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Entretiens - Page 188

  • La fin de la mondialisation et le retour des identités...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Hervé Juvin, cueilli sur le site du Figaro et consacré à son dernier essai intitulé La Grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Un ouvrage que nous ne pouvons que recommander à ceux qui ne l'ont pas encore lu !...

     

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    La fin de la mondialisation et le retour des identités

    Figarovox: Votre livre s'intitule La grande séparation. Qu'est-ce que cette grande séparation? De quoi nous séparons nous?

    Hervé Juvin : La condition politique repose sur la séparation des groupes humains qui assure leur diversité. Jusqu'ici cette séparation entre les hommes provenait de la langue, des mœurs, des lois et des cultures, et se traduisait par le phénomène universel de la frontière: on traçait des séparations matérielles entre «nous» et les «autres». Il s'agissait d'une séparation géographique, matérielle, et horizontale. La Nation était la traduction politique de cette séparation. Depuis une trentaine d'années, on assiste à un phénomène nouveau, une forme de transgression qui se traduit par le «tout est possible» ou «le monde est à nous». Tout cela est en train de faire naitre une nouvelle séparation qui bouleverse radicalement tout ce qui faisait le vivre-ensemble et le faire société. Ce que j'appelle «grande séparation», c'est cet espoir un peu fou, très largement dominant aux Etats-Unis, notamment à travers le transhumanisme, de s'affranchir totalement de la condition humaine. L'ultra-libéralisme, l'hypertrophie du capitalisme financier, le retour du scientisme sont l'une des faces d'un visage dont le transhumanisme, la transexualité, le transfrontiérisme sont l'autre face. Il faut en finir avec toutes les limites, toutes les déterminations de la nature. Ainsi Google a pour objectif affiché de lutter contre la mort à travers sa filiale Calico. L'idéologie transgenre veut que chaque homme et chaque femme puisse choisir leur sexe. Des entreprises très «humanistes» comme Goldman Sachs remboursent les opérations de changement de sexe de leurs employés!

    Cette idéologie des «trans» vise à construire un homme hors-sol, délié de toute origine, et déterminé uniquement par sa propre volonté. C'est le retour du mythe de l'homme nouveau appuyé sur un délire scientiste qui voudrait que chacun soit à lui-même son petit Dieu autocréateur, pur produit de son désir, de ses intérêts ou de sa volonté propre. C'est cela, la grande séparation: la fabrique d'un homme sans origines, sans liens et sans foi, mais qui a chaque instant se choisit lui-même et choisit qui il est.

    «Plus rien ne nous est étranger», tel est le résultat de la mondialisation. Pourtant à mesure que l'on cherche à détruire le même, l'autre revient toujours plus fort. L'uniformisation a pour conséquence un retour des particularismes. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

    On peut considérer qu'à bien des égards la mondialisation est achevée. J'ai la chance de voyager beaucoup dans le monde: il n'y a plus de jungles, de mangroves, de déserts, aussi perdus soient-ils où vous n'avez pas des gens qui sortent un téléphone portable de leur poche. La mondialisation des outils techniques - pour la plupart conçus en Occident- est à peu près aboutie. Le phénomène auquel on ne s'attendait pas, ce que j'appelle dans mon livre «l'aventure inattendue», c'est que l'uniformisation du monde est en train de réveiller les différences. L'exemple le plus frappant est celui de l'islam radical. Malraux parlait de «l'invincible sommeil de l'islam»: il y a trente ou quarante ans, l'islam était quelque chose d'endormi, d'immobile et d'assez pacifique. On peut dire ce qu'on veut sur les dérives extrémistes de l'islam, mais une chose est sûre: le retour (et dans certains cas l'invention) d'un fondamentalisme musulman (pratiques, cultes et doctrines rigoureux et agressifs) est généralement le produit direct d'une confrontation avec la modernité occidentale. Ceux qui vont combattre le djihad, en Syrie ou ailleurs, ceux qui ont commis des attentats en Occident, notamment le 11 septembre n'étaient pas des pauvres sans boulot ni éducation, mais des ingénieurs, des gens diplômés, parfaitement intégrés à la civilisation moderne. Il est intéressant de voir qu'une partie des mouvements fondamentalistes en Afrique - je pense notamment à Boko Haram- sont directement l'effet de l'agression de sociétés traditionnelles par les évangélistes et les missionnaires financés souvent par les fondations américaines. La mondialisation, dans laquelle on a voulu voir une homogénéisation du monde est en train de déboucher sur son contraire: le retour des particularismes identitaires, des singularités, et plus généralement un retour du «nous».

    L'illusion du multiculturalisme du «village monde» a-t-elle vécu?

    Depuis 40 ans on avait assisté à la proclamation de l'individu absolu, sans aucune appartenance, seul face au monde. On a aujourd'hui un retour de bâton de la réalité: on ne vit pas riche et seul dans un océan de ruines, on ne vit bien que quand on sent qu'on appartient à un ensemble, à un groupe, quand on est dans le faire-société avec d'autres, et c'est probablement ce que cette phase très déroutante de la mondialisation est en train de nous révéler.

    Est-ce à dire que chacun va retourner chez soi et se confiner dans le séparatisme ethnique?

    Quelle forme la séparation politique va-t-elle prendre en réaction à cette grande séparation? Difficile de le dire. Mais ce qu'il est important de comprendre c'est qu'on ne peut dire «nous» que lorsqu'on a déterminé qui sont les «autres». Il y a quelque chose de profondément mensonger et dangereux dans la grande séparation qui fait de tous les hommes sont les mêmes - les hommes réduits à l'idiot utile des économistes! Si tous les hommes sont les mêmes, je suis absolument isolé, seul et incapable de dire «nous». Dans la plupart des pays occidentaux, on assiste à cet isolement croissant des individus, qui n'ont plus de repères, plus de structures, plus de capacité à dire «nous». Pour dire «nous», il faut qu'il existe des «autres» qui ne sont pas appelés à devenir les mêmes. Nos amis américains disent volontiers: tout homme ou femme sur cette terre n'aspire qu'à une chose: devenir un américain comme les autres. C'est la négation absolue de l'altérité. C'est aussi l'inverse du respect pour l'Autre, celui qui ne sera jamais le même, celui qui à ce titre m'aide à sentir mon identité. La paix dans le monde repose sur l'idée inverse: indépendance et différence. j'ai trop longtemps vécu et travaillé à Madagascar, eu des amis marocains, fréquenté l'Inde, je respecte trop les Malgaches, les Marocains, les Indiens, pour vouloir qu'ils deviennent des Français comme les autres. Ils ont leurs identités, leurs coutumes religieuses, leurs mœurs, qui sont éminemment respectables: au nom de quoi puis-je dire que je suis supérieur à eux? Quel droit m'autorise à dire que l'avenir d'un malgache, d'un marocain ou d'un hindou est de devenir un Français comme moi?

    C'est quelque part le crime de l'universel: de penser que ce qui est bon pour moi est bon pour le reste de l'humanité.

    Oui, mais nier l'universel, n'est-ce pas nier le propre de la culture européenne?

    C'est le grand débat des Lumières et de la prétention au règne universel de la raison. L'idée que nous, Occidentaux, Européens, Français, Américains, aurions mis en place depuis les Lumières un modèle idéal de vie pour l'humanité, entre la croissance économique et la révolution industrielle, la démocratie et les droits de l'homme. Je ne le crois absolument pas. Je crois que d'autres sociétés qui vivent avec d'autres lois, d'autres mœurs, selon d'autres règles, ont su offrir les conditions du bonheur à leurs habitants. Je ne souscris pas à l'idée selon laquelle notre régime politique, notre musique, notre art, notre culture seraient le point d'aboutissement de l'humanité vers lequel tous les autres peuples devraient converger. Il y a une voie chinoise, une voie hindoue, des voies africaines, qui feront des sociétés équilibrées et heureuses, sûres de leurs identités, différentes de la voie américaine ou de la voie européenne.

    Toutes les civilisations se valent, alors? Il n'y a pas de valeurs transcendantes, pas de droits de l'homme, pas d'universel… L'excision et le mariage forcée des petites filles est de même valeur que la quasi égalité hommes-femmes en Occident?

    On a le droit de défendre un système de valeurs qu'on croit universel. Vous n'allez pas me faire dire que je suis pour la lapidation! Personne évidement ne peut souhaiter être mis en détention sans jugements, être torturé, etc… Mais on ne peut pas ne pas constater les désastres que produit l'imposition par le haut du modèle occidental dans les sociétés traditionnelles. L'universalisme européen et américain n'a abouti qu'à des champs de ruines: en Afrique, en Afghanistan, en Irak, en Libye… Et la folle course en avant du développement menace la survie de l'humanité ; au nom de quoi arracher ces millions d'hommes qui vivaient hors de l'économie du capitalisme, de l'accumulation, dans un équilibre avec la nature, pour les précipiter dans un système qui détruit les biens vitaux et les services gratuits de la nature?

    Les motifs humanitaires masquent souvent des ingérences guerrières. Le «droit au développement» masque l'agression impitoyable de l'obligation de se développer, qui a fait des ravages en Asie et en Afrique. Les limites à l'universel ne sont pas seulement morales, mais physiques. La pénétration sans limites d'internet répand dans des populations entières des rêves qu'elles n'auront aucun moyen de satisfaire, à moins de faire exploser la planète. Il est impossible que 9 milliards d'humains vivent comme un Américain moyen. Ne pas se rendre compte de cela, c'est créer les conditions d'une humanité frustrée. Non seulement cet universalisme sème les graines du malheur, mais il est contre-productif: plus il essaie de s'imposer, plus il réveille des particularismes de plus en plus agressifs.

    C'est là un point essentiel en géopolitique aujourd'hui: l'agression des modèles universels réveille les logiques de la différence politique. Je cite dans mon livre celui que je considère comme le plus grand ethnologue du XXème siècle Elwin Verrier, pasteur britannique marié avec une fille de la tribu des Muria: au bout de quarante ans passés à côtoyer les tribus indiennes, il a abouti à la conclusion suivante: laissons les vivre comme ils sont, hors du développement économique. Mêlons-nous de ce qui nous regarde: sagesse qui nous éviterait bien des bêtises!

    Hervé Juvin (Figarovox, 4 juillet 2014)

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  • Dominique Venner - Une pensée, une œuvre, un destin... (1)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous le premier volet d'un long entretien avec Dominique Venner, réalisé par Philippe Conrad, Philippe Milliau et Jean-Yves Le Gallou entre le 27 et le 28 février 2013.

     

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  • La grande menace...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'enregistrement de l'émission du 30 avril 2014 des Chroniques de la Vieille Europe, diffusée sur Radio Courtoisie. Patrick Péhèle, assisté de Philippe Christèle et de Pascal Eysseric, le rédacteur en chef d'Eléments, recevait Alain de Benoist, philosophe et essayiste, à propos de la question du Traité transatlantique.

     

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    " Négocié dans l’opacité la plus totale depuis juillet 2013 par les États-Unis et l’Union européenne, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements vise à mettre en place une gigantesque zone de libre-échange. Objectif : créer un ensemble euro-atlantique sous contrôle états-unien. Révélations sur une monstruosité..."

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  • Quand la peur pathologique de la stigmatisation vire à l'aveuglement...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli sur Atlantico et consacré à la montée de la violence en France, avec Alexandre Baratta, psychiatre et expert en justice,  Guylain Chevrier, enseignant et docteur en histoire, et Tarik Yildiz, chercheur en sociologie politique et auteur de l'essai intitulé Le racisme anti-blanc - Ne pas en parler: un déni de réalité.

     

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    Ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas sur le lynchage... Quand la peur pathologique de la stigmatisation vire à l’aveuglement

    Atlantico : Alors que les condamnations du lynchage d'un jeune Rom de 16 ans à Pierrefitte sur Seine ont été nombreuses et unanimes, aucune trace de mise en perspective du contexte et de l'environnement dans lequel cette agression a eu lieu. Aucune mention n'est faite du climat de violence qui peut généralement régner dans cette ville de Seine-Saint-Denis. Pourtant  les témoignages et faits divers ne manquent pas : gynécologue ou journalistes agressés, tirs de mortiers sur des CRS... Le degré de barbarie de l'acte commis est-il vraiment sans lien avec l'environnement violent dans lequel il a été perpétré ? Un tel acte aurait-il pu avoir lieu dans n'importe quel endroit en France ?


    Guylain Chevrier : On se demande de quoi l’on parle effectivement, alors qu’il n’est ici aucunement question de stigmatisation pour expliquer la cause de ce lynchage épouvantable. C’est plutôt l’argument massue qui sert un discours qui soigneusement élude le questionnement sur les véritables causes de ce type d’acte. Des actes d’une violence qui choquent l’opinion en n’ayant plus de limite et marquent de plus en plus les quartiers sensibles de la banlieue. Ce qui vient de se passer est le reflet d’une dégradation abyssale du lien social qui lui, a bien des causes.
    On apprend que ce lynchage a été la conséquence d’un cambriolage, commis par le jeune Rom qui en a été victime, dans un appartement d’une cité proche qui aurait concerné l’un des membres d’une bande locale qui aurait vu rouge. On a ici les ingrédients de ce qui en ce moment s’installe dans le paysage de certaines banlieues, selon un mode qui se généralise. On voit se développer une logique de bandes et de communautés, avec une ethnicisation même parfois des quartiers, qui pose déjà potentiellement le risque de ce genre de basculement dans une violence qui n’a pas de limite. Il s’y développe un rejet de l’autre sur le fondement des codes propres à chaque communauté, pouvant à tout moment se traduire par des violences intercommunautaires, ou entre groupes rivaux. Le territoire devient alors un enjeu de rivalité dans l’occupation de l’espace qui n’a plus rien à voir avec la nation mais avec des zones dont des groupes d’intérêts particuliers concurrents prennent, sous une forme ou sous une autre, possession, en se croyant en situation de faire leur loi. Il est évident que certains quartiers, certaines villes et départements sont plus marqués par la concentration de ces phénomènes, qui vont avec ce type de logiciel se définissant entre dégradation sociale profonde, phénomène de bandes et multiculturalisme local.
    Une situation que l’on doit pour une part à un échec de l’intégration de trop d’enfants d’immigrés qui n’ont pu trouver leur place dans la société française et en viennent même à en rejeter les valeurs, le modèle, par perte de signification. On joue même trop souvent sur une promotion des communautés qui va avec un repli communautaire que l’on peut penser donner des facilités pour gérer certains phénomènes d’exclusion, et ce, de façon totalement erronée. Cela se retourne vite contre la société en se manifestant par un recul du sentiment d’appartenance et un rejet du pays d’accueil ainsi que de ses lois. On peut même en arriver à une délinquance qui se justifie par le rejet de la loi française pour ceux qui s’identifient à une communauté qui ne la reconnait déjà pas.


    Alexandre Baratta : Dans ma pratique d’expert judiciaire portant sur les régions Alsace, Lorraine et parisienne, je suis régulièrement confronté aux affaires de violences de toutes sortes. Dont la fréquence et la cruauté atteint un niveau de banalité déconcertant. Règlements de comptes au pistolet automatique ; home-jacking avec séquestration du locataire du logement pouvant aller jusqu’à la torture et actes de barbarie (crâne défoncé à coups de pelle), agressions gratuites à l’arme blanche dans les transports en commun... Le lynchage du jeune Rom de 16 ans aurait pu survenir n’importe où en France, pour la simple raison que de tels faits surviennent régulièrement partout en France. Souvenons-nous de l’octogénaire de 89 ans séquestrée chez elle à Bar-le-Duc en octobre 2013, battue, puis enfermée dans sa voiture et jetée dans le canal. Souvenons-nous des 3 jeunes ayant séquestré chez lui un vieillard à Montigny-les-Metz avant de le torturer jusqu’à entrainer son décès en avril 2012.

    De telles violences se produisent régulièrement en France, sans qu’elles ne connaissent la même couverture médiatique. J’y suis confronté en moyenne deux fois par semaine dans le cadre de mes missions d’expertises judiciaires. Bien entendu, de tels actes de violence sont plus régulièrement observés dans des quartiers à risque, de véritables zones de "non-droit". La Seine Saint Denis en fait partie. Le point commun  de ces zones : une grande précarité, le désengagement de l’Etat (grande précarité, absence de politique sanitaire et criminologique efficace).
    Il est remarquable de souligner la gradation grandissante des actes de cruauté, chez des délinquants et des criminels de plus en plus jeunes. Il n’est pas rare de voir des adolescents de 14 ans auteurs de violences gratuites particulièrement sordides.


    Tarik Yildiz : Il y a un environnement qui est plutôt violent, et ce n’est pas uniquement Pierrefitte. C’est quelque chose qui est assez caractéristique de ce qui se passe aujourd’hui en France. On a de plus en plus de zones qui, par le passé, pouvaient être localisées uniquement dans les cités, et qui maintenant prennent de l’ampleur dans les banlieus des grandes aglomérations (Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, etc) et on a une atmosphère faite de violences, qui peut être de la petite délinquance. Ce sont les vols à l’arrachée, les violences aux personnes, des agressions a répétition. C’est très courant à Pierrefitte, notamment sur la Nationale 1 qui passe à proximité de la cité et quasiment chaque jour il y a des gens qui se font agresser avec leur voiture, avec un bris de glace, et après ils volent des sacs à main. cela arrive quotidiennement. J’ai pu le constater à plusieurs reprises.
    Mais pour moi le problème est vraiment global, et ce n’est pas pour minimiser ce qui se passe à Pierrefitte, mais malheureusement ça peut se passer aujourd’hui dans beaucoup d’endroits en France, et de plus en plus. Cela peut arriver dans ce qu’on appelle les "banlieues", c’est-à-dire les banlieues plutôt pauvres des grandes agglomérations françaises. Dans ces endroits je pense que ça peut se passer partout, particulièrement dans les quartiers et les villes difficiles. Il n’empêche que c’est d’autant plus inquiétant que le problème n’est pas borné à une seule zone en particulier et que, au contraire, il est en train de progresser un petit peu partout. Ajoutons que la démission perçue de l’Etat favorise les règlements de comptes en direct.


    En avril 2010, un habitant de Pierrefitte sur Seine avait signé sur le site Mediapart un billet de blog dénonçant les œillères des élus sur la progression de la violence dans les cités difficiles. Peut-on parler d'un aveuglement collectif sur cette question ? Par peur de stigmatiser certaines populations, en vient-on à refuser de regarder en face leur réalité, au détriment finalement des plus faibles d'entre eux ?


    Guylain Chevrier : On laisse les choses se dégrader actuellement en envoyant comme seul message de ne pas stigmatiser les populations en question sous prétexte de victimisation. On le fait, de plus, sous le signe d’un recul constant des sanctions face à des actes graves, parlant de substituer systématiquement à la prison des peines alternatives qui maintiennent les individus en cause dans leur milieu ordinaire aménagées de quelques contraintes, comme le prévoit en le généralisant la réforme pénale de la garde des Sceaux, Mme Taubira. Ainsi, quel message délivre-t-on ? "Allez-y, continuez !", parce que l’on ne veut pas ou l’on n’est pas en situation de leur dire,  "arrêtez !", on va vous proposer autre choses, une société qui vous permette de trouver votre place, mais avec des exigences et des obligations qui soient les mêmes pour tous.
    Le discours laxiste actuel en matière de répression des délits a à voir avec une perte de considération pour ceux dont les conditions sociales les exposent plus que les autres au risque de la délinquance. Ce contexte est comme une invitation à un piège qui se referme sur eux. Il faut en réalité changer complètement de philosophie en se ré-intéressant à ce qui fait le bien commun, dont le respect de la loi égale pour tous est une dimension essentielle.
    Les mineurs aujourd’hui sont, lorsqu’ils commettent des actes de délinquance, trop souvent confrontés à une absence de réponse rapide et proportionnée, capable de leur  faire prendre conscience de la responsabilité de leurs actes. Les réponses prennent de longs mois avec des sanctions qui ont souvent peu de signification dans la façon dont elles sont mises en œuvre, tels les "travaux d’intérêt général", les fameux TIG. Aussi, ce manque de réponse est bien connu des jeunes, un phénomène qui se collectivise sous la forme d’un laisser-faire qui est pris pour un laissez-passer aux lourdes conséquences, car les premières victimes de ce laxisme sont les jeunes en risque de délinquance eux-mêmes, et leurs futures victimes.


    Alexandre Baratta : En effet, la France se caractérise par une peur de la stigmatisation. Il s’agit même d’un leitmotiv particulièrement prégnant : "il ne faut pas stigmatiser…". Un discours similaire est retrouvé dans le cas de la schizophrénie : il est de bon ton d’affirmer que les personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas plus dangereuses que les autres, et qu’il ne faut pas les stigmatiser. C’est faire fi des données criminologiques : la schizophrénie multiplie le risque de violence par deux ; risque multiplié par neuf si elle s’associe à la consommation de stupéfiants.
    Le même déni de réalité se retrouve face aux phénomènes de violences dans les zones urbaines dites à risques.


    Tarik Yildiz : je pense qu’il y a surtout un aveuglement des élites au sens large. Il s’agit d’une certaine caste politico-médiatique. En revanche, les gens sur le terrain, quand on les interroge, ne sont pas dupes du tout et d’ailleurs les habitants de ces villes-là sont les premiers à se plaindre et à faire remonter des choses, que ce soit à la mairie, au commissariat ou ailleurs. Au quotidien, quand on discute avec les uns et les autres, et même dans les enquêtes d’opinion, on se rend compte que les préoccupations majeures des gens, ce sont des questions liées à la petite délinquance et à la sécurité en général. C’est donc quelque chose de très ancré dans la population, qui est devenu un sujet majeur. En revanche, cela ne se traduit jamais par des actes au niveau politique d’une part, et dans le traitement médiatique de l’autre. Je crois que c’est dramatique parce que, étant donné qu’on ne pose pas le constat de façon sereine, on n'arrive pas à répondre aux problématiques, et c’est ce qu’il y a de plus dangereux.

    Cette situation existe forcément au détriment des plus faibles. les premiers concernés, ce ne sont pas les gens qui vivent dans les beaux quartiers, les gens qui ont une vie confortable. Ce sont tous les autres, c'est-à-dire une grande majorité des Français. Ensuite, il peut y avoir en arrière-plan la peur de stigmatiser certaines populations, mais c’est une culture politique qui s’est un peu installée en France, qui fait qu’on est toujours très frileux avec ces questions. D’une part, parce que tous ceux qui véhiculent cette culture ne vivent pas cela au quotidien. On s’aperçoit que parmi les sociologues, parfois les responsables associatifs, l’élite politique, la presse , etc.

    Ces gens qui véhiculent ces craintes ne vivent pas au jour le jour dans ces quartiers-là. Ils sont loin de cette réalité. Du coup, parfois ils sont de bonne foi et pensent que ceux qui utilisent ces questions-là le font avec de mauvaises intentions, parfois pour imposer une théologie. On n'arrive pas à avoir un débat serein en se disant qu’il y a de vraies préoccupations, majeures, et qu’il faut écouter les gens. Il y a effectivement d’autres craintes. Traditionnellement en France, on fait des liens entre la condition sociale et les actes de délinquance. C'est une conception un peu marxiste consistant à dire que si on a des problèmes c’est parce qu’on est pauvre, ce qui peut parfois se défendre, mais c’est devenu systématique dans la culture politique française.


    Quel prix payons-nous pour cet aveuglement ? Comment est-il instrumentalisé par ceux qui, dans ces territoires, ont intérêt au maintien de zones de non droit ?


    Guylain Chevrier : Les peines-plancher ont été supprimées, ainsi que les tribunaux correctionnels pour adolescents de 16 à 18 ans, la garde des Sceaux en appelle même à moins de répression encore. Mais qu’a-t-il été mis à la place, rien ! Le précédent président de la République avait supprimé ses moyens d’agir à la Protection judiciaire de la jeunesse, la majorité actuelle qui gouverne n’a pas réinvesti de moyens dans ce domaine. Si l’on veut garantir le primat de l’éducatif sur le répressif, il faut s’en donner les moyens et penser leur utilisation de telle façon que cela n’apparaisse pas comme un simple pis-aller, mais bien comme une politique de lutte contre la délinquance des mineurs. Il faut une politique d’action  éducative qui soit à la mesure des enjeux, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui ! Que ce soit du côté des moyens ou du projet, on en reste à une idéologie d’accompagnement de la situation qui fait des délinquants d’abord des victimes des dysfonctionnements sociaux, dont l’argument atteint aussi ses limites, et ne saurait amener à faire l’économie de réponses cohérentes qui rappellent à la loi.
    Nous sommes tout simplement en plein laxisme et désengagement de l’Etat de l’une de ses missions essentielles, la justice, ce qui conduit à ne plus respecter non seulement l’Etat mais par voie de conséquence la société, les autres. Lorsqu’on se fait respecter, on inspire le respect, on en fait une valeur collective de référence attractive. Ces jeunes des banlieues le savent bien, pour lesquels l’usage en est fait à coups de rapports de forces, à défaut que la société leur délivre un autre message.

    "L'excuse de minorité" - le principe selon lequel les peines applicables aux mineurs sont plus faibles, pour les mêmes faits, que celles visant les adultes - doit être maintenue. Mais aller uniquement dans ce sens pour ne pas sanctionner, lorsque l’on a affaire à des multirécidivistes, c’est tout simplement encourager la généralisation de ces faits pour des milliers de jeunes. C’est l’encouragement d’un modèle inspiré de ceux qui en ont déjà franchi le pas, à ne pas avoir eu à temps les réponses appropriées leur faisant percevoir l’intérêt de la loi, sa valeur de protection pour tous, le bien commun précieux qu’elle représente en dehors duquel aucune vie sociale n’est viable. C’est tout simplement la garantie des libertés individuelles et de la démocratie dont cet enjeu résonne.


    Alexandre Baratta : Le prix à payer est lourd, avec absence de politique de répression adaptée ; ainsi qu’une politique de prévention inadaptée (suivis addictologiques mis en échec avec les agressions des médecins par exemple). Nous précisons à ce sujet qu’en matière de criminologie, la France a un retard considérable par rapport à ses voisins européens et autres pays anglo-saxons.
    Les principales victimes sont les habitants de ces zones. Mais ne nous y trompons pas : ces zones urbaines sensibles ne doivent pas nous faire oublier que de nombreuses violences se produisent chaque jour sur le territoire ; avec une augmentation galopante de leur fréquence et de leur gravité.
    Pour s’en rendre compte, il suffit de vérifier le nombre d’agressions des personnels soignants dans les urgences de zones non étiquetées comme sensibles. Ces agressions, pouvant être graves, sont quotidiennes, et tendent à se banaliser.


    Tarik Yildiz : Etant donné que l’on ne pose pas le constat, on n'apporte pas les solutions adéquates. on ne prend pas le problème à bras le corps. On ne veut pas voir qu’il y a une certaine jeunesse qui est en manque d’autorité, qui veut des limites, où il y a besoin parfois de sanctions, de règles , de sanctions qui fixent une sorte d’ordre dans la société. C’est un grand problème parce que ces jeunes-là percoivent l’état en général comme étant mou. Dans ces âges et ces conditions-là, les jeunes testent les limites et ils vont de plus en plus loin dans la petite délinquance, et puis quand ils sont condamnés pour la quinzième fois ils font un petit passage en prison mais c’est presque considéré comme quelque chose de valorisant, parfois. C’est une culture qui s’est installée, et étant donné qu’on n'a pas posé le bon constat au départ, on n'arrive pas à trouver des réponses qui soient vraiment adéquates. Cela amène à des problématiques assez graves. C’est pour cela que ce qui s’est passé à Pierrefitte peut se passer autre part, dans le même contexte, et cela est voué à progresser.


    La force publique est accusée de démission. En quoi cette démission est-elle la conséquence de cet aveuglement ? Refuse-t-on de se donner les moyens de lutter ?


    Guylain Chevrier : La police ne peut jouer son rôle et être elle-même respectée, qu’à la condition de représenter une société qui se fait respecter et qui en même temps délivre un message de respect. Est-ce bien la meilleure façon de respecter ces jeunes que d’organiser ce laxisme, n’est-ce pas leur dire ainsi qu’ils ne valent finalement rien à nos yeux si on les laisse faire et s’enfoncer dans la délinquance au lieu de leur dire fermement et avec bienveillance "arrêtez" ! ? Dire non, c’est envoyer ce message qu’ils ont de la valeur aux yeux de la société et qu’elle tient à eux, et refuse de les laisser toucher le fond.
    Il faut évidemment aussi se donner les moyens de l’accompagnement éducatif et social de ces jeunes et de leurs familles. Faut-il encore ne pas non plus favoriser le regroupement de populations socialement sinistrées, sous prétexte de conditions sélectives d’accès au logement social  qui conduisent à une homogénéisation et à l’enfermement, à la ghettoïsation, au lieu de la mixité sociale qui est un facteur essentiel de la cohésion sociale, en favorisant cet équilibre du vivre ensemble qui s’y nourrit.


    Alexandre Baratta : Lorsque la force publique est incapable d’assurer la protection de ses propres agents (contrôleurs de train agressés ; pompiers caillassés ; véritables embuscades organisées contre des patrouilles de police) ; comment serait-elle en mesure d’assurer la protection du citoyen lambda ? Surtout lorsque celui-ci vit dans une zone urbaine gangrenée par une économie parallèle basée sur le trafic de stupéfiants ? Mais la priorité est ailleurs, parce qu’il ne faut surtout pas stigmatiser, toujours le même leitmotiv récité tel un mantra.


    Tarik Yildiz : Il y a une démission qui n’est pas assumée dans la mesure où il y a des problèmes très graves de délinquance qui se passent un peu partout en France, et cela ne date pas d’hier. tous les gouvernements y ont participé. C’est un problème très profond, et en réponse, on a de temps en temps des acteurs associatifs qui sont complètement à côté de la plaque parce que la jeunesse face à eux a besoin de repères, de choses fixes et d’ordre, et c’est dans ce sens qu’on ne veut pas évoluer. Si on a peur de donner une sanction très rapidement de manière efficace, c’est un problème. En fait, c’est toute la chaîne qui est à revoir, donc il faut un minimum de courage pour le mettre en place.
    Il y a certes l’aspect policier au départ - ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu’ils ont -, et ensuite il y a le passage devant la justice, qui est long et fastidieux. Ensuite, à la première ou à la deuxième condamantion, cela ne se traduit pas forcément par une peine de prison, et puis les juges préfèrent ne pas envoyer ces jeunes en prison parce qu’ils considèrent, à juste titre, que quand ils vont en prison ils ressortent pires que lorsqu’ils sont rentrés. C'est l'effet "école du crime", quand ils vont en prison ils se radicalisent en devenant parfois des extrémistes islamistes, et certains s’en sortent en ayant appris d’autres techniques de cambriolage, etc.

    C’est toute la chaîne qui est à revoir. Il faudrait, par exemple, construire de nouvelles places de prison pour que les conditions soient décentes et qu’il n’y ait plus d’école du crime. Il faudrait apporter une réponse juste et très rapide de la justice au premier acte de délinquance. C’est très important. Et donner plus de moyens d’agir. C’est toujours la même chose, mais tant qu’on n'ira pas dans ce sens-là, avec des réformes, eh bien malheureusement on ne pourra pas avancer sur ce dossier-là et on ne pourra pas s’en sortir.


    Cet aveuglement ne se limite pas aux causes de la violence. Comment se manifeste-t-il dans les domaines de l'échec scolaire ? Avec quelles conséquences ?


    Guylain Chevrier : L’échec scolaire est lié à un manque évident de perspective mais aussi à ce laxisme devant l’exigence du respect de la loi, qui incite à son contournement et à la facilité du décrochage à la faveur des phénomènes de bandes. La baisse des exigences scolaires sous prétexte d’intégrer tout le monde, comme si tout tirer vers le bas allait le permettre, est un autre aspect de la dévalorisation de l’école. Le recul progressif de la culture générale et de l’histoire en nombre d’heures allouées, dans les programmes scolaires, est de ce point de vue significatif. La volonté d’intégrer la diversité des populations jusqu’à en abaisser les exigences, tout en développant des programmes où on encourage l’enseignement des religions et des cultures d’origines, est-elle bien la bonne voie ?
    L’enseignement des valeurs de la république devrait être pris bien plus au sérieux à condition qu’on leur donne le sens d’une réussite pour tous qui implique l’effort, l’élévation de soi et donc l‘estime de soi. Nous verrons de ce point de vue les résultats de ce qu’a mis en place le précédent ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, autour de la Charte de la laïcité à l’école, qui n’est pas à négliger. La décision de l’actuel ministre de l’éducation Benoît Hamon, de laisser à l’appréciation des établissements scolaires au cas par cas l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées, contre le sens de la mission laïque de l’école qu’elle s’exerce à l’intérieur de ses murs ou à l’extérieur, est un très mauvais signe quant au respect de ces valeurs et particulièrement de notre République laïque. C’est un signe qui va à l’inverse de l‘intégration et des valeurs qui devraient la porter. C’est aussi encourager le malentendu entre les populations de quartiers marquées socialement ou/et par la diversité culturelle et le reste de la population française, avec tous les dangers de rupture que cela constitue, y compris sur le plan du décrochage politique et de la promotion des extrêmes.

    Tarik Yildiz : Sur le volet éducation, il y a moins de conséquences à court terme, davantage à long terme. On a créé une génération qui arrivait à faire des études, sans aller très loin, mais il y aussi toute une partie de la population qui décroche complètement du système scolaire, et c’est parfois les mêmes personnes que l’on retrouve dans la délinquance. Et puis, même quand il y a un certain niveau, celui des collèges, et des lycées dans une moindre mesure dans ces zones là, cela pose un gros problème. Les différences de niveaux sont extrémement fortes et notables, l’écart n’était pas aussi important il y a encore 20 ans. Aujourd’hui il existe donc une France à plusieurs niveaux avec des gens qui vont avoir une autre culture, d’autres codes, avec une culture "au rabais", où on va essayer d’adapter la connaissance en fonction des gens que l’on a en face de soi, et cela a des conséquences désastreuses. Cela se voit particulièrement dans les collèges, où violence plus échec scolaire donnent des résultats très inquiétants.


    Et en matière d'échec de l'intégration, de chômage, de lutte contre la pauvreté ?


    Guylain Chevrier : La lutte contre les exclusions passe par plus d’intégration sociale, dont la condition est la réduction des inégalités, alors que celles-ci ne font que se creuser. Pour lutter correctement contre l’exclusion sociale il faut aussi avoir un projet de société qui se tienne et réponde aux grands besoins sociaux et permette, au-delà de la grande cause économique, à chacun de trouver à se réaliser, à se sentir de la valeur, que la société s’intéresse à tous.
    Pour autant, la question économique n’est pas la seule en jeu. C’est pour cela qu’il faut rejeter la tendance à vouloir en passer aujourd’hui par la logique de "l’inclusion sociale", qui considère l’intégration économique comme une fin en soi jusqu’à utiliser pour cela le relai communautaire, en oubliant les valeurs qui conditionnent de se sentir appartenir à une même société. La notion d’intégration sociale a une portée plus large qui implique l’accession à un corpus de valeurs communes dans lesquelles tous se reconnaissent, car aucune société ne peut être une simple addition de différences.
    C’est aussi un signe fort à envoyer à la diversité des populations qui vivent sur le territoire commun. Il y a danger à encourager le repli communautaire à travers un clientélisme politique qui joue sur les revendications identitaires comme mise en jeu de l’influence électorale. Cela pousse dans le sens de la division du corps social et politique, qui provoque des ruptures qui elles aussi ont leurs conséquences sur la montée de la violence dans les quartiers. Il en va avec cela tout particulièrement de la cohésion sociale, c’est-à-dire du degré de la reconnaissance qui est celui des citoyens dans leurs institutions, dans notre République, sa promesse d’égalité et de solidarité sociale.


    Alexandre Baratta : L’échec scolaire, tout comme le chômage sont des avatars des phénomènes de violences grandissants. Nous savons depuis fort longtemps qu’une désinsertion socio-professionnelle, l’absence de qualification diplômante sont des facteurs de risque de délinquance. Il s’agit donc de leviers d’actions  efficaces dans une politique de lutte contre la délinquance, au même titre que les sanctions pénales de type répressif.
    Le problème des zones urbaines sensibles provient des économies parallèles. L’un des exemples est cet auteur d’homicide récemment  examiné en expertise. Déscolarisé à 16 ans, il a débuté une carrière de dealer en vendant du cannabis. Avec un bénéfice mensuel de 3000 euros, nets d’impôts. Il n’a jamais travaillé de sa vie. Lever entre 10h et 11h, son activité commerciale est effectuée l’après-midi ; pour ensuite consacrer la soirée à des sorties festives jusque tard dans la nuit. Aujourd’hui âgé de 34 ans, comment lui proposer une insertion sociale cohérente avec un projet professionnel incertain, nécessitant plus d’efforts pour un salaire divisé par 3 ? En passant par une  lutte contre cette économie parallèle, omniprésente dans les banlieues. Mais attention : la pauvreté n’est pas l’une des causes de la violence : elle en est davantage la conséquence.


    Tarik Yildiz : L’échec de l’intégration est très lié à l’éducation et à la violence. Je suis persuadé que si on règle ces deux questions en montrant un Etat fort sur ces deux volets-là, on aura gagné le pari de l’intégration. Pour le chômage je ne pense pas que ce soit l’Etat qui décrète de le supprimer. Ce sont des choses qui sont autrement plus complexes. Il y a des taux de chômage qui sont très importants dans d’autres zones en France, notamment dans certaines zones rurales. C’est un problème plus général et il y a des moyens qui sont mis à disposition pour aider l’emploi dans les ZUS, etc. Le chômage est un levier commun à un ensemble de la société. Faire des politiques différenciées vis-à-vis de ces populations, c’est un échec en soi.


    Guylain Chevrier, Alexandre Baratta et Tarik Yildiz (Atlantico, 18 juin 2014)

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  • A propos de la démocratie en Afrique et de l'action des ONG...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Bernard Lugan dans lequel il aborde la question de la démocratie en Afrique et de l'action des ONG...

     

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  • L'enterrement des classes populaires...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le géographe Christophe Guilluy au FigaroVox et consacré aux résultats des élections européenne. Christophe Guilluy est l'auteur d'un essai intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010).

     

    Guilluy Fractures.jpg

     

    Christophe Guilluy : «Cyniquement, nos dirigeants ont enterré les classes populaires»

    FigaroVox: Votre travail de géographe a mis en lumière les fractures françaises. Que vous inspire la réforme territoriale? Après la victoire de Marine Le Pen aux élections européennes, celle-ci répond-elle aux véritables enjeux?

    Christophe Guilluy: Lorsqu'on connaît la crise économique, sociale, identitaire que traversent les catégories populaires sur les territoires de la France périphérique, ce débat médiatico-politique sur la bonne échelle régionale paraît totalement anachronique. L'ouvrier à 800 euros par mois qui habite au fin fond de la Normandie se moque de savoir si le duché de Normandie va être reconstitué.

    Après le résultat électoral du 25 mai, lancer un tel débat, c'est dire aux Français, «je ne vous ai pas compris et je ne vous comprendrai jamais!». Pourquoi 14 régions et non pas 6? Si on part du principe que pour être fort, il faut regrouper les régions, je propose de regrouper les 22 régions et d'en faire une méga région qu'on appellerait «la France»!

     

    Quelles sont ces fractures françaises qui minent le territoire et qui selon vous ne sont pas prises en compte par cette réforme?

    Je suis géographe, mais paradoxalement je crois davantage aux gens qu'aux territoires. Cette réforme hors-sol oublie l'essentiel, c'est-à-dire le destin des catégories populaires des pays développés dans la mondialisation. Depuis ces 40 dernières années, ces dernières sont mises à l'écart des territoires et secteurs économiques qui comptent, des zones d'emplois les plus actives.

    Dans un contexte de mondialisation, ce phénomène n'est pas propre à la France, mais touche tous les pays européens ainsi que les Etats-Unis. Aujourd'hui, pour fonctionner, «la machine économique» a besoin de cadres qui travaillent dans des secteurs de pointe et d'immigrés à exploiter dans les services, le tout réunis dans les grandes métropoles. Les autres catégories sont rejetées à la périphérie.

    Si l'on s'arrête aux critères basiques de création de richesses, c'est un système qui fonctionne puisque la France reste la cinquième puissance économique mondiale. Mais les catégories modestes, qui sont majoritaires puisqu'elles pèsent au moins 60% de la population, ne sont pas intégrées économiquement. La société se cristallise autour de cette nouvelle géographie qui provoque l'émergence de fractures politiques. La victoire de Marine Le Pen aux européennes en est la démonstration.

     

    Quel rôle la question de l'immigration joue-t-elle dans ces nouveaux clivages sociaux et territoriaux?

    Les logements sociaux des grandes villes se sont peu à peu spécialisés dans l'accueil des flux migratoires que ces catégories populaires, pourtant éligibles au parc social, cherchent à éviter. A la lisière des métropoles, celles-ci vivent dans des endroits moins valorisés foncièrement. Elles sont de moins en moins mobiles et quand elles sont propriétaires, la valeur de leur bien ne leur permet ni de vendre, ni d'acheter ailleurs. Dans cette insécurité sociale et économique, leur toit et leur «village» restent leurs dernières protections. Du coup, le rapport à l'autre devient fondamental. Car, dans une société multiculturelle où «l'Autre» ne devient pas «soi», les gens ont besoin de savoir combien va être «l'Autre» dans leur village. Ce n'est pas quelque chose de typiquement Français, mais d'universel. Posez la question de «l'Autre» et des flux migratoires dans n'importe quel pays, de la Chine à la Kabylie en passant par le Portugal, la réponse sera toujours la même: «je n'ai pas envie de devenir minoritaire chez moi».

    C'est un ressort essentiel du vote FN et du vote dit populiste partout en Europe. Cela structure complètement la carte électorale et de plus en plus. L'exemple de la Bretagne est particulièrement intéressant. L'idée que les fondamentaux bretons, comme la culture catholique, protégeraient du vote FN est battue en brèche par la réalité. La conjonction de la crise économique et de l'immigration produit les mêmes effets que sur les autres territoires. En revanche, dans les grandes métropoles, le vote FN est moins important car c'est là que se trouvent les gagnants de la mondialisation. Dis autrement, le multiculturalisme à 5000 euros par mois, ce n'est pas la même chose qu'à 500 euros par mois!

     

    Cette réforme ne risque-t-elle pas paradoxalement d'accentuer les déséquilibres et de creuser les lignes de fracture? Ceux qui craignent un morcellement territorial digne du Moyen-âge ont-ils raison?

    Les difficultés sociales dans la France périphérique sont essentiellement prises en charge par les maires et les conseils généraux. C'est un maillage qui est encore efficace, notamment grâce à la connaissance de terrain d'élus locaux capables de faire pression au niveau national pour ramener des services publics. Dans la France périphérique où les catégories populaires se sentent délaissées, la présence d'institutions et de collectivités visibles assure encore une forme d'intégration. En toute «cohérence», avec la disparition des départements, la France des invisibles accoucherait d'institutions invisibles! La boucle serait bouclée! Derrière une réforme qui peut apparaître comme consensuelle, le projet est toujours le même: renforcer les grandes métropoles mondialisée, mais quid des autres territoires. Je pense que cyniquement nos dirigeantes ont enterré les classes populaires depuis longtemps. Peut-être ont-ils pensé qu'elles n'allaient pas se reproduire et qu'ils pourraient faire une société avec des cadres uniquement? Sauf que les gens continuent à vivre, qui plus est assez vieux. La classe politique se trouve donc confrontée à une réalité sociale imprévue et dispersée dans l'espace. N'ayant pas de contre-modèle, elle n'a d'autre choix que de booster économiquement ce qui fonctionne et de faire un peu de redistribution. Le problème c'est qu'avec la dette, cela devient de plus en plus compliqué de redistribuer et les gens commencent à manifester leur colère comme on peut le voir à travers le vote FN ou à travers le mouvement des Bonnets rouges.

     

    Alors, comment rapprocher les métropoles de la périphérie? Cela passe-t-il par davantage de décentralisation ou au contraire par une recentralisation?

    Face à des espaces métropolitains économiquement et politiquement riches et puissants, il faut penser un modèle économique pour les autres territoires. Mais rien ne sera possible sans un renforcement du pouvoir politique de cette France périphérique et le partage d'un diagnostic. Or, les dirigeants actuels, qui pour l'essentiel viennent tous des grandes métropoles, ne veulent pas l'entendre. Pour elles, les classes populaires ne comptent pas. Mais une situation comme celle-là ne sera pas viable très longtemps d'autant plus que ces dernières commencent à saisir qu'elles ne sont pas «quantité négligeable», mais qu'elles sont la majorité. Mécaniquement, on va donc assister à une montée des radicalités sociales et politiques. Sur le long terme, c'est jouer avec le feu.

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