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puissance - Page 10

  • Perspectives pour une fédération euro-russe...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur De Defensa et consacré au nécessaire rapprochement entre l'Europe et la Russie. Jean-Paul Baquiast est l'animateur des sites Europe solidaire et Automates intelligents.

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    Perspectives pour une fédération euro-russe

    Beaucoup d'Européens considèrent qu'un partenariat stratégique avec la Russie s'impose désormais, d'autant plus que l'influence américaine qui déterminait jusqu'alors les politiques européennes est en train de reculer sur de nombreux domaines. Par partenariat stratégique, on pourrait entendre une gamme d'accords possibles, d'abord économiques mais ensuite politiques. Ceci pourrait aller jusqu'à un rapprochement qui ferait de la Russie un membre de l'Union européenne doté d'un statut spécial - et parallèlement ferait de l'Union européenne un membre lui-aussi spécial de la Fédération de Russie. Pour simplifier, on parlera de la création d'une Fédération ou Union Fédérale euro-russe.

    Mais la Russie est-elle devenue suffisamment proche culturellement et politiquement de l'Europe pour d'une part rechercher une alliance européenne (il ne suffirait pas que l'Europe s'intéresse à la Russie. Il faudrait aussi que celle-ci s'intéresse à l'Europe) et d'autre part apporter dans une telle alliance des éléments qui renforceraient le poids géostratégique des deux ensembles, c'est-à-dire finalement de l'Europe elle-même, au sein de la future Fédération euro-russe

    Pour rassembler des éléments de réponse à cette question, il faut d'abord dans une première partie s'efforcer de porter un jugement aussi dépourvu d'idéologie que possible sur l'état actuel de la Russie et son évolution probable dans les prochaines années. Nous supposerons ici connues du lecteur les forces et les faiblesses de l'Europe.

    Dans une seconde partie, nous examinerons ce que pourraient être les structures et les politiques qu'adopterait une éventuelle Fédération euro-russe.

    1. L'état de la Russie.

    Cette question fait évidemment l'objet de multiples commentaires de la part des chroniqueurs politiques. Que pourrions nous suggérer pour notre part? Pour simplifier, limitons-nous à décrire les forces et les faiblesses contemporaines de ce qu'il convient encore d'appeler l’“Empire russe”.

    Mais pourquoi ce terme d'Empire. Si l'on admet que le monde actuel, devenu multipolaire, est un lieu de confrontation entre un certain nombre de grands ensembles organisés sous forme d'empires plus ou moins monolithiques, à la recherche des sources de la puissance, on distinguera trois de ces empires, disposant de forces et de faiblesses spécifiques: l'Amérique, la Chine et la Russie. On y ajoutera la nébuleuse des Etats se rattachant à l'islam qui s'efforcent de plus en plus de s'organiser en empire global, sous le vocable d'émirat. L'Europe pour sa part, malgré son organisation politique encore éclatée, conserve un poids suffisant pour pouvoir d'une certaine façon être regardée, sinon comme un empire, du moins comme une puissance potentiellement capable de jouer sa partition dans le monde multipolaire.

    Or, considérée comme un empire et confrontée à l'Amérique et à la Chine, voire à l'Europe, la Russie fait-elle encore le poids? On lui reconnaît aujourd'hui un certain nombre d'éléments de puissance. Le premier est un territoire immense, doté de richesses naturelles considérables dont une grande part reste encore inexploitée. Cet avantage devrait devenir de plus en plus grand, avec les transformations climatiques du monde. Les 9 mois d'hiver qui pour le moment encore pèsent d'un poids très lourd dans les activités russes devraient céder la place à des conditions plus favorables à une croissance mieux équilibrée.

    Un autre élément de force tient à la persistance d'une cohésion socio-politique certes peu favorable pour le moment encore aux libertés individuelles mais qui permet d'assurer l'unité de l'ensemble de l'Empire dans ses confrontations avec le reste du monde. Il s'agit d'un élément de puissance dont les Européens encore partagés en multiples centres de pouvoir se neutralisant au lieu de s'unir ne mesurent pas suffisamment l'influence.

    Cette cohésion est assurée par un accord implicite entre trois pouvoirs ou plus précisément entre trois oligarchies: le pouvoir de l'Etat et de son administration militaire et civile, le pouvoir de la couche dite en Russie des “nouveaux riches”, extrêmement réduite en termes d'effectifs mais qui détient désormais presque tous les leviers économiques, et le pouvoir de l'Eglise orthodoxe russe. Celle-ci, après une éclipse plus apparente que réelle sous le régime communiste, a repris les moyens dont elle disposait depuis des siècles pour s'imposer à des populations restées profondément traditionalistes et peu éclairées, au sens que nous donnons en France à ce terme hérité de l'ère des Lumières. Chacun a pu constater lors de la sanction disproportionnée ayant fait suite au procès des Pussy Riot, que l'Etat représenté par le président Poutine et l'Eglise représentée par le patriarche Kirill agissaient main dans la main, pour contrer les rares activistes occidentalisés contestant cette alliance entre l'Etat et la religion.

    La presse occidentale a parlé à l'occasion de ce procès d'une dérive autoritaire de la Russie. Mais c'était oublier d'une part que l'autoritarisme est aussi très répandu à l'Ouest, notamment aux Etats-Unis et d'autre part que l'union de l'Etat et de l'Eglise représente encore un très ancien partage de pouvoir, ayant toujours fait la force de l'Empire. On se souviendra que Staline lui-même, à la veille de la grande offensive allemande contre Moscou, en avait appelé aux forces réunies de l'armée soviétique et de la religion. Cela peut surprendre en France, mais il est clair qu'aujourd'hui, les mêmes alliances entre l'Etat, les oligarchies économiques et les forces religieuses sont mobilisées aux Etats-Unis pour assurer le succès tant des Démocrates que des Républicains.

    Quant aux oligarques représentés par les nouveaux riches qui tiennent en mains tous les leviers économiques, ils n'ont qu'un désir, se concilier les faveurs de l'Etat et de l'Eglise, y compris par la corruption, sans les attaquer de front. Ainsi pourront-ils continuer à mener tranquillement leurs affaires, sans craindre l'émergence d'une classe moyenne encore embryonnaire dont les exigences d'un accès aux produits de la croissance les empêcheraient d'en profiter tranquillement.

    Les faiblesses

    En contrepartie de ces éléments de puissance, la Russie souffre de faiblesses qui, si elles ne sont pas traitées rapidement, risquent d'en faire l'homme malade des prochaines décennies. Il est clair que ces faiblesses si elles devaient persister constitueraient autant d'obstacles à un éventuel rapprochement fédéral entre l'Europe et la Russie, pour la raison simple que l'Europe souffre dans certains cas un peu des mêmes maux.

    La liste en est longue. Il s'agit d'abord d'une situation démographique inquiétante: baisse de la natalité et situation sanitaire sans grande perspective d'amélioration, due notamment à l'abus de l'alcool, du tabac et des drogues qui affecte particulièrement les hommes. Il en résulte que les Russes ne peuvent pas assurer dans leurs provinces orientales et septentrionales une densité de population permettant de s'opposer à la pression démographique de la Chine et des autres pays asiatiques. Des immigrations massives devraient en résulter, qui affecteraient profondément la cohésion de l'Empire ayant fait sa force jusqu'à ce jour. Cette faiblesse démographique, qui ressemble d'une certaine façon à celle de l'Europe, est d'autant plus préoccupante qu'elle ne pourra recevoir de remèdes à l'échelle du présent siècle.

    Une autre faiblesse de la Russie tient à ce que l'on pourrait appeler son addiction récente et sans contre-pouvoirs au néolibéralisme mondial. Si rien n'est fait, l'entrée prochaine de l'OMC ne fera qu'aggraver les risques. Certes la Russie ne pouvait demeurer un monde protectionniste fermé aux influences extérieures. Mais si l'ouverture se poursuit d'une façon aussi “sauvage” que celle ayant suivi les précédentes vagues de privatisation, les bénéficiaires en seront la classe des nouveaux riches déjà évoqués. Or ceux-ci sont organisés pour détourner à leur profit la plupart des bénéfices provenant notamment de la commercialisation des potentiels économiques dont dispose encore la Russie, pétrole et gaz et matières premières. Ils ne s'en servent pas, comme cela s'est longtemps fait, soit aux Etats-Unis soit en Europe (dans le cadre du capitalisme industriel dit rhénan ou dans les services publics à la française) pour investir dans des équipements de long terme, dans la recherche et dans la mise au point de nouvelles technologies et applications productives.

    En dehors de quelques améliorations spectaculaires dans les grandes villes, profitant d'ailleurs quasi exclusivement aux nouveaux riches, les infrastructures demeurent incapables de faire face aux besoins d'un pays aussi grand. Parallèlement, dans tous les secteurs, même dans le domaine jusqu'ici privilégié du militaire et du spatial, les recherches, qu'elles soient fondamentales ou appliquées, périclitent, de même que la formation. Il en est de même du potentiel industriel de base, qui ne se renouvelle pas. Ce n'est évidemment pas le cas dans les pays asiatiques, en premier lieu chez le concurrent chinois. Pourquoi ce manque d'intérêt pour le long terme? Parce que les nouvelles oligarchies de nouveaux riches préfèrent placer leurs épargnes dans des paradis fiscaux ou aux mains de diverses maffias, quand il ne s'agit pas de les consommer d'une façon dont ne profitent que les pays rivaux de la Russie.

    En Europe, malgré de grandes difficultés, ce qui demeure des administrations centrales ou locales et des services publics s'efforcent, avec l'appui électoral des classes moyennes, de maintenir un flux minimum de formation et d'investissements productifs ou de recherche. Mais en Russie, les classes moyennes n'existent pas, du fait de la confiscation des gains de productivité par les oligarchies de nouveaux riches. Par ailleurs, ces mêmes oligarchies ont réussi, en généralisant la corruption à tous les niveaux, à neutraliser les quelques pouvoirs administratifs et politiques qui auraient pu s'opposer à elles au nom de l'intérêt général collectif, systématiquement présenté comme un retour au stalinisme. Ajoutons que l'Eglise orthodoxe a pour sa part renoncé à tout message évangélique de portée générale, se bornant à reconquérir les éléments de son ancienne puissance matérielle, y compris à travers des placements à l'étranger. Toutes choses égales d'ailleurs, on pourrait dire que la Russie, à une toute autre échelle, souffre des mêmes maux que la Grèce actuelle, rongée par une oligarchie vivant et investissant à l'étranger, par une administration corrompue et par une Eglise au seul service de ses intérêts patrimoniaux.

    Il est clair que si un éventuel rapprochement politique avec l'Europe se bornait, tant en Russie qu'en Europe même, à encourager au nom du néolibéralisme le pillage des ressources nationales par les oligarchies mondialisées, rien de bon ne pourrait en sortir.

    La guerre souterraine de l'Amérique contre la Russie

    Les éléments négatifs, que nous venons de résumer, handicapant le développement de la Russie en tant que puissance indépendante, découlent en partie de la guerre souterraine que continue de mener, vingt ans après la fin officielle de la guerre froide, l'empire américain contre ce qui fut longtemps son grand rival, l'empire russe. La Russie, à cet égard, ressemble là-encore beaucoup à l'Europe. Les Etats-Unis, comme ils l'ont toujours fait, consacrent ce qui leur reste de puissance géostratégique à empêcher qu'apparaissent à leurs frontières des ensembles politiques indépendants capables de limiter ou menacer leur influence. Ils sont pratiquement désarmés aujourd'hui face à la Chine mais les Européens clairvoyants savent que, dès la fin de la seconde guerre mondiale, les pouvoirs américains ont orienté la construction de l'Union européenne de façon à en faire un relais pour leurs intérêts géostratégiques. Aujourd'hui, ils continuent à le faire, d'une façon moins évidente mais tout aussi efficace, grâce aux appuis dont ils bénéficient dans les milieux européens atlantistes estimant plus profitables de conserver le statut de satellite plutôt qu'acquérir celui de compétiteur. Or contrôler la Russie, non seulement économiquement mais politiquement constitue pour les Etats-Unis un enjeu d'une toute autre importance, mais aussi d'une toute autre difficulté, que contrôler l'Europe. On peut considérer qu'ils y mettent aujourd'hui une grande part de leurs forces à l'international.

    Bien que disposant d'une puissance militaire encore sans égale, les Etats-Unis ne peuvent espérer se confronter directement à la force nucléaire stratégique russe, y compris à sa composante navale. On vient ainsi de découvrir qu'un sous-marin nucléaire du dernier modèle, de la classe Akula, aurait cet été patrouillé quelques jours ou semaines sans être détecté dans le golfe du Mexique. Par contre ils disposent de tous les éléments du pouvoir économique et surtout du soft power qui manquent aux Russes. La cible en est en priorité la jeunesse issue des classes moyennes encore embryonnaires que séduit non sans raison les modes de consommation, les productions culturelles et la liberté d'expression dont, mieux encore que l'Europe, l'Amérique semble être la référence mondiale.

    Face à ce soft power, il faut bien reconnaître que les vieux éléments de la cohésion russe, énumérés précédemment, notamment l'Etat et l'Eglise orthodoxe, paraissent assez désarmés. Quant aux nouveaux riches, à condition de ne rien céder de leurs sources patrimoniales de puissance, ils sont prêts à participer avec les oligarchies anglo-saxonnes et européennes à un éventuel partage du pouvoir sur le monde, partage à l'occasion duquel le vieux souci d'indépendance politique de la Russie pourrait être sacrifié.

    Les efforts de la diplomatie américaine et des éléments plus diffus de soft power utilisés par les Etats-Unis pour affaiblir la Russie se sont accrus depuis la fin de l'URSS. Les maladresses et erreurs du gouvernement russe, avant l'arrivée de Vladimir Poutine à la présidence, ont évidemment facilité le jeu des Etats-Unis pour détacher de l'influence de Moscou, entre autres, les républiques de Georgie et d'Ukraine. Mais aujourd'hui, sur le territoire même de la Russie, notamment dans les deux capitales de Moscou et Saint Petersbourg, il n'est un secret pour personne que de nombreuses organisations financées plus ou moins directement par les services et ONG américaines, constituées d'activistes russes, jouent un rôle considérable pour contrer l'action du pouvoir gouvernemental russe. Il s'agit d'une sorte de cercle vicieux, car plus le pouvoir central de Moscou accepte de se libéraliser, plus dans un premier temps tout au moins il donne d'ouvertures à des oppositions intérieures en partie activées par l'Amérique.

    L'influence du soft power américain n'est pas entièrement négatif, en ce sens qu'il contribue puissamment à l'ouverture sur l'extérieur et à un début de démocratisation du combat politique. Mais on comprend cependant que le Kremlin soit de plus en plus réticent à le laisser faire. Le gouvernement utilise malheureusement pour contrer les effets du soft power américain des moyens d'intimidation et de répression qui rappellent fâcheusement la dictature soviétique, même si l'ampleur en est bien moindre. C'est finalement ce que recherche peut-être en sous-mains la stratégie américaine visant à l'affaiblissement de la Russie. C'est toute la démocratisation en profondeur de la société russe, y compris à travers le rôle croissant de l'Internet au sein des classes moyennes, qui s'en trouve retardée.

    Il est clair que si l'Europe, soumise de plein fouet au soft power américain, notamment dans les Etats orientaux ex-satellites, ne réussit pas à s'en débarrasser pour adopter des politiques plus autonomes, le gouvernement russe actuel, qui cherche précisément sa voie vers plus d'autonomie, ne sera pas incité à se rapprocher d'une Europe qui serait un simple relais de l'influence américaine. Mais les rapports de force semblent en train de changer. La Pologne paraît ainsi actuellement soucieuse de prendre ses distances avec les pressions américaines au sein de l'Otan visant à faire adopter un BMDE (système de défense anti-ballistique) prétendument orienté contre l'Iran mais destiné en fait à relancer un vieux programme de guerre des étoiles dirigé contre la Russie. La Pologne, en termes très prudents, a évoqué la perspective d'une défense européenne qui serait essentiellement européenne, à la charge notamment de la France, de l'Allemagne et d'elle-même. On a parlé de réactiver le “triangle de Weimar”. L'Amérique a violemment réagi. Mais pour que de tels projets deviennent crédibles, ils devraient effectivement être repris et partagés par les grands Etats européens, notamment par la France socialiste. On pourrait alors envisager des coopérations stratégiques euro-russes, au sein d'une éventuelle Union fédérale entre les deux ensembles, thème que nous dorénavant aborder.

    2. Structures et politiques d’une éventuelle Fédération euro-russe.

    Un rapprochement stratégique, pouvant aller jusqu'à la mise en place entre l'Union européenne et la Russie d'une véritable structure fédérale, fut-elle très limitée à ses débuts, ne pourrait se produire que si les deux empires y trouvaient chacun des avantages propres. Nous pouvons admettre que si les pays européens (plus exactement l'eurozone) pouvaient ainsi s'adosser à un grand ensemble géographique, aux ressources potentielles considérables, ils y gagnerait précisément ce qui leur manque encore pour devenir une puissance capable de tenir tête à la Chine et à l'Amérique, dans la mesure où celle-ci continuera à empêcher leur développement. La démarche encouragerait par ailleurs en Europe les efforts de mutualisation de type fédéral interne qui manquent encore à des pays réticents à se rapprocher en profondeur. En contrepartie, la Russie pourrait trouver en Europe les ressources en savoir-faire scientifiques, industriel, économiques et gestionnaires qu'elle n'a jamais eu ou qu'elle a laissé perdre. Enfin, la démocratie politique européenne, unique au monde, représente un atout de puissance irremplaçable, dont la Russie pourrait progressivement s'inspirer.

    Comment concrètement envisager la mise en place d'une éventuelle Fédération euro-russe? Il s'agirait nécessairement d'une démarche à la fois très progressive, et ne modifiant que marginalement les deux ensembles partenaires. Néanmoins les domaines choisis devraient être suffisamment significatifs et porteurs d'effets positifs pour jouer un rôle d'entrainement.

    Sur le plan des structures, autrement dit des institutions, il serait intéressant d'envisager dès le début ce qui manque encore à l'Union européenne, un président et un parlement élus au suffrage universel, aux termes de débats aussi démocratiques que possible. Leurs compétences seraient nécessairement limitées, mais l'effet d'entrainement serait considérable.

    Par ailleurs, un exécutif, analogue au conseil des ministres européen, serait mis en place, doté d'un budget et de services administratifs suffisants pour mener des actions (ou politiques) communes.

    Les questions monétaires et de change étant enfin très importantes, il faudra décider de politiques communes entre la Banque centrale européenne, les banques de l'union et leurs homologues au sein de la fédération de Russie.

    Des politiques communes

    Il paraît indispensable que ces politiques s'affranchissent délibérément des contraintes de la globalisation imposées par les oligarchies néo-libérales aux Etats du monde. L'objectif de l'union fédérale euro-russe envisagée ici serait au contraire de sortir du Système, système de domination empêchant les Etats de valoriser eux-mêmes leurs propres ressources, d'investir et de créer de l'emploi au profit de leurs populations.

    La taille et la puissance de la future union euro-russe devrait dans ces conditions lui permettre de mettre en place un ensemble de réglementations fiscales, douanières, de protection sociale, de sauvegarde de l'environnement capables d'en faire ce que n'est pas encore l'Europe, une véritable puissance autonome (on pourra parler de forteresse) et non pas un espace ouvert à la concurrence des pays ne respectant aucune de ces normes.

    Au sein de cet ensemble protégé pourraient être définies des politiques d'investissements technologiques et scientifiques auxquels seraient affectés notamment les bénéfices des exportations. On mentionnera l'immense domaine de l'espace civil et militaire (où la Russie est en train de perdre rapidement ses compétences), celui des industries de défense ou plus exactement des industries dites duales, à applications civiles et militaires, celui des grands travaux d'infrastructure et de transport qui manquent encore à la Russie, et bien évidemment tous les domaines intéressant les technologies et sciences émergentes, dont nous ne ferons pas la liste ici. Les Etats-Unis par différentes voies s'en sont donné la maîtrise, la Chine y vise aussi, sans mentionner les autres « tigres » asiatiques. Si l'Europe et la Russie ne s'allient pas pour récupérer leur retard et suivre le mouvement, il en sera fini de leur indépendance géopolitique dans le monde de demain.

    Conclusion. Quels moteurs socio-politiques ?

    Nous avons rappelé que la Russie, comme dans une moindre mesure l'Europe, est dirigée implicitement par plusieurs oligarchies qui se donnent la main pour capturer à leur profit les valeurs ajoutées produites par le travail des populations de la base. Il s'agit des élites (dites aussi nouveaux riches en Russie), des administrations au triple niveau des Etats, des régions et des collectivités locales, ainsi finalement que des médias dits officiels. Des forces conservatrices, comme celles des Eglises et religions (y compris l'islam), en Russie et en Europe, pèsent généralement par ailleurs pour que les équilibres de pouvoir dont elles bénéficient ne changent pas.

    Comment dans ces conditions espérer que ces équilibres puissent évoluer, dans le sens esquissé ici? Il ne s'agirait pas d'envisager des mesures de type révolutionnaire classique, qui seraient étouffées dans le sang, tant en Russie qu'à l'Ouest. On peut par contre compter sur le développement dans les populations des échanges au sein de réseaux sur le type de l'Internet, qui jouent déjà un rôle considérable pour la maturation des idées au sein des classes moyennes et populaires. Le pire peut évidemment en provenir, comme le meilleur. Il semble cependant que globalement de tels réseaux jouent au plan d'ailleurs mondial un rôle important pour des prises de conscience et des mobilisations globales. Les oligarchies elles-mêmes seront obligées, dans leur propre intérêt, d'en tenir compte. C'est en tous cas dans cette perspective que nous publions, malgré ses insuffisances, le présent article.

    Jean-Paul Baquiast (De Defensa, 26 août 2012)

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  • Vers une Union carolingienne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Marc Rousset, cueilli sur le site de Metamag et consacré à l'avenir de l'Europe qui passe selon lui par la constitution d'un noyau carolingien fort. Marc Rousset, qui a exercé pendant près de vingt ans des fonctions de direction dans de grands groupes européens, a publié en 2001 un ouvrage intitulé La Nouvelle Europe :Paris-Berlin-Moscou - Le continent européen face au choc des civilisations, aux éditions Godefroy de Bouillon.

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    Europe : vers une Union carolingienne ?
     
    « Charlemagne a encore de l’avenir » a pu dire Charles de Gaulle !  « Il ne faut pas moins d’Europe, mais plus d’Europe » a déclaré de son côté  la chancelière Angela Merkel  tout en appelant «  à donner un signal et à nous rapprocher dans une union politique ».
     
    Ne pas se fier aux apparences 
     
     Dans l’immédiat, il est certain qu’avec « François, le cauchemar des entreprises » titre d’un article dans  le quotidien Süddeutsche Zeitung,  l’Europe  n’en prend pas le  chemin. François Hollande cherche à nier les réalités économiques et à finasser avec l’Italie et l’Espagne ; il  ne trouve grâce en Allemagne que dans le parti « die Linke » l’équivalent du Front de gauche de Jean Luc Mélenchon .

    François Hollande ne connait pas suffisamment l’Allemagne et commence à réaliser qu’il va lentement mais sûrement à «  l’échec et mat », au-delà de son petit jouet sur la croissance de 120 milliards d’euros (emprunts de la Banque Européenne d’investissements ,fonds européens non encore utilisés) . 
    L’Allemagne aurait bien tort de ne pas lui permettre de  garder la face et de continuer à  illusionner ses électeurs. La Chancelière allemande a préféré ne pas s’attarder à Rome  pour voir à Gdansk  la « Mannschaft » triompher  au football contre la Grèce (tout un symbole). Mario Monti  adhère sur le fond, aux  thèses d’Angela  Merkel .  Les sociaux -démocrates du SPD  qui auraient eu tort pour des raisons de politique interne allemande, de refuser l’invitation à l’Elysée,  se sont empressés  de rallier le pacte budgétaire européen lors du vote  au Bundestag. 
     
    Le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle souligne qu’on ne peut pas combattre une crise des déficits avec de nouvelles dettes et qu’il n’est plus possible d’acheter de la croissance avec des dettes. La croissance doit être le résultat de réformes structurelles qui améliorent la compétitivité. Au delà des obstacles apparents que représente  François Hollande, l’Europe, dans son malheur  et son déclin actuel tant politique, militaire, démographique, moral qu’économique  ne se dirige-t- elle pas à terme vers une UnIon carolingienne, noyau dur d’une Europe Puissance à construire pour survivre dans le monde multipolaire du XXIème siècle ?
     
    Faire du mal économique  européen de l’euro  un bien  politique 

    Milton Friedmann a prétendu  à juste titre que l’Europe, sans harmonisation budgétaire, fiscale et sociale  a mis la charrue avant les bœufs en introduisant l’euro. Le laxisme socialiste français et des pays de l’Europe du sud  aura également beaucoup contribué à l’intenable situation actuelle car la France était même  légèrement plus compétitive que l’Allemagne lors de l’introduction de l’euro. La  Chancelière apporte cependant  une réponse qui n’est pas sans rappeler les propositions passées  de Karl Lamers et Wolfgang Schaüble à Edouard Balladur : « Nous devons créer une structure politique qui va de pair avec notre monnaie unique ». La France, beaucoup plus forte économiquement  à l’époque, offusquée par l’atteinte portée  à son aura politique , avait refusé de les étudier sérieusement .
    Guido Westerwelle souligne que l’Europe est notre meilleure garantie de prospérité dans un monde multipolaire qui se globalise avec de nouveaux centres de pouvoir. A la France de faire en sorte  qu’une véritable préférence communautaire soit établie et que l’Europe passoire ne soit plus l’Europe offerte , le sas de décompression, comme le remarquait Régis Debray, vers le libre échangisme mondialiste .La France doit reprendre l’idée allemande, mais  faire aussi comprendre à l’Allemagne qu’avec des structures compétitives, on peut lutter entre Européens , à armes égales, mais certainement pas avec des salaires trente  fois moins élevés , que ce soit en Chine ou au Maroc, comme le vient de le prouver Renault en implantant une nouvelle usine ultra -moderne  avec des salaires marocains , à quelques heures des côtes françaises , et cela sans aucune protection douanière européenne.
     
    Aux dirigeants français de savoir alors  également dire « Non » au « Nein »allemand, avec menace de ne plus jouer le jeu , et de revenir aux monnaies nationales, voire aux frontières nationales ! « Alles oder Nichts « (tout ou rien), prendre les Allemands à leurs propres mots,  voilà ce que devrait proposer une France responsable à l’Allemagne, en acceptant l’idée allemande, mais sans se laisser rouler pour autant dans la farine, d’autant plus qu’à terme, l’Allemagne elle même ne pourra plus supporter la  concurrence des pays émergents !
     
    De plus pour survivre  économiquement au XXIème siècle, il faut un marché minimum de 150  miIlions de consommateurs, ce qui permet des économies d’échelle avec  des débouchés suffisants, des structures économiques et technologiques compétitives, et ce qui permet aussi de pouvoir financer des projets  technologiques modernes  publics ou privés d’avenir  tels qu’AIrbus,  Galiléo, Ariane, projets spatiaux et aéronautiques, industrie navale, armements terrestres…Pour paraphraser Lénine(« Mieux vaut moins mais mieux  ») , il est donc possible d’affirmer  qu’ avec moins  d’Européens véritablement unis dans une structure carolingienne  on peut donc faire plus qu’avec l’actuelle Union européenne anglo-saxonne, libre échangiste sous protectorat militaire américain

    A quand une véritable défense européenne franco-allemande ?
     
    IL faut faire exactement le contraire de ce que préconise Michel Rocard et tout en gardant la dissuasion nucléaire française, mettre en place une défense européenne crédible, opérationnelle, moderne, crainte, établie sur le Rhin et dont le quartier général serait à Strasbourg et non pas à Bruxelles, tout un symbole !
    Le mythe de la France a toujours été  de se constituer en unique héritière de Charlemagne. Le mythe de l’Allemagne a toujours été celui de la continuation de l’Empire Romain, avec le Saint Empire Romain Germanique. L’Europe n’en finit pas de subir les conséquences du Traité de Verdun en 843 par lequel les fils de Louis Le Pieux réglaient le partage de l’Empire Carolingien : ce qui allait devenir l’Allemagne à Louis Le Germanique, ce qui allait devenir la France à Charles Le Chauve, et ce qui allait devenir l’objet des guerres civiles européennes entre ces deux pays, la Lotharingie pour Lothaire.
    La France et l’Allemagne sont liées par une « communauté de destin ». Edouard Husson remarquait que s’il y a un noyau en Europe, c’est bien celui constitué par la société française et allemande ; l’alliance de l’aveugle et du paralytique garde un sens si chacun sait soigner ses maux (étatisme et laxisme socialiste  d’un côté, pacifisme de l’autre) (Edouard Husson- Une autre Allemagne - Gallimard, 396 p – 2005). A quand un Quartier général européen à Strasbourg puisque ,suite à l’obstruction britannique, celui constitué à Bruxelles n’en finit pas de rester dans les limbes chiraquiennes et  comprend en tout et pour tout  aujourd’hui  8 personnes ! De qui se moque-ton ? Là aussi, ce serait à la France de prendre les Allemands à leurs propres mots  et de mettre en place une véritable structure de défense en dehors de l’OTAN  équidistante de la Russie et des Etats-Unis! L’Europe continentale européenne resterait  dans l’Alliance Atlantique tout en  se rapprochant de la Russie  par une  Alliance Continentale où l’on pourrait reprendre schématiquement le traité  révisé et renégocié de l’Alliance Atlantique en remplaçant tout simplement le mot Etats-Unis par Russie !

    Prenons en considération la proposition de l’Allemagne, mais en nous faisant respecter ,  sans brader les intérêts économiques de la France, sans se laisser  embarquer dans un monde libre échangiste mondialiste  qui convient pour l’instant surtout à Angela Merkel . Exigeons la mise en place d’une défense européenne et gardons toujours en mémoire ces paroles prophétiques du Général de Gaulle ,le 29 Mars 1949,lors de sa conférence de Presse  au Palais d’Orsay « Moi je dis qu’il faut faire l’Europe  avec un accord entre Français et Allemands. Une fois l’Europe faite sur ces bases, alors on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l’Europe toute entière avec la Russie aussi, dût- elle changer de régime. Voilà le programme de vrais Européens". Voilà le mien »
     
    Marc Rousset (Metamag, 16 juillet 2012)
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  • La fabrication de l'ennemi...

     «Sans ménager, ce qui va de soi, les dictatures, Pierre Conesa examine sans indulgence les « deux poids deux mesures » si souvent utilisés par les démocraties qui se prétendent les plus moralement respectables. En chemin, il rappelle que l’idée reçue, d’ailleurs fort récente, selon laquelle celles-ci seraient, par nature, pacifiques, est largement détrompée par les faits.» Gérard Chaliand

    Nous vous signalons avec retard la parution de La fabrication de l'ennemi, un essai de Pierre Conesa publié aux éditions Robert Laffont. Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont Les Mécaniques du chaos : bushisme, prolifération et terrorisme (L'Aube, 2007) et d'un excellent polar géopolitique, intitulé Dommages collatéraux (Flammarion, 2002) .

     

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    "Comment les hommes en viennent-ils à se massacrer légalement ?

    « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi ! », avait prédit en 1989 Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev. L'ennemi soviétique avait toutes les qualités d'un « bon » ennemi : solide, constant, cohérent. Sa disparition a en effet entamé la cohésion de l'Occident et rendu plus vaine sa puissance.
    Pour contrer le chômage technique qui a suivi la chute du Mur, les États (démocratiques ou pas), les think tanks stratégiques, les services de renseignements et autres faiseurs d'opinion ont consciencieusement « fabriqué de l'ennemi » et décrit un monde constitué de menaces, de risques et de défis.
    L'ennemi est-il une nécessité ? Il est très utile en tout cas pour souder une nation, asseoir sa puissance et occuper son secteur militaro-industriel. On peut dresser une typologie des ennemis de ces vingt dernières années : ennemi proche (conflits frontaliers : Inde-Pakistan, Grèce-Turquie, Pérou-Équateur), rival planétaire (Chine), ennemi intime (guerres civiles : Yougoslavie, Rwanda), ennemi caché (théorie du complot : juifs, communistes), Mal absolu (extrémisme religieux), ennemi conceptuel, médiatique...
    Comment advient ce moment « anormal » ou l'homme tue en toute bonne conscience ? Avec une finesse d'analyse et une force de conviction peu communes, Pierre Conesa explique de quelle manière se crée le rapport d'hostilité, comment la belligérance trouve ses racines dans des réalités, mais aussi dans des constructions idéologiques, des perceptions ou des incompréhensions. Car si certains ennemis sont bien réels, d'autres, analysés avec le recul du temps, se révèlent étonnamment artificiels.
    Quelle conséquence tirer de tout cela ? Si l'ennemi est une construction, pour le vaincre, il faut non pas le battre, mais le déconstruire. Il s'agit moins au final d'une affaire militaire que d'une cause politique. Moins d'une affaire de calibre que d'une question d'hommes."

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  • Pour une stratégie de puissance !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du colonel Michel Goya, cueilli sur son site La Voie de l'Épée et consacrée à la nécessité pour notre pays de définir une véritable stratégie de puissance... Expert en histoire militaire et dans les questions liées à l'art de la guerre, le colonel Goya est l'auteur de nombreuses études et de plusieurs livres, dont Res militaris - De l'emploi des forces armées au XXIème siècle (Economica, 2010). 

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    Pour une stratégie de puissance
     
    Le général Desportes aime à répéter que la stratégie consiste à accorder un but, des voies et des moyens. De fait, selon que l’on privilégie un de ces piliers on peut distinguer plusieurs grandes approches stratégiques. Dans son remarquable Traité de l’efficacité François Jullien décrit ainsi une approche centrée sur un but précis que l’on va s’efforcer d’atteindre à force de volonté. C’est la vision classique et occidentale de la politique de puissance qu’il oppose à une vision chinoise centrée sur les voies, conçues comme des tendances porteuses à déceler et dont il faut profiter pour accroître sa puissance mais sans forcément avoir un « état final recherché » très clair. Dans le premier cas, l’action crée l’ « évènement », dans le second, elle le conclue. Logiquement, il existe donc aussi une troisième approche qui estime que le simple développement des moyens suffit à atteindre le but. C’est, en particulier, le fondement de la dissuasion nucléaire. La possession de l’arme ultime suffit à la protection de la vie de la nation.

    La question qui se pose ensuite est celle de l’adversaire. Une stratégie est-elle intrinsèquement liée à la confrontation avec la stratégie inverse d’un adversaire, c’est-à-dire quelqu’un qui a une vision antagoniste à la nôtre ou peut-elle se déployer sans opposition ? L’organisation d’une expédition humaine vers Mars relève-t-elle d’une stratégie ou d’un management (ou programmation si on préfère le terme d’Edgar Morin) ? Ce n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Pour reprendre le thème de l’exploration spatiale, la conquête de la Lune par les Américains s’est faite dans un contexte de compétition avec les Soviétiques. Autrement dit, il a bien fallu tenir compte des actions d’un rival dans la programmation de ses propres actions pour atteindre le but fixé. Il en est finalement de même des deux autres voies stratégiques définies plus haut qui peuvent s’exercer face à un ennemi, un rival ou sans opposition.

    Ces différences de nature introduisent des différences de complexité. Pour reprendre un exemple développé par Edward Luttwak dans Le paradoxe de la stratégie, sans opposition le chemin le plus rapide est forcément le plus court. En présence d’un ennemi en revanche, le chemin le plus court est aussi le plus prévisible et donc le plus tentant pour y tendre une embuscade. Le chemin le plus rapide est alors peut-être le plus long. Tout est dans le peut-être, car l’ennemi peut aussi tenter de suivre le même raisonnement et placer l’embuscade sur le chemin le plus long. La dialectique est un multiplicateur de complexité qui fait passer la stratégie du déterminisme à l’imprévisible.

    En ce qui concerne la France contemporaine, les choses étaient relativement claires lors de la période gaullienne. Les buts étaient  la sauvegarde de l’indépendance nationale en particulier face à l’Union soviétique ; la participation de la protection de l’Europe occidentale face à ce même ennemi et la défense de nos intérêts dans le reste du monde. Les moyens de la France n’autorisant pas une stratégie volontariste à l’encontre de l’URSS, celle-ci est remplacée par une stratégie des moyens rendue possible par le caractère extraordinaire de l’arme nucléaire. La stratégie volontariste reste néanmoins de mise pour la défense de nos intérêts. La notion de dialectique est pleinement acceptée dans cette vision réaliste des relations internationales. Autrement dit, la France considère qu’elle a des ennemis, permanents ou ponctuels, et lorsque cela est nécessaire elle emploie la force contre eux et de manière autonome.

    A partir de la fin des années 1970, la stratégie volontariste de préservation des intérêts fait de plus en plus place à une stratégie des moyens en parallèle d’un refus croissant de la dialectique. Le simple déploiement de forces est de plus en plus considéré comme suffisant pour résoudre les problèmes, ce qui revient à laisser l’initiative à des organisations qui persistent à croire à la notion d’ennemi et développent des stratégies volontaristes. C’est ainsi qu’en octobre 1983, le Hezbollah tue ainsi 58 soldats français à Beyrouth quelques semaines après que le Président de la République ait déclaré publiquement que la France n’avait pas d’ennemi au Liban.

    A la fin de la guerre froide et alors que les buts stratégiques de la France deviennent plus flous, la tendance à la négation de la dialectique et à la concentration sur une stratégie des moyens ne fait que s’accentuer, troublée seulement par le suivi plus ou moins volontaire des guerres américaines dans la Golfe, le Kosovo et l’Afghanistan. L’aboutissement de cette tendance est le Livre blanc de 2008 où l’intérêt national fait place à la sécurité et les ennemis, actuels ou potentiels, font place aux menaces. La réflexion stratégique se limite à un contrat d’objectifs, c’est-à-dire à une simple liste, par ailleurs de plus en plus réduite, de moyens à déployer. Même lorsque la force est employée contre des ennemis presque déclarés, en Kapisa-Surobi à partir de 2008 ou en Libye en 2011, les limites à son action sont telles, qu’on peut se demander s’il s’agit d’une stratégie volontariste.

    Alors que se préparent les travaux du nouveau Livre blanc, on voit apparaître, comme en 2008, des études sur « La France face à la mondialisation », là où des Chinois écrivent sans doute « La Chine dans la mondialisation », ainsi que de nouvelles listes de menaces à contrer (qui sont toujours les mêmes depuis vingt ans), là où des Américains définissent leurs intérêts à défendre dans le monde. Il serait peut-être donc temps d’en finir avec cet appauvrissement progressif et de revenir aux fondamentaux de la politique : que veut la France ? Comment accroître sa puissance ? Quels sont ses ennemis, adversaires, rivaux que notre politique va rencontrer et comment leur imposer notre volonté ?
     
    Michel Goya (La Voie de l'Épée, 13 juillet 2012)
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  • Plaidoyer pour la puissance...

    Les Presses Universitaires de France viennent de publier dans leur collection Major un ouvrage de Pascal Gauchon, intitulé Géopolitique de la France - Plaidoyer pour la puissance. L'auteur, ancien élève de l'Ecole Normale supérieure, agrégé d'histoire, est professeur en classe préparatoire et est l'auteur de nombreux ouvrages ou manuels dédiés à la géopolitique ou à la géoéconomie. Nous reproduisons ci-dessous la recension faite de ce livre par Philippe Cohen, sur le site de Marianne.

     

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    " [...] Pour la première fois en France, un livre proposant « Une géopolitique de la France », paraît. Son auteur, Pascal Gauchon, est le fondateur du Festival de géopolique de Grenoble. Son ouvrage est moins scolaire – il est destiné notamment aux élèves préparationnaires des classes préparatoires – qu’il n’y paraît, et la pédagogie y cède souvent à quelques saillies iconoclastes. La problématique de la géopolitique ? Montrer en quoi le destin d’un pays découle en partie de sa situation géographique. C’est ainsi que Pascal Gauchon perçoit la France comme un pays béni des Dieux, qui bénéficie d’une double ouverture sur les mers et le continent. Son extrême centralisation proviendrait de sa diversité, et nous aurait doté d'un « sacré » tournant autour de l'Etat, tandis que les Etats-unis se seraient polarisés sur leur constitution, les Allemands sur leur langue et les Anglais sur leur royauté.

    L'auteur se moque gentiment des armées de déclinistes qui peuplent le paysage intellectuel français depuis quelques années. Ceux qui sont réfractaires à cette dialectique trouveront dans l'ouvrage quelques munitions bien affutées pour leur livrer bataille. Ainsi Pascal Gauchon nous apprend-t-il que le patrimoine de la France - addition des possessions des administrations, des entreprises et des particuliers - représente quelques 12 513 milliards d'euros, soit cinq fois le PIB. Ce patrimoine a doublé depuis 1978. Et la France occupe le même rang mondial - cinquième pour le PIB - qu'en ... 1900. Le déclin est en route, mais il ne se presse pas...

    Patiemment, comme on parle à un grand malade - l'anxiété est palpable dans le pays, et l'auteur émet même des hypothèses à ce sujet - Pascal Gauchon égrène tous les chiffres et les données - avec quelques cartes et tableaux - qui montrent que le déclin de la France n'est ni patent ni inéluctable. L'agriculture, qui occupe encore 53% du territoire, a donné à la France un socle de puissance que la conjoncture historique qui valorise le pouvoir vert et maritime (11 millions de km2 dont seulement 300 000 en Europe, soit la deuxième zone économique exclusive du monde). Son industrie, affirme l'auteur, est moins malade qu'on ne le croit. D'abord parce qu'elle a de beaux restes, dans le nucléaire, le BTP, la pharmacie, l'automobile, et bien sûr le luxe. En témoigne le rang enviable des multinationales françaises. En fait, notre faiblesse, selon l'auteur, réside davantage dans nos emplois industriels que dans notre industrie en tant que tel. Et l'anxiété des Français face à la mondialisation ne témoigne pas d'une France fermée mais d'un pays, au contraire très ouvert sur le monde, tant sur le plan de l'économie que celui de l'immigration, mais dont les habitants souhaitent malgré tout rester eux-mêmes. Quoi de plus légitime pour un vieux pays qui ne ne compte pas pas moins de 15 milliards de cadavres dans ses cimetières ?"
     
    Philippe Cohen (Marianne2.fr, 20 mars 2012)
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  • Défendre le continent européen avec qui et contre qui ?...

     Nous reproduisons ci-dessous un article de Jean-Pierre Chevènement, paru dans la revue Défense nationale et cueilli sur Theatrum Belli, dans lequel il développe sa vision de la défense européenne.

     

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    Défendre le continent européen avec qui, contre qui ?

    J’observerai d’abord que le continent européen n’a pas d’existence politique propre. Il y a les 27 pays membres de l’Union européenne qui, par le traité de Lisbonne (2008), ont souscrit une obligation de défense mutuelle, mais la politique de défense européenne n’a qu’une existence embryonnaire. Aussi bien, les Etats-Unis n’en veulent pas et la plupart des pays européens non plus, au premier rang desquels la Grande-Bretagne et les pays de l’arc atlantique, mais aussi les pays d’Europe centrale et orientale.

    Depuis 1949 il existe une obligation de défense mutuelle entre les pays de l’Alliance atlantique. Celle-ci s’est dotée à travers une organisation militaire intégrée, l’OTAN, d’un bras armé et d’un Etat-major sous l’autorité d’un général américain. Aux pays de l’Union européenne membres de l’OTAN (22 sur 27), s’ajoutent la Norvège et la Turquie dont le territoire est pour l’essentiel situé en Asie. Les Etats membres de l’Union européenne qui le sont également de l’OTAN se sont engagés par le traité de Lisbonne à faire de cette dernière organisation "l’instance d’élaboration et de mise en œuvre" de leur politique de défense. Ainsi la réponse parait-elle avoir été trouvée : c’est à l’OTAN, c’est-à-dire en dernier ressort aux Etats-Unis, que l’Union européenne a confié sa défense.

    Cette réponse est pourtant fragile : d’une part les Etats-Unis se tournent de plus en plus vers le Pacifique et la Chine. L’Asie de l’Est et du Sud et la région du Golfe arabo-persique viennent désormais dans leurs préoccupations stratégiques bien avant l’Europe. Par ailleurs les Etats-Unis sont engagés dans une vaste opération de réduction de leur budget de défense (de 500 à 1000 Milliards de dollars d’ici 2020, selon les estimations). Ils viennent d’entamer le retrait de deux des quatre brigades qu’ils maintenaient encore en Europe : la présence de leurs forces terrestres y devient ainsi symbolique. La garantie militaire américaine repose donc désormais pour l’essentiel sur les forces aériennes et maritimes des Etats-Unis et, en dernier ressort, sur leurs armes nucléaires. Dans ce contexte, la demande, en 2010, du retrait des armes nucléaires tactiques stationnées sur leur sol par quatre pays européens membres de l’OTAN (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Norvège) illustre le paradoxe d’une Europe devenue pacifiste dans le contexte d’un monde marqué à la fois par le début du repli américain et par la montée en puissance de nations dites « émergentes », qui ne sont pas seulement les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) mais d’autres, situées à nos portes et héritières de civilisations prestigieuses : Turquie, Iran, sans parler du monde arabe agité par ses révolutions démocratiques dont le processus, par définition, nous échappe.

     

    Les pays européens réduisent leur effort de défense tandis que les pays émergents, notamment en Asie, développent le leur. Pour autant il serait prématuré de conclure de ces mouvements contradictoires que les Etats-Unis vont relâcher leur emprise sur l’Europe. Ils prétendent lui faire partager un effort de défense dont ils entendent bien conserver la maîtrise. C’est ainsi qu’au sommet de l’OTAN de Lisbonne (2011), ils ont fait entériner le principe d’un bouclier antimissiles balistiques qui va à la rencontre d’une opinion publique européenne de plus en plus pacifiste. De même est-il probable qu’après le retrait de l’OTAN d’Afghanistan ils veuillent faire supporter aux Européens une part plus importante de l’«afghanisation».

    L’Union européenne peut-elle se borner à n’être qu’un contributeur financier à un effort de défense global de ce qu’il est convenu d’appeler "l’Occident" ? L’idée même de "défense" peut-elle faire l’impasse sur la volonté de défense ?

    Force est de constater que les peuples européens (à la seule exception de la France et d’une certaine manière de la Grande-Bretagne) ont entièrement délégué le souci de leur propre défense à une puissance extérieure, certes alliée, mais dont les préoccupations stratégiques et les intérêts ne recoupent pas forcément les leurs. La réintégration par la France des Etats-majors de l’OTAN s’inscrit dans cette tendance lourde, même si nos autorités prétendent le contraire, faisant valoir, exemple libyen à l’appui, que l’OTAN n’aurait en rien obéré notre liberté de mouvement. Ce n’est pas ce qu’on entend de l’autre côté de l’Atlantique où on parle d’une stratégie de leadership from behind, bref de "tireur de ficelles". Une chose est sûre en tout cas : l’affaire libyenne a manifesté le vide abyssal du concept de défense européenne. La France et la Grande-Bretagne ont fait l’essentiel du travail, avec – faut-il le rappeler ? – l’appui des frappes et de la logistique américaines, pour un résultat dont l’évaluation finale reste à faire. Quoi qu’on en pense, le conflit libyen a fait apparaître le lien indissociable entre la défense et la nation. Quelle que soit l’évolution future de l’OTAN, l’esprit national restera la clé de tout effort de défense et de tout engagement militaire qui sera, comme en Libye, à géométrie variable. L’Europe est à repenser dans le prolongement des nations ou elle ne sera pas.

    La France ne pourrait pas conserver une voix audible à travers une défense européenne confinée à des tâches de sous-traitance. La défense est faite pour soutenir la diplomatie ! Une défense complètement intégrée à celle de l’Amérique sonnerait le glas de notre indépendance, de notre influence, de notre capacité de médiation. Il est de l’intérêt de la France et du monde qu’au sein de l’Occident on n’entende pas que la seule voix des Etats-Unis. Qu’il puisse y avoir un avis modéré, sensé, comme cela fut le cas durant la guerre du Vietnam ou au moment de l’invasion de l’Irak. Que, sur le Proche-Orient, la France puisse favoriser de manière originale une solution de paix qui n’a que trop tardé.

    Compte tenu du texte du traité de Lisbonne, on se demande ce qui peut rester de la défense européenne désormais asservie à l’OTAN : une alouette, un cheval ! A la limite, l’OTAN voudra bien sous-traiter à une pseudo-défense européenne quelques obscures missions de maintien de la paix en Iturie, au nord-est de la République démocratique du Congo, ou bien encore au Kosovo. Pour les choses sérieuses (la Libye par exemple), le recours aux Etats-majors de l’OTAN s’impose et, malgré quelques réticences initiales, notre gouvernement s’y est résigné.

    La France a réintégré l’OTAN au prétexte de faire progresser la défense européenne. On voit le résultat. La Grande-Bretagne veut bien coopérer avec la France, mais elle ne veut surtout pas d’une "défense européenne". Pour autant, les accords de Lancaster House sont une bonne chose : mieux vaut une coopération bilatérale que pas de coopération du tout. Il serait temps que la France revienne à cette idée simple que les coopérations doivent se décider à l’aune de l’intérêt national. Seul le ressort national peut permettre à l’effort de défense de ne pas passer en dessous de la limite basse actuelle : 1,5 % du PIB.

    A ce stade de mon propos, je voudrais aborder la partie du continent européen qui ne fait pas partie de l’Europe : l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie.

    Même si celle-ci s’étend, au-delà de l’Oural, en Asie, son peuple est incontestablement européen. Il est concentré à l’Ouest de l’Oural. Sa civilisation est partie intégrante de la civilisation européenne à laquelle elle a apporté une contribution éminente. L’Administration Obama semble avoir renoncé, au moins provisoirement, à l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie pour ne pas heurter les intérêts et la sensibilité russes.

    Cet élargissement à l’Est n’est pas non plus dans l’intérêt de la France. Bien sûr l’évolution de la Russie n’est pas écrite d’avance. Sa population est à 20% composée de minorités musulmanes. Mais nous devons tout faire pour rapprocher la Russie de l’Europe. Les complémentarités énergétiques et économiques sont fortes. Les peuples européens – y compris le peuple russe – aspirent à la paix. Cette aspiration est légitime. Je ne la confonds pas avec un pacifisme dont l’Histoire a toujours montré le caractère illusoire et même dangereux (ainsi en France, entre 1918 et 1940). La Russie est nécessaire à l’équilibre et à la stabilité du Caucase. Elle est un contrepoids utile, en Asie Centrale, au fondamentalisme islamiste. Sa relation particulière à la Chine et à l’Inde peut contribuer à canaliser l’élan de ces Etats-nations, milliardaires en hommes et héritiers de civilisations millénaires, pour qu’ils prennent leur place dans un monde stable, régi par des règles communes. Pour toutes ces raisons, notre intérêt est d’aider la Russie a réussir enfin sa modernisation. L’Europe ne sera l’Europe que si elle sait développer un étroit partenariat avec la Russie. C’est l’intérêt de la France, comme de l’Allemagne, si nous voulons peser dans le monde multipolaire de demain.

    Les menaces auxquelles l’Europe est et sera de plus en plus confrontée ne seront peut-être pas principalement militaires encore qu’en la matière il soit toujours déraisonnable de baisser la garde.

    Ni le terrorisme, qui est l’arme des faibles contre les forts, ni la piraterie, ou pire encore les risques de blocus des grandes voies maritimes, ne vont disparaître, ni les tentatives de prolifération nucléaire s’interrompre. La menace balistique qui y est associée a été favorisée, dans le passé, par des transferts de technologies en provenance d’URSS, de Chine, puis, dans une période plus récente, de Corée du Nord ou du Pakistan. Cette menace balistique est certainement l’une de celle à laquelle l’Europe devra faire face à l’avenir. Il serait cependant déraisonnable de s’en remettre à la défense antimissiles balistiques dont l’efficacité ne saurait être entièrement garantie et dont la mise en place en Europe, sous égide américaine, risque d’entraîner une vassalisation stratégique et technologique définitive. Tout montre, deux ans après le discours du Président Obama à Prague, que l’arme nucléaire ne va pas disparaître de l’horizon de l’Histoire. Les Etats-Unis ne signeront pas avant longtemps le traité d’interdiction des essais. Le Pakistan et les puissances asiatiques n’entendent pas interrompre la production de matières fissiles à usage militaire. Il est raisonnable pour la France de maintenir son effort nucléaire, ne serait-ce que pour ne pas se laisser entrainer dans l’engrenage de guerres lointaines par leur origine mais où nos intérêts vitaux ne seraient pas engagés. J’ajoute que le maintien d’une dissuasion nucléaire indépendante en Europe occidentale constitue un gage irremplaçable de stabilité sur notre continent. Enfin, la disposition d’une dissuasion nucléaire souple (avec ses deux composantes) interdit toute agression au-delà d’un certain seuil, par un Etat qui voudrait exercer un chantage sur notre politique. Nous devons aussi rester attentifs aux attaques dans le cyberespace et aux tentatives d’espionnage économique.

    L’heure de la fin de l’Histoire n’a pas sonné et celle-ci est fertile en surprises stratégiques. Le trait dominant de la période historique où le XXIe siècle nous a fait entrer est la fin du monopole technologique et politique des pays occidentaux et d’abord des Etats-Unis. Certes, ceux-ci restent, de toutes les nations occidentales, la plus puissante mais leur déclin est inscrit dans les courbes de la démographie et de l’économie mondiales. Le maintien de l’alliance euro-américaine va de soi, mais la France et d’autres nations européennes n’auraient aucun intérêt de devenir ou rester de simples supplétifs des Etats-Unis. Si eux-mêmes voulaient bien y réfléchir, ce ne serait pas non plus le leur, car des nations qui s’abandonnent ne sont jamais des alliés sûrs.

    Nous n’avons pas de stratégie à long terme vis-à-vis des puissances émergentes. Notre intérêt est de les faire participer à un ordre mondial raisonnable prenant aussi en compte les intérêts des pays anciennement industrialisés. Ce n’est pas facile car beaucoup de ces pays sont portés par un nationalisme conquérant et quelquefois par le sentiment d’avoir à prendre une revanche sur l’Histoire, c’est-à-dire sur l’Occident. A cet égard, la poursuite des délocalisations industrielles ou la prise de contrôle d’entreprises stratégiques constituent des menaces tangibles. La crise du capitalisme financier qui s’est développée sur la base d’une totale dérégulation des mouvements de capitaux, des biens, des services et des technologies depuis les années 1980, a marqué l’échec d’une pensée purement économiciste (la croyance dogmatique en la théorie de l’efficience des marchés), entièrement déconnectée de toute considération politique raisonnable. Il n’est pas besoin de s’en prendre à la Chine. C’est l’Occident lui-même qui a réchauffé dans son sein le serpent d’un néolibéralisme suicidaire. Les nations doivent reprendre le contrôle d’un système financier qui, tel Frankenstein, leur a échappé.

    L’Europe ne doit pas s’enfermer dans la stagnation mais trouver d’autres ressorts de croissance, en associant à son développement la Russie, à l’Est, et l’Afrique, au Sud. Le risque de migrations incontrôlées ne sera conjuré que par une politique de codéveloppement avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée et avec l’Afrique noire qui découvre aujourd’hui son potentiel de croissance. Le problème des matières premières va se poser avec plus d’acuité avec la croissance de la Chine et des "émergents". Il faut penser ce monde nouveau, et parce qu’il se fera inévitablement, il vaut mieux qu’il se fasse avec la France et avec l’Europe, plutôt que contre elle.

    Avant que ne s’installe ce nouvel ordre mondial coopératif, il n’est pas déraisonnable d’anticiper les tensions que génère toute transition. La France a un rôle majeur à jouer pour organiser l’Europe sur une base réaliste (la géométrie variable) et pour l’ouvrir à des coopérations fécondes fondées sur le principe de l’intérêt mutuel, avec les pays du Sud de la Méditerranée qu’elle connait souvent mieux que d’autres.

    L’Europe, pour se défendre, doit d’abord s’ouvrir vers l’Est et le Sud. Dans le monde du XXIe siècle que structurera la bipolarité Chine Etats-Unis, l’Europe pour trouver sa place doit s’organiser souplement, car elle ne le fera pas sans les nations (déjà faites, ou encore à construire) mais au contraire avec elles.

    L’erreur a été de vouloir construire l’Europe en substitut des nations. Pour se redresser, l’Europe doit, demain comme hier, s’appuyer sur la force de ses nations.

    Le reste, c’est-à-dire une défense efficace, viendra par surcroît.

    Jean-Pierre CHEVENEMENT

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