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israël - Page 6

  • Affaire Khashoggi : le piège du poulpe...

    Nous reproduisons ci-dessous éclairage de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré à l'affaire Kashoggi. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Affaire Khashoggi : le piège du poulpe

    « L’héritier du léopard hérite aussi de ses taches. » Proverbe bantou

    Nous ne redirons pas l’horreur du dépeçage du malheureux journaliste saoudien ni la sauvagerie qu’elle traduit, pas plus qu’on ne s’indignera bruyamment, comme si l’on découvrait subitement l’insigne brutalité des mœurs locales… Torture et assassinat sur ordre suprême de Ryad sans presque plus aucun doute. L’enflure médiatique prise par cette affaire et la réduction du profil de la victime à sa fonction de journaliste, qu’il occupait à titre accessoire… et comme un accessoire d’ailleurs, pour ne pas dire comme couverture, sont éminemment suspects. Un leurre destiné à dissimuler la gravité d’implications autrement plus graves pour les divers acteurs de cette triste affaire. Nous rappellerons donc juste quelques éléments et laisserons nos lecteurs faire eux-mêmes les liens et se poser quelques questions.

    Jamal Khashoggi, bien plus qu’un journaliste, était un agent d’influence chevronné, extrêmement proche des services de renseignement américains comme de la famille régnante saoudienne. C’était aussi l’ami et le confident d’Oussama Ben Laden. Un atout incontestable mais aussi une vulnérabilité qui le conduisit, depuis la mort de celui-ci, à se montrer progressivement de plus en plus critique vis-à-vis des premiers comme de la seconde…

    Donald Trump, malgré sa victoire aux Midterms et sa reprise en main consécutive du Parti républicain, demeure en butte à l’offensive puissante du Deep State américain (Services et complexe militaro-industriel) comme de ses adversaires politiques et du monde médiatique. Tous sont depuis 2 ans bientôt vent debout contre son pragmatisme corrosif, qui fait tomber le masque de leurs subterfuges moralisateurs et brise les illusions de leurs plus fervents affidés.

    Le coup d’Etat qui a fait de Mohammed Ben Salman (MBS) le prince héritier saoudien en lieu et place de son cousin Mohammed Ben Nayef (MBN) – qui avait lui les faveurs de l’appareil militaro-industriel et de renseignement américain (SMI-Deep State) – a mis en danger des réseaux d’influence, de contrôle (et de prébendes) patiemment établis.

    La « prise en main » parallèle du fougueux et narcissique prince par Israël (via le gendre de Donald Trump), qui y voit un proxy malléable et même vendable aux Européens au service de sa lutte contre Téhéran, est gênée par l’exposition actuelle de la réalité de ses méthodes. MBS, par ses affichages de prince modernisateur, servait jusqu’à présent docilement le dessein de l’Etat hébreu de faire agir le proxy saoudien face à l’Iran comme en témoigne l’inutile et écœurante guerre du Yémen. La rivalité à l’intérieur même du système américain entre les deux courants d’influence est donc désormais ouverte et vive. L’un « environne » déjà étroitement le président Trump depuis le cœur même de son Administration. Ce sont les Généraux Mattis et Mac Master, John Bolton, tous les néoconservateurs et /ou pro-israéliens favorables à la poursuite de la déstabilisation agressive du Moyen-Orient et de l’Iran après l’échec syrien, y compris de façon militaire, et les « réalistes » (conservateurs traditionnels, Deep State, notamment CIA et SMI) qui veulent raison garder et préfèreraient avoir à Ryad un prince plus directement contrôlable. Car, aux yeux des réalistes, l’affaire Khashoggi menace désormais la sécurité du Royaume elle-même, point d’appui essentiel de l’imperium américain au Moyen-Orient. Une domination déjà gravement défiée par le retour russe dans la région depuis 2015 et l’implication de Moscou en Syrie et de plus en plus en Libye.

    Dans ce contexte, l’actualité s’éclaire d’un jour différent. L’agent d’influence proche de la CIA s’était montré ouvertement critique vis-à-vis de MBS depuis sa prise de pouvoir. Il avait aussi demandé sa nationalité qatarie.

    Mais il y a pire encore. Derrière cette fumée noire s’agite le spectre des ambitions nucléaires saoudiennes qui font l’objet de négociations secrètes entre Washington et Ryad depuis déjà quelques années et s’accélèrent depuis l’arrivée de Donald Trump. Ambitions civiles ? Militaires ? À dissuader ? À encourager ? À instrumentaliser ? Là aussi, sur fond de très juteux contrats et d’instrumentalisations diverses, la lutte entre les deux tendances évoquées supra fait rage entre le Président américain, enclin à faire confiance à son allié MBS et à ses protestations d’honnêteté concernant la finalité strictement civile de ses projets nucléaires, et le Congrès qui mesure la charge délétère d’un tel programme à l’échelle régionale.

    Quoi qu’il en soit, le principal gagnant de l’imbroglio Khashoggi est le président Erdogan, dont le rôle, en amont même de l’opération, reste trouble. La Turquie joue habilement et tous azimuts pour gagner en influence au Moyen-Orient. Il est de son intérêt de faire indirectement pression sur Donald Trump pour obtenir des concessions en Syrie notamment face à son ennemi kurde. Elle est aussi le véritable challenger de l’Arabie saoudite pour la tutelle politique et religieuse du monde sunnite (Frères musulmans contre Wahhabites) et est financièrement soutenue par le Qatar qui lutte aussi pour exister face à Ryad…

    L’autre bénéficiaire est incontestablement Moscou qui accentue son offensive de séduction vis à vis du royaume saoudien et y consolide ses réseaux pour structurer une alternative à l’emprise américaine et gêner Washington sur ce front décisif du partage des influences dans la région.

    L’avenir dira lequel des deux courants évoqués l’emportera. Donald Trump essaie d’aider son allié Mohammed Ben Salman en l’exhortant, comme si c’était une « punition », à mettre fin à sa guerre du Yémen, dans une impasse politique et militaire manifeste. Un cadeau en fait. L’occasion pour MBS de se sortir d’un guêpier dangereux en donnant l’impression, sans perdre la face, de faire une concession à l’indignation internationale… Mais l’Iran reste dans sa ligne de mire, dans celle de Tel Aviv et de gens puissants à Washington. 2019 sera l’année de toutes les exaspérations. Celle aussi de tous les dangers. Où est la France ?

    Caroline Galactéros (Géopragma, 26 novembre 2018)

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  • La paille et la poutre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Bricmont cueilli sur le site Arrêt sur Info et consacré à la vision biaisée des dirigeants européens quant à la question de la désinformation. Chercheur et professeur en physique théorique, Jean Bricmont est un disciple de Noam Chomsky et un défenseur de la liberté d'expression. Il s'est fait connaître dans le monde des idées par un livre, Impostures intellectuelles (Odile Jacob, 1997), écrit avec Alan Sokal dans lequel il étrillait quelques figures médiatiques de la pensée socio-philosophique française, et plus récemment par un essai intitulé La République des censeurs (L'Herne, 2014).

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    Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell devant l'ONU en février 2003

    pour dénoncer la présence d'armes de destruction massive en Irak

     

    La paille et la poutre

    Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?

    (Evangile selon saint Luc, 6, 42)

    Etant physicien et non spécialiste des sciences humaines, je ne suis pas habitué au niveau auquel peuvent s’abaisser certaines recherches dans ces domaines. Par conséquent, je suis tombé de ma chaise en lisant «Les manipulations de l’information, un défi pour nos démocraties», rapport rédigé par quatre experts du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères (CAPS) et de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), et présenté ce 4 septembre lors d’un colloque à l’Ecole militaire, en présence de la ministre des Armées Florence Parly.

    Le rapport se veut académique et encyclopédique : on y parle de Foucault et Derrida, du relativisme, des pseudo-sciences, de l’opinion de Marc Bloch en 1921 sur les fausses nouvelles durant la Première Guerre mondiale, des analyses de Gérald Bronner et de Jacques Ellul ; on y trouve des mots russes comme dezinformatzia (p. 52) qui est supposé être l’origine du mot français «désinformation». On y parle de l’Indonésie, du Vietnam, de l’Amérique latine.

    Ce n’est donc pas un document limité à la supposée ingérence russe dans les affaires françaises, même si le plat de résistance du texte est constitué par la «désinformation russe».

    Mais comment faire un travail aussi apparemment exhaustif sur la désinformation en ne mentionnant nulle part :

    – Les faux charniers de Timisoara en 1989 lors du reversement de Ceaucescu.

    – L’affaire des bébés jetés hors des couveuses au Koweït lors de la première guerre du Golfe.

    – L’affaire des armes de destruction massives en Irak, sauf de façon très marginale (p. 187).

    – Les usages des armes chimiques en Syrie, qui sont systématiquement mises sur le dos du gouvernement syrien, alors que des experts américains en armements ont, au moins en 2013, catégoriquement réfuté ces assertions.

    Les auteurs du rapport évaluent aussi la «désinformation» à l’aune de ce qu’eux considèrent comme des faits établis : l’annexion forcée de la Crimée par la Russie (que savent-ils des volontés de la population criméenne ?), ou l’agression russe en Ukraine (pourquoi la population russophone de l’est de l’Ukraine ne pourrait-elle pas s’opposer au gouvernement central, issu d’un coup d’Etat, et qui lui est manifestement hostile, comme l’a fait la population albano-kosovare face au gouvernement serbe ?).

    Arriver à parler, comme les auteurs du rapport le font, de la «désinformation russe en Amérique latine», sans dire un mot de l’ingérence américaine qui est loin de se limiter à la désinformation (jamais entendu parler d’Arbenz, de Goulart, d’Allende, de l’invasion de la République dominicaine en 1965, du soutien aux «Contras» au Nicaragua sandiniste, du coup contre Chavez en 2002 ?) est un véritable tour de force idéologique.

    Le plus gros de l’ingérence étrangère dans nos pays est d’origine américaine

    Un autre sujet soigneusement évité par les auteurs du rapport, et qui est l’éternel éléphant dans la pièce que personne ne veut voir, c’est l’ingérence israélienne à travers les lobbies pro-israéliens qui, au moins aux Etats-Unis, est très bien documentée même si elle est totalement ignorée par les médias (à cause justement de la force de frappe de ces lobbies).

    On pourrait penser aussi à la campagne de désinformation récente au Royaume-Uni menée contre le Labour Party et Jeremy Corbyn sous prétexte d’antisémitisme et qui est entièrement liée à leurs positions sur le conflit israélo-palestinien.

    Et en France ? Comment expliquer l’influence d’un BHL ou d’un Kouchner, qui non seulement sont passionnément attachés à Israël, mais ont poussé la France à entrer en guerre avec la Libye, et indirectement avec la Syrie, sur la base d’une multitude de fausses nouvelles (dont le bombardement imminent à Benghazi) ? Ces guerres étaient manifestement en contradiction avec les intérêts de la France et ont engendré la crise des réfugiés qui déstabilise aujourd’hui toute l’Europe.

    Ce que les auteurs du rapport semblent ne pas comprendre, c’est que le plus gros de l’ingérence étrangère dans nos pays est bien d’origine américaine. Mais elle se fait à travers une multitude de think tanks, de colloques, d’institut de «recherche», d’invitations dans les grandes universités américaines ; tout cela forme la vision du monde de nos élites, vision dans laquelle nous sommes entourés d’ennemis contre lesquels l’action militaire et politique des Etats-Unis, même à des milliers de kilomètres de leurs rives, est purement défensive. Quand on remarque que trois des quatre auteurs du rapport ont travaillé dans ces universités américaines ou à l’OTAN, on n’est pas étonné de cette incompréhension.

    «L’honnêteté est la meilleure politique»

    Quand on en arrive aux recommandations concrètes, les auteurs du rapport ne savent pas très bien sur quel pied danser : ils se méfient à juste titre de la censure et se rendent compte que, lorsque des médias dominants font des listes de sites fiables et non fiables, la méfiance qui existe à l’égard de ces médias tend à légitimer les sites déclarés par eux non fiables.

    Ma grand-mère, qui me répétait souvent «l’honnêteté est la meilleure politique» avait trouvé, il y a longtemps, la solution à la crise de confiance dans les médias dominants, solution à laquelle les auteurs du rapport n’ont pas pensé. Mais la perte de crédibilité de la presse ne date pas d’hier. Elle a commencé aux Etats-Unis avec la guerre du Vietnam et n’a fait qu’empirer avec les guerres récentes. Espérer l’adoption d’une politique d’honnêteté des médias pour tout ce qui concerne l’international suppose un tel changement dans la vision du monde des journalistes que cela relève du vœu pieux. De plus, la crédibilité, c’est un peu comme la virginité : il est plus facile de la perdre que de la regagner.

    Quand il s’agit de savoir qui utilise des armes chimiques, ou de ce qu’il en est de l’affaire Skripal ou du Russiagate, comment peut-on se faire une opinion si ce n’est en confrontant des points de vue différents ? Cela n’a rien de relativiste et ne signifie nullement que «tout se vaut», mais est la base même de l’attitude scientifique et de la philosophie des Lumières, dont se réclament les auteurs, mais qu’ils défendent très mal.

    La vision du monde véhiculée par les auteurs du rapport est le symptôme d’un nouveau déclin de l’Occident, qui s’exprime par l’incapacité à l’auto-critique : toute allégation d’une ingérence occidentale ou toute mise en doute du récit médiatique dominant est supposé exprimer une «mentalité complotiste», mais les allégations concernant l’ingérence russe sont prises comme parole d’Évangile ; cependant, concernant justement l’Évangile, ils oublient un peu vite la phrase de saint Luc rappelée en exergue de cet article.

    Jean Bricmont (Arrêt sur info, 10 septembre 2018)

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  • Un conflit d'ordre religieux et métaphysique...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque le conflit israélo-palestinien... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Pourquoi le conflit israélo-palestinien est d’ordre religieux et métaphysique… »

    Israël fête, cette année, son soixante-dixième anniversaire. Certains, à droite, y voient une extension de l’Occident en Orient. D’autres, à gauche, un État colonial. Les Israéliens paraissent eux-mêmes divisés sur la question, tiraillés qu’ils sont entre socialisme d’origine et fièvre mystico-religieuse. Que reste-t-il, aujourd’hui, des idéaux sionistes ?

    L’idéal sioniste se solde à la fois par un succès et un échec. Le succès porte un nom : c’est l’État d’Israël, dont la naissance en 1948, dans les conditions que l’on sait, montre bien qu’une idée qui n’a longtemps été qu’une abstraction (ou un rêve) peut parfois se réaliser dans les faits. C’est d’autant plus remarquable qu’à l’époque où Theodor Herzl écrivait son État des Juifs (1896), le sionisme était loin de faire l’unanimité dans les milieux juifs religieux. Ce succès comporte, d’ailleurs, un autre volet : l’extraordinaire renaissance de l’hébreu parlé, grâce notamment aux efforts d’Eliézer Ben-Yehoudah.

    L’échec tient au fait que l’idéologie sioniste s’était fondée, au départ, sur la conviction que seule la création d’un État juif permettrait au peuple juif de disposer d’un lieu sûr après des siècles de tribulations et de persécutions, alors que l’on constate aujourd’hui qu’Israël est peut-être le pays où les Juifs sont le moins en sécurité ! À cela s’ajoute que le vieux principe « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » était d’un parfait irénisme : la Palestine n’a évidemment jamais été une « terre sans peuple ».

    Le conflit israélo-palestinien dure depuis le début de l’État d’Israël. Comment pensez-vous qu’il pourrait prendre fin ?

    Israël ne veut pas d’un État binational, car il sait bien qu’à court terme, pour de simples raisons démographiques, cet État cesserait d’être un État juif. Mais il ne veut pas, non plus, d’une solution à deux États, estimant qu’un État palestinien constituerait pour lui une menace. Toutes les options paraissent donc bouchées.

    Je crois que c’est au politologue Quentin Skinner que l’on avait demandé un jour qui avait raison, selon lui, les Israéliens ou les Palestiniens. Il avait répondu que les uns comme les autres avaient raison, et que c’est pour cela que ce conflit ne prendrait jamais fin. C’est aussi mon avis, mais pour une raison différente : plus qu’un conflit politique, stratégique, territorial ou démographique, le conflit israélo-palestinien est d’abord un conflit religieux et métaphysique. Les conflits métaphysiques ne sont pas négociables. Ils ne peuvent faire l’objet d’un compromis, parce que le Bien ne peut pas faire de compromis avec le Mal. Quand les deux parties se regardent mutuellement, non pas seulement comme des ennemis, mais comme des incarnations du Mal, la guerre devient inexpiable. Elle ne prend fin qu’avec la disparition de l’un des belligérants.

    Les dernières manifestations palestiniennes dans la bande de Gaza se sont soldées par plus d’une centaine de morts et un millier de blessés. Israël affirme que le Hamas pousse lui-même en avant les manifestants, en particulier les enfants, pour qu’il y ait parmi eux le plus de victimes possible afin de s’attirer la sympathie de l’opinion internationale. Qu’en pensez-vous ?

    Dans ce cas, il y aurait une excellente façon de déjouer ce cynique calcul : ce serait de ne tirer sur personne ! Au demeurant, le raisonnement selon lequel l’armée israélienne sert la cause palestinienne quand elle tue des Palestiniens ne me paraît pas conduire bien loin… Pour ma part, je m’en tiens aux définitions courantes. Quand une armée régulière tire à balles réelles sur des manifestants seulement équipés de pierres, de bâtons, de cocktails Molotov et de cerfs-volants, cela s’appelle un massacre.

    Quant à la décision de Donald Trump de transférer l’ambassade de son pays de Tel Aviv à Jérusalem, dont la portée symbolique est évidente, rappelons qu’elle a été prise en violation de la résolution adoptée le 29 novembre 1947 par l’Assemblée plénière de l’ONU qui plaçait Jérusalem sous un régime spécial international (raison pour laquelle les ambassades étrangères se sont installées à Tel Aviv).

    En France, dans certains milieux conservateurs, il est souvent dit que ce qui se passe là-bas « ne nous regarde pas ». Beaucoup de gens de droite se disent aussi solidaires des Israéliens au seul motif que ceux-ci font face à des Arabes. Politique à courte vue ?

    Quand on montre la Lune, il y a toujours des idiots qui regardent le doigt ! Il y a aussi des gens qui préfèrent regarder « On n’est pas couché » plutôt que de s’intéresser à ce qui se passe à l’étranger. Je crois vain d’essayer de leur faire comprendre que ce qui se passe en Palestine n’est qu’une pièce sur l’échiquier proche-oriental, et que ce qui se passe sur cet échiquier nous concerne directement, ne serait-ce que parce que cela conditionne le maintien de la paix ou le déclenchement de la guerre dans le monde. À l’époque de la mondialisation, les conséquences des grands événements ne s’arrêtent pas plus aux frontières que les perturbations climatiques ou les nuages de Tchernobyl. Quant à ceux qui adorent voir tirer du Palestinien en Israël parce qu’ils aimeraient bien voir quelque chose de semblable se dérouler dans les banlieues, on ne peut que leur conseiller d’aller vivre quelque temps dans les territoires occupés. Ils constateront que les deux situations n’ont rien de comparable, que les « occupants » ne sont pas les mêmes et qu’il n’est pas très logique de déplorer « le Grand Remplacement » en France tout en soutenant, dans les territoires, le Grand Remplacement des Palestiniens (qui sont chez eux aussi) par des colons israéliens.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 juin 2018)

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  • Le retour en force des néoconservateurs américains…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la politique moyen-orientale de Donald Trump... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Donald Trump, ou le retour en force des néoconservateurs américains… »

    Le monde entier semble critiquer le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, oubliant qu’il s’agissait de l’une des promesses de campagne de Donald Trump. Emmanuel Macron, après avoir tenté de faire changer d’avis le président américain, s’est vu renvoyer dans les cordes. Quelles conséquences ?

    La décision délirante de Donald Trump ne peut avoir que des effets désastreux, puisque à court terme, elle va renforcer en Iran la position des plus « durs », qui y voient déjà la confirmation qu’on ne peut jamais faire confiance aux Occidentaux, et qu’à moyen terme, elle peut tout simplement déclencher une nouvelle guerre. (Souvenons-nous qu’en 1941, le Japon avait été poussé à l’entrée en guerre à la suite de l’embargo maritime américain sur son pétrole et son acier.) Trump a, en revanche, été applaudi par Israël, pays qui possède plus de 200 têtes nucléaires braquées en permanence sur Téhéran et qui prétend lui interdire tout accès à l’arme nucléaire alors qu’il s’en est doté lui-même de manière illégale et n’a jamais autorisé le moindre contrôle international de ses propres installations.

    Cette décision, qui confirme que la politique étrangère des États-Unis est à nouveau passée sous le contrôle des néoconservateurs, est aussi et peut-être surtout une véritable déclaration de guerre aux pays européens qui se voient intimer l’ordre de violer à leur tour un accord multinational qu’ils ont mis des années à négocier, et que l’Iran a jusqu’ici scrupuleusement respecté, sous peine d’exposer leurs entreprises à d’énormes sanctions. Les Américains montrent ainsi le mépris dans lequel ils tiennent leurs partenaires au sein de l’Alliance atlantique.

    Du coup, c’est l’heure de vérité pour une Europe dont les entreprises ont déjà massivement investi là-bas : peut-elle et a-t-elle la volonté politique de tenir le coup face au diktat de la Maison-Blanche ? Tout cela profitera-t-il finalement à Pékin, qui est déjà le premier partenaire commercial de Téhéran ?

    L’Union européenne a fait savoir qu’elle envisageait quelques timides mesures de rétorsion et qu’elle allait demander aux États-Unis de bien vouloir autoriser quelques « exemptions ». La vérité est qu’elle n’en fera rien ou que cela ne débouchera sur rien : PSA et Total se sont d’ailleurs déjà couchés, preuve que ces entreprises ne se font aucune illusion sur les dirigeants de l’Union européenne. La seule réponse efficace serait, pour les Européens, d’annoncer solennellement que, désormais, ils ne reconnaissent plus l’extra-territorialité des lois intérieures américaines. Mais personne n’osera le faire. L’affaire est donc pliée d’avance.

    La Chine sera sans doute la première à profiter du retrait des entreprises européennes en Iran, ce qui ajoutera encore à sa spectaculaire montée en puissance. En parité de pouvoir d’achat, son PIB est d’ores et déjà supérieur à celui des USA, dont elle est aussi le premier créancier étranger (1.200 milliards, sur les 20.200 milliards de dettes fédérales). La Chine dispose à la fois de l’étendue, du nombre, de la puissance et d’une très active diaspora. Déjà en guerre économique et technologique avec les États-Unis, son alliance avec la Russie est plus solide qu’on ne le dit généralement. Son projet de nouvelle « route de la soie », dit projet OBOR (One Belt One Road), témoigne de sa volonté de se désenclaver de son environnement montagneux et de sa façade maritime limitée pour renouer avec sa tradition d’expansion commerciale vers l’Europe et l’Asie.

    Avec Trump, nous assistons au renforcement de l’axe Washington-Riyad-Tel Aviv, à savoir trois capitales n’ayant lutté que de loin contre l’État islamique – quand elle ne le finançait pas, pour ce qui concerne la deuxième. C’est un fait nouveau ?

    C’est surtout un éclaircissement des fronts. On a désormais, d’un côté, un axe Washington-Riyad-Tel Aviv (si le jeune prince saoudien n’est pas assassiné à court terme), de l’autre un axe Moscou-Damas-Téhéran. D’un côté les sunnites, de l’autre les chiites. Bien entendu, je simplifie. La Russie n’a pas l’intention d’affronter directement les Israéliens (avec plus d’un million d’individus, les Juifs d’origine russe constituent la première communauté juive en Israël), les intentions de la Turquie restent comme d’habitude labyrinthiques et, d’autre part, le maillon faible de l’axe n° 1 est de toute évidence l’Arabie saoudite. Mais géopolitiquement, cette confrontation a un sens. Dans de telles conditions, l’intérêt politique, stratégique et civilisationnel de la France et de l’Europe serait de toute évidence de se tourner vers l’Est, c’est-à-dire de rompre son allégeance aux États-Unis et de se solidariser de l’ensemble continental eurasiatique. Mais c’est, précisément, le moment que semble avoir choisi Emmanuel Macron pour multiplier les signes d’allégeance atlantiste – ce qui est dramatique.

    Le 4 octobre 2016, un mois avant l’élection de Donald Trump, le général Mark Milley, alors chef d’état-major de l’armée américaine, affirmait : « Une guerre future de haute intensité entre des États-nations de grande puissance est pratiquement certaine. Elle sera très hautement mortelle. » Et pour qu’on comprenne bien, il ajoutait : « Ne vous y trompez pas, l’armée américaine détruira n’importe quel ennemi, n’importe où, n’importe quand. » Nous voilà prévenus.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 juin 2018)

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  • L'Iran n'est pas la Corée du Nord...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 10 mai 2018 et consacrée aux conséquences de la décision des États-Unis de dénoncer l'accord sur le nucléaire iranien... 

     

                                     

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  • L’Iran, puissance montante en Orient...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du journaliste Nicolas Gauthier, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré la montée en puissance de l'Iran et au conflit entre chiites et sunnites...

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    L’Iran, puissance montante en Orient : panique à Riyad, sang-froid à Tel Aviv…

    Au-delà des emportements du moment, il y a le temps court et le temps long. L’adversaire conjoncturel et l’ennemi structurel. En cette heure du tout-médiatique, l’émotion a trop tendance à prendre le pas sur la réflexion. Phénomène qui aggrave plus encore les travers d’une doxa dominante, toujours plus prompte aux concepts binaires qu’à la pensée à long terme.

    Un tel état d’esprit n’épargne pas plus la gauche que la droite. L’une considère que les forces de la réaction identitaire marcheraient en rangs serrés, forte d’un plan ourdi de longue date ; la seconde estime qu’une oumma aussi fantasmée que fantasmatique s’apprêterait à présider les destinées du monde, obéissant à on ne sait quel génial stratège enterré sous la montagne, qui manipulerait attentats terroristes et invasions migratoires.

    La réalité est fortuitement moins lyrique, telle qu’en témoigne par exemple une actualité irano-saoudienne riche d’enseignements. Et qui nous démontre, une fois de plus, que le fameux choc des civilisations entre Occident et Orient, islam et chrétienté, relève plus du slogan de circonstance que d’autre chose. Ce qui n’empêche pas d’autres personnes, par calcul politicien ou aveuglement politique, de jouer de ce totem, espérant qu’à force d’invoquer le Diable, on puisse finir, tôt ou tard, par le faire apparaître.

    En l’occurrence, de quoi est-il question ? Une fois et encore de l’ancestrale lutte entre les deux branches majeures de l’islam, sunnites et chiites. L’occasion de rappeler, une fois de plus, que les guerres religieuses les plus sanglantes sont les guerres internes menées contre les hérétiques – catholiques contre protestants – et non point celles que l’on déclare à une religion concurrente. Dans ce conflit, deux pôles majeurs, Riyad et Téhéran. La première entend régenter le monde sunnite, tandis que la seconde a la ferme intention de fédérer les chiites de la région. Et c’est ainsi que, dans cet affrontement larvé, l’Iran est en passe de donner corps au pire des cauchemars de l’Arabie saoudite ; soit ce croissant qui va désormais de Téhéran à Beyrouth dont la double faute consiste à professer un islam hérétique et, pis, de n’être pas arabe.

    Dans Le Figaro de ce lundi, notre confrère Georges Malbrunot note, avec pertinence : « Dans cette guerre, le modèle iranien est incontestablement plus efficace. Il repose sur des milices locales, parfois plus puissantes que les armées nationales. Le génie iranien est d’avoir su tisser un réseau de relais locaux qui permet à Téhéran de contrôler sans avoir besoin d’être massivement déployé sur place. » Pour un peuple ayant inventé le jeu d’échecs, cela ne relève pas exactement de l’exploit ; ce, d’autant plus qu’il est favorisé en cette manœuvre par trois facteurs majeurs.

    L’impéritie militaire, diplomatique, politique et économique du rival saoudien. Le retrait des USA de la région et le retour en force de la Russie. Et, surtout, l’attentisme bien compréhensible de l’État hébreu. On peut encore y ajouter le fait que Riyad n’est pas la capitale la plus à même de négocier dans un contexte post-terroriste, alors qu’elle est celle ayant le plus appuyé ces mêmes mouvements, aujourd’hui en déroute. Remarque qui vaut, d’ailleurs, aussi pour l’Occident en général et Israël en particulier.

    Pourtant, cette dernière nation se montre finalement la plus lucide sur ce dossier brûlant, à en croire cette passionnante tribune publiée dans The Jerusalem Post : « Le désengagement des États-Unis au Moyen-Orient laisse le champ libre à Téhéran. » Dans cette dernière, on prend ainsi acte du récent rapprochement américano-russe : « Cet accord inattendu entre les deux grandes puissances porte le coup de grâce à la résurrection de la grande alliance contre l’Iran des pays sunnites pragmatiques. »

    Et c’est ainsi que, pendant que Riyad lèche ses plaies, que Téhéran pousse ses pions, Tel Aviv en est réduit à compter les points. Un arbitre qui menace certes de siffler la fin de la partie, mais qui n’a pas plus les moyens que l’envie de s’en prendre directement à un Iran en train de réaliser le but qui a toujours été le sien depuis des siècles ; à savoir renouer avec l’Empire perse de jadis. Temps long, disions-nous…

    Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 novembre 2017)

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