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Entretiens - Page 185

  • "Les Français ne veulent pas que leur France meure..."

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une rencontre avec Eric Zemmour, sur TV Libertés, à l'occasion d'une séance de signature de son livre Le suicide français (Albin Michel, 2014).

     

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  • A propos de la reconnaissance de l'Etat palestinien...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la reconnaissance de l’État palestinien...

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    Les Palestiniens savent que les Israéliens ne voudront jamais d’un État palestinien

    Aujourd’hui, 2 décembre, et ce, à l’initiative du Parti socialiste, l’Assemblée nationale devrait voter la reconnaissance formelle d’un État palestinien, dans ses frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale. Il était temps, non ?

    Depuis que le rêve d’un État binational s’est évanoui, chacun sait qu’il ne peut y avoir de solution au conflit israélo-palestinien qu’à la condition que soit créé un État palestinien souverain. Chacun en convient, mais dans le passé l’idée prévalait que « le moment n’est pas encore venu ». Une bonne manière de renvoyer l’affaire aux calendes grecques. L’ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi, disait récemment dans Le Figaro : « Si les Juifs avaient attendu l’accord des Arabes pour créer leur État, ils attendraient toujours. » On pourrait en dire autant des Palestiniens, qui savent très bien que les Israéliens ne voudront jamais d’un État palestinien. C’est précisément la raison pour laquelle 135 pays (sur 193) ont déjà officiellement reconnu ledit État palestinien. Que la France, prenant pour une fois ses distances vis-à-vis de Washington, vienne s’ajouter à ces pays ne serait que justice. Ce serait même tout à son honneur.

    Cette reconnaissance ne serait bien entendu qu’un signal symbolique, dont il ne faut donc pas surestimer les effets. Mais ce serait un signal fort. À un moment où le conflit prend un tour plus religieux que politique, en raison de la double surenchère des islamistes et des groupes juifs ultra-religieux, tandis que l’on enregistre une nouvelle vague de violence en réaction à la politique israélienne de colonisation des territoires occupés (380.000 colons vivent aujourd’hui en Cisjordanie), ce serait une façon de proclamer solennellement que la solution à ce conflit ne peut être que politique. Ce que n’ont visiblement pas compris, en Israël, ceux qui n’ont pas encore tiré la leçon de l’échec des opérations militaires de l’été dernier dans la bande de Gaza.

    Traditionnellement, la gauche a toujours été divisée sur la question. Mais à en croire Roland Dumas, Pierre Mendès France, sioniste de toujours, fut également un pionnier historique de la cause palestinienne. Il n’a pas été le seul à camper sur ces positions. Contradiction ? Aujourd’hui, le Front national ne compte que deux députés au Parlement : Gilbert Collard, qui votera contre la reconnaissance de l’État palestinien, et Marion Maréchal-Le Pen, qui votera pour (à moins qu’elle ne s’abstienne finalement – NDLR). Autre contradiction ?

    L’histoire ne s’écrit jamais en noir et blanc. Dans une telle affaire, tous les camps sont partagés. À l’intérieur même de l’EI (l’État d’Israël, pas l’État islamique !), les positions de Benyamin Netanyahou ne font pas l’unanimité. J’en veux pour preuve que deux anciens ambassadeurs d’Israël en France, Élie Barnavi et Nissim Zvili, se sont eux aussi prononcés pour la reconnaissance d’un État palestinien, alors qu’ils savent très bien qu’Israël pourra alors être officiellement reconnu comme occupant le territoire d’un État souverain. Ils entendent par là protester contre l’autisme d’une classe politique israélienne qui, après avoir favorisé le Hamas aux dépens des mouvements palestiniens laïcs, s’efforce de délégitimer par tous les moyens l’Autorité palestinienne pour faire croire qu’il n’y aura jamais de partenaire avec lequel il lui faudra négocier.

    Pour ce qui est du Front national, il me semble qu’il s’est très clairement – et de façon très gaullienne – prononcé en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. Gilbert Collard, comme Aymeric Chauprade d’ailleurs, exprime donc une position qui n’engage que lui.

    Et les Arabes israéliens, qui représentent quand même 20 % de la population de l’État d’Israël ?

    Le 24 novembre, Benyamin Netanyahou a fait adopter un projet de loi qui ne définit plus Israël comme un État « juif et démocratique », ainsi que le prévoient les lois fondamentales qui font office de Constitution, mais comme l’« État national du peuple juif ». Ce projet, proposé par l’aile dure du Likoud, mais qui a été dénoncé par le procureur général Yehuda Weinstein, conseiller juridique du gouvernement, par l’ancien ministre de la Défense Moshe Arens (qui parle d’une « loi inutile et nuisible »), par le ministre de la Justice Tzipi Livni et par cinq autres ministres, aura pour effet, s’il est adopté, que la langue arabe perde son statut historique de langue officielle, et que la loi religieuse prime définitivement sur la loi civile. Il ouvrira ainsi la porte à l’institutionnalisation de nouvelles discriminations envers la minorité arabe israélienne.

    Les Arabes israéliens ne se sont de toute façon jamais vu reconnaître la nationalité israélienne. La carte d’identité israélienne (teoudat zehout), délivrée par le ministère de l’Intérieur, distingue en effet nettement la citoyenneté et la nationalité. Cette dernière peut être de nature politique, comme c’est le cas pour les résidents permanents qui possèdent une citoyenneté étrangère (on parle alors d’ezrahout), mais pour le cas général, elle s’entend au sens de l’ethnie (on parle alors de le’om), ce qui signifie que, s’il existe une citoyenneté israélienne commune, il n’existe pas de nationalité israélienne commune : il y a un État israélien, une « nation juive » incluant la Diaspora, mais pas de nation israélienne. Paradoxalement, c’est donc seulement à l’étranger qu’un Arabe ou un Druze d’Israël pourra être considéré comme de « nationalité israélienne », alors qu’au sens propre, celle-ci n’existe pas.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 décembre 2014)

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  • "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec à l'hebdomadaire Marianne et consacré à l'affaire de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral à la Russie. Olivier Zajec est maître de conférences en science politique à l'université de Lyon 3 et a notamment publié La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique (Editions de l’œuvre, 2011).

     

     

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    "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"

    Marianne : La France a suspendu sine die la livraison du Mistral « Vladivostok » à la Russie. Que vous inspire cette décision et quelles seraient selon vous les conséquences stratégiques et économiques d’une non-livraison de ces bateaux ?
    Olivier Zajec* : Je suis en faveur de la livraison de ce bâtiment, et j’ai peur que le report décidé le 25 novembre ne soit à la fois impolitique, masochiste et décrédibilisant. Impolitique, car nous avons intérêt, sur le long terme, à une relation plus adulte avec la Russie, et ce n’est pas en reniant notre parole que nous y parviendrons.  Masochiste, car nous fragilisons notre industrie de défense, l’un de nos atouts les plus solides sur le plan industriel. Décrédibilisant, car la valeur ajoutée de l’offre française d’armement sur le marché export réside justement dans une alternative à la vassalisation technologique et normative américaine. C’est ce que recherche un client comme l’Inde. Avec cette décision qui ravit les paléo-atlantistes, nous manifestons notre soumission à des postures stratégiques qui ne servent pas nos intérêts (et je ne parle pas seulement de la France, mais de l’Europe). Livrer le Mistral n’empêcherait nullement la France de jouer son rôle dans la crise en cours en Ukraine, qui doit absolument être dénouée. Tout au contraire, en réalité, car cette manifestation d’indépendance lui conférerait le rôle de tiers, ce qui lui permettrait d’arbitrer le pugilat grotesque qui oppose les nostalgiques de l’URSS que l’on rencontre parfois au Kremlin, et les hystériques russophobes qui semblent avoir pris l’ascendant à l’OTAN. Notons tout de même que beaucoup de ceux qui s’élèvent contre cette vente sont les mêmes qui dansaient de joie lors de l’entrée des Américains dans Bagdad en 2003. À défaut d’autres qualités, il faut leur reconnaître une certaine constance dans l’aveuglement. 

    Comment évaluez-vous les conséquences d’une brouille avec Moscou notamment en ce qui concerne les négociations avec l’Iran ou sur la Syrie ?
     Moscou est un acteur incontournable du jeu moyen-oriental, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette. M. François Hollande, étant donné la complexité du puzzle régional et suivant l’impulsion américaine, est en passe, bon gré mal gré, de se convertir au réalisme sur le dossier iranien, ce qui était hors de question il y a encore peu de temps. Puisque cette lucidité bienvenue s’applique désormais vis-à-vis de Téhéran, qui redevient un interlocuteur, pourquoi ne pas l’appliquer – même provisoirement – à Damas, étant donné la nature de l’adversaire commun ? Bachar el-Assad n’est pas la menace immédiate. La fourniture d’armes aux islamistes syriens fut une faute majeure de notre diplomatie. Agir stratégiquement, c’est aussi hiérarchiser les priorités et coordonner les fronts : que se passerait-il si le régime syrien s’effondrait aujourd’hui ? Il suffit d’observer la Libye post-kadhafiste pour le comprendre. L’intervention militaire peut être une solution, il ne faut jamais l’exclure a priori. Mais à condition qu’elle ne perde jamais de vue le contexte de l’engagement. « Frapper » n’est pas une fin en soi, mais seulement le préalable ponctuel et maîtrisé d’un nouvel équilibre instable des forces politiques. L’État islamique n’est pas sorti tout armé des enfers du soi-disant « terrorisme global ». Ce n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il est comptable d’une histoire longue qui plonge ses racines dans l’échec du nationalisme laïc arabe. Cet échec a des causes internes, à commencer par la haine qui sépare Sunnites et Chiites, et les réflexes claniques des élites arabes. Mais aussi des causes externes, en particulier l’incroyable légèreté avec laquelle certaines puissances (et d’abord les États-Unis) ont, depuis des décennies, détruit les fragiles équilibres de la région en jouant l’obscurantisme pétro-rentier contre l’autoritarisme laïc, et le wahhabisme contre la puissance iranienne. Les Occidentaux, de ce point de vue, ont aussi besoin de Moscou pour parvenir à une solution sur place, qui prenne en compte l’intérêt de tous les acteurs.

    Pourtant lors du récent G20 de Brisbane, Poutine a été à l’unanimité, par les médias comme les politiques, présenté comme « isolé » sur la scène internationale...
    « Si tout le monde pense la même chose, c’est que quelqu’un ne pense pas ». Cet unanimisme, sur un sujet aussi complexe, n’est certainement pas un très bon signe pour la pensée stratégique et politique française. Vladimir Poutine est moins isolé sur la scène mondiale que François Hollande sur la scène européenne. Tout est question de focale, d’échelles d’analyse, et en l’occurrence, c’est une myopie persistante qui caractérise le commentaire journalistique occidental.

    Lors du dernier sommet de l’APEC (un forum de coopération économique dans la région Asie-Pacifique, ndlr), Moscou et Pékin ont eu, de leur côté,  plaisir à mettre en scène leur rapprochement entre « isolés » de la scène internationale. Ce rapprochement est-il viable et peut-il marquer un changement majeur dans les équilibres internationaux ?

     Très certainement. Mais il ne faut surtout pas surestimer ce rapprochement. Pékin et Moscou se méfient l’un de l’autre. Cependant, sur ce sujet comme sur d’autres (politique spatiale, énergie, défense du principe de non-ingérence dans les relations internationales), Russes et Chinois semblent poussés les uns vers les autres par un certain unilatéralisme moraliste occidental. 

    Beaucoup de commentateurs considèrent que l’objectif de Poutine est de reconstituer un empire soviétique. On retrouve également tout un discours sur les supposés « réflexes de guerre froide de la Russie ». Comment percevez-vous l’agitation de ce spectre d’une nouvelle guerre froide  ? 
    J’y discerne le signe que le logiciel de certains experts est resté bloqué en 1984, et que leur appréhension diplomatique est celle qui prévalait sous Ronald Reagan. Les saillies de M. John McCain sont typiques de ce blocage générationnel : « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, dit-il, pour empêcher que les ténèbres du monde de M. Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Sans nier la vigueur des réactions russes en Ukraine, il faut remettre les choses dans leur contexte, car cette crise procède d’éléments de nature différente : la profonde corruption des élites ukrainiennes, pro et antirusses confondus ; l’extension ininterrompue de l’OTAN aux marges de la Russie, depuis plus de vingt ans, alors que la main tendue s’imposait ; la méfiance atavique des Baltes et des Polonais vis-à-vis de Moscou, qui ne cesserait que si les Russes rentraient dans l’OTAN (et encore n’est-ce pas sûr) ; enfin, la propension américaine à jouer sur les divisions européennes. La France et l’Allemagne, qui ont tout à gagner à une relation apaisée avec la Russie, sont les premiers perdants du mauvais remake de John le Carré auquel nous assistons. 

    Que pensez-vous justement de l’absence totale d’identité stratégique de l’Europe, sinon l’alignement aveugle sur Washington ?
    Je crois sincèrement que les mots ont un sens. Il n’y a pas, en l’état, d’identité « stratégique » de l’Europe. Nous apportons simplement un appui tactique ponctuel à des opérations relevant d’une stratégie américaine, qui a intérêt à ce que l’Europe demeure un objet et non un sujet des relations internationales. Cette tutelle prolongée sur des alliés tétanisés permet à Washington de masquer sa propre perte d’auctoritas au niveau mondial. Plus généralement, les démocraties « occidentales » semblent s’ingénier à se placer dans le temps court du spasme moral, et non dans le temps long de la stratégie. S’il en était autrement, nos décisions sur les dossiers ukrainien, irakien, syrien, libyen et iranien auraient pris une autre tournure, moins tonitruante et plus réaliste. Pour avoir une stratégie, il faut avoir une conscience politique. L’Europe prise dans son ensemble n’en a pas, malheureusement. La France, elle, qui a la chance de disposer d’une armée extrêmement professionnelle malgré des budgets en baisse constante, a prouvé au Mali en 2013 et en Côte-d’Ivoire en 2002 qu’elle pouvait agir avec efficacité. Et qu’elle pouvait donc encore avoir une stratégie. Ce sont ces modèles, mesurés et dépourvus d’hubris, qu’il faut considérer en priorité.

    Olivier Zajec, propos recueillis par Régis Soubrouillard (Marianne, 1er décembre 2014)

     

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  • Il n'y a de solution qu'à la condition de sortir du système

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur le site italien L'Antidiplomatico et consacré à la crise qui continue à sévir en Europe...

     

    Il n’y a pas de solution qu’à la condition de sortir du système. Alain de Benoist

     

     
     

    Il n'y a de solution qu'à la condition de sortir du système

    - Dans votre livre paru en italien sous le titre La fine della sovranità (Arianna, 2014), vous écrivez que la crise actuelle du capitalisme, qui a commencé avec la faillite de la Lehman Brothers, est une crise "structurelle". D'après vous, personne ne trouvera de solutions à la question du fait qu'il n'existe pas de mécanisme qui permette d'en sortir. Vu où en est la situation, la seule solution est celle que vous appelez un « nouveau commencement ». Qu'entendez-vous par là ?

    Je parle de crise « structurelle » (par opposition aux crises de nature purement conjoncturelle) parce que le système capitaliste dans son ensemble est aujourd’hui confronté à de graves perspectives de dévalorisation de la valeur du capital, que le passage d’un capitalisme principalement industriel à un capitalisme principalement spéculatif et financier ne parvient pas à masquer. Au lendemain de l’affaire des subprimes, qui a éclaté aux Etats-Unis en 2008, avant de s’étendre au monde entier, les Etats sont par ailleurs venus au secours des banques et des fonds de pension en leur apportant des milliards de dollars. Pour cela, ils ont choisi de s’endetter massivement auprès des marchés financiers, c’est-à-dire du secteur privé, alors qu’ils étaient déjà pour la plupart confrontés à des déficits budgétaires importants. Après quoi ils ont mis en œuvre des politiques d’austérité insupportables, en s’imaginant à tort qu’ils allaient ainsi pouvoir rétablir l’équilibre. Rien de tout cela ne s’est produit. La politique de la dette a aujourd’hui atteint un tel niveau qu’on peut la comparer à une forme moderne d’usure : incapables de régler leur dette, les Etats doivent s’endetter encore pour payer les intérêts de cette dette, ce qui augmente à la fois le montant principal de la dette et celui des intérêts. C’est une spirale mortifère, mais qui ne peut pas se prolonger indéfiniment. A un moment où un autre, le principe de réalité finira par prévaloir sur la fuite en avant. Le problème est qu’il n’y a pas de solution interne au système. Il ne peut y avoir de solution qu’à la condition de sortir du système. C’est ce que j’appelle un « nouveau commencement ».

    - Avec les politiques d’austérité, les pays d’Europe du sud ont été foudroyés par la dépression, la déflation ainsi que des taux de chômage très élevés. Pour l'instant, aucun pays n'est capable de freiner la chute de son économie, c'est pourquoi vous écrivez qu'une explosion généralisée semble inévitable dans les deux ans à venir. Jusqu'où les conflits sociaux pourraient arriver en Europe ? Et quelle pourra être la goutte qui fera déborder le vase ?

    Je ne fais pas profession de lire l’avenir, et l’histoire est par définition imprévisible ! Mais ce sont parfois de très petits événements (ce que vous appelez la « goutte d’eau ») qui ont les plus vastes conséquences. Ce qui est sûr, c’est que la société est aujourd’hui totalement bloquée. Aucun des plans adoptés pour améliorer les choses n’a réussi. Le chômage et les « plans sociaux » continuent à se multiplier, les délocalisations se poursuivent, la désindustrialisation également. En France, la dette a désormais atteint le chiffre de 2000 milliards d’euros, soit près de 100 % du PIB. Nombre de jeunes préfèrent s’expatrier vers des destinations lointaines. Les classes populaires et les classes moyennes sont les plus touchées. Malgré cela, les milieux libéraux restent convaincus qu’il ne faut pas changer de cap mais au contraire accélérer dans la même direction. Quant à la situation politique, elle est bloquée elle aussi, avec une classe dirigeante de plus en plus coupée du peuple, qui cherche à nier la souveraineté populaire et ne se cache pas de préférer faire allégeance à la mondialisation économique plutôt que de se soucier des intérêts des nations. A cela s’ajoute enfin une crise généralisée de la décision. Un tel mélange est explosif. La seule question est de savoir si l’on s’oriente effectivement vers une explosion ou vers une implosion, c’est-à-dire un effondrement.

    - L'introduction du MES et du Pacte fiscal, outre à celle de commissaires spéciaux, ont mené des experts comme Raoul Marc Jennar et Paolo Becchi à parler de « coup d’État ». Les États ont, en effet, renoncé à leur prérogative principale, à savoir leur souveraineté sur le bilan, en voyant leurs parlements et leurs gouvernements nationaux devenir de simples exécuteurs. Les partis historiques de droite comme de gauche ont accepté la fin de la souveraineté, en faveur d'un modèle qui est en train de détruire les constitutions et les droits sociaux constitutionnels établis. Croyez-vous que les nouvelles forces politiques puissent recouvrer la souveraineté perdue ? Existe-t-il, selon vous, un modèle socio-économique dont elles devraient s'inspirer ?

    Les coups d’Etat sont généralement des actes politiques. Il faudrait trouver une autre expression pour désigner la manière dont les Etats ont renoncé à leur souveraineté pour se placer sous l’autorité des marchés financiers. En fait, ce qui est en cause, c’est la prise de contrôle du politique par l’économique. Inverser cette priorité n’est pas une mince affaire, car il ne suffit pas de proclamer qu’il faut « recouvrer la souveraineté perdue » pour la retrouver effectivement. On peut d’ailleurs se demander si des Etats-nations isolés peuvent atteindre un tel objectif. C’est la raison pour laquelle je suis sur ce point assez pessimiste. Je crois plus à la capacité du système à se détruire lui-même, à son corps défendant bien sûr, qu’à celle de ses adversaires à l’abattre. Quant aux modèles à suivre, je crois qu’ils sont surtout à inventer !

    - Par le passé, vous avez déclaré être favorable à une fédération politique de l’Europe, sans considérer comme problématique l'introduction de l'euro comme monnaie unique. Dans La fine della sovranità, vous reconnaissez toutefois que la fédération politique est désormais irréalisable et que la nouvelle intégration (MES, Pacte fiscal et autorité bancaire) ne sert qu'à sauvegarder les crédits de la grande finance au détriment des États. Dans un tel décor, ne pensez-vous pas qu'aujourd'hui la seule solution soit un retour aux monnaies nationales et à une pleine souveraineté monétaire, avec une banque monétaire centrale qui dépende du trésor ?

    Je ne dit pas que la fédération politique est irréalisable. Elle est réalisable, mais dans les circonstances présentes elle impliquerait des transferts de capitaux massifs auxquels les pays les plus riches, à commencer par l’Allemagne, ne peuvent évidemment pas consentir. Je reste attaché sur le principe à une monnaie unique, ne serait-ce que pour faire face au dollar, mais je suis le premier à reconnaître que son instauration s’est faite en dépit du bon sens. Compte tenu de la disparité des niveaux économiques, des législations fiscales et sociales, etc., l’immense majorité des pays européens ne pouvaient pas utiliser une monnaie aussi forte que l’était auparavant le mark allemand. Cette survalorisation de l’euro a incontestablement aggravé la crise financière globale de ces dernières années. Quant à un retour aux monnaies nationales, certains économistes le préconisent, mais pour l’instant aucun Etat n’en veut. Tout montre au contraire qu’ils sont prêts à tout pour « sauver l’euro » – ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils y parviendront. Un « retour aux monnaies nationales » n’implique d’ailleurs pas forcément de revenir à la lire, au franc, à la peseta, etc. On pourrait tout aussi bien imaginer plusieurs euros nationaux (un euro allemand, un euro français, un euro italien), voire un euro pour le nord de l’Europe et un euro pour le sud, exactement de la même façon qu’il existe un dollar étatsunien, un dollar canadien, etc. Mais je crois aussi, si l’on abandonnait l’euro comme monnaie unique, qu’il serait nécessaire de le conserver comme monnaie commune pour les échanges extra-européens. Monnaie unique et monnaie commune ne sont pas la même chose…

    - En septembre dernier, l’UE a signé un traité de libre-échange avec le Canada (Ceta) et elle négocie actuellement un traité semblable avec les États-Unis (TTIP), la voie à suivre semble donc celle des privatisations, des libéralisations, des facilités pour les capitaux financiers et des bénéfices pour les multinationales au détriment des petites entreprises et des travailleurs. Vous écrivez qu'à travers le TTIP, le projet de Washington et de Bruxelles serait celui de créer une union politique transatlantique : la souveraineté des parlements nationaux serait donc sujette aux volontés des États-Unis (avec la médiation de Bruxelles). Sommes-nous encore à temps de stopper ce scénario dramatique ?

    C’est difficile à savoir. L’Union européenne est dans l’ensemble très favorable à la conclusion d’un tel accord de libre-échange avec les Etats-Unis, mais le projet de Traité transatlantique achoppe sur deux points essentiels : les obstacles non tarifaires, c’est-à-dire la question des normes sociales, fiscales, environnementales, etc., qui ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique. Le risque le plus grand est que les normes européennes soient abandonnées au profit des normes américaines, jugées moins contraignantes. Le second problème tient aux procédures qui permettraient à des firmes transnationales d’engager des procédures judiciaires contre les Etats ou autres collectivités qui prendraient des décisions considérées par les firmes en question comme de nature à nuire à leurs intérêts ou à diminuer leurs profits. Ces deux points sont difficiles à régler, à moins de s’aligner sans mot dire sur Washington. Pour les Américains, cette union commerciale transatlantique ne serait en effet qu’une étape vers une union politique. Mais j’ai quand même du mal à imaginer qu’une telle union puisse voir le jour, tant les intérêts américains et européens sont divergents, et tant elle serait contraire aux plus élémentaires données de la géopolitique. Cela dit, le plus inquiétant est l’opacité dans laquelle se déroulent actuellement les négociations, et aussi l’indifférence du grand public pour ce projet qui lui paraît si lointain. 

    - Après l’introduction des sanctions contre la Russie, Moscou a commencé à intensifier ses relations avec la Chine, enclenchant ainsi un processus de plus en plus vaste de dé-dollarisation qui concerne désormais, entre autres, tous les pays du groupe BRICS. Ces derniers sont arrivés avec l'accord de Fortaleza à projeter un modèle alternatif au Washington concensus. Pensez-vous qu'il s'agit d'un système financier international capable de défier l’hégémonie américaine et peut-il être la voie de l'émancipation pour les pays européens ?

    Le système financier international est aujourd’hui à bout de souffle. Les Russes, les Chinois et la plupart des pays émergents souhaitent lui substituer un autre système, plus équilibré. En attendant que cela soit possible, on voit d’ores et déjà se multiplier les échanges bilatéraux qui ne font plus appel au dollar (paiement en euros, en roubles, en yuans, en escudos, etc.). L’agressivité des Etats-Unis envers la Russie, la renaissance de la guerre froide, l’adoption de sanctions contre-productives contre le Kremlin comme conséquence de la crise ukrainienne, ont eu pour seul effet de pousser Vladimir Poutine à se rapprocher encore plus de la Chine et des BRICS, et à accélérer la mise en place de son projet d’union économique eurasiatique. En ce sens, il n’est pas exagéré de parler d’un début de dé-dollarisation. Il faut voir maintenant jusqu’où ce processus peut aller. Les Etats-Unis, qui sont désormais sur la défensive, feront évidemment tout pour s’y opposer. Mais ils auront en face d’eux des partenaires plus résolus que ne le sont les Européens à faire valoir leurs intérêts. Comme toujours, il s’agit d’une affaire de rapport de forces, où le politique est appelé à jouer le rôle essentiel.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Alessandro Bianchi (L'Antidiplomatico, 25 novembre 2014)

     

     

     

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  • Faut-il fonder un état européen ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Gérard Dussouy réalisé par Martial Bild et Élise Blaise dans le journal de TV libertés du 24 novembre 2014. Ancien professeur de sciences politiques et de géopolitique à l'université de Bordeaux, Gérard Dussouy est, notamment, l'auteur de Quelle géopolitique au XXIe siècle (Editions Complexes, 2002) et de Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un état européen (Tatamis, 2013).

     

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  • Radiographie de quelques clichés "bien pensants" sur l'immigration...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Guylain Chevrier et Xavier Raufer, cueilli sur Atlantico et consacré à ce que différents organes du système veulent nous faire gober à propos de l'immigration...

    Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant , formateur et consultant. Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Xavier Raufer, pour sa part, est un criminologue et directeur des études au Département de Recherches sur les Menaces Criminelles Contemporaines à l'Université Paris II.


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    Aucun lien entre immigration et délinquance ? Une France peu généreuse avec ses immigrés ? Radiographie de quelques clichés “bien pensants” à la peau dure

    A l’aide du journaliste John Paul Lepers, Gilles Cayatte et Christophe Nick se sont attaqués dans deux documentaires diffusés sur France 2, "L’Enquête qui dérange" puis "La Fabrique du préjugé", à déconstruire l'idée, fausse selon eux, qu'immigration et délinquance seraient liées en France.

    Atlantico : Selon un rapport Eurostat, être immigré en France, c'est avoir plus d'une chance sur deux d'être pauvre. En effet, 55,8% des étrangers non-communautaires âgés de plus de 18 ans étaient en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale en 2013 en France. Dans le viseur notamment, le taux d'emploi, les revenus dont ils disposent après transferts sociaux et les caractéristiques du logement. La France est-elle si peu généreuse en termes de versement des prestations sociales avec ses populations immigrées hors Union européenne ?

    Guylain Chevrier : Les prestations sociales sont les mêmes pour les Français et les étrangers, auxquels on ne fait pas un sort à part comme en Angleterre où la préférence nationale ne fait pas de problème ou en Allemagne, où on peut perdre du jour au lendemain le droit d’y résider si on n’a pas un revenu autonome indépendamment de toute prestation sociale si l’on est étranger.

    Atlantico : En termes de versement de prestations sociales, comment s'établit réellement en France le rapport de force entre nationaux et immigrés hors UE ?

    Guylain Chevrier : Aucun pays au monde ne donne plus de droits aux immigrés qu’en France : la loi impose qu’un enfant arrivant sur notre sol avec sa famille sans papier soit scolarisé sans délai ; que tout enfant étranger sans autorité parentale connue sur le territoire (mineur isolé) soit pris en charge par l‘Aide Sociale à l’Enfance au moins jusqu’à ses dix-huit ans, et pris en charge avant l’âge de 15 ans, il aura un accès par simple déclaration à la nationalité française ; qu’une famille immigrée se trouvant à la rue et ayant au moins un enfant de moins de trois ans soit immédiatement prise en charge en hôtel aux frais de la collectivité comme toute famille quelle que soit son origine ; que toute famille d’origine immigrée peut accéder au droit opposable au logement si elle dispose d’un titre de séjour selon les dispositions légales ; que toute personne immigrée résidant depuis plus de trois mois sur le territoire français en situation irrégulière bénéficie de l’Aide Médicale de l’Etat (AME) permettant l’accès aux soins ; que l’égalité de traitement est la règle pour tous dans les services publics, les services sociaux bénéficiant tout particulièrement aux populations d’origine immigrée dans une proportion supérieure à leur poids dans la populations française (CMU, RSA, aides financières, allocations familiales, allocations logements…) 

    Du fait de la taille de leur famille, de la faiblesse de leurs revenus et de leur concentration dans les grandes villes, les immigrés sont plus souvent allocataires du secteur social, ce qui souligne combien ils sont bien accueillis au pays des Droits de l’homme. La France est une destination d’ailleurs très prisée.

    L’un des plus sérieux problèmes reste encore dans l’ombre, c’est celui des mineurs isolés étrangers. Il existe aujourd’hui sur notre sol des milliers de mineurs isolés étrangers et il ne cesse d’en arriver, alors que l’on parle d’un taux multiplié au moins par dix en un an. Les départements qui gèrent l’Aide sociale l’enfance ont même tendance à ne plus faire presque que cela. C’est vrai spécialement depuis que Mme Taubira a initié un nouveau protocole de sélection de ces dits mineurs isolés étrangers pour savoir s’ils sont mineurs ou pas, confié à France Terre d’Asile dont on sait que le directeur prêche en faveur de la fin des frontières, en donnant à cette association d’aide aux migrants à l’action louable ainsi un rôle de juge et partie. Ce protocole a remplacé le calcul de l’âge du migrant, réalisé jusque là par une radiographie permettant de déterminer l’âge osseux, par un simple entretien. Il faut savoir qu’une large partie de ceux-ci sont des majeurs qui, lorsque par hasard à trop en faire ou à paraitre d’un âge canonique au regard de l’état de mineur, se voient déclarés majeurs, peuvent encore faire appel de la décision auprès du Juge des enfants pour obtenir d’être placés comme mineur. La prise en charge d’un jeune placé, tel un mineur isolé étranger, est de l’ordre de 150 à 280 euros par jour. Ce qui constitue un scandale qui commence à créer une situation d’exaspération chez de nombreux travailleurs sociaux dont les missions éducatives sont détournées à la faveur d’une immigration économique déguisée, ce que sait parfaitement le gouvernement qui donne sa caution à cette situation potentiellement explosive. La France est ici outrageusement généreuse… Où sont donc les chiffres officiels de ces mineurs isolés dans le calcul de la place de la France en matière de dépenses sociales ?

    Atlantico : Un taux élevé de pauvreté d'après le même rapport, comparé à celui de l'Allemagne (40,4%), du Royaume-Uni (34,9%), des Pays-Bas (35,4%), ou de l'Italie (46,7%). La France est ainsi 18ème sur les 21 pays de l'UE. Les seuls pays à faire moins bien sont l'Espagne (59,5%), la Belgique (68,4%), et la Grèce (72,1%). Un des biais de ce rapport est-il de nier la nature même de l'immigration en fonction des pays de destination ?

    Guylain Chevrier : Mais de quoi parle-t-on et comment compare-t-on ? Le salaire médian sert à calculer le taux de pauvreté en France, il est calculé avec un SMIC plus élevé qu’en Allemagne où il n’existait d’ailleurs pas jusqu’il y a peu, un smic protecteur plus élevé que dans la plupart des pays européens pour ceux qui en ont un.

    L’immigration fait partie majoritairement des populations populaires de notre pays et plus peut-être que les autres, parce qu’elle est d’abord une immigration familiale, qui ne vient pas en ayant au préalable trouvé un travail comme cela est exigée en Allemagne par exemple. Nous sommes le troisième pays au monde pour les demandeurs d’asile (2013) derrière l’Allemagne, particulièrement touché du fait de sa situation géographique par les réfugiés qui affluent de pays connaissant la guerre et les Etats-Unis. Tout d’abord, il faut constater que nous assistons à une hausse continue du nombre de demandeurs avec une augmentation de plus de 100 %, car ils étaient 29.387 (plus 6133 réexamens) en 2007 pour être 60.095 en 2013 (plus 5799 réexamens), et la hausse continue. Sans compter que ces demandeurs sont pris en charge le temps de l’étude de leur dossier qui est évalué de 600 jours à deux ans en moyenne, aux frais des pouvoirs publics. Mais surtout, sur l’ensemble des décisions prises, 13 % sont favorables (5965), une majeure partie des autres qui sont déboutés demeurent sur le sol français, alimentant une situation de précarité et de pauvreté qui pèse dans cette analyse globale.

    Le maintien de la diversité des différentes catégories sociales sur un même territoire, les milliards dépensés pour la politiques de la ville des années dans ce sens, alors que les populations d’origine immigrée font partie majoritairement des couches populaires et sont donc particulièrement concernées par cette politique, n’apparaissent nulle part dans l’évaluation de ce taux de pauvreté. Cela serait pourtant important au regard de pays qui pratiquent le multiculturalisme et laisse les communautés gérer les problèmes économiques et sociaux qui s’y réfèrent, faisant écran à une évaluation rigoureuse prenant cette complexité en compte.

    Les critères d’intégration de pays qui favorisent la séparation communautaire et prédestinent tout migrant à rejoindre une communauté identitaire et à ne pas ou peu se mélanger, n’ont rien à voir avec les enjeux d’une société comme la notre qui poursuit le but de valoriser l’individu du point de vue de l’égalité de ses droits avant ses différences et donc le mélange, et avec lui la mixité sociale et culturelle. Une ambition humaniste qui devrait être positivement remarquée et n’a pas moralement de prix mais représente un investissement à haute valeur ajoutée.

    Atlantico : Un rapport qui pointe la mauvaise intégration sociale des immigrés hors UE en France. Sur ce plan, avec des programmes d'apprentissage culturels et de la langue, ainsi que des ponts en direction du monde professionnel, les pays nordiques font figure de modèles. Une fois encore, ce rapport nie-t-il les questions pourtant essentielles du volume de l'immigration, ces spécificités culturelles ou historiques ?

    Guylain Chevrier : Tout d’abord, on ne peut penser la difficile question de l’intégration en la décontextualisant pour faire dire aux chiffres ce que l‘on veut, à la façon dont en histoire on parlerait de la personnalité de Jules César sans le situer à Rome au Ier siècle avant JC ! Pour un pays de 65 millions d’habitants comme la France qui a des millions d’immigrés sur son sol, avec un apport de centaines de milliers de migrants chaque années, intégrer ne se mesure absolument pas de la même façon que quelques milliers d’immigrés arrivant dans un petit pays, même s’ils représentent plus proportionnellement à la population globale à laquelle ils se rapportent.  

    D’autre part, il faut regarder l’origine de l’immigration, il se trouve que celle-ci en France est fortement marquée par l’immigration africaine, Maghreb inclus, dont la part des étrangers ayant acquis la nationalité française représente en 2013, 60739 des bénéficiaires sur un total de 97276. Il va sans dire que la question de l’intégration de ces populations demande des moyens particuliers, surtout au regard d’un accès à la langue qui est moins facile que lorsqu’une immigration d’un pays où on parle l’anglais comme l’Inde, fournit une partie importante de l’immigration d’un pays comme l’Angleterre. Le Contrat d’accueil et d’intégration en France prévoit des obligations en matière d’accès à la langue avec un volume de formation qui est déjà conséquent, mais qui mériterait d’être encore mieux soutenu pour réaliser les conditions d’une réelle unicité autour de la langue française qui est désignée à l’article 2 de notre Constitution comme le Français, seule langue commune. C’est l’un des moteurs de l’intégration, qui est la condition d’un accès aux droits, comme à la compréhension des devoirs, du sens qu’ils prennent au regard d’une citoyenneté qui prend racine dans les grandes références de notre République.

    Selon le ministère de l’Intérieur, la primo-délivrance des titres de séjour progresse en 2013 représentant un total de 203 996 titres de séjour. L’immigration étudiante, deuxième source d’immigration, a augmenté de 6,4 %. Cette progression s’explique par un regain d’attractivité de la France, après l’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle. L’immigration professionnelle est aussi en nette augmentation (+11,4 %). Une immigration en forte progression. Une réalité qu’il faut pouvoir gérer qui, s’il elle peut représenter un apport, a aussi un coût dans un pays riches de droits comme le notre.

    La France, selon le recensement de 2009, comptait 5,4 millions d’immigrés, soit l’équivalent de 8,4 % de sa population. Parmi ces immigrés, 3,7 millions étaient étrangers et 1,7 million avaient acquis la nationalité française. Si les immigrés ne représentaient qu’à peine 3 % de la population française au début du siècle dernier, le niveau actuel est dit stable depuis 1975.

    Mais là commence le problème pour savoir de quoi l’on parle en matière de politique d’immigration. Tous les pays n’ont les mêmes conditions d’accès à la nationalité par exemple, la France ayant une politique de droit du sol très favorable, mais qui fait aussi écran à la façon dont on peut chiffrer l’immigration. Aussi, qu’est-ce que l’immigration ? L’immigration regroupe la population vivant en France et née à l’étranger, qu’il s’agisse d’étrangers avec un titre de séjour ou ayant acquis la nationalité française. Donc, échappe à toute analyse, les enfants de l’immigration qui sont nés sur le sol français et sont devenus Français qu’on ne considère pas comme immigrés.

    Ils sont pourtant concernés fréquemment par les enjeux de l’intégration qui mobilisent des moyens considérables, ne serait-ce qu’en termes de réussite scolaire et de dispositifs d’intégration sociale et professionnelle de droit commun qui leurs profitent largement. Si on élargit la notion d’immigration à la première génération qui en est issue (dite seconde génération), qui est née sur le sol français et a acquis la nationalité, au lieu des 1,7 millions d’étrangers ayant acquis la nationalité française on arrive à un chiffre de 2.402.810 seulement sur la période de 1995 à aujourd’hui. On voit bien que l’on ne peut se fier uniquement aux chiffres officiels tels qu’ils nous sont présentés pour mesurer le niveau auquel se situe l’investissement des politiques de l‘Etat dans ce domaine.

    L’analyse qui nous est apportée vise à donner une vision des flux migratoires qui les banalise pour ancrer l’idée qu’il n’y aurait de ce côté aucune question à se poser. On fait comme si l’apport de populations migrantes, marquées par le fait de venir de pays où les droits sociaux sont quasi inexistant, ayant des régimes fréquemment infréquentables ou dans le meilleur des cas peu démocratiques, venues de loin d’autres sociétés faites d’autres cultures, étaient des données, qui ne comptaient pas… Il ne suffit pas de faire de l’inclusion sociale en ne s’attachant qu’à l’insertion sociale et professionnelle, mais d’intégrer ces personnes sous toutes les dimensions de l’intégration sociale, facteur d’égalité, à moins de vouloir fabriquer une catégorie de membres de seconde classe de notre société. Mais cela implique nécessairement une politique de maîtrise et de contrôle des flux migratoires selon des exigences en dehors desquelles on ne peut que dérocher de ce but. 

    Dans le prolongement de cette analyse, la stratégie européenne en matière d’immigration professionnelle va vers une instrumentalisation par le marché de l’immigration. Elle passe par une porosité des frontières sciemment organisée pour satisfaire une exploitation qui y voit un cheval de Troie pour les droits sociaux et les salaires. Les riches actionnaires ainsi que les politiques qui sont leurs gestionnaires ne font pas là dans l’altruisme. On voudrait derrière ce qui nous est proposé aller plus loin et organiser une mise en concurrence des salariés à une grande échelle en ouvrant les robinets de l’immigration économique hors UE, aboutissant à monter les salariés les uns contre les autres. Dans le contexte d’une économie de sous-emploi ce serait un facteur de crise sociale à haut risque, alors que l’immigration économique a été arrêtée depuis 1974, largement modérée pour alimenter uniquement les secteurs tendus, et essentiellement organisée sur le mode du regroupement familial.

    Atlantico : A l’aide du journaliste John Paul Lepers, Gilles Cayatte et Christophe Nick s’attaquent à déconstruire un préjugé selon lequel immigration et délinquance en France seraient liées. Pourtant d’après vous, les immigrés sont bien sur-représentés dans la délinquance. Que nous disent réellement les chiffres ?

    Guylain Chevrier : Oui effectivement, ils sont sur-représentés, et il n’y a rien de stigmatisant à le dire. Ce sont les chiffres du ministère de l’Intérieur qui le montrent, ce qu’entend nier ce documentaire en ne les citant pas, et plus, en jouant sur un tour de passe-passe qu’il faut mettre au grand jour, car il y a là comme une supercherie.

     
     

    L’objectif de ce documentaire est de faire accepter l’idée que le lien entre immigration et délinquance n’existerait pas et donc que le sentiment que cela existe correspondrait à un racisme qui s’ignorerait. On s’imagine les réactions de rejet de ce type de discours fondé sur une démarche qui est autant fausse que pernicieuse, la colère à en récupérer et ce que peut en faire un FN qui est en embuscade à n’attendre que cela.

    D’emblée, le documentaire commence sur une énormité, qui constitue un véritable tour de passe-passe. C’est le concept sur lequel se fonde l’étude menée, dont découle toute la lecture du sujet, qui consiste à savoir s’il y a un lien entre immigration et délinquance. De quoi parle-t-on ? Rappelons que l’immigration regroupe la population vivant en France et née à l’étranger et donc, qu’elle ne prend pas en compte les enfants qui en sont issus qui eux sont nés sur le sol français, ont acquis la nationalité française de ce fait, qui sont en âge de commettre des délits. Ils n’existent pas, ainsi pour cette enquête, ce qui est assez extraordinaire. C’est l’angle mort qui permet de tout dire et son contraire. Il se trouve que ceux qui commettent les délits qui empoisonnent le quotidien de bien des quartiers se trouvent être, au moins pour une part, de cette catégorie de jeunes qui reste invisible aux yeux ce documentaire.

    Mais plus, on ne s’intéresse même pas aux chiffres des étrangers écroués selon l’étude du ministère de l’Intérieur accessible si facilement en ligne. Si les étrangers représentent près de 18% des détenus en milieu carcéral tel que les chiffres du ministère de l’Intérieur le montrent et y sont donc sur-représentés, on ne connaît pas ce que représente en réalité la place de l‘immigration dans la population carcérale, car il faudrait s’intéresser de savoir combien de personnes qui sont incarcérés sont nées à l‘étranger qui sont aujourd’hui françaises. Un critère absent des statistiques. Les chiffres d'une enquête relayée par la revue Sciences humaines (Sciences Humaines -Les Grands Dossiers n°18 France 2010, les grands défis Mars-avril-mai 2010) prenant en compte les détenus français selon la nationalité du père montrent que dans "51 % des cas, le père d’un détenu est né hors de France", ce qui ramène une certaine réalité crue. 

    Il n’est pas question de dire que délinquance et immigration seraient la cause de tout, mais on ne saurait nier, pour le moindre sociologue digne de ce nom, qu’il y a là un phénomène sur lequel travailler pour faire progresser les choses. On sait que les crimes et délits les plus graves reculent régulièrement alors que les délits du quotidien avec violence eux ne faiblissent pas, dont les cambriolages et les vols avec violences, les violences autour de la drogue et la délinquance autour de sa diffusion.

    On veut faire croire que le seul sentiment que l’immigration poserait, au-delà même de la question de la délinquance, des interrogations à la société française, serait se laisser aller au racisme, ce qui est faux et dangereux. Une opération qui tourne à la psychanalyse de bazar pour nier une réalité sérieuse qu’il faut absolument questionner pour trouver les réponses nécessaires afin d’aider de nombreux jeunes en difficultés à sortir de l’ornière. Ce n’est pas en niant les problèmes qu’on peut y trouver des solutions adaptées. Ce documentaire est de ce point de vue un cadeau empoisonné fait à l’opinion public autant qu’à ces jeunes eux-mêmes.

    Ce serait parce que les jeunes issus de l’immigration seraient la cible de la police qu’ils seraient plus en prison que les autres, dit le journaliste. Là, on touche le fond ! John Paul Lepers pour prouver ce qu’il dit prend l’exemple de la Seine-Saint-Denis, là où se situe la plus importante concentration de population d’origine immigrée et de pauvreté, mais tout cela serait le fait d’une police raciste. Une affirmation qui mériterait de la part du ministère de l’Intérieur une réaction, à tout le moins.

    Un modèle de propagande qui serait une sorte "d’idéaltype", comme cas d’espèce, pour des étudiants en communication.

    Xavier Raufer : Il faut définir préalablement de ce dont on parle, la criminalité et la délinquance des rues, pas celle des cols blancs. Il n’est pas question de faire des jugements de valeur, ces deux formes de criminalité sont tout aussi contestables, mais elles sont de forme différente.

    La criminalité dont nous parlons est celle qui rend la vie insupportable à la population : cambriolages, vols de toutes sortes, agressions, vols avec violence sans armes à feu, etc. Dans ces cas de figure, 7 de ces crimes sur 10 sont commis par des gens qui directement (la 1ère génération arrivée sur le territoire français, clandestins ou avec permis de séjour) ou indirectement (la seconde génération) sont issues d’une forme ou une autre d’immigration.

    Dans toute la France rurale ou suburbaine, soit 70 à 80% du territoire, on observe, rapport de la gendarmerie nationale à l’appui (été 2014), région par région que la criminalité des cités est un problème majeur, comme celle de la zone suburbaine plus globalement. Dans la campagne profonde, les vols sont le fait de nomades, sédentarisés (avec une carte nationale d’identité) ou nomades (ceux qui viennent des Balkans). Si vous retirez ces deux grandes catégories de criminels, 70% à 80% des infractions recensées disparaissent sur le champ dans un ensemble comprenant la périphérie des grandes villes, les grandes villes et les campagnes. Telle est la réalité.

    Atlantico : D'après les chiffres, les étrangers sont donc sur-représentés dans la délinquance ?

    Xavier Raufer : Récemment, des personnes comme Malek boutih, dans une émission, reconnaissait qu’il suffisait d’aller à la porte des prisons pour constater qu’il y a une surreprésentation de la population issue du Maghreb ou de zone subsaharienne dans la délinquance des rues. Il faut appeler les choses par leurs noms, quand on tire à la Kalachnikov sur un rival, c’est un crime, pas un délit, tout simplement. Pas besoin d’édulcorer les termes.

    Et surtout, le fait de reconnaître cette réalité est crucial, car tant que vous n’avez pas admis en tant que patient que le diagnostic est le bon, comment voulez-vous que le médecin vous soigne ? Ne pas admettre cela est un déni de justice et un pousse au crime.

    Atlantico : Qu'en est-il de son évolution dans le temps ? La délinquance étrangère (tous délits confondus) est-elle ou non en pleine expansion ?

    Xavier Raufer : Pour répondre, les seules agressions violentes connues et recensées ont dépassé la barre des 500 000 au cours de l’année 2013.

    Reste que rien ne permet de le savoir vraiment puisque les statistiques ethniques sont interdites. Qui a commis tel acte ? Ce n’est certes pas l’apocalypse, les Huns et Attilas ne sont pas en train d’envahir la France, mais s’agissant des délits et crimes les plus pénibles pour la population, les plus effrayants pour les gens qui ne vivent pas dans des quartiers favorisés, ce sont des actes qui augmentent soit se maintiennent à des niveaux dramatiquement élevés. Cela continue comme la veille et c’est insupportable. Pas besoin que les chiffres explosent.


    Atlantico : Le constat est-il le même du côté de la population carcérale ? En milieu carcéral ouvert, comme pour les personnes écrouées ?

    Xavier Raufer :  Ces chiffres sont évidents puisqu’on met de moins en moins de gens en prison. Depuis 3 ans, le nombre de gens incarcérés a diminué de manière drastique et les chiffres en question n’incluent pas les étrangers porteurs d’un passeport français.

    Je vous donne une réponse indirecte : l’imam de la mosquée de Lyon disait que dans la prison de Lyon, 70% des incarcérés étaient des fidèles musulmans. Et je rappelle que la proportion des convertis français représente globalement moins de 5%.

    Les chiffres avancés ne prennent en considération que les étrangers détenteurs de papiers d’identité ou passeports étrangers.

     

    Les gens ne sont ni fous ni idiots. Mao Zedong disait que "l’œil de l’ouvrier voit juste" et il avait tout à fait raison. Quelqu’un qui se fait agresser par un étranger maghrébin ne va pas prétendre qu’il s’agit d’un Norvégien.

    Atlantico : Dans ces conditions, comment expliquer cette tendance à nier la réalité chiffrée dans son ensemble ?

    Xavier Raufer : Rien n’enrage plus une population que de douter des constats qu’elle pose.

    Les élites ont en définitive une profonde horreur de la réalité. L’être humain est ainsi, il préfère tout à la réalité. Clément Rosset a d’ailleurs écrit cette phrase merveilleuse : la réalité est insupportable et irrémédiable. L’être humain éprouve une détestation violente pour la réalité, parce que cette dernière est qu’il va mourir un jour. Ce que vous soulevez n’est qu’une des innombrables facettes de ce déni de réalité. C’est quand c’est grave que les gens rejettent le réel.

    C’est très classique, cela a toujours été. A Byzance, les Turcs étaient sur les murailles et les dirigeants ne voulaient pas être interrompus sur leurs conversations à bâtons rompus sur le sexe des anges, beaucoup plus intéressantes.

    Atlantico : En niant certaines facettes de la réalité au profit d'autres, font-ils finalement état d'une forme de logique raciste inversée ou simplement d'un déni de réalité et de justice ?

    Xavier Raufer : Tout le monde a le droit de s’exprimer, mais avec le reportage de Jean-Paul Lepers, ils ont marché sur les dents du râteau et vont se recevoir le manche sur la figure. Naturellement, les gens ne peuvent pas supporter qu’on les tienne pour des imbéciles au point de ne pas se rendre compte qu’on reste dans le déni.

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