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Entretiens - Page 185

  • Le spectacle de l'insignifiance...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le sociologue Jean-Pierre Le Goff au Figaro et consacré à la désacralisation du pouvoir politique. On lira, en particulier, avec intérêt la conclusion...

     

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    Jean-Pierre Le Goff : «Scandales, révélations... Nous assistons au spectacle de l'insignifiance»

    FigaroVox : Dans quelle mesure le livre de Valérie Trierweiler dégrade-t-il la politique?

    Jean-Pierre Le Goff : Ce livre n'est pas seulement le déballage et la revanche d'une femme humiliée. L'auteur du livre a participé aux côtés du Président de la République aux cérémonies officielles ; elle a occupé pendant quelque temps une fonction à l'Élysée qui dépasse sa personne privée. Ce livre dévoile et met en question les comportements du chef de l'État qui n'est pas un individu comme tout le monde, mais il incarne et représente le pays à travers sa fonction. Qu'ils le veuillent ou non, les deux protagonistes ont un statut particulier qui les distingue des citoyens ordinaires. C'est cette dimension symbolique essentielle à la représentation qui est déniée quand on veut en faire une simple affaire privée de règlement de comptes au sein d'un couple qui s'est séparé, comme on en voit beaucoup aujourd'hui. Ce déni et l'irresponsabilité politique qui l'accompagne sont symptomatiques d'un individualisme nouveau en politique pour qui le rapport à l'institution, les contraintes et les sacrifices qu'implique le service de l'État et du pays ne vont plus de soi. Après la publication des photos de l'escapade de François Hollande à scooter dans Closer, la publication de ce livre est un nouveau coup porté à l'autorité politique, au plus haut sommet de l'État, dans un moment particulièrement critique marqué par une crise politique et l'impuissance face au chômage de masse, sans compter les effets délétères sur l'image de la France dans le monde.

    La proximité qu'affichent les politiques avec «les vrais gens» n'est-elle pas la cause profonde de ce genre d'événements?

    Jean-Pierre Le Goff : Cet événement s'inscrit dans un processus d'érosion de la dimension transcendante de l'État et de dévalorisation de la représentation politique auquel les hommes politiques ont participé. Ils portent une responsabilité particulière, à gauche comme à droite, dans la mesure où beaucoup ont voulu donner à tout prix une image d'eux-mêmes qui soit celle de tout un chacun. Après les années gaulliennes et ce qu'on a appelé la «monarchie républicaine», le rapprochement entre l'État et la société a marqué une nouvelle étape démocratique. Les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard, d'Estaing puis celles de Mitterrand et de Chirac ont développé un nouveau lien entre gouvernants et gouvernés, tout en maintenant, tant bien que mal, la distance nécessaire. Mais très vite, avec le déclin du sens historique et de l'institution, beaucoup d'hommes politiques ont fait du surf sur les évolutions sociétales problématiques en espérant en tirer quelques profits électoraux. Dès les années 1980-1990, on a vu apparaître sur les plateaux de télévision le mélange des genres entre des animateurs de télévision plus ou moins drôles, des personnalités du show-biz et des politiques cherchant une notoriété à bon compte, au risque de l'insignifiance et du ridicule. Certains hommes politiques se sont mis à la chansonnette, racontant leur vie ou faisant visiter par le menu leur appartement devant les caméras. À la même époque, les premières émissions de déballage psychologique en direct ont vu le jour, avec une nouvelle catégorie d'animateurs-psychologues au style décontracté. Les chaines du service public ont suivi.

     

     

    La campagne de 2007 fut une étape décisive?

    La campagne présidentielle de 2007 a franchi une nouvelle étape en faisant apparaître une génération d'hommes et de femmes politiques élevés et éduqués dans une nouvelle époque marquée par l'érosion des repères symboliques de l'autorité et l'«ère du vide» des années 1980. Cette génération a poussé plus loin la volonté d'être à tout prix «proche des vrais gens», en faisant valoir le thème de la souffrance et une subjectivité quelque peu débridée dans le domaine sentimental comme dans les autres. Durant la campagne pour l'élection à la plus haute fonction de l'État, les démêlés sentimentaux de Nicolas Sarkozy et ceux de Ségolène Royal ont donné lieu à un feuilleton politico-médiatique comme on n'en avait encore jamais vu. Dans l'émission de télévision «Saga», la candidate a demandé François Hollande en mariage, sans du reste que le principal intéressé ait été mis préalablement au courant. En pleine soirée électorale du second tour des législatives, la «séparation du couple Hollande-Royal» a constitué un «événement» que les journalistes ont cru bon de mettre en avant face à des hommes politiques traditionnels visiblement décontenancés. Quelques années plus tard, en 2008, on assistera à une opération semblable dans un autre domaine, quand Raymond Domenech tentera de masquer sa responsabilité dans l'échec de l'équipe de France de Football, en faisant sa demande en mariage en direct à la télévision.

     

     

    Le nouveau style politique s'est développé dans les années suivantes avec un ministre de l'intérieur qui reçoit torse nu des journalistes en pratiquant des jugements à l'emporte pièce sur ses «amis» politiques, un président de la République qui grimpe les marches de l'Élysée en tenue de jogger, déclare tout bonnement qu'«avec Clara, c'est du sérieux», ou encore un président qui se veut «normal» en prenant le train comme tout le monde, trompant sa compagne et s'éclipsant discrètement de l'Élysée à scooter pour retrouver sa nouvelle conquête… La «normalité» s'étend désormais au nouvel état des mœurs.

    À force de se présenter comme des hommes ordinaires, les femmes et les hommes politiques dévalorisent eux-mêmes leur rôle et leur fonction. Le discours politique officiel tend désormais à s'aligner sur un «franc parler» qui fait fi de la syntaxe ; on parle mal mais comme tout le monde ; les femmes et les hommes politiques font volontiers la bise et appellent chacun par son prénom. Nous sommes arrivés au paroxysme de cette évolution.

    Quel rôle joue l'information continue et les réseaux sociaux dans ce bouleversement?

    Jean-Pierre Le Goff : Ils y participent pleinement et l'accélèrent en lui donnant un plus large écho, créant une sorte de bulle médiatique et communicationnelle au sein de laquelle les individus et les politiques peuvent perdre le sens du réel, s'enfermer dans un entre soi coupé d'une bonne partie de la société, avec l'illusion de peser sur les événements et la réalité quand on les a beaucoup commentés et que l'on a exprimé son «ressenti». Là aussi, les politiques ont une responsabilité particulière quand ils cherchent à se faire valoir dans les médias par quelques formules chocs ou quand ils twittent à la moindre occasion. Quand on en arrive à interdire l'usage des smartphones lors des conseils des ministres, on ne peut s'empêcher de penser aux classes turbulentes d'adolescents avec leur portables que les enseignants confisquent pendant les cours… Comme les nouvelles technologies de l'information, les évolutions des mentalités et des comportement s'accélèrent: l'important est d'en être et d'apparaître à tout prix moderne, au risque de faire basculer la politique vers la «peopolisation» et le spectacle de l'insignifiance, au moment même où la crise s'aggrave et où les foyers de guerre se développent dans le monde. Le modernisme à tout prix est aussi une «politique de l'autruche».

    En quoi publication du livre Valérie Trierweiler est elle révélatrice d'un certain état de la société?

    Jean-Pierre Le Goff : Cette nouvelle «affaire» est en même temps révélatrice d'un éthos dégradé et du désarroi d'une partie de la société. Elle révèle un nouvel individualisme autocentré qui a le plus grand mal à s'oublier, à contenir et à transcender ses affects, pour se consacrer à une fonction ou une œuvre impliquant engagement dans la durée, dévouement et sacrifices. Les déchirements de l'ancien couple présidentiel et les aventures amoureuses d'un président en scooter reflètent une situation qui paraît banale, à l'heure des «liaisons extraconjugales» et des familles dite «recomposées», alors qu'elles sont décomposées et donnent lieu à de multiples conflits et déchirements dont les enfants sont les premières victimes.

     

    Les rapports amoureux sont marqués par ce narcissisme pour qui l'amour est synonyme d'une état fusionnel permanent qui, à la moindre déception ou contradiction, peut se retourner en ressentiment ou en haine. L'érosion globale du mariage, avec ce qu'il implique d'engagement public dans la durée aux yeux des autres, est pareillement symptomatique du développement d'une mentalité adolescente ou post-adolescente pour qui la liberté signifie refus de la limite, maintien de choix en suspens. En tout cas, le non mariage offre l'avantage d'un engagement temporaire et révisable, incluant la possibilité d'une infidélité qui peut paraître banale, alors qu'il n'en est rien. Toute une presse people, féministe et psychologique, s'en délecte et en tire profit.

    L'éditeur a prévu un tirage exceptionnel d'un livre dont la promotion médiatique est assurée d'avance, à l'heure d'un désir de «transparence» à tout prix qui fait sauter les barrières entre vie publique et vie privée, et pratique la délation. Le spectacle télévisuel, y compris sur les chaînes publiques, la «télé-réalité», internet et les selfies mettent en scène des individus narcissiques qui n'hésitent pas à afficher leurs aventures amoureuses et des «secrets d'alcôve» qui relevaient antérieurement d'une littérature de gare. Le grand déballage médiatique du couple Trierweiler/Hollande a les allures d'un mauvais feuilleton ou d'une série de télévision qui n'en finit pas, chaque nouvel épisode voyant ses antihéros s'enfoncer un peu plus dans le méli-mélo et le règlement de compte.

    Sommes nous, selon vous, au terme d'un cycle politique?

    Jean-Pierre Le Goff : Une partie de la société a déserté mentalement le champ politique et ce qu'on appelle l' «affaire Trierweiler» creuse en peu plus le fossé avec une partie de la classe politique et médiatique qui vit dans un monde à part, en ayant tendance à se prendre pour le centre du monde. Au sein de la société, existe un phénomène de «ras le bol» et de rejet de cette surmédiatisation et de ce milieu qui vit un circuit fermé. L'effet de résonnance médiatique ne saurait faire oublier les forces vives du pays qui demeurent ancrés dans le réel, se passionnent pour leur activité, ont le souci des autres et de leur pays. C'est de ce côté-là que résident le renouveau et non du côté des «m'as-tu vu» qui étalent leur image et leur rancœur à tout va.

    On ne saurait désespérer de la politique dans un pays qui est le fruit d'une longue histoire marquée par l'attachement à la puissance publique et à la capacité de la politique à changer le cours des choses. Mais encore faut-il que les politiques cessent de flirter avec un nouvel air du temps problématique et une «réactivité» à tout crin. Le pays disposent encore d'hommes et de femmes politiques qui ont gardé le sens de l'État et de l'«intérêt supérieur» du pays. Aux compétences nécessaires, s'ajoute un charisme indispensable à la fonction politique. Ces qualités ne se sont pas données à tout le monde ; elles ont un caractère aristocratique (au sens grec, premier du terme, qui signifie le pouvoir des «meilleurs») ou élitaire par le type de vertu qu'elles exigent et qui peut apparaître hors du commun. Si l'on ne reviendra pas à un ancien modèle autoritaire et hautain, la crise dans laquelle le pays est plongé implique de telles exigences, faute de quoi le pays sombrera un peu plus dans une démocratie informe et le morcellement. Le délitement n'en «finit pas de finir»… Il est temps de passer à une nouvelle étape de notre histoire.

    Jean-Pierre Le Goff (Figarovox, 5 septembre 2014)

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  • « On a fabriqué des ghettos scolaires dans des ghettos sociaux »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Paul Brighelli au Figaro à propos de la nomination symbolique de Najat Vallaud-Belkacem comme ministre de l’Éducation nationale...

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    « On a fabriqué des ghettos scolaires dans des ghettos sociaux »

    LE FIGARO. - Après la révocation de Benoît Hamon quelques jours avant la rentrée, Najat Vallaud-Belkacem a été nommée ministre de l'Éducation nationale à la surprise générale. Que vous inspire ce choix?

    JEAN-PAUL BRIGHELLI. - Vous connaissez la phrase de Beaumarchais: «Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint.» Il fallait un vrai connaisseur de l'Éducation nationale, et on a hérité d'une diplômée de Sciences Po spécialiste de questions sociétales. Ce gouvernement, qui n'a pas d'autonomie en matière de choix économiques depuis que Bercy commence et finit à Berlin, fait volontiers dans le sociétal. Par ailleurs, Najat Vallaud-Belkacem s'est beaucoup impliquée dans les ABCD de l'égalité. Elle est à ce titre un repoussoir pour une bonne partie de la droite et de la Manif pour tous. Elle ne pourra qu'accroître la popularité de l'extrême droite - une stratégie constante de Hollande depuis qu'il a compris qu'il perdrait à tout coup au deuxième tour de la présidentielle face à un candidat UMP. Comme tous les gens qui n'y connaissent rien, Najat Vallaud-Belkacem cédera donc aux sirènes de la mode: le tout-informatique - qu'elle a déjà annoncé - ou la suppression des classes prépas. Ce serpent de mer a valu à Peillon bien des déboires, mais c'est l'un des dadas de Geneviève Fioraso, dont la calamiteuse gestion du supérieur a fâché tous les universitaires. La ministre sera sous influence des syndicats les plus pédagogico-béats. Cela évitera de poser les questions qui fâchent: la refonte totale des programmes dans le sens d'une vraie transmission des savoirs, l'inutilité d'un bac totalement dévalué, la nécessité d'une vraie liberté donnée aux universités de recruter sur concours ou sur dossier.

    Les questions de société ont-elles leur place à l'école?

    Il y a bien plus urgent que d'inciter les élèves à commenter un tableau de Renoir représentant un garçon habillé en petite fille - comme c'était le cas de tous les enfants vers 1890. J'invite à voir ce grand moment pédagogique, qu'on peut découvrir sur Internet*. L'égalité, tout comme la laïcité, ne se décrète pas, elle ne se prêche pas: c'est un combat de chaque instant tout au long d'une vraie scolarité, qui passe en priorité par l'accession à une culture réelle, aux Lumières.

    En cette rentrée, le débat se focalise de nouveau sur les rythmes scolaires. Ce sujet est-il vraiment à la hauteur des enjeux?

    Vincent Peillon a lancé une grande refondation qui a accouché d'une souris - comme si les chronobiologistes avaient le fin mot de l'Éducation nationale. La réforme des rythmes scolaires est un gadget suggéré par des communes riches (Paris) et imposé à des communes pauvres. Tout ça pour recruter des dizaines de milliers d'«animateurs». On va rééditer le coup des emplois-jeunes de la fin des années 1990, qui ont vu tant de «grands frères» investir l'école. Il s'agit aussi de ne pas fâcher le Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles (SNUipp). Ce syndicat avait combattu, sous Xavier Darcos, la semaine de quatre jours, mais il n'entend pas revenir à une semaine de quatre jours et demi de cours - j'entends de vrais cours, pas d'initiation au macramé. Or, les enfants ont besoin de vraies connaissances en français - c'est la priorité, en maths, en histoire et en géographie. Il faut qu'à la question «qu'as-tu fait à l'école aujourd'hui?», ils donnent chaque jour une réponse claire en termes de savoirs engrangés - et non en termes de récréation prolongée.

    Quelles sont les réelles causes de la crise de l'école?

    Trente ans de gabegie idéologique - depuis la calamiteuse loi Jospin de 1989 et sa lubie pédagogiste de «l'élève au centre», acteur et constructeur de son propre savoir. Délires à vrai dire conformes aux critères fixés par le Conseil européen de Lisbonne, qui visent à produire 10 % de cadres, et à donner un «socle» de pauvres connaissances à une masse désormais taillable et corvéable à merci. En cela, les libertaires ont admirablement fait le jeu des libéraux qui rêvent d'un tiers-monde à portée de main.

    Les institutions européennes ne sont-elles pas un bouc émissaire facile? Certains professeurs n'ont-ils pas défendu les thèses que vous dénoncez?

    Ma génération n'a jamais refusé en bloc de transmettre ce qu'elle savait. Nombre d'enseignants sont vent debout contre ce qu'on tente de les obliger à faire. Il a suffi de quelques idéologues montés au pouvoir pour imposer ce désastre. L'engrenage a commencé avec la droite. Le collège unique, c'est Giscard d'Estaing et Haby. La gauche a continué. Le droit généralisé à l'expression de l'élève est dû à Jospin, l'entrisme des parents à l'école à Ségolène Royal. Leurs consignes sont appliquées par un corps d'inspecteurs dociles, en particulier dans le primaire, et par des formateurs convaincus (les IUFM, puis les ESPE). Ceux-ci ont obligé nombre d'enseignants à pratiquer des méthodes aberrantes - comme la méthode idéo-visuelle dans l'apprentissage de la lecture plutôt que les méthodes alphasyllabiques - et à renverser le rapport pédagogie/ transmission en faveur de la première. Sans même se rendre compte qu'ils précarisaient encore plus, sur le plan intellectuel comme sur le plan économique, les classes les plus défavorisées. Un pseudo-gauchisme culturel sert admirablement les intérêts de ceux qui ne veulent pas que les enfants les plus démunis pensent par eux-mêmes.

    Il y a près de dix ans, dans «La Fabrique du crétin», vous écriviez: «L'école a cessé d'être le moteur d'un ascenseur social défaillant. Ceux qui sont nés dans la rue, désormais, y restent.» Êtes-vous toujours aussi pessimiste?

    Non seulement je le suis, mais mes pires craintes sont vérifiées. On a fabriqué des ghettos scolaires dans les ghettos sociaux. On a dévalué les examens, et on envoie dans le mur des études supérieures une génération entière à laquelle le savoir et le travail sont refusés.

    Quelles sont les deux ou trois mesures qu'il serait urgent de prendre en cette rentrée?

    Il faut cesser de travailler à vue en faisant de l'idéologie pour l'idéologie, consulter pour de bon les enseignants de terrain, instaurer la diffusion de ce qui marche, imposer le zéro tolérance en matière de discipline et utiliser intelligemment le colossal budget de l'Éducation, dépensé aujourd'hui dans des gadgets technologiques sans intérêt.

    Le «tout-informatique», qui a fait la preuve de son inutilité quand ce n'est pas de sa nocivité, ne remplacera jamais des enseignants formés sur le terrain - par compagnonnage bien plus que par des cours de didactique in abstracto. Mais ce ministre et ce gouvernement sont bien incapables de prendre de telles décisions.

    Jean-Paul Brighelli (Figarovox, 1er septembre 2014)

     

    * http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalite/fileadmin/user_upload/doc/fichepedagogique_madamecharpentieretsesenfantsparaugusterenoir.pdf

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  • Le féminisme veut-il encore dire quelque chose ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au féminisme ...

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    Le féminisme veut-il encore dire quelque chose ?

    Après des années de lutte, quel bilan peut-on tirer du féminisme ?

    Un bilan nécessairement contrasté, pour l’excellente raison que le féminisme, en soi, ne veut pas dire grand-chose. Il y a, en effet, toujours eu deux grandes tendances à l’intérieur du mouvement féministe. La première, que j’appelle le féminisme identitaire et différentialiste, cherche avant tout à défendre, promouvoir ou revaloriser le féminin par rapport à des valeurs masculines imposées par des siècles de « patriarcat ». Non seulement le féminin n’est pas nié, mais c’est au contraire son égale valeur avec le masculin qui est proclamée. Cette tendance a, certes, connu des excès, allant parfois jusqu’à tomber dans la misandrie (dans les années 1960, certaines féministes américaines aimaient à dire qu’« une femme a autant besoin d’un homme qu’un poisson d’une bicyclette » !). Au moins ne remettait-elle pas en cause la distinction entre les sexes. Je trouve ce féminisme plutôt sympathique. C’est à lui que l’on doit d’avoir réellement fait avancer la condition féminine.

    La seconde tendance, qu’on peut appeler égalitaire et universaliste, est bien différente. Loin de chercher à revaloriser le féminin, elle considère que c’est, au contraire, la reconnaissance de la différence des sexes qui a permis au « patriarcat » de s’imposer. La différence étant ainsi tenue comme indissociable d’une domination, l’égalité est à l’inverse posée comme synonyme d’indifférenciation ou de mêmeté. On est, dès lors, dans un tout autre registre. Pour faire disparaître le « sexisme », il faudrait faire disparaître la distinction entre les sexes (tout comme, pour faire disparaître le racisme, il faudrait nier l’existence des races) – et surtout nier leur naturelle complémentarité. Dès lors, les femmes ne devraient plus concevoir leur identité sur le mode de l’appartenance (au sexe féminin), mais sur leurs droits en tant que sujets individuels abstraits. Comme l’a dit l’ultra-féministe Monique Wittig, « il s’agit de détruire le sexe pour accéder au statut d’homme universel » ! En d’autres termes, les femmes sont des hommes comme les autres ! C’est évidemment de cette seconde tendance qu’est née la théorie du genre.

    Est-il forcément besoin d’être féministe pour être une vraie femme ?

    Il faudrait déjà s’entendre sur ce qu’est une « vraie femme » ! Raymond Abellio distinguait trois grands types de femmes : les femmes « originelles » (les plus nombreuses), les femmes « viriles » et les femmes « ultimes ». Il interprétait le féminisme comme un mouvement de mobilisation des premières par les secondes. Ce qui est sûr, c’est qu’on peut être féministe au sens identitaire sans l’être au sens universaliste. La question se pose, d’ailleurs, de savoir si la seconde tendance évoquée plus haut peut encore être qualifiée de « féministe ». S’il n’y a plus d’hommes et de femmes, si le recours au « genre » permet de déconnecter le masculin et le féminin de leur sexe, on voit mal en quoi la théorie du genre peut encore être considérée comme « féministe ». Qu’est-ce en effet qu’un féminisme qui nie la réalité d’une spécificité féminine, c’est-à-dire de ce qui caractérise les femmes en tant que femmes ? Comment les femmes pourraient-elles rester femmes en se libérant du féminin ? Telles sont précisément les questions que n’ont pas hésité à poser les féministes les plus hostiles à l’idéologie du genre, telles Sylviane Agacinski ou Camille Froidevaux-Metterie.

    Aujourd’hui, les Femen… Suffit-il de montrer ses seins pour faire avancer la cause féminine ?

    Si tel était le cas, la condition féminine aurait, depuis quelques décennies, fait d’extraordinaires bonds en avant ! Mais dans le monde actuel, l’exhibition d’une paire de seins est d’une affligeante banalité. Même sur les plages, le monokini est passé de mode ! En exhibant des poitrines dans l’ensemble plutôt tristounettes, les Femen, venues d’Ukraine, ont naïvement imaginé qu’elles allaient faire impression. Elles ont seulement fait sourire. Disons qu’elles ont cru que, pour se faire entendre, il leur fallait recourir à ce que certains sociologues appellent la « nudité hostile », une nudité qui n’est plus conçue comme un moyen d’attirer, de séduire ou de provoquer le désir, mais comme un défi agressif, une sorte de proclamation à l’ennemi. Ce genre de pratique relève de cet exhibitionnisme pauvre à quoi se résume actuellement une grande partie de la sociabilité occidentale, laquelle consiste à user de son corps comme d’une marchandise. Les malheureuses Femen seront d’autant plus vite oubliées que tout le monde se fout de leurs nichons !

    Mais ce serait aussi une erreur de croire qu’elles ont le soutien des féministes. Mis à part Caroline Fourest, notoirement tombée amoureuse d’Inna Shevchenko, la plupart des féministes ont très vite pris leurs distances vis-à-vis de ces exhibitionnistes, auxquelles elles ont reproché d’utiliser leur corps et de faire appel à une « politique de la télégénie » pour mobiliser l’attention médiatique, au risque de légitimer indirectement la reconnaissance des différences de sexes – en clair, de faire de leurs glandes mammaires un usage propre à conforter les « stéréotypes ». D’autres ont objecté aux activistes aux seins nus qu’au lieu d’affirmer la supériorité de la nudité, elles feraient mieux de défendre la liberté des femmes de s’habiller comme elles le veulent. Lisez, à ce propos, l’article de Mona Chollet paru dans Le Monde diplomatique de mars dernier, qui s’intitulait « Femen partout, féminisme nulle part ». Quant aux revendications proprement féministes des Femen, on les cherche encore !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 17 août 2014)

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  • Le djihad, une chance pour la France ?...

     Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec François-Bernard Huyghe, cueilli sur Atlantico et consacré à l'impact du djihadisme sur les populations musulmanes en France...

     

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    Atlantico : Selon la presse britannique, deux apprentis djihadistes, Yusuf Sarwar et Mohammed Ahmed, ont commandé les livres "L’Islam pour les nuls" et "Le Coran pour les nuls" sur Amazon avant de quitter Birmingham pour aller combattre en Syrie, en mai dernier. Cette attitude n'est-elle pas surprenante venant d'aspirants djihadistes ? 

    François-Bernard Huyghe : Le profil typique du djihadiste n’existe pas. Il y a aussi bien des djihadistes, issus d’un milieu très musulman, très fondamentaliste, qui fréquentent les madrasas (école théologique musulmane ndlr), et ceux, notamment en Occident, qui subissent des retournements brusques et des conversions très rapides.

    Généralement, ceux là ont adopté un comportement "occidental", ils possèdent des voitures, s’habillent comme tout le monde et vont en boîte, ou au contraire, se caractérisent par un parcours complètement chaotique, liée à la délinquance ou à la criminalité.

    Il n’est pas étonnant, qu’il y ait de nombreux cas de conversions brusques s’opérant avec un faible niveau doctrinal, dans la mesure où ce que recherchent ces djihadistes néophytes, c'est une occasion d’employer une énergie agressive qui bouillonne en eux ou une rationalisation, la formalisation d’un désir de revanche envers le système qui persécute leurs frères musulmans. Ils ont alors besoin d’action. La justification théologique, quant à elle, viendra toujours après et n’a pas besoin d’être élaborée. Enfin, beaucoup de ceux qui ont envie d’aller faire le dhijad, ne sont pas forcement des intellectuels, qui ont une grande habitude de la lecture, ce qui ne veut pas dire pour autant que les intellectuels ne fassent pas le djihad. 

    S'agit-il d'un signe de modernité et de massification du djihadisme ?

    Il est certain que les technologies modernes, en particulier de communication, facilitent le processus de radicalisation pour ceux qui ont une prédisposition. Dans le cheminement des islamistes passés au djihad, beaucoup racontent comment ils ont assisté à la télévision aux persécutions de leurs "frères" palestiniens, tchétchènes ou sunnites d’Irak.

    Au cours de ce processus, leur indignation et leur besoin de vengeance montent en flèche. Ils se rendent aussi sur Internet, où ils fréquentent des forums spécialisés. La radicalisation s’opère très vite. En effet, l’information mondialisée renforce l’identification entre musulmans, les plus radicaux apparaissant alors à leurs yeux comme des héros positifs, qui accomplissent des exploits, qu’il s’agisse de combattants d’Aqmi ou de shebabs somaliens. Ce processus d’identification, de basculement, cette montée de l’hostilité se fait beaucoup plus vite qu’auparavant et il n’y a pas besoin d’apprendre l’arabe littéraire à la bibliothèque ou de réciter le Coran pour en arriver là.

    Ce profil est-il courant, que dire de sa progression ?

    Oui. Il est difficile d’avoir des statistiques fiables en la matière, mais nous observons de nombreux profils de djihadistes, tout à fait intégrés dans la modernité. Le rap constitue notamment un détail parmi d’autres. Evidemment, tous les rappeurs ne sont pas extrémistes, mais beaucoup de djihadistes ont en commun d’aimer le rap, certains allant même jusqu’à le chanter. Ils aiment la musique très contemporaine, portent des vêtements très branchés et adorent les voitures modernes. Bref, ils ont des profils d’adolescent de chez nous. D’ailleurs, beaucoup de familles sont souvent étonnées de découvrir leurs proches ou leurs enfants passer au djihadisme violent, alors qu’ils voulaient dans le même temps être à la mode pour plaire aux filles, passaient la journée à regarder des clips à la télévision ou à écouter de la musique. Chez les convertis, on retrouve souvent ce genre profils, à l’image de Mohamed Merah, qui avait une petite amie, aimait les bagnoles de sport et allait en boite. 

    Quelles sont alors les raisons de cette radicalisation et de cet engagement terroriste ?

    On sait depuis 20 ans qu’il est impossible de dresser un profil psycho-sociologique type des gens qui passent au terrorisme. Mais il y a quand même des facteurs préférentiels, comme la colère ou le ressentiment, surtout chez les convertis rapides notamment attachés à la cause palestinienne, qui font des raccourcis sur les musulmans oppressés par "l’ennemi sioniste".

    Le besoin de gloire joue aussi. Le djihad n’est pas une lutte pour les timides mais pour des jeunes gens qui ont de la vitalité, qui expriment un besoin d’être chef, de dominer les autres, d’avoir du prestige.

    Certains passent notamment de la délinquance à l’islamisme, où ils expriment des qualités positives de courage et de prise de risques dans le cadre d’une guerre idéologique. Malgré leur us et coutumes occidentales, ils promeuvent une idéologie anti-occidentale, en adoptant des codes contradictoires et archaïques.

    Une identité religieuse affirmée et régulière n’est-elle pas un rempart contre la radicalisation islamiste ?

    Ce n’est pas la solution non plus. Evidemment, on peut tenir un discours politiquement correct en disant que la vraie religion éloigne de la violence du dhijad, que s’il y avait de bons imams et une bonne formation religieuse, les jeunes musulmans seraient des citoyens modèles. Hélas, il y a aussi le risque des imams extrémistes, l’initiation musulmane n’étant pas aussi structurée comme celle de l’église catholique. Les exemples extraordinaires en Angleterre de prêcheurs extrémistes, sont à ce propos particulièrement frappants. Vous pouvez ainsi aussi bien vous radicaliser tout seul devant votre ordinateur qu’en allant avec des "frères" à la mosquée où vous rencontrerez un prêcheur qui a beaucoup de prestige, surtout s’il a été en Afghanistan. S’il vaut mieux que les jeunes musulmans aient une formation religieuse sérieuse, en aucun cas, cela n’est une garantie contre les dérives islamistes.

    Ces nouveaux profils augmentent-ils le degré la de la menace et rendent-ils la lutte anti-terroriste dans les pays occidentaux plus difficile ?

    Oui, bien sûr. Parce que s’ils se mettent à se faire pousser la barbe, à porter la djellabah et à fréquenter des mosquées islamistes, il est relativement facile pour la police de mettre de caméras au bout de la rue, d’essayer d’infiltrer et d’avoir des indicateurs, de repérer les éléments radicaux et de les filer. Concernant ces conversion très rapides, je ne crois pas en revanche au loup solitaire complet, ce gars qui devant son écran pète un plomb un jour et se s’en va mourir pour le djihad afin de conquérir sa place au paradis. Quand vous vous battez, vous avez le plus souvent des camarades et des soutiens. Il vous faut au moins des complices pour fournir les armes et pour vous encourager. On parle alors du "djihad des copains", où des petits groupes pas du tout structurés peuvent pendre des initiatives, commencent à s’auto-exciter, à se former en cellules autonomes et à passer très vite à l’action violente.

    D’autant plus que les basculements sont brusques et les milieux d’incubation plus restreints. Par définition, ils sont donc plus difficiles à détecter. Souvent, la famille et l’environnement social ne repèrent même pas les changements. Vous avez ceux qui en font des tonnes, qui portent des t-shirt Ben Laden, qui hurlent des versets du Coran pour que tout le monde soit au courant, et ceux qui ne vont pas apparemment changer leur mode de vie ou tenir un discours religieux et moralisateur à leur entourage ou leurs amis. Ce sont des profils psychologiques un peu schizophrènes entre un monde de la modernité et de la consommation, et un monde de la mystique et de la conversion. En tout cas ils sont beaucoup moins repérables pour les autorités.

    François-Bernard Huyghe (Atlantico, 26 août 2014)

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  • Dominique Venner - Une pensée, une œuvre, un destin... (9)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous le deuxième volet d'un long entretien avec Dominique Venner, réalisé par Philippe Conrad, Philippe Milliau et Jean-Yves Le Gallou entre le 27 et le 28 février 2013.

    Dans cette partie, Dominique Venner évoque avec Jean-Yves Le Gallou le danger mortel de l'immigration de peuplement, le caractère criminel des "élites" dirigeantes actuelles, le repoussoir de l'Union européenne, la nécessité d'une autre Europe, l'absence d'une religion identitaire européenne et l'éventuelle européanisation du christianisme, le réveil de la mémoire identitaire au travers de l'art, l'exemple du tableau de Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable... Il évoque également  le sacrifice comme instrument pour éveiller les consciences et authentifier les paroles...

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  • Ukraine : le dessous des cartes...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le journaliste Jean-Michel Quatrepoint au Figaro et consacré aux dessous de la crise ukrainienne. Jean-Michel Quatrepoint a récemment publié un essai intitulé Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014).

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    Le président américain Barack Obama et le président ukrainien Petro Porochenko

     

    Ukraine, Poutine, Obama, Merkel : le dessous des cartes

    FigaroVox: Dans votre livre, Le choc des Empires, vous décriviez l'affrontement entre les Etats-Unis, le Chine et l'Allemagne. La situation en Ukraine ne rappelle-t-elle pas davantage la guerre froide?

    Jean-Michel QUATREPOINT: En réalité, on assiste à un choc entre deux blocs: d'un côté, l'Amérique qui veut enrôler l'Europe sous sa bannière, et de l'autre, la Chine et la Russie qui de facto se rapprochent ne serait-ce que parce que les Américains mènent à leur encontre une politique de «containment» depuis 2010. Les Américains veulent imposer leur modèle économique et idéologique: le libre-échange et les droits de l'Homme. Le parti au pouvoir en Chine et les Russes ne veulent pas de ce modèle. Dans ce contexte l'Europe, notamment l'Allemagne, est prise en sandwich. Angela Merkel doit choisir et penche plutôt pour le moment pour les Etats-Unis. Cela signifie qu'à terme, tout le développement qu'elle pouvait espérer grâce à la Russie, va devoir être passé par pertes et profits. De la même façon, tous les projets d'investissement sur les transports , notamment la nouvelle route de la soie ferroviaire entre la Chine et l'Europe via la Russie, risquent d'être remis en cause. Si l'escalade des sanctions se poursuit, les Russes pourraient interdire le survol de la Sibérie pour toutes les compagnies aériennes avec pour conséquence une augmentation des coûts exponentielle et in fine l'affaiblissement économique puis politique de l'Europe. La légère récession qu'a connue l'Allemagne au troisième trimestre est un premier signal alors même que les effets du boycott russe ne se sont pas encore fait sentir.

     

     

    En quoi les enjeux politiques et économiques s'entremêlent-t-ils?

    Aujourd'hui, l'investissement en Allemagne chute pour trois raison. D'abord à cause du coût de l'énergie. L'abandon du nucléaire coûte une fortune au pays et le rend dépendant du gaz russe. Deuxièmement, le coût de la main d'œuvre n'est plus aussi bas qu'il ne l'était, notamment avec la mise en place du smic et troisièmement l'Euro est surévalué par rapport au dollar. En conséquence, les industriels quittent l'Europe et préfèrent investir aux Etats-Unis qui redémarrent économiquement grâce à leur énergie à bas coût (gaz et pétrole de schiste) et sa main d'œuvre meilleur marché. L'Europe en stagnation est dans la situation du Japon dans les années 90-2000. Sa balance commerciale reste excédentaire grâce à l'Allemagne, mais elle vieillit et ne se développe plus. Cela signifie que nous allons perdre notre pouvoir sur la scène internationale.

    Dans ce contexte, les sanctions contre la Russie constitue-t-elle une erreur stratégique?

    Oui, ces sanctions sont contre-productives. Malheureusement, la plupart des pays européens à commencer par les pays de l'Est, préfèrent les Etats-Unis à la Russie. La Pologne, les pays Baltes et la République Tchèque sont viscéralement antirusses et joueront toujours le jeu des Américains car le souvenir de l'occupation par les troupes soviétiques y est encore prégnant. L'Allemagne, elle, est écartelée et tout l'objectif des Américains est de la détacher de la Russie. L'axe entre Paris-Berlin et Moscou pour s'opposer à la guerre en Irak en 2003 est resté dans la mémoire du département d'Etat américain. Les dirigeants américains ont donc décidé de punir la Russie et de ramener l'Allemagne dans leur giron. C'est tout le but du traité transatlantique qui est en fait une grande alliance germano-américaine.

    La France, qui a une tradition de non-alignée, peut-elle jouer un rôle?

    La SFIO n'a malheureusement jamais eu une tradition de non-alignée. La comparaison entre François Hollande et Guy Mollet est cruelle, mais pas dénuée de fondement. Il y a une vocation européano-atlantiste qui est dans les gènes du Parti socialiste. On peut d'ailleurs également déplorer l'abandon de la politique arabe de la France: non que les Israéliens aient toujours tort, mais on ne peut pas les laisser faire n'importe quoi.

    Iriez-vous jusqu'à parler de tournant néo-conservateur de la politique étrangère française?

     

    Oui, ce tournant a d'abord été pris par Alain Juppé lorsqu'il était au quai d'Orsay. Les diplomates français mènent désormais une politique de court terme. Lors des Printemps arabe, jouant aux apprentis sorciers, la France a réagi sur l'instant en se félicitant de la chute des dictateurs, mais sans en mesurer les conséquences, notamment l'arrivée au pouvoir des islamistes qui ont totalement déstabilisé la région. On a également oublié que les régimes autocrates, qui étaient en place, protégeaient les minorités chrétiennes. Pour un chrétien, il valait mieux vivre sous Saddam Hussein qu'aujourd'hui sous le régime chiite. De la première guerre d'Irak de 1991 jusqu'à la guerre en Libye de 2011, les pays occidentaux ont semé le chaos. Certes les dirigeants en place au Moyen-Orient n'étaient pas recommandables, mais au moins ces pays n'étaient pas des champs de ruines. On ne déclenche plus de guerre mondiale, mais on déclenche des guerres civiles avec des centaines de milliers de morts.

    Jean-Michel Quatrepoint (Figarovox, 23 août 2014)

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