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Entretiens - Page 191

  • A propos des valeurs des politiciens...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à ces valeurs que les hommes politiques agitent en se gardant bien de les définir... 

     

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    Les politiciens défendent leurs « valeurs »… Mais lesquelles ?

    Les médias et les politiciens nous rebattent les oreilles de leurs « valeurs » : « valeurs » républicaines, « valeurs » des droits de l’homme, etc. Mais le terme de « valeur » n’est-il pas, à l’origine, de nature économique ?

    Les hommes politiques se flattent en général de défendre leurs « valeurs » sans jamais préciser de quelles valeurs il s’agit. Il en va de même pour leurs « fondamentaux », terme qui n’est d’ailleurs qu’un pur barbarisme (« fondamental » est un adjectif, pas un nom). Le plus probable est qu’ils ne savent même pas le sens des mots qu’ils utilisent.

    Au Moyen Âge, le mot « valeur » s’emploie essentiellement pour désigner le mérite ou des qualités telles que la bravoure ou le courage. Après quoi, comme pour bien d’autres termes, on est passé de la qualité à la quantité. Adam Smith associe déjà la valeur à la notion d’utilité. On aura ensuite la « valeur vénale », la « valeur d’échange », la « valeur boursière », c’est-à-dire la valeur économique qui ne s’apprécie qu’en argent. La critique de la valeur (Wertkritik), qui constitue la part la plus intéressante de la pensée de Marx, assimile le sujet du Capital au « sujet automate », c’est-à-dire au processus de valorisation capitaliste, forme historique du fétichisme de la marchandise : la notion de « valeur » est l’expression d’un rapport social qui conduit à chosifier les êtres humains et à faire de l’argent le seul but de l’existence, les crises financières n’étant qu’un symptôme d’une crise plus générale de la valorisation.

    Pour justifier son titre, l’hebdomadaire Valeurs actuelles cite en couverture de chacun de ses numéros la phrase de Jean Bodin : « Il n’y a de richesse que d’hommes », aujourd’hui devenue l’un des mantras favoris des tenants de « l’humanisme d’entreprise ». La citation exacte figure au livre V, chapitre II, des Six Livres de la République (1576) : « Il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes. » Pour Bodin, précurseur du mercantilisme, elle signifie donc, non que l’homme soit une valeur en soi, mais que le nombre des habitants fait la richesse de l’État. On reste dans le domaine de la quantité.

    Cela dit, au sens général, la valeur peut aujourd’hui aussi bien désigner l’importance que l’on donne à une notion quelconque qu’une norme de conduite, un ensemble constituant une « échelle de valeurs », etc.

    Ce qui vaut pour les uns ne vaut pas forcément pour les autres. Pourquoi faudrait-il alors nécessairement s’incliner devant les « valeurs » à la mode ?

    Il y a d’autant moins de raison de s’incliner devant une valeur ou un système de valeurs que la valeur n’est pas une qualité inhérente aux choses, mais relève toujours d’un jugement subjectif, qu’elle est décrétée par l’homme en fonction de ses croyances ou de ses convictions, de ce qu’il approuve ou de ce qu’il désapprouve. Le jugement de valeur s’oppose par là au jugement de fait. C’est pourquoi Max Weber exigeait du savant qu’il s’en tienne à une stricte « neutralité axiologique », c’est-à-dire qu’il ne confonde pas la valeur (subjective) et le fait (objectif), la raison scientifique ne pouvant jamais fonder que le second.

    Weber parlait aussi du « polythéisme des valeurs ». Il entendait par là que les valeurs sont vouées à se combattre entre elles, à la façon des dieux de l’Olympe (« Nous n’avons pas les mêmes valeurs que vous ! »). Comme l’a maintes fois rappelé Julien Freund, la valeur implique en effet la pluralité : là où il n’y aurait qu’une valeur, il n’y aurait pas de valeur du tout, faute d’une possibilité de comparaison. Il s’en déduit qu’une valeur ne vaut que par rapport à ce qui vaut moins qu’elle (ou à ce qui ne vaut rien). Autrement dit, les valeurs se distribuent sur une échelle, selon qu’elles sont supérieures ou inférieures à d’autres. Elles sont non seulement plurielles, mais aussi incompatibles entre elles. La notion de valeur suppose donc une hiérarchie, au moins implicite, ce qui pose le problème de la valeur d’égalité…

    Le caractère subjectif de la notion de valeur est par ailleurs ce qui la rend la plus critiquable, « l’appel aux valeurs » pouvant s’assimiler à un débordement généralisé des subjectivités. Robert Redeker déclare ainsi : « C’est quand la foi et la morale sont mortes que surgit le discours sur les valeurs. C’est parce qu’il n’y a plus de morale que les valeurs imposent leur bavardage urbi et orbi […] C’est en leur nom, et plus en celui de la nation ou de la patrie, que l’on part en guerre. Ces discours confondent les valeurs et la morale, soumettant la morale à la juridiction des valeurs. » Dans son livre sur La tyrannie des valeurs (1960), Carl Schmitt fait une critique comparable, quand il écrit que le déclin de l’objectivité a entraîné la dispersion de l’opinion en un pluralisme des valeurs, qui traduit en fin de compte une indifférence à la vérité.

    Autrefois, on parlait de « vertus » ou de « qualités », voire d’éthique. Ou encore de simple sens commun : il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas, tout simplement parce qu’elles ne se font pas. La gentillesse, fondement du vivre ensemble, est-elle une vertu, une valeur ou une qualité ?

    C’est une qualité ou une vertu qu’on est en droit de considérer comme une valeur. La distinction entre les choses « qui se font » et celles « qui ne se font pas » relève plutôt de cette « décence commune » (common decency) dont George Orwell faisait, à juste titre, l’une des plus constantes qualités des classes populaires. L’éthique – du grec ethos – tout comme la morale – du latin mores – renvoient d’ailleurs l’une et l’autre aux mœurs, c’est-à-dire aux valeurs partagées au sein d’un même peuple.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 1er mai 2014)

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  • Identité(s) européenne(s)...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Robert Steuckers, réalisé par le Cercle des Volontaires et consacré à la question de l'identité européenne ainsi qu'à quelques grands thèmes de l'actualité internationale. Figure de la Nouvelle Droite et ancien responsable des revues Orientations et Vouloir, Robert Steuckers vient de publier aux éditions du Lore un ouvrage intitulé La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis.

     

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  • La remigration, une utopie ?...

    Vous pouvez écouter ci-dessous sur la radio Méridien Zéro l'émission du 18 avril 2014 dirigée par Jean-Louis Roumégace qui accueillait Laurent Ozon, animateur de l'organisation localiste et identitaire Maison commune, à propos de la remigration, c'est-à-dire l'inversion organisée des flux migratoires...

    On notera que les locaux de la radio associative Méridien Zéro ont été récemment dévastés par un incendie d'origine "inconnue" et qu'il est possible de soutenir financièrement l'association pour racheter le matériel détruit :

    Soutenez Méridien Zéro !

     


    Méridien zéro 2014.04.18 Laurent Ozon - La... par Hieronymus20

     


    Méridien zéro 2014.04.18 Laurent Ozon - La... par Hieronymus20

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  • A propos de la censure et des censeurs...

    « Dans la mesure où l'on cherche à modifier ce que pensent les personnes à l'âge adulte, soit par des lois limitant leur liberté d'expression,qui sont parfois présentées comme ayant une valeur pédagogique, soit par des campagnes faites par des associations subventionnées par les pouvoirs publics, on entre dans une sorte de totalitarisme mou, ce qu'on pourrait appeler le stalinisme bobo. »

     

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Jean Bricmont à Kontre Kulture à l'occasion de la sortie de son livre La République des censeurs (L'Herne, 2014). Chercheur et professeur en physique théorique, Jean Bricmont est un disciple de Noam Chomsky et un défenseur de la liberté d'expression. Il s'est fait connaître dans le monde des idées par un livre, Impostures intellectuelles (Odile Jacob, 1997), écrit avec Alan Sokal dans lequel il étrillait quelques pontes (Gilles Deleuze, Julia Kristeva, Bruno Latour...) de la pensée socio-philosophique française...

     


    Jean Bricmont sur son livre "La République des... par kontrekultureA

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  • Traité transatlantique : le dessous des cartes...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur Figaro Vox et consacré au Traité transatlantique en cours de négociations entre les États-Unis et l'Union européenne. Journaliste, Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Le Choc des empires - États-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? (Gallimard, 2014).

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    Traité transatlantique : le dessous des cartes

    Le traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant: tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu: celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé «National medium and long term program for science and technology development» dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial: non plus l'usine mais le laboratoire du monde! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modelés qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs: uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan: passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est: comment et où allons-nous créer de l'emploi? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle «Iconomie», c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite! La France avait tout à fait les moyens de le faire! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire «googeliser»!

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans: démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.

    Jean-Michel Quatrepoint, propos recueillis par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio (Le Figaro Vox, 25 avril 2014)

     

     

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  • La guerre au nom de l'humanité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux guerres "humanitaires" d'aujourd'hui... 

     

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    Les guerres idéologiques modernes ont pris le relais des anciennes guerres de religion…

    Autrefois, des princes cyniques se faisaient la guerre afin d’agrandir leurs territoires respectifs. Aujourd’hui, les conflits semblent avoir changé de nature…

    Ils ont changé de nature parce que le regard sur la guerre a changé. Elle était considérée autrefois comme un événement désagréable, mais dont aucune société ne pouvait faire l’économie. Peu à peu, l’idée s’est fait jour, cependant, que l’on pouvait en finir avec la guerre. Cela a abouti en 1928 au pacte Briand-Kellogg, signé par 63 pays qui déclarèrent solennellement qu’ils condamnaient le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renonçaient en tant qu’instrument de politique nationale. Cela n’a évidemment pas empêché la Deuxième Guerre mondiale d’éclater ! À partir de 1945, la guerre d’agression ayant de nouveau été mise hors la loi, on s’est empressé de trouver des moyens de tourner cette interdiction. L’une des astuces à laquelle on a eu recours a été la notion de « légitime défense préventive », dont les États-Unis et Israël se sont faits les théoriciens. Mais la trouvaille majeure a été de décréter qu’il était licite de faire la guerre lorsque les motifs étaient d’ordre éminemment moral : rétablir la démocratie, sauver les populations civiles, éliminer une dictature. Le recours à la force contre des États souverains a donc été justifié par des considérations d’ordre interne. La charte de l’ONU, élaborée au départ en vue du maintien de la paix, a parallèlement été réinterprétée comme devant assurer le primat du « droit international humanitaire », fût-ce par le moyen de conflits armés. Ainsi sont nées les « guerres humanitaires » inspirées par l’idéologie des droits de l’homme.

    Grande est l’impression que, désormais, non content de battre l’ennemi, il faut l’annihiler, le criminaliser, voire le convertir… N’assistons-nous pas à des parodies de croisade, les droits de l’homme ayant remplacé les Évangiles ?

    Dès que l’on se situe sur le terrain de la morale, une telle évolution est inévitable. Les guerres de religion sont par définition les plus meurtrières, parce que l’ennemi n’y est plus perçu comme un adversaire du moment, qui pourrait éventuellement devenir un allié si les circonstances changeaient, mais comme une figure du Mal. C’est pour en finir avec les guerres de religion qu’au lendemain des traités de Westphalie (1648) un nouveau droit de la guerre (jus ad bellum), lié à l’avènement de ce qu’on a appelé le jus publicum europaeum, a vu le jour. Son but explicite était d’humaniser la guerre, de la « mettre en forme », selon l’expression de Vattel. C’était une guerre à justus hostis : on admettait que celui-là même que l’on combattait pouvait avoir ses raisons. Il était l’ennemi, mais il n’était pas le Mal. La victoire s’accompagnait d’un traité de paix, et nul ne cherchait à perpétuer, au lendemain des combats, une hostilité qui n’avait plus lieu d’être.

    Les guerres idéologiques modernes ont pris le relais des anciennes guerres de religion, avec lesquelles elles ont une évidente parenté : il y est toujours question du Bien et du Mal. Ces guerres modernes ressuscitent le modèle médiéval de la guerre à justa causa, de la « guerre juste », c’est-à-dire de la guerre qui tire sa légitimité de ce qu’elle défend une « juste cause ». L’ennemi est, dès lors, nécessairement tenu pour un criminel, un délinquant, qu’il ne faut pas seulement vaincre, mais dont on doit aussi éradiquer tout ce qu’il représente. Les guerres « humanitaires » d’aujourd’hui sont des guerres au nom de l’humanité : qui se bat au nom de l’humanité tend nécessairement à regarder ceux qu’il combat comme hors humanité. Contre un tel ennemi, tous les moyens deviennent bons, à commencer par les bombardements de masse. Dès lors s’effacent toutes les distinctions traditionnelles : entre les combattants et les civils, le front et l’arrière, la police et l’armée (les guerres deviennent des « opérations de police internationale ») et finalement la guerre et la paix, puisque avec la « rééducation » des populations conquises, la guerre se prolonge en temps de paix. Quant au soldat, comme l’écrit Robert Redeker, l’auteur du Soldat impossible, il est « remplacé par un mixte de policier, de gendarme, d’intervenant humanitaire, d’assistance sociale, d’infirmier et de pédagogue », chargé de « convertir, en punissant les récalcitrants, tous les États aux droits de l’homme et à la démocratie ». Ce n’est plus qu’une apparence de soldat.

    D’un autre côté, on ne cesse de nous vanter des « guerres propres » avec « zéro mort ». N’y aurait-il pas contradiction ?

    Dans le meilleur des cas, le « zéro mort » n’est jamais envisagé que pour « les nôtres » ! Les pertes ennemies ne sont pas prises en compte. L’idée est née de l’évolution des techniques de guerre. On est passé du corps à corps à la flèche, puis au carreau d’arbalète, à la balle, au boulet de canon, à l’obus, à la bombe aérienne. En clair : la distance entre celui qui tue et celui qui est tué n’a jamais cessé de croître. L’avion qui lâche ses bombes incendiaires sur des populations civiles ne prend guère de risques si l’ennemi ne possède ni batteries anti-aériennes ni missiles sol-air. On atteint aujourd’hui un sommet avec les drones qui tuent des gens par centaines en Afghanistan, mais sont manœuvrés des États-Unis par des fonctionnaires qui appuient sur des boutons comme s’ils jouaient à un jeu vidéo.

    Cela dit, le recours à des outillages technologiques de plus en plus sophistiqués n’est pas gage de victoire : gagner une bataille n’est pas gagner la guerre. On l’a bien vu en Irak et en Afghanistan : c’est après le succès initial que les problèmes commencent. « À la guerre, chaque adversaire fait la loi de l’Autre », rappelait Clausewitz. En France, où l’armée de terre ne représente plus que 119.000 hommes, on n’a cessé de diminuer les effectifs et de rogner sur le budget de la Défense (aujourd’hui 1,5 % du PIB), avec comme résultat que l’armée française n’a plus les moyens d’intervenir sur plus d’un front. Ce que rappelait récemment le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre : « Des forces réduites de haute sophistication sont de plus en plus aptes à remporter les batailles et de moins en moins capables de gagner les guerres, adaptées surtout aux conflits que nous ne voulons pas mener. »

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 24 avril 2014)

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