Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Métapo infos - Page 1001

  • Les deux visages du somnambulisme politique français...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Vincent Coussedière, cueilli sur Causeur et consacré à Nuit Debout et aux primaires, deux symptômes de la perte de sens du réel dont souffre la politique...

    Agrégé de philosophie et élu local, Vincent Coussedière est l'auteur d'un essai intitulé Le retour du peuple - An I (Cerf, 2016).

    Somnambulisme.jpg

    Les deux visages du somnambulisme politique français

    Tout oppose, en apparence, le phénomène de Nuit debout et celui de l’inflation des candidatures à la présidentielle de 2017. D’un côté se manifeste la revendication d’une politique sans candidat ni représentant attitrés, d’une démocratie directe refusant toute délégation de pouvoir. De l’autre s’exprime l’attachement aux institutions de la Vème République, l’idée que rien ne peut se faire sans accéder à la fonction suprême de président. On se regarde d’ailleurs des deux côtés avec méfiance et hostilité, chacun pensant mieux représenter l’essence de la politique que l’autre. Les partis et les candidats n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer le caractère utopique et uniquement contestataire de Nuit debout. Les partisans de Nuit debout n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer la confiscation du pouvoir par les puissants et la trahison de leurs engagements, affichant un mépris souverain pour l’échéance présidentielle.

    Une telle interprétation a pour elle le charme rassurant de donner une certaine réalité à une opposition permettant à chaque « camp » de se persuader de sa propre consistance, opposition qui serait celle de l’éthique de la conviction et de l’éthique de la responsabilité selon Max Weber. En réalité, l’hystérie présidentielle des primaires et l’hystérie participative de Nuit debout sont un seul et même phénomène, témoignant de l’effondrement d’une offre politique, incapable de se mettre au niveau de la demande des Français. On appelle « populisme » le résultat de l’inadéquation entre cette offre et cette demande…

    Depuis quatre ans, le bavardage est incessant

    La Nuit debout de la politique a commencé depuis longtemps, et c’est pourquoi le peuple est épuisé, et se détourne de celle-ci, parfois définitivement.  L’existence des Français ne se confond pas avec celle d’Homo festivus, ni même avec celle de ses variantes : Homo mediaticus, Homo politicus, Homo intellectus, qui, restant debout toute la nuit, se couche trop souvent le jour…  Les Français ont très peu de curiosité pour ces deux visages du somnambulisme politique que sont Nuit debout et la campagne pour la présidentielle de 2017, dont ils ont d’ailleurs le sentiment qu’elle a commencé depuis fin 2012. On aurait donc tort de croire que le bavardage, les assemblées générales permanentes, la circularité des débats, sont l’apanage de Nuit debout, et apportent quoi que ce soit de nouveau à la situation que vit le pays. Il y a longtemps qu’on ne cesse de parler de ce qu’il faudrait faire pour que le pays aille mieux. Mais depuis quatre ans, ce bavardage est devenu incessant. La France est entrée en campagne permanente. Elle ne cesse de débattre sur ce qu’il faudrait faire et qu’on ne fait pas. Elle vit sa Nuit debout presque 24 heures sur 24, par l’intermédiaire de l’agora médiatique et intellectuelle. Elle semble ainsi être devenue toute entière spectatrice et commentatrice d’elle-même. L’indifférence de plus en plus profonde que le peuple français éprouve face à une parole politique devenue autoréférentielle est un symptôme de saturation.

    Les candidats sont en effet sur la ligne de départ depuis l’élection même de François Hollande, comme si celle-ci n’avait pas eu lieu. Ils poursuivent une campagne présidentielle continuelle à l’intérieur de laquelle le mandat effectif disparaît. Ils ne profitent pas de leur passage dans l’opposition pour un retrait méditatif et salvateur. Ils ne s’opposent pas véritablement. Ils commentent. Et, au même titre que les journalistes et autres médiatiques, participent au débat, puis au débat sur le débat, et ainsi de suite… Pour échapper à l’impression de vanité que pourrait produire cette parole permanente, les candidats écrivent des programmes, puis des livres sur leurs programmes, puis réalisent des entretiens sur ces programmes… On a fini par croire qu’il fallait dire avec le plus de précision possible ce qu’il faudrait faire pour que ce soit fait. D’où l’inflation programmatique de nos candidats qui n’a rien à envier à l’inflation de paroles dont s’enivre Nuit debout. D’où l’hyper-volontarisme dont chacun veut faire preuve dans une surenchère permanente : ce qu’on veut faire on le fera dans les six mois, on le fera par ordonnance, etc. On poursuit le fantasme d’une politique qui serait la transmutation la plus directe possible de la parole en acte, en transformation de la réalité, par la médiation de la toute-puissance de la loi. Les technocrates eux-mêmes s’y mettent et pondent, grâce à une prétendue démocratie participative, un hyper-programme, sous l’orientation bienveillante de Jacques Attali, lequel voit d’un regard attendri le phénomène Nuit debout. Ne vient-il pas aussi d’organiser sa propre Nuit debout techno-participative ? Et que dire de l’organisation d’une primaire citoyenne, grâce à l’inimitable Alexandre Jardin, qui rencontre un engouement tel que le serveur Internet explose sous l’abondance des contributions ?

    Le réveil sera brutal

    Nous sommes entrés dans l’ère, non plus du langage performatif, mais de la politique performative, non plus dans la croyance que dire c’est faire, mais que faire c’est dire… Et chose remarquable, le président lui-même, comme son Premier ministre, sont entrés dans cette Nuit debout permanente. Ils se comportent comme des candidats qui continuent de dire ce qu’il faudrait faire alors qu’ils sont au pouvoir ! Ce n’est pas le président normal que François Hollande incarne mais le candidat permanent, devenu tellement incertain de son pouvoir que l’exercice de sa présidence apparaît comme un contretemps entre deux candidatures. Que c’est ennuyeux, quand même, le pouvoir : il ne suffit plus de dire ce qu’il faudrait faire mais le faire effectivement… Vive la prochaine candidature permettant de faire de nouvelles promesses ! Inversement, l’ancien président et sans doute futur candidat, Nicolas Sarkozy, se comporte comme s’il était toujours président, et son statut de candidat lui semble insupportable entre deux présidences ! Il occupe sa non-présidence actuelle en revenant sur sa présidence passée pour la justifier, et préparer sa présidence à venir ; comme Hollande ne cesse d’occuper sa présidence actuelle en revenant sur sa candidature passée pour la justifier, et préparer sa candidature à venir ! L’un se comporte comme candidat quand il est président et l’autre comme président quand il est candidat…

    C’est que nos politiques, candidats précaires de l’opposition ou installés au gouvernement, comme nos intellectuels, précaires de Nuit debout ou installés à l’université, partagent une situation commune : ils sont les spectateurs d’une réalité qui leur échappe parce qu’ils ne la produisent plus et qu’ils tentent de rejoindre par une forme de volontarisme désespéré. Autour d’eux, le peuple français, seul à même de donner une âme et de soutenir par son action un projet politique, s’est dérobé. Ne reste plus qu’une poignée de « militants » devenus « supporters » dans les écuries des « présidentiables », d’étudiants devenus somnambules de la place de la République, d’individus devenus Internautes participatifs à la primaire citoyenne d’Alexandre Jardin ou au techno-programme de Jacques Attali, d’intellectuels continuant à croire que l’Idée républicaine descendra bientôt du ciel pour nous tirer du marasme avec la venue du printemps.

    Non, décidément, nous ne sommes pas près de sortir d’un somnambulisme politique qui présage de nouveaux réveils brutaux. Les Français semblent l’avoir compris, qui se couchent la nuit pour tenter de tenir debout le jour !

    Vincent Coussedière (Causeur, 27 avril 2016)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Un parti de masse à droite...

    Les éditions du CNRS viennent de publier sous la direction de Serge Berstein et de Jean-Paul Thomas un ouvrage collectif intitulé Le PSF - Un parti de masse à droite. Si l'on excepte la grosse biographie que Jacques Nobécourt avait consacré au fondateur et président du PSF, Le colonel de La Rocque ou les pièges du nationalisme chrétien (Fayard, 1996), il n'existait aucune monographie récente et conséquente consacrée à ce parti, dont la montée en puissance, bien réelle, a été brisée par la guerre.

     

    PSF.jpg

    " Fondé par le colonel de La Rocque en 1936 après la dissolution des Croix de Feu, le PSF (Parti social français) a connu un succès foudroyant, avant que le déclenchement de la guerre en 1939 ne brise son élan, puis ne provoque sa disparition. Avec plus d'un million d'adhérents à son apogée, il fut la formation politique la plus nombreuse jamais réunie depuis la naissance des partis. Paresseusement assimilé au " fascisme " par ses détracteurs, le PSF s'inscrit en réalité dans une généalogie bien différente, qui relève de l'histoire de la droite française et de ses mutations du XIXe siècle à nos jours. Les auteurs réunis dans cet ouvrage décryptent les influences croisées qui ont façonné l'idéologie du PSF, et en particulier l'héritage du catholicisme social, cherchant sa réintégration dans la cité après l'expérience de la Première Guerre mondiale, combiné à une version du nationalisme en voie de modération après l'expérience unanimiste de l'Union sacrée. Ce sont bien ces deux courants qui irriguent l'expérience du PSF et font de celui-ci l'aboutissement de l'évolution qui conduit du bonapartisme à la république autoritaire par le fil directeur de la démocratie plébiscitaire. Une analyse rigoureuse et dépassionnée pour comprendre l'origine de la droite moderne. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • L'offensive judiciaire globale des Etats-Unis...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'une conférence de Jean-Michel Quatrepoint, donnée devant la fondation Res Publica et cueillie sur le site d'Euro-Synergies.

    Jean-Michel Quatrepoint, qui a publié en 2015 Alstom, scandale d'Etat (Fayard, 2015), explique comment les États-Unis utilisent l'arme du droit contre leurs adversaires économiques...

     

    Justice américaine.jpg

    États-Unis: Une offensive judiciaire globale

    L’exportation du droit américain, l’extraterritorialité des lois américaines est un processus qui ne date pas d’aujourd’hui. Voilà des années, voire des décennies que les États-Unis développent une stratégie globale d’hyperpuissance en s’appuyant sur un arsenal juridique et en imposant leurs lois, leurs normes, au reste du monde. Il aura fallu l’amende colossale infligée à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars) et celle qui, infligée à Alstom (772 millions de dollars), fut la véritable cause, quoi qu’en dise le PDG d’Alstom, de la vente de la division « énergie » à General Electric, pour que nos dirigeants découvrent la réalité d’une guerre économique engagée depuis des décennies. Ils ont ainsi découvert, tardivement, le caractère meurtrier d’un arsenal juridique dont la mise en place remonte à plus d’un quart de siècle.

    Dans la décennie 90, après l’effondrement du communisme, les États-Unis vont se doter d’une série de lois qui concernent les entreprises américaines mais aussi toutes les entreprises étrangères. La majorité de ces lois, Trade Acts ou embargos, permettent aux responsables américains du commerce d’identifier et de sanctionner les comportements « injustes et déraisonnables » des acteurs économiques rivaux des Américains.

    On peut classer ces textes dans quelques grands chapitres :
    Le plus connu aujourd’hui est la lutte contre la corruption, le fameux Foreign Corrupt Practices Act(FCPA) qui s’appliquait aux entreprises américaines qui versaient des pots de vin aux fonctionnaires et aux hommes politiques pour obtenir des contrats. En 1998, ce FCPA est étendu aux entreprises étrangères et il va servir de modèle à la convention OCDE censée réprimer la corruption, notamment en matière de grands contrats.

    Le second chapitre est une batterie de lois qui criminalisent le commerce avec les États sous embargo américain. Certaines de ces lois sont bien connues, telles les lois Helms-Burton et D’Amato qui sanctionnent les entreprises commerçant avec l’Iran, Cuba, la Libye, le Soudan etc. (au total il y aura 70 embargos américains à travers le monde). En 2006, un banquier britannique, un des dirigeants de la Standard Chartered, dira : « Putains d’Américains, qui êtes-vous pour nous dire et pour dire au reste du monde que nous ne devons pas travailler avec les Iraniens ? ». Quelques années plus tard la Standard Chartered devra payer 700 millions de dollars d’amende pour avoir commercé avec l’Iran.

    Autre chapitre, une batterie de lois criminalisent le commerce avec les pays sous embargo ONU.
    Ensuite viendra le blanchiment de l’argent sale des terroristes ou des narcotrafiquants.

    Le Patriot Act, édicté en 2001 après l’attaque sur les Twin towers, sous couvert de lutte contre le terrorisme, donne des pouvoirs élargis aux différentes agences pour accéder aux différentes données informatiques.

    Enfin la loi Dodd-Frank de juillet 2010 confère à la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain de la bourse, le pouvoir de réprimer toute conduite qui, aux États-Unis, concourt de manière significative à la commission de l’infraction, même lorsque la transaction financière a été conclue en dehors des États-Unis et n’implique que des acteurs étrangers. Cela va donc très loin.

    Cerise sur le gâteau, en 2014, le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) donne au fisc américain des pouvoirs extraterritoriaux qui contraignent les banques étrangères à devenir ses agents en lui livrant toutes les informations sur les comptes et avoirs des citoyens américains dans le monde. Si elles n’obtempèrent pas, 30 % de leurs revenus aux États-Unis sont confisqués et, plus grave encore, elles peuvent se voir retirer leur licence. Or, pour une banque, notamment les plus grandes, ne plus pouvoir travailler aux États-Unis et ne plus pouvoir compenser en dollars équivaut à un arrêt de mort. On a souvent voulu voir derrière le FATCA le moyen pour les Américains de faire enfin plier les banquiers suisses, les « gnomes de Zurich », les obliger à abandonner leur sacro-saint secret bancaire. C’est vrai… mais c’est l’arbre, moral et médiatique, qui cache la forêt. Ainsi, BNP Paribas a été contrainte de fournir dans le cadre de son amende la liste des comptes de ses clients américains et franco-américains. C’est ainsi que des personnes fort respectables, qui ont la malchance d’avoir la double-nationalité mais qui ont toujours gagné et déclaré leur argent en France, sans avoir de revenus aux États-Unis, sont sommées par l’Internal Revenue Service (IRS), le fisc américain, de fournir toutes leurs déclarations d’impôts. Si jamais elles ont payé moins en France que ce qu’elles auraient payé aux États-Unis, l’IRS leur réclame la différence. Cela s’appelle du racket.

    Avec le recul, on s’aperçoit qu’il est très difficile de contester chacune de ces mesures : Qui va s’élever contre le fait de lutter contre la corruption… ? De même qui n’est favorable à la répression des narcotrafiquants et du blanchiment de leur argent ? Il en est de même du terrorisme. C’est là toute l’habileté du projet américain théorisé en 2004 par Suzanne Nossel, laquelle a inspiré Hillary Clinton lorsque cette dernière était secrétaire d’État.

    C’est la théorie non du soft power mais du smart power, affirmation par les États-Unis d’une vision universelle au nom de leur compétence universelle.

    Les États-Unis se vivent comme le nouveau peuple élu. Leurs victoires contre les forces du mal (en 1945 contre le nazisme, plus tard contre le communisme), leurs performances économiques, témoignent de la supériorité de leur modèle. Il est donc normal que tous les autres peuples adoptent ce modèle car la globalisation implique l’uniformisation. Les États-Unis énoncent donc de grands principes, valables pour tous et que tous sont contraints de respecter à travers un arsenal juridique, à travers la puissance du dollar, à travers les technologies qui permettent de tout savoir (on pense à la NSA). Le tout, bien sûr, pour le bien commun.

    Cette compétence universelle, par définition, s’applique à toutes les activités humaines. L’offensive contre la FIFA et Sepp Blatter (et par ricochet contre Michel Platini), a été menée par les Anglo-saxons, par les Américains. Une offensive fort habile car chacun sait que la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), comme le CIO (Comité international olympique), sont des lieux où le népotisme et la corruption règnent en maîtres. Pour les Américains, il s’agit de faire exploser ce système et de le remplacer par un autre où la puissance américaine sera dominante et imposera ses règles.

    Il est très difficile de s’opposer à ce smart power, véritable idéologie qui s’appuie sur la défense des droits de l’homme, la libre concurrence non faussée, le droit des consommateurs, le droit des minorités etc.

    Cette stratégie s’appuie également sur les ONG anglo-saxonnes. Ce sont elles qui sont à l’origine de l’affaire Volkswagen. Loin de moi l’idée de défendre Volkswagen et l’industrie automobile allemande mais il est intéressant d’observer comment cette affaire s’est déroulée. Au départ, le lobby automobile européen, dominé par les industriels allemands, avait de très bonnes relations avec la Commission européenne et, évidemment, les normes de pollution et de consommation en Europe ont été fixées avec l’assentiment des constructeurs automobiles. Nous avons tous pu constater que l’affichage des consommations des véhicules ne correspond absolument pas à la réalité sur le terrain. Il se trouve que Volkswagen avait misé sur le diesel, invention essentiellement européenne, pour pénétrer le marché américain. Or, aux États-Unis, les normes anti-pollution pour le diesel sont beaucoup plus rigoureuses qu’en Europe, notamment pour les particules fines (on pourrait parler d’une norme protectionniste). Volkswagen a décidé, pour pénétrer le marché américain avec ses véhicules diesel, d’installer secrètement un logiciel fourni par Bosch. Logiciel qui permettait de masquer la réalité de émissions de particules. Ce truquage est découvert par une ONG américaine qui dévoile l’affaire en 2014 et transmet le dossier à l’agence fédérale de protection de l’environnement. C’est alors que l’affaire commence. Volkswagen, qui a effectivement triché, est piégée. Les media s’en mêlent, la machine s’emballe (48 Class actions, dans 48 États différents). La machine de guerre judiciaire américaine s’est mise en branle et le coût pour Volkswagen, indépendamment du coût pour son image, va se chiffrer en dizaines de milliards de dollars. Volkswagen (tout comme sa filiale Audi) avait énormément misé sur les États-Unis : le marché américain devait être le nouvel eldorado pour le constructeur automobile allemand qui espérait s’implanter aux États-Unis, bénéficier du dollar, d’une main d’œuvre moins chère qu’en Europe pour réexporter ensuite des modèles ou des sous-ensembles sur le marché européen et sur l’Asie. Ambition que l’industrie automobile américaine, en plein renouveau, grâce aux subventions données notamment à General Motors, ne voit pas d’un très bon œil. Est-ce un hasard si l’affaire du petit logiciel de Volkswagen a émergé ? Ce qui va se passer sur l’affaire Volkswagen est important car, si les Allemands plaident coupables, ils ont cependant commis un crime de lèse-majesté début janvier en refusant aux prosecutors et aux enquêteurs américains l’accès à leurs données, notamment sur le sol allemand. En effet, quand la machine judiciaire américaine est en branle (les entreprises qui sont « passées dans la moulinette » en savent quelque chose), les enquêteurs américains déboulent et ont accès à tout, mails, documents etc. Or les Allemands, invoquant la German law, qui interdit la communication de données à des puissances étrangères extérieures à l’Union Européenne, ont refusé de donner l’accès aux documents et aux mails internes à leur siège social. Les Allemands iront-ils jusqu’au bout du bras de fer, refuseront-ils d’obéir aux injonctions de la justice américaine? Cela peut se terminer par l’obligation pour Volkswagen de fermer ses usines aux États-Unis. On est là dans un processus lourd de conséquences.

    Les États-Unis, forts de leur puissance, ont donc développé un arsenal juridique tous azimuts. Ils décident qui peut commercer avec qui. Ils peuvent décider aussi d’éliminer les concurrents. Les entreprises françaises en savent quelque chose avec l’Iran. À la différence de ce qui se passait dans les années 80-90, ils bénéficient de la position du dollar: 78 % des transactions mondiales se font en dollars et tout est compensé par les États-Unis. Comme toutes les transactions en dollars transitent par les États-Unis, toute transaction en dollars est soumise à la loi américaine. Ils ont aussi les écoutes : on a découvert que la NSA et les services américains écoutaient systématiquement tout, y compris les chefs d’État… et personne n’a protesté. Et surtout, cette extraterritorialité devient un extraordinaire business qui profite d’abord aux Américains. Les amendes proprement dites commencent à atteindre des montants conséquents. Pour les banques, le total des amendes infligées par la justice américaine est de 125 milliards de dollars, dont une bonne partie concerne les banques américaines. Mais les banques américaines ont été condamnées pour les affaires de subprimes (aucun banquier américain n’a fait de prison) tandis que les banques européennes et japonaises ont été condamnées pour avoir violé des embargos. Les banques suisses ont payé un très lourd tribut pour ne pas avoir communiqué à temps un certain nombre de données.

    On en est aujourd’hui à 35 milliards de dollars d’amendes pour les banques étrangères et une demi-douzaine de milliards de dollars pour les groupes industriels. Sur les dix premières amendes infligées, notamment pour des affaires de corruption, aux groupes industriels, neuf concernent des groupes étrangers. Le record va à Siemens (800 millions de dollars) suivi par Alstom (772 millions de dollars).

    Cet argent sert d’abord à l’auto-alimentation du système judiciaire américain (la SEC, le Trésor, le DOJ etc.) dont les coûts annexes sont considérables. Le système judiciaire américain, les centaines de milliers de lawyers des cabinets, sont embauchés par les entreprises et vivent « sur la bête ». L’argent des amendes fait donc vivre le système judiciaire américain au sens large. S’y ajoute la contestation de brevets etc. L’application de ce système de l’extraterritorialité est un formidable business qui alimente la machine judiciaire et juridique américaine.

    Les gens de BNP Paribas seront sans doute heureux d’apprendre qu’une partie de leur amende va servir à indemniser les citoyens américains qui avaient été victimes de la prise d’otages à l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979. Plus de cinquante personnes, retenues pendant 444 jours, n’avaient jamais été indemnisées parce que, dans l’accord entre l’Iran et Ronald Reagan, l’Iran avait refusé de payer quelque indemnité que ce soit (l’une des raisons pour lesquelles les Iraniens avaient pris en otage les personnels de l’ambassade américaine était la « prise en otage » par les Américains des compte iraniens à la Chase Manhattan Bank…). Le Congrès a l’intention d’utiliser 1 à 2 milliards de dollars, pris sur l’amende de BNP Paribas, pour indemniser ces ex-otages américains.

    Plus grave : les accords que les entreprises étrangères sont contraintes de signer s’accompagnent généralement de la mise sous tutelle de fait de ces entreprises qui, de par le settlement, l’accord passé avec la justice américaine, subissent pendant six mois, un an, trois ans… la présence de contrôleurs indépendants chargés de vérifier que l’entreprise condamnée se conforme bien à toutes les règles de la compliance américaine. Alcatel Lucent avait été condamnée il y a quelques années à une amende pour corruption à propos d’affaires qui remontaient au début des années 2000 (le montant, moins important que celui infligé à Alstom, s’élevait quand même à 170 millions de dollars). Contrainte d’accepter pendant trois ans la présence d’un contrôleur indépendant, Alcatel Lucent devait lui donner toutes les informations que ce contrôleur jugeait utiles à la réalisation de sa mission. D’aucuns disent que Alcatel Lucent a été ainsi pillée pendant quelques années par la justice américaine. Les secrets de fabrication et un certain nombre de données essentielles peuvent être transférés ainsi à une puissance étrangère.
    L’extraterritorialité du droit américain permet à la puissance américaine, sur les secteurs qu’elle estime stratégiques, d’asseoir sa domination.

    Merci.

    Jean-Michel Quatrepoint (Fondation Res Publica, 1er février 2016)

    Lien permanent Catégories : Conférences, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Commentaires sur l’extrême radicalité des temps derniers...

    Les éditions du Retour aux Sources viennent de publier un essai de Francis Cousin intitulé Commentaires sur l'extrême radicalité des temps derniers - Critique de la dictature démocratique du spectacle de la marchandise terminale. Docteur en philosophie et penseur radical, Francis Cousin est l'auteur de Critique de la société de l'indistinction (Editions Révolution sociale, 2007) et de L'être contre l'avoir (Le retour aux Sources, 2012).

     

    Commentaires_Cousin.jpg

    " Voilà plus de trente ans que Francis Cousin s'est attaché à produire une critique radicale du spectacle mondialiste de la marchandise autocratique, de sa décadence universelle, de ses manœuvres monétaires intensives et de ses grandes manipulations terroristes étatiques. Ainsi, il en dé-voile ici la généalogie, le développement et la fin en identifiant la dialectique historique des longues durées par laquelle a pu finir par se réaliser l’économie politique de la tyrannie démocratique du mouvement de l’argent. Il est, entre autres ouvrages, l’auteur de L’Être contre l’Avoir

    En prolongement de la pensée critique des présocratiques, de Hegel et de Marx et en relation avec les luttes pratiques du mouvement communier multiséculaire, il dé-crypte le devenir du temps long dans une série de Commentaires où la pensée radicale permet à la fois de démontrer et dé-monter le mensonge quotidien qui, dans chaque fait, laisse apparaître les déterminations et les forces productives de la vie fausse…

    En s’appuyant sur la tradition primordiale de la communauté de l’Être telle qu’elle exprime la vie générique du cosmos non divisé par le travail aliénatoire des échanges, Francis Cousin nous invite à nous émanciper de la liberté despotique de la vérité inversée. Oui, ce sont bien les puissances ténébreuses de l’accumulation capitaliste qui sont partout à l’œuvre et ce sont elles que l’humanité tout entière doit affronter en s’appuyant sur une conscience d’insoumission enfin retrouvée pour que la négation spectaculaire de l’épanouissement humain soit niée à son tour. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Transparence : vers la société de surveillance...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'exigence, portée par les médias, de transparence dans la vie publique...

    Directeur de la revue Krisis, Alain de Benoist vient de rééditer, chez Pierre-Guillaume de Roux, dans une nouvelle version largement augmentée son essai intitulé Au de là des droits de l'homme.

    Alain de Benoist 2.jpg

    Alain de Benoist : Transparence : vers la société de surveillance

    En politique, la « transparence » semble aujourd’hui devenue une vertu en soi, et les « lanceurs d’alerte » sont en passe de devenir des héros. On vient de le voir à nouveau avec l’affaire des « Panama Papers ». Faut-il s’en féliciter ?

    Lors de son tout premier Conseil des ministres, le 17 mai 2012, François Hollande avait fait adopter une « charte de déontologie » qui stipulait que « le gouvernement a un devoir de transparence ». Un an plus tard, en février 2013, un projet de « moralisation de la vie publique » faisait obligation aux ministres de publier leur patrimoine, c’est-à-dire de donner le détail de leurs biens, d’indiquer s’ils avaient fait des emprunts, s’ils avaient hérité, possédaient des actions, seuls ou avec leur femme, etc. Ce projet était en fait parfaitement inutile, d’abord parce qu’il n’empêchait pas le mensonge, ensuite parce qu’il exposait les intéressés à une curiosité malsaine, plus intéressée à connaître le montant des patrimoines qu’à en connaître l’origine.

    Outre que l’intégrité n’a jamais été un gage de compétence politique, la politique ne saurait évidemment se réduire à ce genre de démarches qui reviennent à croire que la morale publique peut être calquée sur le modèle de la morale privée. C’est, en outre, parfaitement contre-productif, car à nourrir la suspicion sur les hommes politiques, on ne fait que renforcer le sentiment populiste qu’ils sont « tous pourris ».

    Beaucoup de choses mériteraient, bien entendu, d’être rendues plus transparentes, à commencer par le financement des partis, le fonctionnement des institutions ou les opérations de la finance internationale. Mais la transparence ne peut viser que certains domaines. Quel gouvernement accepterait, au nom de l’idéal de transparence, de rendre public ce qui relève du secret défense, du secret diplomatique ou de la recherche sur l’innovation ? Le résultat est que l’hypocrisie est la règle. Un seul exemple : à la suite des révélations des « Panama Papers », l’avocat chilien Gonzalo Delaveau, convaincu d’avoir placé de l’argent sur un compte offshore non déclaré, a été obligé de remettre sa démission. Or, ce Delaveau était le président de « Chile Transparente », branche chilienne de l’organisation Transparency International !

    Mais d’où vient cette idée de « transparence » ?

    L’obsession de la transparence se situe dans le droit fil d’une philosophie des Lumières qui prétendait éclairer les coins sombres pour faire disparaître les « superstitions d’un autre âge ». Elle a aussi quelque chose de protestant, dans la mesure où elle cherche à faire disparaître les intermédiaires à la façon dont la Réforme a voulu abolir tous les cadres institutionnels susceptibles de faire écran entre le fidèle et son Dieu. Enfin, l’un des grands principes de la « société ouverte » telle que la rêvent les théoriciens libéraux est que toutes les informations doivent, à l’instar des marchandises et des capitaux, circuler sans entraves pour être accessibles à tous. La transparence devient ainsi une sorte de loi supranationale qui peut justifier n’importe quoi – ce qui ne l’empêche pas de relever de l’empire du bien. Comme le disait Jean Baudrillard : « Aujourd’hui, décidément, il faut se battre contre tout ce qui vous veut du bien ! »

    La « transparence » n’a-t-elle pas aussi une dimension fondamentalement répressive ?

    Le désir de tout rendre visible est en effet indissociable du désir de tout contrôler. C’est pourquoi l’exigence de transparence comme idéal social doit s’analyser dans le cadre plus vaste d’une « société de verre », où la transparence est essentiellement assurée par des mesures de contrôle et de surveillance. Les citoyens, malheureusement, y contribuent eux-mêmes avec Internet, le téléphone portable et les réseaux « sociaux », dans un déchaînement narcissique allant vers toujours plus de mise à nu. Le goût de la confession intime, la télé-réalité, l’architecture de verre, la vogue des habits légers, l’instauration de l’« open space » dans les entreprises vont dans le même sens. Voyeurisme et exhibitionnisme s’entretiennent mutuellement pendant que les pouvoirs publics enregistrent les données. Au sens propre, il y a là quelque chose d’obscène. La pornographie, c’est quand on ne cache rien. L’étalage de soi, tout comme l’injonction à ne jamais rien « dissimuler », est une forme de pornographie. L’identité se construisant elle-même autour de l’intime, la surexposition de soi entraîne sa destruction. Le point d’aboutissement, c’est le panoptique de Bentham.

    Jean Lacouture, dans son Éloge du secret (2005), n’avait pas tort de rappeler que la vie en société a besoin d’une certaine dose d’opacité. De même que le secret est l’un des attributs de la liberté, l’opacité est la condition même de la vie privée. Or, on efface toujours un peu plus la frontière entre la vie publique et la vie privée en généralisant les mesures intrusives visant la vie personnelle, l’intime, voire le for intérieur (en Suède, n’importe qui peut exiger par demande écrite de pouvoir consulter la déclaration d’impôts de son voisin). La tyrannie de la transparence rejoint alors la police de la pensée.

    Enfin, cette même exigence de transparence est aussi à la racine de l’obsession juridique qui consiste à vouloir réglementer jusque dans les plus infimes détails des rapports sociaux qui relevaient autrefois du jardin secret (ou du secret de famille), et à placer dans la dépendance des seuls mécanismes impersonnels ce qui s’opérait de façon naturellement spontanée dans la bienheureuse opacité organique des sociétés traditionnelles.

    Cela dit, soyons réalistes : l’instauration de la « transparence » totale est impossible dans une société qui repose sur la cannibalisation du réel par les signes, c’est-à-dire l’abolition du réel au profit du simulacre !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 21 avril 2016)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Les Stratagèmes...

    Les éditions Economica viennent de rééditer, sous la direction de Pierre Laederich,  Les Stratagèmes, de Frontin, texte classique de l'art militaire romain du Haut-Empire. Ancien élève de l'École Normale Supérieure, diplômé de l'Institut d'Études Politiques de Paris et docteur ès lettres classiques, Pierre Laederich a contribué à divers ouvrages consacrés aux guerres antiques et modernes, introduit la deuxième édition française de La grande stratégie de l'empire romain d'E. Luttwak et traduit, du même auteur, La grande stratégie de l'empire byzantin. Il propose ici la première traduction française des Stratagèmes depuis le XIXe siècle.

     

    Stratagèmes.jpg

    " Sextus Julius Frontinus exerça de hautes responsabilités civiles et militaires au Ier siècle de notre ère. En Grande-Bretagne, il soumit les irréductibles Gallois grâce à une habile stratégie associant contre-guérilla et mesures de consolidation. Il écrivit ensuite un Art de la Guerre estimé – Végèce s'en inspira –, perdu, qu'il compléta des Stratagèmes après une campagne en Germanie. Fait exceptionnel, il traversa les tribulations de son siècle en connaissant, sous neuf princes, une progression continue de sa carrière. Curateur des eaux de Rome et auteur d'un Traité des aqueducs, trois fois consul dont deux fois aux côtés de Trajan, il était et reste considéré comme l'une des figures les plus éminentes de son époque.

    Synthèse sans équivalent de l'art militaire gréco-romain, les Stratagèmes sont consacrés aux ruses de guerre et divers procédés obliques permettant de vaincre dans l'économie des forces – à l'instar du Traité de Sun Zi dont les enseignements sont très proches. Machiavel s'en inspira étroitement pour son Art de la Guerre. Avec De la guerre, de Clausewitz, ce sont les quatre livres clés de la science stratégique.

    Paradoxalement, ce dernier paraît moins d'actualité que Frontin, Sun Zi ou Machiavel en ce XXIe siècle si troublé. Face à la multiplicité des conflits dispersés, doublés de contre-attaques indirectes au moyen, notamment, d'actes de terrorisme à l'échelle planétaire, les enseignements de Frontin reviennent au premier plan : plus que jamais, les stratégies exigent de concilier l'impératif de la sécurité et l'économie des forces dans un contexte de contraintes budgétaires, l'adaptation la plus fine au terrain, à l'adversaire et aux circonstances. Et pour ce faire, il faut souvent délaisser maints principes des théories stratégiques. "

     

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!