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Métapo infos - Page 1109

  • L'imposture pédagogique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré aux Nouveaux Enfants, produits depuis les années 90 par la société du tout tout de suite... Professeur en classes préparatoires, Jean-Paul Brighelli a publié de nombreux essais dont, dernièrement, Tableau noir (Hugo et Cie, 2014) et Voltaire ou le Jihad (L'Archipel, 2015).

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    L'imposture pédagogique

    Dans Pinocchio, sur l'île des plaisirs, le soda et la bière coulent à flots, les cigares sont gratuits, tout est permis – et Pinocchio devient un âne. Lui et tous les autres. La fable de Collodi résonne étrangement aujourd'hui : la société du loisir, nous y sommes, et l'école du moindre effort, nous y allons tout droit.

    Évidemment, l'hédonisme n'a de sens que pour ceux qui peuvent se le payer. Consommer coûte – de cela, on ne parle jamais. Rappelez-vous les publicités Eram des années 1980. Aujourd'hui, plus personne ne vous dit le prix. À croire que tout est gratuit, ou très bon marché. L'abondance est au coin de la rue…

    Mais le chômage aussi. Mais les très bas salaires aussi. Mais la vraie misère également. Le message de la société de consommation revue et corrigée par l'état présent du libéralisme est mensonger : on a beau offrir les colifichets du bonheur – le portable Machin et la montre Truc, sans laquelle on a raté sa vie à 50 ans –, on n'en est pas moins obligé d'opérer des surenchères dans le chic-toc. Parce que le vrai bonheur – avoir un vrai boulot, ne dépendre d'aucune aide sociale, ne plus habiter chez ses parents à 30 ans, et emmener ses enfants en vacances – n'est pas à la portée de tout le monde. Loin de là. Pas de neige, nous dit une météo affligée. Mais combien de Français s'en fichent, de la neige ? Combien n'iront pas skier ? Combien n'ont jamais eu les moyens de skier ?

    Les assassins de l'État islamique ont été à l'école de la République

    Cette ère de l'imposture généralisée ne m'importerait guère, si notre société ne nous tricotait pas une école à la mesure de son manque d'ambitions. « Les enfants s'ennuient à l'école », a déploré Mme Vallaud-Belkacem. Et de lancer cette réforme du collège  qui va encore anéantir un peu plus la possibilité même d'une culture. Et sans culture, les têtes creuses des adolescents iront se gaver de messages de substitution, aussi mortifères soient-ils : les assassins programmés par l'État islamique ont été élevés dans les écoles de la République, ils étaient en primaire dans les années 1990, au collège à l'orée des années 2000, et à la morgue aujourd'hui. Et pas seuls.

    Tout, tout de suite. Les diplômes sans transpirer. Le savoir sans mémoriser. Le chahut sans réprimandes. Les Nouveaux Enfants sont les héros de la fête. Rois à huit ans, esclaves à dix-huit, parfois djihadistes à vingt-cinq, assistés sociaux toute leur vie. Essayez de me prouver que ce n'est pas vrai.

    Le vrai désir des mômes, c'est d'apprendre

    Les émissions de prospective des années 1960 nous promettaient la civilisation des loisirs et de la semaine de travail de quinze heures. Pour les loisirs, nous avons la télé, dont je ne vous dirai pas tout le bien que j'en pense. Mais pour ce qui est de la semaine de travail, encore faudrait-il avoir un travail. Des gosses auxquels on ne transmet plus de savoirs solides, et qu'on laisse passer d'une classe à l'autre alors qu'ils savent à peine lire – à peine s'ils ânonnent, un joli mot dans lequel il y a âne. Des collégiens auxquels on offre le brevet, auxquels on délivre le bac avec mention – pourquoi ? Pour en faire des intérimaires à vie ? Des étudiants poussés jusqu'en licence, en dépit de leurs lacunes et de leur absentéisme, pourquoi ? Pour en faire des aigris à jamais ?

    L'effort – la valeur-travail – est en train de devenir dangereusement lettre morte. Pendant ce temps, d'autres pays, dans le Sud-Est asiatique, bossent avec acharnement et conquièrent le monde. « Tout pour ma gueule ! » ronchonne le « nouveau jeune » : pendant ce temps, au Moyen-Orient, d'autres jeunes agitent des étendards, bien certains qu'ils ne feront qu'une bouchée des populations débiles d'Occident. Et ils n'auront pas tort, si nous continuons à tout donner aux enfants – tout ce qu'ils ne demandent pas.

    Parce que le vrai désir des mômes, c'est d'apprendre. Pinocchio a la nausée à force de loisirs, il sait bien que la vraie vie est ailleurs que sur l'île des plaisirs – mais pour ses camarades, il est déjà trop tard, on a enseigné l'ignorance, on a fait du braiment l'expression du désir, et du selfie la manifestation de l'instinct artistique.

    Un diktat idéologique

    Je suis désolé, en ce tout début d'année, de plomber un peu l'ambiance. Mauvaise digestion des agapes, diront les optimistes. Vésicule engorgée. Mélancolie par excès de sucres et de graisses. Pourtant, je cherche à rester optimiste : je souhaite par exemple à Mme Vallaud-Belkacem, qui nous présente, à nous, des vœux soigneusement édulcorés, un sursaut de bon sens, la chose au monde la moins bien partagée chez ceux qui nous gouvernent. Je lui souhaite de réaliser que la réforme du collège, au mieux, ne changera rien à la catastrophe scolaire et, au pire, l'aggravera. Les profs sont vent debout contre ce qui apparaît de plus en plus comme un diktat idéologique – parce que de concession en concession, il ne restera bientôt plus rien sur le terrain de ces grandes ambitions minuscules, sinon la mort du latin et de l'allemand qui servaient de gares de triage aux bons élèves – ces pelés, ces galeux, qui auraient bien fini par demander au Père Noël autre chose que des consoles de jeux.

    Mais qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas seulement de l'incompétence, c'est de l'idéologie qui préside à la destruction de l'école. Ce sont les Khmers rouges qui dirigent aujourd'hui le ministère – et je ne suis pas le seul à le penser.

    Et je souhaite aussi à l'opposition, qui, à part le FN en général et Bruno Le Maire en particulier, n'a pas bien saisi que cette réforme « de gauche », s'additionnant aux dernières réformes « de droite » et combinée à l'idéologie destructrice des « compétences » mises à la place des savoirs, allait finir par décérébrer les rejetons du peuple français, de bien vouloir proposer enfin pour l'école de la République autre chose que ces cataplasmes sur jambes de bois dont on trouve la recette à Bercy et à Bruxelles, et nulle part ailleurs.

    Jean-Paul Brighelli (Le Point, 6 janvier 2015)

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  • Faut-il se libérer du libéralisme ?...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux viennent de publier une enquête de Falk van Gaver et Christophe Geffroy intitulée Faut-il se libérer du libéralisme ?. Falk van Gaver est essayiste et journaliste et Christophe Geffroy est fondateur et directeur de la revue La Nef.

     

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    " Le libéralisme est paré par les uns de toutes les vertus, par les autres de tous les vices. Y a-t-il un ou des libéralismes ? Les différents libéralismes partagent-ils un fond commun ? Y aurait-il un « bon » et un « mauvais » libéralisme, un « bon » libéralisme (économique, politique, social...) d’un « mauvais » libéralisme (moral, éthique, « sociétal »...) ? Peut-on séparer le libéralisme en économie du libéralisme dans les mœurs ? Un libéralisme de droite, conservateur, d’un libéralisme de gauche, révolutionnaire ? N’y a-t-il pas au fond, malgré les différences, une profonde unité de l’anthropologie libérale ? À cela s’ajoute une autre question de plus en plus souvent posée : la crise financière
    de 2008 a révélé la fragilité du système libéral et fait prendre conscience des dégâts qu’il peut causer, dès lors le libéralisme est-il vraiment pertinent, pire n’est-il pas largement responsable de nos maux ? Autrement dit, faut-il se libérer du libéralisme ?

    Pour répondre à cette question, Falk van Gaver, l’essayiste, et Christophe Geffroy, directeur de La Nef, ont interrogé une bonne vingtaine de personnalités, intellectuels, universitaires, économistes, philosophes, juristes, journalistes, responsables politiques : Pierre Manent, Jacques Sapir, Chantal Delsol, Jean-Claude Guillebaud, Alain de Benoist, François Huguenin, Pascal Salin, Jean-Paul Brighelli, Charles Beigbeder, Patrice de Plunkett, etc. "

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  • Regard sur la crise militaire française...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une courte conférence donnée par le colonel Goya, à l'Assemblée nationale, dans le cadre d'un colloque organisé par la revue Défense nationale et le Parti de Gauche (et oui...), sur le thème de la crise militaire française. Expert lucide et praticien des questions militaires, le colonel goya a publié plusieurs ouvrages intéressants et importants, comme La chair et l'acier (Tallandier, 2004), Res militaris  (Economica, 2010), ou Sous le feu (Tallandier, 2014).

     

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  • Le stratège de l'empire...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier un essai de Justin Vaïsse intitulé Zbigniew Brzezinski - Stratège de l'empire. Conseiller de plusieurs président américain, Zbigniew Brzezinski est l'auteur d'un ouvrage essentiel, paru en 1997, Le grand échiquier, dans lequel il expose la stratégie que doivent suivre les Etats-Unis pour maintenir leur hégémonie sur le reste du monde. Expert pendant 6 ans d'un des principaux think tanks américain, la Brooking Institution, l'auteur de cet essai cache difficilement son admiration pour le personnage et sa vison stratégique. On notera d'ailleurs avec une certaine inquiétude, compte tenu de son parcours, que l'auteur dirige désormais le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères français...

     

     

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    " Comment un jeune immigré, polonais et catholique, devient-il le stratège de la plus grande puissance du monde ? Que nous révèle son parcours des évolutions de la géopolitique des États-Unis ?

    Arrivé en 1938 par paquebot à New York alors qu’il a tout juste 10 ans, admis à Harvard en 1950, Zbigniew Brzezinski s’est rapidement fait connaître comme l’un des experts les plus influents des relations internationales et l’un des meilleurs soviétologues de son temps. Avec Henry Kissinger, il incarne cette génération d’intellectuels issus de l’« université de guerre froide » qui s’est imposée en politique étrangère contre l’establishment et la vieille élite WASP. Sa carrière fulgurante le propulsera à la Maison Blanche comme conseiller à la Sécurité nationale du président Jimmy Carter, autre outsider de la politique. Dès lors, il ne cessera plus d’être consulté par les présidents américains jusqu’à Barack Obama, et son autorité dans le débat international se fera sentir sur tous les dossiers importants de notre temps, de la guerre d’Afghanistan à la chute du mur de Berlin, de l’intervention en Irak à la montée en puissance de la Chine.

    Un document exceptionnel sur la politique étrangère américaine et sur l’une de ses personnalités les plus marquantes. "

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  • Le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une note d'Hajnalka Vincze, cueillie sur le site de l'Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales (IVRIS) et consacré aux décisions européennes récemment adoptées vis-à-vis du programme Ariane. Analyste indépendante en politique de défense et de sécurité, Hajnalka Vincze a travaillé pour le ministère hongrois de la défense et a fondé l'IVRIS, un réseau d'experts européens dans les questions de défense et de géostratégie.

     

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    Ariane 6 : le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?

    Atout stratégique par excellence, le lanceur Ariane est le symbole même de l’Europe spatiale. Fait plutôt rare, c’est un succès à la fois politique, technologique et commercial. Or il risque aujourd’hui d’être détricoté, suite à un transfert inédit de contrôle et de compétences de l’Etat vers des industriels privés. 

    Le projet du nouveau lanceur, successeur de l’actuelle Ariane 5, fut approuvé en décembre 2014 par les ministres européens. Pour faire face à la concurrence internationale, en particulier à l’américain SpaceX et ses lancements à bas prix, ceux-ci ont accepté, de A à Z, un projet proposé par les industriels. Plutôt que de privilégier l’innovation technologique, ce projet se fonde sur la mainmise de ces derniers sur l’ensemble de la filière. Il prévoit une réorganisation-privatisation de fond en comble pour s’approcher d’un modèle, prétendument plus compétitif, importé des Etats-Unis ; mais sans la garantie des engagements étatiques qui, en réalité, le font vivre de l’autre côté de l’Atlantique.

    En agissant ainsi, les gouvernements européens, en premier lieu la France, prennent de sérieux risques. Outre les aspects financiers (qui laissent poindre le spectre d’une immense gabegie), c’est avant tout la modification des rapports de force entre industriels et pouvoirs publics qui s’annonce fort problématique. Donner les clés de ce programme hautement stratégique à des industriels comme Airbus, aux visées douteuses et à l’allégeance malléable, témoigne, de la part de l’Etat, d’une attitude pour le moins irresponsable.

    Postulats erronés

    Précisons d’emblée que la fusée, de même que la société qui l’exploite et le commercialise, Arianespace, est un succès incontesté et incontestable. Pour reprendre les propos de Stéphane Israël, le PDG d’Arianespace, récemment auditionné au Sénat, Ariane est « sur le point de battre un double record opérationnel et commercial », tout en étant une fierté européenne et nationale, ayant pour tâche principale de « garantir un accès indépendant de l’Europe à l’espace ». Chose surprenante par les temps qui courent, M. Israël n’oublie pas de rappeler l’effort collectif à la base de ces résultats remarquables. Quelques mois auparavant, devant les députés, il avait fait remarquer que « les systèmes de lancement que l’entreprise exploite, en particulier Ariane, n’existeraient pas sans la volonté et les investissements publics. Cette fusée est donc aussi un peu la vôtre. »

    Or, il est clair que la décision des gouvernements européens concernant la suite de l’aventure soulève plus de questions qu’elle n’en résout. La cause en est simple : ils partent de postulats idéologiques au lieu de s’en tenir aux faits, et préfèrent des gains mercantiles immédiats (par ailleurs incertains) à la stratégie et à la vision politique à long terme. Les deux sources d’inspiration derrière ce choix, entériné en décembre 2014 par les ministres de l’Agence spatiale européenne, étaient l’Allemagne et les industriels eux-mêmes. Comme l’a expliqué la ministre Fioraso à l’époque, c’est Berlin qui fut l’avocat d’« une intégration industrielle plus importante, une prise de risques plus grande des industriels », en faisant valoir que « si l’industrie prend davantage de risques, il est normal qu’elle participe davantage à la conception et qu’elle partage la stratégie ».

    Les industriels, eux, n’attendaient que cela. Ils avaient même devancé les gouvernements et les agences spatiales. Airbus, le maître d’œuvre, et Safran, le motoriste, avaient travaillé dans le plus grand secret, pour mettre les autorités publiques devant le fait accompli, en présentant, dès juin 2014 leur projet. En plus du design de la fusée, ils ont annoncé leur intention de fusionner leurs actifs respectifs, par la création d’une co-entreprise. Le tout assorti d’une condition de taille: la cession des parts du gouvernement français dans Arianespace. Deux semaines après, François Hollande lui-même donne son feu vert, lors d’un petit déjeuner rassemblant tous les acteurs principaux au palais présidentiel.

    La co-entreprise Airbus Safran Launchers (ASL) aura donc désormais autorité sur les lanceurs dans tous les segments. Outre le développement proprement dit, cela inclut donc la conception (jusqu’ici la prérogative des agences, désormais réduites à définir les grandes lignes), de même que la commercialisation. Car en juin 2015, le gouvernement français a, en effet, entériné la cession des 34% d’Arianespace détenus par le CNES à ASL, ce dernier devient ainsi premier actionnaire avec 74% du capital. Rappelons encore une fois qu’en arrière-fond de cette restructuration-privatisation sans précédent se trouverait la volonté de « l’optimisation » de la filière dans le but de réduire les coûts, pour relever le défi de la concurrence internationale.

    Paradoxalement, les points d’interrogation sur l’avenir d’Ariane sont moins liés à la compétition mondiale qu’aux choix opérés par les gouvernements européens soi-disant pour y faire face. A bien y regarder, le tant redouté américain SpaceX ne semble pas provoquer, en soi, un danger existentiel pour Ariane. Tout en reconnaissant les talents de son créateur Elon Musk (on lui doit également le service de paiement en ligne PayPal et les voitures électriques Tesla), il convient de souligner, comme l’a fait le PDG d’Arianespace, que les principaux atouts de SpaceX sont d’ordre politique, dans la mesure où le soutien indirect du gouvernement fédéral lui est fort bénéfique, à la fois en termes de marché captif (garanties de lancements domestiques) et en termes de prix.

    En effet, pour citer l’ancienne secrétaire d’Etat chargé du dossier, « les pouvoirs publics américains sont très impliqués ». Et Geneviève Fioraso de préciser que « la Nasa achète 130 millions de dollars à SpaceX un vol que l’entreprise va vendre à 60 millions de dollars à l’exportation. On peut appeler cela du soutien mais c’est du dumping ! » Curieusement, le patron d’Airbus Group, lui, passe cet aspect complètement sous silence lorsqu’il déclare vouloir s’inspirer de SpaceX, en louant notamment leur « dynamisme ». Fidèle à son dogme libéral-atlantiste, Tom Enders s’est servi de SpaceX pour revendiquer une restructuration complète de la filière avec, à la clé, plus de pouvoir aux industriels et la réduction du champ de contrôle des pouvoirs publics.

    Incertitudes persistantes

    La réorganisation en cours ne se fait pas sans mal, et comporte de sérieuses incertitudes pour Ariane. Pour commencer, l’annonce en fanfare du lancement du nouveau programme, et la passation des contrats qui s’en est suivie, ont failli faire oublier que les Allemands avaient obtenu un point d’étape (go/no go, autrement dit feu vert ou arrêt), à la mi-2016. Or si Berlin a été le grand avocat de l’option « industrielle » retenue pour Ariane 6 (restructuration-privatisation plutôt qu’innovation technologique), c’est avant tout parce qu’il considère le projet sous un angle mercantile. Son soutien risque de s’évaporer si, au lieu de la réduction escomptée des coûts du projet, l’opération finit, ce qui est fort probable, par en augmenter les frais.

    Outre la multiplication des factures imprévues présentées par les industriels, l’autre point d’interrogation sur le plan financier concerne les éventuelles réserves des clients actuels et potentiels. En effet, les constructeurs de satellites rivaux d’Airbus (dont c’est une des branches d’activité) pourraient ne pas trop apprécier ce nouvel arrangement. Airbus Group se veut rassurant : pour eux« notre objectif est de vendre le plus de lanceurs possible, y compris pour lancer les satellites de nos concurrents. Rien ne justifie la moindre inquiétude à ce sujet ». Pourvu que les clients partagent ce sentiment. Car même si on leur promet une cloison impénétrable entre satellites faits maison et fusées, il est difficile d’empêcher qu’à un moment ou un autre, le doute surgisse. Que ce soit l’octroi des créneaux de lancement privilégiés ou la possibilité d’offres coordonnées, Arianespace, de facto devenue filiale d’Airbus Group, pourra toujours être soupçonnée de favoritisme.

    Pour couronner le tout, en plus de la commercialisation des fusées, Arianespace remplit aussi une fonction d’expertise qui lui donne accès aux informations techniques confidentielles des constructeurs de satellites rivaux d’Airbus. Avant le lancement, elle « prépare les analyses de mission, qui visent notamment à s’assurer que le lanceur est adapté au satellite qu’il devra mettre en orbite ». Cela nécessite une connaissance exacte des données techniques des satellites. Pour le PDG d’Arianespace, un découpage entre les deux fonctions (commerciale et d’expertise) serait inconcevable, puisque les deux font ensemble le succès de la société, en positionnant Arianespace comme la garante de la fiabilité ultime de la fusée. Reste à voir comment la nouvelle co-entreprise saura jongler avec ces différents volets.

    A ces questionnements de nature financière et commerciale viennent s’ajouter ensuite des interrogations d’ordre politique. Sans surprise, la première d’entre elles concerne la question, sempiternelle, de la préférence européenne. Autrement dit, le fait de savoir si les gouvernements du vieux continent seraient enfin prêts à s’engager à privilégier leurs propres produits; comme le font d’ailleurs, et à juste titre, les Etats-Unis. Pour Ariane 6, seuls cinq lancements institutionnels seront garantis, d’après la ministre. Certes, on reste au même nombre qu’aujourd’hui, mais « cela signifie, tacitement, que chaque pays membre accepte le principe d’une préférence européenne. On ne peut pas écrire obligation, à cause des règles européennes ».

    Le PDG d’Arianespace voulait y voir, en mai, « une sorte de ‘Buy European Act’, sachant que notre concurrent américain bénéficie déjà, quant à lui, d’un marché garanti aux États-Unis : la législation américaine impose que les charges utiles américaines soient mises en orbite par un lanceur construit majoritairement aux États-Unis. » Cinq mois plus tard, il a dû se rendre à l’évidence :« Aujourd’hui, le ‘Buy European Act’ n’existe pas. Il est vrai que les États européens peuvent choisir un autre lanceur que ceux d’Arianespace ». Ce qu’ils font, en effet, sans état d’âme. A l’instar de l’Allemagne, qui n’a pas hésité à confier à SpaceX le lancement de certains de ses satellites.

    Or, prévient la ministre française : « Si nous ne sommes pas la carte de l’Europe, nous fragiliserons et in fine, perdrons la filière des lanceurs européens. Et au-delà, nous perdons notre avantage compétitif en matière de télécoms, en matière d’accès aux données scientifiques, environnementales, climatiques et en matière de sécurité et de défense. » Mais comment attendre des gouvernements de jouer la carte de l’Europe en matière de lancement si même Airbus ne le fait pas ? Le groupe, qui aura désormais la haute main sur l’ensemble de la filière et réclame, de ce fait, la garantie de cinq lancements institutionnels, souhaitait lui-même confier à son concurrent US le lancement d’un satellite de télécommunication dernier cri de l’Agence spatiale européenne (ESA), simplement pour le rendre plus rentable…

    Abandons coupables

    Au départ, la réorganisation actuelle a été présentée comme répondant à deux critères de base. D’une part, un besoin de réduction des coûts, par le biais d’une plus grande prise de responsabilité des industriels, de l’autre le maintien, tout de même, de la position des Etats. Sur ce dernier point, la ministre Fioraso a été très claire : « L’Etat restera présent dans la gouvernance et contrôlera ». Sauf que le périmètre de cette présence se réduit comme une peau de chagrin, en emportant le pouvoir de contrôle dans son sillage. Pour le PDG d’Arianespace, « les acteurs minoritaires qui représentent un lien avec les Gouvernements (…) doivent recevoir des garanties ». Autrement dit, ce n’est pas d’emblée le cas.

    La question des coûts reste elle aussi opaque. Si les industriels disent prendre plus de risques, c’est loin d’être manifeste. Pour commencer, on ne sait toujours pas qui aura la charge d’éventuels échecs. Or, selon Stéphane Israël, « rien ne coûte plus cher qu’un échec et il importe de préciser les engagements des uns et des autres », mais « jusqu’à ce jour, rien n’est figé comme en témoignent les discussions en cours entre l’Agence spatiale européenne et Airbus Safran Launchers ». De surcroît, les industriels ne cessent de grignoter sur le volet financier de l’accord. Comme Michel Cabirol de La Tribune le met en évidence, tantôt ils demandent une rallonge d’un milliard, tantôt ils refusent de contribuer au maintien en condition opérationnelle du pas de tir en Guyane, tantôt ils exigent pour eux la gratuité pure et simple du Centre spatial, une faveur jamais octroyée à Arianespace.

    Force est de constater que, dans ce domaine hautement stratégique, on risque de se retrouver devant un schéma étrangement similaire à celui des Etats-Unis. Un modèle caractérisé par de grandes sociétés privées, soutenues par d’immenses gaspillages de fonds publics. A la différence près que, contrairement au cas américain, les pouvoirs publics en Europe ne peuvent même pas être certains, à long terme, de la loyauté des sociétés qu’ils soutiennent – en l’absence d’un marché public gigantesque qui garantirait une loyauté d’intérêt, et faute de règles contraignantes européennes capables d’imposer, comme de l’autre côté de l’Atlantique, une loyauté juridico-institutionnelle.

    Or, en parlant d’Ariane, il convient de garder à l’esprit que le lanceur conditionne la pérennité, la crédibilité, la rentabilité/compétitivité et l’autonomie de l’ensemble du secteur spatial. Que l’on se rappelle les origines mêmes de la création d’Ariane : en 1973, n’ayant pas de lanceur européen à leur disposition, Français et Allemands ont dû aller quémander auprès des Américains pour pouvoir mettre en orbite leur satellite de télécommunication. Or « les Américains, se souvient Frédéric d’Allest, ancien Directeur général du Centre national d’Etudes spatiales (CNES), ont fait savoir qu’ils voulaient bien lancer Symphonie mais à condition qu’il soit limité à des fonctions expérimentales ». Profitant de leur monopole, les Américains ont donc interdit toute utilisation à des fins commerciales, par souci d’éliminer la possibilité même d’un rival.

    Un véritable déclic, d’après les témoins de l’époque, le diktat américain a finalement permis de lever les obstacles politiques, entre Européens, à la construction de ce formidable outil de souveraineté qu’est le lanceur Ariane. En effet, la leçon fut claire : sans accès indépendant à l’espace, il n’y a tout simplement pas de politique spatiale. Jouer aujourd’hui à l’apprenti sorcier, en procédant à une restructuration dans des conditions et avec des engagements opaques, au risque de fragiliser la position de l’Etat et au profit d’industriels dont le passé, le bilan et le profil sont loin d’être irréprochables – cela mérite au moins débat…

    Hajnalka Vincze (IVERIS, 1er janvier 2016)

     

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  • Trente ans d'art contemporain...

    Les éditions Pocket viennent de publier Comédie de la critique - Trente ans d'art contemporain, un recueil de trois essais que Jean-François Domecq a consacré à la critique de l'art contemporain. Romancier et essayiste, Jean-François Domecq avait contribué au numéro de la revue Krisis Art/Non-art ? (n° 19, novembre 1996), dont la publication avait provoqué une violente polémique dans le petit monde de la bien-pensance parisienne...

     

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    " Ce que l’on a nommé « l’art contemporain » et qui a donné lieu à la dernière « Querelle idéologique du XXe siècle », aura duré trente ans.

    Aujourd’hui, tout le monde s’aperçoit qu’il y avait matière à tri sévère, tant la spéculation financière et la spéculation intellectuelle ont embrayé sur des œuvres qui ont tout du spectacle publicitaire. Autour de ces totems ou hochets, le marché mondial a pris une ampleur telle qu’elle peut bien tout noyer.

    Le lecteur trouvera donc dans ce volume des clés pour comprendre ce qui s’est passé, ce qui fut dit, comment on a produit et promu pareilles démarches artistiques. C’est expliqué et raconté face aux œuvres, mais aussi en campant les attitudes et les modes qui les ont entourées. Les arguments et contre-arguments discutés constituent un vaste test idéologique d’ensemble qui, au total, révèle l’époque telle qu’elle s’est projetée sur ce qu’on nommera historiquement « l’Art du Contemporain »."

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