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Points de vue - Page 73

  • Instrumentalisation de l’immigration : la capitulation de l’Union européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Tormenen, cueilli sur Polémia et consacré à l'instrumentalisation des flux migratoires contre l'Union européenne.

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    Instrumentalisation de l’immigration : la capitulation de l’Union européenne

    Les flux migratoires ont pris une ampleur considérable en ce début de 21ème siècle. Les pays européens sont particulièrement vulnérables : le manque de contrôles aux frontières et un arsenal juridique favorable permettent en effet à de nombreux migrants clandestins d’entrer en Europe et de s’y maintenir. Les dirigeants de certains pays tiers l’ont bien compris et utilisent l’ouverture intermittente de leurs frontières pour faire pression sur les États européens et sur l’Union européenne.
    Pourtant, en dépit de l’usage répété de ce nouveau moyen de pression, l’Union européenne multiplie les obstacles aux mesures permettant aux pays européens agressés de se défendre. L’évolution possible du contexte politique dans les pays du sud de l’Europe pourrait bientôt changer la donne.

    Les différents aspects de l’instrumentalisation des flux migratoires par des pays tiers à l’U.E. abordés dans le présent article sont les suivants :

    1- L’instrumentalisation des flux migratoires, une nouvelle forme de conflit ;
    2- L’instrumentalisation des migrants, une pratique devenue courante ;
    3- L’instrumentalisation des migrants, une stratégie payante ;
    4- Le droit au service de l’immigration clandestine ;
    5- De nombreux pays européens ont renoncé à faire respecter leurs frontières ;
    6-Les évolutions envisagées dans le cadre du pacte européen sur l’asile et les migrations : un cautère sur une jambe de bois ;
    7- Un motif d’espoir : l’évolution possible du contexte politique dans les pays du sud de l’Europe.

    1- L’instrumentalisation de l’immigration, une nouvelle forme de conflit

    L’instrumentalisation des flux migratoires s’inscrit dans le contexte de l’émergence de nouvelles formes de conflits (cyberattaques, sanctions économiques, etc.), communément désignées sous le terme de « guerre hybride ». Le centre d’excellence pour la lutte contre les menaces hybrides rattaché à l’OTAN décrit une menace hybride comme une action « coordonnée et synchronisée et ciblant délibérément les vulnérabilités des États et des institutions démocratiques. (Les guerres hybrides) sont conduites à l’aide d’un large éventail de moyens et conçues pour rester en deçà du seuil de détection et d’attribution. (…) L’objectif est de saper ou de nuire à une cible en influençant sa prise de décision au niveau local, régional, étatique ou institutionnel » (1).

    Le conseil de l’Union européenne donne la définition suivante de l’instrumentalisation des migrants : « des situations dans lesquelles un pays tiers ou un acteur non étatique a (…) encouragé ou facilité le déplacement irrégulier de ressortissants de pays tiers vers (…) un territoire, afin que ceux-ci se rendent à la frontière extérieure des États membres ». (2)

    Le mode opératoire consiste précisément à provoquer un afflux massif et soudain de migrants clandestins dans un pays donné, dans l’objectif – non revendiqué officiellement – de faire pression sur les autorités de ce pays en désorganisant sa capacité de riposte et en saturant ses capacités d’accueil, afin d’en obtenir un bénéfice.

    2- L’instrumentalisation des migrants, une pratique devenue courante

    La question migratoire est particulièrement sensible en Europe. Depuis le début des années 2010, l’immigration extra-européenne y a pris une ampleur considérable, amenant une partie non négligeable de l’électorat à voter pour des partis politiques prônant un coup de frein à l’immigration tant légale que clandestine (3). Dans ce contexte, l’afflux plus massif et brutal qu’à l’accoutumée de migrants dans l’un des pays de l’Union européenne est surveillé avec attention par nos dirigeants. Certains chefs d’État de pays tiers ont bien compris le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer.

    Les tentatives de déstabilisation des États européens par l’ouverture aussi brutale que temporaire des frontières aux migrants ont été nombreuses ces dernières années. On peut même dire qu’elles se multiplient, en dépit d’accords prévoyant un contrôle des départs des clandestins des pays qui utilisent un tel procédé. Nous n’en présenterons que six parmi les plus importantes.

    Le 2 mars 2020, le président de la République turque, R.T. Erdogan, brandissait la menace de l’arrivée de millions de migrants en Europe en ouvrant ses frontières avec la Grèce (4). Quelques jours plus tard, le 7 mars, il mettait sa menace à exécution. Des milliers de clandestins se massaient à la frontière entre la Turquie et la Grèce et pour certains d’entre eux, affrontaient les forces de l’ordre grecques (5). Plusieurs experts en géopolitique s’accordent sur le fait que R.T. Erdogan a amené les migrants à la frontière grecque pour faire pression sur l’Union européenne afin que celle-ci soutienne – ou à tout le moins ne condamne pas – ses opérations militaires menées dans la période en Syrie.

    Le 17 mai 2021, plusieurs milliers de migrants d’origine subsaharienne forçaient la frontière entre le Maroc et l’Espagne afin d’accéder au territoire de Ceuta, parfois en agressant des douaniers espagnols (6). Ces franchissements n’ont très certainement été possibles qu’avec le consentement tacite des autorités marocaines. Bien que non revendiquées officiellement, il s’agissait sans nul doute de représailles du gouvernement marocain, après que le gouvernement espagnol ait autorisé un leader du Front Polisario, militant pour l’autonomie du Sahara occidental, à se faire soigner en Espagne.

    Suite au détournement le 23 mai 2021 par le gouvernement biélorusse d’un avion de la compagnie Ryan Air à Minsk afin d’arrêter un dissident politique, l’Union européenne a durci à partir du mois de juin de cette même année les sanctions à l’encontre de la Biélorussie impactant plusieurs secteurs de son économie.

    La riposte des autorités biélorusses ne s’est pas faite attendre : elles ont rapidement organisé une offensive migratoire contre les pays voisins membres de l’Union européenne, la Lituanie, la Lettonie et la Pologne. Des navettes aériennes ont ainsi acheminé depuis leur pays d’origine ou d’accueil (Turquie, Syrie, Irak, Liban, etc.) des milliers de migrants en Biélorussie, qui ont ensuite été poussés vers la frontière occidentale du pays. La réponse ferme des pays limitrophes et des démarches diplomatiques ont permis en fin d’année de « calmer le jeu » entre les parties concernées.

    En novembre 2021, le gouvernement chypriote constatait une hausse considérable du nombre de migrants arrivant sur l’île par rapport à l’année précédente (+38%) (7). Il accusait la Turquie de vouloir déstabiliser son pays et d’instrumentaliser les migrants en leur permettant de traverser la ligne de démarcation séparant l’ile. Le contentieux sur la reconnaissance de la partie turcophone de l’ile n’est très probablement pas étranger à cet afflux soudain de migrants essentiellement musulmans venant pour beaucoup de Turquie avec un visa étudiant.

    Depuis quelques mois, en dépit de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie conclu en 2016, prévoyant notamment un contrôle et une contention des départs des migrants, le rythme des arrivées des clandestins en Grèce venus de Turquie a considérablement augmenté. Selon plusieurs observateurs, cette accélération fait suite aux déclarations du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, devant le Congrès américain le 17 mai, sur les menaces et les violations de l’espace aérien et maritime grec venant d’un « pays tiers », une façon à peine voilée de pointer la Turquie (8).

    Début juillet 2022, le nombre des arrivées des embarcations clandestines parties d’Algérie sur les côtes espagnoles, à Almeria, a fortement augmenté. Selon le quotidien espagnol El Mundo, les autorités espagnoles s’attendaient à ce que le gouvernement algérien ne reste pas inerte suite à leur revirement sur la question du Sahara occidental, dans un sens favorable au Maroc (9). Un signe ne trompe pas : en juin, les autorités algériennes suspendaient la construction de murs destinés à empêcher les départs clandestins des côtes du pays vers l’Espagne (10).

    3- L’instrumentalisation des migrants, une stratégie payante

    L’instrumentalisation des migrants est très souvent une stratégie payante. Les concessions que doivent faire les États européens et l’Union européenne suite à des offensives migratoires lancées par des États tiers ne font bien évidemment pas l’objet d’une publicité tapageuse. Pour le pays hostile, il s’agit de garder cet atout en main afin de pouvoir le réutiliser. Pour l’État européen et/ou l’Union européenne ayant fait l’objet d’une manœuvre hostile, il s’agit de ne pas perdre la face en montrant sa faiblesse.

    C’est dans la modification aussi discrète que réelle des relations entre États à la suite de ces épisodes d’instrumentalisation de migrants que l’on peut percevoir leur efficacité , comme par exemple l’étrange complaisance de l’U.E. face aux multiples provocations du président turc, R.T. Erdogan, la position des autorités espagnoles soudainement plus favorable au gouvernement marocain au sujet de la question du Sahara occidental, etc.

    Si l’instrumentalisation des migrants a parfois des conséquences dramatiques pour certains d’entre eux, elle permet à d’autres de profiter de l’ouverture temporaire des frontières. Pour ne donner qu’un exemple parmi d’autres, l’offensive migratoire lancée par la Maroc en mai 2021 a permis à de nombreux de migrants d’entrer sur le territoire espagnol de Ceuta, d’y rester ou de gagner le continent européen.

    Outre les manœuvres de pays tiers, les pressions exercées contre des pays membres de l’Union européenne tirent leur efficacité d’un certain nombre de facteurs Parmi ceux-ci, on peut citer l’attractivité sociale et économique des pays européens, un droit excessivement favorable aux clandestins et le renoncement des pays européens à faire respecter leurs frontières.

    4- Le droit au service de l’immigration clandestine

    Les migrants clandestins ne seraient pas aussi déterminés à entrer dans les pays de l’Union européenne s’ils n’avaient pas bon espoir d’y rester. Pour ce faire, nombre d’entre eux font valoir leur droit à la protection au titre de l’asile ou de leur âge. Ils peuvent s’appuyer pour cela tant sur le droit communautaire que sur les conventions internationales (sur l’asile, la protection de l’enfance, etc.) ratifiées par les pays membres de l’Union européenne. La règle du non refoulement est fréquemment invoquée par les défenseurs des migrants clandestins pour qu’ils puissent pénétrer dans les pays de l’Union européenne et faire valoir ces droits. Et quand bien même les migrants sont déboutés de leur demande, la piteuse politique des pays européens de reconduite des clandestins dans leur pays leur assure fréquemment un maintien en Europe sans trop de soucis.

    5- De nombreux pays européens ont renoncé à faire respecter leurs frontières

    Étroitement corsetés par un droit excessivement favorable aux clandestins, incapables tant juridiquement que moralement de défendre l’intégrité de leur territoire, les pays européens et l’Union européenne ont cherché à sous-traiter la protection de leurs frontières. Mais ils ont par cela créé les conditions de leur propre dépendance et de leur asservissement. L’accord le plus connu à ce sujet est celui conclu à grand frais entre la Turquie et l’Union européenne en 2016.

    L’Union européenne a également noué des partenariats avec plusieurs pays africains d’où partent les clandestins (11). Des accords visant à éradiquer les réseaux de trafic de migrants et de traite d’êtres humains ont ainsi été conclus avec la Libye, le Maroc et la Tunisie. Il s’agit aussi plus officieusement d’empêcher les départs de bateaux clandestins des côtes de ces pays vers l’Europe. Ces pays bénéficient à ce titre d’importants subsides de l’Union européenne.

    L’Italie et l’Espagne ont également conclus des accords bilatéraux avec des pays d’Afrique du nord afin d’éviter les départs et d’intercepter les migrants se dirigeant vers leur pays. Cette externalisation du contrôle des frontières de l’Union européenne, qui permet de limiter le nombre des départs d’Afrique, fait l’objet de critiques véhémentes de la part de nombreuses O.N.G. et du lobby immigrationniste (12).

    6- Les évolutions envisagées dans le cadre du pacte européen sur l’asile et les migrations : un cautère sur une jambe de bois

    Compte tenu des compétences partagées avec les États en matière migratoire, l’Union européenne apporte t-elle des solutions aux pays victimes d’offensives migratoires organisées par des pays tiers ?

    L’exemple de l’offensive migratoire menée par la Biélorussie en 2021 est très révélatrice à ce sujet.

    Alors que la Pologne déployait l’armée pour stopper les milliers de migrants poussés par les autorités biélorusses, la Commission européenne proposait le renfort du corps de garde-frontières Frontex. Les autorités polonaises ont purement et simplement décliné cette proposition. La raison ? Elles ne voulaient que des « observateurs des droits fondamentaux » de l’agence européenne vienne accumuler des preuves de la violation du principe de non refoulement. Les efforts de la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, visant à ce que la pratique des douaniers polonais aux frontières soit « conforme avec l’acquis communautaire » ont été vains. « La commissaire Johansson a échoué à convaincre la Pologne sur les refoulements », titrait le site d’information Euractiv le 1er octobre 2021 (13). Il faut pourtant être aveugle pour ne pas voir que l’application de la règle du non refoulement aboutit à céder aux manœuvres des États hostiles.

    Les évolutions envisagées dans le cadre du pacte européen sur l’asile et les migrations donnent-elles des raisons d’espérer ? Les dispositions adoptées lors de la réunion du Conseil de l’Union européenne à Luxembourg le 10 juin 2022 permettent d’en douter (14).

    Dans le nouveau cadre juridique qui doit poursuivre son processus d’adoption, un État peut-il se prévaloir seul d’être victime d’une offensive migratoire pour appliquer des règles plus restrictives d’accès à son territoire ? « l’État membre concerné […] devrait examiner si le Conseil européen a reconnu que l’Union ou l’un ou plusieurs de ses États membres sont confrontés à une situation d’instrumentalisation de migrants ».

    Les frontières du pays agressé pourront-elles être étanches ? «  Les États membres, en particulier dans un cas d’instrumentalisation des migrants, lorsque des ressortissants de pays tiers tentent, en masse, de forcer l’entrée par des moyens violents, peuvent prendre les mesures nécessaires pour préserver la sécurité et l’ordre public. […] Ces limitations et mesures devraient […] être appliquées de manière à garantir le respect des obligations liées à l’accès à la protection internationale, en particulier le principe de non-refoulement ».

    Les demandes d’asile seront-elles suspendues dans un tel contexte ? Aucunement. Leur dépôt pourra se faire à des points d’enregistrement précis situés à proximité de la frontière, notamment à des points de passage frontaliers officiels, et dans des délais plus longs.

    Chacun appréciera le peu de résistance que l’Union européenne permet aux pays européens aux offensives migratoires organisées à leur encontre. On peut à ce sujet parler d’une reddition en pleine campagne, à laquelle le gouvernement polonais a courageusement résisté.

    7- Un motif d’espoir : l’évolution possible du contexte politique dans les pays du sud de l’Europe

    Dans un tel contexte, c’est dans la résistance des pays au dogme immigrationniste que l’on peut trouver des motifs d’espoir. Depuis que le gouvernement conservateur est en place, les autorités grecques pratiquent sans le revendiquer de nombreux refoulements de clandestins se dirigeant vers son territoire par la mer Egée (15). Les changements politiques qui pourraient intervenir prochainement en Espagne et en Italie sont également susceptibles de changer la donne dans ces pays.

    En Espagne, le gouvernement multiplie les mesures favorables aux clandestins (régularisations, etc.) Mais, à un an et demi des élections législatives, les socialistes au pouvoir ont connu en juin de cette année une sévère défaite lors de l’élection au parlement andalou. Cela laisse augurer une alternance politique dans le pays moins favorable à l’immigration clandestine, fin 2023.

    Les perspectives d’un changement politique majeur sont plus proches en Italie. Suite à la démission de Mario Draghi du poste de premier ministre, des élections vont être organisées à l’automne et des partis farouchement opposés à l’immigration clandestine, La Lega et surtout Fratelli d’Italia, pourraient bien les remporter.

    L’accession au pouvoir de partis politiques résolument opposés à l’immigration clandestine serait une très mauvaise nouvelle pour les gouvernements des pays qui souhaitent lancer de nouvelles offensives migratoires en Europe. Plus que jamais, la situation politique dans ces pays en première ligne conditionnera la résistance à ces guerres qui ne disent pas leur nom. Mais au-delà de ces perspectives, les dirigeants des pays européens ne pourront pas faire l’économie d’une profonde refonte de tout l’arsenal juridique qui permet à l’immigration clandestine d’atteindre l’ampleur insensée qu’elle a actuellement.

    Paul Tormenen (Polémia, 27 juillet 2022)

     

    (1) « Le concept de guerre hybride : origines, application, contre-action ». Geoplitika.ru. 21 novembre 2021
    (2) « Code frontières Schengen: le Conseil adopte son orientation générale ». Communiqué de presse du Conseil de l’U.E. 10 juin 2022
    (3) « L’Invasion de l’Europe – Les chiffres du Grand Remplacement » : la preuve par les faits ». Polémia. 4 décembre 2020
    (4) « Erdogan menace l’Europe de « millions » de migrants ». Le Point. 2 mars 2020
    (5) « Turquie : des milliers de migrants se massent à la frontière avec la Grèce ». Le Parisien. 1er mars 2020
    (6) « Espagne. Près de 6 000 migrants arrivés en moins de 24 heures à Ceuta depuis le Maroc ». Breizh Info. 18 mars 2021
    (7) « Chypre veut suspendre les demandes d’asile ». Infomigrants. 12 novembre 2021
    (8) « Les tensions entre la Turquie et la Grèce aboutissent à une rupture du dialogue ». Econostrum. 24 mai 2022
    (9) « Argelia cumple su amenaza y empieza a inundar de pateras las costas españolas ». El Mundo. 1er juillet 2022
    (10) « Argelia paraliza la construcción de los muros de contención de salida de ilegales a España ». La Gaceta de la Iberosfera. 15 juin 2022
    (11) « Joint communication to the European Parliament, the European Council and the council. Migration on the Central Mediterranean route Managing flows, saving lives ». Commission européenne. 25 juillet 2017
    (12) « Externalisation des frontières de l’Union européenne ». Pour la solidarité. Juillet 2020
    (13) « Commissioner Johansson failed to convince Poland on pushbacks ». Euractiv. 1er juillet 2021
    (14) « Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2016/399 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes ». Conseil de l’Union européenne. 9 juin 2022
    (15) « En 2021, une ONG comptabilise 629 cas de refoulements illégaux dans les îles grecques ». Infomigrants. 7 janvier 2022

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  • Sanctions contre la Russie : «Quelles leçons tirer du blocus continental de 1806 ?»

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Olivier de Maison Rouge, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question des sanctions économiques contre la Russie.

    Avocat, Olivier de Maison Rouge est spécialiste des questions juridiques liées à l'intelligence économique et au secret des affaires. Il a publié deux ouvrages sur le sujet, Penser la guerre économique (VA éditions, 2018) et, récemment, Survivre à la guerre économique (VA éditions, 2020).

     

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    Sanctions contre la Russie : « Quelles leçons tirer du blocus continental de 1806 ? »

    Depuis février 2022, à la suite de l'agression militaire de son flanc est, l'Europe a répondu par des sanctions économiques: banques russes bannies du réseau Swift, gels des avoirs des oligarques, quotas, suspensions des commandes, etc.

    In fine, le rouble s'est apprécié, et l'Europe a constaté le niveau élevé de dépendance aux matières premières russes. Est-ce à dire que les sanctions économiques se retournent contre ses auteurs ?

    Prenons l'exemple du blocus européen décrété contre l'Angleterre par Napoléon 1er. Si l'industrie anglaise a dans un premier temps fléchi, elle a en définitive su nouer comme alternative de nouveaux partenariats commerciaux avec son vaste empire, lui permettant de parvenir au faîte de la gloire, sur terre et sur mer, au XIXe siècle.

    Rédigé de la main de l'Empereur, le décret dit «de Berlin» du 21 novembre 1806, institue le blocus continental dans ces termes:

    Article 1er – Les îles Britanniques sont déclarées en état de blocus.

    Article 2 – Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits. En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux postes et seront saisis. (…)

    Par le décret de Milan du 17 décembre 1807, l'Empereur ordonne que tout bateau ayant mouillé dans un port britannique, quelle que soit sa nationalité, soit considéré comme battant pavillon britannique et par conséquent susceptible d'être confisqué par l'administration des douanes.

    Avec les victoires napoléoniennes, cette disposition sera étendue aux territoires conquis sur le continent européen. Napoléon 1er voudra ainsi interdire toute marchandise britannique de Lisbonne à Saint-Pétersbourg.

    Par le traité de Tilsit conclu avec le Tsar le 7 juillet 1807, la Russie et la Prusse adhèrent à leur tour au blocus continental, créant un mouvement de «tenaille» territoriale face aux Îles britanniques (la Russie rompra cependant l'alliance territoriale le 13 décembre 1810). Le 6 septembre 1807, les pays scandinaves sont embrigadés à leur tour dans cet embargo (la Suède s'y associe le 6 janvier 1810) tandis que le 23 novembre de la même année, le verrou continental est scellé au Portugal que les armées impériales envahissent.

    Le premier effet a été la crispation des relations entre l'Amérique et la Grande-Bretagne (1812-1814). Au-delà de la rivalité qui préexistait en raison de l'indépendance des États-Unis d'Amérique, le blocus imposé par les Anglais devait contrarier le commerce transatlantique.

    En 1807, la jeune nation américaine devait rompre tout négoce avec le vieux continent. En raison de ce choix forcé de neutralité, la conséquence directe pour la France a été la rupture des approvisionnements.

    L'Angleterre, quant à elle, privée de ses fournisseurs européens, a su nouer de nouvelles relations commerciales, notamment avec le Canada, puis avec les États-Unis et l'Amérique latine.

    Un autre des revers du blocus, est la fermeture des ports aux marchandises britanniques et réciproquement, la coupure des approvisionnements en matières premières issues des colonies ultramarines. En conséquence, le port de Marseille voit ainsi sa fréquentation passer de 200 en 1805 avant de tomber à moins de 50 en 1808 et à 4 en 1812. Il en sera de même pour les ports de Hollande, d'Allemagne et d'Italie.

    La volonté de l'Empereur est manifestement d'effondrer l'économie anglaise en lui coupant ses débouchés commerciaux ainsi que les flux entrants de matières premières destinées à alimenter la production manufacturière (céréales, armes, munitions, coton, laines, etc.). De fait, on estime à 20% la chute des exportations anglaises entre 1808 et 1810.

    Le blocus ayant été imposé aux territoires occupés par l'Empire contre leur gré, un détournement sera constaté dans chaque place commerciale, parfois avec le concours de la corruption des séides français. Tout un système de contrebande verra le jour, anéantissant pour partie les effets du blocus. Face à ce contournement, les Douanes françaises vont devoir ajuster les mesures d'embargo et créer en 1809 des licences d'importation et d'exportations accordées à certaines compagnies maritimes, sur certains produits. Elles ne furent en réalité que la reconnaissance de circuits commerciaux clandestins existants.

    Le blocus continental voulu par Napoléon 1er a dans un premier temps fonctionné au bénéfice de l'industrie naissante française, notamment dans le domaine du textile. Cette expansion économique a d'ailleurs permis un rattrapage rapide des années révolutionnaires qui avaient freiné tout développement industriel.

    Mais dans un second temps, les effets du blocus se révélèrent contreproductifs, car la matière première comme les machines-outils ont manqué et les ventes hors d'Europe ne furent jamais compensées. Tandis que l'Angleterre a su forger une économie tournée vers d'autres horizons (notamment l'Amérique latine, favorisée par la chute des Bourbons d'Espagne qui devinrent des alliés de circonstances de l'Angleterre) et asseoir sa puissance maritime face au continent, se créant de nouveaux débouchés qui feront sa fortune au XIXe siècle, la France, centrée sur le seul continent, ne devait pas trouver de relais alternatifs au-delà de ses marchés domestiques. Napoléon 1er n'a pas su nouer au bénéfice de la France une relation particulière avec les États-Unis d'Amérique, alors qu'il aurait pu profiter des relations distendues avec l'ancien suzerain Britannique. Au contraire, il considère les navires marchands américains comme ennemis et les fait saisir.

    Par suite, les puissances européennes qui s'étaient vues imposer des embargos non consentis se tournèrent vers d'autres clients. Les nations européennes avaient payé un lourd tribut à la France qui avait prélevé son impôt sur elles pour financer ses guerres et fermé ses ports. Le retour de balancier n'en fut que plus rude. Le commerce extérieur de la France devait durablement chuter, affaiblissant d'autant son industrie.

    En parallèle, malgré des crises conjoncturelles passagères (1808 et 1810) et une croissance un temps ralentie, l'Angleterre est in fine sortie renforcée de cette épreuve, agrandissant par suite son empire comme sa clientèle et devenant la nation dominante du XIXe siècle.

    Ce faisant, selon François Clouzet, le blocus a eu pour conséquence de déplacer l'axe industriel de la façade Atlantique vers l'est (Alsace, Allemagne, Belgique) participant à l'accroissement des richesses industrielles rhénanes («nouvelle Lotharingie») et jetant les prémices des guerres franco-allemandes qui allaient se succéder jusqu'en 1945, concourant pour affaiblir l'Europe continentale jusqu'à la ruine et le déclassement au bénéfice des États-Unis, autre puissance thalassocratique. D'une guerre économique l'autre…

    Olivier de Maison Rouge (Figaro Vox, 20 juillet 2022)

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  • La gauche, ce n'était pas mieux avant !...

    Foin de la nostalgie ! La gauche, ce n'était pas mieux avant, comme nous le rappelle avec brio Thaïs d'Escufon dans cette nouvelle mise au point.

    Porte-parole talentueuse et courageuse du mouvement Génération identitaire, Thaïs d'Escufon développe désormais avec brio une activité de publiciste sur les réseaux sociaux.

     

                                                  

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  • Le métavers, phase supérieure de la société capitaliste ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Moriamé, cueilli sur le site de le revue Éléments et consacré au "métavers"...

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    Le métavers, phase supérieure de la société capitaliste ?

    C’est avec une émotion intense, par laquelle il frôla la crise d’apoplexie, que Jean-Louis, sexagénaire d’ordinaire bougon et dégarni, assista en 2022 à un concert d’ABBA. Émoustillé comme une midinette, il put l’espace d’un instant se remémorer les émois de sa prime jeunesse. Tout y était, des femmes aux robes à paillettes en passant par les chansons rythmées et standardisées en simple english conçues pour s’exporter par-delà la Baltique. Grâce aux nouvelles technologies et aux hologrammes projetés sur la scène, Jean-Louis oublia temporairement qu’il avait lui-même vieilli. Plus rien n’existait, ses rhumatismes, les Suédoises ménopausées devenues repoussantes, la sénescence indésirable ; l’hologramme était tout et tout était dans l’hologramme.

    Jean-Louis touchait du bout du doigt le summum du divertissement moderne, l’échappatoire absolue qui lui permettait de faire l’impasse sur tous ses petits tracas et ses misères du quotidien. Il sentit le besoin de communier avec la terre entière, ou plutôt avec ses 17 followers, en publiant une vidéo de lui face à la scène, le tout agrémenté de petits cœurs et d’étoiles animées. Anciennement rond-de-cuir dans une obscure filiale de la SCNF, Jean-Louis, célibataire et sans enfant, était à la retraite depuis dix ans et sautait sur toutes les occasions possibles pour s’amuser et faire comme les jeunes, vivre en somme.

    Membre du peuple nouveau, appelé de ses vœux par l’actuel président de la République, Jean-Louis, bien que déjà ancien, aspirait à cocher toutes les cases de la contemporanéité et à faire table rase d’un passé ennuyeux et pas fun. Ravi par les trois commentaires laudateurs qu’avait suscités sa vidéo, c’est fier de lui, droit et digne, qu’il rentra dans son studio crasseux de Pantin, dans la « Californie française », chevauchant sa trottinette électrique chinoise. Il était en phase avec son époque, il le savait et il aimait ça.

    Naissance et déclin de la graphosphère

    Le monde de Jean-Louis, cet Occident en voie de décomposition qui pose pour l’avenir de nombreuses questions, n’est pas apparu comme par enchantement. Il est le fruit d’un long processus historique qu’il convient de rappeler brièvement.

    L’homme a connu plusieurs formes de sociétés, liées à un médium qui a évolué au fil des âges. Classiquement, on évoque dans un premier temps les sociétés de tradition orale où, par la voix, on transmettait des savoirs, des récits mythologiques ou encore des techniques comme la maîtrise du feu… Ces groupements humains, aujourd’hui disparus, étaient formés de tribus ou clans avec une organisation politique assez limitée.

    Ils ont progressivement laissé la place, avec l’invention de l’écriture, à des sociétés de tradition écrite. Le livre a été le support d’une diffusion et d’une transmission culturelle inédite. L’écrit a permis le développement de structures politiques, économiques et sociales élaborées : cité-État, empire, nations, religions constituées, dogmes, monnaies… Aussi, le livre a été le premier vecteur d’une relative uniformisation du monde et de la pensée, particulièrement en Occident.

    Aujourd’hui, cette société de l’écrit, qui nous a pourtant tant apporté et a présidé à la naissance et à l’émergence de brillantes civilisations, semble désuète et en voie de marginalisation voire de disparition.

    L’uniformisation technologique

    Les hommes du XXe et le XXIe siècle, avec l’essor des technologies modernes, ont mis en œuvre avec une vitesse sans précédent, une nouvelle société qu’on pourrait qualifier de l’image animée. Celle-ci a eu un premier médium révolutionnaire avec la télévision, nouvel âtre des foyers, concurrent puis souvent triomphateur des anciennes sociabilités et coutumes liées au livre, comme la pratique religieuse ou tout bonnement la lecture. Cette société de l’image animée possède désormais une emprise certaine sur les hommes. Tout passe par ses médiums, du simple contact humain aux loisirs. Les nouveaux outils technologiques qui ont remplacé la télévision, au premier rang desquels, le smartphone, ont consacré cette dépendance.

    Cette société de l’image animée présente toutefois une singularité qui fait sa différence avec les formes anciennes : elle est animée uniquement par la simple et seule logique marchande. Contrôlée par quelques grandes entreprises, elle est le support et le vecteur d’une vertigineuse standardisation du monde à des fins commerciales. L’imaginaire qu’elle produit, pauvre, est uniforme et fait peu de place pour ce qui ne va pas dans le sens d’une vulgate pensée outre-Atlantique.

    Aussi, on peut légitimement s’interroger sur la possibilité de transmettre des savoirs et des traditions à l’heure de l’instantanéité, des images surabondantes et du scrolling permanent des jeunes et des moins jeunes. Le zapping permet au consommateur de se vider la tête et de dépenser, mais que peut-il engendrer de plus ? Quelle société peut bien produire un peuple ou plutôt des individus, qui pour la plupart ne lisent plus, ne se parlent parfois plus et sont rivés sur leur smartphone ? Instagram, TikTok et cie peuvent-ils constituer le support d’une civilisation nouvelle ?

    Paul Valéry au sortir de la Première Guerre mondiale disait qu’on savait dorénavant que les civilisations étaient mortelles. Il y a des morts plus belles que d’autres, certaines plus discrètes, moins sanglantes et qui s’opèrent à bas bruit, dans l’indifférence générale…

    Sous la bannière de l’infantilisme et du narcissisme

    Il est de bon aloi de nos jours, de critiquer l’individualisme exacerbé de ceux qui refuseraient de « faire société » ou pire, de « vivre ensemble » selon la novlangue politique. C’est oublier que c’est en partie la technologie actuelle qui pousse les gens, avec ses médiums, à se renfermer sur eux-mêmes.

    On a mis entre les mains des citoyens des outils qui les affranchissent des autres et dénouent les petits liens précieux qui font vivre un collectif. Aujourd’hui, on n’a plus besoin de demander l’heure ou son chemin à son voisin ; tous ces gestes banaux qui permettaient aux individus de se parler, de ne pas seulement se croiser et coexister. Toutes ces choses ont disparu ou sont entrées dans la sphère marchande via une appli.  

    En sus, le politique, doublé du communicant, ne propose plus aucun projet collectif, aucun grand récit susceptible de mobiliser tout un peuple. François Furet ne disait pas autre chose dans les années 90 quand il écrivait : « L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser, et d’ailleurs personne n’avance sur le sujet, dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf. Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons. »

    Faute de véritable fin de l’histoire, la classe politique s’est fixée pour nouvel idéal le bien-vivre, entendu sous l’angle de la consommation et du loisir, de l’individu roi. Il s’agit de s’adresser à lui, de satisfaire ses « besoins », ses caprices… On infantilise, on atomise, et, tartuffe, on feint de se plaindre de l’égoïsme des consommateurs-citoyens qu’on a créés et qui cherchent à maximiser leurs intérêts personnels.

    Bientôt, pour en revenir à notre archipel Français, il ne restera plus que les prestations sociales pour unir des citoyens anonymes et des communautés éparses qui ne partageront plus que des transferts de richesses.

    Demain les métavers

    Le processus de décivilisation et de désaffiliation que nous connaissons n’en est pourtant qu’à ses balbutiements. Le progrès de la réalité virtuelle, matérialisé par le projet des métavers1, comporte lui aussi un risque essentiel pour ce qui subsiste aujourd’hui.

    De fait, dans une société en crise, où l’anomie s’étend de jour en jour et des individus déracinés et perdus errent sans but, le métavers semble voué à un bel avenir. Monde gratifiant, moins décevant et prévisible, dans lequel le temps passé offrira toujours un retour sur investissement, le métavers proposera du réconfort et rassurera les gens en quête de bien-être, à grand renfort de monnaie virtuelle… Cette sphère privée high-tech constituera une nouvelle forme du repli pensé en son temps par Tocqueville.

    Il y a fort à parier que le métavers sera encouragé, tant par les politiques, que par les capitalistes, qui y trouveront chacun leur compte. Le métavers permettra, un peu comme le soma décrit par Huxley dans sa célèbre dystopie, d’assurer une forme de contrôle social. Il sera une sorte de drogue pour les pauvres, les petits, les « moyens » qui y verront un exutoire dans lequel ils déverseront leurs frustrations et pourront « se réaliser », préservant ainsi la société réelle, chaotique et inégalitaire.

    Le sociologue Louis Chauvel abonde dans ce sens en écrivant que le métavers fera surgir des réalités sociales parallèles et « positives » pour les groupes sociaux les plus pauvres afin qu’ils ne souffrent pas de leurs inégalités réelles et les oublient. Aussi, le métavers permettra de vendre des choses qui n’existent pas, de façon encore plus développée ; faisons confiance à la créativité des GAFAM pour ça.

    On ferait pourtant bien de réfléchir avant d’inciter les gens à se réfugier dans le virtuel. Le désinvestissement du réel au profit du monde virtuel ne conduira pas seulement à réduire à néant ce qui reste de notre ethos, de nos mœurs et de notre civilisation, notamment sa curiosité et sa soif de connaître l’autre. Nous courons le risque de modeler le réel sur le virtuel et de mettre l’imaginaire, l’humain sous la coupe d’un univers uniforme et marchand, privant nos enfants d’un monde plus vaste et plus riche.

    Pour paraphraser un auteur célèbre, devant un écran et bientôt dans le virtuel, abêti, c’est un peu, dans chaque homme, Mozart assassiné.

    Pierre Moriamé (Site de la revue Éléments, 24 juin 2022)

    Note :

    1. Il s’agit d’un univers virtuel créé par un programme informatique et hébergeant une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars et pouvant s’y déplacer, y interagir socialement et économiquement. Ce cyberespace peut simuler le monde réel et reproduire ses lois physiques telles que la gravité, le temps, le climat ou la géographie. Les lois humaines peuvent également y être reproduites. Les entreprises américaines, en premier lieu desquelles Facebook et plus récemment Amazon, investissement massivement dans la création de métavers.

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  • Violence des antifas : sortir de la prison mentale...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une utile mise au point de Thaïs d'Escufon consacrée aux violences des milices antifas.

    Porte-parole talentueuse et courageuse du mouvement Génération identitaire, Thaïs d'Escufon développe désormais avec brio une activité de publiciste sur les réseaux sociaux.

     

                                            

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  • L'histoire de l'État russe éclaire la politique étrangère de Poutine...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Thierry Lentz, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la guerre russe en Ukraine.

    Historien, directeur de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz est l'auteur de nombreux ouvrage sur l'Empereur et le 1er Empire, dont dernièrement Pour Napoléon (Perrin, 2021). Mais, on lui doit également une enquête passionnante sur l'assassinat du président des Etats-Unis John Kennedy ainsi qu'une étude intitulée Le diable sur la montagne - Hitler au Berghof 1922-1944 (Perrin, 2017).

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    Thierry Lentz: «L'histoire de l'État russe nous éclaire sur la politique étrangère belliqueuse de Poutine»

    Poutine, on le sait, ne fait pas dans la dentelle. A l'écouter, la Russie ne fait que se défendre en envahissant l'Ukraine ; Zelensky est un brigand ; l'Amérique et son Otan veulent imposer aux Slaves un impérialisme dont la première cible est la Sainte Russie.

    Mais en face, l'heure est aussi aux slogans. Sur fond de vérités simplifiées, l'enjeu est d'obtenir l'adhésion des opinions européennes, à juste titre émues par les images d'atrocités commises contre des civils, à un soutien inconditionnel à Kiev. Une sorte de guerre juste de l'Occident par procuration.

    Ces simplifications réciproques ne doivent ni nous scandaliser ni interdire la réflexion. Même une cause légitime a besoin de slogans: c'est la guerre et l'Ukraine se bat pour son intégrité. Poutine, lui, joue son pouvoir et peut-être sa vie.

    Cependant, quand chaque camp peint ainsi la réalité à ses couleurs, quand l'enjeu n'est plus que la lutte du bien contre le mal, chaque surenchère ferme pourtant une nouvelle voie de résolution de la crise. Lorsque la guerre ne sera plus dans l'intérêt de l'un ou l'autre camp, voire des deux, les diplomates devront se dépatouiller de ces demi-vérités, de ces exagérations et de ces occultations aussi volontaires que provisoirement nécessaires de la réalité.

    Quoi qu'on puisse en penser, cette crise plonge en effet ses racines dans un passé lointain, classique interaction entre les causes profondes et les causes directes. Avoir à l'esprit les premières n'excuse rien ni personne mais permet de comprendre les problèmes dans leur profondeur.

    Les gestionnaires de l'immédiat diront que l'on s'en moque et que seuls comptent les faits et l'émotion qu'ils génèrent ; que seule doit être prise en compte la personnalité cynique et cruelle du nouveau tsar ; que l'urgence est de mettre fin à son ambition impériale. C'est évidemment nécessaire pour gérer le court terme, encore qu'on puisse exiger de nos dirigeants qu'ils aient en tête quelques notions historiques et géopolitiques pour garder la tête froide et comprendre leur adversaire, ce qui est le b.a.-ba d'une bonne négociation.

    L'histoire ne donne aucune solution directe, mais permet d'avoir en toile de fond ce qui est enraciné chez les uns et les autres, car ce qui est enraciné ne peut jamais être effacé à court terme. Voici donc quelques sujets de réflexions qui ne constituent pas des excuses pour Vladimir Poutine et sa clique. Précision importante en ces temps où le moindre mot de travers vous envoie dans la case des «complices des méchants».

    Le premier élément qu'il faut garder à l'esprit est l'importance de l'histoire dans la culture politique et populaire russe. Elle est d'ailleurs soigneusement entretenue et souvent dévoyée par les régimes successifs. Ça n'est pas pour rien que Vladimir Poutine a justifié l'attaque de l'Ukraine dans un long texte à prétention historique, une histoire à laquelle il tord le bras mais qui a un écho majoritairement positif dans son peuple.

    Dans le même ordre d'idées, on s'étonne parfois du faste déployé le 9 mai par les autorités russes pour le défilé de la victoire. Sur la place Rouge et dans tout le pays, on se souvient ce jour-là des sacrifices inouïs consentis par un peuple qui perdit sans doute près de 20 millions d'hommes et connut plusieurs centaines d'Oradour-sur-Glane. La responsabilité et les erreurs de Staline dans l'hécatombe sont noyées par la fierté et le chagrin. Ne pas le savoir ou, pour être concret, mépriser de s'y rendre pour des raisons d'actualité –comme l'a fait François Hollande en 2015 pour le 70e anniversaire -, c'est humilier non pas Poutine, mais chaque Russe individuellement.

    Et lorsque Poutine traite les Ukrainiens de «nazis», c'est ce ressort qu'il utilise, reprenant l'antienne soviétique de la complicité objective de l'Occident avec Hitler. Nos diplomates de bureau et nos chroniqueurs haussent les épaules lorsque nos ambassadeurs, leurs conseillers de terrain et les russologues tentent de le leur rappeler. Cette morgue assez courante en Occident, contribue à renforcer ce que les spécialistes appellent le «tropisme eurasien» des Russes.

    De quoi s'agit-il ? L'Eurasie est certes avant tout une réalité géographique qui veut que l'Europe et l'Asie soient un seul «continent». Mais les théoriciens et publicistes russes se sont depuis longtemps saisis de ce concept qui, selon eux, donne à la Russie une mission spéciale. C'est, après d'autres, l'idée d'Alexandre Douguine, un politologue nationaliste bien en cour auprès de Poutine, qui s'inspire en la détournant de la théorie du britannique Halford Mackinder (1861-1947). Selon eux, l'espace eurasien est appelé à s'unir autour de la Russie ou d'un axe russo-turc, complété d'alliances «asiatiques» avec l'Iran et la Chine. «Monde du milieu» pour Mackinder, l'Eurasie est ainsi «le pivot géographique de l'histoire». Douguine en tire la conclusion que seule la Russie pourrait l'unifier. Poutine y croit, et avec lui son entourage et une grande partie de la doctrine géopolitique russe. C'est le fondement théorique essentiel de l'ambition impériale.

    Selon cette doctrine, le monde non-russe a compris et craint cette importance historique de la Russie. Il y répond depuis toujours par une politique d'encerclement. Inquiets des progrès et de la puissance russes, l'Occident, la Chine et la Perse ne peuvent que s'unir pour la contenir. Et Moscou doit tout faire pour l'empêcher. Elle y répond par la diplomatie et souvent par des actions militaires. Car il est vital de «briser le siège».

    Et d'abord en Asie centrale. Les règnes de Pierre le Grand et de Catherine la Grande ont ici marqué depuis trois siècles la politique russe et soviétique, avec la conquête ou la domination des espaces kazakh et ouzbek, œuvre achevée à la fin du XVIIIe siècle. Les bolcheviques ont prolongé purement et simplement cette mainmise, au prix de sévères répressions, mal amorties par une politique des nationalités en trompe-l’œil.

    Ce schéma éclata à la chute de l'URSS avec l'accession de ces anciens dominions à l'indépendance, mais ce pôle reste aujourd'hui dans la zone d'influence russe. Poutine n'entend pas en discuter. Les dirigeants de ces pays l'ont bien compris qui, s'ils veulent la paix, doivent se soumettre aux exigences du nouveau tsar. Sur l'affaire ukrainienne, on fait quasiment silence dans ces contrées pour ne pas froisser l'ours.

    Le deuxième axe pour briser «l'encerclement» est l'alliance, toujours difficile, avec la Chine. Les relations entre les deux pays ont formellement commencé en 1619 avec la réception d'envoyés russes à la cour impériale chinoise. Jusqu'à la rupture sino-soviétique, en 1961, les deux puissances entretenaient des relations essentiellement commerciales mais plutôt amicales, à quelques accès de fièvre près. Elles se sont refroidies sous Nikita Khrouchtchev, vrai-faux déstalinisateur (ce que les Chinois n'aimaient pas), et ont abouti à un bref, mais violent conflit frontalier en 1969. Lorsque Pékin voulut se rapprocher des États-Unis, dans les années 1970, la Russie ressentit à nouveau le risque d'encerclement, d'autant qu'en Europe, l'Otan resserrait sa pression.

    Il fallut attendre la mort de Mao en 1976 pour que les tensions s'apaisent. La relance de la politique sino-russe traditionnelle a aujourd'hui abouti, même si les relations restent celles des intérêts: «partenariat constructif» en 1996, traité «d'amitié et de coopération», création de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), avec le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan pour contrer l'influence des États-Unis en Asie centrale, en 2001, etc. En décembre 2017, les deux pays se sont engagés à approfondir leur coopération militaire. Si l'on y ajoute les relations nouées entre la Russie et l'Iran, même avec difficultés, Poutine est rassuré sur son flanc est. La Chine voit dans le Donbass et la Crimée le «Taïwan» de l'hôte du Kremlin et se tient coite. Rassuré de ce côté, Poutine peut s'occuper de l'Europe.

    Catherine II a entamé il y a 240 ans le renforcement du flanc ouest de son empire en achevant la conquête des steppes situées au bord de la mer Noire. La Crimée fut annexée à l'empire en 1783. La tsarine et ses successeurs, y compris communistes, repoussèrent leurs frontières vers l'ouest grâce au partage ou à l'occupation indirecte de la Pologne, tandis que la «Petite Russie» (Ukraine) et la «Russie blanche» (Biélorussie) étaient désormais entièrement en territoire russe.

    Ces deux siècles et demi ont laissé des traces dans la façon dont ses dirigeants voient la Russie et sa place en Europe. Cette certitude a été remise en cause par l'éclatement de l'URSS. Pour les élites –Poutine n'a cessé de le répéter– et même à certains égards le peuple russe, ce fut un traumatisme: réduction du territoire, délitement de la zone d'influence, abaissement de la puissance, désastre économique, menace directe de l'Otan sans cesse élargie.

    Ils oublient trop facilement que loin de vouloir la dépecer, l'Occident a tenu la Russie à bout de bras, à coups de milliards, certes en contrepartie de l'abandon de sa politique d'expansion européenne, mais tout de même de façon décisive. N'empêche que Poutine a fait un argument de cette légende de l'étranglement par l'Occident qui a suivi l'exclusion de son pays de l'espace européen.

    L'Europe reste en ce sens un terrain essentiel de la diplomatie et des ambitions russes. Depuis Pierre le Grand et Catherine II (toujours eux), la Russie a vis-à-vis de l'occident européen une politique relativement stable, à laquelle ni les tsars du XIXe siècle, ni Staline, ni Brejnev, ni Poutine n'ont renoncé. En gros, ils ont tous voulu être considérés comme «Européens» à part entière. En plus des efforts de civilisation et de relative modernisation économique, il leur a fallu développer des ambitions spécifiques et pas toujours pacifiques. Pour être Européens, il leur fallait avancer vers l'ouest (Pays Baltes et Pologne), être accepté dans les affaires occidentales (Allemagne). Comme les unions dynastiques ne suffisaient plus, ce furent les armes qui parlèrent, avec succès à la fin du congrès de Vienne (1815) et de la Seconde Guerre mondiale. Le reflux des années 1990 a été vécu comme un drame historique.

    Autre facteur, les Russes ont toujours cherché un accès aux mers chaudes et, au premier chef, à la Méditerranée, en avançant vers les Balkans, en se frottant à l'Empire ottoman et en prenant des positions stratégiques. Que l'on regarde le nombre de conflits russo-turcs, jusqu'à la fin du XIXe siècle pour se convaincre de ce projet. Après d'autres tentatives manquées à Malte (1800) ou dans les îles ioniennes (1807-1815), des guerres incessantes pour les Détroits et, finalement, l'apaisement russo-turc, ils obtinrent les bases tant souhaitées en Syrie, à Tartous et Hmeimin. Le soutien de Poutine au dictateur syrien trouve ici aussi de profondes racines historiques, spécifiquement russes et non issues d'une pseudo-ligue des dictateurs. Nul n'en a tenu compte. Pis, les Américains prétendaient expulser les Russes de ces points essentiels en Méditerranée.

    L'histoire n'est décidément pas que le passé, on peut s'en apercevoir au travers de ce bref et –ô combien– incomplet panorama de l'histoire diplomatique russe. Au moment du règlement du conflit actuel, s'il sera nécessaire évidemment de rétablir l'Ukraine dans ses droits (et aussi ses devoirs, auxquels elle a parfois manqué), il ne faudra pas non plus négliger les facteurs géopolitiques et historiques. La nostalgie de la grandeur de l'Empire des tsars et de l'Union soviétique, le traumatisme des années 1990, la réalité séculaire des zones d'influence, l'accueil de la Russie dans une Europe stabilisée pour éviter de la pousser vers l'est devront servir de toile de fond aux négociations.

    On conçoit bien que ces impératifs fleurent la quadrature du cercle. Ils n'en sont pas moins à prendre en compte. Car après Poutine, un autre viendra, qui ne changera pas l'histoire de la Russie.

    Thierry Lentz (Figaro Vox, 5 juillet 2022)

     

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