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Géopolitique - Page 34

  • Le cas de conscience, une nouvelle arme de destruction massive...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à l'impuissance de l'Europe face à la question stratégique de l'invasion migratoire. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013).

     

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    Migrants, le cas de conscience comme nouvelle arme de destruction massive

    Selon l'agence Frontex, 107 500 migrants se sont présentés aux frontières de l'Union européenne en juillet, autant que durant toute l'année 2014. Depuis janvier, plus de 224 000 seraient partis à l'assaut de l'Europe (HCR), 160 000 seraient déjà arrivés sur les côtes grecques, et plus de 2 500 se seraient noyés dans ces traversées de tous les dangers. Selon Berlin, plus de 700 000 malheureux devraient d'ici la fin de l'année avoir cherché à s'établir en Allemagne, dont 40 % en provenance des Balkans (qui viennent d'être déclarés « sûrs » pour limiter l'appel d'air). 10 à 15 % seulement de ces populations sont des « réfugiés politiques », l'immense majorité des autres fuient la misère. Judicieux calcul, singulièrement en France, si l'on considère, avec la Cour des comptes, que 1 % des déboutés du droit d'asile sont effectivement reconduits à la frontière...

    Chaque jour porte son lot de nouvelles sinistres : un naufrage en Méditerranée de miséreux terrifiés, le Tunnel sous la Manche paralysé par les passages sauvages, les îles grecques prises d'assaut, la France débordée à Calais, l'Italie à Vintimille, la panique d'États membres déchirés entre empathie et indifférence. La cacophonie européenne habituelle, se rassure-t-on. Non. Cette fois, l'Europe fait face à une attaque sans précédent, au moins partiellement planifiée, qui vise la déstructuration en profondeur de nos sociétés. L'Allemagne se raidit et dénonce la réalité d'une immigration « de confort ». La Hongrie, l'Autriche, la Bulgarie, le Danemark n'entendent pas plus se laisser prendre dans la mélasse de la mauvaise conscience. Mais, sans action radicale et coordonnée, c'est l'adversaire qui triomphe, instrumentalisant notre humanisme empathique, secondé par des médias avides de sensationnalisme. Lorsqu'on voit des policiers ou des marins excédés dégonfler des canots surchargés de pauvres hères, c'est l'image de l'Europe accueillante qui succombe, c'est notre vulnérabilité qui crève l'écran. L'Europe n'est plus une forteresse protectrice de ses peuples, c'est une passoire.

    Une crise est géopolitique bien plus qu'humanitaire

    Mais cette crise est géopolitique bien plus qu'humanitaire : nous nous débattons dans le piège tendu par une organisation terroriste État islamique très organisée et surtout conséquente. Le « calife » al-Baghdadi, chef de Daesh, que nous répugnons toujours à combattre au sol, nous contentant de frappes si ciblées qu'elles ne font que galvaniser ses effectifs grandissants, n'avait-il pas annoncé dès février dernier qu'il submergerait le fragile esquif européen « de 500 000 migrants à partir de la Libye » si l'Italie se joignait à la coalition ? Les Soudanais, Érythréens, Afghans, Irakiens et Syriens, eux aussi malmenés par les bouleversements géopolitiques en cours en Afrique et au Moyen-Orient, n'ont fait que prendre en marche le train de cette macabre prophétie…

    Les dirigeants de Daesh disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent. L'Europe, elle, ne dit toujours pas ce qu'elle veut faire ni ne fait ce qu'elle énonce : le blocus des côtes libyennes, la destruction préventive des bateaux, etc. Souhaitons que l'accord franco-britannique sur la lutte contre les passeurs à Calais nous fasse mentir. Engluée dans la procrastination, l'Europe donne le spectacle quotidien de sa désunion et de sa pusillanimité. Elle est coupable en premier lieu envers ses propres populations. Coupable de ne pas porter le bon diagnostic sur la nature et la gravité de la menace ; de ne pas admettre que ses États sont en guerre, de s'accrocher comme à une bouée dégonflée à ses « valeurs », sans oser le seul choix salutaire : répondre à Daesh. Sur le double front de l'intransigeance migratoire, en mettant déjà en œuvre un blocus militaire sans failles de la Libye et une fermeture efficace de ses frontières, et d'une intervention militaire massive au sol (avec forces spéciales américaines et frappes françaises en Syrie), pour contrer ceux que l'on a trop longtemps soutenus : les islamistes sunnites de « l'Armée de la conquête », qui n'ont rien de modéré ou de représentatif, et veulent mettre en pièces le régime de Bachar el-Assad afin de prendre le pouvoir en Syrie. Même leurs mentors saoudiens commencent à s'en inquiéter.

    Idéalisme entêté, mâtiné de cynisme

    Évidemment, le non-dit implicite du discours de nos « responsables » est que nous sommes les fauteurs de troubles de ces territoires en guerre (Irak, Afghanistan, Syrie, Libye, Sahel…) et que nous devons recueillir les malheureux que notre aventurisme militaire et politique a jetés hors de chez eux. Partiellement vrai. La France s'est, certes, imprudemment engagée en Libye et a contribué à la déstructuration violente de cet État. Mais le chaos irakien, matrice de toute la déstabilisation régionale, ne lui est nullement imputable, et son action courageuse au Sahel, même à l'aune de ses moyens insuffisants, doit être portée à son crédit. Quant à la Syrie, notre dogmatisme à l'égard de Bachar el-Assad qui était (comme Saddam Hussein ou Kadhafi d'ailleurs) le dernier rempart d'un équilibre ethnico-religieux imparfait mais protecteur des minorités, notamment chrétiennes, est désormais clairement en porte-à-faux par rapport au réalisme américain (comme sur les dossiers russe ou iranien).

    Combien de massacres faudra-t-il encore laisser commettre, combien de morts, de chrétiens d'Orient livrés à la sauvagerie de l'ennemi, d'otages et d'attentats, avant de reconnaître que l'on s'est trompé d'ennemi une fois encore ? Espérons que le soutien unanime le 17 août du Conseil de sécurité des Nations unies à un plan « inclusif » pour des pourparlers de paix en Syrie amorce un retour au réalisme politique et stratégique, notamment du côté occidental. Notre idéalisme entêté, parfois mâtiné de cynisme, a contribué depuis quatre ans au martyre de ce pays.

    Il n'est pas trop tard. Mais il faut du courage, celui de dire la vérité et d'en assumer les conséquences. Nous sommes en guerre. Nos opinions l'ont compris. Ce sont nos politiques (et aussi certains « analystes » aussi lunaires qu'irresponsables), notamment en France, qui refusent de l'admettre et de prendre les décisions – pas longtemps impopulaires – qui s'imposent. Devant cette invasion planifiée, nous n'avons plus le choix : nous devons fermer pour quelques années au moins les frontières de l'Europe à toutes les immigrations, humanitaires et même politiques. Nous devons faire en sorte que Daesh comprenne que son entreprise a échoué, qu'il ne submergera pas nos États, n'infiltrera pas ses kamikazes ni ne sèmera la discorde dans nos communautés. Il n'y a pas trente-six façons de convaincre al-Baghdadi et ses sbires, comme d'ailleurs les réseaux de passeurs, que leur idée n'est plus rentable, ni politiquement ni financièrement. La politique européenne doit devenir une politique d'accueil exceptionnel sous conditions strictes. Non plus : « on accueille par principe tout le monde sauf… », mais « on n'accueille personne sauf… » ; strictement l'inverse de ce qui provoque actuellement l'engorgement des dispositifs d'enregistrement et d'accueil. Schengen est mort. Ce dispositif était valable pour la circulation des biens et des capitaux. Mais ces hommes, ces femmes et ces enfants déversés sur les côtes italiennes et grecques ne sont pas des biens ou des capitaux ; ce sont des armes de destruction massive d'un nouveau genre, des vecteurs, malgré eux, de déstabilisation politique et de mutation identitaire.

    Montée des populismes

    À force de nier, de renier son histoire et son identité chrétienne comme s'il s'agissait d'une maladie honteuse, l'Europe, et singulièrement la France, ont offert leurs flancs désarmés à l'offensive politique d'un islam conquérant pris en mains par des chefs déterminés et ambitieux. Notre pusillanimité les ravit. Quel cadeau inespéré que ces politiciens incapables pour la plupart de voir loin, de décider les priorités de l'action publique, ces gestionnaires qui ne dirigent rien et confondent laxisme et relativisme ! L'abstention électorale et la défiance envers le politique explosent ? Qu'à cela ne tienne ! On naturalise massivement de nouvelles catégories d'électeurs, qui voteront bientôt avec gratitude pour des pouvoirs leur assurant une survie confortable aux dépens d'une France laborieuse, d'en haut et d'en bas, écœurée par tant d'opportunisme et d'encouragement au communautarisme et à la haine sociale. Tout cela au nom d'une laïcité dévoyée et de valeurs républicaines distordues par le revanchisme social. Comment oser dès lors s'étonner de la montée d'un populisme qui fait son lit de cette pleutrerie des « partis de gouvernement » quêtant la popularité dans le renoncement ? Le ras-le-bol populaire gronde.

    Comme la France en son temps, l'Europe « ne peut accueillir toute la misère du monde ». Elle n'en a plus les moyens et de moins en moins la volonté. Riche par rapport aux parties du monde à feu et à sang, l'UE est en crise politique et identitaire profonde et en régression économique et sociale sensible par rapport à ses concurrents directs. Sans parler de son poids stratégique en recul. Elle n'est pas attaquée pour rien. Elle est le maillon faible d'un Occident qui vacille. Elle doit prendre soin de ses propres citoyens, et n'a ni emplois, ni logements, ni argent à offrir à des masses de migrants « catapultés », dans une version moderne du siège médiéval, pour modifier la composition démographique, ethnique et religieuse de nos États. Il est en fait de notre devoir moral de stopper l'accueil « de seconde zone » des migrants, indigne de nos standards de solidarité. Le paradoxe n'est qu'apparent. Un peu comme cette consigne de sécurité aérienne contre-intuitive, qui rappelle qu'en cas de dépressurisation de la cabine, il faut d'abord mettre son propre masque à oxygène avant de songer à en munir les enfants et à leur porter secours.

    C'est une décision douloureuse, un renoncement apparent à ce qui a fait l'histoire de l'Europe, et singulièrement celle de la France. Mais nous sommes en lambeaux. Notre identité nationale, le cœur même du « pacte républicain » sont mis à mal, notre société est percée de mille flèches qui ont pour noms démagogie, électoralisme, communautarisme, ultra-individualisme, surendettement public, inefficacité administrative, naïveté internationale, dogmatisme diplomatique. Ce virage sécuritaire serré n'est que la rançon soudaine d'un trop long laxisme, d'un aveuglement entêté sur les ressorts de la résilience des sociétés modernes. Nous payons l'acceptation béate, depuis 25 ans, de « l'horizontalisation » massive du monde, de l'abaissement des États, de l'explosion des réseaux sociaux – vecteurs de progrès pour les libertés mais aussi caisses de résonance  pour les idéologies les plus macabres –, de l'hyper connectivité qui produit peu de lien mais bien des connexions assassines. Nous payons dans la douleur notre renoncement à l'autorité politique, à la hiérarchie des valeurs, à la prescription assumée des comportements individuels et collectifs. La sanction des faits est redoutable. Elle devient mortelle. À quoi sert d'être « le pays des droits de l'homme » si notre population entre dans l'ère de la défiance politique radicale, du chômage de masse et du non-travail, s'appauvrit et se désespère, se voit sommée de financer à fonds perdus des chimères humanitaires alors que ses équilibres sociaux primaires sont mis en péril par ces utopies ?

    Caroline Galactéros (Le Point, 21 août 2015)

     

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  • L'Etat Islamique: outil de déstabilisation géopolitique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse d'Alexandre Latsa, cueillie sur le site d'information Sputnik et consacré au rôle déstabilisateur que l'Etat islamique peut jouer au profit de certaines puissances. La récente évolution de la Turquie, dont rien ne dit qu'elle sera durable, ne remet pas en cause l'intérêt de cette réflexion...

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    L'Etat Islamique: outil de déstabilisation géopolitique ?

    Beaucoup de théories ont circulé sur la toile concernant tant les origines de l'Etat islamique (EI) que ses liens supposés, directs ou indirects, avec des puissances de l’OTAN, Etats-Unis et Turquie en tête.

    Née en 2003 en Irak et affiliée à Al-Qaïda, la nébuleuse prend le nom d'État islamique d'Irak (EII) en 2006 puis devient l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) en 2013, s'affranchissant la même année d'Al-Qaïda.

    Au cours de l'année 2013, cette nébuleuse a commencé sa forte expansion militaire en Syrie et en Irak.

    Sa prise de contrôle du territoire syrien s'est accélérée au cours des 18 mois derniers mois (elle contrôle maintenant près de 50% du territoire) et ce malgré le lancement d'une campagne internationale de bombardement durant l'automne 2014, qui aurait couté la vie à près de 10.000 ses membres, tandis que le groupe aurait perdu selon certaines estimations autant d'hommes face à l'armée syrienne depuis le début de sa campagne.

    A la prise de contrôle de larges pans du territoire syrien, notamment à l'est du pays, l'EI s'est au cours du mois de mai emparé de zones énergétiques au centre du désert syrien, notamment dans la région de Palmyre et dans le même temps de la ville de Ramadi, en Irak. La prise de ces villes a suscité beaucoup de questions quant à la motivation réelle de la coalition à freiner l'expansion de l'EI puisque des milliers de combattants de cette organisation ont pu traverser les déserts syriens et irakiens avec des colonnes de véhicules blindés à découvert, pour attaquer les forces loyalistes sans que la coalition ne les bombarde.

    Semant encore plus le doute, un document confidentiel de l'US Defense Intelligence Agency (DIA) rédigé en août 2012 vient d'être déclassifié, document qui a fait le tour de tous les organes gouvernementaux dont le CENTCOM, la CIA et le FBI. On peut y lire dans les dernières pages que la situation militaire devrait permettre l'établissement d'un sanctuaire ("un Etat islamique") dans la zone allant de Ramadi en Irak jusqu'à l'est de la Syrie et les zones allant d'Assaka à Deir-Ez-Zor.

    Ce plan, nous dit le document, aurait le soutien des puissances étrangères hostiles au pouvoir syrien car il permettrait d'isoler le régime syrien vers la cote et ainsi, de couper toute liaison terrestre entre l'Iran et le Hezbollah. En clair: les puissances radicales qui pourraient émerger du chaos créé par les Américains en Irak devraient naturellement se déverser en Syrie pour affaiblir l'état syrien.

    Le laisser faire américain, des monarchies du golfe et de la Turquie, face à la montée en puissance de l'EI, est aussi une traduction de leur incapacité à contrecarrer militairement l'armée syrienne et ses soutiens au sol, tout autant que ne l'est le soutien logistique direct de la CIA à armer des factions rebelles, dont un grand nombre ont depuis 2012 rejoint l'EI ou au mieux la branche locale d'Al-Qaïda.

    Cela explique peut-être pourquoi certains analystes n'hésitent pas à accuser la coalition et notamment les Etats-Unis d'Amérique d'avoir (volontairement?) en permanence un coup de retard sur l'EI.

    Par contre en appuyant lourdement les forces kurdes dans le nord du pays, la coalition a atteint plusieurs objectifs qui, bon gré mal gré, satisfont ses principaux alliés actuels dans la région:

    - L'établissement de l'EI permet l'avènement d'un Kurdistan au nord du pays tout autant que l'apparition d'un Sunnistan très intégriste, regroupant une nébuleuse allant de l'EI à Al-Qaïda, contraignant le régime à se replier vers les côtes et accentuant ainsi la dynamique de désintégration territoriale en Syrie.

    - Cette désintégration territoriale et l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat satisfont les monarchies du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, qui sont dans une lutte totale contre l'Iran dans la région, Téhéran étant le grand soutien et allié du régime syrien et sur une logique dynamique très forte suite à l'accord sur le nucléaire que le pays vient d'arracher aux Etats occidentaux.

    - Pour Israël, l'effondrement du régime syrien signifie l'affaissement du Hezbollah (jugé menace prioritaire) qui se concentre désormais sur le front syrien et devrait sortir très affaibli des années de guerre en Syrie. Pour cette raison sans doute, l'Etat hébreu apporte même un soutien médical direct aux djihadistes et parmi eux les plus radicaux (proches du front al Nosra et donc d'Al-Qaïda), soutien qui a donné lieu récemment a des émeutes de protestation de la part de minorités syriennes (Druzes…) directement menacées par l'organisation terroriste.

    - L'évolution de la situation via la création au nord du pays de ce grand Kurdistan longeant la frontière avec la Turquie va par contre à l'encontre direct des intérêts d'Ankara. Au cours de la guerre syrienne, la Turquie a largement soutenu et continue de soutenir tous les groupes radicaux qui réduisent l'autorité d'Assad dans l'ancienne zone d'influence de l'empire Ottoman allant de Kassab à Alep en passant par Idlib. Ce soutien s'est traduit par un appui militaire direct, l'envoi de troupes d'élites turques sur place ou encore le rapatriement des blessés pour traitement dans des hôpitaux turcs (ici et ). Ankara a même coopéré avec l'EI (via notamment des fournitures d'électricité) lorsque ce dernier affrontait et affaiblissait les mouvances kurdes à sa frontière mais considère l'établissement de ce Kurdistan syrien comme le plus grand danger pour la Turquie actuellement, car réduisant son pouvoir de projection potentiel sur le territoire syrien et pouvant surtout menacer à terme sa stabilité intérieure.

    Que devrait-il se passer?

    Cette opposition inattendue intra-OTAN entre Ankara et Washington devrait sans doute s'accentuer avec les récentes décisions d'Erdogan de se rapprocher de l'OCS et de la Russie avec laquelle elle partage des ambitions régionales.

    L'EI devrait lui continuer son expansion en Syrie avec le soutien implicite des grandes puissances régionales mais aussi avec le soutien plus ou moins direct de la Turquie et des Etats-Unis, chacun y trouvant pour l'instant des intérêts indirects prioritaires même s‘ils sont contradictoires. On peut imaginer que ce soutien cessera lorsque l'EI deviendra un allié trop encombrant qui menacera les intérêts de certaines puissances voisines telles que la Jordanie, Israël ou certains Etats du golfe.

    Cette yougoslavisation de la Syrie et de l'Irak aura aussi des conséquences directes sur la Russie et la Chine qui ont chacun des intérêts historiques, politiques et économiques dans ces deux pays. Elle porterait atteinte au projet de route de la soie que Pékin compte redévelopper, car historiquement, les tracés des routes de la soie qui reliaient la Chine à l'ouest de l'Europe passaient par l'Iran et la Syrie et il n'existe "que deux options possibles, soit par Deir ez-Zor et Alep, soit par Palmyre et Damas. Le premier chemin est coupé depuis début 2013, le second vient de l'être après la chute de Palmyre".

    Le grand nombre de candidats russophones et sinophones (il y a même un quartier chinois à Raqqa, la capitale de l'Etat islamique en Syrie) qui se sont enrôlés au sein de l'EI, peuvent laisser imaginer que le prochain front de l'EI se situera entre le Caucase et le Xinjiang, visant Pékin et Moscou.

    L'EI, après avoir déstabilisé le monde chiite, pourrait donc en quelque sorte devenir un outil de déstabilisation de l'Eurasie.

    Alexandre Latsa (Sputnik, 20 juillet 2015)
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  • Libye : allons-nous être contraints de soutenir Al-Qaida contre Daesh ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de l'africaniste et historien  Bernard Lugan, cueilli sur son blog et consacré à la montée en puissance de l'Etat islamique en Libye, à quelques centaines de kilomètres de nos côtes...

     

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    Libye : allons-nous être contraints de soutenir Al-Qaida contre Daesh ?

    En Libye, les interventions de l'Egypte, de l'Algérie et de la France, destinées à limiter les conséquences devenues incontrôlables de la guerre insensée déclenchée contre le colonel Kadhafi, deviennent de plus en plus problématiques. Pour cinq grandes raisons :
     
    1) Cette intervention était subordonnée à la constitution en Libye même d'une force "nationale" susceptible d'être appuyée. Or, le général Haftar a échoué dans sa guerre contre les islamistes.
     
    2) Plus que jamais, le principal objectif algérien en Libye est la fin du chaos en Tripolitaine afin d'assurer la sécurité de la frontière orientale. Englué en Cyrénaïque, le général Haftar n'a aucun pouvoir en Tripolitaine. Voilà pourquoi Alger traite actuellement avec les islamistes hostiles à Daesh qui contrôlent l'ouest de la Libye.
     
    3) L'Egypte se trouve prise au piège. Dans sa lutte à mort contre les islamistes et les Frères musulmans, elle dépend en effet du financement des monarchies sunnites du Golfe. Or, paniquées par le retour de l'Iran chiite sur la scène politique régionale, ces dernières ont décidé de se rapprocher de tous les mouvements sunnites, dont les Frères musulmans et Al Qaida, comme cela vient de se produire au Yémen. Nous sommes en présence d'une politique de simple survie dont le terme est imprévisible, mais qui bouscule l'échiquier régional. Pour deux raisons majeures :
    - Ce rapprochement a affaibli Al Qaida car plusieurs groupes sunnites qui y sont opposés viennent de se rallier à Daesh, notamment en Tunisie et en Algérie.
    - L'Arabie saoudite freine l'interventionnisme du général Sissi afin de ne pas affaiblir ses nouveaux alliés en Libye, ce qui favorise indirectement Daesh, nébuleuse sunnite qui ne la menace pas encore.
     
    4) Dans ce jeu d'échecs, la France est sur l'arrière-main, se limitant à éviter au Sahel une contagion venue de Libye. Or, tous les connaisseurs du dossier savent bien que sans une "pacification" de la Libye, l'opération Barkhane est bancale.
     
    5) La solution libyenne qui était tribale n'est plus d'actualité. Dans les zones conquises, Daesh, dont la force de frappe est composée de non Libyens, a en effet  renversé le paradigme tribal en liquidant physiquement les chefs qui ne voulaient pas lui faire allégeance afin de terroriser les autres. En conséquence de quoi, les ralliements se multiplient...
     
    Face à cette situation, l'Egypte et la Tunisie ont décidé de se retrancher derrière  deux lignes électrifiées. Cette illusoire défense va certes permettre à certaines firmes européennes de faire de fructueuses affaires, mais elle ne stoppera pas la gangrène.
    Alors, comme je ne cesse de le préconiser depuis des mois, il ne reste qu'une seule solution pour tenter, je dis bien tenter, d'empêcher la coagulation islamiste qui s'opère actuellement dans toute l'Afrique du Nord à partir du foyer libyen. Cette solution a un nom: Saif al-Islam, le fils du colonel Kadhafi actuellement détenu à Zenten. Lui seul est en effet en mesure de reconstituer les anciennes alliances tribales de Cyrénaïque, de Tripolitaine et du Fezzan détruites par l'intervention franco-otanienne.  Or, cette solution est impossible puisque, dans l'ignorance bétonnée du dossier et aveuglée par ses principes juridiques européocentrés déconnectés des réalités, la Cour pénale internationale l'a inculpé pour "crimes de guerre".
     
    Dans cette évolution vers le pire que connaît la Libye, poussés à la fois par l'Arabie saoudite et par l'Algérie, Frères musulmans, Al Qaida et diverses milices viennent de s' "allier" contre Daesh.
    Dans cette guerre entre islamistes qui menace notre flanc sud, allons-nous donc être contraints de considérer Al Qaida comme un nouvel "ami"... ? Voilà le scénario apocalyptique auquel le sémillant BHL et l'éclairé Nicolas Sarkozy n'avaient pas pensé...

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 27 juillet 2015)
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  • 2030 : le monde que la CIA n'imagine pas...

    Les éditions Bernard Giovanangeli viennent de publier 2030 - Le monde que la CIA n'imagine pas, un essai de prospective de Thomas Flichy de la Neuville et Gregor Mathias. Le titre, volontairement provocateur, permet de rappeler, au passage, que les ouvrages de prospective émanant depuis 20 ans de la CIA ou de ses officines, et promus à grands frais, en France, par Alexandre Adler, se sont régulièrement trompés. Alors, même si le genre est dans tous les cas risqué, le point de vue d'experts français est le bienvenu...

    Professeur de relations internationales à Saint-Cyr-Coëtquidan, Gregor Mathias est l’auteur de la première biographie critique sur D. Galula, l’inspirateur français de la stratégie américaine de la contre-insurrection, David Galula. Combattant, espion, maître à penser de la contre-insurrection  (Economica, 2012). Agrégé d'histoire et spécialiste de l'Iran et des questions géopolitiques, Thomas Flichy de la Neuville enseigne également à Saint-Cyr-Coëtquidan et a récemment publié L'état islamique : anatomie du nouveau Califat (Bernard Giovanageli, 2014).

     

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    " En 2030, le monde sera très différent de la façon dont la CIA l'imagine. Il aura connu un bouleversement géopolitique majeur : en France, de nouvelles élites se seront mises à l’œuvre afin de relever un pays appauvri et placé sous tutelle financière. L'Europe élargie et plus que jamais affaiblie aura paradoxalement l'opportunité d'exister en raison de l'effondrement américain. A l'Est, la Russie sortira renforcée de sa lutte efficace contre l'Etat islamique, elle aura développé sa façade septentrionale en tirant parti de la prospère voie maritime du Nord-Est, désormais dégagée des glaces grâce au réchauffement climatique.
    Marqués par le repli impérial, les Etats-Unis exploiteront à plein régime leurs immenses réserves de pétrole. Ils auront abandonné le Golfe de Guinée et le Moyen-Orient, désormais sans intérêt pour leur économie. Ayant adopté l'espagnol comme seconde langue officielle, ils éliront le premier président latinos de leur histoire sur un programme isolationniste. L'Afrique sera devenue un véritable désert de pauvreté dans lequel surnageront quelques oasis de richesse, notamment dans sa partie orientale, devenue colonie de l'Inde.
    Au Moyen-Orient, la Turquie, malgré sa prospérité économique, sera incapable de concurrencer sa rivale iranienne alliée à l'Inde. Quant à la Chine, rétablira-t-elle l'harmonie par la magie de son ascension ? Il est plus probable qu'elle ira rejoindre les empires météores qui pour avoir trop brillé de leurs feux éblouissent les prospectivistes les plus sages avant de disparaître dans la nuit. "

     

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  • « Reprenons notre destin en main ! »...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir le remarquable entretien avec Hervé Juvin réalisé le 18 juin 2015 par Élise Blaise pour TV Libertés à l'occasion de la sortie du nouvel essai de cet auteur, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

     

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  • Russie-OTAN : En finir avec le bourrage de crânes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Migault, cueilli sur le site de l'agence d'information russe Sputnik et consacré aux manœuvres de désinformation américaines quant à une invasion de l'Ukraine par la Russie au cours de l'été...

    Philippe Migault est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et stratégiques (IRIS).

     

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    Russie-OTAN : En finir avec le bourrage de crânes

    Qu’il s’agisse des guerres ou de toute autre crise, Spin Doctors et médias réutilisent les mêmes procédés, ressassent les mêmes « informations », dès lors que les évènements se prolongent. C’est ce qu’on appelle dans la presse un marronnier.

    Vous avez aimé vous faire peur l'été dernier, quand toute la presse occidentale annonçait la ruée des blindés russes sur l'Ukraine, assurait que Vladimir Poutine était prêt à « prendre Kiev en deux semaines »? Vous adorerez la nouvelle série de l'été, la menace nucléaire en Europe. Pour les acteurs pas de surprise, le casting reste le même. Dans le rôle de l'innocente victime, l'Ukraine. Dans celui des ignobles renégats, les séparatistes du Donbass. Le côté obscur de la force conserve son siège au Kremlin. Comme dans tout bon western le justicier ne peut être qu'Américain. France et Allemagne tiennent leur rôle de figurant. Enfin l'Union Européenne se charge du chœur, commentant une tragédie à laquelle elle n'a pas même les moyens de prendre part.

    Bien entendu il faut pour cette « saison 2 » maintenir le spectateur en haleine.

    Celui-ci a constaté que la grande charge annoncée de l'Armée rouge, que l'on disait ressuscitée, n'a finalement pas eu lieu.

    S'il est un tant soit peu averti, il ne lui aura sans doute pas échappé qu'un général français, patron de la Direction du Renseignement Militaire, a vendu la mèche sur le scénario de l'an dernier, révélant ce que tous les esprits un tant soit peu indépendants savaient, ou subodoraient, à savoir que les services de renseignement américains avaient une fois encore monté une grossière opération d'intoxication et que le risque d'attaque russe en Ukraine n'avait jamais été avéré.

    Il faut donc faire plus fort pour que « l'occidental » moyen s'inquiète, s'indigne. En deux mots, y croit.

    En conséquence nous assistons depuis plusieurs jours à une montée en puissance des rumeurs alarmistes.

    Parce qu'il faut bien reprendre un peu des ingrédients précédents, l'agence Reuters a annoncé hier que l'un de ses envoyés spéciaux dans l'Oblast de Rostov a aperçu des trains transportant des blindés et des lance-roquettes multiples. Une forte concentration de troupes aurait été constatée à une cinquantaine de kilomètres à l'est de la frontière russo-ukrainienne.

    Peu importe à Reuters que Rostov-sur-le-Don soit le quartier général de la région militaire « Sud » de la Russie, où de très nombreuses forces sont stationnées compte tenu de l'instabilité du Caucase. Il va de soi pour l'agence anglo-canadienne que ces unités ne peuvent être destinées qu'à une chose: participer aux combats du Donbass si ceux-ci devaient reprendre.

    Avant-hier le quotidien « The Moscow Times », dont on connaît « l'impartialité » vis-à-vis des autorités russes, rapportait que la marine lettone avait constaté qu'un sous-marin russe était passé à 9 kilomètres de ses eaux territoriales, tandis qu'un Antonov-22, pour les béotiens un vieil avion de transport quadrimoteurs non armé, avait volé à proximité de la Lettonie, mais au-dessus des eaux internationales, mardi.

    Peu importe au Moscow Times que le trafic naval et aérien entre les principales bases de la marine russe en Baltique, Saint-Pétersbourg et Baltiïsk, s'effectue nécessairement en longeant les côtes lettones. Peu importe qu'aucune violation des eaux territoriales ou de l'espace aérien n'ait eu lieu. Il s'agit bien entendu d'une tentative d'intimidation ou d'espionnage.

    Ultime ingrédient du scénario catastrophe, le Secrétaire général de l'OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, a dénoncé mardi la « rhétorique nucléaire » russe, condamnant le possible déploiement de missiles Iskander dans l'oblast de Kaliningrad, et jugeant que « les bruits de botte russes sont injustifiés, déstabilisants et dangereux ». Barack Obama et son Vice-Président, Joe Biden, ont immédiatement surenchéri sur le même thème. Une atmosphère qui a permis au très atlantiste webzine franco-américain Slate de surfer sur la vague en annonçant mercredi que « pour un officiel de l'OTAN une guerre éclatera cet été (et que) si on a de la chance, elle ne sera pas nucléaire ».

    Peu importe à Slate que sa source, John Schindler, soit un ancien analyste de la NSA, dont on connaît la fiabilité, et qu'il enseigne à l'Ecole navale américaine. Peu importe que M. Schindler rapporte les propos anonymes d'un membre de l'OTAN, organisation dont chacun sait qu'elle ne crie jamais au loup pour rien. Nous sommes, à n'en pas douter, au bord de l'holocauste thermonucléaire.

    Nul n'est en mesure de dire combien de temps encore la tragédie ukrainienne se prolongera. Longtemps sans doute tant les haines sont désormais durablement installées et les facteurs susceptibles d'aggraver innombrables.

    Ce qui est certain c'est que la guerre de propagande engagée dans les médias des différentes parties en présence va sans doute aller, elle, s'intensifiant, avec, à la clé, des affirmations de plus en plus péremptoires, un ton de plus en plus effrayant, bref tous les ingrédients du bourrage de crâne. 

    Philippe Migault (Sputnik, 29 mai 2015)



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