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En état de guerre civile...

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Damien Le Guay au Figaro Vox à la suite de l'attentat du 1er octobre 2017 à Marseille, au cours duquel un terroriste islamiste a tué au couteau deux jeunes femmes. Philosophe et essayiste, Damien Le Guay a publié récemment La guerre civile qui vient est déjà là (Cerf, 2017).

 

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Damien Le Guay: «Que nous le voulions ou non, nous sommes en état de “ guerre civile”»

FIGAROVOX.- Une attaque au couteau a eu lieu hier, dimanche, à la gare Saint-Charles à Marseille. Deux femmes ont été tuées. L'assaillant, qui a crié «Allah Akbar» a été abattu. Votre dernier livre s'intitule, La guerre civile qui vient est déjà là. Est-ce à dire que nous sommes dans cette guerre civile - du moins sur certains territoires?

Lorsque deux jeunes femmes innocentes (de 17 et 21 ans) sont égorgées au couteau, par-derrière, gare Saint-Charles et qu'un cri de guerre islamiste est répété par l'assassin, n'est-on pas en droit de constater qu'un climat de terreur est entretenu de mois en mois, attaques après attaques! Quand on constate que des attentats de ce type se répètent régulièrement sur notre territoire et qu'ils sont perpétrés par des nationaux, ne sommes-nous en droit de nous reconnaître dans une sorte de guerre civile qui ne dit pas son nom! Quand les victimes sont trucidées au hasard et que tous les meurtriers agissent au nom de l'Islam, ne sommes-nous pas en situation de guerre sur notre territoire! Ajoutons que le ministre de l'intérieur nous dit que des dizaines d'attentats ont été déjoués depuis le début de l'année et que 17.400 «fichés S» sont répertoriés, sans parler de tous ceux qui reviennent de Syrie et qu'il va falloir surveiller.

De toute évidence quand des assassinats se répètent, régulièrement, avec toujours les mêmes revendications, quand la menace est désormais partout et que nous sommes tous des victimes en puissance, quand les mesures de sécurité augmentent dans tous les lieux publics, quand les spécialistes vous disent que nous en avons pour plus de vingt ans, est-il encore possible de considérer qu'il s'agit là de simples «faits divers» à répétition qu'il faut, à chaque fois, minimiser? Non. Et pourtant, à chaque fois (comme hier pour Marseille) nos autorités «déplorent» ces attentats, montrent leur «compassion» à l'égard des victimes, indiquent leur «indignation»

et dénoncent (comme hier le ministre de l'intérieur) «une attaque odieuse». À chaque fois nos autorités éludent la situation, relativisent l'acte et considèrent l'assassin comme un «fou». Ainsi, hier, le premier ministre, dans un communiqué, s'est-il empressé, de dénoncer le «criminel» et de s'en prendre à «sa folie meurtrière». Non, Monsieur le premier ministre, il n'y a pas de «folie» dans un terrorisme politique qui vise, au nom d'une idéologie islamiste, à lutter contre l'Occident, contre les «infidèles», contre les «impurs», les kouffars que nous sommes tous. Non, Monsieur le premier ministre, à chaque fois on découvre que ces terroristes suivent, d'une manière ou d'une autre, les mots d'ordre de l'Etat islamique avec, souvent, des «cellules-souches» animées par un imam salafiste qui prêche la haine et finit par convaincre certains de ses fidèles qu'il faut tuer «des mécréants». Et comme on pouvait s'en douter, dimanche soir, l'Etat islamique a revendiqué l'attentat. Tout cela renforce l'évidence: certains, ici, nous détestent et feront tout pour détruire ce tissu national qui tient ensemble tout le monde et défend une certaine manière de vivre «à la française».

Or, il nous faut considérer que des attentats répétés depuis au moins 2015, tous commis en invoquant le nom d'Allah, revendiqués par l'État islamique, ne relèvent pas de la folie d'individus isolés mais d'une action d'envergure et convergente, visant à lutter contre la France et ses valeurs pour imposer un climat de terreur et de défiance tous azimuts. De toute évidence, ces attentats sont liés les uns aux autres. Ils sont politiques avant d'être psychiatriques. Ils instaurent une «guerre civile larvée», selon l'expression de Gilles Kepel. Ne pas reconnaître cette «guerre civile» contre nous, entre nous, plutôt que d'améliorer la situation, l'aggrave. L'euphémisme tue, lui aussi. Nos politiques, par naïveté, manque de courage ou défaut de lucidité, refusent l'évidence. Dès lors, pour ne pas prendre la mesure de la situation, ils tergiversent. Plutôt que de soigner notre tissu national, ils laissent les problèmes s'envenimer. Prenons deux éléments. Le rejet de l'Islam ne cesse d'augmenter en Europe. En France l'enquête de Fondapol indiquait, il y a peu, que ce rejet est pratiqué par 60 % de nos concitoyens qui, dans les mêmes proportions, considèrent que l'Islam est une menace contre la République. D'autre part, les indices de radicalisation des Français musulmans augmentent. Un tiers d'entre eux, selon le rapport Montaigne d'il y a un an, font prévaloir les lois de l'Islam sur celles de la République. Et une enquête du CNRS indiquait, en mars dernier, que 15 % des lycéens musulmans de France pensent acceptable de lutter «les armes à la main pour sa religion».

Si les indices sont graves et convergents pour laisser penser que nous sommes, que nous le voulions ou non, en «guerre civile», pourquoi nos politiques ne le reconnaissent pas?

Une triple peur existe et paralyse nos politiques. D'une part, celle de «faire le jeu du Front national» en reconnaissant qu'est intervenu dans les années 2000 un raidissement de la communauté musulmane, sous l'influence de prêcheurs venus d'ailleurs, au point de promouvoir, ici ou là, une indifférente de rejet culturel ou une animosité à l'égard de nos manières de vivre et l'apparition de terroristes musulmans nationaux. L'immigration ne serait pas, contrairement au leitmotiv proclamé par tout le monde, seulement «une chance pour la France» et générerait une «insécurité culturelle», mise en évidence par Laurent Bouvet, grandement ressentie par la «France périphérique». D'autre part, la peur d'être suspecté «d'islamophobie» - concept extensif, protéiforme, manié sans discernement et rendant impossible toute discussion relative à l'Islam ou aux musulmans. Cette arme de destruction massive, sorte de «racisme imaginaire» dénoncé par Pascal Bruckner, étouffe tous les débats intellectuels et range assez vite ceux qui, comme Alain Finkielkraut, osent discuter franchement de la situation, dans la «fachosphère». Ainsi, entre Marine Le Pen et le CCIF (le Collectif contre l'Islamophobie en France), la ligne de crête est étroite, la parole contrôlée, la lucidité faible. Donner raison à l'extrême droite est une faute politique - au point de dissimuler certaines évidences. Quand au CCIF, il traîne devant les tribunaux ceux qui remettent en cause certaines dérives de la communauté musulmane - comme ce fut le cas pour Georges Bensoussan ou Pascal Bruckner. À cela s'ajoute une troisième peur: celle de s'en prendre «à la religion des pauvres» (ce qu'est l'Islam nous dit Emmanuel Todd), aux «damnés de la terre», aux victimes de la colonisation. Un gauchisme culturel, avec des kyrielles d'associations et des relais médiatiques et universitaires puissants, finit par considérer les victimes d'aujourd'hui comme des coupables historiques et les coupables d'aujourd'hui comme des victimes de ségrégations anciennes. L'histoire réglerait ses comptes sur le dos des innocents d'aujourd'hui avec des excuses raciales d'un côté et des culpabilités de blancheur de l'autre.

Ces trois peurs se conjuguent pour éviter des remises en cause idéologique, pour promouvoir de la confusion intellectuelle, pour restreindre l'analyse. Quand les ennemis ne sont pas des ennemis, quand il ne faut rien dire de mal contre l'Islam et que toute l'insécurité culturelle ressentie par les électeurs du Front national est forcément exagérée, pour ne pas dire inventer, nos politiques sont presque aphones. Ils ne savent pas quoi dire. «Toute élite qui n'est pas prête à livrer bataille pour défendre ses positions est en pleine décadence» nous dit Pareto. Alors, faute de mieux, reste, avec emphase, une immense compassion pour les victimes et la dénonciation creuse de la «folie meurtrière» des assassins. Hier, le président de la République évoquait un «acte barbare». Reste la réponse sécuritaire qui prolongera indéfiniment «l'état d'urgence» que nous connaissons. Reste des bouquets de fleurs et des nounours déposés sur les lieux des attaques. Reste des mots d'ordre automatiques: «pas d'amalgame», «non à l'islamophobie». Chantal Delsol s'était étonnée, à juste titre, que lors des manifestations de Barcelone, la foule ne refusait pas «l'occidentalophobie» mais «l'islamophobie» comme si les terroristes s'en étaient pris à l'Islam alors même qu'ils s'en réclamaient. Ce paradoxe serait généreux s'il n'était pas tragique!

Quel serait alors l'avantage, selon vous, après l'attentat de Marseille, de nous reconnaître en guerre?

Les musulmans français ne sont pas des ennemis, c'est une évidence mais certains d'entre eux pratiquent une guerre contre cette Nation qu'ils haïssent et que nous n'aimons pas assez. N'oublions pas que François Hollande reconnaissait qu'une «partition du territoire» était en train de se produire quand son ministre de la ville constatait qu'existaient «cent Molenbeek» en France. Si nous voulons lutter contre ces dérives et ces spasmes terroristes

qui agitent régulièrement la France (comme ce fut le cas hier à Marseille) encore faut-il lutter contre les terreaux idéologiques qui arment les consciences des terroristes. Pour désarmer les terroristes encore faut-il désarmer les consciences. La guerre civile est d'abord dans les têtes. Comment agir? En désamorçant les trois peurs évoquées plus haut. En réformant «l'islam de France» - contre l'islam consulaire et ceux des imams qui, sans contrôle, prêchent la haine - à la suite du rapport des sénatrices Féret et Goulet de juillet 2016. Or, ces réformes n'avancent pas alors que le temps est compté. En demandant aux Français musulmans, comme le fait Ghaled Bencheikh, de choisir entre les solidarités musulmanes et l'amour de la France. Or, des rapports parlementaires montrent que «la lutte contre la radicalisation», nouvel euphémisme inventé par nos politiques, est un échec. Elle coûte cher, s'appuie sur des analyses tronquées et des associations peu fiables. Ce sursaut n'est possible qu'à la condition de se hisser à hauteur de l'événement - et de l'attentat de Marseille, pour ne parler que de lui. Encore faut-il condamner l'angélisme multiculturel de certains et œuvrer (comme mon livre le propose) à une «déradicalisation de l'antiracisme». Que nous le voulions ou non, nous sommes en état de «guerre civile». Considérons-la pour mieux l'éviter. Une guerre, dit Lévinas, revient à «se saisir de la substance de l'autre» et à rechercher son «talon d'Achille». Les terroristes français, soldats de l'Etat islamique et de l'islamisme culturel, cultivent nos peurs et réussissent à se saisir de notre «substance». Ils nous poussant vers toujours plus de multiculturalisme, toujours plus de mutisme, toujours plus de détestation de nous-mêmes.

Depuis 2015, on ne compte plus ce type d'attentats. Assiste-t-on à une forme de banalisation et de résignation?

On est en mesure de le craindre. Que va-t-il se passer après Marseille? On aimerait penser à un sursaut. Mais, l'étouffement sous les ours en peluche et les larmes de crocodile est plus probable. Nous allons attendre une nouvelle manifestation de «folie meurtrière» sans tout mettre sur la table et s'en prendre aux complicités idéologiques musulmanes. Il ne faudrait pas nous exposer à passer pour un islomophobe primaire! Ainsi, sans le vouloir mais sans rien pouvoir faire pour l'éviter, nous irons de petites défaites en grands renoncements, d'attentats terroristes en habitudes résignées, de lassitudes angoissées en soumissions volontaires. Nous nous en prendrons alors, dans une sorte de passivité complice, à la défaillance de nos politiques, à cette grande défaite de l'intelligence et à notre manque de courage. Ce constat douloureux devrait suffir à provoquer un sursaut d'orgueil. Mais même l'orgueil est interdit à cette Europe qui a tant à expier, tant à se faire pardonner!

Damien Le Guay, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 2 octobre 2017)

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