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europe - Page 107

  • A la recherche d'un ennemi...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son blog, Rochedy.fr, et consacré à la question de l'ennemi. Responsable du Front national de la jeunesse, Julien Rochedy est l'auteur de deux essais, Le marteau - Déclaration de guerre à la décadence moderne (Praelego, 2010) et L'union européenne contre l'Europe (Perspectives libres, 2014).

     

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    A la recherche d'un ennemi

    L'Europe contemporaine est-elle devenue lévinassienne ? C'est la question que pose Alain Finkielkraut dans son livre d'entretien avec le philosophe allemand Peter Sloterdijk. On pourrait aussi ajouter : est-elle devenue enfin chrétienne ? Car cette question dépend de notre inédit rapport à l'Autre, figure certes essentielle de l’œuvre d'Emmanuel Lévinas, mais qui vient de loin dans la réflexion de l'humanité. Si notre rapport à l'Autre est la mesure de notre humanisme et de notre moralité, alors en effet l'Europe est désormais lévinassienne, chrétienne, ou peut-être même, pour vulgariser le tout : de gauche. L'aménité spontanée vis à vis de l'Autre serait une idée neuve en Europe, au point que, passé les affres du XXeme siècle, elle en serait devenue l’étendard essentiel, son véritable emblème axiologique. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur les idées reçues les plus rependues depuis trente ans chez le commun des européens, qu'il soit riche ou pauvre d'ailleurs : les drames et la « barbarie » de l'Histoire européenne trouveraient ses causes dans l'oubli et le mépris de l'Autre, tandis que l'ouverture toute moderne à l'Autre et l'obligatoire tolérance à son égard, seraient naturellement les germes d'une nouvelle société débarrassée des monstruosités du passé. On pourrait simplifier les choses en affirmant que c'est avec un tel truisme que notre échelle des valeurs s'est articulée depuis les années 70 et que sont nés concrètement le sans-frontiérisme et le libéralisme qui règnent en Union Européenne, son goût absolu de l'universel et du cosmopolitisme, ainsi que son désir immodéré d'immigration et de multiculturalisme. Ce truisme, de nature dogmatique, fut porté par la génération de l'après 1945, soit exactement le moment historique où se renversèrent peu à peu toutes les valeurs de l'Europe anté-seconde guerre mondiale, celles qui, précisément, malmenèrent longtemps la figure de l'Autre, et qui, avec le fascisme, décrétèrent même dans une poussée d'effroi que l'Autre était par nature un ennemi.

    Aujourd'hui c'est entendu : l'Autre est par nature un ami, et s'il ne l'est pas en pratique, c'est encore parce que nous ne l'avons pas accueilli comme un ami. Dans cette disposition d'esprit, l'âme européenne refuse désormais catégoriquement le principe même d'ennemi. L'Autre étant bénéfique par nature, il ne peut plus être un ennemi. Encore une fois, si ce dernier devait, lui, ne pas se montrer spontanément bienveillant à notre égard, les causes seraient à chercher en nous-mêmes, non chez lui, puisqu'il est ontologiquement, en tant qu'Autre, bon par nature. Aussi entendons-nous, par exemples, que s'il existe des terroristes ou des délinquants, c'est sans doute à cause de la pauvreté ou de la frustration, lesquels sont nécessairement imputables à nous-autres.

    Car le problème avec la pensée de l'Autrolâtre, c'est qu'à considérer que nous n'ayons pas d'ennemi à chercher chez l'Autre, le nouvel et seul ennemi qui peut subsister est par conséquent nous-mêmes. De la sorte, l'unique ennemi de l'Europe est devenu elle-même. Elle veut désormais se battre contre les forces qui pourraient s'opposer à l'autrolâtrie. Croyant encore que « le ventre de la bête est encore fécond », elle cherche à abattre les dernières forces qui pourraient s'opposer à sa nouvelle axiologie : patriotes, identitaires, traditionalistes, conservateurs, etc – autant d'êtres broyés tous ensemble dans la géhenne de « l 'extrême-droite » contre laquelle il faudrait sans cesse se prémunir. Pour ne plus jamais ressembler à un passé fantasmé comme cauchemardesque, l'Europe ne doit surtout plus discriminer, rejeter, interdire, distinguer, sélectionner et trancher ; l'ouverture à l'Autre est sa nouvelle raison d'être, et elle n'a par conséquent plus d'ennemi sinon ce qu'elle était et peut encore être.

    Cette Europe autrolâtre est singulière dans le monde, car les autres puissances n'hésitent pas à se déterminer des ennemis et à être capable de serrer les rangs pour détruire ceux-ci. C'est bien d'ailleurs la cause de l'incompréhension entre Européens et Américains, ces derniers fonctionnant encore, en tant que puissance, sur le mode schmittien de l'ennemi. L'Europe révèle par le truchement de cette lubie son incapacité contemporaine à être quelque chose, car sans aller à dire comme le Zarathoustra nietzschéen que « l'amour des autres n'est que le mauvais amour de soi-même », il est évident que l'ouverture à l'Autre en tant que « différent » est une carence du soi, et que la volonté de n'avoir pas d'ennemi est une preuve du non-amour de soi, car haïr quelque chose suppose en aimer une autre, l'absence totale de rejet de l'Autre étant par conséquent une absence totale d'amour de soi.

    En vérité cependant, il y a déjà comme du retard quand on évoque l'autrolâtrie des européens. Si celle-ci existe encore et règne toujours dans de nombreux esprits, elle décline toutefois, déclinant d'ailleurs logiquement avec la disparition progressive de la génération qui l'a portée. Les européens contemporains recommencent à se chercher des ennemis autres qu'eux mêmes, car les fables sur l'Autre naturellement bon se sont évanouies dans la clarté de la réalité. L'européen moderne qui commence à désapprendre la douceur de vivre à cause du chômage, de la précarité et de l'insécurité qui reviennent à sa porte, redevient humain et veut à nouveau un Autre à regarder de travers. C'est ce qui explique également le déclin de la gauche morale en de nombreux pays et la remontée de ce que la première appelle un peu bêtement « l'extrême-droite ». Toutefois, il se trouve que l'Europe vient de dégoter par là une autre façon d'être l'ennemie d'elle-même, car même si la volonté d'ennemis resurgit, celle-ci est bien incapable d'en déterminer un en particulier. Les forces politiques et sociales qui s'opposent actuellement en Europe, y compris dans le camp de la soi-disant « extrême-droite » ont chacune un ennemi à elles qu'elles cherchent à faire avaler à l'autre. Les uns jugent que l'Autre en tant qu'ennemi est le mondialiste, l'américain ou le sioniste, les autres l'Islam et les musulmans, d'autres encore l'immigré, quelle que soit sa religion, certains le Russe ou le chinois, etc. En fin de compte, nous assistons à un village gaulois dont la place du marché politique est couverte du sang de ses habitants qui s'écharpent tous les dimanche à propos de l'ennemi véritable. Pendant que les autres puissances et grands réseaux de ce monde avancent à l'aide d'ennemis qu'ils ont, eux, bien identifiés, l'anarchie de l'ennemi triomphe en Europe. Neutralisée par une partie de ses habitants qui baignent encore dans l'irénisme de l'absence d'ennemi, et par l'autre partie qui, elle, en cherche désespérément mais confusément, l'Europe et ses nations semblent être, pour bien des années encore, vouées à l'incapacité d'une projection de puissance dans le monde.

    L'indéfinition pathologique d'un ennemi : voilà donc encore un symptôme de notre sortie dramatique de l'Histoire.

    Julien Rochedy (Rochedy.fr, 14 septembre 2014)

     

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  • Dominique Venner - Une pensée, une œuvre, un destin... (9)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous le deuxième volet d'un long entretien avec Dominique Venner, réalisé par Philippe Conrad, Philippe Milliau et Jean-Yves Le Gallou entre le 27 et le 28 février 2013.

    Dans cette partie, Dominique Venner évoque avec Jean-Yves Le Gallou le danger mortel de l'immigration de peuplement, le caractère criminel des "élites" dirigeantes actuelles, le repoussoir de l'Union européenne, la nécessité d'une autre Europe, l'absence d'une religion identitaire européenne et l'éventuelle européanisation du christianisme, le réveil de la mémoire identitaire au travers de l'art, l'exemple du tableau de Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable... Il évoque également  le sacrifice comme instrument pour éveiller les consciences et authentifier les paroles...

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  • Ukraine : le dessous des cartes...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le journaliste Jean-Michel Quatrepoint au Figaro et consacré aux dessous de la crise ukrainienne. Jean-Michel Quatrepoint a récemment publié un essai intitulé Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014).

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    Le président américain Barack Obama et le président ukrainien Petro Porochenko

     

    Ukraine, Poutine, Obama, Merkel : le dessous des cartes

    FigaroVox: Dans votre livre, Le choc des Empires, vous décriviez l'affrontement entre les Etats-Unis, le Chine et l'Allemagne. La situation en Ukraine ne rappelle-t-elle pas davantage la guerre froide?

    Jean-Michel QUATREPOINT: En réalité, on assiste à un choc entre deux blocs: d'un côté, l'Amérique qui veut enrôler l'Europe sous sa bannière, et de l'autre, la Chine et la Russie qui de facto se rapprochent ne serait-ce que parce que les Américains mènent à leur encontre une politique de «containment» depuis 2010. Les Américains veulent imposer leur modèle économique et idéologique: le libre-échange et les droits de l'Homme. Le parti au pouvoir en Chine et les Russes ne veulent pas de ce modèle. Dans ce contexte l'Europe, notamment l'Allemagne, est prise en sandwich. Angela Merkel doit choisir et penche plutôt pour le moment pour les Etats-Unis. Cela signifie qu'à terme, tout le développement qu'elle pouvait espérer grâce à la Russie, va devoir être passé par pertes et profits. De la même façon, tous les projets d'investissement sur les transports , notamment la nouvelle route de la soie ferroviaire entre la Chine et l'Europe via la Russie, risquent d'être remis en cause. Si l'escalade des sanctions se poursuit, les Russes pourraient interdire le survol de la Sibérie pour toutes les compagnies aériennes avec pour conséquence une augmentation des coûts exponentielle et in fine l'affaiblissement économique puis politique de l'Europe. La légère récession qu'a connue l'Allemagne au troisième trimestre est un premier signal alors même que les effets du boycott russe ne se sont pas encore fait sentir.

     

     

    En quoi les enjeux politiques et économiques s'entremêlent-t-ils?

    Aujourd'hui, l'investissement en Allemagne chute pour trois raison. D'abord à cause du coût de l'énergie. L'abandon du nucléaire coûte une fortune au pays et le rend dépendant du gaz russe. Deuxièmement, le coût de la main d'œuvre n'est plus aussi bas qu'il ne l'était, notamment avec la mise en place du smic et troisièmement l'Euro est surévalué par rapport au dollar. En conséquence, les industriels quittent l'Europe et préfèrent investir aux Etats-Unis qui redémarrent économiquement grâce à leur énergie à bas coût (gaz et pétrole de schiste) et sa main d'œuvre meilleur marché. L'Europe en stagnation est dans la situation du Japon dans les années 90-2000. Sa balance commerciale reste excédentaire grâce à l'Allemagne, mais elle vieillit et ne se développe plus. Cela signifie que nous allons perdre notre pouvoir sur la scène internationale.

    Dans ce contexte, les sanctions contre la Russie constitue-t-elle une erreur stratégique?

    Oui, ces sanctions sont contre-productives. Malheureusement, la plupart des pays européens à commencer par les pays de l'Est, préfèrent les Etats-Unis à la Russie. La Pologne, les pays Baltes et la République Tchèque sont viscéralement antirusses et joueront toujours le jeu des Américains car le souvenir de l'occupation par les troupes soviétiques y est encore prégnant. L'Allemagne, elle, est écartelée et tout l'objectif des Américains est de la détacher de la Russie. L'axe entre Paris-Berlin et Moscou pour s'opposer à la guerre en Irak en 2003 est resté dans la mémoire du département d'Etat américain. Les dirigeants américains ont donc décidé de punir la Russie et de ramener l'Allemagne dans leur giron. C'est tout le but du traité transatlantique qui est en fait une grande alliance germano-américaine.

    La France, qui a une tradition de non-alignée, peut-elle jouer un rôle?

    La SFIO n'a malheureusement jamais eu une tradition de non-alignée. La comparaison entre François Hollande et Guy Mollet est cruelle, mais pas dénuée de fondement. Il y a une vocation européano-atlantiste qui est dans les gènes du Parti socialiste. On peut d'ailleurs également déplorer l'abandon de la politique arabe de la France: non que les Israéliens aient toujours tort, mais on ne peut pas les laisser faire n'importe quoi.

    Iriez-vous jusqu'à parler de tournant néo-conservateur de la politique étrangère française?

     

    Oui, ce tournant a d'abord été pris par Alain Juppé lorsqu'il était au quai d'Orsay. Les diplomates français mènent désormais une politique de court terme. Lors des Printemps arabe, jouant aux apprentis sorciers, la France a réagi sur l'instant en se félicitant de la chute des dictateurs, mais sans en mesurer les conséquences, notamment l'arrivée au pouvoir des islamistes qui ont totalement déstabilisé la région. On a également oublié que les régimes autocrates, qui étaient en place, protégeaient les minorités chrétiennes. Pour un chrétien, il valait mieux vivre sous Saddam Hussein qu'aujourd'hui sous le régime chiite. De la première guerre d'Irak de 1991 jusqu'à la guerre en Libye de 2011, les pays occidentaux ont semé le chaos. Certes les dirigeants en place au Moyen-Orient n'étaient pas recommandables, mais au moins ces pays n'étaient pas des champs de ruines. On ne déclenche plus de guerre mondiale, mais on déclenche des guerres civiles avec des centaines de milliers de morts.

    Jean-Michel Quatrepoint (Figarovox, 23 août 2014)

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  • Nous les descendants d'Athéna...

    Les éditions Apopsix viennent de publier en deux tomes, Nous les descendants d'Athena, un essai d'Ivan Blot. Président de l'association "Démocratie directe", Ivan Blot a récemment publié L'oligarchie au pouvoir (Economica, 2011), La démocratie directe (Economica, 2012) et Les faux prophètes (Apopsix, 2013).

     

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    " Nous sommes tous des héritiers d'Athéna, la déesse de la sagesse grecque. Les Grecs nous ont donné la science, la médecine, la philosophie, la politique, les jeux olympiques, l'art classique et jusqu'à l'alphabet complet, avec les voyelles et consonnes. Le Christianisme lui-même s'est enraciné dans l'hellénisme et Saint Augustin a puisé dans Platon, comme Saint Thomas d'Aquin dans Aristote. Le Grec est une des deux langues de la révélation divine, selon, l'autorité vaticane et l'on peut parler d'helléno-christianisme plutôt que de judéo-christianisme, pour désigner la Civilisation issue de la rencontre de l'héritage grec et du message chrétien. Leurs valeurs qu'ils ont incarnés, liberté, patriotisme, esprit de compétition, humanisme, juste mesure, sont encore les nôtres. Mais pour combien de temps ?

    Nous sommes tous les héritiers d'Athéna mais nous sommes sur le point d'être déshérités. Les valeurs de l'humanisme classique issu des Grecs sont en voie d'effacement, avec le concours des médias et de l'appareil éducatif. L'objet de ce livre est de nous réapproprier notre héritage grec sans lequel notre Civilisation ne peut que se dissoudre. Autour des « Descendants d'Athéna », c'est l'avenir de la France, de l'Occident et même de l'humanité toute entière qui est en jeu !

    « Nous les descendants d'Athéna » est aujourd'hui un ouvrage de synthèse indispensable à qui veut connaître les origines grecques de notre civilisation et les conditions pour que celle-ci résiste à la menace de déshumanisation barbare qui pèse sur le monde aujourd'hui."

     

     

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  • Dominique Venner - Une pensée, une œuvre, un destin... (3)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous le deuxième volet d'un long entretien avec Dominique Venner, réalisé par Philippe Conrad, Philippe Milliau et Jean-Yves Le Gallou entre le 27 et le 28 février 2013.

    Dans cette partie, Dominique Venner évoque avec Philippe Milliau l'esprit qui animait les créateurs d'Europe-action...

     

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  • Défense et illustration du patriotisme économique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Carayon et de Quentin Jagorel, publié dans le quotidien Le Monde et consacré au patriotisme économique. Député, Bernard Carayon est un des promoteurs de l'intelligence économique et est également l'auteur d'un essai intitulé Patriotisme économique (Rocher, 2006).

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    Défense et illustration du patriotisme économique

    Le patriotisme économique, formulé pour la première fois en 2003 et rendu célèbre par le premier ministre Dominique de Villepin dès juillet 2005, alors que des rumeurs infondées d’offre publique d’achat (OPA) planaient sur Danone, est destiné à protéger et promouvoir les industries stratégiques de la France, autour desquelles se forge le destin d’une nation.

    Cette notion a été fortement critiquée au moyen d’arguments souvent invalides, parfois de mauvaise foi. Si un élu de droite et un étudiant membre d’un think tank de gauche prennent ici ensemble la plume, c’est d’abord pour souligner que le sujet dépasse largement les conflits de générations et de partis.

    Nous sommes convaincus que le patriotisme économique est légitime et utile, et que les dirigeants de nos formations politiques seraient bien inspirés de renoncer aux caricatures et aux naïvetés. Réhabilitons cette belle idée. Le patriotisme économique vaut bien le patriotisme sportif, non?

    De manière ordinaire, le patriotisme économique est considéré comme une version déguisée du protectionnisme, un «cache-sexe», selon le quotidien britannique très libéral The Economist. Il sanctuariserait l’économie nationale, entraverait la concurrence, serait une version new look du colbertisme.

    Pourtant, le patriotisme économique, c’est avant tout la défense de nos intérêts nationaux ou européens dans le respect de la réciprocité. « Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres », écrivait Romain Gary. Oui, le patriotisme économique n’est pas un protectionnisme mais une réponse lucide à toutes les formes de dopage que l’on observe sur les marchés internationaux. Et s’il y a une «exception française », c’est bien dans cette dévaluation de nos intérêts et cette sous-évaluation des turpitudes de la mondialisation.

    Avec leur Buy American Act (1933) et leur Small Business Act (1953) notamment, les Etats-Unis, parangon du libéralisme, montrent la voie! Le Comité sur l’investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS) soumet tous les projets de rachat étranger d’entreprises américaines au respect de la notion de sécurité nationale, qui ne répond à aucune définition juridique. Les décisions du CFIUS ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. Nos libéraux protestent- ils? Jamais. Partout, le mariage de l’intérêt national et de l’économie de marché s’exprime sous bien d’autres formes, à l’instar des caractéristiques extraterritoriales du droit américain, dont BNP Paribas mesure aujourd’hui l’efficacité! En somme, le patriotisme économique est le moyen de lutter à armes égales dans une mondialisation qui n’est pas celle des Bisounours.         L’Etat ne serait pas légitime à intervenir sur le marché aux côtés des entreprises. Les faits ruinent cette assertion: partout dans le monde, les industries de la défense, de l’aéronautique et du spatial, des technologies de l’information se protègent ou prospèrent grâce aux gouvernements. Et ce n’est pas l’échec, ancien, du Plan calcul en France qui doit contredire cette nécessité pour l’Etat de se comporter en stratège, en anticipateur, en fédérateur, comme l’ont incarné jadis les politiques de Charles de Gaulle et Georges Pompidou.

    Loin de nous l’idée que les chefs d’entreprise, attirés par la perspective du seul profit, déserteraient l’intérêt de leur pays. Mais il faut reconnaître que l’action de l’Etat n’est pas toujours à la hauteur des difficultés qu’ils rencontrent.

    Il est un argument plus ridicule que les autres: notre patriotisme économique  exposerait notre pays à des mesures de  rétorsion. Avons-nous été si patriotes  dans le passé pour mériter d’être espionnés  aussi méthodiquement et massivement, comme l’a révélé Edward  Snowden?

    Les forts ne respectent que les forts,  c’est une loi de l’Histoire, traduisant les  rapports entre puissances. Le patriotisme  des Etats-Unis n’a jamais constitué un obstacle  à leur productivité, aux investissements  étrangers et au dynamisme de leur  industrie high-tech. Ils ont su, par exemple,  empêcher en 2006 l’entreprise DP  World (basée aux Emirats arabes unis) de  racheter la société P&O, opératrice des  principaux ports américains, sans craindre la  moindre rétorsion des Etats évincés.

    Libéraux et euro-béats nous expliquent  aussi que le patriotisme économique  sacrifierait l’intérêt du consommateur: mais qui peut dissocier le consommateur  du salarié et du citoyen? Quel est  le bilan social et industriel du rachat par le canadien Alcan de notre industrie de l’aluminium  ou d’Usinor par Mittal? De surcroît,  en période de crise, les premiers salariés  sacrifiés sur l’autel de la restructuration  sont ceux des entreprises dont l’actionnariat  est étranger…

    Le vrai problème est aujourd’hui européen.  La doctrine de la Commission européenne  est stérile, en interdisant à nos  entreprises toute concentration et toute  aide publique. Et c’est précisément quand  l’Etat s’assoit sur les traités européens,  interprétés de manière théologique par la  Commission, que l’on peut, comme il y a  dix ans, sauver Alstom ou, en pleine crise  financière, imposer un plan massif de  consolidation des banques.

    Le patriotisme des Etats-Unis n’a jamais constitué un obstacle à leur productivité, aux investissements étrangers et au dynamisme de leur Industrie high-tech

    Les libéraux contestent jusqu’à l’idée  même d’une nationalité des entreprises: mais, dans le différend historique franco-américain  sur l’Irak, les Américains  n’avaient-ils pas engagé un boycott du  groupe Sodexo, fortement implanté aux  Etats-Unis mais pourtant bien identifié  comme français? L’Europe constitue le  seul territoire de développement économique  au monde qui soit aussi ouvert et  offert aux intérêts des autres. C’est le seul  continent où les restrictions à la liberté de  circulation des capitaux concernant la  défense et la sécurité sont aussi limitées.

    Que dire, de surcroît, de la passivité des  autorités communautaires face à l’anglo-saxonisation  du droit et des normes qui  pèsent en particulier sur la compétitivité  de nos banques et de nos assurances? Que  dire d’une politique monétaire de la Banque  centrale européenne qui n’a de politique que le nom?  Les Etats-Unis et la Chine,  dont les monnaies sont faibles, ne sont-ils  pas pour autant des puissances ? L’Europe,  jusqu’à présent, s’est gargarisée de compétitivité  alors qu’elle a pour vocation de  devenir une puissance. Mais il est vrai,  comme le soulignait Paul Valéry, qu’elle  «aspire visiblement à être gouvernée par  une commission américaine »!

    Si l’Europe et la France ne veulent pas  disparaître de l’Histoire, il est urgent qu’elles trouvent enfin,  dans la guerre économique,  la force de se battre à armes égales.

    Bernard Carayon et Quentin Jagorel (Le Monde, 3 juillet 2014)

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