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puissance - Page 6

  • Le fantôme de la diplomatie française (2)...

    Vous pouvez découvrir la deuxième partie de l'excellent article de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française.

    Lire la première partie :

    Le fantôme de la diplomatie française (1)

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    Le fantôme de la diplomatie française (2)

    En politique étrangère, le suivisme précipité "pour en être" ne suffit pas. Sur les fronts irakien et syrien ouverts contre Daesh, la France "en est" certes, mais... de quoi au juste ? D'une alliance aléatoire dont certains membres, non des moindres, jouent un jeu si trouble qu'il confine à la trahison ? La question est posée, car la défiance est au cœur même de cette coalition de circonstance et d'affichage.
    Notre crédibilité militaire et politique pâtit de ce vice de fond, face à l'ennemi comme aux yeux de nos propres populations. En bout de ligne, ce sont les Français qui risquent de subir dans leur chair l'impact de cette réduction de l'action diplomatique à des postures martiales. Car nous avons de fait laissé grandir la menace. En niant la gravité de phénomènes politiques et sociaux internes, en faisant mine de croire que l'Afghanistan était sur la voie de la démocratie, que l'Irak se stabilisait, que la démocratie avançait en Libye grâce à notre intervention, que l'Iran renoncerait au nucléaire militaire, que l'on pourrait contenir durablement l'offensive des mouvements djihadistes au Sahel, que l'Occident parviendrait rapidement à retrouver son leadership mondial. Péchant par orgueil, ethnocentrisme et ignorance, saisis de spasmes d'impuissance désordonnés, nous faisons en fait de l'anti-diplomatie.

    Se garder du moralisme

    Notre auto-enfermement dans un moralisme décorrélé du réel nous empêche de penser librement et de définir une vision ambitieuse et des lignes pragmatiques de déploiement de l'action diplomatique qui servent nos intérêts de puissance et d'influence. Il est vrai que ces trois derniers mots, "intérêts", "puissance" et "influence", sentent le soufre. La France, confite dans une grandiloquence abstraite, a peur de son ombre et devient la spectatrice automutilée des vastes mouvements géostratégiques en cours.
    Car le monde réel refuse d'épouser les contours des visions iréniques de nos diplomates. La parole ne fait pas plus advenir la réalité en politique internationale qu'en économie. De même que la danse de la pluie ne suffit pas pour faire venir la croissance, rêver éveillé que Bachar el-Assad "n'en a que pour quelques semaines" ou que la "résistance libyenne modérée" est une réalité politique confine à l'auto-aveuglement ! Il fut pourtant un temps où nous étions moins présomptueux et plus habiles, où la France se gardait bien de soutenir ou de condamner des régimes, se limitant à reconnaître des États. Il faut réapprendre les fondamentaux de l'action diplomatique. Le diplomate n'est pas un grand inquisiteur ni un censeur ; il peut et doit parler à tout le monde, surtout "aux pires" des interlocuteurs, à ceux qui ne pensent pas comme lui. C'est sa raison d'être. Il doit maintenir en toutes circonstances des canaux, officiels ou secrets, de communication et de renseignement avec toutes les parties au conflit. Son pire ennemi est le moralisme au petit pied qui ne fait qu'enkyster les oppositions et isoler ceux qui devront finir par se parler pour que certaines lignes bougent.

    Définir notre objectif

    Une fois ce bon sens diplomatique retrouvé, à nous de structurer une stratégie globale de puissance et d'influence. Lucidité, réalisme, ambition et humanité en sont les pierres angulaires. La capacité d'écoute, le goût de l'autre, la recherche d'effets de longue portée, le déploiement sans états d'âme de notre capacité de nuisance ou de bienveillance et l'édification de liens et de réseaux dans la durée sont ses tenons et mortaises. Certes, la France n'est plus une grande puissance, mais son histoire politique, militaire et culturelle lui offre l'opportunité d'un rôle unique et indispensable dans la comédie pathétique du monde et de ses jeux de puissance.
    Cette stratégie suppose la définition d'un objectif à long terme (en langage militaire, un "effet final recherché" - EFR) et d'un faisceau de manœuvres tactiques de moyen et court terme autour de "lignes d'opérations" (militaire, diplomatique, médiatique, culturelle, normative, économique, financière, scientifique, éducative, industrielle, etc.) visant à l'atteindre.
    Pour la France, l'EFR peut être ambitieux mais raisonnablement atteignable : forger et conserver un positionnement de médiateur incontournable et recherché sur l'ensemble des points majeurs de conflit et de crise, faire jeu égal avec Berlin en Europe, être en capacité de peser sur le cours des choses et de faire avancer, y compris lorsqu'ils ne se rencontrent pas, nos intérêts (économiques et militaires) et nos principes politiques. Cela suppose évidemment que l'on renonce au rôle de pédant professeur en maturité démocratique que ses élèves turbulents n'écoutent plus depuis longtemps.

    Se tourner vers la Russie

    Nous devons ensuite identifier des points d'appui majeurs pour le déploiement de cette stratégie. Tout en repensant une politique arabe évanouie, il faut structurer notre nouvelle assise stratégique globale autour d'une relation multicanal soutenue avec l'Iran et la Russie. Contrairement à la doxa ridicule qu'ânonne l'Europe, notamment depuis la crise ukrainienne, ces deux États sont à l'évidence des pivots de croissance et de stabilité déterminants pour nous Français et pour le continent tout entier.
    L'Europe a un besoin stratégique évident de la Russie pour exister vis-à-vis de la Chine et de l'Asie, vis-à-vis de l'Amérique, vis-à-vis du Moyen-Orient, bref, partout. Nous devons donc faire admettre à certains de nos partenaires européens, tels la Pologne ou les pays Baltes, que si nous comprenons évidemment leur relation historique douloureuse avec Moscou, on ne peut pour autant brader les intérêts stratégiques globaux de l'Union en niant par exemple l'appartenance de la Russie à l'ensemble géographique, culturel et religieux européen. Sauf à consentir à l'abaissement politique, économique et stratégique définitif de l'Union européenne au profit des USA, y compris au plan technologique et industriel. N'oublions pas que l'Otan est aussi une vitrine et un véhicule commercial redoutablement efficace pour l'industrie américaine de l'armement.

    Cesser de se tromper sur l'Iran

    Quant à l'Iran, déjà évoqué, cette puissance régionale est en passe de retrouver un rôle global de premier plan. Située à la charnière des mondes indien, chinois et russe, elle est évidemment un tampon essentiel pour l'Occident dans la reconfiguration agressive des équilibres stratégiques du monde, sans même parler de son potentiel économique. Nous l'avons vu, les États-Unis ne s'y trompent pas. Un esprit "complotiste" pourrait même faire remonter à l'invasion américaine de l'Irak en 2003 et au fait de favoriser massivement la mainmise chiite sur le pays l'amorce réelle du basculement stratégique de Washington vers la Perse, dans une tentative de rééquilibrage de sa relation avec l'Arabie saoudite et Israël. Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter, la question reste entière. Quoi qu'il en soit, les Américains avancent leurs pions. Le maintien des sanctions est essentiellement dû à leur volonté de lever l'embargo au bon moment, celui où sera atteint un accord stratégique sur le nucléaire monnayé au mieux de leurs intérêts. Pendant ce temps, Téhéran fait monter les enchères, Allemands et Britanniques se placent... et Paris se trompe.

    Augmenter le budget de la défense

    Évidemment, une telle approche diplomatique ne peut réussir qu'appuyée sur un outil militaire fort et son engagement à niveau suffisant pour garantir un effet de crédibilité politique indiscutable. Cela requiert évidemment un renforcement de nos effectifs comme de nos moyens, donc une augmentation du budget de la défense.
    Last but not least, cette nouvelle "intelligence du monde" requiert une action pédagogique résolue et décomplexée vers l'opinion publique nationale pour développer son adhésion à cette diplomatie refondée. Arrêtons de prendre nos concitoyens pour des imbéciles. Expliquons-leur le monde tel qu'il est au lieu de le peindre en rose et d'être sans arrêt démentis ou ridiculisés par les faits. Ils nous en sauront gré.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014)

     

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  • L'Europe sans puissance : l'heure de vérité ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur Xerfi Canal et consacré à l'heure de vérité qui s'approche pour l'Europe quant au choix entre la soumission définitive aux États-Unis et l'indépendance...

     

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  • Les réalités stratégiques du Traité transatlantique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Christian Harbulot, réalisé par l'Agence Info Libre et consacré aux enjeux du Traité transatlantique, que l'union européenne est en train de négocier discrètement avec les Etats-Unis. Fondateur de l'Ecole de Guerre économique, Christian Harbulot vient de signer un essai intitulé Sabordage - Comment la France détruit sa puissance (Bourin, 2014).

     

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  • L'idéal de puissance...

    Vus pouvez découvrir ci-dessous une analyse passionnante de Philippe Grasset, infatigable animateur du site De Defensa, consacré à l'idéal de puissance comme forme de l'hybris du système...

    Philippe Grasset est l'auteur des essais intitulés Le Monde malade de l'Amérique (Chronique sociale - EVO, 1999), Chroniques de l'ébranlement (Mols, 2003), et de La grâce de l'Histoire (Mols, 2014).

     

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  • De l'Europe et de ses capacités militaires...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré aux capacités de défense de l'Europe, bien maigres et négligées...

     

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    Europe. Capacités militaires

    L'article de Jean-Claude Empereur, que nous venons de publier, et qui recueille notre approbation totale « Europe. Puissance et souveraineté » n'évoque pas directement la question de la puissance militaire dont dispose - ou plutôt ne dispose pas l'Europe.
    Le réarmement auquel se livrent dorénavant les autres grandes puissances, Russie, Chine, Inde, Japon...oblige cependant à poser la question. L'Europe restera-t-elle dans les prochaines décennies dépourvue de capacités militaires en proportion de celles du reste du monde.

    Plus récemment, les évènements d'Ukraine obligent à jette un nouveau regard sur le problème. Sans craindre nécessairement un retour à la guerre froide marquée par la menace constante des armées de l'URSS, les pays européens devraient veiller à renforcer les moyens militaires dont ils disposent. Ceci ne voudrait pas nécessairement dire se préparer à un affrontement armé avec la Russie. Même dans le cadre souhaitable d'une convergence stratégique entre l'Europe, la Russie et les autres pays du BRICS, l'on convergerait d'autant mieux que l'on disposerait de ressources comparables. Toute coopération technologique avec les BRICS, qui serait nécessaire à l'Europe, notamment dans la perspective dite duale (civile et militaire), serait à ce prix.

    Les pays européens, dont la plupart sont membres de l'Otan, avaient longtemps compté sur l'Amérique pour assurer leur sécurité. C'était une erreur, car ils y avaient perdu leur autonomie diplomatique. Ils y avaient perdu aussi l'occasion de développer des technologies en propre, qui aujourd'hui contribuerait à leur souveraineté. On voit aujourd'hui l'embarras des gouvernements européens qui s'étaient fait imposé l'acquisition de Lockheed Martin F35 dont les prestations techniques sont de plus en plus contestées, alors que le prix à l'unité ne cesse de croître. Par ailleurs aujourd'hui, dans le cadre d'un recentrage sur le Pacifique, l'Amérique a retiré une grande partie des forces qu'elle avait déployées en Europe.

    Nous ne nous en plaindrions pas, si l'Europe avait dans le même temps fait l'effort de se doter de capacités industrielles et militaires en propre. Ce ne fut pas le cas, comme le montrent sans ambiguïtés les estimations de l'Institut de recherches stratégiques français. Les seuls pays disposant de quelques forces, terrestres, aériennes ou navales, sont la France et la Grande Bretagne. Les autres, supposés mettre des moyens à la disposition de l'Otan – pour ne pas parler d'une défense européenne qui n'a jamais été prise au sérieux par eux, ne pourraient aligner que quelques bataillons. Autrement dit, ils seraient incapables d'assurer plus que quelques heures la défense de leur territoire, face à un adversaire quelque peu déterminé.

    Dans le même temps, toutes les recherches et la production intéressant les nouvelles armes, drones, satellites, technologies de la cyber-guerre, végètent. Il en résulte l'incapacité de se mesurer aux pays non européens, non seulement au plan militaire, mais en ce qui concerne les applications civiles de ces technologies. Non ne mentionnons pas ici l'arme nucléaire française, qui demeure indispensable à titre de prévention, mais dont l'usage signerait la destruction d'une partie du monde.

    Les vœux des populations

    Les hommes politiques européens font valoir que ce désengagement généralisé est conforme aux voeux des populations et des corps électoraux. Comme les menaces de guerre ont cessé depuis la chute du mur de Berlin, lesdites populations préfèreraient les consommations aux investissements à long terme exigés par le maintien de forces de défense compétitives. Mais les travailleurs licenciés par les industriel de la défense en mal de contrats ont-ils les mêmes préférences. De plus, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, les voeux profonds des populations sont façonnés par les narratifs dont on les nourrit. Il paraît indéniable que dans le domaine militaire et militaro-industriel, ce furent les Etats-Unis qui en premier lieu avaient intérêt à tuer dans l'oeuf toute concurrence européenne. Ainsi préservaient-ils la « full spectrum dominance » de leurs propres capacités et des contrats correspondants. La même chose d'ailleurs s'observe dans le domaine du spatial et des sciences dites émergentes. Les corps électoraux sont dits ne pas s'y intéresser, parce que tous les narratifs concernant ces perspectives sont en dernier ressort confisqués par les médias américains du film et de la télévision.

    Obama est venu en Europe récemment pour convaincre l'Europe de Otan de renforcer sa contribution aux efforts prétendus de défense commune. Mais il cherchait en fait, sous la pression d'un lobby militaro-industriel qui, lui, ne désarme pas, à les convaincre d'acquérir davantage d'armements américains. Si les Européens avaient répondu que pour améliorer leur défense, ils se dotaient de Rafales ou de BPCs Mistral français, Obama n'aurait certainement pas pris cela pour une bonne nouvelle.

    Que devraient faire les Européens s'ils se persuadaient de la nécessité de renforcer leur défense. La crise et les économies qu'elle impose ne devraient pas être évoquées pour justifier un retrait de plus en plus accentué. Mais il faudrait en ce sens que de véritables coopérations entre pays moteurs s'établissent. Dans le cadre actuelle des institutions européennes, rien de tel ne peut être espéré. Il resterait donc à des pays comme la France, l'Italie ou l'Espagne d'entraîner l'Allemagne et les pays nordiques dans un effort commun. Il serait tentant d'évoquer la menace d'une Russie en réarmement rapide. Mais ce serait à notre sens très dangereux, car dressant l'une contre l'autre les deux moitiés d'une Eurasie commune. Ceci bien évidemment serait incompatible avec le maintien d'une présence quelque peu effective au sein de l'Otan. 

    Mieux vaudrait, nous y revenons, évoquer les nécessités d'une résistance commune aux grandes crises en préparation. D'une part, les dépenses budgétaires consacrées à la défense et aux industries duales militaires et civiles ne devraient pas être gelées, sous prétexte d'économies. Elles devraient au contraire être augmentées, conjointement avec celles intéressant le développement de différents secteurs stratégiques comme le spatial, la lutte contre le changement climatique et autres menaces. Les crédits ne manqueraient pas, si la Banque centrale européenne était autorisée à fournir des liquidités au secteur productif. Par ailleurs, les retombées humaines, en termes d'emploi, immédiatement, et pour l'acquisition de compétences hautement technologiques, à terme, seraient très vite sensibles aux yeux des populations. Les risques d'une inflation forte seraient inexistants.

    Vain espoir, dira-t-on, quand l'on constate l'insuffisance des décideurs européens en terme de compétences stratégiques et d'esprit d'entreprise. Si les besoins futurs de la défense européenne étaient gérés comme aujourd'hui en France l'affaire Alstom, il faudrait se résigner dès maintenant aux futures invasions. Après tout, les esclaves peuvent toujours espérer trouver un emploi en cirant les chaussures des vainqueurs.

     

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 3 mai 2014)
     
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  • Puissance et souveraineté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Claude Empereur, cueilli sur le site Europe solidaire et consacré à la nécessité pour l'Europe de rechercher la puissance  et la souveraineté...

     

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    Puissance et souveraineté

    Les prochaines élections européennes risquent de se traduire par une nouvelle diminution des capacités de puissance et de souveraineté dont dispose l'Union Européenne. En France, la démission des Pouvoirs Publics face au démantèlement annoncé de l'entreprise Alstom ne fait que confirmer cet inquiétant pronostic

    La perspective des élections européennes, la négociation sur l'Accord de partenariat transatlantique, dans un climat général de méfiance envers les institutions européennes ,  devraient inciter médias et responsables politiques à s'interroger sur les concepts de puissance , d'indépendance et de souveraineté appliqués à la construction de l'Union Européenne et à rompre enfin avec une stratégie d'évitement sémantique qui à prévalu jusqu'à maintenant dans l'expression de ces concepts.

    La question de la puissance de l'Europe est essentielle mais à deux conditions :
    -    Que les Européens s'entendent sur son contenu,
    -   Qu'ils la considèrent non comme une fin en soi mais comme l'élément  d'un concept plus riche : la souveraineté européenne.

    Si la réconciliation des Européens avec la puissance est une nécessité,  l'impératif essentiel reste la conquête de la souveraineté,  c'est-à-dire la volonté de maitriser un  destin collectif. La puissance  n'est qu'un élément de la souveraineté, un chemin d'accès. Elle n'a pas de valeur en soi. C'est un concept relatif, au contraire la souveraineté est un concept absolu.
    La puissance se définit par  un contenu, la souveraineté  par une vision.

     La puissance : quel contenu ?

    Depuis  des années les responsables  politiques  comme  les médias ne cessent d'invoquer,   en toutes circonstances, à temps et à contretemps, la notion d'  « Europe puissance ». Rares sont ceux qui se hasardent à en définir le contenu. Pire,  les dirigeants  de l'Union Européenne, effrayés à l'idée d'être accusés d'exprimer ne serait ce que l'esquisse de la moindre volonté de puissance, intention qui pourrait les renvoyer « aux âges sombres de notre histoire », se sont ingéniés à affirmer, pour preuve de leur bonnes intentions, une volonté d'impuissance exemplaire. Ils croient devoir ainsi quémander l'approbation du reste d'un monde pourtant engagé dans une compétition multipolaire acharnée, dont le ressort est précisément l'expression de la puissance  sous toutes ses formes.

    Or, aujourd'hui rien ne permet de penser que les Etats membres de l'Union :
    -    se font la même idée de la puissance, de son usage et de sa finalité,
    -    sont d'accord sur ses différentes composantes,
    -    partagent une vision commune de la manière de les hiérarchiser,
    -    envisagent d'y affecter le même type ou même niveau de moyens,
    -    en ressentent même, pour certains, le besoin.

     Poser la question est déjà y répondre. Il suffit d'énumérer, pêle-mêle, quelques uns de ces éléments de la puissance : finance, démographie, défense, énergie, technologie, industrie, numérique, espace, océans, culture, etc. , pour s'apercevoir qu'il n'existe actuellement aucun consensus européen.
    Ceci ne signifie pas néanmoins qu'il faille renoncer à  l'idée de construire une « Europe puissante » notion concrète et opérationnelle, plutôt d'ailleurs  qu'une « Europe puissance » concept purement incantatoire, tout juste utile à servir de leurre dans les congrès  ou les assemblées de la bien-pensance européiste.

    Bien au contraire, il s'agit d'une impérieuse nécessité. Il est temps de  mettre en perspective  l'ensemble du dispositif de puissance nécessaire à la survie de l'Europe dans un monde qui globalement ne lui est pas favorable et perçoit l'Europe, au mieux comme un marché, au pire comme un ensemble  économiquement  anémique, démographiquement vieillissant et politiquement inexistant.

    Ayant depuis trente ans favorisé l'irénisme économique sur le volontarisme politique, le court-termisme du marché  sur la vision à long terme, l'Union s'est montrée incapable de mettre en œuvre ce dispositif de puissance dans des domaines aussi stratégiques que la recherche fondamentale et appliquée, l'énergie , les technologies génériques, le numérique, la sécurité alimentaire, la défense mais aussi les politiques de population ou d'identité culturelles.

    La réussite indiscutable de certaines grandes aventures technologiques ou industrielles, dans le domaine de l'aérospatial ou du nucléaire, est  due, pour l'essentiel, à des initiatives françaises relayées le plus souvent par l'Allemagne et parfois par d'autres partenaires européens.  Outre le fait que ces aventures  ont été initiées il ya plus de quarante ans, cette réussite certes brillante  masque le fait que les nouveaux domaines de la puissance n'ont guère été explorés depuis lors,  si ce n'est par des rapports ou des livres blancs.

     L'aversion pour toute politique industrielle, l'obsession de la concurrence libre et non faussée rendrait sans doute impossible aujourd'hui le lancement d'Airbus.  C'est non sans mal que l'on a réussi à construire l'A 400M, outil majeur de souveraineté par sa capacité de projection, ou réussi à poursuivre  le programme Galileo, instrument de géolocalisation indispensable à la sécurité et à la gestion des flux économiques. La livraison du premier se fait au compte goutte, compte tenu de la réduction des budgets de défense, le second a du accepter de nombreux  compromis d'interopérabilité avec le GPS américain préjudiciables à l'indépendance de l'Europe.

    Ce dernier point illustre clairement la volonté affichée par les Etats Unis, non seulement  face à l'Union Européenne, mais aussi au reste du monde, Chine notamment, de maintenir en permanence un « gap » technologique décisif seul susceptible de préserver une  volonté  de « full spectrum dominance », concept  ô combien  éclairant et non négociable de  leur stratégie d'hégémonie.

    L'affaire Snowden a révélé, par ailleurs, comment la NSA, l'une des agences de renseignement la plus emblématique de la souveraineté technologique et numérique américaine, bien au-delà du simple système d'écoute tentaculaire que l'on s'est borné à présenter, constituait, en réalité, le « pivot numérique » de cette stratégie.

    Pour paraphraser Mackinder et sa théorie du « pivot géographique », on peut affirmer en effet que celui qui contrôle et  commande  le « pivot numérique », contrôle le monde.

    La National Security Agency (NSA) dont Edward Snowden  a révélé l'ampleur des activités constitue l'axe central d'un pouvoir numérique planétaire.
    Ce pouvoir numérique qui se déploie, à vitesse exponentielle, dans tous les secteurs, de la défense à l'économie et à la culture est malheureusement hors d'atteinte pour les Européens qui ont renoncé à toute compétence en ce domaine, il y a quarante ans, par manque de vision technologique, industrielle et géopolitique, risquant ainsi de condamner l'Europe à n'être qu'une puissance incomplète.

    La souveraineté, quelle vision ?

    L'expression d'une puissance européenne sans but affiché  n'a  aucune valeur. Cette puissance doit être ordonnée à un objectif. A minima il s'agit d'assurer la survie  du Vieux  Continent ou, si l'on a plus  d'ambition, de défendre une certaine conception du monde et de la société, bref de maîtriser un destin.

    Or,  depuis  Bodin et  Hobbes, la  volonté de  se donner les moyens de cette maîtrise,  de  ne dépendre de qui que ce soit, de  protéger son  peuple , ses biens, son patrimoine , sa mémoire, s'appelle la souveraineté.

     Mais pour des raisons historiques, géopolitiques mais aussi  de psychologie collective les Européens vivent depuis la fin de la seconde guerre mondiale  dans le déni de souveraineté.

    Cette attitude de déni n'affecte en aucune manière les autres acteurs du monde multipolaire et de la soi-disant communauté internationale , qu'il s'agisse notamment  de la Chine , des Etats-Unis, de la Russie, de l'Inde, d'Israël ou du Brésil. Bien au contraire, ce monde  est le théâtre d'un affrontement permanent de souverainetés. Cet affrontement  est même la caractéristique essentielle d'un « monde redevenu  normal » pour reprendre l'expression du géopolitologue américain Robert Kagan.

    Mais le fonctionnement de leurs institutions condamne les membres de l'Union Européenne à ce déni.  Bien plus, ces institutions n'ont de cesse  d'absorber années après années, par délégations successives et irréversibles, la substance même des souverainetés nationales,  sans transformer ce processus en construction d'une souveraineté européenne à la fois « surplombante » et partagée  capable de s'exprimer face au reste du monde.
    Peu à peu s'est installée une conception à deux faces de la souveraineté européenne : l'une à usage interne, tournée vers les Etats membres, coercitive, culpabilisante voire punitive, l'autre à usage externe, complexée, frileuse et quasi inexistante à l'égard du reste du monde.
    Cette dissymétrie de plus en plus mal perçue par l'opinion est largement responsable de l'affaiblissement du sentiment européen.

    Elle est manifeste dans la gestion de la monnaie unique. Chacun a fini par comprendre que les sacrifices consentis en termes d'abandon de souveraineté dans ce domaine particulièrement sensible de la psychologie collective n'étaient pas compensés par l'émergence d'une monnaie qui, malgré une certaine réussite au plan international, ne parvenait pas à  s'imposer dans une  guerre des monnaies ou s'affrontent, pour l'essentiel, le Dollar et le Yuan, seules monnaies réellement souveraines car adossées à de véritables puissances.

     Il est vrai que, selon la tradition juridique, la souveraineté prenant nécessairement appui sur trois éléments : un Etat, un peuple et un territoire, l'Union européenne se trouve en porte à faux, révélant ainsi toute l'ambigüité de son projet.

    La difficulté est d'autant plus grande qu'au-delà et en complément  des puissances traditionnelles, se développent, à un rythme accéléré, d'autres vecteurs de puissance le plus souvent étroitement  reliés entre eux : le réseau des entreprises financières et leurs instruments de marché et celui des entreprises numériques publiques et souveraines, NSA, CIA et autres... ou privées  Google, Amazon, Facebook  etc....

    Les unes et les autres, aujourd'hui, sont, pour l'essentiel, dépendantes de l'hyperpuissante américaine.  Certains observateurs  pronostiquent le déclin de celle-ci. Tout montre au contraire qu'elle ne fait que se renforcer, sur les théâtres du monde où elle est vraiment importante. Par ailleurs  de nouvelles puissances émergentes ou ré-émergentes se sont engagées, à leur tour, dans une gigantesque compétition visant à  l'  « arraisonnement du monde », pour reprendre le concept qu'Heidegger appliquait au développement technologique postmoderne.

    Confrontés à une situation aussi complexe, porteuse de menaces pour leur avenir, paralysé par des institutions inadaptées au monde qui vient, tourmentés par un sentiment de culpabilité et parfois même de haine de soi, dépourvus de toute vision géopolitique collective, que peuvent faire les Européens pour échapper à cet arraisonnement « gullivérien » ?

    On a souvent dit que l'Union Européenne était une  construction juridique « sui generis » sans précédent  dans l'histoire. C'est sans doute vrai, elle n'est  ni un  Etat, ni une  fédération, ni une confédération. Il ne faudrait pas que cette singularité devienne maintenant un piège dans la compétition multipolaire qui se déploie sous nos yeux.

    Aux Européens d'inventer désormais une nouvelle forme de souveraineté  « sui generis », partagée, coopérative, surplombante, « hors sol » etc. pour peu que cette souveraineté, sans étouffer les souverainetés des Etats-membres, soit à la fois protectrice, libératrice et anticipatrice, seule capable de rompre avec cette « géopolitique de l'impuissance » qui semble inspirer l'Europe depuis cent ans.

    En l'absence de réflexion collective sur ces sujets,  la crise du sentiment européen ne cessera de s'aggraver.  Elle s'exprime aujourd'hui par une désaffection déjà très avancée de nos concitoyens vis-à-vis des institutions européennes. Ils constatent chaque jour, médusés, qu'elles ne répondent pas aux défis qu'imposent la crise et la recomposition du monde en résultant. Mais que l'on se rassure, si l'on peut dire.  Dans le collapse généralisé qui s'annonce,  il sera toujours possible de descendre plus bas. 

    Jean-Claude Empereur (Europe solidaire, 03 mai 2014)

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