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Entretiens - Page 189

  • Remigration et volonté politique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Laurent Ozon, réalisé à Nice le 10 novembre 2014 par Les non-alignés et consacré à la question de la remigration. Animateur de la structure identitaire, écologiste et localiste Maison commune, Laurent Ozon vient de fonder le Mouvement pour la remigration. Il a également publié le mois dernier aux éditions Bios un essai remarquable intitulé France, années décisives.

     

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  • Immigration : Besancenot-Laurence Parisot, même combat !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'alliance entre la gauche et la droite autour du libéralisme...

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    Immigration : Besancenot-Laurence Parisot, même combat !

    Autrefois, il y avait l’infernal tandem libéral-libertaire incarné par Daniel Cohn-Bendit et Alain Madelin. Il y a aujourd’hui celui formé par Najat Vallaud-Belkacem et Emmanuel Macron, avec cette particularité qu’ils appartiennent l’un et l’autre au même gouvernement. Alliance contre-nature ?

    Alliance parfaitement naturelle, au contraire, puisque le libéralisme économique et le libéralisme sociétal dérivent tous deux de la même conception d’un « homme économique » fondamentalement égoïste ayant pour seul but de maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt. Ce qu’on appelle l’axiomatique de l’intérêt n’est rien d’autre que la traduction en termes philosophiques de cette disposition naturelle de l’être humain à l’égoïsme. Le libéralisme pose l’individu et sa liberté supposée « naturelle » comme les seules instances normatives de la vie en société, ce qui revient à dire qu’il fait de l’individu la seule et unique source des valeurs et des finalités qu’il se choisit. La liberté libérale suppose ainsi que les individus puissent faire abstraction de leurs origines, de leur environnement, du contexte dans lequel ils vivent et où s’exercent leurs choix, c’est-à-dire de tout ce qui fait qu’ils sont tels qu’ils sont, et non pas autrement. La vie sociale, dès lors, n’est plus affaire que de décisions individuelles, de négociations procédurales et de choix intéressés.

    Historiquement parlant, le libéralisme économique s’est certes le plus souvent exprimé « à droite », tandis que le libéralisme sociétal se situait « à gauche ». C’est ce qui a permis à une certaine gauche de présenter le capitalisme comme un système autoritaire et patriarcal, alors qu’il est tout le contraire. Marx voyait plus juste quand il constatait le caractère intrinsèquement révolutionnaire de l’illimitation capitaliste, qui revient à noyer toute valeur autre que la valeur marchande dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Par là s’explique le rapprochement de ces deux formes de libéralisme. Pour étendre le marché, le libéralisme économique ne peut que détruire toutes les formes traditionnelles d’existence, à commencer par la famille (qui est l’un des derniers îlots de résistance au règne de la seule valeur marchande) ; tandis qu’à l’inverse, ceux des héritiers de Mai 68 qui voulaient « interdire d’interdire » et « jouir sans entraves » (deux slogans typiquement libéraux) ont fini par comprendre que c’est le capitalisme libéral qui pouvait le mieux satisfaire leurs aspirations.

    On sait depuis longtemps que, si la gauche a trahi le peuple, la droite, elle, a fait de même avec la nation. Et les deux de se réconcilier dans le même culte du marché. Quelle réalité derrière ce constat probablement un brin hâtif ?

    La nation n’acquiert un sens politique qu’au moment de la Révolution. Ce qui revient à dire qu’elle est née « à gauche » avant de passer « à droite ». La façon dont un fossé, qui ne cesse de s’élargir, s’est creusé entre la gauche et le peuple est un des traits majeurs du paysage politique actuel. La raison majeure en est que la « gauche », qui s’était rapprochée du mouvement socialiste et ouvrier au moment de l’affaire Dreyfus, s’est aujourd’hui ralliée à la société de marché, renouant du même coup avec ses origines libérales (idéologie du progrès, religion des droits de l’homme et philosophie des Lumières). Comme l’a fait remarquer Jean-Claude Michéa, il ne serait jamais venu à l’idée de Proudhon ou de Sorel, et moins encore de Karl Marx, de se définir comme des « hommes de gauche » !

    Même le travail est devenu un marché puisqu’on raisonne désormais en termes de « marché du travail ». Mais ce « marché » marche-t-il aussi bien que le prétendent ses infatigables promoteurs ?

    Selon la vulgate libérale, le marché est à la fois le lieu réel ou s’échangent les marchandises et l’entité virtuelle où se forment de manière optimale les conditions de l’échange, c’est-à-dire l’ajustement de l’offre et de la demande et le niveau des prix. Il est donc supposé autorégulateur et autorégulé, ce qui veut dire qu’il fonctionne d’autant mieux que rien ne fait obstacle à son fonctionnement « spontané », ce qui implique que rien n’entrave la libre circulation des hommes et des marchandises, et que les frontières soient tenues pour inexistantes. Adam Smith explique cela très bien quand il écrit que le marchand n’a d’autre patrie que celle où il réalise son meilleur profit. L’idée générale, en arrière-plan, est que l’échange marchand constitue la forme « naturelle » de l’échange. Étonnez-vous après cela que le patronat veuille toujours plus d’immigration ! Besancenot-Laurence Parisot, même combat !

    La forme d’échange propre aux sociétés traditionnelles n’est en réalité pas le troc (dont on ne retrouve la trace nulle part), mais la logique du don et du contre-don. Loin d’être « spontané », le marché, au sens moderne de ce terme, a été institué par l’État, comme l’a bien montré Karl Polanyi dans La Grande Transformation. L’idée d’une concurrence « pure et parfaite », enfin, n’est qu’une vue de l’esprit : les échanges commerciaux ne peuvent s’épargner de prendre en compte les phénomènes de pouvoir qui sont à l’œuvre dans toute société humaine. Le libéralisme prend fin dès l’instant où, face à la théorie libérale d’une « harmonie naturelle des intérêts », on reconnaît l’existence d’un bien commun primant sur les intérêts particuliers.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 novembre 2014)

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  • “La décroissance n’a pas à se situer sur l’échiquier politique”...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Serge Latouche à Novopress et consacré à la décroissance. Principal penseur français de la décroissance, Serge Latouche est l'auteur de nombreux essais dont La Mégamachine (La Découverte, 1995), Le Pari de la décroissance (Fayard, 2006) et Sortir de la société de consommation (Les liens qui libèrent, 2010). Il a également publié Décoloniser l'imaginaire (Parangon, 2011), Chroniques d'un objecteur de croissance (Sang de la terre, 2012) ou Bon pour la casse (Les Liens qui Libèrent, 2012).

     

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    “La décroissance n’a pas à se situer sur l’échiquier politique”

    Question récurrente s’il en est, mais nécessaire : existe-t-il une définition simple de ce qu’est la décroissance ?

    Ce n’est pas seulement une question récurrente, c’est une question impossible. On ne peut pas définir la décroissance parce que c’est un terme que nous avons utilisé comme un slogan provocateur et qui bien évidemment, contrairement à ce que la plupart des gens pensent, et surtout nos adversaires, ne doit pas être pris à la lettre. Etre absolument contre toute croissance est absurde dans la mesure où c’est une des lois de la nature. Décroître pour décroître serait complètement stupide au même titre que croître pour croître. Ce serait prendre un moyen pour la fin. Derrière ce slogan politique, l’idée est de faire comprendre aux gens la nécessité de sortir de la société de croissance, société dominée par la religion de la croissance. Il est urgent de devenir des athées de la croissance. Si nous voulions être rigoureux, il faudrait d’ailleurs parler d’a-croissance, au même titre que d’athéisme. Nous envisageons ce rejet de la société de croissance, non pas pour rejeter le bien être mais au contraire, cette société ayant trahie ses promesses, pour réaliser ce que mon collègue britannique Tim Jackson appelle la prospérité sans croissance et ce que je nomme l’abondance frugale.

    C’est un slogan que vous avez d’ailleurs relancé dès 2002…

    Oui, disons même que la date officielle du lancement est avril 2002 lors du colloque organisé à l’UNESCO. Précédemment, le numéro 280 de la revue Silence daté de février 2002, publié sous la direction de Vincent Cheynet et Bruno Clémentin, avait déjà pris pour titre “La Décroissance”. Il faut le reconnaître, ce sont eux qui ont eu l’intuition géniale à cette époque que le moment était venu de reprendre l’idée lancée par Nicholas Georgescu-Roegen dans son livre traduit en français par Jacques Grinevald. J’avais lu ce livre à sa sortie en 1994 et j’en avais fait une recension sans que cela ne marque vraiment les esprits. D’ailleurs, l’ouvrage n’avait pas eu un gros succès. Et pourtant en 2002, le mouvement va se mettre en place.

    La décroissance n’est en rien une croissance négative…

    En effet, la décroissance n’est pas le symétrique de la croissance. Ce n’est sûrement pas une croissance négative. Mais l’idée n’est claire pour personne et encore moins pour les partisans de la croissance. Qu’est-ce que la croissance ? On évoque généralement la croissance du PIB, l’indice fétiche des croyants. C’est ce que remettent en cause les athées. Cependant, du point de vue de l’écologie et dans la mesure où le PIB mesure tout et son contraire, l’indice le plus rigoureux reste l’empreinte écologique, c’est à dire le poids de notre mode de vie sur la biosphère. C’est d’ailleurs dans ce sens strict, et non pas dans celui d’un slogan provocateur pour un projet alternatif, que les Verts avait inscrit dans leur programme la notion de « décroissance de l’empreinte écologique ». Signe manifeste qu’ils n’avaient pas lu mon livre. Mais ce détournement leur permettait d’affirmer : « Nous ne sommes pas pour la décroissance de tout mais pour une croissance sélective ». Inutile de dire que je ne fus jamais partisan d’une décroissance de tout. C’est une vision pour le moins très réductrice du projet. Si vous êtes favorable à la simple décroissance du PIB, alors votre projet est en cours de réalisation ! Mais ce n’est guère serein, convivial et joyeux. C’est bien plutôt l’austérité que la décroissance. Si votre projet est de réduire l’empreinte écologique, le problème est plus complexe. Le PIB décroît bien plus que l’empreinte écologique. On peut même avoir une décroissance du PIB tout en connaissant une croissance de l’empreinte écologique.

    Le paradoxe n’est-il pas que la décroissance apparaît surtout comme une analyse chiffrée d’un phénomène alors qu’elle est aussi une question philosophique et anthropologique ?

    Absolument. Notre slogan invite d’ailleurs à sortir de la société de croissance, c’est à dire d’une société totalement phagocytée par une économie de croissance, autre nom de l’économie capitaliste fondée sur l’accumulation illimitée du capital. Cette société est fondée sur une triple illimitation : illimitation de la production, et donc destruction des ressources renouvelables et non renouvelables, illimitation de la consommation, et donc de la création de besoins toujours plus artificiels, illimitation de la production de déchets, et donc de la pollution de l’air, de l’eau et de la terre. La base économique de l’illimitation est bien sûr le capitalisme qui ne connaît pas de limite à l’accumulation mais la base philosophique de tout cela c’est la modernité avec son projet d’émancipation de l’homme, de la transcendance, de la révélation et de la tradition. Ce projet partait certes d’un bon sentiment mais n’a pas su imposer de nouvelles limites. La devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est magnifique ! Mais liberté pour quoi faire ? Pour détruire la nature ? Pour exploiter son prochain sans limite ? Votés parmi les premières lois de la Révolution, le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier (1791) ont détruit les corporations et interdit les syndicats qui entravaient l’exploitation sans limite des plus démunis. Les révolutionnaires avaient bien compris qu’à côté de la déclaration des droits, il fallait une déclaration des devoirs. Hélas, nous l’attendons toujours ! Ce qui fait dire aujourd’hui à un ancien président de la République, monsieur Sarkozy pour ne pas le nommer, qu’il s’est construit dans la transgression. Tout est donc permis !

    La dénonciation de cette vision angélique des choses – uniquement des droits – est également perceptible dans la notion de développement durable…

    D’un certain point de vue, l’écologie a réussi a faire prendre conscience de l’existence d’un problème. Cela n’a pas été simple. En 1972, le rapport du club de Rome, commandité par un ingénieur de chez Fiat, alarme sérieusement les esprits. Il est symptomatique qu’il vienne de l’industrie automobile. Les époux Meadows, simples chercheurs universitaires, vont, contre toute attente, rendre un rapport peu conforme à la volonté de départ de leur commanditaire. Le rapport Meadows marquera beaucoup les esprits. Cependant, il ne s’agissait pas de la première alerte. En septembre 1962, Rachel Carson avait fait paraître The silent spring (Le printemps silencieux) qui eut un succès important. En 1973, la crise pétrolière aidant, le débat s’essouffle. Mais les premiers ministères de l’Environnement sont créés. Certaines personnalités prennent cela très au sérieux, mais les crédits sont inexistants. En 1972 a lieu la première conférence mondiale pour l’environnement à Stockholm. Le mot d’ordre choisi est alors l’écodéveloppement. On décide de se réunir tous les dix ans : 1982 Nairobi, 1992 Rio. A Rio, plus de 2.000 représentants d’ONG sont présents, dont Greenpeace et la WWF. Le plus plus gros lobby industriel mest ené par deux criminels en gants blancs, Maurice Strong – secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement – et Stephan Schmidheiny – milliardaire suisse héritier du groupe Eternit, qui lance en 1995 le World Business Council for Sustainable Development, le Conseil mondial des affaires pour le développement durable. Schmidheiny va même jusqu’à publier un livre sous le titre Changer de cap: réconcilier le développement de l’entreprise et la protection de l’environnement.

    Sous la pression d’Henry Kissinger et du lobby industriel, le terme écodeveloppement est abandonné au profit de celui de développement durable. Maurice Strong et Stephan Schmidheiny s’engouffrent dans la brèche et font un véritable travail de marketing pour vendre l’idée de Sustainable Development, comme on lance un nouveau produit sur le marché. Le succès va être foudroyant.

    Les Verts, les écologistes de tous pays et les ONG sont tous tombés dans la trappe. Les seuls à ne pas s’y laisser prendre sont Nicholas Georgescu-Roegen et le petit groupe auquel j’appartenais. Nous faisions depuis trop longtemps la critique du développement pour nous laisser embobiner. Sustainable Development nous apparaissait immédiatement comme un oxymore énorme. Le plus extraordinaire c’est que lorsqu’il a fallu bien admettre que tout cela n’était que du vent, les tenants du Sustainable Development ont soutenu que le concept avait été dévoyé. Le concept n’a pas été dévoyé du tout ! Il a été fait pour cela ! D’ailleurs vous avez toujours des braves gens qui continuent d’en parler. Les industriels, eux, l’ont abandonné. Le Sustainable Development ne faisant plus recette, ils défendent maintenant l’idée d’une croissance verte. Malheureusement pour eux, croissance et développement sont inséparables. Le développement n’est pas corrigible. L’idée de Sustainable Development a induit toutes sortes de rapprochements et de dérives. Lorsque Vincent Cheney, sur un ton un peu déplaisant, accuse certains responsables d’ONG environnementalistes d’être des écotartuffes et de se compromettre avec des représentants de firmes transnationales polluantes, on ne peut pas objectivement lui donner tort.

    La grande question qui s’est posée aux fondateurs de l’écologie politique portait sur la nécessité ou non d’un parti politique…

    Il y a des écologistes qui ont fondé un parti politique. Etait-ce tenable et cohérent ? Personnellement, j’ai tendance à penser que non. La question s’est également posée pour la décroissance à un niveau infiniment moindre. J’ai toujours jugé cela stupide. La décroissance n’a pas à se situer sur l’échiquier politique. Elle défend des idées, fait éventuellement pression sur des groupes politiques. De ce point de vue, la démarche de Nicolas Hulot avec son contrat écologique va plutôt dans le bon sens. Ce contrat s’inspire d’ailleurs de mon livre Le pari de la décroissance. C’est mon ami Jean-Paul Besset, député européen écologiste de 2009 à 2014, qui est à l’origine de sa rédaction. Le problème c’est que tous les groupes politiques ont signé ce contrat mais sans en appliquer une seule ligne. Lorsqu’on décide de se lancer dans la vie politique, on prend ses responsabilités. Celui qui, à mes yeux, gère bien ce grand écart est Yves Cochet. Il possède de solides convictions et gère dans le même temps une vie politique qui nécessite des compromis voire des compromissions. Malgré tout, il défend des convictions profondes, notamment son attachement à la décroissance, ce qui l’a conduit à se marginaliser auprès des Verts.

    La solution ne passe-t-elle pas par l’exemplarité et la vertu au quotidien pour tous, c’est-à-dire par une révolution par le bas ?

    Il faut évidemment le faire. Mais cela ne suffit pas. Il existe un livre bien sympathique sur le sujet : Un million de révolutions tranquilles, de Bénédicte Manier. Quand j’ai lu cet ouvrage, j’ai eu l’impression d’un remake. Ce sont des solutions que nous avons déjà rencontrées dans le
    Tiers-Monde. En Afrique, dans les années 70, j’ai assisté à des tas de révolutions tranquilles dont l’un des promoteurs au Burkina Faso se nommait Bernard Lédéa Ouédraogo. L’homme était plein d’enthousiasme et souhaitait stimuler la participation des paysans à leur propre développement. Où en est le Burkina aujourd’hui ? Il existe de nombreuses initiatives intéressantes mais il suffit d’un coup d’état pour que tout s’écrase. Bien souvent ces « révolutions tranquilles » remettent en cause le pouvoir en place, qui n’est lui-même qu’un chaînon du système international. Au même titre que nos gouvernements qui sont eux-mêmes des chaînons de l’oligarchie mondiale. Jusque dans les années 80, l’économie n’avait pas totalement phagocyté la société. La mondialisation est le moment où l’économie phagocyte le social. D’ailleurs, le mot mondialisation est usurpé. Il s’agit bien plus d’une marchandisation du monde. C’est ce phénomène qui est nouveau. On marchandise tout, le sport comme l’art. Auparavant, il existait un peu de corruption marchande mais il ne s’agissait pas de marchés. On se garde bien de dire également que les apprentis sorciers qui ont détruit des sociétés entières sont responsables du terrorisme mondial que nous connaissons actuellement. Nos dirigeants ont réussi à mondialiser le terrorisme, ce qui est autrement plus grave.

    Le danger qui nous menace ne réside-t-il pas dans l’action d’experts sans légitimité démocratique qui nous imposent un mode de vie technocratique, avec son corollaire, la création d’un Etat policier ?

    Nous y sommes déjà depuis un certain temps. Nous nous y enfonçons de plus en plus et cela risque de continuer.

    Quelle est l’idée de la collection Les précurseurs de la décroissance que vous dirigez aux éditions Le passager clandestin ?

    Ce projet est assez fantastique. En creusant les choses, on s’aperçoit que la décroissance a été portée dès le début de la révolution industrielle en réaction contre ses effets négatifs. Notamment à travers le socialisme utopique de William Morris ou de Charles Fourier. Ce courant aura son heure de gloire dans les années 70 avec les fondateurs de l’écologie politique : Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Ivan Illitch ou encore Cornélius Castoriadis. Dans le même temps, on s’aperçoit que la base philosophique qui transparaît derrière le sens des limites est partagé par toutes les civilisations. La société de l’illimité est une toute petite parenthèse dans l’histoire de l’humanité, y compris dans l’histoire de la philosophie. Epicure, Diogène, les stoïciens, étaient tous dans l’auto-limitation. De même que le taoïsme, le confucianisme, le bouddhisme, la sagesse africaine, la sagesse amérindienne… Il existe une dimension basique de ce que peut être une civilisation humaine.

    L’intérêt de la collection est de donner au projet de la décroissance ses lettres de noblesse, sa légitimité, pour contrecarrer les tentatives de rabaissement auxquelles se livrent un certain nombre de vedettes médiatiques. Je pense ici à Pascal Bruckner ou Luc Ferry notamment.

    En tant que fondateur du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales), quel est votre positionnement à l’égard de Jean-Claude Michéa ?

    J’ai écrit pour lui un livre lorsqu’il était directeur de collection chez Climat, La planète uniforme. Je souhaitais que lui même écrive un « Georges Orwell » pour la collection des Précurseurs de la décroissance. Jean-Claude est un ami. Le problème c’est qu’il donne un peu des bâtons pour se faire battre. Il n’a pas tort dans ses analyses mais il n’a pas tout à fait raison non plus. Il joue avec le feu dans une zone intermédiaire en lançant des formulations imprudentes. C’est un provocateur mais qui fondamentalement n’a pas tort. Comme dit mon ami Marco Revelli, grand politologue italien, il existe deux droites dont l’une s’appelle la gauche ! 

    Que pensez-vous des initiatives qui se déroulent à Notre-Dame des Landes contre la création de l’aéroport ou bien encore à Sievens contre l’établissement d’un barrage inutile?

    C’est très bien. Je dis : « Allez-y les gars ! ». J’ai un peu passé l’age mais je suis admiratif. Il est absolument nécessaire de résister. Comme le dit Heidegger, personnalité ambiguë, « L’homme est le berger de l’être ». Alors, nous avons tous une part de responsabilité dans le destin de la planète.

    Serge Latouche, propos recueillis par Arnaud Naudin et Guillaume Le Carbonnel (Novopress, 7 octobre 2014)

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  • Le coût du travail ? Oui, mais celui du capital ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la politique favorable au grand patronat adoptée par le gouvernement...

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    Le coût du travail ? Oui, mais celui du capital ?

    On parle toujours beaucoup du fameux pacte de responsabilité annoncé par François Hollande le 14 janvier dernier. Demander au grand patronat de se porter garant de la solidarité nationale, n’était-ce pas faire preuve d’une certaine naïveté ?

    La France mène depuis plus de vingt ans une politique de baisse des charges sociales qui n’a jamais empêché le chômage de monter. Souvenez-vous des 22 milliards d’exonérations de cotisations employeurs, des 6 milliards du crédit impôt-recherche, des 6 milliards de baisse de la taxe professionnelle, des 20 milliards du crédit d’impôt compétitivité-emploi, etc. Le pacte de responsabilité est le dernier avatar en date de cette politique. Il consiste à offrir sans contrepartie 40 milliards d’euros de baisses de charges aux employeurs en espérant, en bonne logique libérale, voir se multiplier les créations d’emplois. Le patronat empoche, mais le chômage augmente toujours, tandis que la croissance est nulle, que la dette s’alourdit et que la déflation menace. Échanger des mesures concrètes contre des promesses vagues, cela s’appelle conclure un marché de dupes, doublé d’une mise en scène destinée à faire accepter la politique de l’offre adoptée par le gouvernement.

    Le MEDEF, qui ne cache pas sa joie devant le ralliement du tandem Valls-Macron à la logique du marché, en profite pour pousser encore plus loin son avantage, puisqu’il réclame maintenant 50 milliards supplémentaires, la remise en cause du droit du travail et des acquis sociaux, la suppression des normes et réglementations des marchés, la baisse des seuils sociaux, etc. S’il n’exige pas qu’on renvoie les enfants travailler dans les mines, c’est sans doute que les mines n’existent plus !

    Pour justifier sa position, le MEDEF met régulièrement en cause l’insupportable « coût du travail », qui serait en France plus élevé qu’ailleurs, ce qui pèserait à la fois sur l’emploi et sur la compétitivité. Intox ou réalité ?

    Le grand patronat se plaint depuis toujours que les travailleurs coûtent trop cher. Son rêve serait évidemment que les gens travaillent pour rien, ce qui augmenterait d’autant les bénéfices (mais poserait quand même la question de savoir avec quels moyens les gens pourraient ensuite consommer ce qu’on a produit !). Au XIXe siècle, quand on a supprimé le travail des enfants, le MEDEF de l’époque assurait déjà qu’on allait ainsi faire s’effondrer toute l’économie nationale. Aujourd’hui, ce sont les dépenses liées à l’utilisation de main-d’œuvre qui sont dans le collimateur, bonne excuse pour justifier les délocalisations vers des pays qui ne connaissent que des salaires de misère.

    Le coût du travail se définit comme la somme des salaires bruts et des cotisations sociales patronales. Le coût moyen de l’heure de travail est en France de 35,6 euros, plus qu’en Allemagne (32,8 euros), mais beaucoup moins qu’en Suède (43 euros). Alléguer dans l’abstrait le coût du travail n’a cependant pas beaucoup de sens, aussi longtemps que ce coût n’est pas rapporté à la fois à l’indice des prix et à la productivité. Un coût salarial élevé n’est en effet pas nécessairement un frein à la compétitivité si le coût par unité produite reste faible. C’est la raison pour laquelle, pour effectuer des comparaisons internationales, on parle de coût salarial unitaire réel. Le coût du travail est plus élevé en France qu’en Allemagne, mais nous avons une productivité supérieure de 20 % à celle des Allemands. En proportion de la productivité horaire moyenne, le coût horaire du salaire minimum se situe aujourd’hui à son plus bas niveau depuis soixante ans.

    La vérité est qu’il est très difficile d’établir une relation directe entre le montant des coûts salariaux et le niveau du taux de chômage (il n’est, en Suède, que de 7,7 %, alors qu’il est de 10,3 % en France). On peut certes diminuer les cotisations sociales, mais cela implique de trouver d’autres modes de financement de la protection sociale (l’impôt ? les prélèvements privés ?). Et si l’on diminue le salaire minimum, on diminue du même coup le pouvoir d’achat minimum, donc la demande, donc la production, donc l’emploi.

    Si l’on parle beaucoup du coût du travail, on ne parle d’ailleurs jamais du coût du capital, qui n’est sans doute pas moins pesant.

    C’est le moins qu’on puisse dire. Il faut bien distinguer ici capital productif et capital financier. Le capital productif, nécessaire à la production des biens et des services, a besoin de faire des dépenses à la fois pour son entretien et pour ses investissements. Si, pour ce faire, il ne dispose pas de ressources propres, il doit solliciter un financement externe auprès de ses actionnaires, qu’il rémunère en dividendes, ou de prêteurs, qu’il rémunère en intérêts. Ce sont ces versements qui correspondent au coût du capital financier. Or, celui-ci compte aujourd’hui pour 50 % du coût économique du capital, contre seulement 20 % dans les années 1960-1970. Résultat : les entreprises dépensent désormais deux fois plus en dividendes nets, versés à des actionnaires-rentiers qui veulent se goinfrer le plus vite possible, qu’en investissements nets. Les dividendes des actionnaires des entreprises du CAC 40 sont eux-mêmes en hausse de 30 % sur un an, alors que l’investissement reste désespérément plat. C’est une des conséquences de la financiarisation de ces trois dernières décennies, qui n’a cessé de privilégier les détenteurs du capital financier par rapport aux entrepreneurs. Une captation qui n’est évidemment pas étrangère au manque de compétitivité de ces derniers.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 27 octobre 2014)

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  • Si la France veut peser sur Berlin, il faut qu’elle rompe avec Washington…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la place actuelle de l'Allemagne en Europe...

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

    Si la France veut peser sur Berlin, il faut qu’elle rompe avec Washington…

    Qu’on s’en félicite ou non, l’Allemagne signe son grand retour sur la scène internationale et européenne. Fin d’une époque et solde de tout compte de la Seconde Guerre mondiale ?

    Bien que beaucoup de gens ne paraissent pas s’en rendre compte, il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit là d’un événement historique. C’est en effet la première fois depuis 1945 que l’Allemagne s’affirme, non seulement comme une grande puissance économique, mais comme une puissance dont la voix politique commence à porter. Tournant considérable. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands s’étaient vu intimer de se détourner définitivement du domaine militaire et de ne plus faire preuve désormais de leurs capacités d’excellence que dans le domaine économique. En 1944, le plan Morgenthau, rédigé à la demande de Roosevelt, était même allé jusqu’à préconiser la désindustrialisation de l’Allemagne, son démembrement et sa transformation en un pays uniquement pastoral ! L’Allemagne échappa à ce sort grâce à la guerre froide. Pendant plus d’un demi-siècle, elle fut donc un géant économique doublé d’un nain politique.

    Les choses ont commencé à changer avec la chute du mur de Berlin. Les Allemands sont d’abord parvenus à intégrer et à remettre à niveau les Länder de l’ancienne RDA, ce qui n’a pas été un mince exploit. Ils ont ensuite réanimé leurs anciens liens avec les pays d’Europe centrale et orientale (Hongrie, Tchéquie, Pologne, Croatie, Roumanie, etc.). Ils ont également obtenu que l’euro ait la même valeur que l’ancien mark, ce qui n’a d’ailleurs pas été sans poser les problèmes que l’on sait. Aujourd’hui, ils prennent politiquement l’initiative, avec d’autant plus de facilité que la France est affaiblie et que les pays du sud de l’Europe sont ruinés. Le refus de l’Allemagne de participer à la seconde guerre du Golfe était déjà un signe. L’activisme déployé par la chancelière allemande dans l’affaire ukrainienne en est un autre.

    Certains s’en affligent, notamment dans les milieux souverainistes, qui ont toujours eu du mal à admettre que l’Allemagne ne soit pas la principauté de Monaco, et ne se privent pas de dénoncer à tout bout de champ « l’Europe allemande ». Je n’appartiens pas à ces milieux, qui me paraissent avoir oublié que, dès février 1962, dans son discours de Hambourg, de Gaulle appelait à faire de la coopération franco-allemande « la base d’une Europe dont la prospérité, la puissance, le prestige égaleront ceux de qui que ce soit ».

    L’Allemagne est le plus grand pays d’Europe occidentale. Elle occupe en Europe une position centrale. Il n’est pas illogique qu’elle retrouve aujourd’hui la place qui va de pair avec cette position. Cela ne veut certes pas dire que les choix politiques qu’elle fera dans les décennies qui viennent seront nécessairement les bons. Mais pour l’heure, bornons-nous à faire ce constat : Angela Merkel « tient le continent européen », comme le dit Emmanuel Todd (qui va jusqu’à déclarer que, s’il n’avait pas d’autre choix, il préférerait l’hégémonie américaine à l’hégémonie allemande, ce qui n’est pas mon cas).

    Les Allemands participent aux sanctions contre Poutine, alors même que leurs investissements en Russie sont considérables. Paradoxe ?

    L’histoire des relations entre l’Allemagne et la Russie, dont la Pologne (et l’Ukraine !) a souvent fait les frais, est complexe. Au cours de l’histoire, l’Allemagne a été tour à tour l’alliée et l’adversaire de la puissance russe. Aujourd’hui, elle ne peut effectivement négliger ses investissements en Russie. Mais elle peut aussi être tentée par une autre politique : rassembler autour d’elle les anciens pays satellites de l’URSS pour en faire une zone d’influence en Europe centrale, et s’affirmer progressivement indépendante de la Russie comme des États-Unis. On en est encore loin, mais cela peut s’envisager. C’est ce que fait Emmanuel Todd, quand il déclare pressentir « l’émergence d’un nouveau face-à-face entre la nation-continent américaine et le nouvel empire allemand ». D’où ses critiques de l’Amérique qui, selon lui, devrait avant tout redouter l’affaiblissement de la Russie. Ce qui est sûr, c’est que d’ores et déjà, l’Allemagne s’est substituée à la Russie comme puissance contrôlant l’Est européen, ce qui n’est pas sans conséquences pour les relations entre Moscou et Berlin.

    Et pour la France, coincée entre Mitteleuropa et puissant voisin anglo-saxon, aujourd’hui plus affaiblie que jamais, quelles perspectives ?

    Aujourd’hui, c’est de toute évidence Angela Merkel qui porte la culotte dans le couple franco-allemand – non parce que l’Allemagne est trop forte, mais parce que la France est trop faible. La France ne peut espérer contrôler l’Allemagne, mais elle peut peser sur ses orientations. Ou plutôt elle le pourrait si elle avait elle-même la volonté de s’émanciper de Washington. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’elle a choisi la servitude. Et que l’Allemagne est tout autant qu’elle disposée à signer le traité transatlantique dont le grand objectif est de passer un anneau dans le nez des Européens.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 11 octobre 2014)

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  • A propos du Traité transatlantique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à la revue Rébellion à propos du Traité transatlantique, qui donne lieu à des négociations secrètes entre l'Union européenne et les Etats-Unis...

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    Entretien avec Alain de Benoist sur le Traité transatlantique

    Rébellion / Quelle sont les origines des négociations pour le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement ? Quelles sont les parties en présence ?

    La « libéralisation » totale des échanges commerciaux est un vieil objectif des milieux financiers et libéraux. Dès le 22 novembre 1990, un an après la chute du Mur de Berlin, les Etats-Unis et l’Europe avaient adopté une première « Déclaration transatlantique » par laquelle ils s’engageaient à « promouvoir les principes de l’économie de marché, à rejeter le protectionnisme, à renforcer et ouvrir davantage les économies nationales à un système de commerce multilatéral ». S’ensuivirent différentes initiatives allant toute dans le sens d’un partenariat commercial euro-américain. En mai 1998, lors du sommet américano-européen de Londres, un premier Partenariat économique transatlantique fut signé.

    Le projet fut réactivé en juin 2005, au sommet américano-européen de Washington, sous la forme d’une déclaration solennelle en faveur d’un « Nouveau partenariat économique transatlantique ». Le 30 avril 2007, un « Conseil économique transatlantique » était mis en place par George W. Bush, président des Etats-Unis, Angela Merkel, alors présidente du Conseil européen, et José Manuel Barroso président de la Commission européenne, sous la direction conjointe de Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce, et de l’Américain Michael Froman. Cette nouvelle instance se fixait pour objectif de négocier le marché transatlantique dans tous ses aspects législatifs liés à la production, au commerce et aux investissements. Il fut convenu de se réunir tous les ans.

    Le 2 février 2009, le Parlement européen adoptait une résolution sur l’« état des relations transatlantiques » invitant à la création effective d’un grand marché transatlantique calqué sur le modèle libéral et impliquant une liberté de circulation totale des hommes, des capitaux, des services et des marchandises. Le texte précisait que ce partenariat transatlantique se fondait « sur des valeurs centrales partagées, telles que la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit », et qu’il devait « demeurer la pierre angulaire de l’action extérieure de l’Union ». Le processus pouvait alors s’engager concrètement. Le 13 février 2013, Obama signait avec José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy une déclaration adoptant le principe d’un accord de partenariat transatlantique. François Hollande, représentant la France, aissait faire. Le 12 mars, la Commission européenne approuvait le projet de mandat concernant la conclusion d’un tel accord avec les Etats-Unis. Enfin, le 14 juin 2013, les gouvernements des 27 Etats membres de l’Union européenne donnaient officiellement donné mandat à la Commission européenne pour négocier avec le gouvernement américain la création d’un grand marché commun transatlantique, qui a reçu le nom de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements (Trasantlantic Trade and Investment Partnership, TTIP), l’objectif affiché étant de « lier le niveau de libéralisation des deux parties au plus haut niveau de libéralisation obtenu suite aux accords de libre-échange déjà conclus, tout en cherchant à atteindre de nouveaux accès au marché en éliminant les obstacles qui demeurent ». Les négociations officielles se sont ouvertes à Washington le 8 juillet 2013. Elles se poursuivent toujours actuellement, les partenaires espérent parvenir à un accord d’ici 2015.

    Rébellion / Décrit comme le plus important accord commercial bilatéral de l'histoire (800 millions de consommateurs, la moitié du PIB mondial et 40% des échanges mondiaux sont directement concernés), il est pourtant négocié dans le plus grand secret par Washington et Bruxelles. Alors que les peuples sont globalement tenus à l'écart des négociations, il semble que les représentants des multinationales et des grands intérêts financiers soient des membres actifs des réunions de préparation. Pourquoi autant de d'opacité autour de ce projet ? Que révèle pour vous ce basculement anti-démocratique du système mondialiste ?

    On retrouve dans cette affaire la volonté des milieu libéraux de tenir le plus possible les peuples dans l’ignorance de ce qui va engager leur avenir. Ni l’opinion publique ni ses représentants n’ont en effet eu accès au mandat de négociation. La classe politique, dans son ensemble, s’est réfugiée dans un silence qui laisse pantois. Les traités confiant à la Commission européenne une compétence exclusive en matière commerciale, le Parlement européen n’a même pas été saisi. Beaucoup n’hésitent pas à parler de « négociations commerciales secrètes » pour qualifier ces tractations qui se déroulent à huis-clos. Ce que l’on en sait provident uniquement de « fuites ». Les citoyens n’en ont en rien été informés – ce qui n’est pas le cas, en revanche, des « décideurs » appartenant aux grands groupes privés, aux multinationales et aux divers groupes de pression, qui sont au contraire régulièrement associés aux discussions.

    Rébellion / Le contenu du projet de traité semble viser à une libéralisation totale des rapports économiques entre l'Europe et les Etats-Unis. Que recouvrerait exactement le futur accord ?

    C’est à la fois simple et immensément ambitieux. Il s’agit de déréglementer complètement les échanges entre les deux plus grands marchés de la planète. Le projet vise pour cela à la « suppression totale des droits de douane sur les produits industriels et agricoles », mais surtout se propose d’« atteindre les niveaux les plus élevés de libéralisation des investissements ».

    Pour quel objectif ? L’élimination des barrières commerciales transatlantiques, dit-on, apporterait entre 86 et 119 milliards d’euros par an à l’économie européenne, et entre 65 et 90 milliards aux Etats-Unis, ce qui pourrait entraîner d’ici quinze ans une augmentation moyenne des revenus de 545 euros par ménage européen (chiffres fournis par la Commission européenne et par le Center for Economic Policy Research). Selon un rituel bien au point, on assure que l’accord bénéficiera à tout le monde, qu’il aura un effet favorable sur l’emploi, etc. Rapportées à l’horizon 2027, qui est celui que l’on a retenu, de telles promesses sont en réalité dépourvues de sens. En 1988, la Commission européenne avait déjà affirmé que la mise en place du grand marché européen, prévue pour 1992, créerait entre 2 et 5 millions d’emplois en Europe. On les attend toujours.

    Rébellion / Les conséquences du traité, s’il devait être mis en place, seraient sans précédent pour l'Europe. Quels seraient les secteurs les plus touchés ?

    La suppression des droits de douane sera surtout sensible dans le secteur du textile et dans le secteur agricole : elle devrait entraîner une chute des exportations agricoles françaises, une industrialisation accrue de l’agriculture européenne, et l’arrivée massive en Europe de soja et de blé américain. Globalement, le démantèlement des droits de douane sera en outre préjudiciable à l’Europe, car le taux moyen de droits de douane est de 5,2 % dans l’Union européenne, tandis qu’il n’est que de 3,5 % aux Etats-Unis. S’ils sont supprimés, les Etats-Unis en retireront donc un avantage de 40 % supérieur à celui de l’UE. Cet avantage sera spécialement marqué dans certains secteurs : les droits de douane sur les matériels de transports sont de 7,8 % en Europe, contre 0 % aux Etats-Unis. Leur suppression portera donc directement atteinte à l’industrie automobile européenne. Et la faiblesse du dollar par rapport à l’euro profitera également aux Etats-Unis au détriment des productions européennes, qui seront incitées à délocaliser, ce qui aggravera d’autant le chômage. Cela dit, la disparition des barrières douanières n’aura pas d’effets macro-économiques véritablement décisifs, puisque les Etats-Unis sont déjà les premiers clients de l’Union européenne, et inversement. A l’heure actuelle, quelque 2,7 milliards de dollars de biens et de services sont échangés chaque jour entre les deux continents !

    Rébellion / La fin des normes protectrices et les poursuites possibles pour faire « sauter » les dernières barrières au libre-échange mondial ouvrent-elles la voie à une « privatisation » du droit au service des grands groupes ?

    C’est en effet le point essentiel. Beaucoup plus importante que la suppression des droits de douane est l’élimination programmée de ce qu’on appelle les « barrières non tarifaires » (BNT), c’est-à-dire l’ensemble des réglementations que les négociateurs jugent nuisibles parce qu’elles constituent autant d’« entraves » à la liberté du commerce. En clair, les normes constitutionnelles, légales et réglementaires qui, dans chaque pays, seraient susceptibles d’entraver une liberté commerciale érigée en liberté fondamentale : normes de production sociales, salariales, environnementales, sanitaires, financières, économiques, politiques, etc. Pour ce faire, les accords en cours de négociation se proposent d’aboutir à une « harmonisation progressive des réglementations et de la reconnaissance mutuelle des règles et normes en vigueur ». José Manuel Barroso a lui-même précisé que « 80 % des gains économiques attendus de l’accord viendront de la réduction du fardeau réglementaire et de la bureaucratie ». L’enjeu normatif est donc énorme.

    Pour libéraliser l’accès aux marchés, l’Union européenne et les Etats-Unis sont censés faire « converger » leurs réglementations dans tous les secteurs. Le problème est que, dans presque tous les cas, les règlements en vigueur aux Etats-Unis sont moins contraignants que ceux qui existent en Europe. Comme les Américains n’envisagent évidemment pas un instant de durcir leur législation, et que l’objectif est de s’aligner sur le « plus haut niveau de libéralisation existant », la « convergence » se fera nécessairement par l’alignement des normes européennes sur les leurs. En fait d’« harmonisation », ce sont les Etats-Unis qui vont imposer à l’Europe leurs règles commerciales.

    Dans le domaine agricole, l’ouverture du marché européen devrait entraîner l’arrivée massive des produits à bas coûts de l’agrobusiness américain : bœuf aux hormones, carcasses de viande aspergées à l’acide lactique, viands aux OGM, etc. Jugées depuis longtemps « trop contraignantes » par les Américains, toutes les normes sanitaires européennes pourraient ainsi être condamnées comme « barrières commerciales illégales ». En matière environnementale, la réglementation encadrant l’industrie agro-alimentaire serait démantelée. Les groupes pharmaceutiques pourraient bloquer la distribution des génériques. Les services d’urgence pourraient être contraints de se privatiser. Il pourrait en aller de même de l’eau et de l’énergie. Concernant le gaz de schiste, la fracturation hydraulique deviendrait un droit intangible. En outre, comme aux Etats-Unis les « indications géographiques protégées » ne sont pas reconnues, les « appellations d’origine contrôlées » (AOC) françaises seraient directement menacées. En matière sociale, ce sont toutes les protections liées au droit du travail qui pourraient être remises en cause, de même que le statut des services publics et des marchés publics.

    Mais il y a pire encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’« arbitrage des différends » entre Etats et investisseurs privées. Ce mécanisme dit de « protection des investissements » (Investor State Dispute Settlement, ISDS) doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les Etats ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices, c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en causes par les politiques publiques, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité (c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de limite aux pénalités qu’un tribunal pourrait infliger à un Etat au bénéfice d’une multinationale), et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Un mécanisme de ce type a d’ailleurs déjà été intégré à l’accord commercial que l’Europe a récemment négocié avec le Canada (CETA).

    Les firmes multinationales se verraient donc conférer un statut juridique égal à celui des Etats ou des nations, tandis que les investisseurs étrangers obtiendraient le pouvoir de contourner la législation et les tribunaux nationaux pour obtenir des compensations payées par les contribuables pour des actions politiques gouvernementales visant à sauvegarder la qualité de l’air, la sécurité alimentaire, les conditions de travail, le niveau des charges sociales et des salaires ou la stabilité du système bancaire. La capacité des Etats à légiférer étant ainsi remise en question, les normes sociales, fiscales, sanitaires et environnementales, ne résulteraient plus de la loi, mais d’un accord entre groupes privés, firmes multinationales et leurs avocats, consacrant la primauté du droit américain. On assisterait ainsi à une privatisation totale de la justice et du droit, tandis que l’Union européenne s’exposerait à un déluge de demandes d’indemnités provenant des 14 400 multinationales qui possèdent aujourd’hui plus de 50 800 filiales en Europe.

    Rébellion / L'Union européenne se révèle un acteur de l'arrimage de notre continent aux intérêts des Etats-Unis. Pensez-vous que cette orientation atlantiste cache une course vers le vide d'une institution technocratique qui tente de renforcer son emprise sur les peuples ?

    Ce qui est terrible en effet, c’est que les négociateurs de l’Union européenne semblent s’être engagés dans ces discussions sans le moindre souci de faire passer en premier les intérêts des Européens. On ne peut s’en étonner, puisque l’idéologie de l’Union est cette même idéologie capitaliste et libérale dont se réclament les Etats-Unis. Dans certains domaines, les Européens vont même plus loin que les Américains. Un exemple : le 1er juillet dernier, un document qui a « fuité » grâce à un groupe bruxellois appelé Corporate Europe Observatory (CEO) a révélé que, dans le cadre des négociations sur l’accord commercial transatlantique, les Européens s’aprrêtent à demander eux-mêmes moins de règles pour les banques et les marchés financiers, cet appel à déréglementer la finance, qui résulte du travail de lobbying des banques européennes, remettant directement en cause tout le travail d’encadrement de ce secteur realisé depuis le début de la crise. L’intégration des services financiers à l’accord transatlantique permettrait ainsi aux banques européennes d’opérer aux Etats-Unis avec leurs propres réglementations.

    Rébellion / La perte de souveraineté économique de l'Europe représentée par la mise en place du traité Transatlantique ne va t-elle pas renforcer la perte de souveraineté politique déjà existante avec son intégration dans l'OTAN ?

    La réponse est dans la question ! Le Wall Street Journal l’a d’ailleurs reconnu avec ingénuité : tout comme le « Partenariat transpacifique » (Trans-Pacific Partnership, TPP) que les Etats-Unis ont également lancé en 2011 pour contenir la montée en puissance de la Chine, le partenariat transatlantique « est une opportunité de réaffirmer le leadership global de l’Ouest dans un monde multipolaire ». Un leadership que les Etats-Unis ne sont pas parvenus à imposer par l’intermédiaire de l’OMC en raison de la résistance des pays pauvres et des pays émergents. Il s’agit donc bien pour eux de tenter de maintenir leur hégémonie mondiale en enlevant aux autres nations la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par leurs élites financières. La création d’un grand marché transatlantique leur offrirait un partenaire stratégique susceptible de faire tomber les dernières places fortes industrielles européennes. Il permettrait de démanteler l’Union européenne au profit d’une union économique intercontinentale, c’est-à-dire d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble « océanique » la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie. 

    L’enjeu final est donc bel et bien politique. Par une intégration économique imposée à marche forcée, l’objectif final est de mettre en place une « nouvelle gouvernance » commune aux deux continents. A Washington comme à Bruxelles, on ne dissimule pas que le grand marché transatlantique n’est qu’une étape vers la création d’une structure politique mondiale, qui prendrait le nom d’Union transatlantique. De même que l’intégration économique de l’Europe était censée déboucher sur son unification politique, il s’agirait de créer à terme un grand bloc politico-culturel unifié allant de San Francisco jusqu’aux frontières de la zone d’influence russe. Le continent eurasiatique étant ainsi coupé en deux, une véritable Fédération transatlantique pourrait ainsi voir le jour. Les souverainetés nationales ayant déjà été annexées par la Commission de Bruxelles, c’est la souveraineté européenne qui serait alors transférée aux Etats-Unis. Les nations européennes resteraient dirigées par des directives européennes, mais celles-ci seraient dictées par les Américains. Il s’agit, on le voit, d’un projet d’une immense ambition, dont la réalisation marquerait un tournant historique – sur l’opportunité duquel aucun peuple n’a jamais été consulté.

    Rébellion / Grand absent de cette négociation, quel est le regard de la Russie sur ce renforcement des liens du bloc atlantiste ? Propose-t-elle une voie alternative ?

    La Russie ne peut que s’inquiéter de la mise en place d’un tel accord, qui contribuerait à l’encercler du point de vue économique et politique, et à la couper un peu plus des pays européens. Elle pourrait bien entendu offrir une alternative aux Européens, en leur proposant de s’associer à la construction d’un grand bloc continental, mais elle sait très bien que l’Union européenne ne s’engagera jamais dans cette voie aussi longtemps qu’elle restera aux ordres de Washington. Dans le passé, Poutine semble avoir espéré que les Européens se montreraient plus soucieux de leur indépendance et prendraient conscience de ce qui rend complémentaires les intérêts russes et les intérêts européens. Je pense qu’aujourd’hui, il ne se fait plus d’illusion. C’est la raison pour laquelle il se rapproche toujours plus de la Chine, afin de créer avec elle une puissance commune qui puisse contre-balancer l’offensive américaine et affaiblir un dollar déjà bien mal en point.

    Rébellion / Lors des débats à l'Assemblée nationale, l'UMP comme le PS ont rejeté l’appel à la suspension des discussions déposé par le Front de gauche. Cet alignement de la « gauche » comme de la « droite » est-il une nouvelle preuve de leur adhésion commune à logique libérale ?

    Est-il encore besoin de « preuves » ? Le parti socialiste, qui depuis 1983 n’a plus de socialiste que le nom, ressemble aujourd’hui de plus en plus à l’ancienne SFIO. Il a hérité d’un atlantisme qui ne s’est pas démenti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui explique que François Hollande se soit bien gardé de revenir sur la réintégration de la France dans l’appareil intégré de l’OTAN. Toute sa politique montre par ailleurs qu’il s’est officiellement soumis à la finance de marché. N’oublions pas non plus que nombre de membres de la Nouvelle Classe, qu’il s’agisse de leaders d’opinion ou de dirigeants des grands « partis de gouvernement », à commencer par François Hollande (promotion 1996), font partie des « Young Leaders » de la French-American Foundation, organisation créée en 1976 pour « renforcer les liens entre la France et les Etats-Unis », notamment par la recherche de « solutions partagées » (c’est aussi le cas de personnalités aussi différentes que Arnaud Montebourg, Aquilino Morelle, Marisol Touraine, Najat Vallaud-Belkacem, Matthieu Pigasse, Laurent Joffrin, David Kessler, Jean-Marie Colombani, Jérôme Clément, Yves de Kerdrel, Pierre Moscovici, Valérie Pécresse, Christine Ockrent, Alain Minc, Anne Lauvergeon, Alain Juppé, etc.). Comment s’étonner alors de la déclaration de Nicole Bricq, ancien ministre du Commerce extérieur, présentant le projet de traité transatlantique comme une « chance pour la France », à laquelle on « ne peut qu’être favorable » ?

    Rébellion / De José Bové à Marine Le Pen, en passant par Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélanchon, des voix se font pourtant entendre contre le projet de traité. Des initiatives de terrain sont lancées par de nombreuses associations ou individus autonomes pour sensibiliser sur cette question. Pensez-vous qu'une opposition populaire puisse faire reculer le système sur cette question ? Assistons nous à la naissance d'un mouvement transversal comme lors du référendum sur la Constitution européenne de 2005 ?

    La comparaison que vous faites trouve d’emblée ses limites puisque, contrairement à ce qui s’était passé lors du référendum de 2005, le peuple n’est pas convié à donner son opinion à propos du projet de traité transatlantique. Les protestations très justifiées qui se font entendre ici ou là n’ont donc pas la moindre chance d’empêcher les négociations de se poursuivre. On constate tout simplement que le pouvoir est ailleurs ! Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les adversaires du traité se recrutent dans des familles politiques d’origine très différente. En ce sens, il n’est pas exagéré de parler de « mouvement transversal ». C’est une preuve de plus du caractère obsolète des anciens clivages et de la mise en place de clivages nouveaux. Mais cela, on le savait déjà depuis longtemps.

    Rébellion / Plus largement, que vous inspirent les contestations sociales et les sursauts « populistes » récents en Europe. Croyez-vous à la naissance d'une alternative au système ?

    Il y aurait beaucoup à dire sur les phénomènes que l’on désigne habituellement sous l’étiquette de « populisme ». Chacun sait que la poussée des mouvements populistes (qu’on aurait tort de réduire à un modèle standard, car ils peuvent être très différents les uns des autres) traduit une crise profonde de la représentation, en même temps qu’elle illustre l’épuisement du clivage droite-gauche. Mais il faut aussi préciser que le populisme n’est pas une idéologie, mais un style qui, en tant que tel, peut se combiner avec des ideologies elles aussi très variées. Il est encore trop tôt pour dire s’il peut en sortir une véritable alternative – et non pas seulement une alternance. Disons que ces phénomènes sont à surveiller de près, sans a priori idéologiques et sans idées préconçues.

    Alain de Benoist (Rébellion, 2 juillet 2014)

     

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