prend fait et cause pour les sunnites (Saoudiens, Qataris, Syriens ou Libyens) ! On feint de les croire "modérés", alors que l'on sait pertinemment que l'Arabie saoudite a financé larga manu, dès les années 80, la déstabilisation de l'Afghanistan, des Balkans ou de la Tchétchénie par ses escouades de moudjahidine. Notre complaisance pour ces régimes au nom de la coopération militaro-énergétique ou en soutien de notre alliance stratégique avec Israël nous fourvoie. Elle nous éloigne d'une appréhension fine des conflits entre courants de l'islam et des alliances occultes objectives entre certains États. Nous n'osons même pas nommer notre véritable adversaire, le wahhabisme combattant qui diffuse un salafisme dévoyé, et préférons donner des leçons de démocratie à la Russie au lieu de rechercher son appui dans la lutte contre l'islamisme.

    Paris n'a donc pas vu le temps passer ni le monde changer. Notre diplomatie brouillonne et inconséquente semble vouloir oublier son seul geste audacieux, qui avait fait se lever dans le monde arabe un vent d'espoir et de confiance envers la France : le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité des Nations unies en février 2003. Mais nous n'avons pas su "transformer l'essai". À l'inverse, on fait dans l'allégeance béate aux Américains. Nous partons la fleur au fusil et en première ligne dans la coalition de bric et de broc réunie autour de Washington pour combattre la nouvelle incarnation du Mal : l'État islamique, alors même que notre "grand allié" nous prive de l'avantage de la surprise en prévenant l'adversaire de ses intentions. Le président américain avoue n'avoir "pas de stratégie claire" dans la région, puis confirme qu'il n'enverra pas de troupes au sol dans un tonitruant "No boots on the ground" ("pas de bottes sur le terrain", NDLR) !

    Cette déclaration d'impuissance ahurissante reflète la désorientation profonde des politiques occidentaux qui, non seulement se trompent d'ennemi, mais aussi de cibles ! Persuadés que leurs électeurs ne leur pardonneront pas des pertes humaines, nos politiques veulent les convaincre qu'ils seront défendus sans dommages et jouent avec l'idée de "faire la guerre" depuis les airs ou en misant sur les seules forces spéciales. À moins qu'ils n'aient conscience d'avoir déjà perdu la partie. Ce qui est faux. Nous pouvons l'emporter. Il faut juste rebattre les cartes et jouer nos vrais atouts.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014) 

     

    Lire la deuxième partie de l'article :

    Le fantôme de la diplomatie française (2)

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  • Ebola, une menace mondiale ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur son site Europe solidaire et consacré à l'épidémie de fièvre hémorragique Ebola et à la menace qu'elle représente en particulier pour la France...

     

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    Ebola. Une menace mondiale

    L'extension de plus en plus rapide du virus Ebola, qui a fait et surtout qui fera bien plus de morts que l'Etat islamique, n'avait jusqu'ici inquiété que les pays touchés, mais guère les pays africains voisins et pas du tout les pays dits développés.

    Beaucoup d'émotions et de peur sont générées par le développement récent du soi-disant Etat islamique. Celui-ci a déjà fait des centaines de victimes au Moyen-Orient. Il est probable que la menace s'étendra dans d'autres régions du monde, l'Afrique, l'Europe, l'Amérique. Il est légitime de réagir à cette menace, en s'efforçant de mettre hors d'état de nuire les djihadistes, quel qu'en soit le coût.

    Mais ironiquement, l'extension de plus en plus rapide du virus Ebola, qui a fait et surtout qui fera bien plus de morts que l'Etat islamique, n'avait jusqu'ici inquiété que les pays touchés, mais guère les pays africains voisins et pas du tout les pays dits développés. Cependant le risque est considérable et nul n'y échappera, tant du moins que des vaccins ne seront pas mis au point...ce qui n'est pas près d'être fait..

    Un début de prise de conscience

    Or les esprits sont en train de changer, devant l'ampleur grandissante, quasi exponentielle, que prend l'épidémie. Le Conseil de Sécurité le 18 septembre a publié une Résolution déclarant que celle-ci était devenue une menace à la paix et à la sécurité dans le monde, pouvant si elle n'est pas contenue entrainer des troubles civils, des tensions sociales et une détérioration générale du climat politique mondial. L'ONU indique que un milliard de dollars serait dès aujourd'hui nécessaire pour contenir l'épidémie, sans évidemment préciser d'où ces sommes pourraient provenir. Devant le Conseil de Sécurité, Margaret Chan, Dr. Gen. De l'OMS, avait renforcé le message. Il « s'agit d'une menace à la sécurité des nations, au delà des pays déjà infectés ».

    C'est que les alertes s'accumulent. Les cas connu à la date de cet article dépassent 6.000 et leur nombre double tous les 15 jours. On estime par ailleurs qu'un grand nombre de malades ne sont pas identifiés, pour des raisons diverses. Les US Centers for Disease Control prévoient qu'un million de personnes seront atteintes en Afrique de l'Ouest en janvier prochain (avec une mortalité rappelons-le de 50 à 70%). A partir de là, le virus circulera non-stop dans toute l'Afrique et s'étendra progressivement au reste du monde.

    Des coûts économiques

    Une Mission de l'ONU pour les réponses d'urgence à Ebola (Ebola Emergency Response) qui vient de se réunir à Accra organisera le déploiement de moyens militaires et civiles que viennent de s'engager à fournir les Etats-Unis, la Chine, la France, le Royaume Uni et Cuba. D'autres pays sont en voie de faire de même. C'est que les gouvernements commencent à se rendre compte que tous les pays seront rapidement touchés, non seulement au plan sanitaire, mais compte tenu des conséquences de l'épidémie sur le commerce mondial et sur les circuits financiers.

    Selon la Banque Mondiale, le virus imposera à l'Afrique de l'Ouest des coûts de plusieurs milliards de dollars d'ici 2015. D'ores et déjà, l'activité économique est en récession au Libéria, en Guinée et au Sierra Leone. Ces pays sont gros producteurs de riz. Or à ce jour environ 40% des agriculteurs sont décédés ou ont fui. Le mouvement ne s'arrêtera pas, car Ebola s'étendra nécessairement à d'autres pays.

    En Afrique et hors d'Afrique, les villes mal équipées en terme d'hygiène générale ou surpeuplées seront atteintes. Les voyageurs infectés et non encore détectés comme contagieux disperseront très vite le virus, d'autant plus que, contrairement aux premières affirmations des épidémiologistes, certaines personnes ne manifestent de symptôme que 3 semaines après avoir été atteintes. Que l'une d'entre elle atteignent Calcutta ou Mexico et très vite ces centres urbains deviendront des foyers explosifs d'épidémie.

    Le danger menace les populations des pays riches eux-mêmes, Etats-Unis, Europe. Mais avant cela – et l'argument ne laisse pas indifférents les milieux d'affaire – le commerce international avec l'Inde ou le Brésil sera durement touché, avant que ne le soient les échanges transatlantiques ou inter-européens.

    Prévention et lutte difficiles

    En termes de prévention et de lutte, l'appel aux militaires – merci pour eux – ne suffira pas. Il faudra recruter et former des milliers de nouveaux professionnels de santé, en les dotant de tous les moyens de protection disponibles. Mais les volontaires, compte tenu des risques encourus, ne seront sans doute pas assez nombreux. Dans l'idéal, il faudrait former des dizaines de milliers de personnes potentiellement menacées à se protéger elles-mêmes – ce que dans certains pays, pour des raisons religieuses ou politiques, elles refusent de faire.

    A terme, il faudra prévoir que, même si la prolifération de l'épidémie est ralentie, celle-ci deviendra endémique, notamment en Afrique de l'Ouest. ce qui signifiera que le virus sera présent dans l'ensemble des populations, ne se manifestant que par vagues. En théorie un virus aussi contagieux continue à se répandre jusqu'au moment où toutes les personnes exposées sont mortes ou se sont immunisées spontanément.

    Certains hommes politiques, en Europe, dont l'un très connu en France que nous ne nommerons pas, estiment que le virus est une réaction naturelle à la surpopulation dans certaines zones du monde dont l'Afrique, et qu'il faut laisser faire. Dans les réseaux sociaux se tient un autre discours: tout ceci résulte de campagnes alarmistes montées par les laboratoires de santé (la « big pharma »). On ne nous refera pas le coup de la grippe H5N1, affirment ces bons esprits. Mais lorsque les uns et les autres réalisent qu'eux-mêmes ou leurs intérêts immédiats pourraient être victimes du virus, ils changent de discours.

    Pourquoi alors ne pas investir les milliards qui seront de toutes façons dépensés en conséquence de la pandémie au profit de recherches sur les vaccins. Les spécialistes répondent que, même si certaines souches vaccinales semblent prometteuses, il faudra de nombreux mois avant de les produire et de les diffuser en quantités industrielles. Vacciner 50% de la population pourrait suffire à stopper l'épidémie, mais d'ores et déjà cela voudrait dire vacciner des millions ou dizaines de millions de personnes dans les pays pauvres – ce qui est impossible, ne fut-ce que par les vaccins ne sont pas encore au point.

    Quant à interdire ou fortement limiter les transports aériens, les agents propagateurs de virus les plus actifs, aucun spécialiste ne le conseille. Il en découlerait un blocage généralisé des échanges, dont en tout premier lieu ceux intéressant les personnels de santé. Il en résulte que des modèles de propagation du virus établis récemment montrent qu'en Afrique, les pays les plus à risque sont en Afrique le Ghana et la Gambie, et hors d'Afrique la Belgique, la France et les Etats-Unis.

    Une systémique des virus

    Pour en revenir à notre propos initial, concernant la propagation du virus du djihad dans les pays du Moyen Orient, les spécialistes des épidémies considérées comme des phénomènes systémiques affectant l'ensemble du monde connecté d'aujourd'hui pourront faire d'intéressantes études comparatives. Il en sera de même des spécialistes de la mémétique, ayant déjà démontré que les mêmes, qu'ils soient bénéfiques pour la société ou mortels (tel que l'envie d'égorger un prétendu infidèle) se propagent dans les sociétés anthropotechiques selon des modes viraux très voisins de ceux responsables de la grippe et aujourd'hui d'Ebola. La science a encore beaucoup de choses à apprendre.

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 24 septembre 2014)

     

    Références

    * Résolution 2177 du Conseil de Sécurité http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2177%20%282014%29 18 septembre 2014

    * Communication de l'OMS devant le Conseil de Sécurité http://www.who.int/dg/speeches/2014/security-council-ebola/fr/

    * Mission de l'ONU pour les réponses d'urgence à Ebola http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=48760#.VCLH-hZWKcH

    Modèle pour évaluer les risques d'expansion de l'épidémie http://currents.plos.org/outbreaks/article/assessing-the-international-spreading-risk-associated-with-the-2014-west-african-ebola-outbreak/
    Voir notre article précédent en date du 29/08  http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/148/ebola.htm

     

     

     

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