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puissance - Page 5

  • Tour d'horizon... (109)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur son blog Bouger les lignes, Caroline Galactéros fait le point sur les nouveaux armements qui menacent les porte-avions et qui pourraient remettre en cause la suprématie des Etats-Unis sur mer...

    Les porte-avions sont-ils devenus des cimetières flottants ?

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    - sur le Journal du MAUSS, Richard Bucaille se livre à une analyse sociologique de la Mensur, type de duel à l'arme blanche, ritualisé et pratiqué dans l'aire germanique...

    Les scarifications de « Mensuren »

     

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  • L'offensive judiciaire globale des Etats-Unis...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'une conférence de Jean-Michel Quatrepoint, donnée devant la fondation Res Publica et cueillie sur le site d'Euro-Synergies.

    Jean-Michel Quatrepoint, qui a publié en 2015 Alstom, scandale d'Etat (Fayard, 2015), explique comment les États-Unis utilisent l'arme du droit contre leurs adversaires économiques...

     

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    États-Unis: Une offensive judiciaire globale

    L’exportation du droit américain, l’extraterritorialité des lois américaines est un processus qui ne date pas d’aujourd’hui. Voilà des années, voire des décennies que les États-Unis développent une stratégie globale d’hyperpuissance en s’appuyant sur un arsenal juridique et en imposant leurs lois, leurs normes, au reste du monde. Il aura fallu l’amende colossale infligée à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars) et celle qui, infligée à Alstom (772 millions de dollars), fut la véritable cause, quoi qu’en dise le PDG d’Alstom, de la vente de la division « énergie » à General Electric, pour que nos dirigeants découvrent la réalité d’une guerre économique engagée depuis des décennies. Ils ont ainsi découvert, tardivement, le caractère meurtrier d’un arsenal juridique dont la mise en place remonte à plus d’un quart de siècle.

    Dans la décennie 90, après l’effondrement du communisme, les États-Unis vont se doter d’une série de lois qui concernent les entreprises américaines mais aussi toutes les entreprises étrangères. La majorité de ces lois, Trade Acts ou embargos, permettent aux responsables américains du commerce d’identifier et de sanctionner les comportements « injustes et déraisonnables » des acteurs économiques rivaux des Américains.

    On peut classer ces textes dans quelques grands chapitres :
    Le plus connu aujourd’hui est la lutte contre la corruption, le fameux Foreign Corrupt Practices Act(FCPA) qui s’appliquait aux entreprises américaines qui versaient des pots de vin aux fonctionnaires et aux hommes politiques pour obtenir des contrats. En 1998, ce FCPA est étendu aux entreprises étrangères et il va servir de modèle à la convention OCDE censée réprimer la corruption, notamment en matière de grands contrats.

    Le second chapitre est une batterie de lois qui criminalisent le commerce avec les États sous embargo américain. Certaines de ces lois sont bien connues, telles les lois Helms-Burton et D’Amato qui sanctionnent les entreprises commerçant avec l’Iran, Cuba, la Libye, le Soudan etc. (au total il y aura 70 embargos américains à travers le monde). En 2006, un banquier britannique, un des dirigeants de la Standard Chartered, dira : « Putains d’Américains, qui êtes-vous pour nous dire et pour dire au reste du monde que nous ne devons pas travailler avec les Iraniens ? ». Quelques années plus tard la Standard Chartered devra payer 700 millions de dollars d’amende pour avoir commercé avec l’Iran.

    Autre chapitre, une batterie de lois criminalisent le commerce avec les pays sous embargo ONU.
    Ensuite viendra le blanchiment de l’argent sale des terroristes ou des narcotrafiquants.

    Le Patriot Act, édicté en 2001 après l’attaque sur les Twin towers, sous couvert de lutte contre le terrorisme, donne des pouvoirs élargis aux différentes agences pour accéder aux différentes données informatiques.

    Enfin la loi Dodd-Frank de juillet 2010 confère à la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain de la bourse, le pouvoir de réprimer toute conduite qui, aux États-Unis, concourt de manière significative à la commission de l’infraction, même lorsque la transaction financière a été conclue en dehors des États-Unis et n’implique que des acteurs étrangers. Cela va donc très loin.

    Cerise sur le gâteau, en 2014, le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) donne au fisc américain des pouvoirs extraterritoriaux qui contraignent les banques étrangères à devenir ses agents en lui livrant toutes les informations sur les comptes et avoirs des citoyens américains dans le monde. Si elles n’obtempèrent pas, 30 % de leurs revenus aux États-Unis sont confisqués et, plus grave encore, elles peuvent se voir retirer leur licence. Or, pour une banque, notamment les plus grandes, ne plus pouvoir travailler aux États-Unis et ne plus pouvoir compenser en dollars équivaut à un arrêt de mort. On a souvent voulu voir derrière le FATCA le moyen pour les Américains de faire enfin plier les banquiers suisses, les « gnomes de Zurich », les obliger à abandonner leur sacro-saint secret bancaire. C’est vrai… mais c’est l’arbre, moral et médiatique, qui cache la forêt. Ainsi, BNP Paribas a été contrainte de fournir dans le cadre de son amende la liste des comptes de ses clients américains et franco-américains. C’est ainsi que des personnes fort respectables, qui ont la malchance d’avoir la double-nationalité mais qui ont toujours gagné et déclaré leur argent en France, sans avoir de revenus aux États-Unis, sont sommées par l’Internal Revenue Service (IRS), le fisc américain, de fournir toutes leurs déclarations d’impôts. Si jamais elles ont payé moins en France que ce qu’elles auraient payé aux États-Unis, l’IRS leur réclame la différence. Cela s’appelle du racket.

    Avec le recul, on s’aperçoit qu’il est très difficile de contester chacune de ces mesures : Qui va s’élever contre le fait de lutter contre la corruption… ? De même qui n’est favorable à la répression des narcotrafiquants et du blanchiment de leur argent ? Il en est de même du terrorisme. C’est là toute l’habileté du projet américain théorisé en 2004 par Suzanne Nossel, laquelle a inspiré Hillary Clinton lorsque cette dernière était secrétaire d’État.

    C’est la théorie non du soft power mais du smart power, affirmation par les États-Unis d’une vision universelle au nom de leur compétence universelle.

    Les États-Unis se vivent comme le nouveau peuple élu. Leurs victoires contre les forces du mal (en 1945 contre le nazisme, plus tard contre le communisme), leurs performances économiques, témoignent de la supériorité de leur modèle. Il est donc normal que tous les autres peuples adoptent ce modèle car la globalisation implique l’uniformisation. Les États-Unis énoncent donc de grands principes, valables pour tous et que tous sont contraints de respecter à travers un arsenal juridique, à travers la puissance du dollar, à travers les technologies qui permettent de tout savoir (on pense à la NSA). Le tout, bien sûr, pour le bien commun.

    Cette compétence universelle, par définition, s’applique à toutes les activités humaines. L’offensive contre la FIFA et Sepp Blatter (et par ricochet contre Michel Platini), a été menée par les Anglo-saxons, par les Américains. Une offensive fort habile car chacun sait que la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), comme le CIO (Comité international olympique), sont des lieux où le népotisme et la corruption règnent en maîtres. Pour les Américains, il s’agit de faire exploser ce système et de le remplacer par un autre où la puissance américaine sera dominante et imposera ses règles.

    Il est très difficile de s’opposer à ce smart power, véritable idéologie qui s’appuie sur la défense des droits de l’homme, la libre concurrence non faussée, le droit des consommateurs, le droit des minorités etc.

    Cette stratégie s’appuie également sur les ONG anglo-saxonnes. Ce sont elles qui sont à l’origine de l’affaire Volkswagen. Loin de moi l’idée de défendre Volkswagen et l’industrie automobile allemande mais il est intéressant d’observer comment cette affaire s’est déroulée. Au départ, le lobby automobile européen, dominé par les industriels allemands, avait de très bonnes relations avec la Commission européenne et, évidemment, les normes de pollution et de consommation en Europe ont été fixées avec l’assentiment des constructeurs automobiles. Nous avons tous pu constater que l’affichage des consommations des véhicules ne correspond absolument pas à la réalité sur le terrain. Il se trouve que Volkswagen avait misé sur le diesel, invention essentiellement européenne, pour pénétrer le marché américain. Or, aux États-Unis, les normes anti-pollution pour le diesel sont beaucoup plus rigoureuses qu’en Europe, notamment pour les particules fines (on pourrait parler d’une norme protectionniste). Volkswagen a décidé, pour pénétrer le marché américain avec ses véhicules diesel, d’installer secrètement un logiciel fourni par Bosch. Logiciel qui permettait de masquer la réalité de émissions de particules. Ce truquage est découvert par une ONG américaine qui dévoile l’affaire en 2014 et transmet le dossier à l’agence fédérale de protection de l’environnement. C’est alors que l’affaire commence. Volkswagen, qui a effectivement triché, est piégée. Les media s’en mêlent, la machine s’emballe (48 Class actions, dans 48 États différents). La machine de guerre judiciaire américaine s’est mise en branle et le coût pour Volkswagen, indépendamment du coût pour son image, va se chiffrer en dizaines de milliards de dollars. Volkswagen (tout comme sa filiale Audi) avait énormément misé sur les États-Unis : le marché américain devait être le nouvel eldorado pour le constructeur automobile allemand qui espérait s’implanter aux États-Unis, bénéficier du dollar, d’une main d’œuvre moins chère qu’en Europe pour réexporter ensuite des modèles ou des sous-ensembles sur le marché européen et sur l’Asie. Ambition que l’industrie automobile américaine, en plein renouveau, grâce aux subventions données notamment à General Motors, ne voit pas d’un très bon œil. Est-ce un hasard si l’affaire du petit logiciel de Volkswagen a émergé ? Ce qui va se passer sur l’affaire Volkswagen est important car, si les Allemands plaident coupables, ils ont cependant commis un crime de lèse-majesté début janvier en refusant aux prosecutors et aux enquêteurs américains l’accès à leurs données, notamment sur le sol allemand. En effet, quand la machine judiciaire américaine est en branle (les entreprises qui sont « passées dans la moulinette » en savent quelque chose), les enquêteurs américains déboulent et ont accès à tout, mails, documents etc. Or les Allemands, invoquant la German law, qui interdit la communication de données à des puissances étrangères extérieures à l’Union Européenne, ont refusé de donner l’accès aux documents et aux mails internes à leur siège social. Les Allemands iront-ils jusqu’au bout du bras de fer, refuseront-ils d’obéir aux injonctions de la justice américaine? Cela peut se terminer par l’obligation pour Volkswagen de fermer ses usines aux États-Unis. On est là dans un processus lourd de conséquences.

    Les États-Unis, forts de leur puissance, ont donc développé un arsenal juridique tous azimuts. Ils décident qui peut commercer avec qui. Ils peuvent décider aussi d’éliminer les concurrents. Les entreprises françaises en savent quelque chose avec l’Iran. À la différence de ce qui se passait dans les années 80-90, ils bénéficient de la position du dollar: 78 % des transactions mondiales se font en dollars et tout est compensé par les États-Unis. Comme toutes les transactions en dollars transitent par les États-Unis, toute transaction en dollars est soumise à la loi américaine. Ils ont aussi les écoutes : on a découvert que la NSA et les services américains écoutaient systématiquement tout, y compris les chefs d’État… et personne n’a protesté. Et surtout, cette extraterritorialité devient un extraordinaire business qui profite d’abord aux Américains. Les amendes proprement dites commencent à atteindre des montants conséquents. Pour les banques, le total des amendes infligées par la justice américaine est de 125 milliards de dollars, dont une bonne partie concerne les banques américaines. Mais les banques américaines ont été condamnées pour les affaires de subprimes (aucun banquier américain n’a fait de prison) tandis que les banques européennes et japonaises ont été condamnées pour avoir violé des embargos. Les banques suisses ont payé un très lourd tribut pour ne pas avoir communiqué à temps un certain nombre de données.

    On en est aujourd’hui à 35 milliards de dollars d’amendes pour les banques étrangères et une demi-douzaine de milliards de dollars pour les groupes industriels. Sur les dix premières amendes infligées, notamment pour des affaires de corruption, aux groupes industriels, neuf concernent des groupes étrangers. Le record va à Siemens (800 millions de dollars) suivi par Alstom (772 millions de dollars).

    Cet argent sert d’abord à l’auto-alimentation du système judiciaire américain (la SEC, le Trésor, le DOJ etc.) dont les coûts annexes sont considérables. Le système judiciaire américain, les centaines de milliers de lawyers des cabinets, sont embauchés par les entreprises et vivent « sur la bête ». L’argent des amendes fait donc vivre le système judiciaire américain au sens large. S’y ajoute la contestation de brevets etc. L’application de ce système de l’extraterritorialité est un formidable business qui alimente la machine judiciaire et juridique américaine.

    Les gens de BNP Paribas seront sans doute heureux d’apprendre qu’une partie de leur amende va servir à indemniser les citoyens américains qui avaient été victimes de la prise d’otages à l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979. Plus de cinquante personnes, retenues pendant 444 jours, n’avaient jamais été indemnisées parce que, dans l’accord entre l’Iran et Ronald Reagan, l’Iran avait refusé de payer quelque indemnité que ce soit (l’une des raisons pour lesquelles les Iraniens avaient pris en otage les personnels de l’ambassade américaine était la « prise en otage » par les Américains des compte iraniens à la Chase Manhattan Bank…). Le Congrès a l’intention d’utiliser 1 à 2 milliards de dollars, pris sur l’amende de BNP Paribas, pour indemniser ces ex-otages américains.

    Plus grave : les accords que les entreprises étrangères sont contraintes de signer s’accompagnent généralement de la mise sous tutelle de fait de ces entreprises qui, de par le settlement, l’accord passé avec la justice américaine, subissent pendant six mois, un an, trois ans… la présence de contrôleurs indépendants chargés de vérifier que l’entreprise condamnée se conforme bien à toutes les règles de la compliance américaine. Alcatel Lucent avait été condamnée il y a quelques années à une amende pour corruption à propos d’affaires qui remontaient au début des années 2000 (le montant, moins important que celui infligé à Alstom, s’élevait quand même à 170 millions de dollars). Contrainte d’accepter pendant trois ans la présence d’un contrôleur indépendant, Alcatel Lucent devait lui donner toutes les informations que ce contrôleur jugeait utiles à la réalisation de sa mission. D’aucuns disent que Alcatel Lucent a été ainsi pillée pendant quelques années par la justice américaine. Les secrets de fabrication et un certain nombre de données essentielles peuvent être transférés ainsi à une puissance étrangère.
    L’extraterritorialité du droit américain permet à la puissance américaine, sur les secteurs qu’elle estime stratégiques, d’asseoir sa domination.

    Merci.

    Jean-Michel Quatrepoint (Fondation Res Publica, 1er février 2016)

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  • Puissance et rapports de force au XXIe siècle...

    La revue Conflits, dirigée par Pascal Gauchon, vient de sortir en kiosque son deuxième numéro hors-série consacré cette fois-ci  à la question de la puissance.

    Vous pourrez y découvrir, notamment, des articles de Pascal Gauchon ("Pouvoir ce que l'on veut" ; "La puissance économique décide-t-elle de tout ?" ; "La France, une grande petite puissance ?"), de Florian Louis ("Penser la puissance"), de Thomas Flichy de la Neuville ("La puissance militaire, Ultima ratio regis"), d'Helena Voulkovski ("Métamorphose de la puissance ?"), de Christophe Réveillard ("L'Union européenne. Renonciation à la puissance ?"), de John Mackenzie ("La hiérarchie des puissance")  de Frédéric Munier ("Le soft power. La puissance de la séduction" ; "L'Allemagne. Un retour à la puissance"), de Pascal Marchand ("La Russie. Le retour de la puissance ?") ou d'Anne-Sophie Letac ("Le savoir, nouvel enjeu de puissance"), ainsi qu'un entretien avec Gérard Chaliand ("Géopoliticien de terrain").

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    " La puissance est une idée vieille en Europe.

    Écrasés par le poids des fautes passées, les peuples européens lui tournent le dos. Ils ont été puissants, ils en ont abusé, ils ont constaté que la puissance coûte financièrement, moralement et psychologiquement, ils ne veulent plus en payer le prix.

    La puissance est un idée neuve et renaissante en Asie, en Russie, chez tous les pays émergents et, bien sûr, aux États-Unis. Eux ne partagent pas les états d'âme des Européens, ils ne se posent plus de questions métaphysiques, ils assument la puissance comme une évidence. "

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  • Du combat et de la lutte...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Julien Freund, penseur et philosophe politique, tiré de son maître-livre, L'essence du politique, et publié par Theatrum Belli.

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    Les concepts de « combat » et de « lutte » 

    Les guerres modernes et tout particulièrement les guerres révolutionnaires ont redonné de l’importance à la lutte des non-combattants, non seulement avec l’apparition des partisans, mais aussi avec le déploiement de la propagande, les sanctions prises contre la population civile, les camps d’internement ou de concentration, les appels à la violence, etc. Cette constatation nous apporte une première précision pour la compréhension de la lutte, en ce sens qu’elle nous invite à faire une distinction entre lutte et combat. Quand on parle de l’intervention des non-combattants, on entend par là que des hommes non régulièrement prévus pour la lutte entrent en jeu. Encore que ces situations soient plus fréquentes dans les temps modernes, elles ne leur sont pas propres, car on observe aussi l’intervention de non-combattants dans les conflits de l’histoire passée, depuis que nous la connaissons (bandes, jacqueries, etc.). Qu’est-ce que le combat ? Il est une espèce de lutte, qui se déroule selon des conventions acceptées de part et d’autre, c’est-à-dire, une lutte organisée, disciplinée et régulière n’engageant que des hommes désignés pour y participer et n’utilisant que des moyens déterminés. Le combat est la forme la plus rationnelle de la lutte. Seule l’issue du  combat est incertaine, non les moyens et les forces en présence, ce qui n’empêche nullement le recours aux ruses et aux stratagèmes.

    Etant données les monstruosités, la barbarie et les atrocités actuelles auxquelles donnent lieu les manifestations de la guerre menée avec violence la plus folle, les hommes ont de tout temps essayé de donner aux conflits armés la forme du combat. Le premier pas dans cette voie a consisté dans la formation d’armées régulières, avec des cadres permanents et placés sous l’autorité directe et unique du gouvernement établi. Ce fut ensuite la création d’un droit spécial ou code militaire, sur le plan interne et externe. Les conférences de La Haye et les conventions de Genève ne sont que des exemples récents de la volonté de régler sur le plan international les actes d’hostilité. Certes les deux dernières guerres mondiales ainsi que le concept de guerre totale utilisant de moyens techniques que l’on ne pouvait prévoir au début du siècle, mais aussi la notion de guerre révolutionnaire, ont presque réduit à néant les efforts laborieux des juristes. La situation contemporaine ne saurait cependant nous faire oublier qu’au Moyen Age la féodalité avait réussi à élaborer une espèce de code plus ou moins tacite de la guerre, qu’à la suite des effroyables guerres de religion le XVIe, le XVIIe et le XVIIIe siècle avaient également réussi à réglementer les hostilités et que ce furent les guerres révolutionnaires qui modifièrent l’état d’esprit. Là aussi il faut reconnaître que cette réglementation fut l’œuvre de la rationalisation de l’Etat naissant, car dans la mesure où il s’attribuait le monopole de la violence légitime, il devait également se réserver le monopole des armes, par la suppression des mercenaires, la formation d’une armée nationale et la constitution d’une fonction militaire, à côté de la fonction administrative et autres. L’une des caractéristiques de ce que l’on appelle le ius publicum europaeum consistait justement dans l’humanisation de la guerre par la transformation de la lutte armée en combats réguliers menés par les armées reconnues des divers Etats. Il est à regretter que l’exaltation révolutionnaire de certains socialistes traite avec tant de dédain cette forme de réglementation et la rejette comme démodée ou anachronique alors qu’elle est plus décisive dans l’établissement de la paix que toutes les motions, programmes et déclarations solennelles. En effet, le véritable problème et peut-être moins de supprimer toute guerre que d’essayer de la réglementer en déterminant qui doit la mener : les combattants ou bien aussi les non-combattants ? Plus exactement, la prétendue démocratisation de la lutte au sens où elle devient l’affaire des masses a pour conséquence la démesure. Qu’est-ce qui importe le plus à l’homme : désirer le plus ou obtenir réellement quelque chose ? Il est en outre à remarquer qu’une civilisation qui parvient à transformer la guerre en combats réguliers tend presque naturellement à l’institution d’une caste militaire ou guerrière, ce système n’étant pas toujours aussi condamnable qu’on le dit généralement de nos jours, si l’on veut bien prêter attention aux observations que nous venons de faire.

    La guerre-combat s’est transformée de nos jours en guerre-lutte sous l’action de causes diverses. Nous avons déjà mentionné l’influence de l’idéologie révolutionnaire et du concept de totalité. A cela il faut ajouter qu’un conflit ne peut garder la forme du combat qu’à la condition que le nombre des participants restent médiocre, c’est-à-dire que les forces restent limitées. Dès que la guerre devient générale ou mondiale et qu’elle met immédiatement en jeu l’existence d’un très grand nombre de pays, elle tend à devenir une lutte féroce et impitoyable, selon la loi caractéristique du phénomène de masse.  Les conventions juridiques et morales (au sens d’une régulation par les mœurs) perdent leur validité pratique pour céder la place à l’état de nature sous la forme d’une mobilisation de toutes les ressources matérielles et spirituelles mises au service de la violence. Max Weber a eu raison de montrer que la responsabilité de cette transformation est imputable aux deux camps (de la première guerre mondiale) et même spécialement à celui des alliés (1). D’un autre côté un conflit ne garde le caractère du combat qu’à la condition de ne pas se prolonger trop longtemps, sinon intervient l’ascension aux extrêmes décrite par Clausewitz. Alors la guerre nourrit la guerre, les objectifs politiques se déplacent, parfois se contredisent et suscitent des tensions successives toujours plus violentes dont le dénouement devient incompatible avec la législation internationale. Les difficultés et les tensions s’accroissent non seulement à cause de la durée, mais aussi par suite de l’extension du conflit dans l’espace. Alors que le combat exige un théâtre d’opérations délimité, une zone localisée, la lutte ne connait ni limites ni frontières ni interdictions. Enfin le passage du combat à la lutte vient aussi de l’indétermination des fins politiques. En vertu même de la réglementation, le combat se fixe des objectifs précis ; au contraire, les guerres modernes, à cause de leur aspect plus ou moins révolutionnaire, se donnent des buts tellement abstraits et lointains voire inaccessibles qu’elles ne peuvent que se transformer en une lutte qui, par essence, est une rivalité aux moyens diffus, aux objectifs souvent vagues et aux contours indéterminés (2). Finalement, la lutte se dégrade parfois en simple jouissance, en plaisir d’exercer la violence pour la violence, elle devient fin en soi. Le combat obéit à la loi de la force, la lutte à celle de la puissance.

    La confrontation avec la notion de combat nous fournit ainsi suffisamment d’indications pour l’élucidation de celle de la lutte. Elle est la forme irrationnelle et indéterminée des conflits, parfois désordonnée, déchaînée et confuse, parfois aussi, on le voit chez Lénine, ordonnée selon les normes d’un savoir-faire prestigieux qui, cependant, ne reconnaît aucune limite. Ce qui est capital, c’est que les règles ne lui sont pas imposées de l’extérieur, mais elle les fixe elle-même, à son gré, au cours de son déroulement suivant les nécessités et les circonstances. Elle ne reconnaît d’autres frontières que celles qu’elle se donne elle-même. A la limite elle met en jeu tous les moyens possibles, ne reculant ni devant la traîtrise ou la férocité ni devant les conventions, les coutumes ou les interdit sociaux, moraux ou religieux. Au besoin elle fait appel à la violence la plus brutale et surtout préméditée, du moins tant qu’elle ne rencontre pas de résistance efficace, et, pour briser les obstacles, elle n’hésite pas à utiliser toutes les formes d’oppression, d’appropriation et d’exploitation. S’il le faut elle poussera à la délation et au crime, elle se servira du chantage, de l’escroquerie, de l’abus de confiance, semant partout la méfiance et la suspicion. Tout est possible, tout est permis. Tantôt elle se fait furieuse, ne connaissant ni pardon ni merci, tantôt insidieuse, sournoise et déloyale. Aussi appelons-nous lutte l’ensemble des efforts réciproques qu’entreprennent des adversaires ou des ennemis pour faire triompher leurs intérêts, opinions et volontés respectives en essayant de dominer ou de vaincre l’autre par la destruction ou l’affaiblissement de sa puissance. Elle peut adopter les formes régulières ou conventionnelles du combat ou bien consister en un affrontement qui pousse la violence jusqu’à l’extrême, sans considération des moyens employés et des personnes visées, dans le déchaînement de la puissance la plus folle.

    Julien Freund (Theatrum Belli, 21 septembre 2015)

     

    Notes :

     

    1. Max Weber, Le Savant et le Politique, p. 141. Les deux raisons principales ont été d’une part le blocus organisé par les alliés et d’autre part, la guerre sous-marine à outrance des Allemands.
    2. Le passage du combat à la lutte dans les guerres modernes a été très bien décrit par Ch. De VISSCHER : « Les guerres d’autrefois étaient jusqu’à un certain point des entreprises raisonnées, aux buts circonscrit, aux conséquences suffisamment prévisibles. Gardant un certain contrôle des événements, les gouvernants conservaient parfois assez de modération pour ménager jusque chez le vaincu les forces indispensables à l’établissement d’un ordre de paix nouveau. La guerre totale est démesurée ; les hommes en perdent graduellement la maîtrise. Elle n’a plus ni objectif politique certain ni terme prévisible…Son obsession persiste au-delà de la victoire », Théories et réalités en droit international public, p. 364.
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  • L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Hervé Juvin à Vincent Tremolet de Villers pour Figarovox, à l'occasion de la parution de son essai Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

    Économiste de formation, Hervé Juvin a publié deux des essais particulièrement marquants ces dernières années, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013).

     

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    Hervé Juvin : «L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples»

    Votre livre s'intitule Le mur de l'ouest n'est pas tombé. Comment analysez-vous l'affaire Franceleaks?

    Ne nous faites pas rire! L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes. Partons du principe que tout le monde écoute tout le monde, suggérons avec le sourire que les Français ne sont pas les derniers à le faire, ajoutons que l'explosion de l'espionnage de données par les systèmes américains ne leur assure pas des triomphes stratégiques bien marquants, et regardons-nous!

    Les Français veulent croire que nous vivons dans un monde de bisounours. L'Europe est une entreprise à décerveler les peuples européens, ceux du moins qui croiraient que les mots de puissance, de force, d'intérêt national, ont encore un sens. C'est l'étonnement général qui devrait nous étonner; oui, l'intérêt national américain n'est pas l'intérêt français! Oui, entre prétendus alliés, tous les coups sont permis, et les entreprises françaises le savent bien! Oui, les Américains ne manquent pas de complices européens qu'ils savent diviser pour mieux régner! Oui encore, l'exceptionnalisme américain leur permet d'utiliser tous les moyens pour dominer, pour diriger ou pour vaincre, et la question n'est pas de protester, c'est de combattre!

    Édouard Snowden est en Russie et ces révélations servent objectivement les adversaires des États-Unis. N'est-ce pas tout simplement de la géopolitique?

    Le premier fait marquant de l'histoire Snowden, c'est que des pays qui se disent attachés à la liberté d'expression et indépendants n'ont pas souhaité l'accueillir, voire se sont alignés sur l'ordre américain visant à le déférer à la justice américaine. Il n'y a pas de quoi être fiers, quand on est Français, et qu'on a été l'un des champions des non-alignés! Nous sommes rentrés dans le rang ; triste résultat de deux présidences d'intérim, avant de retrouver un Président capable de dire «non!».

    Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global. Le point crucial est l'association manifeste d'une surpuissance militaire, d'une surpuissance d'entreprise, et d'un universalisme provincial - une province du monde se prend pour le monde et veut imposer partout son droit, ses normes, ses règles, ses principes, en recrutant partout des complices. Ajoutons que l'affaire des écoutes, celle de la livraison des frégates «Mistral», comme celle des sanctions contre la Russie, éclairent la subordination absolue de ceux que les États-Unis nomment alliés, alors qu'ils les traitent comme des pions ; est-ce la manifestation de la stratégie du «leading from behind» annoncée par Barack Obama dans un célèbre discours à West Point?

    Le troisième fait est au cœur de mon livre, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Les États-Unis attendent la guerre, ils ont besoin de la guerre extérieure qui seule, va les faire sortir de la crise sans fin où l'hyperfinance les a plongé. Seul, un conflit extérieur les fera sortir du conflit intérieur qui monte. D'où la rhétorique de la menace, du terrorisme, de la Nation en danger, qui manipule l'opinion intérieure et qui assure seule l'injustifiable pouvoir de l'hyperfinance sur une Amérique en voie de sous-développement.

    Quel est, selon vous, le jeu américain vis-à-vis de la Russie?

    La Russie est l'un des pôles de la résistance à l'ordre américain. Et c'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis. Le général Wesley Clark l'a dit sans ambages ; «il faut en finir avec les États-Nations en Europe!» Voilà pourquoi, entre autres, l'idéologie américaine nous interdit toute mesure pour lutter contre l'invasion démographique qui nous menace, promeut un individualisme destructeur de nos démocraties et de notre République, veut nous contraindre à une ouverture accrue des frontières, notamment par le traité de libre-échange transatlantique, et nous interdit de réagir contre les atteintes à notre souveraineté que représente l'extraterritorialité montante de son droit des affaires.

    Les États-Unis réveillent le fantôme de la guerre froide pour couper le continent eurasiatique en deux. C'est le grand jeu géopolitique des puissances de la mer qui est reparti ; tout, contre l'union continentale eurasiatique! Bill Clinton a trahi les assurances données à Gorbatchev par George Bush ; l'Otan ne s'étendra jamais aux frontières de la Russie. Les États-Unis accroissent leur présence militaire dans l'est de l'Europe, dans ce qui s'apparente à une nouvelle occupation. Que font des tanks américains en Pologne et dans les pays baltes? Le jeu géopolitique est clair ; l'Eurasie unie serait la première puissance mondiale. Les États-Unis, on les comprend, n'en veulent pas. On comprend moins leurs complices européens. Et moins encore ceux qui répètent que la puissance, la force et les armes ne comptent pas!

    Poutine ne cède-t-il pas au défaut (autocratie, volonté expansionniste) que l'Occident lui prête?

    Critiquer la volonté impériale des États-Unis n'est pas encenser Monsieur Poutine! Quand je critique la confusion stratégique américaine, je n'écris rien que des élus américains, comme Elizabeth Warren, comme Rand Paul, comme Jeb Bush lui-même, qui vient de déclarer qu'il n'aurait jamais envahi l'Irak, ont déclaré!

    Je constate simplement que les États-Unis ont eu peur du rapprochement entre l'Union européenne et la Russie, qui aurait menacé le privilège exorbitant du dollar, et qu'ils se sont employés à la faire échouer, comme ils s'étaient employés à affaiblir l'euro. Je constate ensuite que le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François, etc. tout ceci dans un contexte où les États-Unis utilisent les droits de l'individu, sans origine, sans sexe, sans race, sans quoi que ce soit qui le distingue, sauf l'argent, pour dissoudre les sociétés constituées et en finir avec la diversité des cultures et des civilisations, qui n'est rien si elle n'est pas collective. Je salue le fait que la Russie soit un pôle de résistance à l'individualisme absolu, comme l'Inde, comme la Chine, comme l'Islam à sa manière, et qu'elle garde le sens de la diplomatie, qui est celui de reconnaître des intérêts contraires, pas d'écraser ses opposants. La France ne l'est plus. On n'est pas obligé d'être d'accord avec eux sur leur manière singulière d'écrire l'histoire de leur civilisation, pour être d'accord sur le fait que leur singularité est légitime, puisqu'ils l'ont choisie, et mérite d'être préservée!

    La chute de la diversité des sociétés humaines est aussi, elle est plus grave encore que la chute de la biodiversité animale et végétale. Car c'est la survie de l'espèce humaine qui est en danger. Il n'y aura plus de civilisation, s'il n'y a pas des civilisations. Et la Russie orthodoxe, comme l'Islam chiite, comme l'hindutva de Narendra Modi, sont des incarnations de cette merveille ; la diversité des formes que l'homme donne à son destin.

    Les Russes savent aussi écouter leurs partenaires et leurs adversaires?

    Un peu d'histoire. L'invention, l'entraînement, le financement d'Al Qaeda, des talibans, a enfoncé une épine dans le pied de l'URSS, dont elle ne s'est pas relevée. Brzezinski l'a dit avec une rare franchise ; «Al Quaeda a produit des dégâts collatéraux ( side effeects) sans importance dans la lutte que nous avons gagnée contre l'URSS». Partout, y compris pour justifier l'intervention armée en Europe et pour défendre l'islamisation de l'Europe, les États-Unis derrière leur allié saoudien, se sont servis de l'Islam. Ils s'en servent en Inde, en Chine, ils s'en sont servis en Tchetchénie. Et ils se préparent à renouveler l'opération au sud de la Russie, en déstabilisant les États d'Asie centrale et l'extrême-est de la Chine.

    Parmi les preuves multiples, regardons la prise de Palmyre par l'État islamique. Admettons qu'un vent de sable ait effectivement empêché toute intervention aérienne pour la prise de Ramadi, quelques jours plus tôt. Mais Palmyre! Dans une zone désertique, sans grand relief, Palmyre qui ne peut être atteinte que par des pistes ou des routes droites sur des kilomètres, en terrain découvert ; une armée qui dispose de l'exclusivité aérienne, comme celle de la coalition, peut empêcher toute entrée ou sortie d'un seul véhicule de Palmyre! L'inaction de la coalition est inexplicable. La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie. Mais une France devenue pauvre en monde, livrée à la confusion des valeurs et des intérêts, une France qui n'incarne plus la résistance à l'intérêt mondial dominant qu'est l'intérêt national américain, qui sera peut-être demain l'intérêt chinois, est-elle encore la France?

    Hervé Juvin, propos recueillis par Vincent Tremolet de Villers (Figarovox, 26 juin 2015)

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  • « Reprenons notre destin en main ! »...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir le remarquable entretien avec Hervé Juvin réalisé le 18 juin 2015 par Élise Blaise pour TV Libertés à l'occasion de la sortie du nouvel essai de cet auteur, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

     

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