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Métapo infos - Page 279

  • “Le progressiste est celui qui est persuadé que tout progrès est nécessairement un bien”...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Boutin à Droite de demain et consacré à la question du progrès. Professeur de droit constitutionnel, Christophe Boutin est notamment l'auteur d'un essai intitulé Politique et tradition (Kimé, 1992), consacré au penseur italien Julius Evola. Il a également co-dirigé la publication du Dictionnaire du conservatisme (Cerf, 2017), du Dictionnaire des populismes (Cerf, 2019) et du Dictionnaire du progressisme (Cerf, 2022).

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    Christophe Boutin, “Le progressiste est en effet celui qui est persuadé que tout progrès est nécessairement un bien”

    Bonjour monsieur Christophe Boutin, dans la définition même de progrès, n’y a-t-il pas un flou qui empêche réellement une véritable définition tant la notion est galvaudée voire morale ?

    L’ouvrage que nous avons codirigé avec Olivier Dard et Frédéric Rouvillois, ce Dictionnaire du progressisme qui a réuni cent trente contributeurs – scientifiques, historiens, juristes, sociologues, économistes…- pour la rédaction de ses 260 notices, n’est pas un « dictionnaire du progrès » – le terme de progrès n’y fait même pas l’objet d’une notice. Il est donc bien centré sur une idéologie qui est certes liée à la notion de progrès, mais qui ne saurait être confondue avec cette dernière. On peut en effet très bien apprécier un nombre respectable de progrès, et il est permis de considérer que les conditions de notre existence actuelle en bénéficient largement, sans être pour cela un progressiste. Comme nous l’avons expliqué dans notre introduction, le progressiste est en effet celui qui est persuadé que tout progrès est nécessairement un bien, qu’il apporte nécessairement quelque chose, aux individus mais aussi à la société. Une survalorisation de tout progrès qui conduit de manière symétrique à la dévalorisation d’un passé qui sera jugé lui nécessairement dépassé, nécessairement inférieur dans tous les domaines au présent – ce présent étant lui-même, de manière tout aussi certaine, inférieur au futur. D’où le lien permanent entre l’idéologie progressiste et la volonté de faire table rase de ce qui est de toute manière inutile pour bâtir la Cité idéale.

    Or c’est bien cette croyance à l’idéologie progressiste, que nous impose l’époque, sa remise en cause faisant de vous selon cette doxa un réactionnaire, c’est-à-dire quelqu’un qui, par réaction face à la modernité, souhaiterait en revenir à un stade antérieur de nos sociétés. Le réactionnaire se situe ainsi volontiers dans une lecture décadentiste de l’histoire, qui nous ferait passer par une dégradation constante d’un âge d’or à un âge d’argent, puis d’airain, et de fer enfin, chaque nouvelle époque étant inférieure à la précédente. Il faut pourtant évoquer une autre figure, celle du conservateur, opposé à toute idéologie de la table rase en ce qu’il est persuadé que les constructions des siècles passés correspondaient à des nécessités, à des attentes profondes des hommes, et qui souhaite les conserver en sachant les adapter aux évolutions récentes. En ce sens donc, le conservateur peut fort bien apprécier un certain nombre de progrès, comme d’user d’une voiture plutôt que d’une diligence ou de l’électricité plutôt que de chandelles. Il s’agit vous le comprenez de l’opposition entre une approche réaliste de l’homme et des sociétés et une approche idéaliste, parce que tout « progrès » a sans doute sa part de lumière et sa part d’ombre.

    Quelles sont les racines idéologiques du progressisme en France ?

    Dans le Dictionnaire du progressisme, nous avons choisi de nous en tenir, comme période de départ, à la Révolution française. Le choix peut être discuté, car on peut dire qu’il y a eu des progressistes à toutes les époques, mais il nous a semblé que c’est à partir de la Révolution française que se constitue véritablement une idéologie progressiste. Même si John Locke, par exemple, fait l’objet d’une entrée, les Lumières ou Condorcet sont des racines idéologiques importantes du progressisme en France. Il importe bien évidemment aussi de mettre en évidence la personne et l’œuvre de Saint-Simon, véritable penseur du progressisme, dont les thèses et les thèmes d’action se retrouvent de nos jours chez certains politiques, à commencer par Emmanuel Macron

    Cette idéologie n’est-elle pas la conséquence de la modernité et des avancées technologiques qui amènent à de nouveaux débats de société ?

    Ce n’est pas parce qu’il y a une modernité que personne ne nie, ou des avancées technologiques qui sont là encore évidentes, et, effectivement, de nouveaux débats de société qui en naissent, que l’idéologie progressiste en serait la conséquence. Dans les débats de société que vous évoquez, cette idéologie ne représente jamais au mieux que l’un des acteurs du débat, elle n’en représente absolument pas la résultante. Mieux, nous retrouvons ce que nous avons dit : l’idéologie progressiste, parce qu’elle voit de manière systématique les nouveautés comme des avancées, comme un bien, irait au contraire vers une interdiction des débats. Il est en fait interdit sous son emprise de se poser la question de la direction dans laquelle se dirigent nos sociétés, et des gains réels en qualité de vie pour les humains qui les composent de telle ou telle nouveauté technologique.

    Pourquoi la France demeure une terre infertile pour le progressisme ? Un refus de l’américanisation de la société ?

    Très sincèrement, je ne pense pas, et sans doute pas plus mes deux collègues, que la France soit une terre infertile pour le progressisme et que s’y manifeste un véritable « refus de l’américanisation » de notre société. Cette américanisation, diffuse et permanente, est même confirmée par tellement d’exemples qu’il serait presque fastidieux de les citer tous. Relevons en passant, l’américanisation des prénoms, de la nourriture, les victoires remportées, malgré les quelques tentatives françaises pour y résister, dans les domaines du cinéma, de la chanson, de la télévision. En dehors du domaine de la culture,  il faudrait aussi évoquer la manière dont les États-Unis prennent le contrôle d’une partie des élites, favorisent un clivage ethnique dans nos banlieues, ou celle dont se répand dans nos universités une idéologie woke venue des campus américains. Dans nos campagnes la danse country fait son apparition, les jeunes issus de la diversité arborent en s’agitant sur une musique rap des attitudes copiées sur celles des bandes de New York et un ancien président de la République, Nicolas Satkozy, faisait son footing en portant des Ray-Ban et un tee-shirt de la NYPD, la police new-yorkaise.

    Même si les Etats-Unis n’ont pas le monopole du progressisme, la « mondialisation heureuse » qu’ils promeuvent en est le meilleur vecteur. Certes, dans les domaines de la culture, des arts, de la littérature, dans l’université, en politique, il y a encore des gens qui se font « une certaine idée de la France », mais lorsque le président de la République déclare qu’il n’y a pas de culture française on ne peut pas parler de terre infertile pour le progressisme…

    Peut-on considérer que le progressisme est devenu le pendant du conservatisme dans un nouveau clivage fondateur ?

    C’est effectivement l’une des thèses que nous soutenons avec Olivier Dard et Frédéric Rouvillois, et nous avons publié pour l’étayer, avant le Dictionnaire du progressisme, un Dictionnaire du conservatisme. Mais cette division essentielle entre progressisme et conservatisme, nous ne sommes pas les seuls à la faire : Emmanuel Macron, pour ne citer que lui, s’y est plusieurs fois référé, se faisant le champion du progressisme contre un conservatisme qu’il assimile, selon les discours et les périodes, au populisme quand les Gilets jaunes sont dans la rue, ou au nationalisme quand il s’agit de défendre l’évolution fédéraliste européenne qu’il souhaite.

    Mais cette division court au travers de la politique française : se sont ainsi récemment réclamés du progressisme Valérie Pécresse comme Jean-Luc Mélenchon. Quant au conservatisme, même si le mot a toujours eu mauvaise presse en France, on peut en retrouver la trace chez Éric Zemmour de manière évidente mais aussi chez Marine Le Pen. Il convient en effet de ne pas limiter le conservatisme à une crispation d’anciens possédants aujourd’hui dépossédés par l’évolution économique et politique du pays. Lorsque les Gilets jaunes, éminemment populaires, réclament le droit à rester ce qu’ils sont, à persister dans leur être, ce que font aussi nombre de Français inquiets des évolutions actuelles, ils sont très clairement, et quand bien même ne l’expriment-ils pas ainsi, éminemment conservateurs.

    Le progressisme est-il lié intrinsèquement aux enjeux économiques et aux échanges de bien de consommation et marchandises ?

    Intrinsèquement lié non, nous avons dit qu’il s’agit plus d’une idéalisation de tout progrès. Mais la logique progressiste, de fait, est bel et bien une logique de la circulation des personnes et des biens, une logique de la mondialisation. Ce n’est pas un hasard si l’un des pères du progressisme, Saint-Simon, était fasciné par l’idée de créer un canal permettant de relier les océans Atlantique et Pacifique, ce qui deviendra un jour le canal de Panama, et si son successeur, Prosper Enfantin, s’était lui passionné par l’idée du creusement du canal de Suez. De nos jours, entre open space et coaching, formatées par les règles managériales et mettant en place des stages de mixité sociale, les entreprises font vivre leurs employés dans le meilleur des mondes progressiste.

    On assimile le progressisme avec une forme de libéralisme sociétal est-ce selon vos travaux une affiliation correcte ?

    Effectivement, le progressisme, dont l’un des éléments clés et une sorte d’individualisme hédoniste, se combine fort bien avec un libéralisme sociétal qui reconstruit – ou plutôt qui déconstruit – les structures de notre société, en éliminant de manière méthodique, un à un, tous les liens d’appartenance qui, jusqu’ici, semblaient évidents et indispensables. On élimine ainsi l’appartenance territoriale, celle de la commune, de la région, de la nation, dans un vaste nomadisme sans doute agréable à une infime oligarchie qui passe de palace en palace, tous interchangeables et luxueux, mais qui est un arrachement pour nombre de nos concitoyens.  On élimine l’appartenance à la classe sociale, en mélangeant dans une sorte de vaste melting-pot ce qui était autrefois la classe ouvrière ou l’artisanat, à des résidus de la classe moyenne en voie de déclassement permanent, et dont ne se distinguent plus que les très pauvres en bas de l’échelle et les très riches en haut. On élimine, bien sûr, l’appartenance à la famille, totalement déconstruite, les fameuses familles « recomposées » des feuilletons télévisés étant avant tout des familles décomposées. On élimine jusqu’à l’appartenance à un sexe, remplacé par un genre qui, comme l’ensemble de la société, doit rester indéfini, fluide, en perpétuelle évolution.

    Or tous ces éléments d’un libéralisme sociétal qui touche aussi bien la gauche que la droite – même si l’ampleur n’est pas la même, bénéficie en fait à une même caste, celle d’un capitalisme mondialisé et financiarisé. Les idiots utiles du progressisme valent bien ceux d’autres idéologies.

    Vous avez parlé de macronisme en lien avec le progressisme, pouvez-vous nous en parler ?

    Effectivement, ce n’est nullement un hasard si, comme nous le disions, Emmanuel Macron se définit volontiers comme étant le champion du progressisme face au conservatisme, au nationalisme ou au populisme. À coté de ce que nous pouvons en dire dans le Dictionnaire, Frédéric Rouvillois a aussi consacré ainsi aux rapports entre saint-simonisme et macronisme un ouvrage au titre symbolique, Liquidation. Symbolique car ce monde liquide, fluide, en perpétuel mouvement vers un avenir nécessairement meilleur, duquel toute résistance du passé doit être liquidée, est bien celui de notre Président.

    Christophe Rouvillois (Droite de demain, avril 2022)

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  • Bière et alchimie...

    Les éditions L’œil d'or viennent de publier un essai de Bertrand Hell intitulé Bière & Alchimie. Ethnologue, Bertrand Hell a notamment écrit Le sang noir - Chasse et mythe du sauvage en Europe.

     

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    " Fruit d'une étude ethnologique, cet ouvrage croise les enquêtes de terrains et des données historiques pour retracer l'histoire de la bière, la plus ancienne des boissons. Évoquant ses modes de production à travers les âges, son folklore, ses chansons, ses fêtes et ses légendes, Bertrand Hell nous dévoile les liens existants entre les confréries des brasseurs et celles des alchimistes. En effet, invoquant la combinaison des forces symbolisées par le double triangle entrelacé de l'étoile des brasseurs (qui n'est autre que le sceau de Salomon ), « l'art » brassicole permet de transmuer une matière imparfaite car putrescible en un breuvage doté de la force de vie de l'alcool. C'est à l'aune de cette pensée symbolique que doivent se comprendre à la fois l'importance historique de la bière comme boisson rituelle et ses modes contemporains de sociabilité qui la distingue du vin. "

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  • La liberté de déplaire...

    Dans « Les portraits d’Éléments », vous pouvez découvrir ce mois-ci un entretien avec André Bercoff, journaliste non-conformiste et amoureux de littérature.

     

                                          

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  • Ecrire la guerre...

    Le trente-septième numéro de la revue Livr'arbitres, dirigée par Patrick Wagner et Xavier Eman, est en vente, avec un dossier consacré aux écrivains aquitains, un autre aux reporters de guerre et un dernier au cinéma français...

    La revue peut être commandée sur son site :  Livr'arbitre, la revue du pays réel.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    Éditorial

    Plaisirs solittéraires

    Coups de cœur

    Frantz Wouilloz-Boutrois

    Olivier Frébourg

    Michel Bernard

    Antoine Wauters

    Philippe Lacoche

    Sélection de livres

    Nouveautés

    Bernard Quiriny

    Alissa Wenz

    Henri Béraud

    Maxime Dalle

    Dossier

    Écrivains de la Nouvelle Aquitaine

    Les correspondants de guerre

    Cinéma français : une exception culturelle ?

    Entretien

    Stéphane Barsacq

    Alfred Eibel

    Marc Laudelout

    Stéphane Maltère

    Adrien Renouard

    Yann Vallerie

    Domaine étranger

    Zissimos Lorentzatos

    Dylan Thomas

    Essai

    Chantal Delsol

    Michel Michel

    Michel Geoffroy

    Henri Levavasseur

    Emmanuel Jaffelin

    Histoire panorama

    Correspondance Chardonne-Morand

    Thierry Hesse et le soldat feldgrau

    In Memoriam

    José Cabanis

    Littérature jeunesse

    Antoine Guillopé, Contes d'Andersen, Georges Orwell

    Science-fiction

    Rosa Montero

    Bande dessinée

    René Barjavel / Sylvain Tesson / Dimitri

    Carrefour de la poésie

    Réflexions

    Poètes bas-normands

    Peinture en prose

    Poème en prose

    Nouvelle

    La bataille de Lazarevo

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  • La trahison des intellectuels : plaidoyer pour une révolution métapolitique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Martin Sellner consacré à la nécessité du combat métapolitique et intellectuel.  Martin Sellner est une des figures montantes de la mouvance identitaire européenne.

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    La trahison des intellectuels : plaidoyer pour une révolution métapolitique

    « La trahison des clercs » est le titre d’un ouvrage polémique de Julien Benda, philosophe français libéral. Il y déplorait, en 1927, la « trahison » de l’intelligentsia française aux Lumières et à l’universalisme au profit de la lutte des classes et du nationalisme. En effet, les révoltes de gauche et de droite du XXe siècle se sont moins décidées dans les combats de rue que dans les académies. Tout comme les révoltes libérales du XIXe siècle étaient portées par les étudiants et les classes éduquées, les partisans des révolutions antilibérales étaient pour la plupart de jeunes universitaires.

    Bien avant les succès du NSDAP, la Nationalsozialistischer Deutscher Studentenbund avait la main sur les universités. En mai 1928, le NSDAP n’obtient que 2,6 % des voix, tandis que le NSDStB obtient 19,5 % en 1929 et 34,4 % en 1930. Les résultats des étudiants étaient en moyenne deux fois plus élevés que ceux du reste de la population. En 1930, le corps étudiant nazi représentait la majorité absolue dans onze universités et la faction la plus forte dans douze universités. En 1931, il y eut même un résultat national des élections AstA de 44,4 %. La raison en est évidente. Les élèves ont le temps et la formation pour la lutte métapolitique. Le succès des « marxistes culturels » après la guerre, qui ont dû renoncer au « bouleversement de la situation » économique mais ont occupé au contraire tout l’appareil idéologique d’État, est dû à cet effet d’apprentissage.

    La lutte pour l’espace intellectuel de la nation implique une lutte pour imprégner le cœur des récits et pour tenir la source de la maîtrise du discours. Celle-ci réside encore dans les universités, d’où sortent presque tous les « experts » qui en tirent leur légitimité. « Chaque guerre n’est décidée qu’après la guerre », écrivait Arthur Moeller van den Bruck et il avait raison. Après la chute inévitable des nazis, qui ont perverti les idées de la Révolution conservatrice, la vraie lutte n’était pas encore déterminée. La lutte pour l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe, la recherche d’une troisième voie au-delà du libéralisme et du marxisme, était loin d’être terminée. Et les conservateurs ont cependant continué à dominer les universités.

    « Trahison de l’intelligentsia de droite »

    La preuve en est les résultats des élections des représentants étudiants en Autriche après 1945. Le « Ring Freiheitlicher Studenten » (FS), le parti étudiant de droite, qui n’a pu se présenter aux élections universitaires qu’en 1953, a obtenu 32%. Avec une participation impressionnante de 70 %, c’était le deuxième plus grand groupe. Ce niveau a été maintenu jusqu’en 1967. Depuis le RFS a tout de même atteint 30% après des hauts et des bas. Après 1968, le crash s’est produit. En seulement 5 ans, le corps étudiant national est tombé à 8% et s’est installé dans les chiffres les plus bas les années suivantes. Aux élections universitaires de 2021, le RFS a obtenu un triste score de 2,65 %. À l’Université de Vienne, quatre listes ouvertement marxistes atteignaient ensemble près de 73 %. Une comparaison avec les sondages et les résultats électoraux du FPÖ dans la population montre un énorme écart. La tendance s’observe dans tous les pays occidentaux et s’applique à presque tous les grands partis populistes de droite. La domination conservatrice qui existait encore dans les universités après la guerre a été perdue dans le quart de siècle suivant.

    Dans la lignée de Benda, il faut peut-être parler de « trahison de l’intelligentsia de droite ». La droite a fui le combat. Le problème, j’en émets l’hypothèse, réside dans les choix de vie qui ont été posés par la plupart des conservateurs. Des centaines de milliers de décisions individuelles prises par de jeunes universitaires de droite – notamment influencés par leur environnement familial – ont été prises, génération après génération, en faveur de sujets qui promettaient une bonne « assise financière » mais aucune influence métapolitique. Non seulement la lutte pour les universités a été abandonnée mais la droite n’a même pas réussi à maintenir et à défendre les structures et les positions existantes. Cette omission est particulièrement évidente dans la dégradation des études littéraires.

    Stratégie de Reconquista

    Tandis que les « étudiants permanents » de gauche raillés se livraient à leurs « utopies » dans des bavardages stériles, les universitaires de droite se consacraient à une forme de carriérisme. Droit, médecine, chimie technique, administration des affaires, mécanique… c’est ce qu’enseigne la plupart des registres d’études des entreprises de droite. Les quelques oiseaux de paradis qui ont osé s’aventurer dans les humanités ont été perdus dès le départ. Beaucoup ont fini comme archivistes et gestionnaires de magazines défunts et autres projets de musée. À mon avis, la raison n’était pas un manque d’idées mais à voir dans de mauvaises approches de leurs penseurs. Il y avait tout simplement trop peu de penseurs ! Trop peu nombreux pour créer une ambiance dynamique, un échange synergique d’idées, voire une compétition fructueuse. Trop peu nombreux pour réseauter à l’échelle nationale, créer des plateformes visibles ou même se battre pour la politique universitaire. L’intelligentsia de droite, qui a laissé le champ de bataille des sciences humaines en plan, a encore voté pour les factions de droite lorsqu’elles étudiaient à l’université, ce qui suggérait une force apparente. Cependant, lorsque la gauche a lancé l’attaque de 1968, ce village Potemkine s’est effondré. Dans la vie professionnelle, les universitaires de droite, en tant que réalisateurs diligents et promoteurs du produit intérieur brut, n’avaient aucune influence métapolitique. À leur grande horreur, ils doivent maintenant constater comment les étudiants de gauche, dont on se moquait à l’époque, enseignent maintenant à leurs enfants, écrivent leurs journaux, créent leurs programmes de télévision et déterminent comment ils doivent parler et penser. Même la plus grande expertise technique et la puissance économique sont littéralement à genoux devant la domination métapolitique et le commandement de l’appareil idéologique d’État, comme on l’a vu dans la folie Black Lives Matter.

    Quelle est la leçon de la « trahison de l’intelligentsia de droite » ? Je suis convaincu qu’une prise de conscience claire du problème et une réorganisation et une réorientation ciblées du potentiel existant aideront à trouver une solution. Le temps presse. Nous n’avons qu’une fenêtre d’opportunité étroite pour une stratégie de Reconquista. Trump et Salvini nous ont appris ce que nous aurions dû savoir depuis longtemps : le pouvoir politique ne peut être saisi, détenu et utilisé de manière durable que s’il bénéficie d’une bonne « couverture aérienne » métapolitique. Chaque parti populiste de droite qui a été porté au pouvoir par une vague de protestations est paralysé ensuite par un « feu » nourri par la doxa dominante.

    Potentiel académique

    Se réapproprier l’université revient à se réapproprier les humanités. Si seulement une petite proportion des universitaires de droite encore diplômés de l’université aujourd’hui étaient dirigées vers des matières telles que le journalisme, la philosophie, les sciences politiques, la conception des médias, l’éducation, la sociologie et l’histoire, le potentiel métapolitique du camp de droite serait sensiblement augmenté.  Chaque université est un nerf à vif où les plus petites piqûres produisent les plus grandes réactions. Si, en une génération, une partie significative des étudiants de notre famille de pensée s’attachait stratégiquement à agir pour une révolution métapolitique, le camp de droite deviendrait plus créatif, attrayant et puissant en quelques années.

    Aujourd’hui, nous sommes peut-être dans une situation comparable à celle des marxistes en 1924. Dans la lutte idéologique pour la nation, ils avaient moins de poids et avaient contre eux la majorité de l’élite éduquée de la bourgeoisie. S’il n’est pas possible d’arrêter l’hémorragie du potentiel académique de la droite politique qui va préférentiellement vers des domaines professionnels à faible influence métapolitique, l’espace intellectuel de la nation restera fermement entre les mains de nos opposants. Si rien ne change, je crains que chaque vague de protestations populistes, de Trump à Strache et de Le Pen à Zemmour, ne reste sans effet…

    Martin Sellner (Institut Iliade, 2 mai 2022)

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  • Face au progrès...

    Les éditions de L'escargot viennent de publier un essai de Laurent Ottavi intitulé Christopher Lasch face au progrès. Journaliste, Laurent Ottavi collabore au magazine Marianne.

     

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    " L'œuvre de l’américain Christopher Lasch (1932-1994) gagne en lucidité à mesure que se confirment ses intuitions sur l’idée de Progrès. Un effondrement successif de cette croyance en un avenir toujours plus radieux, utopie initiée par les libéraux écossais, avait fait s’interroger l’historien sur la cécité de ses contemporains. Les évidences les plus massives, s’étonnait-il, auraient dû les conduire à abandonner cette chimère dès les premiers vacillements.

    Lasch a ainsi rédigé une œuvre totale. Du surgissement des gilets jaunes à l’élection de Donald Trump, des mouvements féministes aux manifestations antiracistes, l’américain anticipe une quantité de mécanismes socio-politiques majeurs des dernières décennies. En puisant notamment à la source de ses racines familiales et du passé égalitaire méconnu des États-Unis, le critique social parvient à bâtir ce qu’il nomme « une sensibilité populiste », la meilleure façon de tourner la page du capitalisme.

    L’ouvrage présent, nourri par des articles de l’historien inédits en français, met à portée une œuvre dense et complexe. Avec un style clair et passionné, Laurent Ottavi retrace les échecs imprévus de cette idéologie et en dévoile les fractures inédites, la plus flagrante étant celle entre les peuples et leurs élites. Dans cet essai majeur sur la pensée de l’historien américain, le projet laschien se dessine en creux : retrouver des limites, cultiver la vie intérieure et la vie publique, nourrir les liens de fidélité, de solidarité, de transmission, de courage et d’indépendance. "

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