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france - Page 35

  • Vente d'Alsthom : le dessous des cartes...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Michel Quatrepoint au Figaro Vox à propos des suites de la vente d'une partie de l'entreprise Alstom au groupe américain General Electric...

    Journaliste économique, Jean-Michel Quatrepoint a récemment publié Le choc des empires: États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l'économie-monde ? (Gallimard, 2014).

     

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    Vente d'Alsthom : le dessous des cartes

    Vendredi 19 décembre, dans un complet silence médiatique, les actionnaires d'Alstom ont approuvé à la quasi-unanimité le passage sous pavillon américain du pôle énergie du fleuron industriel. 70% des activités d'Alstom sont donc vendues au conglomérat General Electric (GE). Que cela signifie-t-il concrètement?

    Le protocole d'accord approuvé par Emmanuel Macron en novembre et voté par l'assemblée générale d'Alstom, le 19 décembre, est proprement hallucinant! tant il fait la part belle à Général Electric et ne correspond pas à ce qui avait été négocié et présenté au printemps dernier.

    Au-delà des éléments de langage des communicants et de la défense de Patrick Kron, il s'agit, bel et bien de la vente - oserais-je dire, pour un plat de lentilles - d'un des derniers et des plus beaux fleurons de l'industrie française à General Electric.

    Pour comprendre les enjeux, il faut rappeler quelques faits. Le marché mondial de la production d'électricité, des turbines, est dominé par quatre entreprises: Siemens, Mitsubishi, General Electric et Alstom. Le groupe français détient 20 % du parc mondial des turbines à vapeur. Il est numéro un pour les centrales à charbon et hydrauliques. Alstom Grid, spécialisé dans le transport de l'électricité, est également un des leaders mondiaux. Mais c'est dans le nucléaire qu'Alstom était devenu un acteur incontournable. Avec 178 turbines installées, il couvre 30 % du parc nucléaire mondial. Ses nouvelles turbines, Arabelle sont considérées comme les plus fiables du monde et assurent 60 ans de cycle de vie aux centrales nucléaires. Arabelle équipe les futurs EPR. Mais Alstom a également des contrats avec Rosatom en Russie et avec la Chine pour la livraison de quatre turbines de 1000 MW. Alstom, faut-il le rappeler, assure la maintenance de l'îlot nucléaire des 58 centrales françaises.

    Les activités nucléaires d'Alstom n'étaient-elle pas censées être sanctuarisées?

    Au début des négociations avec GE, celui-ci n'était intéressé que par les turbines à vapeur et notamment à gaz. Dans l'accord du mois d'avril dernier, cette activité était vendue à 100 %, mais trois filiales 50-50 étaient créées. L'une pour les énergies renouvelables, dont l'hydraulique et l'éolien en mer. La deuxième pour les réseaux, Alstom Grid, et la troisième, pour les activités nucléaires. À l'époque, les autorités françaises, par la voix d'Arnaud Montebourg, avaient garanti que ce secteur nucléaire resterait sous contrôle français. Le vibrionnant ministre français est parti et les promesses, c'est bien connu, n'engagent que ceux qui veulent les croire.

    Non seulement le 50-50 est devenu 50 plus une voix pour General Electric, mais le groupe américain détiendra 80 % pour la partie nucléaire. C'est dire que la production et la maintenance des turbines Arabelle pour les centrales nucléaires sera contrôlée par GE.

    Quelles sont les conséquences sur l'industrie française, notamment sur la filière nucléaire?

    On peut dire ce que l'on veut, mais c'est désormais le groupe américain qui décidera à qui et comment vendre ces turbines. C'est lui aussi qui aura le dernier mot sur la maintenance de nos centrales sur le sol français. La golden share que le gouvernement français aurait en matière de sécurité nucléaire n'est qu'un leurre. Nous avons donc délibérément confié à un groupe américain l'avenir de l'ensemble de notre filière nucléaire…

    Pourquoi General Electric qui, il y a un an, n'était intéressé que par les turbines à vapeur a-t-il mis la main sur ce secteur nucléaire?

    Tout simplement, parce que l'énergie est au centre du projet stratégique américain. Et que le nucléaire est une des composantes de l'énergie. Le marché redémarre. Dans les pays émergents, mais aussi en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. General Electric en était absent. Là, il revient en force et acquiert, pour quelque milliards de dollars avec Arabelle, le fleuron des turbines nucléaires.

    Sur le marché chinois, l'un des plus prometteurs, Westinghouse associé à Hitachi, est en compétition face à EDF, Areva et Alstom. Arabelle était un atout pour la filière française. Que se passera-t-il demain si GE négocie un accord avec Westinghouse pour lui fournir Arabelle? C'est donc à terme toute la filière nucléaire française qui risque d'être déstabilisée à l'exportation.

    Cela peut-il également avoir des conséquences diplomatiques et géopolitiques? Lesquelles?

    Oui, et c'est peut-être le plus grave. Les Etats-Unis sont nos alliés, mais il peut arriver dans l'histoire que des alliés soient en désaccord ou n'aient pas la même approche des problèmes, notamment dans la diplomatie et les relations entre États. Est-on sûrs qu'en cas de fortes tensions entre nos deux pays, comme ce fut le cas sous le Général de Gaulle, la maintenance de nos centrales nucléaires, la fourniture des pièces détachées seront assurées avec célérité par la filiale de GE?

    En outre, on a également oublié de dire qu'il donne à GE le monopole de la fourniture de turbines de l'ensemble de notre flotte de guerre. D'ores et déjà, le groupe américain fournit près de la moitié des turbines à vapeur de notre marine, à travers sa filiale Thermodyn du Creusot. Alstom produit le reste, notamment les turbines du Charles de Gaulle et de nos quatre sous-marins lanceurs d'engins. Demain, GE va donc avoir le monopole des livraisons pour la marine française. Que va dire la Commission de la concurrence? Monsieur Macron a-t-il étudié cet aspect du dossier?

    Enfin, il est un autre secteur qu'apparemment on a oublié. Il s'agit d'une petite filiale d'Alstom, Alstom Satellite Tracking Systems, spécialisée dans les systèmes de repérage par satellite. Ces systèmes, installés dans plus de 70 pays, équipent, bien évidemment, nos armées, et des entreprises du secteur de la défense et de l'espace. C'est un domaine éminemment stratégique, car il concerne tous les échanges de données par satellite. General Electric récupère cette pépite. Quand on sait les liens qui existent entre la NSA, les grands groupes américains pour écouter, lire, accéder aux données des ennemis, mais aussi des concurrents, fussent-ils alliés, on voit l'erreur stratégique à long terme que le gouvernement vient de commettre. Le ministère de la Défense a t il donné son avis?

    Peut-on aller jusqu'à parler de dépeçage?

    Oui car, ne nous y trompons pas, l'histoire est écrite. Patrick Kron, actuel PDG, s'est félicité que les accords avec les Américains permettront à Alstom de vendre, d'ici à trois ou quatre ans, ses participations dans les trois sociétés communes, dans de bonnes conditions… pour les actionnaires. Ce qui restera d'Alstom, la partie ferroviaire qui aura bien du mal à survivre, reversera de 3 à 4 milliards d'euros aux actionnaires dont Bouygues qui détient 29% et qui souhaitait sortir. En fait on fait porter à Bouygues un chapeau trop grand pour lui. Ce n'est pas la raison principale de cette cession. Ni le fait que la branche énergie d'Alstom ne soit pas rentable ( seules les turbines à gaz depuis le rachat catastrophique de l'activité de ABB en 2000 posent problème ).

    Quelle est alors, selon vous, la véritable raison de cette vente?

    La véritable raison, quoiqu'en disent les dirigeants d'Alstom, c'est la pression judiciaire exercée par la justice américaine qui s'est saisie en juillet 2013 , d'une affaire de corruption, non jugée, en Indonésie pour un tout petit contrat ( 110 milions de dollars ). Tout se passe comme si cette pression psychique, voire physique, sur les dirigeants, la crainte d'être poursuivi, voire emprisonné ( comme ce fut le cas pour un des responsable d'une filiale du groupe aux Etats Unis ) la menace d'amendes astronomiques avaient poussé ces dirigeants a larguer l'activité énergie. Comme par hasard il y avait un acheteur tout trouvé: Général Electric. Ce ne sera jamais que la cinquième entreprise soumise à la vindicte de la justice américaine que ce groupe rachète. Au passage je rappelle que Jeffrey Immelt son PDG est le président du conseil pour l'emploi et la compétitivité mis en place à la Maison Blanche par Obama. Ce qui n'empêche pas GE d'être le champion de l'optimisation fiscale ( Corporate Tax Avoiders ) avec une vingtaine de filiales dans les paradis fiscaux. Sur 5 ans le groupe a déclaré 33,9 milliards de dollars de profits et n'a pas payé un cent d'impôts aux Etats Unis. Outre Atlantique ont dit désormais ce qui est «bon pour GE est bon pour l'Amérique «. Mais ce qui est bon pour GE ne l'est pas forcément pour la France ou l'Europe. A moins de considérer que notre avenir est de devenir une filiale de GE…

    Si on peut comprendre que les actionnaires trouvent leur compte dans cette vente, comment expliquer la passivité des acteurs de la filière nucléaire et surtout de l'Etat?

    On ne peut que s'étonner du peu de réactions des acteurs de la filière nucléaire. Il est vrai que Bercy et l'Élysée ont donné leur feu vert à cette nouvelle version des accords au moment même où EDF et Areva connaissaient une vacance du pouvoir. Chez Areva, Luc Oursel, aujourd'hui décédé, avait quitté de fait les rênes à la fin de l'été. Chez EDF, François Hollande et Emmanuel Macron ont décidé seuls, contre l'avis de Manuel Valls et de Ségolène Royal, de ne pas renouveler Henri Proglio et de le remplacer par Jean-Bernard Lévy. Un patron de qualité, unanimement apprécié… chez Thalès. Cette vacance du pouvoir, à un moment crucial, a incontestablement favorisé l'évolution des accords au profit de GE. Une politique de gribouille, puisque Henri Proglio va se retrouver président du Conseil de surveillance… de Thalès. Du grand n'importe quoi. Le moins qu'on puisse dire c'est que l'Élysée et Bercy n'ont pas fait un cadeau de Noël aux nouveaux présidents d'EDF et d'Areva. Le drame de l'appareil d'Etat c'est qu'il est dirigé par Bercy où la fibre industrielle a pratiquement disparu. Soit nous avons des politiques qui ne connaissent l'activité économique qu'à travers le prisme des collectivités locales soit nous avons de jeunes technocrates formés, imprégnés par la mentalité de banquier d'affaires . Un bref passage par Rothshild ou Lazard n'est pas forcément un gage de compétences en industrie…

    L'Europe a-t-elle joué un rôle dans cette affaire?

    Indirectement oui, lorsque Pierre Bilger, en 1999, a racheté une partie des activités de turbines de ABB - un rachat funeste, le groupe français ayant payé fort cher des turbines qui vont se révéler défectueuses - la Commission européenne a exigé qu'Alstom cède une partie de ses actifs dans ce secteur. Et ce, pour éviter une position dominante sur le marché européen. C'est ainsi que General Electric a racheté l'usine de Belfort d'Alstom.

    Que dit le cas Alstom de la désindustrialisation de la France?

    Qu'il y a un lien direct entre la désindustrialisation de la France, son déficit abyssal du commerce extérieur, sa perte d'influence dans le monde, la lente attrition des emplois qualifiés et les désastres industriels à répétition que notre pays a connu depuis vingt ans. De Péchiney à Arcelor, en passant par Bull, Alcatel, la Générale de Radiologie et aujourd'hui Alstom, la liste est longue de nos fleurons industriels qui ont été purement et simplement liquidés par l'absence de vision stratégique de la classe politique et de la haute administration, par la cupidité et l'incompétence de certains dirigeants d'entreprise qui ont fait passer leurs intérêts personnels avant ceux de la collectivité. Oui, il y a bien une corrélation entre l'étrange défaite de 1940, qui vit en quelques semaines l'effondrement de notre pays et celle, plus insidieuse et plus longue, qui voit le délitement de notre appareil industriel.

    Jean-Michel Quatrepoint (Figaro Vox, 5 janvier 2015)

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  • Les événements...

    « C’était un des petits plaisirs ménagés par la guerre, à sa périphérie, que de pouvoir emprunter le boulevard de Sébastopol pied au plancher, à contresens et sur toute sa longueur. En dépit de la vitesse élevée que je parvins à maintenir sans interruption, entre les parages de la gare de l’Est et la place du Châtelet, j’entendais éclater ou crisser sous mes pneus tous les menus débris que les combats avaient éparpillés : verre brisé, matériaux de construction hachés en petits morceaux, branchettes de platane, boîtes de bière ou étuis de munitions. Ici et là se voyaient également quelques voitures détruites, parmi d’autres dégâts plus massifs. Sur le terre-plein central de la place du Châtelet, à côté de la fontaine, des militaires en treillis, mais désarmés, en application des clauses du cessez-le-feu, montaient la garde, ou plutôt allaient et venaient, autour de l’épave calcinée d’un véhicule blindé de transport de troupes. »

     

    Les éditions P.O.L publient cette semaine Les Événements, un roman de Jean Rolin. Journaliste et écrivain, frère d'Olivier Rolin, Jean Rolin est notamment l'auteur de L'Organisation, qui retrace son expérience de militant maoïste de base.

     

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    " Les Événements est le récit d’une traversée de la France dans le contexte d’une guerre civile dont les enjeux, pas plus que les causes, ne seront précisés. Il ne s’agit aucunement, en effet, d’un ouvrage de prospective ou de politique-fiction, mais d’une tentative de description d’un pays « normal » (comme son actuel président), soudainement confronté à la violence, à la destruction, à la pénurie, et plus généralement à une perturbation massive de ses habitudes et de son mode de vie. De telles choses arrivent, y compris dans le contexte de pays européens et relativement « développés » : elles se sont produites il y a une vingtaine d’années dans l’ex-Yougoslavie, elles se produisent de nos jours en Ukraine.
    C’est surtout aux traces de ces changements dans le paysage, urbain ou rural, que s’attache le récit, fait alternativement à la première personne par « le narrateur »– celui qui traverse la France, d’abord au volant d’une voiture menaçant ruine, puis, pour finir, à pied – et à la troisième personne par un commentateur non-identifié des tribulations du précédent.
    Cette traversée de la France, de Paris à Port-de-Bouc via la Beauce, la Sologne et l’Auvergne, se déroule entre la fin de l’hiver et le solstice d’été : car s’il s’agit, à certains égards, d’un récit de guerre (d’ailleurs plutôt burlesque que tragique), il s’agit aussi d’une description des variations qu’entraîne dans le paysage le cycle des saisons. "

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  • "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec à l'hebdomadaire Marianne et consacré à l'affaire de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral à la Russie. Olivier Zajec est maître de conférences en science politique à l'université de Lyon 3 et a notamment publié La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique (Editions de l’œuvre, 2011).

     

     

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    "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"

    Marianne : La France a suspendu sine die la livraison du Mistral « Vladivostok » à la Russie. Que vous inspire cette décision et quelles seraient selon vous les conséquences stratégiques et économiques d’une non-livraison de ces bateaux ?
    Olivier Zajec* : Je suis en faveur de la livraison de ce bâtiment, et j’ai peur que le report décidé le 25 novembre ne soit à la fois impolitique, masochiste et décrédibilisant. Impolitique, car nous avons intérêt, sur le long terme, à une relation plus adulte avec la Russie, et ce n’est pas en reniant notre parole que nous y parviendrons.  Masochiste, car nous fragilisons notre industrie de défense, l’un de nos atouts les plus solides sur le plan industriel. Décrédibilisant, car la valeur ajoutée de l’offre française d’armement sur le marché export réside justement dans une alternative à la vassalisation technologique et normative américaine. C’est ce que recherche un client comme l’Inde. Avec cette décision qui ravit les paléo-atlantistes, nous manifestons notre soumission à des postures stratégiques qui ne servent pas nos intérêts (et je ne parle pas seulement de la France, mais de l’Europe). Livrer le Mistral n’empêcherait nullement la France de jouer son rôle dans la crise en cours en Ukraine, qui doit absolument être dénouée. Tout au contraire, en réalité, car cette manifestation d’indépendance lui conférerait le rôle de tiers, ce qui lui permettrait d’arbitrer le pugilat grotesque qui oppose les nostalgiques de l’URSS que l’on rencontre parfois au Kremlin, et les hystériques russophobes qui semblent avoir pris l’ascendant à l’OTAN. Notons tout de même que beaucoup de ceux qui s’élèvent contre cette vente sont les mêmes qui dansaient de joie lors de l’entrée des Américains dans Bagdad en 2003. À défaut d’autres qualités, il faut leur reconnaître une certaine constance dans l’aveuglement. 

    Comment évaluez-vous les conséquences d’une brouille avec Moscou notamment en ce qui concerne les négociations avec l’Iran ou sur la Syrie ?
     Moscou est un acteur incontournable du jeu moyen-oriental, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette. M. François Hollande, étant donné la complexité du puzzle régional et suivant l’impulsion américaine, est en passe, bon gré mal gré, de se convertir au réalisme sur le dossier iranien, ce qui était hors de question il y a encore peu de temps. Puisque cette lucidité bienvenue s’applique désormais vis-à-vis de Téhéran, qui redevient un interlocuteur, pourquoi ne pas l’appliquer – même provisoirement – à Damas, étant donné la nature de l’adversaire commun ? Bachar el-Assad n’est pas la menace immédiate. La fourniture d’armes aux islamistes syriens fut une faute majeure de notre diplomatie. Agir stratégiquement, c’est aussi hiérarchiser les priorités et coordonner les fronts : que se passerait-il si le régime syrien s’effondrait aujourd’hui ? Il suffit d’observer la Libye post-kadhafiste pour le comprendre. L’intervention militaire peut être une solution, il ne faut jamais l’exclure a priori. Mais à condition qu’elle ne perde jamais de vue le contexte de l’engagement. « Frapper » n’est pas une fin en soi, mais seulement le préalable ponctuel et maîtrisé d’un nouvel équilibre instable des forces politiques. L’État islamique n’est pas sorti tout armé des enfers du soi-disant « terrorisme global ». Ce n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il est comptable d’une histoire longue qui plonge ses racines dans l’échec du nationalisme laïc arabe. Cet échec a des causes internes, à commencer par la haine qui sépare Sunnites et Chiites, et les réflexes claniques des élites arabes. Mais aussi des causes externes, en particulier l’incroyable légèreté avec laquelle certaines puissances (et d’abord les États-Unis) ont, depuis des décennies, détruit les fragiles équilibres de la région en jouant l’obscurantisme pétro-rentier contre l’autoritarisme laïc, et le wahhabisme contre la puissance iranienne. Les Occidentaux, de ce point de vue, ont aussi besoin de Moscou pour parvenir à une solution sur place, qui prenne en compte l’intérêt de tous les acteurs.

    Pourtant lors du récent G20 de Brisbane, Poutine a été à l’unanimité, par les médias comme les politiques, présenté comme « isolé » sur la scène internationale...
    « Si tout le monde pense la même chose, c’est que quelqu’un ne pense pas ». Cet unanimisme, sur un sujet aussi complexe, n’est certainement pas un très bon signe pour la pensée stratégique et politique française. Vladimir Poutine est moins isolé sur la scène mondiale que François Hollande sur la scène européenne. Tout est question de focale, d’échelles d’analyse, et en l’occurrence, c’est une myopie persistante qui caractérise le commentaire journalistique occidental.

    Lors du dernier sommet de l’APEC (un forum de coopération économique dans la région Asie-Pacifique, ndlr), Moscou et Pékin ont eu, de leur côté,  plaisir à mettre en scène leur rapprochement entre « isolés » de la scène internationale. Ce rapprochement est-il viable et peut-il marquer un changement majeur dans les équilibres internationaux ?

     Très certainement. Mais il ne faut surtout pas surestimer ce rapprochement. Pékin et Moscou se méfient l’un de l’autre. Cependant, sur ce sujet comme sur d’autres (politique spatiale, énergie, défense du principe de non-ingérence dans les relations internationales), Russes et Chinois semblent poussés les uns vers les autres par un certain unilatéralisme moraliste occidental. 

    Beaucoup de commentateurs considèrent que l’objectif de Poutine est de reconstituer un empire soviétique. On retrouve également tout un discours sur les supposés « réflexes de guerre froide de la Russie ». Comment percevez-vous l’agitation de ce spectre d’une nouvelle guerre froide  ? 
    J’y discerne le signe que le logiciel de certains experts est resté bloqué en 1984, et que leur appréhension diplomatique est celle qui prévalait sous Ronald Reagan. Les saillies de M. John McCain sont typiques de ce blocage générationnel : « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, dit-il, pour empêcher que les ténèbres du monde de M. Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Sans nier la vigueur des réactions russes en Ukraine, il faut remettre les choses dans leur contexte, car cette crise procède d’éléments de nature différente : la profonde corruption des élites ukrainiennes, pro et antirusses confondus ; l’extension ininterrompue de l’OTAN aux marges de la Russie, depuis plus de vingt ans, alors que la main tendue s’imposait ; la méfiance atavique des Baltes et des Polonais vis-à-vis de Moscou, qui ne cesserait que si les Russes rentraient dans l’OTAN (et encore n’est-ce pas sûr) ; enfin, la propension américaine à jouer sur les divisions européennes. La France et l’Allemagne, qui ont tout à gagner à une relation apaisée avec la Russie, sont les premiers perdants du mauvais remake de John le Carré auquel nous assistons. 

    Que pensez-vous justement de l’absence totale d’identité stratégique de l’Europe, sinon l’alignement aveugle sur Washington ?
    Je crois sincèrement que les mots ont un sens. Il n’y a pas, en l’état, d’identité « stratégique » de l’Europe. Nous apportons simplement un appui tactique ponctuel à des opérations relevant d’une stratégie américaine, qui a intérêt à ce que l’Europe demeure un objet et non un sujet des relations internationales. Cette tutelle prolongée sur des alliés tétanisés permet à Washington de masquer sa propre perte d’auctoritas au niveau mondial. Plus généralement, les démocraties « occidentales » semblent s’ingénier à se placer dans le temps court du spasme moral, et non dans le temps long de la stratégie. S’il en était autrement, nos décisions sur les dossiers ukrainien, irakien, syrien, libyen et iranien auraient pris une autre tournure, moins tonitruante et plus réaliste. Pour avoir une stratégie, il faut avoir une conscience politique. L’Europe prise dans son ensemble n’en a pas, malheureusement. La France, elle, qui a la chance de disposer d’une armée extrêmement professionnelle malgré des budgets en baisse constante, a prouvé au Mali en 2013 et en Côte-d’Ivoire en 2002 qu’elle pouvait agir avec efficacité. Et qu’elle pouvait donc encore avoir une stratégie. Ce sont ces modèles, mesurés et dépourvus d’hubris, qu’il faut considérer en priorité.

    Olivier Zajec, propos recueillis par Régis Soubrouillard (Marianne, 1er décembre 2014)

     

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  • Poutine : le De Gaulle russe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son site J'ai tout compris et consacré à Vladimir Poutine...

     

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    Poutine : le De Gaulle russe ?

    La thèse que je soutiens  ici  est que Vladimir Poutine défend une vision gaullienne de l’Europe et du monde, ainsi que de la souveraineté de la Russie. Il se heurte logiquement à l’hégémonie de Washington et des pays anglo-saxons et, comme en son temps le Général de Gaulle, il est présenté comme un danger et un ennemi. Pourtant, c’est notre meilleur allié.

    La diabolisation de Poutine

    Le journaliste du Figaro Pierre Rousselet, dans un article intitulé « Le monde sans règles de Vladimir Poutine » (30/10/2014) nous explique, au terme d’une démonstration fumeuse, que Poutine « joue avec une habileté redoutable de sa capacité de nuisance dans un monde où les règles ont de moins en moins d’emprise ».  Il veut dire par là que le Kremlin viole le droit international  à la suite de la crise ukrainienne. Il se moque du monde et, peut-être sans le savoir, il utilise la méthode de la propagande stalinienne de l’inversion de la réalité. Cette méthode est celle, paradoxalement, de Washington et d’une Union européenne aux ordres.  Le monde de Poutine n’est pas ”sans règles”, au contraire, il est ”avec des règles”. Le monde sans règles est celui  de la politique étrangère US  depuis le bombardement de la Serbie par l’Otan et l’affaire du Kossovo. 

    Poutine est présenté comme le ”nouveau Tsar”, c’est-à-dire un autocrate non élu, alors qu’il a été régulièrement élu à la présidence avec une majorité plus importante que ses homologues occidentaux. La gauche socialo-trotskiste avait accusé en son temps le général de Gaulle d’être un ”fasciste” – en particulier en Mai 68. La même mouvance idéologique rabâche les mêmes éructations contre Poutine. Et ceux qui diabolisent Poutine et la Russie – notamment tous les milieux atlantistes et ”démocrates” – se satisfont parfaitement de bonnes ententes et d’alliances avec  divers régimes tyranniques à travers le monde.  

    La colère anti russe des Anglo-Saxons

    Exclu du G8, Poutine a été très mal accueilli au sommet du G20 de Brisbane en Australie les 15 et 16 novembre. Il a interrompu son séjour avant la fin de la réunion, ce qui est parfaitement normal pour un chef d’État qui est maltraité par ses pairs. Or les médias, renversant les torts, ont expliqué que Poutine « narguait » les Occidentaux et faisait de la « provocation ». Plus incroyable, le premier ministre australien Tony Abbott (lui aussi à la botte de Washington) a reproché, à l’ouverture de la réunion, à la Russie de « vouloir restaurer la gloire perdue du tsarisme ou de l’Union soviétique ». Et alors ? Ce propos est proprement scandaleux : la Russie serait donc illégitime à vouloir redevenir une grande puissance ! Sous-entendu : seuls les USA ont vocation à être une grande puissance et la Russie doit se contenter d’être une puissance régionale soumise à la ”pax” americana. Poutine subit de la part des Anglo-Saxons la même attitude d’hostilité que le Général de Gaulle, en beaucoup plus violent du fait de la taille de la Russie.

    À la réunion de Brisbane, les quatre Anglo-Saxons (le président des États-Unis, les premiers ministres de Grande-Bretagne, du Canada et d’Australie, tous trois féaux de Washington) ont vilipendé Poutine et la Russie avec brutalité, accusant le président russe de violer le droit international, de trahir sa parole et d’agresser un pays voisin. Accusations complètement contraires à la réalité. Ils l’ont menacé d’aggraver les sanctions économiques et l’isolement de la Russie s’il continuait d’aider les séparatistes de l’Ukraine orientale – alors que c’est l’armée de Kiev, encouragée, armée et conseillée par les Anglo-Saxons, qui est responsable d’agression militaire.

    À côté de cela, le président français (M. Hollande) et surtout Angela Merkel ont longuement essayé à Brisbane de négocier avec M. Poutine pour calmer le jeu. Malheureusement, ni la France ni l’Allemagne, pratiquant une diplomatie molle et timorée, n’osent aller au bout de leur démarche. Elles sacrifient leurs intérêts pour complaire aux Anglo-Saxons. Répétons ici que l’affaire ukrainienne résulte d’une provocation américaine (voir autres articles de ce blog sur le sujet) et que les sanctions (illégales) contre la Russie, servilement acceptées par les Européens,  se font au bénéfice de l’Amérique et de la Chine et au détriment de l’UE.

    Le plus inadmissible est l’absence de l’ONU dans la résolution de la crise ukrainienne. Comme pour le Kossovo, comme pour les guerres d’Irak, l’ONU est écartée, en violation de sa Charte et de tous les traités internationaux. L’ONU est remplacée par l’unilatéralisme américain et son impérialisme décomplexé. Le Coréen du Sud, Ban Ki-moon, le Secrétaire général, est totalement absent de la diplomatie internationale. Tout le monde sait que ce personnage falot est une créature de Washington, ainsi que l’a avoué dans ses Mémoires John Bolton, ancien ambassadeur américain à l’ONU. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a été complètement marginalisé par Washington depuis la guerre des Balkans de 1999.  (1)      

    Le piège ukrainien  tendu à la Russie

    L’escalade militaire qui se produit en Ukraine a pour origine l’armée ukrainienne et non pas les séparatistes prorusses de Donetsk et du Donbass. Kiev avait procédé à des tirs d’artillerie, près de Chakhtarsk, sur le site du crash du vol  MH17 de la Malaysia Airlines abattu le 17 juillet, comme pour empêcher une enquête objective sur le terrain. En 7 mois, les affrontements ont fait 4.000 morts, en majorités civils. Le protocole de Minsk, prévoyant un cessez-le-feu, signé le 5 septembre par Kiev et les séparatistes a été violé par le gouvernement ukrainien. Ce dernier  est encouragé par une diplomatie washingtonienne et européenne irresponsable. Des militaires américains sont présents en Ukraine. Ils observent, pondent de faux rapports et attisent les braises. Ils poussent l’Ukraine à une guerre contre la Russie.

    On accuse actuellement la Russie de faire parvenir des chars, des armes lourdes et des combattants sans insignes aux insurgés russophones du Donbass et de Donetsk.  Vraie ou fausse, cette aide militaire me semblerait logique si j’étais à la place de Poutine : peut-on rester  insensible à  une agression contre des quasi-nationaux installés dans un pays voisin ? Plutôt que de se mettre autour d’une table de négociation pour résoudre tranquillement, dans le cadre des institutions internationales, la difficile question ukrainienne, l’Occident sous domination  américaine a choisi de créer la crise, tout en tenant un discours hypocrite pseudo-pacifiste.    

    Il n’y a jamais eu d ’”annexion” de la Crimée, mais un référendum demandant le retour d’une province russe autoritairement détachée en 1954. Jamais le retour de la Crimée à la Russie n’a menacé l’ordre international. En revanche, l’invasion américaine de l’Irak a totalement déstabilisé l’ordre international et embrasé le Proche-Orient. Les donneurs de leçons de Washington sont ceux-là mêmes qui créent les désordres. À 25% par cynisme et à 75% par idéalisme naïf et stupidité.   

    Concernant les sanctions de l’Union européenne contre la Russie, en fait imposées par les USA, Renaud Girard note : « la Russie en souffre indiscutablement mais les Européens aussi ! L’Union européenne a perdu toute souplesse diplomatique, comme l’a montré son incapacité à répondre aux ouvertures de Poutine exprimées lors du sommet de Milan du 16 octobre 2014 » (Le Figaro, 11/11/2014). La raison de cette rigidité diplomatique est que l’UE n’a pas de diplomatie propre, celle-ci se décidant à Washington.

    La propagande US anti Poutine

    L’Américaine Fiona Hill, directrice de recherches à la Brookings Institution (antenne de la CIA), spécialiste de la Russie et coauteur d’un livre sur Poutine a tenu des propos russophobes très révélateurs. En gros on accuse Poutine des maux dont est soi-même coupable. Elle explique : « Poutine a interprété toutes nos actions comme une menace, ce qui l’a poussé à mettre en place une politique offensive de défense de ses intérêts, qui consiste à pousser  toujours plus loin les limites de ce qu’il peut faire ». Cette politologue gaffeuse admet donc que la Russie est illégitime à ”défendre ses intérêts” ! Seuls les USA ont le droit de ”défendre leurs intérêts”. Pas les autres.  Et que veut-elle dire par ”toutes nos actions” ? C’est un aveu. Il s’agit de l’agitprop menée par tous les réseaux US pour déstabiliser l’Europe centrale depuis 1991.

    Alors même que ce sont les USA qui recherchent une nouvelle guerre froide avec la Russie et qui essaient d’écraser dans l’œuf toute velléité d’indépendance et de puissance russe comme toute alliance euro-russe, la politologue américaine affirme que la Russie est une menace pour toute l’Europe et l’Occident. C’est ce thème romanesque qui est au centre de la propagande atlantiste actuelle. Diabolisant Poutine, elle expose : « Poutine n’est plus seulement un danger pour la souveraineté de l’Ukraine et la sécurité européenne mais un danger pour l’ordre politique européen. Très clairement, son but est de discréditer les institutions européennes et la démocratie. Il veut aussi discréditer l’Otan dont l’existence est vue comme un danger »

    Elle accuse Poutine, à la tête d’un « pouvoir dangereux et corrompu » issu du KGB, de manipuler les mouvements identitaires européens, de vouloir posséder « un droit de veto dans l’espace qu’occupait l’Empire russe et l’URSS » et –suprême délire–  de « mettre le ”gun” nucléaire sur la table, sous-entendant qu’il serait prêt à utiliser une arme nucléaire tactique ». Puis elle exhorte : « si nous ne montrons pas la force du lien transatlantique, nous perdrons, car Poutine cherche la division »

    Ce n’est pas ce ”lien transatlantique” qui compte pour l’Europe – il est source de soumission –, c’est le lien euro-russe. La propagande de Washington consiste à ahurir les Européens en construisant un ”danger russe” fantasmatique. Mais nous n’avons que ce que nous méritons : plutôt que d’être indépendants et forts afin de régler tranquillement avec la Russie, dans une ”Maison commune”, tous les problèmes continentaux qui peuvent se poser (comme l’Ukraine), nous avons préféré nous soumettre à Washington, ce faux protecteur, pour régler nos affaires à notre place.

    Or le but –compréhensible et logique – de l’Amérique est d’être notre suzerain, notre pseudo-protecteur, pour mieux nous soumettre. Dans un prochain article qui s’intitulera La  stratégie US contre la Russie et l’Europe, j’approfondirai ce point capital. La politique extérieure américaine cherche malheureusement à créer en permanence des conflits.  Toujours sous le prétexte de la ”paix et de la démocratie”. Mais ce n’est pas l’intérêt de l’Amérique elle-même, c’est-à-dire du peuple américain.

    Le poutinisme,  ou le gaullisme russe

    Frédéric Pons, dans son essai consacré à Vladimir Poutine,  (Poutine,  Calmann-Lévy) montre bien que  – quelles que soient les opinions qu’on porte sur sa politique – cet homme est un vrai chef d’État, porteur d’une vision globale pour son pays et le monde et qu’il place le destin de son pays avant sa carrière personnelle. C’est un patriote, au sens étymologique, doté d’une vision et, comme De Gaulle, d’un grand pragmatisme. Il n’a rien d’un exalté ou d’un fanatique à la Robespierre, à la Lénine, à la Hitler. Il ne ressemble pas au catastrophique G.W Bush, caricature du cow-boy décervelé.  Rien à voir non plus avec les politiciens occidentaux (français en particulier) qui changent de convictions en fonction des sondages pour assurer leur carrière. Poutine, comme De Gaulle, est un homme d’État, c’est-à-dire qu’il est d’abord préoccupé par la dimension historique de sa fonction. 

    La diplomatie russe de Poutine et du ministre des Affaires étrangères Lavrov ressemble étrangement à celle du Général de Gaulle sur plusieurs points : 1) multilatéralisme et  opposition à l’hégémonie américaine ; l’Amérique n’a pas vocation à être le ”gendarme du monde” car cela n’aboutit qu’à des catastrophes ; 2) recouvrement du statut de grande puissance et de la souveraineté nationale ; 3) refus de l’ingérence américaine dans les affaires du continent européen ;  4) hostilité envers l’Otan ; 5) construction d’une espace économique euro-russe ; 6) préférence du lien continental sur le lien transatlantique ; 7) ajoutons, sur le plan, intérieur : défense de l’identité ethno-culturelle et des traditions liée à la puissance et à l’innovation techno-scientifiques.

     Entre Poutine et De Gaulle, les comparaisons sont nombreuses. La doctrine exprimée par  Poutine le 24 octobre lors de sa conférence devant le Club Valdaï est la réaffirmation de principes gaulliens des rapports internationaux et de la sécurité en Europe. Il ne s’agit nullement d’un ”nationalisme russe” comme le prétend la propagande US relayée par les médias et les politiques en Europe. Poutine accuse l’Occident sous direction US de mener des actions de provocation et de déstabilisation, de l’Ukraine au Moyen-Orient, qui menacent la paix mondiale. Ce n’est pas lui qui a violé l’accord d’Helsinki de 1975 fondant la stabilité en Europe, pour la ”détente” et la fin de la guerre froide, c’est l’Occident sous direction US. Objectivement, la diplomatie russe n’a jamais cherché l’hégémonie russe mais a toujours été défensive. En revanche, la politique étrangère américaine a toujours été offensive et belliciste.  Dire cela n’est nullement être hostile au vrai peuple américain.

    Conclusion : Eurorussie

    Nous devons chercher, nous autres membres de l’Union européenne, notre véritable souveraineté en alliance avec la Russie. Nous devons donc aussi réfléchir aux vraies menaces. La vraie menace sur l’Europe ne vient nullement de la Russie mais d’une incursion invasive migratoire sous la bannière d’un islam de plus en plus agressif et radical ; le second problème à résoudre est notre inféodation volontaire à une Amérique qui est pourtant en situation de déclin relatif. Un énorme soleil couchant qui fascine toujours mais qui est en train de s’éteindre, doucement.   

    Si la France était dirigée par un gouvernement authentiquement gaulliste, elle serait la première à vouloir régler le problème ukrainien de manière pacifique et à choisir l’alliance franco-russe, afin d’y entrainer nos partenaires européens. Sans hostilité contre les USA : qu’ils vivent leur vie. Notre seule chance, notre seule solution, c’est de réfléchir à l’hypothèse d’une alliance avec la Russie. Nous appartenons au même peuple, à la même civilisation, nous avons un destin commun.  

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 19 novembre 2014)  

     

    Note :

    (1) L’ONU  n’a strictement  aucun rôle diplomatique international sérieux. La France et la Russie, pourtant membres permanents du Conseil de Sécurité ont été incapables d’avoir une influence efficace à l’ONU, organisation manipulée par les USA ; pourtant, au Conseil de Sécurité, ce sont deux membres permanents. L’ONU devrait être refondée et avoir son siège en Suisse, à Genève, pas à New-York . 

     

     

     

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  • Le fantôme de la diplomatie française (2)...

    Vous pouvez découvrir la deuxième partie de l'excellent article de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française.

    Lire la première partie :

    Le fantôme de la diplomatie française (1)

    Poutine Elysée.jpg

    Le fantôme de la diplomatie française (2)

    En politique étrangère, le suivisme précipité "pour en être" ne suffit pas. Sur les fronts irakien et syrien ouverts contre Daesh, la France "en est" certes, mais... de quoi au juste ? D'une alliance aléatoire dont certains membres, non des moindres, jouent un jeu si trouble qu'il confine à la trahison ? La question est posée, car la défiance est au cœur même de cette coalition de circonstance et d'affichage.
    Notre crédibilité militaire et politique pâtit de ce vice de fond, face à l'ennemi comme aux yeux de nos propres populations. En bout de ligne, ce sont les Français qui risquent de subir dans leur chair l'impact de cette réduction de l'action diplomatique à des postures martiales. Car nous avons de fait laissé grandir la menace. En niant la gravité de phénomènes politiques et sociaux internes, en faisant mine de croire que l'Afghanistan était sur la voie de la démocratie, que l'Irak se stabilisait, que la démocratie avançait en Libye grâce à notre intervention, que l'Iran renoncerait au nucléaire militaire, que l'on pourrait contenir durablement l'offensive des mouvements djihadistes au Sahel, que l'Occident parviendrait rapidement à retrouver son leadership mondial. Péchant par orgueil, ethnocentrisme et ignorance, saisis de spasmes d'impuissance désordonnés, nous faisons en fait de l'anti-diplomatie.

    Se garder du moralisme

    Notre auto-enfermement dans un moralisme décorrélé du réel nous empêche de penser librement et de définir une vision ambitieuse et des lignes pragmatiques de déploiement de l'action diplomatique qui servent nos intérêts de puissance et d'influence. Il est vrai que ces trois derniers mots, "intérêts", "puissance" et "influence", sentent le soufre. La France, confite dans une grandiloquence abstraite, a peur de son ombre et devient la spectatrice automutilée des vastes mouvements géostratégiques en cours.
    Car le monde réel refuse d'épouser les contours des visions iréniques de nos diplomates. La parole ne fait pas plus advenir la réalité en politique internationale qu'en économie. De même que la danse de la pluie ne suffit pas pour faire venir la croissance, rêver éveillé que Bachar el-Assad "n'en a que pour quelques semaines" ou que la "résistance libyenne modérée" est une réalité politique confine à l'auto-aveuglement ! Il fut pourtant un temps où nous étions moins présomptueux et plus habiles, où la France se gardait bien de soutenir ou de condamner des régimes, se limitant à reconnaître des États. Il faut réapprendre les fondamentaux de l'action diplomatique. Le diplomate n'est pas un grand inquisiteur ni un censeur ; il peut et doit parler à tout le monde, surtout "aux pires" des interlocuteurs, à ceux qui ne pensent pas comme lui. C'est sa raison d'être. Il doit maintenir en toutes circonstances des canaux, officiels ou secrets, de communication et de renseignement avec toutes les parties au conflit. Son pire ennemi est le moralisme au petit pied qui ne fait qu'enkyster les oppositions et isoler ceux qui devront finir par se parler pour que certaines lignes bougent.

    Définir notre objectif

    Une fois ce bon sens diplomatique retrouvé, à nous de structurer une stratégie globale de puissance et d'influence. Lucidité, réalisme, ambition et humanité en sont les pierres angulaires. La capacité d'écoute, le goût de l'autre, la recherche d'effets de longue portée, le déploiement sans états d'âme de notre capacité de nuisance ou de bienveillance et l'édification de liens et de réseaux dans la durée sont ses tenons et mortaises. Certes, la France n'est plus une grande puissance, mais son histoire politique, militaire et culturelle lui offre l'opportunité d'un rôle unique et indispensable dans la comédie pathétique du monde et de ses jeux de puissance.
    Cette stratégie suppose la définition d'un objectif à long terme (en langage militaire, un "effet final recherché" - EFR) et d'un faisceau de manœuvres tactiques de moyen et court terme autour de "lignes d'opérations" (militaire, diplomatique, médiatique, culturelle, normative, économique, financière, scientifique, éducative, industrielle, etc.) visant à l'atteindre.
    Pour la France, l'EFR peut être ambitieux mais raisonnablement atteignable : forger et conserver un positionnement de médiateur incontournable et recherché sur l'ensemble des points majeurs de conflit et de crise, faire jeu égal avec Berlin en Europe, être en capacité de peser sur le cours des choses et de faire avancer, y compris lorsqu'ils ne se rencontrent pas, nos intérêts (économiques et militaires) et nos principes politiques. Cela suppose évidemment que l'on renonce au rôle de pédant professeur en maturité démocratique que ses élèves turbulents n'écoutent plus depuis longtemps.

    Se tourner vers la Russie

    Nous devons ensuite identifier des points d'appui majeurs pour le déploiement de cette stratégie. Tout en repensant une politique arabe évanouie, il faut structurer notre nouvelle assise stratégique globale autour d'une relation multicanal soutenue avec l'Iran et la Russie. Contrairement à la doxa ridicule qu'ânonne l'Europe, notamment depuis la crise ukrainienne, ces deux États sont à l'évidence des pivots de croissance et de stabilité déterminants pour nous Français et pour le continent tout entier.
    L'Europe a un besoin stratégique évident de la Russie pour exister vis-à-vis de la Chine et de l'Asie, vis-à-vis de l'Amérique, vis-à-vis du Moyen-Orient, bref, partout. Nous devons donc faire admettre à certains de nos partenaires européens, tels la Pologne ou les pays Baltes, que si nous comprenons évidemment leur relation historique douloureuse avec Moscou, on ne peut pour autant brader les intérêts stratégiques globaux de l'Union en niant par exemple l'appartenance de la Russie à l'ensemble géographique, culturel et religieux européen. Sauf à consentir à l'abaissement politique, économique et stratégique définitif de l'Union européenne au profit des USA, y compris au plan technologique et industriel. N'oublions pas que l'Otan est aussi une vitrine et un véhicule commercial redoutablement efficace pour l'industrie américaine de l'armement.

    Cesser de se tromper sur l'Iran

    Quant à l'Iran, déjà évoqué, cette puissance régionale est en passe de retrouver un rôle global de premier plan. Située à la charnière des mondes indien, chinois et russe, elle est évidemment un tampon essentiel pour l'Occident dans la reconfiguration agressive des équilibres stratégiques du monde, sans même parler de son potentiel économique. Nous l'avons vu, les États-Unis ne s'y trompent pas. Un esprit "complotiste" pourrait même faire remonter à l'invasion américaine de l'Irak en 2003 et au fait de favoriser massivement la mainmise chiite sur le pays l'amorce réelle du basculement stratégique de Washington vers la Perse, dans une tentative de rééquilibrage de sa relation avec l'Arabie saoudite et Israël. Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter, la question reste entière. Quoi qu'il en soit, les Américains avancent leurs pions. Le maintien des sanctions est essentiellement dû à leur volonté de lever l'embargo au bon moment, celui où sera atteint un accord stratégique sur le nucléaire monnayé au mieux de leurs intérêts. Pendant ce temps, Téhéran fait monter les enchères, Allemands et Britanniques se placent... et Paris se trompe.

    Augmenter le budget de la défense

    Évidemment, une telle approche diplomatique ne peut réussir qu'appuyée sur un outil militaire fort et son engagement à niveau suffisant pour garantir un effet de crédibilité politique indiscutable. Cela requiert évidemment un renforcement de nos effectifs comme de nos moyens, donc une augmentation du budget de la défense.
    Last but not least, cette nouvelle "intelligence du monde" requiert une action pédagogique résolue et décomplexée vers l'opinion publique nationale pour développer son adhésion à cette diplomatie refondée. Arrêtons de prendre nos concitoyens pour des imbéciles. Expliquons-leur le monde tel qu'il est au lieu de le peindre en rose et d'être sans arrêt démentis ou ridiculisés par les faits. Ils nous en sauront gré.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014)

     

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  • Le fantôme de la diplomatie française (1)...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française... ou à ce qu'il en reste ! Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre  (Nuvis, 2013).

     

    Hollande Obama.jpg

    Le fantôme de la diplomatie française (1)

    La diplomatie française est introuvable. Dans un contexte international marqué par une grande dangerosité et une forte imprévisibilité, la France est aphone. Elle produit un timide bruit de fond, mais n'invente plus les paroles ni les mélodies du monde. Les guerres dans lesquelles elle se jette imprudemment ne sont que les pointes émergées de frustrations géopolitiques ou culturelles de parties du monde qui refusent l'arasement ou l'indifférenciation. Paris veut ignorer cette réalité et préfère se rassurer dans un alignement naïf et sans contreparties sur les positions américaines... avec des années de retard toutefois. On "fait du George W. Bush" à contretemps alors que les Américains eux-mêmes semblent revenus des outrances vengeresses post 11 Septembre et renoncent à la guerre punitive. Nous faisons de la diplomatie américaine l'étalon de notre propre politique étrangère alors que nous ne sommes pas l'Amérique. Nous n'avons ni son histoire, ni sa géographie, ni sa pratique politique, ni surtout ses intérêts.

    Étonnamment plus royaliste que le roi, le Quai d'Orsay semble dominé par des crypto-néoconservateurs qui sentent la naphtaline et refusent de voir les inflexions géostratégiques considérables opérées par notre "grand allié". L'Amérique nous a pourtant volontiers laissé intervenir en Libye - et aujourd'hui agir au Sahel et en Centrafrique -, puis abandonnés en rase campagne dans nos habits de guerre face à Bachar el-Assad, oubliant la "ligne rouge" des armes chimiques syriennes qu'elle avait elle-même tracée. Humiliée par dix ans de fiascos irakien et afghan hors de prix, elle a fait ses choix. Recentrée massivement vers l'Asie-Pacifique, elle vante désormais en Europe les atouts d'un leadership from behind (qui peut être traduit par "Direction en soutien", NDLR), d'une - very - light footprint ("empreinte légère", NDLR), et recule devant les aléas de nouveaux engagements massifs au sol.

    Surtout, Washington infléchit depuis déjà quelques années sa position vis-à-vis de l'Iran et cherche à hâter un rapprochement économique et politique devenu impérieux et réclamé par les lobbys d'affaires américains. Pendant ce temps, au lieu de nous demander pourquoi la terre entière favorise en sous-main la levée des sanctions contre Téhéran et y envoie ses hommes d'affaires et de réseaux par avions entiers "en avance de phase", nous invoquons la menace d'un Iran nucléaire et faisons pression pour que nos patrons restent l'arme au pied et arrivent bons derniers dans ce nouvel eldorado ! Nous continuons à mépriser ce grand État moderne, faisant mine de croire qu'il veut la bombe non pour sanctuariser son territoire, édifié par le sort du malheureux Irak, mais pour s'en servir contre Israël ou l'Occident !

    Coopération militaro-énergétique

    Pire, dans le conflit qui oppose sunnites et chiites, où nous devrions nous garder de prendre parti, ignorant le vaste mouvement à l'oeuvre en Irak, en Syrie et en Iran, de prise d'ascendant du chiisme, on prend fait et cause pour les sunnites (Saoudiens, Qataris, Syriens ou Libyens) ! On feint de les croire "modérés", alors que l'on sait pertinemment que l'Arabie saoudite a financé larga manu, dès les années 80, la déstabilisation de l'Afghanistan, des Balkans ou de la Tchétchénie par ses escouades de moudjahidine. Notre complaisance pour ces régimes au nom de la coopération militaro-énergétique ou en soutien de notre alliance stratégique avec Israël nous fourvoie. Elle nous éloigne d'une appréhension fine des conflits entre courants de l'islam et des alliances occultes objectives entre certains États. Nous n'osons même pas nommer notre véritable adversaire, le wahhabisme combattant qui diffuse un salafisme dévoyé, et préférons donner des leçons de démocratie à la Russie au lieu de rechercher son appui dans la lutte contre l'islamisme.

    Paris n'a donc pas vu le temps passer ni le monde changer. Notre diplomatie brouillonne et inconséquente semble vouloir oublier son seul geste audacieux, qui avait fait se lever dans le monde arabe un vent d'espoir et de confiance envers la France : le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité des Nations unies en février 2003. Mais nous n'avons pas su "transformer l'essai". À l'inverse, on fait dans l'allégeance béate aux Américains. Nous partons la fleur au fusil et en première ligne dans la coalition de bric et de broc réunie autour de Washington pour combattre la nouvelle incarnation du Mal : l'État islamique, alors même que notre "grand allié" nous prive de l'avantage de la surprise en prévenant l'adversaire de ses intentions. Le président américain avoue n'avoir "pas de stratégie claire" dans la région, puis confirme qu'il n'enverra pas de troupes au sol dans un tonitruant "No boots on the ground" ("pas de bottes sur le terrain", NDLR) !

    Cette déclaration d'impuissance ahurissante reflète la désorientation profonde des politiques occidentaux qui, non seulement se trompent d'ennemi, mais aussi de cibles ! Persuadés que leurs électeurs ne leur pardonneront pas des pertes humaines, nos politiques veulent les convaincre qu'ils seront défendus sans dommages et jouent avec l'idée de "faire la guerre" depuis les airs ou en misant sur les seules forces spéciales. À moins qu'ils n'aient conscience d'avoir déjà perdu la partie. Ce qui est faux. Nous pouvons l'emporter. Il faut juste rebattre les cartes et jouer nos vrais atouts.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014) 

     

    Lire la deuxième partie de l'article :

    Le fantôme de la diplomatie française (2)

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