Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

etats-unis - Page 78

  • La bataille pour l'Eurasie va-t-elle s'accélérer ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexandre Latsa, cueilli sur le site de l'agence de presse Ria Novosti et consacré à la lutte souterraine mais bien réelle que les Etats-Unis et la Russie se livrent en Eurasie.

     

    Spykman Map.jpg

     La bataille pour l'Eurasie va-t-elle s'accélérer ?


    "Les Etats-Unis s’opposeront à des processus d'intégration dans l'espace postsoviétique". Hillary Clinton - 2012

    Les récentes déclarations de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton sur l'intention de Washington de s'opposer aux processus d'intégration dans l'espace postsoviétique lors d’une conférence tenue à Dublin le 6 décembre 2012 ont au moins un mérite, celui de démontrer que l’Union Douanière, et donc la future Union Eurasiatique sont considérés par l’administration américaine comme le mal absolu. Hillary Clinton n’a pas pris de gants, pour elle, l’union eurasiatique n’est ni plus ni moins que la réincarnation de l’Union Soviétique, et traduit donc la volonté de la Russie de vouloir reprendre le contrôle du cœur de l’Eurasie, que Russie et Occident, via l’Angleterre puis l’Amérique, se disputent depuis prés de 150 ans.

    Un retour en arrière s’impose pour comprendre ce que signifie la bataille pour le contrôle de l’Eurasie, qui est tout sauf un fantasme ou une légende. Il s’agit au contraire d’une réalité géopolitique qui constitue un volet important de la politique étrangère américaine et occidentale depuis la chute du mur de Berlin.
     
    Durant la guerre froide, la puissance américaine ne luttait pas seulement pour la victoire contre son adversaire Soviétique, elle luttait aussi pour le contrôle du monde. Ce faisant, les stratèges américains restaient fidèles à la ligne tracée par les maitres de la géopolitique anglo-saxonne, particulièrement Halford Mackinder et Nicholas Spykman. Pour ces derniers, la maitrise du monde ne pouvait passer que par le contrôle de la zone ou devait se concentrer dans l’avenir tant le gros des habitants, que le gros des ressources énergétiques de la planète: l’Eurasie, encore appelée l'Ile Monde ou Heartland.
     
    " Qui contrôle le Heartland, contrôle le monde ".  Halford John Mackinder – 1919
     
    En ce sens, la mise sous tutelle après 1945 de l’Europe de l’ouest par l’Otan n’a été rien de plus qu’une mise en application des principes de Nicholas Spykman qui jugeait lui essentiel de maitriser l’anneau périphérique (Rimland) de cette Ile monde, de ce Heartland continental. L’Europe de l’ouest représente la partie occidentale sous contrôle de cet anneau. Comme on peut le voir ici, la zone qui s’étend du pourtour de la caspienne jusqu'à l’Asie centrale constitue sa partie orientale et c’est précisément cette zone qui est visée par les propos d’Hillary Clinton.
     
    " Qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie. Qui dirige l’Eurasie contrôle la destinée du monde". Nicholas J. Spykman - 1942
     
    Les tentatives avortées du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) puis la tentative de prise de contrôle de ces mêmes états (membres de cet anneau périphérique) par les révolutions de couleurs planifiées aux USA doivent être comprises et vues dans ce sens: comme une étape nouvelle du containment russe, préalable essentiel au bouclage du Rimland. D’ailleurs, dans sa déclaration Hillary Clinton a insisté sur la déception profonde que représentait l’Ukraine pour le département d’état Américain, tout un symbole lorsqu’on sait l’énergie et les moyens mis en œuvre par l’administration américaine pour faire de l’Ukraine un pion essentiel de l’Otan. Un projet ancien qui prévoyait la constitution d’un axe Allemagne-Pologne-Ukraine dont Zbigniew Brezinski rêvait déjà en 1997 et qui selon lui devait servir à repousser l’influence russe le plus à l’est possible, et renforcer l’Otan au cœur de l’Europe de l’est.

    "Il est impératif qu'aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l'Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l'Amérique". Zbigniew Brezinski - 1997
     
    Bien sur les déclarations d’Hillary Clinton ont provoqué les regrets de Leonid Sloutski, chef de la commission de la Douma pour les Affaires de la CEI. Celui-ci constatait que le potentiel croissant de regroupement géopolitique en Eurasie pourrait faire de cette région l'un des acteurs majeurs du monde. Une situation bien différente de celle qu’impliquait le monde unipolaire de 1991, qui ne laissait aucune place à la Russie.

    Beaucoup de pays occidentaux appréciaient Eltsine surtout parce qu'il était le symbole d’une Russie faible, et le symbole de leur victoire sur l’URSS. 20 ans plus tard, alors que le centre de  gravité du monde se déplace vers l’Asie et la Chine, l’Occident américano-centré traverse une crise économique qui l’a considérablement affaibli sur la scène internationale. Pendant ce temps, à mi chemin entre l’Occident et l’Asie, la Russie s’est redressée pour redevenir aujourd’hui la puissance principale d’Eurasie.
     
    Le monde multipolaire qui prend forme devrait vraisemblablement prendre l'aspect d'un monde d’alliances. Les grands états de ce monde sont tous dans des logiques de regroupements économiques, politiques et militaires, que ce soit au cœur de l’Europe, par dessus l’Atlantique, en Amérique du sud  ou encore en Asie. Ces alliances pourraient rapidement voir l’émergence de blocs souverains tant sur le plan militaire, qu’économique ou politique, et la fragmentation du monde en zones d’influences souveraines.
     
    Pourquoi les nations d’Eurasie n’auraient elle dès lors pas le droit de procéder à une intégration régionale approfondie?  Les menaces américaines contre une alliance volontaire de pays souverains semblent éloigner considérablement les possibilités d’un réel reset russo-américain. Le désaccord sur l’Affaire Syrienne, pays que l’Union Douanière envisageait du reste d’intégrer à une zone de libre échange il y a encore quelques mois, accentue encore le malaise.

    Voila donc des propos belliqueux en provenance d'Amérique et prononcés à Dublin, alors même que le chef de l’état russe a pourtant récemment rappelé que la Russie devait trouver sa place géopolitique dans le monde de façon pacifique et que l’intégration eurasiatique devait elle se faire dans le respect de la souveraineté des états. Un principe de souveraineté nationale bien mis à mal durant l’époque unipolaire mais qui constitue tant le point névralgique du développement des BRICs (lire cette analyse a ce sujet) que le cœur de la politique internationale russe, notamment en Syrie.

    Souveraineté VS interventionnisme, Unilatéralisme VS Multilatéralisme. Ces deux conceptions du monde diamétralement opposées vont-elles relancer la bataille pour l’Eurasie?

    Alexandre Latsa (Ria Novosti, 12 décembre 2012)
    Lien permanent Catégories : Décryptage, Géopolitique 0 commentaire Pin it!
  • Poutine et la place de la Russie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à l'importance du rôle que la Russie de Poutine joue comme môle de résistance face à la puissance américaine...

     

    Poutine 20121220.jpeg

    Poutine et la place de la Russie

    La fin du monde n’a pas eu lieu.

    Quoiqu’il ne faille pas exclure, qu’à terme, ne se produise la fin d’un monde, celui, américano-centré, unilatéral et formidablement dangereux pour la paix, que l’on voudrait, ici, en Occident, voir s’installer durablement.

    Pourquoi pas pour mille ans !

    La récente conférence de presse de Vladimir Poutine, s’adressant durant quatre heures trente à plus de mille journalistes de toutes nations, le jeudi 20 décembre, a rappelé cette vérité qui dérange : la Russie est toujours là. Mieux : elle incarne, par sa volonté de ne pas se plier à l’hégémonie étatsunienne, la perspective d’un monde multipolaire, pluri-civilisationnel, pour l’avènement duquel d’autres nations luttent, celles notamment représentées par le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, République Sud-africaine), mais aussi l’ALBA, en Amérique latine, ce qui démontre, à l’encontre de ce que la presse mainstreams prétend, que les Russes sont loin d’être « isolés ».

    C’est une rengaine qui révèle, chez les journalistes liés à l’Otan, une réelle absence d’imagination. Il est vrai qu’en général, l’activité propagandiste ne demande comme aptitude que celle qui consiste à se répéter pour faire pénétrer dans le cerveau assoupi des masses des « vérités » infaillibles. Encore que l’imagination soit un ingrédient indispensable pour donner du sel aux scénarios susceptibles de remplacer la réalité. Il est vrai que le matraquage manichéen a réussi avec l’Irak, la Serbie, la Libye, et que la légende d’une démocratie militante et internationaliste éradiquant le Mal dictatorial de la planète a plutôt bien marché ; ce qui révèle, pour ceux qui croient encore aux lendemains qui chantent, combien les peuples occidentaux ont vendu leur liberté pour un plat de lentilles, qui s'avèrent, par ces temps de crise, plutôt passablement avariés. Et pour le coup, ils ont abandonné aussi leur droit d’aînesse.

    Une chansonnette qui a les faveurs des salles de rédaction, en ce moment, est que la Russie serait sur le point d’abandonner « le régime de Bachar al Assad » (dixit). On s’appuie, pour étayer ce qui ressemble furieusement à des lubies arrosées d’après dîner (du Siècle ou du crif, comme vous voulez), sur de soi-disant déclarations, d’un sous-ministre ou d’un ambassadeur russes, voire de Poutine lui-même.

    En vérité, la position russe n’a jamais changé : la Russie n’appuie pas un homme, mais un Etat légitime, la nature du régime et la composition du gouvernement syrien doivent résulter du choix du peuple syrien lui-même, une conférence de conciliation doit avoir lieu, et les forces étrangères n’ont pas à intervenir dans le conflit. Rien de nouveau sous le soleil, donc !

    Contre toute évidence, nos braves Tintins de comptoirs (désirant sans doute redonner de l'espoir à des « rebelles » singulièrement étrillés) entonnent le refrain bien appris de l’armée syrienne qui perd du terrain, du régime qui s’effrite, avant de s’effondrer, de l’isolement de ses partisans, de son encerclement etc. Que les « rebelles », dont la majorité sont des membres d’Al-Qaeda, des salafistes takfriristes, des frères musulmans, des Talibans, des Tchétchènes, des Turcs, Irakiens, Libyens, Tunisiens, Marocains, des Yéménites djihadistes, qui n’ont rien à voir avec les Syriens de souche, et qui sont payés par le Qatar, soutenus pas les USA, Israël, l’Angleterre et la France, pays qui prétendent, par ailleurs, combattre le fléau islamiste, soient exterminés par la valeureuse armée républicaine syrienne, cela semble leur échapper. Ils en restent à une explication fort simple, digne d’une cour de récréation de collège : Bachar étant un méchant, les Russes, ayant une propension à la méchanceté, comme chacun sait, sont naturellement portés à lui porter leur aide. Mais, surtout, la Russie s’accrocherait à la base de Tartous, afin de maintenir sa présence en Méditerranée orientale, mais serait bien obligée de tenir compte du rapport de force défavorable. 

    Autrement dit, la presse raisonne comme si elle jouait aux dames avec un damier singulièrement étriqué, alors qu'il s’agit d’un jeu d’échecs à l’échelle asiatique, voire mondiale. Quand le sage montre la lune, dit un proverbe chinois, l’idiot regarde le doigt.

    Au lieu de prendre des vessies pour des lanternes, la presse collaboratrice devrait plutôt abandonner ses vains espoirs. D’abord parce que le « régime » syrien tient, tout simplement pour des raisons faciles à comprendre : si les fanatiques islamistes l’emportent, ce sera un génocide, les minorités ethniques et confessionnelles seront exterminées, les femmes retourneront en esclavage, et une chape de plomb s’abattra sur un pays encore indépendant et libre. D’autre part, la Russie possède largement de quoi tenir tête aux puissances militaires locales et internationales, qui se mêlent de semer la zizanie dans cette région. Non, l’ours n’est pas affaibli !

    Surtout, il est évident que si la Russie laisse le terrain à l’Occident, c’en est fini de ses rêves d’indépendance, et même de sa volonté de survie. L'ours joue ici sa peau, et il est prématuré de vouloir d’ores et déjà la vendre !

    Pourquoi ? Il n’est qu’à regarder une carte pour comprendre. Qui contrôle cette région, où aboutissent, aboutiront, des terminaux gaziers et pétroliers, lesquels sont vitaux pour des pays comme l’Iran, partant la Chine, ceux d’Asie centrale, la Russie même, qui aurait voix au chapitre en Europe occidentale, région maritime où baignent des Etats déstabilisés ou stratégiquement essentiels, parfois surarmés, où l’on a trouvé des réserves immenses de gaz, cette énergie du XXIe siècle, qui la contrôle, donc, contrôle l’avenir. La Russie sait aussi que, comme dans un jeu de dominos, perdre la partie ici entraînerait un déplacement du conflit tout près de ses frontières, dans cette Asie centrale où s’agitent déjà des intégristes musulmans. Qui occupe l'Eurasie tient les rênes de la planète.

    C’est pourquoi il est réjouissant de voir revenir, sur le théâtre international des nations, une Russie forte, fière et digne. La conférence de presse du président Poutine nous rappelle, nous, Français, celles du général de Gaulle, qui soutenait que la place de la France devait être au premier rang. La noblesse de notre histoire ne laissait pas d’autre alternative. C’était compter sans la trahison de nos « élites », qu’il pressentait néanmoins, lesquelles ont vendu notre indépendance, celle de l’Europe aussi, à ceux que Mitterrand, qui les avait portant bien installé dans notre culture, considéraient comme nos pires ennemis, les Etats-Unis d’Amérique.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 21 décembre 2012)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Tour d'horizon... (38)

    l-aventure-c-est-l-aventure.jpg

    Au sommaire cette semaine :

    - sur Geopolintel, Léon Camus dresse un panorama intéressant des stratégies en oeuvre au Proche-Orient...

    Chronique de la guerre qui rôde au Proche-Orient

    Manifestations Egypte.jpg

    - sur Metamag, Michel Lhomme revient sur la politique de puissance chinoise en direction du Pacifique...

    La contre-attaque chinoise dans le Pacifique

    Marine chinoise.jpg

    Lien permanent Catégories : Tour d'horizon 0 commentaire Pin it!
  • Une alliance discrète...

    Nous vous signalons la parution, aux éditions La Guillotine, d'une enquête de David Cronin intitulée Europe - Israël : une alliance contre-nature. De nationalité irlandaise, David Cronin a notamment été rédacteur au Guardian et attaché de presse au Parlement européen.

     

    europe-israel-david-cronin.jpg

    "Israël est souvent perçu comme le 51ème État des États-Unis. Désormais, il serait en passe de devenir membre de l’Union européenne. David Cronin a parcouru les couloirs de Bruxelles pour interroger hauts fonctionnaires et diplomates. Il a épluché les programmes européens et examiné les liens étroits que tissent les entreprises du continent avec ce petit État du Moyen-Orient. Loin des discours officiels, vous trouverez dans ce livre les résultats d’une enquête déroutante qui montre comment le prix Nobel de la paix 2012 participe à l’occupation de la Palestine et à l’oppression d’un peuple."

    Lien permanent Catégories : Livres 1 commentaire Pin it!
  • Relations transatlantiques...

    Sur Realpolitik.tv,  Hervé Juvin , auteur de l'essai intitulé Le renversement du monde (Gallimard, 2010), nous montre comment les Etats-Unis nous imposent des règles qu'eux-mêmes ne respectent jamais...

     


    Commerce international, IFRS, règlementations... par realpolitiktv

    Lien permanent Catégories : Economie, Géopolitique, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • L'Amérique (auto)destructrice ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet cueilli sur Voxnr et consacré au phénomène des tueries de masse aux Etats-Unis...

     

    Tueries Etats-unis.jpg

    Aurora (2012) - Virginia Tech (2007) - Columbine (1999)

     

    L'Amérique (auto)destructrice

    La récente tuerie, la dernière d’une longue série, de l’école primaire Sandy Hook, à Newtown, dans le Connecticut, qui a provoqué la mort de 27 personnes, dont 20 enfants, a suscité, outre une émotion bien légitime, les déclarations traditionnelles, que l’on s’attend à entendre dans de telles circonstances.

    Le lobby des armes à feu, incarné par la National Rifle Association, a encore une fois été dénoncé, mais l’on peut conjecturer qu’il n’y aura aucune suite à une mise en accusation, qui, pour autant, ne sert pas réellement à identifier le problème de fond qui mine la société américaine.

    Pour expliquer les aberrations qui prolifèrent comme une pandémie, et qui meurtrissent aveuglément des innocents au gré des caprices des tueurs, les commentateurs ont à leur disposition une mallette de notions passe-partout, qui, outre l’argument majeur des 200 000 000 d’armes qui se baladent de l’Atlantique au Pacifique, usent tout le lexique fourni en matière de sociologie, d’éducation, et surtout de psychologie. On met l’accent, avec raison, sur la déstructuration des personnes, sur les conflits qui détruisent les liens familiaux, sur la désocialisation des individus enfermés dans un monde intérieur peuplé des fantasmes virtuels de l’internet, sur la haine, la jalousie, le ressentiment qui empoisonnent des consciences perverties par la société du spectacle, de la marchandise, et de la réussite à tout prix, sur la disparition des inhibitions, des tabous moraux qui rendent les gestes meurtriers anodins, banals. Tout cela est vrai, mais peu sont ceux qui dévoileront la cause ultime de ce désastre : l’Amérique elle-même.

    Dans son passionnant ouvrage, « Stendhal et l’Amérique », Michel Crouzet a évoqué le désamour que l’auteur de Lucien Leuwen avait éprouvé pour la république américaine, après une période d’illusions démocratiques. Cette analyse d’un itinéraire que beaucoup connaîtront après avoir découvert la réalité du Nouveau Monde est en soi l’auscultation attentive d’une civilisation qui est la seule à avoir inventé, dans l’Histoire, une forme inédite de massacre, celui de ses propres enfants.


    Stendhal a bénéficié, en lecteur exigeant, de nombreux récits de voyageurs tels que Victor Jacquemont, Basil Hall, Mrs Trollope, Miss Frances Wright, Félix de Beaujour, Volney, dont certains étaient de ses amis, et tous, des écrivains capables de prendre une distance critique. Il n’est pas anodin que Mrs Trollope, par exemple, Anglaise émancipée s’il en est, passa l’Atlantique Wigh, pour revenir Tory !

    Stendhal, qui n’était pas réactionnaire, voyait dans l’Amérique, certes, le progrès, mais aussi la décadence, une régression de la civilisation. L’américanisme était l’avenir, mais il ne serait pour rien au monde devenu Américain. Le progressisme du Nouveau monde, extrémité occidentale de l’Europe, accentue la modernité, qui est arrachement à la sensibilité, jusqu’à son anéantissement. L’homo faber est avant tout l’homme destructeur. Si la volonté et le calcul y sont les instruments de sa liberté, elles servent aussi à maîtriser aussi bien l’être intérieur que la nature.


    Stendhal oppose l’homo americanus au Français, sociable, galant, léger et peu rentable, et surtout à l’Italien, dont la passion rentrée peut éclater en folie destructrice, mais néanmoins civilisatrice, pour peu qu’elle soit sublimée par l’éros et la beauté, ces frivolités essentielles de l’humain différencié. L’archaïsme italien favorise l’épanouissement individuel et collectif, tandis que la perfection politique des Etats-Unis les plonge dans une crise permanente.


    L’homme de raison des Lumières a porté dans ses bagages le progrès et l’ennui. Le négociant européen y est devenu roi. Dans le roman inachevé « Lucien Leuwen », le héros éponyme dit : « Prenez un petit marchand de Rouen ou de Lyon, avare et sans imagination, et vous aurez un Américain ». Un roi multiplié, plébéien, bassement calculateur, régnant sur un continent. Ce qui suffit à donner la mesure de la catastrophe historique que fut le triomphe des Anglo-saxons (Stendhal, à la suite de son ami anglais S. Sharpe, assure que « les Américains ne sont que la quintessence d’Anglais ») sur la terre des Amérindiens, et ce qu’elle fût devenu si les Français, qui s’occupaient plus de nouer des relations galantes avec les Indiennes que de bâtir une utopie biblique, avaient imposé leurs mœurs.


    Au lieu de quoi on eut une sorte d’in-civilisation, la société industrielle de l’Angleterre poussée à son paroxysme, dont les traits sont amplifiés : moralité hyperbolique, puritanisme, austérité, répression du désir, rentabilité, productivité, brutalité des rapports économiques et sociaux, exploitation de la force de travail. Une Angleterre sans sa culture aristocratique de la différence, au demeurant. « L’homme n’[y] est mû que par trois idées : l’argent, la liberté et Dieu ». Avec une prédilection pour la première.


    Ce qui pourra paraître paradoxal pour un contemporain est l’anti-rousseauisme de Stendhal. Il reprend, par l’idéologue Volney, les préjugés de Voltaire sur les « sauvages », qui, par nécessité, sont réduits à vivre misérablement, poussés par un besoin de subsistance précaire, sans imagination, sans dilapidation gracieuse des biens, qui est la condition indispensable pour que l’idée de luxe apparaisse, donc de plaisir, de raffinement, d’intériorisation du délice, et de la construction de rapports sophistiqués avec autrui. L’Indien est un barbare naturel, donc utilitariste. C’est pourquoi il est l’exact miroir de l’homme démocratique américain, uniquement préoccupé d’une économie matérielle d’accumulation des biens et de leur consommation mélancolique.


    La table rase qui a initié un monde nouveau, quelle qu’ait été sa violence originelle, qui subsiste cependant autant dans la conscience profonde du descendant de pionnier, que dans l’attachement épidermique à la possession d’armes à feu, a eu pour effet d’effacer toutes les origines, les personnalités, les véritables différences. L’Américain moyen ne déteste rien tant que la supériorité ou l’originalité. La Terre promise est un pré uniforme où paît le troupeau de Dieu. Le brassage recrée le désert. La masse oppresse, le jugement, le droit, le contrat deviennent le seul critère assurant un lien entre des atomes exilés.


    L’oppression du groupe est d’autant plus prégnant qu’elle n’est pas équilibrée par l’oisiveté cultivée, le loisir épicurien, la dilection gratuite, donc salvatrice. Hormis le travail et la prière, il n’y a rien. Ou tout, ce qui est la même chose. Il est même, et surtout, impossible de se rattacher à un passé, puisque le Nouvel Eden est à construire, et à universaliser. Le temps est à défricher, comme la frontière, et de façon violente. La forêt, la nature, les minerais, le territoire, les paysages, ne sont plus que des instruments de la puissance. Les voyageurs du XXème siècle ont été stupéfaits de découvrir combien le paysan américain, qui n’est plus un paysan, mais un spéculateur, ne s’attache ni à un lieu, ni à la beauté d’un endroit, ni même aux séductions existentielles qu’il offre : ils coupent tout, vendent, puis s’en vont. Le rapport à la nature y est brutal, irrespectueux. Les terres sont si nombreuses, si vastes, si étrangères, au fond, à l’identité des hommes qui en prennent possession, qu’il est vain de s’y arrêter, et, comme sur le Vieux continent, de les transformer en ces œuvres d’art que sont les paysages des nations européennes.


    Nous touchons là l’une des sources de la violence endémique qui mine la société américaine, et qui en fait une des civilisations les plus anormales de l’histoire humaine, une des raisons pour lesquelles elle parviendra peut-être à subjuguer les autres civilisations, à les détruire, et à anéantir, avec elles, l’humanité.


    Car si l’Europe s’est faite peu à peu, dans la longue durée, par une série de cultures conquérantes qui ont absorbé, sans les éradiquer, celles qui leur avaient succédé, des temps préhistoriques jusqu’au moyen-âge, la société américaine a supprimé tout ce qu’elle considérait comme le « mal », les Indiens, la culture européenne, le temps « mort », mais qui vit, pour instaurer ce qu’elle a toujours considéré come un destin manifeste, voulu par Dieu, sans distinction de la variété du monde et de la légitimité des autres visions du monde. En revanche, dès le néolithique, le terroir européen a pris forme, dans un équilibre sage et patient entre la nature sauvage et la nature domestiquée, entre la chasse, la cueillette et l’agriculture, entre la part libertaire de l’homme et sa portion sociale, perçue comme élévation vers une plus grande liberté, laquelle a toujours été perçue come une libération par rapport aux besoins biologiques de l’individu, donc des nécessités économiques. Cette prise en compte civilisationnelle des complexités humaines a produit le grand Art et l’amour fin, considérés comme des idéaux à atteindre par l’élite. L’esclavage réel n’est que celui de la rationalité instrumentale, qui ne donne que ce qu’elle vaut. L’homme se construit à partir de son affectivité, de sa sensibilité, de son monde intérieur, et de l’invention de nouvelles sensations, de tout ce qui éloigne du mécanique.


    Qui veut faire l’ange fait la bête. A vouloir en finir avec la corruption, à quoi l’Américain réduit l’oisiveté aristocratique, le luxe et les plaisirs de l’art et de l’amour, on finit par dénaturer l’homme, par le déshumaniser, par rompre avec ce qui le constitue en tant qu’être sociable, à conjuguer la froideur standardisante aux brusques explosions pornographiques et meurtrières, les deux d’ailleurs se rejoignant dans l’usage immodéré du calcul.


    Plutôt que la prolifération des armes à feu, que les journalistes et responsables politiques s’évertuent de combattre, comme si l’élimination de boutons sur la peau suffisait à faire disparaître une maladie, il vaudrait mieux se demander quelles sont les raison de fond d’un phénomène qui se répète, et s’amplifie. Toutes les règles drastiques de sécurité, et les tentatives d’éducation « civique », ne sont pas parvenues à prévenir un phénomène qui tend à se répandre partout où l’américanisation tend à déstabiliser les sociétés. De la Chine à la France, en passant par la Finlande ou l’Allemagne, la maladie gagne. Parfois, la pathologie s’adapte au terrain. En France, par exemple, il n’est pas rare qu’un père assassine femme et enfants avant de se donner la mort. Les modalités criminelles sont plus américanisées dans les pays du Nord, bien que la tuerie de Nanterre, le 26 au 27 mars 2002, nous ait livré un spécimen qui devrait réjouir le très californien groupe de « réflexion » Terra nova (tout un programme).Richard Durn apparaît en effet, par ses diplômes, son engagement dans le « camp du progrès », son ressentiment viscéral, comme un pur produit américanoïde.


    Du reste, tous ces tueurs appartiennent à la société hypermoderne. Non seulement parce qu’ils prennent la peine, comme dans les meilleurs scénarii hollywoodiens, de se déguiser en « guerriers » de la nuit, avec tenue noire commando et force armes automatiques, mais ils utilisent internet pour gonfler leur ego dans une geste pathétique et dérisoire de narcissisme aigu, et, si possible, de faire perdurer leur image, comme ils ont, eux-mêmes, pu s’inspirer de celle de leurs sinistres devanciers.

    Il est malheureusement certain que cette pathologie civilisationnelle va continuer de se mondialiser à mesure que le Nouvel Ordre mondiale s’universalise. Il est frappant, du reste, de noter que la tuerie de Newtown (dont le nom est révélateur) s’est produite dans une usine à éduquer, dans une école où plus de 600 enfants étaient rassemblés. La quantité, dans l’horreur, s’allie toujours avec l’atrocité, comme dans les abattoirs.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 15 décembre 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!