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Métapo infos - Page 136

  • Georges Sorel contre la bourgeoisie décadente...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Rodolphe Cart à Eurolibertés, dans lequel il évoque la figure de l'auteur de Réflexions sur la violence à l'occasion de la sortie de son essai Georges Sorel - Le révolutionnaire conservateur (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    Entretien avec Rodolphe Cart à propos de l’écrivain révolutionnaire conservateur Georges Sorel

    Les opinions politiques de Georges Sorel ont évolué au fil du temps. Quelles sont les grandes étapes de ce processus ? Lors de son rapprochement avec les nationalistes, qui a-t-il fréquenté dans cette mouvance ?

    Tout d’abord, en bon disciple de Proudhon, Sorel est un conservateur en matière de mœurs – notamment concernant ses positions sur le mariage ou sur le rôle de la femme et du père au sein de la famille. En revanche, Sorel est un auteur à phases ; c’est-à-dire qu’il va évoluer sur certaines de ses positions tout au long de sa carrière de penseur politique. Comme le disait très bien Michael Freund – un des premiers biographes –, le Normand fut à tour de rôle marxiste (1893-1897), révisionniste (1898-1901), syndicaliste révolutionnaire (1898-1911), nationaliste (1911-1913) et même bolcheviste (1917-1922). Concernant son lien avec le nationalisme, même s’il a quelques échanges avec Charles Maurras, c’est surtout Georges Valois qui représentera ce « pont » entre Sorel et le mouvement monarchiste. En même temps, grâce à la revue L’Humanité Nouvelle, les deux Georges, Georges Valois, le militant, et Georges Sorel, le penseur syndicaliste, étaient en contact depuis 1898.

    Qu’est-ce que le syndicalisme-révolutionnaire théorisé par Georges Sorel ?

    Faisons simple : Sorel va se poser exactement contre la ligne de Jean Jaurès. Cette ligne jaurésienne consistait à rattacher le socialisme à la République, au parlementarisme et aux Lumières. Comme l’a très bien montré Jean-Claude Michéa, cette jonction se réalisa partiellement lors de l’Affaire Dreyfus. Bref, pour en revenir au syndicalisme révolutionnaire, Sorel plaide pour la scission, puis la sécession, et enfin l’autonomie des classes prolétaires contre l’ensemble des institutions « bourgeoises ». Sorel, en un sens, va donc encore plus loin que la simple lutte des classes marxiste.

    Georges Sorel est avant tout connu pour son ouvrage Réflexion sur la violence paru en 1908. Quel est le contenu de ce livre et pourquoi Georges Sorel est-il favorable à l’utilisation de la violence dans le domaine politique ?

    On ne peut comprendre le rôle qu’entend donner Sorel au concept de violence, si on ne garde pas en tête cet idéal de sécession vis-à-vis du système bourgeois, parlementaire et démocratique. La violence est le point nodal pour qu’émerge ce conflit – on se souvient que Sorel est un lecteur de Karl Marx (lutte des classes) –, car elle représente le phénomène qui permettra aux ouvriers d’entrer dans une pratique journalière du combat contre leurs « oppresseurs ». Pour Sorel, il faut constamment qu’une tension anime le corps social ouvrier pour empêcher l’évanescence de la conflictualité. Toutefois, Sorel distingue nettement la violence de la sauvagerie. Dans le premier cas, la violence possède une idée directrice qui permet aux acteurs d’avoir un but précis à accomplir, et une réflexion sur les moyens pour arriver à leur fin ; dans l’autre, on ne dépasse pas les bas sentiments de la débauche, du pogrom et de la violence aveugle des foules (Gustave Le Bon). Le constat de Sorel est donc clair : oui à la violence, mais seulement à la condition qu’elle soit au service d’un objectif plus haut d’émancipation politique et sociale.

    Le rejet par Georges Sorel de la démocratie parlementaire libérale bourgeoise trouve-t-il ses racines dans le marxisme ? Quelle est la position de Georges Sorel par rapport à ce dernier ? Quelle est la différence entre le socialisme de Georges Sorel et celui de Karl Marx ?

    La découverte de Marx est une révélation pour Sorel. Pour lui, le marxisme demeura longtemps l’unique réponse à l’avènement de la société industrielle et capitaliste, aux transformations sociales sans précédent qui s’annonçaient. Seule la doctrine de Marx pouvait mettre en place l’apparition d’une philosophie nouvelle, d’un droit audacieux et d’une morale inédite. Sorel a même pu dire qu’il voyait dans le marxisme la « plus grande innovation dans la philosophie depuis plusieurs siècles ».

    Pourtant, peu à peu, Sorel va se faire plus critique – notamment après la lecture d’auteurs comme Henri Bergson ou le philosophe italien Giambattista Vico. Comme le rappelle Pierre Andreu – un commentateur de Sorel –, l’auteur des Illusions du Progrès commence, à partir de 1897, à remettre en doute l’enseignement marxiste sur différents points comme la « négligence des facteurs moraux », la « confiance exagérée accordée à la science », l’« interprétation insuffisante ou erronée de l’évolution sociale et du mouvement ouvrier ». En 1898, Sorel n’hésite pas à écrire que Marx a laissé une « œuvre géniale » mais « inachevée ». Sorel devient alors, en préférant les thèses fédéralistes de Proudhon, un antiétatiste rabique contre les positions de Marx – rappelons que ce dernier prévoyait de passer par un État communiste avant son abolition. Aussi, contre la thèse de l’abolition des classes de l’auteur du Manifeste du parti communiste, Sorel ne pense pas que les classes sociales s’effaceront ; au contraire, il pense même que cette opposition tendra toujours plus à différencier les classes, à les séparer.

    Georges Sorel est le fondateur, dans le domaine politique, de la notion de mythe. Qu’en est-il ? La « grève générale » est-elle, pour Sorel, le principal mythe ?

    L’un des objectifs de la pensée sorélienne est de mettre les acteurs sociaux en mouvement. Lorsque Sorel dénonce le parlementarisme, les compromissions de la gauche socialiste et de la démocratie républicaine, il ne le fait jamais de manière gratuite mais toujours dans le but que cette dénonciation trouve un écho dans le corps social prolétarien. Or, Sorel se rend compte que tous les mouvements de masse de l’histoire des sociétés humaines n’ont été possibles que lorsque les individus étaient plongés, et cela avant même la mise en action, dans un univers mental qui les poussait à prendre telle ou telle décision. Ce rôle du mythe consiste à propager des images mobilisatrices dans des groupes humains, pour ensuite les faire réagir lors des évènements.

    Pour en revenir sur le mythe de la grève générale, Sorel mesure, à son époque, que le développement des syndicats les oppose directement, et de manière de plus en plus violente, au cadre de la IIIe République. Tous les « ingrédients » d’une révolte sont présents : une violence qui s’accentue, deux camps qui s’opposent et une fracture qui ne cesse de s’agrandir. En clair, il ne manque plus qu’une idée directrice pour ce conflit désormais inévitable. Pour Sorel, c’est le concept de grève générale insurrectionnelle qui devait être capable d’élaborer le paradigme dans lequel le mouvement ouvrier français doit pouvoir se projeter.

    Sorel a influencé, tant Maurice Barrès et Charles Péguy, que Lénine, Antonio Gramsci et Benito Mussolini. L’Italie fasciste et l’Union soviétique ont proposé d’entretenir sa tombe. Comment expliquer une telle situation, qui voit un théoricien influer sur les tenants d’opinions si différentes ?

    Effectivement, l’attrait des régimes de Mussolini et de Lénine pour Sorel a largement contribué à constituer cette « légende noire ». Après, cet amalgame entre ces régimes et la doctrine sorélienne est largement grossi, voire faux. Comme nous l’avons vu précédemment, Sorel a évolué tout au long de sa vie sur certaines de ces positions. Il n’existe pas de « sorélisme » à proprement parler, sauf quelques grands concepts (le mythe, l’antiparlementarisme, l’antidémocratisme, la violence émancipatrice et héroïque) qui, eux, ont pu être repris par les intellectuels de ces mouvements – et souvent de manière abusive.

    Il est vrai que Sorel, en 1922, a défendu Lénine contre les politiciens « démocrates » ; car, pour lui, le Russe incarnait « le marxisme en action, le marxisme vivant, ressuscité de la décomposition du socialisme parlementaire ». Tandis que les hommes politiques européens représentent l’effacement du sublime et la haine pour les « hommes supérieurs », Lénine se présentait comme la figure qui les ramenait à leur médiocrité, leur bassesse. La reconnaissance entre les deux hommes n’est pas pour autant réciproque, puisque l’auteur de Que faire ? décrit Sorel comme un « esprit brouillon ».

    Concernant Mussolini, la relation est différente. En 1922, Mussolini déclare au journal espagnol ABC : « Pour moi, l’essentiel était : agir. Mais je répète que c’est à Georges Sorel que je dois le plus. C’est ce maître du syndicalisme qui, par ses rudes théories sur la tactique révolutionnaire, a contribué le plus à former la discipline, l’énergie et la puissance des cohortes fascistes. » En règle générale, on peut même dire que c’est en Italie, et même avant la France, que les thèses soréliennes vont être le plus reprises. Déjà bien imprégné de nietzschéisme, tout le mouvement syndicaliste et révolutionnaire italien va s’abreuver de l’éloge de la violence et de la guerre de Sorel.

    En quoi Georges Sorel était-il un révolutionnaire conservateur, en l’occurrence un opposant aux idées des Lumières qui ne désire cependant pas restaurer le monde d’avant, mais seulement trouver dans celui-ci des éléments afin d’instaurer un autre futur.

    La question morale est sans nul doute l’un des rares fils rouges de la pensée sorélienne. Il fut constamment le sujet d’une angoisse profonde quant à l’avenir de son pays, et même du continent européen. Pour lui, la classe dirigeante bourgeoise et républicaine a échoué dans son rôle d’élite, et c’est pour cela qu’il attaque sans cesse l’idéologie du progrès, les idées des Lumières ou la vulgate sur la tolérance et le bien-être, qui ne sont rien moins que la bien-pensance d’avant. Sorel croit donc en l’imminence d’une révolution prolétarienne qui renversera cet ordre décadent.

    Le pire, pour lui, étant sûrement la trahison des élites socialistes envers le peuple – sur ce thème, il écrira un texte ravageur, en 1909, intitulé La révolution dreyfusienne. Cette compromission de la social-démocratie représentait, à ses yeux, une faute d’ordre moral. C’est pour cela qu’il opposa constamment le prolétariat industriel – associée aux valeurs positives d’héroïsme, de conservatisme et de puissance – à la bourgeoisie corrompue et décadente. C’est en s’appuyant sur Proudhon, Renan et Nietzsche, qu’il trouvera une partie de ses arguments pour attaquer la « décadence de la bourgeoisie ».

    Rodolphe Cart, propos recueillis par Lionel Baland (Eurolibertés, 24 juillet 2023)

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  • Abécédaire et textes de l'Antimodernité...

    Les éditions de la Nouvelle Librairie viennent de publier un abécédaire d'Arnaud Guyot-Jeannin intitulé La Tradition sans complexe - Abécédaire et textes de l'Antimodernité. Journaliste, Arnaud Guyot-Jeannin a notamment dirigé la publication du Dossier H Evola (L'Age d'Homme, 1997) et a également publié Les visages du cinéma - 35 portraits non-conformistes (Xénia, 2012), L'avant-garde de la tradition dans la culture (Pierre-Guillaume de Roux, 2016) et Critique du nationalisme - Plaidoyer pour l'enracinement et l'identité (Via Romana, 2021).

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    " « Le passé est un éternel présent pour l’homme en marche vers son destin », affirme Arnaud Guyot-Jeannin. L’abécédaire qu’il nous propose et les portraits d’écrivains qui suivent – Denis de Rougemont, Gustave Thibon, Pierre-Joseph Proudhon, Pierre Drieu la Rochelle, Georges Bernanos et Paul Sérant – sont autant de portes ouvertes sur le temps, invitant le lecteur à y piocher des fragments salutaires. Il découvrira ce que peut recouvrir une vision du monde traditionaliste révolutionnaire, tentant de conjuguer la vérité et la liberté pour le guider dans sa vie et sa pensée. Cet ouvrage dense et synthétique s’emploie à dresser une critique radicale de la modernité et de l’hypermodernité au nom de la Tradition catholique, contrerévolutionnaire, maurrassienne, ethnoculturelle et guénonienne (sachant que la « Tradition primordiale » reste pourtant une hypothèse d’école assez douteuse). Comme l’écrit l’abbé Guillaume de Tanoüarn en préface de ce livre : « Juste de quoi reconquérir par petits bouts notre liberté perdue en l’adossant à quelques certitudes. » "

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  • Immigration : voyage au centre du malaise français...

    Pour cette nouvelle édition de Cette année-là, sur TV Libertés, Patrick Lusinchi, avec François Bousquet, rédacteur en chef d’Éléments, Olivier François, Christophe A. Maxime et Rodolphe Cart, remonte à 1993 et au numéro spécial qu’Éléments avait entièrement consacré à l’immigration. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la situation s'est considérablement assombrie. Hier, les immigrés s’intégraient tant bien que mal. Aujourd’hui, c’est la France qui se désintègre, comme sous le coup d’un big bang démographique.

     

                                              

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  • La Marche de Radetzky...

    Les éditions Bouquins viennent de rééditer en un volume sept romans de Joseph Roth dont La Marche de Radetzky, qui donne son titre au volume. Écrivain et journaliste austro-hongrois, Joseph Roth (1894-1939) a exprimé dans son œuvre la nostalgie de la Mitteleuropa d'avant la première guerre mondiale. Il est possible de découvrir l'écrivain et son œuvre, notamment la saga des Trotta - La Marche de Radetzky et La crypte des Capucins -, dans l'excellent article de Louis Védrines, « Joseph Roth ou la nostalgie de l'empire», publié dans le numéro 44 de la revue Nouvelle Ecole

     

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    " Ce volume rassemble sept des plus grands romans de l'auteur de La Marche de Radetzky, dans une nouvelle traduction plus fidèle aux textes originaux, restitués ici dans l'ordre chronologique de leur publication.

    Joseph Roth est avec Stefan Zweig l'un des plus grands d'Europe centrale de la première moitié du XXe siècle . Son œuvre est unanimement célébrée pour son génie littéraire et son humanisme qui traverse les époques et atteint le lecteur d'aujourd'hui avec la même force et la même émotion.
    Le déclin de l'Autriche durant l'entre deux guerres et à travers lui d'un certain modèle européen est le thème central et obsédant de son œuvre. "Une volonté cruelle de l'Histoire a réduit en morceaux ma vieille patrie qui le permettait d'être en même temps un patriote et un citoyen du monde", écrit-il dans la préface de son chef d'œuvre, La Marche de Radetzky.
    C'est à la fois cette nostalgie d'une époque irremplaçable et tragiquement révolue et cette recherche d'une vérité humaine universelle qui donne à l'œuvre et l'univers de Roth leur vérité particulière , bouleversante et inoubliable .

    Pierre Deshusses, déjà maître d'œuvre du volume Stefan Zweig dans "La collection" Bouquins, signe cette magistrale nouvelle traduction d'ensemble. Une entreprise qui s'imposait, les traductions des œuvres majeures remontant pour certaines à 70 ans sans avoir été retraduites depuis lors, malgré leurs erreurs factuelles et leur inévitable vieillissement. La langue de Roth, " réaliste et impressionniste, excessive et simple, métaphorique et abrupte ", ainsi décrite par Pierre Deshusses dans sa préface, est ici rendue dans toute sa vérité et sa puissance originelle. "

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  • Dénonciation, collusion et diffamation publique en Allemagne : vers une nouvelle “RDA” ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels cueilli sur le site de Valeurs actuelles dans lequel il attire notre attention sur la politique liberticide qui se renforce en Allemagne sous l'égide de la coalition dirigée par le SPD.

     

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    Dénonciation, collusion et diffamation publique en Allemagne : vers une nouvelle “RDA” ?

    Deux exemples récents d’une importance similaire : l’imposition à l’échelle nationale d’un système de dénonciation honteux, et le scandale actuel concernant une ministre de l’Intérieur qui utilise ses propres services secrets ainsi que les médias publics pour discréditer l’un de ses plus proches collaborateurs — deux événements qui, s’ils s’étaient produits en Pologne ou en Hongrie, auraient suscité un tollé général sur la fin de “l’État de droit” — et des mesures politiques sérieuses de la part de la Commission européenne.

    L’appui public à la dénonciation politique

    Tout d’abord, le système de dénonciation. La nouvelle Hinweisgeberschutzgesetz — la “loi sur la protection des informateurs”, votée le 2 juillet 2023 — oblige toutes les entreprises de plus de 49 salariés à créer une Meldestelle (“cellule de dénonciation”), conduisant ainsi à la création ex nihilo d’un total de 90 000 (!) cellules de ce type dans le secteur privé et de plusieurs milliers d’autres pour la sphère publique. Les entreprises refusant de participer à cette initiative devront payer une amende pouvant aller jusqu’à 20 000 euros. L’objectif de ces cellules de dénonciation est de recevoir, d’évaluer et de transférer toutes les formes de dénonciation émanant d’employés ou même de personnes étrangères et de lancer des enquêtes appropriées. Les informations pertinentes doivent ensuite être transférées à l’État, où un décret publié le 11 août 2023 a mis en place un nouveau service central de dénonciation avec 22 employés et un budget de 5 millions d’euros par an — pour le début… À partir de 2024, ils pourront également utiliser un logiciel spécialement créé pour permettre la communication immédiate entre le nouveau service et les informateurs anonymes souhaitant entrer en contact direct avec l’État.

     Cette mesure est le résultat d’une nouvelle loi européenne sur la protection des “lanceurs d’alerte”, transformée par le gouvernement allemand en un programme proactif de facilitation des dénonciations politiques. En effet, au lieu de cibler uniquement les communications relatives à des crimes concrets et matériels, les cellules de dénonciation allemandes doivent également recevoir, évaluer et transmettre les formes d’allégations les plus variées, incluant expressément les soupçons de manque de “loyauté envers la constitution” (Verfassungstreue) et autorisant la violation délibérée du secret fiscal ou social. Il va sans dire que la loi oblige les nouvelles cellules à prendre au sérieux les dénonciations même anonymes. Qui plus est, la loi précise que les dénonciateurs, même s’il est prouvé qu’ils ont tort, bénéficieront d’une protection juridique spéciale contre le licenciement, ce qui constitue une incitation supplémentaire à exercer leur prérogative douteuse.

    Malheureusement, cette récente systématisation de la dénonciation publique, inédite depuis la fin de la République démocratique allemande, n’est que le dernier élément, bien que le plus important, d’une longue série d’événements similaires : depuis des années, des dizaines d’“applications d’information” les plus diverses ont été créées dans tout le pays afin de permettre la dénonciation de “crimes de haine” présumés ou d’actes de “délégitimation de l’État” (constituant désormais une accusation pénale grave en Allemagne). Rien que cette année-ci, la ville de Berlin a dépensé 830 000 euros pour subventionner une seule application permettant de signaler aux institutions publiques les formes les plus diverses de crime de pensée. Sans surprise, ces initiatives émanent presque exclusivement de la gauche politique et sont souvent étroitement liées aux nombreuses ONG censées “défendre la démocratie” dans sa “lutte contre la droite” (“Kampf gegen Rechts”), généralement financées directement ou indirectement par des fonds publics avec un budget en constante augmentation — le tout sous la supervision énergique de la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser (SPD).

    L’instrumentalisation des médias publics et des services secrets par la ministre de l’Intérieur

    Deuxièmement, examinons le dernier scandale en date autour de la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser (SPD). Faeser est connue pour considérer la “lutte contre la droite” comme l’objectif principal de son ministère, et parmi d’innombrables autres mesures contre toutes les formes de conservatisme, elle a été responsable l’année dernière de l’autorisation de démettre des fonctionnaires de leurs postes sur base du seul soupçon de convictions ou de comportements “anticonstitutionnels” : dans un renversement choquant du fondement même de l’État de droit, c’est désormais à l’accusé de prouver son innocence, s’il ne veut pas voir son existence matérielle détruite.

    Aujourd’hui, le limogeage par Mme Faeser du précédent responsable de la cybersécurité du ministère, Arne Schönbohm, lui revient en pleine figure, alors que de nouvelles preuves presque incroyables d’une collusion généralisée entre les intrigues politiques, le ministère, la télévision publique et les services secrets ont été révélées. En 2022, Arne Schönbohm avait été accusé, lors d’une émission satirique produite par la ZDF (la deuxième chaîne de télévision publique allemande), d’entretenir des relations douteuses avec certaines entreprises russes spécialisées dans la cybersécurité, et avait été immédiatement limogé par Mme Faeser. Toutefois, aucune de ces accusations n’avait pu être confirmée par la suite, mais peu importe : M. Schönbohm n’a jamais retrouvé son emploi précédent, mais a été rétrogradé à un autre poste beaucoup moins influent.

    Aujourd’hui, de nouveaux documents montrent que, même plusieurs mois après l’affaire, Faeser avait chargé le Verfassungsschutz (le service secret intérieur allemand) de rechercher partout des éléments susceptibles d’incriminer Schönbohm ; et bien que les experts en charge n’aient pu trouver aucune preuve, elle leur a ordonné de poursuivre leur enquête et de lui faire rapport. De plus, il y a même de forts soupçons que les premières accusations, non prouvées, portées par l’émission télévisée de la ZDF aient été formulées par la ministre elle-même et transmises à la chaîne publique par le biais de contacts informels entre les collaborateurs de Faeser et le journaliste chargé de l’émission satirique en question, Jan Böhmermann (connu depuis des années pour ses attaques enragées contre tous les opposants de la gauche politique et jouissant de la plus haute estime de la part du gouvernement en place).

    Le 5 septembre 2023, Mme Faeser a annulé sa présence à une audition devant une commission parlementaire pour des “raisons de santé” (tout en étant présente pour une séance photo) ; le 7 septembre, elle a refusé d’être présente à une deuxième audition, proposant d’envoyer l’un de ses collaborateurs. Son parti, les sociaux-démocrates allemands du chancelier Scholz, rejette toutes les accusations et tente actuellement de déplacer toutes les futures auditions parlementaires au mois d’octobre — juste après les élections dans le Bundesland allemand de Hessen, où Nancy Faeser est la candidate principale de son parti…

    Comment encore prendre au sérieux une ministre de l’Intérieur mettant en place un système de dénonciation inouï depuis la chute du communisme tout en semblant elle-même enfoncée jusqu’au cou dans une instrumentalisation peu ragoûtante de ses compétences ? Et que penser d’un gouvernement qui, au lieu de la limoger sur le champ, fait la sourde oreille tout en s’érigeant, en Europe, en arbitre de la rectitude démocratique ?

    David Engels (Valeurs actuelles, 8 septembre 2023)

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  • Au plaisir des dieux...

    Les éditions Anacharsis ont publié récemment un essai d'Adeline Grand-Clément intitulé Au plaisir des dieux - Expériences du sensible dans les rituels en Grèce ancienne. Historienne de l’Antiquité grecque à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, Adeline Grand-Clément travaille sur l’anthropologie des couleurs et des formes de sensorialité dans les sociétés anciennes.

     

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    " En Grèce ancienne les dieux étaient omniprésents, depuis les nuages jusqu’au moindre brin de romarin. Les rituels fleurissaient. Solliciter les divinités était à la fois fréquent et extraordinaire – et toujours possiblement dangereux.

    On connaît les procédures mobilisées en ces instants fragiles de la « cuisine du sacrifice » ; on est moins renseignés sur l’éventail des sens qu’il fallait éveiller au moment crucial de la rencontre avec les dieux.
    Adeline Grand-Clément se lance ici dans une enquête au plus près du ressenti des participants, cherche avec minutie à saisir la façon dont pénombre ou lumière, couleurs, odeurs, toucher, sons ou paysages modelaient des espaces sensoriels spécifiques, considérés comme efficaces parce que propres à satisfaire le plaisir des dieux. C’est tout un univers incarné qui se dévoile alors en feuilletage, des gestes et des paroles, des objets, des plantes et des animaux, des aliments et des liquides ingurgités. Le témoignage d’un rapport au monde et ses infinies composantes : une esthétique, dont il reste possible de faire son miel. "

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