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Métapo infos - Page 108

  • Les militants vont-ils tuer la littérature ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Patrice Jean au site de la revue Éléments pour évoquer la volonté épuratrice des militants à l'encontre de la littérature.

    Professeur de lettres, Patrice Jean a déjà publié plusieurs romans marquants, dont La France de Bernard (Rue Fromentin, 2013), Les structures du mal (Rue Fromentin, 2015), L'homme surnuméraire (Rue Fromentin, 2017), Tour d'ivoire (Rue Fromentin, 2019), La poursuite de l'idéal (Gallimard, 2021), Le parti d'Edgar Winger (Gallimard, 2022), Rééducation nationale (Rue Fromentin, 2022), Louis le magnifique (Cherche-Midi, 2022) ou dernièrement Kafka au candy-shop (Léo Scheer, 2024).

     

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    Les militants vont-ils tuer la littérature ?

    Patrice Jean fait partie des grands romanciers de notre époque. Après la publication de neuf romans, il a choisi de mettre au clair dans un essai fouillé certaines de ses thèses abordées dans son œuvre romanesque. La littérature est attaquée de toute part (la prétention des sciences sociales, la bêtise militante, le rejet de la fiction et de l’imagination au profit d’autres formes) ; dans Kafka au candy-shop, l’auteur réhabilite une certaine conception de la littérature et lui redonne une place qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

    En juin dernier, sur le plateau de la Grande Librairie de France 5, Faïza Guène (auteur médiocre de romans insignifiants) cherchait à baygoniser Gregor Samsa, le personnage de la Métamorphose de Kafka, qualifiant de « malaisant ce type qui a la flemme de se lever ». Tout le drame de la littérature contemporaine est concentré dans cette séquence méprisante : des écrivains négligeables qui rabaissent, moquent et vident de sa substance la littérature.

    Patrice Jean, boussole indispensable dans le naufrage de la littérature, a accepté de répondre à quelques questions pour la rédaction d’Éléments :

     

     

    ÉLÉMENTS : Comment aviez-vous réagi à cette scène grotesque (dont est issu le titre de votre essai) survenue dans l’émission la Grande librairie ?

    PATRICE JEAN : Je ne l’ai vue qu’après avoir donné le titre du livre à mon essai ! Je vous explique. Le titre que j’avais choisi était La Littérature contre la politique), mais Léo Scheer le trouvait trop abstrait, pour ne pas dire trop « plat ». J’en proposai d’autres qui furent, à leur tour, recalés. J’en discutai un jour avec Bruno Lafourcade, lequel, avant de s’envoler pour les Pays Baltes, me proposa quelques titres, dont Kafka au candy-shop. Je finis par proposer ce titre à Éric Naulleau et Léo Scheer. Sans grand succès. Pourtant, ce titre finit par être retenu. Je regardai bien plus tard l’émission de la Grande Librairie et je compris, à ce moment-là, d’où Lafourcade avait trouvé ce titre. Si l’on a le droit, bien sûr, de ne pas aimer Kafka, tout écrivain doit être conscient de l’importance de Kafka et, s’il n’en est pas conscient, c’est qu’il ne comprend rien de l’art qu’il prétend maîtriser. Dans cette émission, ce qui était choquant, ce n’est pas la critique de Kafka, d’Albert Cohen ou de Stendhal, mais le ton désinvolte et méprisant avec lequel des romanciers parlaient de ces grands écrivains. Je me suis dit : « Ne s’en rendent-ils pas compte qu’ils courent le risque d’être comparés à Cohen ou Kafka ? Et que cette comparaison ne sera pas à leur avantage ? »

    ÉLÉMENTS : Vous défendez une perception littéraire du monde, « un mode littéraire d’exister », en opposition à une vision du monde scientifique (question abordée notamment dans l’Homme surnuméraire). Pouvez-vous nous en dire plus sur cette lutte à mort entre ces deux visions, la minoration de l’importance de la littérature face à la domination des sciences sociales ?

    PATRICE JEAN : La science est, par essence, du côté de la répétition, du collectif. Or l’individu est une singularité. Réduire les hommes à n’être que les reflets de lois sociales me semble une erreur et une faute. D’abord, une erreur, car le collectif, d’une certaine manière, n’existe pas : il n’y a que la vie qui s’éprouve à travers des individus. Un groupe, quel qu’il soit, n’est qu’une addition d’individus ; en soi, le groupe n’existe que dans la conscience de chacun des individus qui le composent. C’est aussi une faute morale au sens où l’individu perd de son importance, ses faits et gestes ne lui appartiennent plus, il se transforme en « objet », en cobaye. Je reste un humaniste pour qui l’homme est le créateur non seulement des valeurs mais du monde lui-même (sans hommes, le monde n’existe pas). La littérature (et l’art en général) est du côté de l’individu, en ce sens, la littérature, comme dirait Sartre, est un humanisme.

    ÉLÉMENTS : Dans votre essai, vous vous opposez au tout-politique et fustigez le militantisme. Jugez-vous que les visions militantes et politiques prennent de plus en plus de place dans le monde littéraire ?

    PATRICE JEAN : Je reproche aux libraires, aux critiques, aux lecteurs, de juger un livre selon les engagements politiques d’un écrivain. Qu’un lecteur n’aime pas les idées d’un romancier et qu’il les lui reproche, je ne vois rien là à redire. En revanche, que ce lecteur dise que le roman est littérairement mauvais au motif que les idées politiques lui déplaisent, voilà ce qui me révolte. Il y a un autre point : aujourd’hui, le champ culturel est dominé par le progressisme. Si l’on considère qu’un écrivain doit prendre des risques et contester son époque, alors, l’écrivain progressiste est dans une position difficile. Pour s’en sortir, il prétend qu’il vit sous la domination de la droite et qu’il lutte contre le retour de la peste brune. D’accord, ai-je envie de lui répondre, mais en attendant, tout le monde t’applaudit et tu ne cours aucun risque. Il me semble qu’il faut rappeler cette contradiction. Enfin, et ce sera mon dernier point, un roman est une enquête existentielle qui transcende les prises de position politique, c’est pourquoi, par exemple, on peut aimer Steinbeck ou Céline, un romancier de gauche et un romancier de droite (car ils sont, par leur art, au-delà de la politique, tout en étant, secondairement, politiques).

    ÉLÉMENTS : Vous évoquez les pétitionnaires et indignés professionnels leveurs de boucliers ; c’est d’actualité avec la pétition qui a réunie des artistes et personnes issues de la culture (essentiellement des poètes autoproclamés que personne ne lit) contre la nomination de Sylvain Tesson en tant que parrain du Printemps des poètes. Le réel vous donne raison, démontrant, s’il le fallait, la domination d’un certain progressisme dans la littérature.

    PATRICE JEAN : Le progressisme domine totalement la littérature. Toutes les consciences sont hypnotisées par l’idée du bien, par le souhait de soulager la vie des hommes, par les catastrophes qui menacent l’humanité. Du moins, c’est ce que disent ces consciences. Je suis persuadé que le jour où il sera bien vu d’être du côté de la réaction, tout le monde, comme un seul homme, deviendra réactionnaire (si jamais un tel jour arrivait, ce dont je doute). En réalité, ce que révèle cette addiction au « Bien » est l’impossibilité, pour ces écrivains, de résister à l’air du temps. Je suppose que la plupart de ceux qui ont signé contre Sylvain Tesson ne l’avaient pas lu. Peu leur importait, ils avaient envie de jeter une pierre sur l’écrivain. Ils se croient le Bien, alors qu’ils sont le Mal. Je pense écrire, un jour, un roman sur ce phénomène. Le dernier roman de Vassili Grossman (Tout passe) a cependant décrit, avec beaucoup d’émotion, les liens démoniaques entre le bien et le mal.

    ÉLÉMENTS : La littérature est méprisée, attaquée – même dans des émissions télévisées prétendument littéraires – par la prétention de la sociologie à déterminer ce qui est, par l’abandon de la fiction romanesque au profit d’autres formes, comment inverser la tendance ? Quelle vision à long terme avez-vous de la littérature ?

    PATRICE JEAN : Attaquer la littérature, c’est attaquer l’humanisme. Tant que l’homme n’aura pas abdiqué, la littérature existera. Il est possible qu’un jour la vie intérieure n’intéresse plus personne. On se contentera des plaisirs des sens, et d’une vie, en somme, animale et végétative. Une vie où des milliards de clones joueront toute la journée, écouteront de la musique de divertissement et baiseront entre deux repas. Alors, qu’on puisse s’interroger sur le sens de la vie déclenchera les rires de cette humanité hilare. Néanmoins, je pense que notre condition est si difficile, et tellement atroce, que le besoin de méditer et d’exprimer l’angoisse de vivre ne disparaîtra pas. En ce sens, je ne désespère pas du désespoir, donc de la littérature et de l’art.

    Patrice Jean (Site de la revue Éléments, 7 février 2024)

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  • L'ère de la pénurie...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai de Vincent Ortiz intitulé L'ère de la pénurie - Capitalisme de rente, sabotage et limites planétaires. Docteur en économie, Vincent Ortiz est chercheur à l'Université de Picardie Jules Verne. 

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    " Stop à la consommation ! Vive le manque ! Pourquoi ces slogans sont-ils martelés à la fois par des écologistes et des pétroliers ? Voici l'histoire cachée d'un compagnonnage souterrain : depuis cinquante ans, les milieux économiques instrumentalisent une fraction de l'écologie politique, profitant de la confusion entre sobriété et austérité. Il fallait Vincent Ortiz pour déchiffrer la stratégie des cartels. Pour décrypter les guerres de l'énergie. Pour décoder comment le rationnement s'opère. Pour montrer comment s'ordonne le « sabotage stratégique » de l'économie et démontrer comment la finitude des ressources justifie l'augmentation des prix. Pas d'accumulation des profits sans organisation de la rareté, et la raison néolibérale prospère sur la pénurie. À l'heure où le changement climatique s'aggrave, l'écologie doit s'affranchir de ces instrumentalisations. Cette analyse inédite en fournit les clés.

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  • Insécurité : plaidoyer pour le libre accès aux armes...

    Le 8 février 2024, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Bertrand Saint-Germain pour évoquer la question du droit des citoyens à posséder des armes. Docteur en droit, universitaire et élu local, Bertrand Saint-Germain est l'auteur de Juridiquement correct - Comment ils détournent le droit (La Nouvelle Librairie, 2023) et de (P)rendre les armes ? (Le Polémarque, 2023).

     

                                            

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  • L'OAS : terroristes ou résistants ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous le nouveau numéro de la Revue d'Histoire Européenne, dirigée par Laurent Berrafato. Ce trimestre le lecteur trouvera un dossier consacré à l'OAS, des articles variés et les rubriques habituelles : actualités, interview, mémoire des lieux, portrait, l’autopsie d’une bataille, l’histoire dans l’art,… 

    Il est possible de se procurer la revue en kiosque ou en ligne sur le site de la Librairie du collectionneur.

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    EXPOSITIONS

    ENTRETIEN 
    Nikola Mirkovic : « L'alignement des planètes en 2024 n'est pas favorable au camp atlantiste »

    MÉMOIRE DES LIEUX
    La coupole d'Helfaut, l'antre des V2

    PORTRAIT 
    François-Médard Racine, corsaire normand

    A L’ÉCOLE DE L'HISTOIRE 
    Georges Dumézil et la tripartition indo-européenne

    GÉOPOLITIQUE
    La dernière folie d'Ursula

     

    DOSSIER
    L'OAS. Terroristes ou résistants ?

     

    LE JAPON ET LA GRECE ANTIQUE
    Un dialogue entre deux civilisations

    LA BONIFICATION AGRICOLE FASCISTE
    L'assèchement des marais pontins

    LES WISIGOTHS DE TOULOUSE
    Le royaume le plus stable du Ve siècle

    HISTOIRE POLITIQUE
    Les Comités de défense paysanne

    AUTOPSIE D'UNE BATAILLE
    58 av. J.-C. : la bataille de Bibracte

    EXPOSITION 
    La République sociale italienne

     

     

     

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  • Russie-Ukraine : Maintenant, la paix...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy consacré à la guerre russo-ukrainienne et diffusé sur Twitter. Publiciste et essayiste, Julien Rochedy, qui est une figure montante de la mouvance identitaire, a déjà publié plusieurs essais dont Nietzsche l'actuelL'amour et la guerre - Répondre au féminisme, Philosophie de droite et dernièrement Surhommes et sous-hommes - Valeur et destin de l'homme (Hétairie, 2023).

     

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    Russie-Ukraine : Maintenant, la paix.
    Appel au réalisme
     
    Notre ami Antoine Dresse vient de sortir un petit livre fort intéressant sur le réalisme en politique. Je crois que c’est exactement ce dont nous avons besoin à présent. Regarder la réalité telle qu’elle est et non comme on aimerait qu’elle soit, et ce faisant, en tirer les plus évidentes conclusions pour l’intérêt de tous. En particulier pour nous, Européens.
    Reprenons donc les faits.
     
    En 2014, les Ukrainiens voulurent se débarrasser d’une tutelle russe insupportable incarnée par le très corrompu président Viktor Ianoukovytch. Ceux qui déclarent que les évènements du Maïdan ne furent qu’une révolution colorée instruite par la C.I.A et les services Allemands mentent ou plutôt ne disent pas toute la vérité.
    Que des services secrets aient agi en sous-main, comme dans toutes révolutions, c’est certain ; que cela discrédite entièrement un mouvement, cela est irrecevable. Au même moment, les services russes agissaient à fond pour maintenir l’Ukraine dans leur giron. Quelles que furent les actions des uns et des autres, il faut convenir qu’une grande partie des Ukrainiens souhaitèrent se rapprocher de l’Europe et plus généralement de l’Occident afin de tourner la page d’une vassalisation qui leur avait coûté très cher dans l’Histoire.
     
    En tant qu’Européens – et pour peu qu’on se soucie un tantinet de l’Europe – nous ne pouvions pas rester insensibles à pareille volonté d’un peuple de notre continent de nous rejoindre et d’être prêt à se battre pour cela.
    Depuis l’invasion de leur territoire de février 2022, les Ukrainiens ont montré toute leur détermination à devenir une nation indépendante de la Russie tournée plus volontiers vers l’Ouest. Ceci, personne ne peut désormais leur enlever : Même les pro-russes les plus acharnés ne peuvent plus nier cette farouche volonté ukrainienne (ils diront peut-être : « cette volonté des ouest-ukrainiens seulement », mais qu’importe). La résistance militaire ukrainienne a surpris tout le monde, Russes comme Occidentaux ; elle a confirmé une nation.
     
    Une véritable nation. Une nation encore imparfaite, certes, mais une nation en armes, et nous Français savons tout particulièrement ce que cela signifie. Une nation qui veut rejoindre l’Europe, et une nation souhaitant – on le comprend – être protégée par l’Alliance Atlantique (OTAN), à défaut d’autre chose. Ceci est un fait qu’absolument personne ne peut nier. Bien sûr, les pro-russes peuvent le déplorer, mais à moins d’écraser pour de bon l’Ukraine, ils doivent à présent faire avec. S’ils ont des reproches à émettre, qu’ils se les servent d’abord à eux-mêmes.
     
    Premièrement, tandis qu’ils étaient si proches ethniquement et culturellement des Ukrainiens, ils ont réussi, par leurs méthodes de gouvernance brutales, à se les aliéner. La C.I.A est puissante mais il ne faut pas toujours tout lui mettre sur le dos pour se dédouaner de ses propres impérities : non, si les Ukrainiens ont voulu regarder vers l’Ouest, ce n’est pas seulement en raison de manipulations diaboliques et de propagande insidieuse. En réalité, les Russes avaient toutes les cartes en main pour faire en sorte que leurs anciens satellites, et plus encore leurs nations sœurs comme l’Ukraine, restassent attachés à leur ancien hégémon. Pourtant, beaucoup de ces pays voulurent prendre le large. Les Russes doivent se demander pourquoi et ne pas toujours se cacher derrière le méchant Occident.
     
    Deuxièmement, si les Russes voulaient à tout prix que les Ukrainiens demeurassent leurs vassaux, ils n’avaient qu’à parvenir à les soumettre militairement. À défaut de ne pouvoir les gagner par leur économie et leur culture, ils pouvaient en effet s’en remettre à la guerre. C’est d’ailleurs ce qu’ils décidèrent de faire. Mais voilà : ce qu’ils pensaient n’être qu’une promenade de santé se révéla être un bourbier, c’est-à-dire un revers. Il s’agit là encore d’un fait, d’un implacable fait que les plus obstinés des pro-russes refusent pourtant d’admettre. Or, si l’on évalue les objectifs initiaux des Russes en février 2022 (à savoir l’effondrement rapide de Kiev et une déroute complète des armées ukrainiennes), nous sommes forcés d’admettre que la guerre d’Ukraine est un échec pour la Russie.
     
    Une fois tout ceci établi, il faut toutefois aussi écouter ce que les Russes ont à nous dire, et surtout prendre en compte les réalités stratégiques. Malheureusement, c’est ce que ne font pas les plus fanatiques des pro-ukrainiens et des américanophiles zélés qui existent, hélas, sur notre continent.
     
    Pour les Russes, nous le savons, la Crimée est essentielle. Les populations vivant dans le Donbass sont, elles, majoritairement russophiles, en tout cas russophones, et ont été bombardées pendant des années par les Ukrainiens. Je le sais car j’ai été dans le Donbass et même si nos amis ukrainiens nient cela ou le relativisent en arguant que le Donbass n’avait pas le droit, légalement parlant, de faire sécession, il faut dire la vérité. J’ai entendu et vu ces bombardements ; qu’ils fussent légitimes ou non n’est pas la question, ou plutôt elle ne l’est plus. La réalité, c’est qu’ils ont participé à creuser un fossé entre l’ouest et l’est ukrainien, autrement dit entre l’Ukraine et la Russie. Ce fossé est très vite devenu une tranchée et c’est à partir de cette dernière que nous devons émettre à présent des propositions réalistes.
     
    Soutenus par les Occidentaux, les Ukrainiens ont fait face héroïquement à ce qu’on prenait il y a peu pour la deuxième armée du monde. Ils ont non seulement stoppé l’invasion, mais ils ont même repris des territoires perdus au début du conflit. Il s’agit d’une prouesse exceptionnelle réalisée au prix d’un immense sacrifice. Ceci est encore un fait.
     
    À deux reprises, en septembre 2022, et au moment de la rocambolesque histoire du groupe paramilitaire Wagner, l’Ukraine et ses alliés crurent même possible une débâcle de l’armée russe, suivie, peut-être, d’un revirement (renversement) politique à Moscou. Ceci aurait rendu possible une reprise par les Ukrainiens des territoires perdus en 2014-2015, le Donbass et la Crimée.
    Ceci n’est pas arrivé. L’armée russe a tenu. Poutine n’a pas été renversé. Le front s’est enlisé. Encore des faits, rien que des faits.
     
    Venons-en donc à l’analyse.
     
    1. Il fallait sans conteste soutenir l’Ukraine économiquement et militairement. Écrasée facilement par la Russie, le message envoyé aurait été terrible : Celui que la Russie pouvait encore faire ce qu’elle voulait avec ses anciens satellites, l’encourageant dès lors dans un impérialisme qui existe bel et bien (seuls ceux qui ne connaissent pas la Russie – ou sont payés par elle – nient que cet impérialisme existe), et celui que l’Occident/Europe abandonne volontiers ses alliés, ses frontières, et même, selon moi, son avenir – tant je crois qu’une grande partie du futur de la civilisation européenne est à l’Est. Que l’Ukraine ait résisté a permis de montrer aux Russes que toute volonté belliqueuse en Europe leur coutera très cher. Que même des victoires ne seraient que des victoires à la Pyrrhus. La résistance ukrainienne, doublée des problèmes internes à la Russie (comme la démographie en berne), pourrait avoir mis enfin fin aux velléités impérialistes russes, et ce pour le plus grand bénéfice des Européens… et en vérité des Russes eux-mêmes.
     
    2. Les Américains ont joué la partie dans leurs propres intérêts (et c’est normal) : si l’armée russe s’effondrait ou même rencontrait d’immenses difficultés sans avoir à se battre directement sur place, cela permettait de réaffirmer leur domination sans pareille et envoyer un message très sérieux à la Chine. D’un autre côté, depuis Obama et confirmés par Trump, de nombreux signaux laissent à penser que les Américains veulent se dégager progressivement de l’Europe afin de se déployer plus tendanciellement dans la Pacifique. Pour ce faire, il fallait que les Russes cessassent de faire peur aux pays de l’Est européen, ceux-là même qui réclament à cor et à cri une présence toujours plus accrue de l’OTAN sur notre continent. Une défaite russe, ou en tout cas des difficultés russes, étaient donc la condition d’un apaisement des Européens de l’Est, atlantistes à l’extrême. Je pense que c’est la raison pour laquelle les Américains ont consenti à l’effort de guerre ukrainien (et Trump le premier en armant l’armée ukrainienne, ce qu’Obama avait refusé de faire) : pouvoir, par un proxy, frapper durement la Russie afin de pouvoir justifier demain un repliement tendanciel tout en ayant convaincus le monde (et en particulier leurs alliés) que leur puissance demeurait intacte. La résistance ukrainienne a plus ou moins accompli cet objectif américain.
     
    3. La Russie n’abandonnera ni la Crimée ni le Donbass. Les armées russes se renforcent à l’aide d’une industrie de plus en plus transformée en une économie de guerre. Après l’échec de la dernière contre-offensive ukrainienne, il faut admettre que les Ukrainiens ne parviendront pas à reconquérir entièrement leurs territoires à l’Est. Dès lors, continuer cette guerre éternellement pour un objectif devenu aujourd’hui largement illusoire – quel que soit son bien-fondé moral, légal, humain etc. – ne sert désormais plus ni l’Ukraine, ni l’Europe. Seuls les Américains peuvent éventuellement bénéficier d’un embourbement persévérant du conflit en séparant pour longtemps l’Europe de la Russie. Et encore, ce conflit leur coûte très cher et il n’est pas certain que le contribuable yankee veuille encore payer longtemps pour une guerre si loin de chez lui. La Russie elle-même, quoiqu’elle en dise, souffre énormément de la continuation de « l’opération spéciale » : son économie rencontre de grosses difficultés à cause des sanctions et une partie de sa jeunesse meurt tragiquement dans des batailles atroces. En tout état de cause, cette guerre coûte aujourd’hui à tous beaucoup et les gains à encore obtenir de part et d’autre sont désormais si faibles et si incertains qu’il est enfin temps à se montrer réalistes et sages, c’est-à-dire enfin parler de paix.
     
    Alors, comment faire cette paix ?
     
    Encore une fois, essayons d’être réalistes – de n’être que réalistes.
     
    Les Russes ne peuvent pas soumettre militairement l’Ukraine. Les Ukrainiens ne peuvent pas récupérer le Donbass et la Crimée. Les Américains ont réalisé une partie de leur objectif en montrant au monde la faiblesse de l’armée russe et la force du soutien à ses alliés, il ne sert plus à rien d’en vouloir davantage – et s’ils en veulent davantage, il faudra que les Européens aient le courage de s’opposer à eux. Les Européens ont besoin d’être partenaires et amis de la Russie. Mais d’une Russie qui aurait renoncé à tout impérialisme suranné. Il y a tout lieu de croire (et en tout cas d’espérer) que la guerre en Ukraine l’ait enfin convaincue qu’elle n’a plus les moyens de ses anciennes ambitions et que des solutions autres que militaires seront préférables à l’avenir.
     
    Partant de là, je crois que nous n’avons pas d’autres choix que d’avaliser l’annexion territoriale de la Russie en Crimée et dans le Donbass. Je sais ce que cela signifie au niveau du droit international, au regard des Ukrainiens et de tous leurs sacrifices, et en vertu de l’histoire du XXème siècle.
     
    Je sais. Je sais et pourtant, devant l’impossibilité immédiate d’une débâcle totale de l’armée russe (qui ne serait d’ailleurs pas souhaitable tant la fédération de Russie pourrait devenir une poudrière – notamment terroriste – en cas d’effondrement de son armée qui conduirait inévitablement à celui de son État), toute continuation de la guerre équivaut à la continuation des sacrifices humains ukrainiens pour désormais presque rien. La prouesse a déjà été accomplie par l’Ukraine : avoir résisté à l’invasion. Regagner les territoires perdus est aujourd’hui une gageure, qu’on le veuille ou non.
     
    La Russie, s’étant assurée de la Crimée et du Donbass, pourrait tonitruer de sa victoire ; son orgueil en a besoin pour accepter la paix. Comme avec la bataille de la Moskova, elle transformera ce qui fut plutôt un échec en grande réussite. Grand bien lui fasse, car secrètement, elle saura qu’il lui est maintenant extrêmement difficile de vouloir davantage, et que le destin de l’Ukraine s’inscrira dorénavant du côté de l’Europe et de l’Occident. Elle aura donc gagné la Crimée, mais elle aura perdu l’Ukraine et plus généralement l’Est de l’Europe. Le deal, je crois, est acceptable.
     
    Car il faudra une compensation à l’Ukraine pour accepter de perdre ses territoires à l’Est. Celle-ci prend le visage d’une évidence : elle doit entrer dans l’Europe et, en attendant d’avoir une véritable alliance militaire indépendante des Etats-Unis (celle à laquelle je crois et espère de tous mes vœux), d’entrer dans l’OTAN. Les Russes ne seront certes pas heureux, mais ce sera le prix à payer pour la Crimée, le Donbass, la fin des sanctions et surtout la fin de la guerre. Puisqu’ils doivent savoir que l’Ukraine ne se rendra pas et qu’en vérité elle fait déjà pratiquement partie de l’OTAN, il faudra qu’ils avalisent, eux-aussi, en grands réalistes, ce fait pour de bon.
    Aujourd’hui, seuls des idéalistes des deux côtés s’imaginent, au choix, que la Russie finira par triompher sur l’Occident en Ukraine, ou que les Occidentaux triompheront des méchants Russes en récupérant tous les territoires ukrainiens et, pourquoi pas, en renversant Poutine. Pendant que ces idéalistes des deux côtés rêvassent, des milliers de jeunes meurent dans une guerre tragiques et deux civilisations sœurs, l’Europe et la Russie, se tournent violemment le dos alors qu’elles auraient tant à faire ensemble.
     
    Je le répète alors : soyons donc réalistes, rien que réalistes. C’est dans le seul réalisme que se trouve la voie vers la paix, et c’est pourquoi il faut désormais faire taire les idéalistes des deux côtés.
     
    Être réalistes, rien que réalistes : être donc pour la paix, le plus vite possible.
     
    Julien Rochedy (Twitter, 9 février 2024)
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  • Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier un court essai de Pierre Le Vigan intitulé Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne. Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015), Achever le nihilisme (Sigest, 2019), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022), La planète des philosophes (Dualpha, 2023) et Le coma français (Perspectives libres, 2023).

     

    Le Vigan_Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne.jpg

    " La guerre est là. Tout près. En Ukraine, au Proche-Orient, en Arménie. Et demain ? La guerre fait partie des constantes de l’histoire. Des intérêts
    économiques, territoriaux et symboliques sont en jeu. Au sein desquels les montées aux extrêmes sont possibles. Pour la cohésion de la nation, la guerre est l’épreuve de vérité. Tout cela, Clausewitz l’a pensé. Officier, théoricien et historien de la guerre, Carl von Clausewitz a vécu les guerres de la Révolution et de l’Empire. Il a vu la collaboration des élites allemandes avec Napoléon. Si depuis, les moyens de destruction ont été multipliés, les constantes politiques liées à la guerre subsistent. C’est ce que montre l’auteur de cet essai sur l’actualité de Clausewitz, penseur de la guerre. "

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