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terrorisme - Page 11

  • Les terroristes sont-ils des fous ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du psychiatre Yann Andrétuan, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de la psychiatrisation du terrorisme...

     

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    Réflexions sur la psychiatrisation du terrorisme

     

    Depuis la vague d'attentats qui touche l'ensemble de l'Europe, des politiques, des experts s'interrogent sur la santé mentale de leurs auteurs et affirment parfois qu'ils souffrent de désordres mentaux. L'effroi causé par les actes terroristes, la froideur avec lesquels ils sont commis sont tels qu'ils ne pourraient être commis que par des fous.

    La psychiatrie et la psychologie se trouvent encore une fois convoquées, alors qu'elles ne disaient rien à expliquer cette folie et à la guérir. Michel Foucault dans son ouvrage majeur La folie à l'âge classique affirmait que: l'âme des fous n'est pas folle. Y a-t-il dans les actes commis par les djihadistes une trace de folie qui permet de les renvoyer vers un «psy» plutôt qu'un magistrat?

    Je suis psychiatre et je ne crois pas que le terrorisme soit une folie au sens psychopathologique du terme.

    Folie et violence

    La folie ça n'existe pas, en tout cas au singulier. Nous autres psychiatres ou psychologues nous nous permettons parfois d'utiliser ce mot pour signifier le caractère exceptionnel de la clinique de certains de nos patients. Il faudrait parler des folies et encore cela n'est pas très satisfaisant car la folie c'est comme le cancer: les profanes y voient une maladie unique alors que pour les spécialistes il s'agit d'un concept valise qui permet de résumer une réalité bien plus complexe.

    Certains délireront toute leur vie, persuadés des plus extraordinaires théories et sans jamais consulter un psychiatre alors qu'un patient phobique, le plus rationnel qui soit et reconnaissant lui-même le caractère absurde de ses symptômes sera terriblement handicapé. Le domaine de la psychiatrie recouvre des réalités complexes et les patients vivent tous différemment leurs symptômes, certains en souffrent et d'autres pas du tout.

    Les malades mentaux sont-ils plus violents? Des faits divers ont ému l'opinion par la violence du geste commis par certains d'entre eux. Ainsi en 2004, des infirmières d'un centre hospitalier spécialisé furent décapitées. Un homme souffrant d'hallucinations a poussé quelqu'un sous les rails du métro. On pourrait multiplier les exemples et finalement donner l'impression que l'essentiel des crimes est commis par des sujets souffrant de troubles mentaux.

    Une étude menée dans les années 90 a montré que la probabilité d'être agressé par un individu ayant consulté un psychiatre est dix fois moins élevée que de l'être par quelqu'un sans antécédent. Les services de psychiatrie peuvent être bruyants mais rarement violent.

    J'ai exercé pendant 12 ans dans des services de psychiatrie dans divers hôpitaux, certes ouverts, mais je n'ai jamais attaché un patient.

    J'ai été agressé une seule fois par une patiente de 90 ans démente.

    L'unique fois où des personnels de l'équipe ont été agressés physiquement a été par un patient que nous connaissions peut-être trop bien et chez qui nous n'avions pas su reconnaître les signaux de dangerosité, la surprise majorant la violence du geste.

    Il ne faut pas dénier le caractère parfois imprévisible d'éruption de la violence chez certains patients mais cela reste rare.

    Un argument d'apparence plus raisonnable est d'affirmer que les malades mentaux seraient plus vulnérables aux conditionnements idéologiques. Il serait plus facile d'embrigader un fou qu'une personne saine. On surestime sans doute la raison. Des personnes très raisonnables font confiance à leur horoscope et trouveront toutes les raisons pour y croire et d'agir en fonction d'une prédiction.

    Certains individus trouveront une cause qui donnera du sens à leur délire ou à leur psychopathie, c'est un fait mais combien? Il ne faut pas craindre une épidémie de terroristes potentiels dans les services de psychiatrie. La folie est difficile à embrigader.

    Les armées ont toujours écarté les candidats à l'engagement souffrant de troubles mentaux les jugeant incontrôlables. Les Anglais quand ils ont fondé les premiers commandos ont imaginé recruter des sociopathes pour leur absence de résistance à tuer. Ce fut un échec. Ils sont alors allés chercher des hommes, diplômés et souvent issus de la bonne société anglaise, ne présentant pas de troubles psychiatriques mais au profil atypique.

    Il faut se méfier de la tendance à vouloir «naturaliser» les comportements c'est-à-dire à leur chercher une vérité biologique ou scientifique. A notre époque affirmer qu'un produit, un comportement est naturel lui donne d'emblée une légitimité. Les débats autour du mariage pour tous en sont une bonne illustration. Les opposants au projet de loi se sont servis d'arguments biologiques pour montrer la primauté de l'hétérosexualité dans la reproduction, quand les pour ont utilisé des exemples du monde animal pour affirmer l'universalité de l'homosexualité. Mais l'être humain n'est ni un bonobo, ni un macaque même en invoquant un lointain cousinage.

    En naturalisant le problème du terrorisme, on évacue sa dimension politique. On ne peut être en guerre contre des fous, le progrès finira bien par absorber ces fauteurs de troubles grâce à la toute-puissance de la Science! Mais c'est penser la Science comme une forme de maîtrise plutôt qu'un mode particulier de connaissance du monde. Dans ce processus de naturalisation la Science (qui n'existe pas au même titre que la folie) doit non seulement expliquer (ce qui est sa fonction première) mais aussi agir (ce qui est la fonction des ingénieurs).

    Un crime dans la tête

    Le lavage de cerveau permettrait de modifier le comportement d'un individu même à son insu. Très populaire dans les années 50 et 60, cette explication permettrait d'expliquer comment des groupes, des organisations peuvent influencer des individus.

    La psychiatrie soviétique est allée plus loin dans cette logique. Pas besoin d'une action de l'adversaire pour expliquer que certains citoyens puissent s'opposer activement au gouvernement. L'Union soviétique est une société parfaite. Si on s'y oppose ce ne peut être que du fait de la folie. Le syllogisme est imparable et conduisit de nombreux dissidents à être hospitalisé .

    Ce qui compte en désignant les terroristes soit comme des victimes soit comme des fous, n'est pas l'explication de leurs actes mais la conséquence de ces conclusions: on peut les guérir de leur égarement. Somme toute, si on peut convaincre une victime de secte d'abandonner celle-ci, alors la même opération est possible avec un terroriste.

    On pourrait donc «déradicaliser» des candidats terroristes par des techniques psychologiques, en inversant en quelque sorte le processus de conditionnement, et ainsi les transformer en bon citoyen. C'est en tout cas ce qu'on promit en 2015 certaines associations…

    Soit.

    Peut-on pour autant comparer la préparation idéologique par la propagande dont l'EI est passé maître à un conditionnement mental? Al Qaïda a toujours combattu l'idée que ces hommes étaient irresponsables ou l'objet d'un complot.

    Mais au-delà de ces questions du conditionnement, c'est faire aussi peu de cas de ce qui semble motiver ces jeunes hommes: la foi. Car à vouloir absolument ne pas stigmatiser une religion, on oublie ce moteur, puissant des fanatiques de tous bords (religieux ou non). Cela ne veut pas dire que tous les croyants sont des fanatiques mais tous les fanatiques ont une foi tel qu'elle leur permet de diviser le monde en deux: ceux qui l'ont et ceux qui ne l'ont pas.

    La foi n'est pas un objet de la psychiatrie. Elle peut intéresser le psychologue ou l'anthropologue mais assez peu le psychiatre. Elle l'intéresse par rapport au délire. Comment faire la différence entre la foi et un délire d'autant plus que certains thèmes délirants ont toutes les apparences du mysticisme.

    Jaspers apporte une réponse, à mon sens pas totalement satisfaisante qui est celle de l'incorrigibilité. Le délire n'est pas corrigible et il ne relèverait pas d'un processus de construction et d'élaboration au contraire de la foi. Il est vrai que le délire, chez certains relève d'une illumination, d'une évidence qui éclaire d'un coup le monde.

    La différence entre la foi et une idée délirante est donc ténue et nous devons faire appel dans certains diagnostics à d'autres critères (symptômes associés, biographie). Georges Devereux a par ailleurs montré de façon magistrale comment considéré ce qui est de l'ordre du psychique et du culturel dans La psychanalyse des Indiens de la plaine. Pour lui, le pathologique apparaît dans le recours à la culture de l'homme blanc c'est-à-dire la psychiatrie.

    Admettons que l'on puisse déconditionner quelqu'un de sa foi, de ces convictions profondes. L'abîme qui s'ouvre est à la fois vertigineux et terrifiant.

    Si nous avons la possibilité de modifier les convictions profondes d'un individu au nom de la sûreté de la société pourquoi ne pas le faire au nom de la norme? Aux USA des programmes de reconditionnement prétendent modifier l'orientation sexuelle en «transformant» des homosexuels en hétérosexuels. On pourrait aussi imaginer modifier l'opinion de ceux opposés au progrès pour la simple raison qu'ils sont rétrogrades.

    Finalement notre société ressemblerait à l'Union soviétique où la norme serait une tyrannie. Nous n'en sommes pas loin quand on songe que certaines universités américaines prévoient des lieux où les minorités se retrouvent entre elle et où tous débats sont évités…

    Terrorisme mémétique

    Ce qu'il y a de nouveaux dans ce que nos sociétés affrontent, est que le terrorisme devient une affaire de profane (sic). Il n'y a plus besoin pour être terroriste d'avoir fait le voyage jusqu'à Moscou ou Damas (époque Guerre Froide) et être allé dans un camp d'entraînement. L'idée suffit.

    Richard Dawkins est un biologiste évolutionniste connu pour avoir développé la théorie du gène égoïste. Cette théorie l'a conduit à élaborer celle des mêmes. Selon le scientifique anglais, les idées sont comme les gènes: elles cherchent à se répliquer.

    Une idée (concept, symbole, croyance…) va donc chercher à se reproduire dans le plus grand nombre d'esprits possible et la conscience humaine représente l'écosystème parfait. Il fonde le néologisme même à partir du mot gène et du latin mens, l'esprit pour désigner ces idées. Pour Dawkins, la religion est l'un des mêmes les plus puissants.

    Les idées pourraient se reproduire comme des virus et rentrer en compétition pour le contrôle d'un même écosystème: notre esprit. La théorie des mêmes a connu peu de succès en France d'abord parce qu'elle soulève des problèmes épistémologiques importants.

    Néanmoins il faut reconnaître que certains concepts possèdent des pouvoirs d'attraction importants comme une histoire drôle qui se diffuse ou une rumeur ou encore certaines expressions. Penser des idées comme des virus permet, en restant très prudent d'imaginer comment elles se diffusent.

    Les sujets souffrant de pathologie mentale sont-ils plus vulnérables à la propagande d'un groupe terroriste. En d'autres termes sont-ils de bons terrains aux mêmes?

    La question est complexe et plusieurs fois soulevée, dans d'autres contextes certes.

    Par exemple au XVIIème siècle les confesseurs s'inquiétaient de l'influence des romans sur l'esprit des jeunes filles. L'Europe du XIXème a imputé au Jeune Werther de Goethe l'épidémie de suicide qui toucha la jeunesse. Plus près de nous, l'opinion a vu dans les dessins japonais un danger pour les jeunes esprits. On cherche dans la génération des quadras en quoi Goldorak a provoqué une épidémie de violence.

    Néanmoins persiste l'idée que certains concepts peuvent avoir au minimum une influence néfaste sur des esprits malléables ou vulnérables. Le problème est d'identifier la vulnérabilité d'un esprit. Il y a des profils de personnalités qui peuvent adhérer et faire de très bons fanatiques. La paranoïa est une structure qui peut entraîner une adhésion sans réserve à une cause. Pour autant tous les paranoïaques ne deviennent pas terroristes. Il faut qu'ils reconnaissent dans une cause quelque chose qui face résonance. Comme n'importe qui en fait.

    Arrogance et altérité

    Nous sommes persuadés que notre société ou nos idéaux représentent le paroxysme de la civilisation. Les progrès de la science associés aux progrès sociaux doivent nous permettre de résoudre la plupart des enjeux qui se présentent à nous. Nous sommes éduqués, tolérants, ouverts à toutes les cultures, les orientations sexuelles, les choix de vie et pacifiques. Que d'arrogance!

    Il ne s'agit pas d'une posture politique de droite ou de gauche. Les Américains ont cru qu'apporter les bienfaits de la démocratie suffirait à créer un cercle vertueux qui produirait la paix au Moyen Orient. De l'autre bord politique, prévaut l'idée qu'il suffit d'être ouvert, accueillant envers l'autre pour qu'en miroir il devienne à son tour tolérant.

    Les djihadistes ne sont pas des Soviétiques qui n'avaient pas grand-chose à espérer et dont la majorité voyait l'ouest avec beaucoup d'envie et qui se sont convertis à grande vitesse à la société de consommation lorsqu'ils en eurent la possibilité.

    Le problème de l'Occident est l'autre et c'est pourquoi beaucoup voient dans le terrorisme une forme de psychopathologie. L'autre c'est le fou, le perturbateur de l'ordre et de la norme. Étymologiquement, aliéné, aliénation viennent du latin alienus, autre. L'aliéné représente ce qu'il y a de plus autre ce que Freud après les frères Grimm nomme l'inquiétante étrangeté (traduction approximative de l'allemand Unheimliche). Le fou nous ressemble et d'ailleurs ne se distingue pas de la personne saine d'esprit. Mais il est censé être imprévisible et donc dangereux.

    Certes l'accueil de l'autre, l'ouverture et la tolérance sont des valeurs largement promues et constituent parfois un programme politique. Mais objectivement nos sociétés acceptent ces autres à la condition qu'ils soient des victimes. Les associations qui aident les migrants de façon active mettent en avant l'impératif humanitaire. L'autre est foncièrement pacifié et ne peut être pensé en dehors des catégories de la victime et l'homme occidental du bourreau.

    Si vous n'avez pas ma haine, vous aurez quoi?

    On ne hait pas un fou, on le soigne. En tout cas, on le laisse dans des mains supposées compétentes. On peut certes s'émouvoir, avoir de la compassion mais finalement nous y sommes relativement indifférents.

    Un journaliste, Antoine Leiris a écrit un beau texte, poignant à la suite des attentats de novembre 2015 où il a perdu sa femme. Il écrit ne pas vouloir être haineux envers les auteurs de ces actes et qu'en substance seule la culture nous sauvera.

    Que faut-il ressentir alors?

    Devant un tel acte n'est-il pas naturel de ressentir de la colère et de la haine envers ceux qui nous considèrent comme des ennemis pour le simple fait que nous ne partageons pas les mêmes croyances? La majorité des commentaires de ce texte saluent son caractère puissant, émouvant et courageux. Mais aucun ne s'interroge sur l'aporie qu'il propose: finalement quel sentiment avoir envers ces terroristes?

    Ne pas ressentir de la haine et même aucun sentiment c'est être indifférent. Or l'indifférence face à une menace est le comble de l'arrogance. Résister c'est continuer à vivre malgré tout et ne pas se laisser sidérer par la peur que veulent provoquer les terroristes. Mais n'éprouver aucun sentiment envers ces actes est une forme de mépris. Il ne faut jamais mépriser son ennemi.

    Il est évident que le but ne doit pas être l'exercice de la vengeance mais bien la suppression de cette menace et que la réponse ne peut être seulement armée. Il faut aussi penser à la paix et donc aux causes qui nous ont conduits en Occident à cette situation.

    Certes la haine aveugle, empêche de raisonner et de considérer les événements actuels de façon globale.

    Mais ces gens qui tuent sans distinction dans nos rues doivent-ils être traités avec indifférence comme une nuisance, irritante mais qui disparaîtra un jour, comme les moustiques en été (sic).

    Ou ne faut-il pas plutôt que vouloir opérer une recherche des causes premières que ce soit celle de la folie, de l'histoire ou de la société et de ses insuffisances, affirmer que les monstres existent et qu'il est impératif de les combattre.

    Yann Andrétuan (Figaro Vox, 8 novembre 2017)

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  • Guerre civile ou décomposition nationale et civilisationnelle ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la décomposition nationale et civilisationnelle de la France. Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016) ou Le nouveau régime (Boréal, 2017).

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    Guerre civile ou décomposition nationale et civilisationnelle ?

    S’ils sont nombreux à avouer quelques réserves devant la référence à la guerre civile lorsqu’ils évoquent la situation de la France contemporaine, c’est que ce concept est traditionnellement associé à la division intime d’un pays entre deux clans où des familles se déchirent, où des parents voient leurs enfants se déchirer, où des frères se prennent mutuellement pour cibles. Ce n’est pas vraiment la situation présente de la France, pour peu qu’on ne la réduise pas à une entité juridique artificielle et désincarnée.

    Les tensions qui se multiplient mettent moins en scène un peuple divisé dans ses profondeurs historiques qu’un pays bouleversé par une immigration massive et victime de fragmentation identitaire, où se sont multipliés les territoires se dérobant à la communauté nationale, dans lesquels l’islam radical parvient à s’implanter, le terrorisme n’en représentant qu’une facette parmi d’autres. Dans Rue Jean-Pierre Timbaud, Géraldine Smith a bien illustré de quelle manière la conquête islamiste s’avance en plein Paris. Le même phénomène se reproduit partout dans le pays.

    Ce n’est pas sans raison qu’en l’espace de quelques années, ceux qui parlaient des territoires perdus de la république en sont venus à parler des territoires perdus de la France. Des pans du pays se dérobent à la souveraineté française, à la culture française, aux mœurs françaises. Il faut néanmoins nommer cette dynamique de partition territoriale et résister au relativisme ambiant qui invite à la dédramatiser. On se désole avec raison de l’avènement d’une France soumise, pour emprunter la formule d’un récent ouvrage. Mais on peine à trouver le terme adéquat pour décrire une crise qui fait surgir des profondeurs de la cité la peur de la dissolution de la patrie.

    Il y a toujours quelque chose d’étonnant à voir les élites d’un pays travailler très fort à nier ce qui lui arrive, comme s’il fallait plaquer un écran sur le réel, pour prévenir une éventuelle révolte du commun des mortels. Ne s’agit-il pas, d’abord et avant toute chose, de ne jamais faire le jeu du Front national, quitte, s’il le faut, et comme nous y invitent certains philosophes, à dissimuler la part du réel qui pourrait alimenter sa progression? On peut y voir la mécanique propre à l’idéologie qui mobilise le langage non plus pour décrire le monde mais pour le voiler. Notre époque n’est pas sans évoquer, à certains moments, un tableau orwellien. L’intelligence se retourne contre elle-même.

    Il n’en demeure pas moins que les événements de Marseille nous obligent à penser plus radicalement le surgissement de la violence la plus barbare au cœur de la cité. On a beaucoup vu circuler sur les médias sociaux la photo des deux jeunes victimes. N’y voyons pas qu’un symptôme du triomphe de l’émotion et de l’image. Alors qu’on en vient presque à s’habituer aux attentats en précisant chaque fois mécaniquement le nombre des victimes, le visage souriant des victimes ensuite poignardées et égorgées peut encore bouleverser les âmes, désensibilisées par les carnages à répétition.

    Une chose est certaine, c’est que les Français sont en droit de se sentir assiégés. Reprenons la formule litigieuse: c’est peut-être une forme de guerre civile au jour le jour. La sécurité du commun des mortels n’est plus garantie et tous savent, d’une certaine manière, que la violence peut surgir n’importe où, de n’importe quelle manière, et frapper indistinctement ceux qui sont en uniforme et ceux qui ne le sont pas. Dans l’œil des islamistes, tous les Français, et pourrait-on dire plus largement, tous les Occidentaux peuvent indistinctement servir de cibles. C’est qu’ils sont engagés dans une guerre totale où conséquemment, tout est permis.

    L’islamisme excite les passions morbides et offre le fanion nécessaire à ceux qui veulent entrer en guerre contre la France. Il magnifie certaines pulsions nihilistes et peut ainsi assurer aisément le passage de la délinquance au terrorisme, comme on le constate de plus en plus souvent. Le djihad n’est pas une illusion occidentale. On rappellera aussi, puisqu’il faut encore le faire, que l’islamisme ne se réduit pas à la seule question du terrorisme. Il cherche aussi, de différentes manières, à occuper l’espace public et à soumettre la vie française à des mœurs qui lui sont étrangères. Plusieurs capitulent au nom de la tolérance.

    C’est une guerre que le monde occidental peine encore à nommer, étrangement. On applaudit lorsqu’un leader politique ose nommer l’islamisme, sans se rendre compte qu’on se contente alors de célébrer le droit de nommer des évidences. C’est un peu comme si le simple fait de mentionner le réel sans le filtrer par le politiquement correct avait quelque chose de scandaleux. Il faut dire que du point de vue de la gauche médiatique, il s’agit effectivement d’un scandale. Elle est prête à se bander les yeux pour ne pas voir que le multiculturalisme mène au désastre.

    Le réel ne passera pas: tel pourrait être son slogan. De même, si une information perce dans le débat public en empruntant le canal de la presse qui se prétend alternative, on l’entourera de la plus grande suspicion, comme si l’essentiel n’était pas de savoir si elle était  vraie, mais de savoir qui la rapportait et pour quelle raison. On ne vérifie pas la crédibilité de la source, on s’intéresse plutôt à sa conformité idéologique. Comment ne pas voir là un exaspérant sectarisme idéologique? Quiconque conserve la mémoire du XXe siècle n’en sera pourtant pas surpris.

    Il est de plus en plus difficile de se le cacher: une partie naturellement minoritaire mais néanmoins significative de la population des banlieues carbure à la haine antifrançaise. La mouvance des Indigènes de la République est ouvertement en lutte contre la France. Les immigrés seraient victimes d’une forme de colonialisme intérieur et la France abuserait de ses privilèges en rappelant que la civilisation française n’est pas optionnelle chez elle. C’est ce que certains appellent le racisme d’État à la française.

    Lorsqu’on trouve une mouvance qui milite ouvertement pour déboulonner les statues d’une figure historique comme Colbert, on comprend jusqu’où peut aller le rejet de la nation. Il s’agit en fait de criminaliser la mémoire de la nation pour ensuite justifier son éradication. On devine que ce zèle destructeur ne s’arrêtera pas là. On dépècera morceau par morceau l’héritage historique français pour qu’il n’en reste plus rien. Sans surprise, une nation dépossédée de son identité verra ses ressorts existentiels rompus et son instinct de survie inhibé.

    À gauche de la gauche, on en vient presque à faire preuve de complicité avec l’islamisme en refusant systématiquement de le nommer, comme si le simple fait de mentionner les problèmes spécifiques à l’islam et à l’immigration musulmane relevait de la stigmatisation et d’une logique discriminatoire. Danièle Obono, de la France insoumise, semble se spécialiser dans ce créneau. On n’oubliera pas qu’il lui semblait plus aisé de dire Nique la France que Vive la France. Le slogan «pas d’amalgame» contribue à l’imposition d’un débat public de plus en plus abrutissant et déréalisé

    On en revient à l’attentat de Marseille. Il est facile et probablement nécessaire de blâmer les autorités pour leur négligence dans les circonstances. Mais il faut aller au-delà des critiques politiciennes qui cherchent un coupable à désigner à la vindicte publique pour prendre le problème avec plus de hauteur. Ce qu’il faut critiquer plus profondément, c’est une mutation en profondeur de la démocratie occidentale qui s’est laissé enfermer dans le carcan de la judiciarisation du pouvoir, qui le condamne à une impuissance de plus en plus définitive. Le droit-de-l’hommisme conjugué au multiculturalisme empêche finalement à la nation d’assurer la protection de ses membres.

    On me pardonnera une question simplètte: comment se fait-il qu’on tolère sur le territoire national des clandestins multirécidivistes? On pourrait élargir la question: Comment la France en est-elle venue, au fil du temps, à normaliser et à banaliser la présence massive de clandestins sur son territoire, comme s’il ne s’agissait pas d’une violation de la souveraineté nationale et des règles élémentaires de l’hospitalité qui veut qu’on n’impose pas sa présence chez autrui sans en demander la permission ? Mais le simple rappel de cette évidence peut vous valoir la pire étiquette.

    À vouloir réduire la poussée migratoire des dernières années à une simple crise humanitaire, on en est venu à s’aveugler devant ses inévitables conséquences catastrophiques. On s’égosillera comme on veut en répétant que la diversité est une richesse et qu’il faut s’ouvrir à toutes les différences mais cela ne changera rien au fait qu’une mutation démographique aussi brutale et d’aussi grande ampleur peut provoquer le déclin du pays qui la subit ainsi que des convulsions sociales et identitaires de plus en plus radicales.

    L’antiracisme nord-américain a son slogan: no one is illegal. Personne n’est illégal. On en comprend la signification: il faut abolir progressivement, et un jour totalement, la différence entre les nationaux et les étrangers, entre ceux qui sont citoyens et ceux qui ne le sont pas. Il n’y a plus, dans cet esprit, de peuples et de civilisations. Il n’y a que des populations interchangeables: aucune d’entre elles n’est en droit de se croire maître chez elle. Le droit des peuples à demeurer eux-mêmes est assimilé à un repli identitaire propre à l’émergence de toutes les phobies.

    On revient à l’essentiel: il n’y a pas de bonne politique sans bon diagnostic. Dans cet esprit, il faudrait moins parler de guerre civile que d’un processus de décomposition nationale et civilisationnelle que les autorités ont décidé d’accompagner et de modérer, sans prétendre le combattre et le renverser, comme s’il était inéluctable. L’appel au redressement qui s’est fait entendre depuis quelques années ne relevait pas du fantasme réactionnaire. On voit mal, toutefois, qui est prêt à l’entendre et à le traduire en politique de civilisation.

    Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 6 octobre 2017)

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  • Zemmour : « les terroristes islamistes sont convaincus de notre lâche faiblesse »...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 5 octobre 2017 et consacrée à la nouvelle loi destinée à renforcer l'arsenal antiterroriste...

     

                                               

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  • Feu sur la désinformation... (156)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours d'Hervé Grandchamp.

    Au sommaire :

    • 1 : Attentat à Marseille, les mots tabous des médias
      Attentat terroriste à Marseille, Dimanche 1er octobre le clandestin Ahmed Hanachi égorge 2 jeunes femmes, Mauranne et Laura, à la Gare Saint Charles de Marseille. Pour les médias certains mots vont devenir tabous : égorgement, clandestin, et même terroriste. Le but ? édulcorer le réel en taisant des éléments essentiels à l’information.
    • 2 : Le Zapping d’I-Média
      La député Danièle Obono nie le concept de radicalisation. Invitée sur le plateau de BFMTV dimanche 1er octobre, l’élue de la France Insoumise a affirmé qu’un chauffeur de bus qui refuserait de conduire son véhicule après que ce dernier ait été utilisé par une femme relèverait plus du sexisme que de la radicalisation islamique.

    • 3 : Bad buzz orchestré pour Angot, la folle à Ruquier
      Clash violent sur France 2 dans l’émission On n’est pas couché entre la chroniqueuse Christine Angot et l’auteur Sandrine Rousseau. Après avoir quitté le plateau pendant une vingtaine de minutes, la chroniqueuse a provoqué les pleurs de l’invité. La séquence est violente, même indécente, et fait le buzz sur internet. Cette scène semble surtout avoir été orchestrée pour faire remonter les audiences de l’émission phare de France 2.
    • 4 : Les tweets de la semaine
      Le Monde des Religions censure un article pour avoir évoqué l’association SOS Chrétien d’Orient. Le 3 octobre, un utilisateur de twitter a signalé au journal que l’association est « d’extrême droite et pro Assad ». Quelques instants plus tard, le journal a retiré l’article tout en présentant ses excuses.
    • 5 : Las Vegas, la piste DAESH ne fait pas recette.
      Fusillade meurtrière à Las Vegas dans la nuit de dimanche à lundi 2 octobre. Malgré les revendications de DAESH, le gouvernement américain comme les médias restent perplexes. Pour les médias il faut trouver un nouveau bouc émissaire : le 2ème amendement qui érige le port d’arme en droit constitutionnel.

                              

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  • En état de guerre civile...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Damien Le Guay au Figaro Vox à la suite de l'attentat du 1er octobre 2017 à Marseille, au cours duquel un terroriste islamiste a tué au couteau deux jeunes femmes. Philosophe et essayiste, Damien Le Guay a publié récemment La guerre civile qui vient est déjà là (Cerf, 2017).

     

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    Damien Le Guay: «Que nous le voulions ou non, nous sommes en état de “ guerre civile”»

    FIGAROVOX.- Une attaque au couteau a eu lieu hier, dimanche, à la gare Saint-Charles à Marseille. Deux femmes ont été tuées. L'assaillant, qui a crié «Allah Akbar» a été abattu. Votre dernier livre s'intitule, La guerre civile qui vient est déjà là. Est-ce à dire que nous sommes dans cette guerre civile - du moins sur certains territoires?

    Lorsque deux jeunes femmes innocentes (de 17 et 21 ans) sont égorgées au couteau, par-derrière, gare Saint-Charles et qu'un cri de guerre islamiste est répété par l'assassin, n'est-on pas en droit de constater qu'un climat de terreur est entretenu de mois en mois, attaques après attaques! Quand on constate que des attentats de ce type se répètent régulièrement sur notre territoire et qu'ils sont perpétrés par des nationaux, ne sommes-nous en droit de nous reconnaître dans une sorte de guerre civile qui ne dit pas son nom! Quand les victimes sont trucidées au hasard et que tous les meurtriers agissent au nom de l'Islam, ne sommes-nous pas en situation de guerre sur notre territoire! Ajoutons que le ministre de l'intérieur nous dit que des dizaines d'attentats ont été déjoués depuis le début de l'année et que 17.400 «fichés S» sont répertoriés, sans parler de tous ceux qui reviennent de Syrie et qu'il va falloir surveiller.

    De toute évidence quand des assassinats se répètent, régulièrement, avec toujours les mêmes revendications, quand la menace est désormais partout et que nous sommes tous des victimes en puissance, quand les mesures de sécurité augmentent dans tous les lieux publics, quand les spécialistes vous disent que nous en avons pour plus de vingt ans, est-il encore possible de considérer qu'il s'agit là de simples «faits divers» à répétition qu'il faut, à chaque fois, minimiser? Non. Et pourtant, à chaque fois (comme hier pour Marseille) nos autorités «déplorent» ces attentats, montrent leur «compassion» à l'égard des victimes, indiquent leur «indignation»

    et dénoncent (comme hier le ministre de l'intérieur) «une attaque odieuse». À chaque fois nos autorités éludent la situation, relativisent l'acte et considèrent l'assassin comme un «fou». Ainsi, hier, le premier ministre, dans un communiqué, s'est-il empressé, de dénoncer le «criminel» et de s'en prendre à «sa folie meurtrière». Non, Monsieur le premier ministre, il n'y a pas de «folie» dans un terrorisme politique qui vise, au nom d'une idéologie islamiste, à lutter contre l'Occident, contre les «infidèles», contre les «impurs», les kouffars que nous sommes tous. Non, Monsieur le premier ministre, à chaque fois on découvre que ces terroristes suivent, d'une manière ou d'une autre, les mots d'ordre de l'Etat islamique avec, souvent, des «cellules-souches» animées par un imam salafiste qui prêche la haine et finit par convaincre certains de ses fidèles qu'il faut tuer «des mécréants». Et comme on pouvait s'en douter, dimanche soir, l'Etat islamique a revendiqué l'attentat. Tout cela renforce l'évidence: certains, ici, nous détestent et feront tout pour détruire ce tissu national qui tient ensemble tout le monde et défend une certaine manière de vivre «à la française».

    Or, il nous faut considérer que des attentats répétés depuis au moins 2015, tous commis en invoquant le nom d'Allah, revendiqués par l'État islamique, ne relèvent pas de la folie d'individus isolés mais d'une action d'envergure et convergente, visant à lutter contre la France et ses valeurs pour imposer un climat de terreur et de défiance tous azimuts. De toute évidence, ces attentats sont liés les uns aux autres. Ils sont politiques avant d'être psychiatriques. Ils instaurent une «guerre civile larvée», selon l'expression de Gilles Kepel. Ne pas reconnaître cette «guerre civile» contre nous, entre nous, plutôt que d'améliorer la situation, l'aggrave. L'euphémisme tue, lui aussi. Nos politiques, par naïveté, manque de courage ou défaut de lucidité, refusent l'évidence. Dès lors, pour ne pas prendre la mesure de la situation, ils tergiversent. Plutôt que de soigner notre tissu national, ils laissent les problèmes s'envenimer. Prenons deux éléments. Le rejet de l'Islam ne cesse d'augmenter en Europe. En France l'enquête de Fondapol indiquait, il y a peu, que ce rejet est pratiqué par 60 % de nos concitoyens qui, dans les mêmes proportions, considèrent que l'Islam est une menace contre la République. D'autre part, les indices de radicalisation des Français musulmans augmentent. Un tiers d'entre eux, selon le rapport Montaigne d'il y a un an, font prévaloir les lois de l'Islam sur celles de la République. Et une enquête du CNRS indiquait, en mars dernier, que 15 % des lycéens musulmans de France pensent acceptable de lutter «les armes à la main pour sa religion».

    Si les indices sont graves et convergents pour laisser penser que nous sommes, que nous le voulions ou non, en «guerre civile», pourquoi nos politiques ne le reconnaissent pas?

    Une triple peur existe et paralyse nos politiques. D'une part, celle de «faire le jeu du Front national» en reconnaissant qu'est intervenu dans les années 2000 un raidissement de la communauté musulmane, sous l'influence de prêcheurs venus d'ailleurs, au point de promouvoir, ici ou là, une indifférente de rejet culturel ou une animosité à l'égard de nos manières de vivre et l'apparition de terroristes musulmans nationaux. L'immigration ne serait pas, contrairement au leitmotiv proclamé par tout le monde, seulement «une chance pour la France» et générerait une «insécurité culturelle», mise en évidence par Laurent Bouvet, grandement ressentie par la «France périphérique». D'autre part, la peur d'être suspecté «d'islamophobie» - concept extensif, protéiforme, manié sans discernement et rendant impossible toute discussion relative à l'Islam ou aux musulmans. Cette arme de destruction massive, sorte de «racisme imaginaire» dénoncé par Pascal Bruckner, étouffe tous les débats intellectuels et range assez vite ceux qui, comme Alain Finkielkraut, osent discuter franchement de la situation, dans la «fachosphère». Ainsi, entre Marine Le Pen et le CCIF (le Collectif contre l'Islamophobie en France), la ligne de crête est étroite, la parole contrôlée, la lucidité faible. Donner raison à l'extrême droite est une faute politique - au point de dissimuler certaines évidences. Quand au CCIF, il traîne devant les tribunaux ceux qui remettent en cause certaines dérives de la communauté musulmane - comme ce fut le cas pour Georges Bensoussan ou Pascal Bruckner. À cela s'ajoute une troisième peur: celle de s'en prendre «à la religion des pauvres» (ce qu'est l'Islam nous dit Emmanuel Todd), aux «damnés de la terre», aux victimes de la colonisation. Un gauchisme culturel, avec des kyrielles d'associations et des relais médiatiques et universitaires puissants, finit par considérer les victimes d'aujourd'hui comme des coupables historiques et les coupables d'aujourd'hui comme des victimes de ségrégations anciennes. L'histoire réglerait ses comptes sur le dos des innocents d'aujourd'hui avec des excuses raciales d'un côté et des culpabilités de blancheur de l'autre.

    Ces trois peurs se conjuguent pour éviter des remises en cause idéologique, pour promouvoir de la confusion intellectuelle, pour restreindre l'analyse. Quand les ennemis ne sont pas des ennemis, quand il ne faut rien dire de mal contre l'Islam et que toute l'insécurité culturelle ressentie par les électeurs du Front national est forcément exagérée, pour ne pas dire inventer, nos politiques sont presque aphones. Ils ne savent pas quoi dire. «Toute élite qui n'est pas prête à livrer bataille pour défendre ses positions est en pleine décadence» nous dit Pareto. Alors, faute de mieux, reste, avec emphase, une immense compassion pour les victimes et la dénonciation creuse de la «folie meurtrière» des assassins. Hier, le président de la République évoquait un «acte barbare». Reste la réponse sécuritaire qui prolongera indéfiniment «l'état d'urgence» que nous connaissons. Reste des bouquets de fleurs et des nounours déposés sur les lieux des attaques. Reste des mots d'ordre automatiques: «pas d'amalgame», «non à l'islamophobie». Chantal Delsol s'était étonnée, à juste titre, que lors des manifestations de Barcelone, la foule ne refusait pas «l'occidentalophobie» mais «l'islamophobie» comme si les terroristes s'en étaient pris à l'Islam alors même qu'ils s'en réclamaient. Ce paradoxe serait généreux s'il n'était pas tragique!

    Quel serait alors l'avantage, selon vous, après l'attentat de Marseille, de nous reconnaître en guerre?

    Les musulmans français ne sont pas des ennemis, c'est une évidence mais certains d'entre eux pratiquent une guerre contre cette Nation qu'ils haïssent et que nous n'aimons pas assez. N'oublions pas que François Hollande reconnaissait qu'une «partition du territoire» était en train de se produire quand son ministre de la ville constatait qu'existaient «cent Molenbeek» en France. Si nous voulons lutter contre ces dérives et ces spasmes terroristes

    qui agitent régulièrement la France (comme ce fut le cas hier à Marseille) encore faut-il lutter contre les terreaux idéologiques qui arment les consciences des terroristes. Pour désarmer les terroristes encore faut-il désarmer les consciences. La guerre civile est d'abord dans les têtes. Comment agir? En désamorçant les trois peurs évoquées plus haut. En réformant «l'islam de France» - contre l'islam consulaire et ceux des imams qui, sans contrôle, prêchent la haine - à la suite du rapport des sénatrices Féret et Goulet de juillet 2016. Or, ces réformes n'avancent pas alors que le temps est compté. En demandant aux Français musulmans, comme le fait Ghaled Bencheikh, de choisir entre les solidarités musulmanes et l'amour de la France. Or, des rapports parlementaires montrent que «la lutte contre la radicalisation», nouvel euphémisme inventé par nos politiques, est un échec. Elle coûte cher, s'appuie sur des analyses tronquées et des associations peu fiables. Ce sursaut n'est possible qu'à la condition de se hisser à hauteur de l'événement - et de l'attentat de Marseille, pour ne parler que de lui. Encore faut-il condamner l'angélisme multiculturel de certains et œuvrer (comme mon livre le propose) à une «déradicalisation de l'antiracisme». Que nous le voulions ou non, nous sommes en état de «guerre civile». Considérons-la pour mieux l'éviter. Une guerre, dit Lévinas, revient à «se saisir de la substance de l'autre» et à rechercher son «talon d'Achille». Les terroristes français, soldats de l'Etat islamique et de l'islamisme culturel, cultivent nos peurs et réussissent à se saisir de notre «substance». Ils nous poussant vers toujours plus de multiculturalisme, toujours plus de mutisme, toujours plus de détestation de nous-mêmes.

    Depuis 2015, on ne compte plus ce type d'attentats. Assiste-t-on à une forme de banalisation et de résignation?

    On est en mesure de le craindre. Que va-t-il se passer après Marseille? On aimerait penser à un sursaut. Mais, l'étouffement sous les ours en peluche et les larmes de crocodile est plus probable. Nous allons attendre une nouvelle manifestation de «folie meurtrière» sans tout mettre sur la table et s'en prendre aux complicités idéologiques musulmanes. Il ne faudrait pas nous exposer à passer pour un islomophobe primaire! Ainsi, sans le vouloir mais sans rien pouvoir faire pour l'éviter, nous irons de petites défaites en grands renoncements, d'attentats terroristes en habitudes résignées, de lassitudes angoissées en soumissions volontaires. Nous nous en prendrons alors, dans une sorte de passivité complice, à la défaillance de nos politiques, à cette grande défaite de l'intelligence et à notre manque de courage. Ce constat douloureux devrait suffir à provoquer un sursaut d'orgueil. Mais même l'orgueil est interdit à cette Europe qui a tant à expier, tant à se faire pardonner!

    Damien Le Guay, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 2 octobre 2017)

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  • On déboulonne...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et dans laquelle il évoque notamment la vague de politiquement correct qui vient renverser les statues de personnages historiques dénoncés comme racistes...

    Auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), Richard Millet a publié l'automne dernier aux éditions Léo Scheer un roman intitulé Province.

     

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    On déboulonne…

    Le scénario est immuable, presque rassurant, en tout cas routinier : l’orgasme médiatique donné par les attentats islamiques de Catalogne a été suivi de son concert d’indignation officielle, et d’infantiles et obscènes lamentations sur la voie publique. Il a, accessoirement, permis de parler le moins possible de l’attaque au couteau, à Turku, en Finlande, où un Marocain a tué deux femmes et en a blessé plusieurs autres : sans doute cela faisait-il trop de Marocains dans le paysage... Le branle-bas politico-médiatique a surtout marqué, encore une fois, l’impuissance européenne devant l’immigration massive de peuples généralement hostiles à l’Europe : paradoxe destructeur qui interdit de nommer l’islam – exception faite pour Charlie Hebdo qui ironise à bon escient sur l’islam comme « religion de paix éternelle », au grand dam des immigrationnistes stipendiés. Pour le reste, nulle analyse de la place conquérante, envahissante, intimidante de cette religion, en Europe, où la presse tente de  « désamalgamiser » le terrorisme de l’islam en expliquant (comme on le lit dans Le Point, où l’on admirera l’euphémisme remplaçant « fou » ou « psychopathe ») que « de plus en plus de profils psychiatriques vont passer à l’acte », alors que ce terrorisme-là (y en a-t-il d’autres ?) a pris le relais de l’islamo-marxisme palestinien des années 1970.

    Ainsi l’Europe est-elle piégée par le politiquement correct, ce bras juridico-culturel grâce auquel le capitalisme mondialisé somme les peuples indigènes de faire comme si les immigrés musulmans et les « migrants » illégaux si chers à la boboïtude mondialiste, étaient des « hommes comme les autres », désireux de se fondre à tout prix dans la béatitude démocratique incantée par l’Union européenne et l’ONU. L’immigration de masse a pour effet d’incliner les vieilles nations au reniement et à l’expiation de leur propre culture, essentiellement judéo-chrétienne, au profit d’un surf sur l’horizontalité amnésique et vertueuse dans laquelle l’ « autre » ne cesse en réalité de me nier. On en voit la trace dans l’inculture des jeunes Français qui n’ont plus d’échelle de temps, ni de sens critique, ni même de goût, mais bien le devoir de dénoncer la « bête immonde » qu’agitent devant eux les professionnels de l’antiracisme d’État. On le voit aussi aux États-Unis, où les Sudistes sont encore punis, et toujours plus privés de leur histoire par les carpetbaggers idéologiques qui exigent le déboulonnage des statues et des symboles confédérés. Ce déboulonnage, qui fait penser au dynamitage des bouddhas de Bamiyan par les talibans, ne réglera évidemment pas la question du « racisme » aux USA. Un ami m’écrit du Minnesota qu’à ce compte-là les figures du mont Rushmore seront un jour martelées sous le prétexte qu’elles se trouvent sur des terres volées aux Indiens… Cela va dans le même sens que la révision générale des manuels scolaires, des textes littéraires, et l’autocensure pratiquée par les écrivains eux-mêmes. On peut redouter ainsi de voir déboulonner par les éditeurs la statue du soldat confédéré qui se dresse à Jefferson, dans les romans de Faulkner. La littérature sudiste sera ainsi caviardée dans son ensemble pour être entièrement au service du Bien ; c’est en grande partie pourquoi la littérature actuelle est illisible.

    Un autre ami m’envoie de magnifiques photos de la colline de Sion-Vaudémont, « colline inspirée » sur laquelle s’élève un monument à Maurice Barrès : on s’étonne que nulle pieuse association n’ait exigée qu’on abatte cet édifice qui pollue ce lieu où ne devrait souffler que l’esprit démocratique.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 27 août 2017)

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