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Points de vue - Page 73

  • L'instauration d'un passe vaccinal annonce-t-elle un futur digne d'une dystopie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Thibault Mercier, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la mise en place du passeport vaccinal. Avocat et président du Cercle Droit & Liberté., Thibault Mercier est déjà l'auteur de Athéna à la borne (Pierre-Guillaume de Roux, 2019).

     

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    Thibault Mercier: «L'instauration d'un passe vaccinal annonce-t-elle un futur digne d'une dystopie ?»

    Si les Anciens sont de bon conseil en politique comme nous le rappelle Michel De Jaeghere dans son remarquable Cabinet des antiques[1], c'est plutôt du côté de la littérature d'anticipation qu'il nous faut nous tourner ces jours-ci pour tenter de comprendre le nouveau monde qui se dessine sous nos yeux après que Jean Castex a annoncé vendredi dernier que « désormais seule la vaccination sera valable pour le passe ».

    Mettons de côté le fait que cette déclaration soit - s'en étonne-t-on encore ? - en contradiction avec les engagements passés du gouvernement et que l'emploi de l'indicatif dénote le peu de considération que porte le Premier ministre au processus démocratique, car plus graves encore seront les conséquences de cette mesure sur la société française, à rebours de ses principes les plus fondamentaux.

    Dans Demolition Man, film de science-fiction sorti en 1993, Sylvester Stallone se réveille, après 70 ans d'hibernation forcée, dans un monde aseptisé duquel a été éradiquée toute violence. La liberté individuelle y est réduite à la portion congrue, l'argent a été remplacé par des crédits virtuels et l'hygiène est une préoccupation de chaque instant : les gestes barrière s'appliquent avec rigueur, les embrassades et l'acte sexuel ont été mis hors-la-loi, car trop risqués (sauf avec un casque de réalité virtuelle…). Dans ce Meilleur des mondes au sein duquel le Bien est réduit au bien-être et le politique à la seule question des intérêts matériels individuels, les hommes libres ont été contraints à l'exil et vivent désormais sous terre pour avoir le droit de « faire du cholestérol et lire Playboy ».

    Bien que la France de 2021 ne ressemble évidemment en rien à cette dystopie, son auteur nous invite néanmoins à nous interroger sur le sort que nous réserverons, demain, aux non-vaccinés et, après-demain, à ceux qui refusent la médicalisation à outrance de leur vie. Seront-ils eux aussi frappés d'ostracisme dès janvier prochain ? Les laissera-t-on tomber dans la misère ? La question n'est pas qu'hypothétique alors que l'université d'Orléans soumettait la semaine dernière la distribution d'une aide alimentaire d'urgence à ses étudiants à la présentation d'un passe sanitaire valide…

    À l'instar du maire de Nice déclarant que lever l'obligation du passe sanitaire reviendrait à donner aux non-vaccinés le droit d'aller tuer leurs concitoyens, nous assistons depuis plusieurs semaines à des violences symboliques inouïes à leur encontre dont on ne mesure pas encore les effets désastreux qu'ils charrieront sur la concorde nationale. Et ce, alors même que les vaccins n'auraient que peu d'effet sur la transmission du virus et que seules certaines populations bien identifiées risquent de subir des complications en cas d'infection.

    Après la fin de la gratuité des tests en octobre et la réduction de leur durée de validité à 24h au début du mois, toutes deux validées hypocritement par le Conseil d'État refusant d'y voir une obligation vaccinale indirecte, la croisade contre le non-vacciné s'intensifie. Et ce dernier semble être devenu le bouc-émissaire de l'Exécutif, lui permettant de se défausser de l'échec de sa politique sanitaire.

    Sous la menace du variant Omicron, l'instauration d'un abonnement vaccinal devrait donc être débattue prochainement devant la représentation nationale. Ce sont ainsi non seulement la culture, nos visites familiales en dehors de notre région et nos vies sociales qui seront soumises à la vaccination, mais aussi peut-être le droit de travailler[2] ou encore l'accès à l'hôpital public. Oserait-on encore rappeler les principes d'inviolabilité du corps humain et de consentement libre et éclairé aux actes médicaux forgés avec douleur au sortir de la Seconde Guerre mondiale ?

    Si tant l'aveuglement du gouvernement dans une politique du tout vaccinal qui paraît bien en peine à endiguer l'épidémie (le vaccin étant, semble-t-il, partiellement inefficace contre le variant Omicron) que l'énième estocade portée contre nos libertés individuelles et collectives doivent être dénoncés, c'est aussi l'avènement de cette nouvelle société sanitaro-collectiviste qui peut inquiéter.

    Outre la sortie de notre superproduction hollywoodienne, l'année 1993 marque également la parution par Edouard Limonov de son « Grand hospice occidental » dans lequel il brosse le portrait acerbe de l'homo hospitius : malade chronique ayant renoncé volontairement à sa liberté pour se placer servilement sous la coupe de l'Administration. Ayant bien perçu que l'exercice brutal du pouvoir par le contrôle et la coercition décrit dans 1984 n'avait plus la faveur des Gouvernements occidentaux, l'écrivain et dissident russe y remarque que ces derniers lui préfèrent désormais une gouvernance soft, expurgée de toute violence apparente et au contrôle social plus diffus. Dans cet « hospice sagement géré », les « malades sous sédatifs » sont choyés par l'Administration, le plaisir n'est que satiété morne et monotone et la société s'apparente à une ferme où les animaux sont élevés en batterie à la lumière artificielle, à la seule différence que les humains ne sont pas envoyés à l'abattoir, mais la maison de retraite.

    Au-delà de l'outrance de la satire, ne sommes-nous pas en train de sombrer vers cette civilisation de Malades, au vu de notre acceptation docile des mesures les plus contradictoires et farfelues depuis plus de 18 mois imposées « pour notre bien et notre santé » ?

    Et Limonov de s'interroger « si une certaine dose de souffrance, de douleur et de lutte était la condition nécessaire du bonheur d'un être humain ? » Après bientôt deux ans à déléguer aux blouses blanches non seulement la gestion de la maladie, mais aussi celles de nos vies et de notre société, aborder sereinement ces enjeux dans le débat public semble plus que jamais nécessaire.

    Thibault Mercier (Figaro Vox, 20 décembre 2021)

     

    Notes :

    [1] Le Cabinet des antiques, Michel de Jaeghere, Les Belles Lettres, 2021.

    [2] Olivier Véran ayant confirmé samedi que la mise en place du passe était à l'étude pour l'accès au lieu de travail.

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  • Le Grand Rabougrissement ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mahaut Hellequin  cueilli sur Flamberge et Belladone et consacré à une critique de l'intérieur de la mouvance de droite. C'est drôle, insolent, mordant... et donc pour une part profondément injuste, mais c'est à lire !

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    Le grand rabougrissement (M.E.G.A)

    Une dégénérescence frappe les extrêmes : le Grand Rabougrissement.
    On constate en effet depuis une dizaine d’années le rétrécissement des idéaux et de l’éthique des deux bords politiques (non le clivage n’est pas dépassé, oui il s’efface dans certaines luttes transversales), et ce d’autant plus que l’on s’éloigne du centre.
    A droite surtout l’idéal civilisationnel se réduit aux proportions d’une publicité des années 1950, l’idéal esthétique à des copies diminuées, l’idéal moral à du signalements de vertu catholique pour salauds sartriens. La gauche n’est pas indemne : la chouinerie y a remplacé le terrorisme, les vaines festivités la grève générale, l’ordre moral mesquin l’anarchie.
    Une constatation d’échec s’impose, mais n’est que le premier goût, amer, du remède.

    A première vue, la gauche semble mieux s’en sortir : elle a conservé son internationalisme universalo-fraternel qui veut que Boubakar ait toute légitimité pour cloîtrer ses trois femmes et voiler des douze filles sur le sol Européen et Camille l’obligation morale de se sentir solidaire des Ouighoures et autres Afghanes. C’est grand. C’est crétin, mais c’est sans frontières.
    Elle a conservé sa foi dans un Progrès à la fois technologique et moral qui permettrait bientôt de faire disparaître tout préjugé à l’encontre de Frank et Théo, parents grâce à l’androgénèse assistée par utérus portatif (chacun pouvant le porter à tour de rôle contre la peau nue de son ventre _ il y a un brevet à déposer). C’est ambitieux. C’est absurde, mais c’est innovant.
    Elle a conservé son énergie révolutionnaire en créant de nouveaux concepts pour entreprendre un renversement civilisationnel radical qui décrète la laideur parfaite (ou plutôt « djeuste peurfècte, couine ») et la beauté fasciste. C’est avant-gardiste. C’est satanique mais c’est grandiose et infiniment reproductible (car valant pour la stupidité contre le privilège d’intelligence – dont la mesure serait raciste et classiste ; pour l’incivilité urbaine contre l’habitus raciste de la courtoisie ; pour le crime contre la petite bourgeoisie de l’attachement la propriété ; pour le viol contre la transphobie des lesbiennes… ad nauseam…).

    Ainsi attendrait-on, si elle avait été aussi conservatrice que la gauche, une droite conquérante, chevaleresque, élitiste, élégante… Si l’on demande à la gauche un portrait robot des tares de droite on trouvera la domination, l’ordre, la rigueur, l’impérialisme, la raison d’état, la tenue (pour cacher, on s’en doute, d’infâmes turpitudes), c’est à dire un méchant doté malgré tout d’une grandeur non nulle, le type qu’on aime affronter en fin de jeu ou de film et qui devient légendaire par sa noirceur (et son bel uniforme).
    Si la droite ressemblait à ce croque-mitaine elle serait un rien moins pathétique que le spectacle qu’elle offre quotidiennement.
    Oui, si la gauche a su préserver son feu (que celui-ci soit gnostico-prométhéo-satanique est une autre question) la droite s’étiole dans le culte des cendres.

    En effet qu’a-t-on (d’Utique) en place de ce terrible conquistador ?

    On a, depuis quelques années, un rabougrissement général autour d’une nostalgie de boomeur, d’acquis théoriques périmés jamais remis en question, de formules toutes faites qui tournent en boucle depuis les années 1970 quand ce ne sont pas les années 1930 dont les intellectuels font désormais figures de gourous indépassables.
    La droite se paie de mots et, grenouille triste, se représente par mille déclarations d’intentions, bréviaires, programmes et manifestes comme un puissant taureau.

    Il est question d’élitisme quand ses références historiques sont obsolètes depuis des décennies non à cause d’une censure politiquement correcte mais à cause de l’avancée de la recherche ; quand ses synthèses sur les questions scientifiques sont partisanes et conduites par des personnes soit intellectuellement incapables d’avoir accès aux sources premières soit psychologiquement incapables de les considérer avec objectivité ; quand ses productions artistiques sont accueillies et promues par amitié et complaisance et dépit de leur valeur réelle ; quand, enfin, aucun concept n’est défini, fort peu de termes bien employés, ce qui n’empêche pas la masse de les scander avec ferveur, chacun remplissant leur plasticité de ses fantasmes particuliers (on pense aux fameuses « valeurs traditionnelles », au « surhomme » etc.).

    Il est question de Tradition quand celle-ci a pour horizon indépassable la nostalgie des années 1950, ses images publicitaires et illustrations populaires. La « famille traditionnelle » pour laquelle tous combats doivent être menés n’est que la vision sentimentale d’une nucléarité bourgeoise mise en avant au XVIIIème siècle par les Lumières (si décriées par ceux qui la défendent) et qui s’est imposée comme idéal à travers la Révolution. Et cela ne serait pas un problème si on n’essayait pas de faire porter sa cause à l’Histoire : on peut très bien avoir des idéaux qui aient moins de cinq cents ans, moins de trente, moins de deux, même, pourquoi chercher autre caution que leur essence propre ? Deux siècles et demi n’est pas le temps de la Tradition (il est paradoxal de devoir rappeler que l’histoire des mentalités, des rôles sociaux et de la famille ne commence pas en 1789) ni le pompidolo-gaullisme l’état parfait et abouti d’un corps social qui n’en devrait plus bouger (ou seulement en remplaçant la bourse par des corporations).

    Il est question de conquête quand les usuels tribuns portent un discours d’assiégés agis par leurs adversaires, de pure réaction aux offensives ; quand personne ne propose de voie nouvelle, d’idée, de système, de champ nouveau ; quand seuls deux esprits fantasques (dont l’un est mort) proposent des univers archéofuturistes pleins d’enthousiasme et d’énergie, projetant des archétypes ancestraux vers leurs métamorphoses futures. On se passe en boucle les disques de la Nouvelle Droite depuis cinquante ans : trop souvent, les originaux sont rayés et les reprises manquent de souffle comme de fond.

    Il est question d’élégance et d’esthétique quand chacun se vêtit comme son milieu l’exige, comme ses influenceurs le réclament, des clones en gazelles, jean, t-shirt péchu fait en Chine mais floqué en France aux mauvais cosplays de Peaky Blinders , pantalons étriqués et vestes moulantes, en passant par les sempiternels lodens et robes à fleurs, ce qui serait fort bon si cela correspondait à une recherche personnelle et non à un uniforme de classe qui permet « d’en être » et de se débarrasser d’une question qui n’importe finalement que quand il s’agit de mépriser ceux qui ont choisi d’être d’ailleurs ou d’être à eux-même.

    Il est question d’aristocratie de l’esprit et de lutte contre les « valeurs bourgeoises » quand les affinités se font avant tout par milieu, par souci du qu’en dira-t-on, par potentiel ou capital estimé, quand on cultive un entre-soi centré autour de l’éducation des enfants et de la préservation et acquisition du patrimoine, quand on méprise ou craint les bohèmes et les marginaux, bref, quand règne l’esprit Verdurin. On veut fonder l’aristocratie nouvelle sur l’audace et l’indépendance d’esprit et on piétine inlassablement sur les sentiers battus de la pensée de telle barbe du XXème siècle, on se gargarise des aphorisme du Grand Homme autorisé (lequel diffère selon le groupuscule), on crée des chapelles autour de Maîtres dont il va de soi qu’ils écrivent d’or chaque ligne.

    Il est, enfin et surtout, question de chevalerie, de discipline et de tenue morale quand les excités de la dévirilisation se caractérisent d’abord par la fragilité de leurs nerfs et l’hystérie de leur ton ; quand les prêcheurs les plus médiatiques des « valeurs traditionnelles » (que l’on est toujours bien en mal de définir) offrent en public, ou cachent habilement, des pratiques incompatibles avec leurs discours sur la famille et la parole donnée ; quand on ne définit son éthique qu’en creux, par l’inversion turbulente du nouvel ordre moral de gauche. Ainsi au lieu d’hommes impeccablement violents dans le combat et impeccablement courtois en société (l’idéal chevaleresque contrebalance l’extrême brutalité épée en main par l’extrême douceur dans le service _ mot important _ des civils, des dames et des faibles) il est devenu tendance d’être impeccablement médiocre dans son agir et impeccablement mufle dans son parler. Une certaine droite semble s’être donné pour mission d’incarner les caricatures les plus viles tendues par la gauche, du basket of deplorables au kéké de plage ( chad ) ou fratboy odieux, toutes tendances venues des États-Unis. La mode contrarienne glorifie ainsi l’inversion des valeurs chevaleresques : il faut être moqueur avec les pauvres, méprisant avec les faibles, cruel avec ses semblables, médisant avec tous, discourtois avec les femmes ; il faut cracher sur la charité (si possible en insultant un clochard), souiller l’environnement (et jeter ses mégots au sol, car évidemment il faut fumer), frapper les freluquets isolés (bonus si on se filme le faisant avec une diction de racaille). Être un parfait soudard de papier associé à un parfait cultivateur d’hémorroïdes de bureau. Devenir une merde pour le seul panache de donner des nausées à la gauche. Devenir, par anti-sartrisme, l’incarnation même du Salaud.
    Et, ce faisant, afficher un catholicisme d’opérette tridentine.

    Ayant annexé la morale dans sa lutte contre toute domination, c’est bien la gauche qui semble désormais jouer le rôle du chevalier défendant l’orphelin (en priorité d’importation) et la veuve (singulièrement celle du brigand), étatisant la charité et résumant la courtoisie à une novlangue politiquement correcte. Mais elle aussi a perdu en superbe.

    Devenue chasse gardée d’urbaines véganes du tertiaire, de peubo (petites-bourgeoises bohêmes), sa radicalité s’est dissoute dans la consommation et le confort et elle se réduit la plupart du temps à veiller et dénoncer, si possible derrière un Mac dans un café biovégé. Parfois des rendez-vous sont donnés IRL pour une action collage-insta ou une chorégraphie américaine (latine ou afro-étatsunienne). Les Black Blocks sont principalement là pour le folklore et emmerder les PME en brisant leurs vitrines, les antifas pour économiser le prix d’une domina en se faisant later gratos par des zouaves en gazelles. On va twerker devant tel ministère, saccager telle succursale de quartier d’une quelconque banque mais surtout laisser tranquilles les sièges des média, des GAFAM, de Monsanto, ne pas toucher aux data centers. On va massivement emmerder le monde aux repas de famille plutôt que prendre tel PDG en otage.
    La violence est passée de l’intensité ciblée à une généralisation de la cassecouillerie geignarde, du cobra au moustique.

    Les manifestations, elles, se dissolvent dans la répétition et l’inéluctable folklorisation au bout de six itérations : la grève générale, le bon gros blocus à échelle nationale sur plusieurs jours, semble impossible. Serait-ce parce que les syndicats ont passé les vingt dernières années à cultiver les divisions identitaires et réclamer des mesures esthétiques à base de porc ou de son absence et de congés halaux (pluriel de halal) plutôt qu’à entretenir une solidarité et une sociabilité ouvrières ? Ce serait en tout cas la réponse pré-pensée de la droite.

    Enfin et surtout, le rabougrissement le plus flagrant, celui qui fait le plus honte à la gauche historique, est sa transformation en petite ligue de vertu chiante qui scrute avec mesquinerie la compatibilité de toute vie et de toute œuvre avec la dernière édition de son credo. Cette gauche qui subissait la censure en a pris le contrôle avec hargne, celle qui réunissait les proscrits est désormais l’origine de tout bannissement, celle qui, avec Brassens, se réjouissait d’avoir « mauvaise réputation » mène des campagnes de communication pour détruire la réputation d’écrivains et de saltimbanques divers et ne présente jamais la moindre excuse quand elle a frappé à tort.

    Face à ce consternant tableau, que faire ?

    Tout d’abord se réjouir : le plus pénible est passé et la joie peut accompagner la reconstruction (c’est en général le moment où on perd la gauche qui se satisfait des choses déconstruites, c’est à dire des friches ou des ruines).
    Une fois n’est pas coutume, détournons une formule états-unienne : Make Extremes Great Again. Quoi de mieux que le « MEGA » pour lutter contre le minirabougri ?
    L’important n’est pas extremes : le centre aussi ou les bords mous peuvent avoir ambition de grandeur ; c’est encore moins again : il faut inventer et non imiter, regarder en avant, non en arrière et, tel Golgoth, créer sa piste là où il n’y a plus de route ; l’important c’est évidemment great. Pas minable, pas petit : pas dissimulateur de lames de rasoir dans les autocollants, pas bastonneur de demi-portions, pas aigri moqueur des internets, pas harceleur grégaire, pas consommateur gâté pressé de gagner un point de morale sur le dos des créateurs qui ont enchanté son enfance, pas censeur des voix opposées, pas aveugle volontaire à tout ce qui dérange son safe space mental.


    Voici donc, en synthèse à emporter dans sa poche ou entre deux neurones, le manifeste MEGA (où du nom que vous voudrez bien lui donner) :

    Soyons grands !

    Choisissons la création, non la réaction. Traçons notre propre route, créons nos propres concepts. Que nous importe de répondre aux questions d’actualité, aux injonctions du camp d’en face ? Ne nous laissons sommer ni par le quotidien ni par nos adversaires : créons l’actualité, définissons les enjeux de demain, inventons une voie dans l’espace vierge.

    Choisissons l’exigence, non la complaisance. Exigence envers soi-même, mais laissons aussi l’œil sévère et objectif de nos camarades nous aider et en retour sachons dire à ceux de notre bord ce qui doit être revu, retravaillé, repensé, comme ce qui n’aurait pas dû se produire. Soyons exigeants dans nos œuvres intellectuelles et artistiques comme dans notre tenue. Sachons condamner notre propre bord plus fermement encore que celui d’en face puisqu’il nous est plus cher. Soyons maîtres de nous avant que d’essayer de l’être de l’univers,

    Choisissons l’audace, non la reproduction. Osons allez où nos pairs rechignent, osons mettre sur la table ce qui circule à bas bruit, osons nous extraire du nid familier, du poêle ronronnant, osons regarder de l’autre côté de la colline. Et si les plantes qui poussent de l’autre côté de la colline peuvent nous être profitable, peuvent être admirables, sachons le reconnaître et en faire usage. L’objectivité doit dépasser la partisanerie et les vertus cultivées pour elles-mêmes sans se soucier de leur étiquette du moment. Quand bien même l’entièreté de notre chapelle nous donnerait tort, sachons faire confiance à notre propre pensée et poursuivre notre propre quête.

    Choisissons la gratitude, non la plainte. Gratitude envers ce que notre temps nous offre de bon et d’agréable, envers ce qui nous a élevé, nous a ému ou ravi, envers tous les facteurs et les personnes qui nous permettent d’être qui l’on est aujourd’hui. La facilité est de rejeter, de condamner, de se plaindre de l’ici en idéalisant un ailleurs temporel, géographique ou idéal. Il faut reconnaître les bienfaits dont on profite, même venus de ce que l’on condamne idéologiquement.

    Choisissons la grandeur, non le calcul. Soyons fidèles à ce qui ne passe pas : la vérité, la justesse, le bien agir, la beauté et non soumis à d’éphémères intérêts de groupuscule ou de camp. Qu’importent les conséquences de votre prise de position ou de votre action sur l’opinion d’autrui, de votre camp ou d’un autre, pourvu qu’elle soit juste ? Pensons large, agissons avec générosité.

    Associons la plus grande violence à la plus grande bonté. Que la main droite combatte et que la main gauche serve et honore. Rejetons les demi-mesures : il faut être extrêmement violent dans son corps et dans sa pensée et extrêmement doux dans son service des humbles, des faibles et de nos pairs. Il faut détruire ce qui nous menace sans l’insulter, tuer sans déshonorer, dominer sans brutaliser, et hors de la lice ou du ring, tel le plus grand roi, servir en souriant.

    Et moi, ayant pensé cela, j’aurai autant de mal à l’appliquer que vous, autant de mal à sortir de mon propre rabougrissement, l’observateur n’échappant pas à l’observation. Mais nous nous efforcerons, chacun et ensemble, à être chaque jour moins minable que la veille.

    Mahaut Hellequin (Flamberge et Belladone, 5 décembre 2021)

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  • La remigration, c'est possible !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Klaas Malan cueilli sur Polémia et consacré aux expériences historiques variées de remigration...

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    La remigration, c'est possible !

    La remigration, précédents historiques depuis 1914

    Le XXe siècle a largement été un siècle de remigrations, aussi bien échanges forcés de populations en vue d’assurer une certaine forme d’homogénéité raciale, ethnique ou religieuse, qu’expulsions vers leurs pays d’origine (réels ou mythiques) de populations parfois installées sur place depuis des siècles.

    Dans tous les cas, les dynamiques de remigration possèdent trois caractéristiques communes : un changement démographique structurel de masse (en nombre ou en pourcentage), un déroulement rapide et systématique des opérations, et un état de fait irréversible sur le terrain.

    Les remigrations au XXe siècle ont constitué un phénomène démographique assimilable à une sorte de dynamique de flux et de reflux de populations, en fonction des cycles de puissance et de faiblesse des entités politiques dirigeant les territoires concernés. Elles ont concerné une grande partie du globe, en plusieurs séquences historiques successives.

    Les remigrations dans l’Europe

    Sorte de répétition générale de ce que l’historien Ernst Nolte appelait la « Deuxième Guerre de Trente Ans » européenne (1914-1945), 50 000 Bulgares sont expulsés de Macédoine et de Thrace orientale en 1913, à l’issue de la Deuxième guerre balkanique lorsque Grecs, Roumains et Serbes disputent aux Bulgares les dépouilles européennes de l’Empire ottoman vaincu l’année précédente lors de la Première guerre balkanique.

    Après la Première Guerre mondiale, la guerre reprend entre la Grèce et la Turquie de Mustafa Kemal. En 1923, les Turcs victorieux regagnent au Traité de Lausanne les territoires d’Asie Mineure cédés aux Grecs en 1920. Ils organisent alors une remigration/expulsion massive de Grecs (installés sur place depuis 2600 ans) vers la Grèce : 1,5 million de Grecs sont expulsés tandis que fuyant prudemment les représailles, 500 000 Turcs quittent la Macédoine et l’Épire pour se réfugier en Turquie. C’est la « Grande Catastrophe » …

    Après la Seconde Guerre mondiale, c’est au tour d’autres vaincus de subir l’expulsion : dans le Gôtterdämmerung, 14 millions d’Allemands sont expulsés d’Europe centrale par les autorités slavo-communistes soviétiques, polonaises, tchécoslovaques et yougoslaves. La revanche des Slaves sur les Germains… Au moins 2 millions de ces Allemands meurent sur les routes, harcelés par les populations slaves qui les remplacent dans des territoires de l’Est conquis depuis le Moyen Âge par le glaive germanique. De même, 420 000 Finlandais sont expulsés de Carélie par les Soviétiques, et se replient vers la Finlande, en 1945…

    Enfin, les deux séquences de recomposition de l’espace post-communiste est-européen, constituent les derniers grands épisodes de remigration en Europe. Après l’effondrement soviétique en 1991, sur les 25 millions de Russes ethniques qui vivaient dans les autres républiques, une dizaine de millions (les « pieds-rouges ») sont contraints d’évacuer les Républiques musulmanes d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan…) et de se réfugier en Russie même, victimes de l’intolérance des populations locales, turcophones et musulmanes ; tandis que les trois guerres yougoslaves (de 1990 à 1999) sont marquées par des nettoyages ethniques entre populations serbes, croates, bosniaques ou albanaises : en 10 ans, au moins 2,5 millions de personnes sont expulsées définitivement des zones de guerre.

    Les remigrations des décolonisations (1947-1962)

    Le cycle des décolonisations d’après la Deuxième Guerre mondiale, est marqué, lui aussi, en Asie, comme en Afrique, par une série de remigrations, qui permettent aux nouveaux États de créer les conditions d’une plus large homogénéité raciale et religieuse.

    Ainsi, immédiatement après leur indépendance de la Grande Bretagne en août 1947, l’Inde hindoue et le Pakistan musulman procèdent à des déplacements/échanges forcés et massifs de populations, à cause de violences interreligieuses au cours desquelles deux millions de personnes perdent la vie. En quelques mois, environ 15 millions de personnes changent de pays : les deux tiers sont expulsés du Pakistan (à l’époque divisé en eux : le Pakistan oriental deviendra indépendant du Pakistan occidental sous le nom de Bangladesh en 1971), l’autre tiers est expulsé d’Inde.

    Quelques mois plus tard, la création d’Israël entraîne l’expulsion de 750 000 Palestiniens de leurs terres (ce que les Palestiniens appellent la Nakba ou Catastrophe, avec le même sens que le mot hébreu Shoah), donnant naissance au problème des réfugiés palestiniens, dans les Territoires occupés et dans les pays arabes voisins. Dans le même temps, 800 000 Juifs (parfois installés sur place depuis l’Antiquité) quittent entre 1948 et 1962 les pays arabo-musulmans, expulsés, ou quelquefois rapatriés par le gouvernement sioniste lui-même. Sur ces 800 000 Juifs, environ 550 000 émigrent en Israël, les autres aux USA ou en Europe. En Afrique la décolonisation sert de cadre à la re-migration des Blancs installés sur place à l’époque de la grandeur coloniale européenne. En 1956, 400 000 Européens (en majorité juifs d’ailleurs) quittent le Maroc et la Tunisie, protectorats français devenus indépendants, tandis qu’à l’été 1962, c’est un million d’Européens, les Pieds-noirs, qui quittent l’Algérie en catastrophe, en ayant le choix entre « la valise ou le cercueil », après une Guerre d’Algérie aux conséquences humaines désastreuses et dont le « deuxième round » se prépare aujourd’hui, sur le sol français même, à l’ombre des barres d’immeubles des cités à population musulmane…

    Dans le même temps, 110 000 Belges quittent le Congo en 1960-1961, menacés par les machettes des indépendantistes noirs ivres de revanche raciale, tout comme les Retornados portugais expulsés en 1975 par les communistes noirs victorieux en Angola et au Mozambique après la guerre de décolonisation (1961¬1975) et la Révolution des Œillets au Portugal. Environ 400 000 Retornados se réfugient en catastrophe au Portugal, dont certains lors d’un pont aérien dramatique organisé par l’armée portugaise pour les évacuer vers la Métropole, tandis que 200 000 autres, plus politisés à l’extrême droite, se réfugient dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. Une Afrique du Sud blanche/refuge, où après la chute du pouvoir blanc de Ian Smith en 1979, 250 000 Blancs de Rhodésie (devenu Zimbabwe) émigrent durant les années 1980-1990, lassés d’être assassinés par des Noirs aux ordres d’un Président marxiste et raciste antiblanc, Robert Mugabe.

    Remigrations en camion militaire

    Parfois, les remigrations s’effectuent souvent en camion militaire. Ainsi, après l’invasion par l’armée turque du nord de Chypre en juillet 1974, 200 000 Chypriotes grecs sont expulsés par les forces d’occupation, afin de laisser 38% de l’île aux Chypriotes turcs (20% de la population de toute l’île), renforcés par des colons tucs d’Anatolie dans une République turque de Chypre du Nord uniquement reconnue par Ankara, qui verse son propre trop plein démographique dans l’île et verrouille politiquement une position stratégique-clé en Méditerranée orientale.

    De même, après la « Marche verte » de dizaines de milliers colons marocains vers le Sahara occidental en 1975, organisée par le gouvernent marocain lui-même, l’Algérie du FLN, hostile au Maroc du roi Hassan II, réplique en représailles par une « Marche noire» : le Président algérien le colonel Houari Boumediene, fait expulser quelques jours plus de 350 000 Marocains, parfois installés en Algérie (en particulier dans l’ouest du pays, mais aussi à Alger) depuis des générations.

    En janvier 1983, pour des raisons économiques – mais aussi démagogiques, en vue de préparer les élections présidentielles – et dans un élan patriotique xénophobe, le Président du Nigéria, Shehu Shagari, donne 15 jours aux immigrés illégaux pour quitter le pays : 1,5 million d’étrangers en situation irrégulière qui ne sont pas partis d’eux-mêmes sont ainsi expulsés par camions militaires, vers les pays voisins, Ghana, Bénin, Togo et Cameroun.

    Enfin, lassé du conflit dans la Province de l’Arakan (depuis les années 1960 et surtout en 2016-2017), où les Rohingya – des musulmans importés de l’actuel Bangladesh par les Britanniques à l’époque coloniale – veulent proclamer leur indépendance, le gouvernement du Myanmar (ex-Birmanie), bouddhiste, décide en 2018 d’expulser ces indésirables inassimilables. En quelques semaines, environ un million de Rohingya sont expulsés par l’armée vers le Bangladesh, et l’ordre est rétabli en Arakan.

    Klaas Malan (Polémia, 13 décembre 2021)

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  • HP Lovecraft, rêveries contre le monde moderne...

    Nous reproduisons ci-dessous un article cueilli sur le site de la revue Rébellion et consacré à l’œuvre de H. P. Lovecraft, notamment sous l'angle de son pessimisme face à une modernité jugée profondément décadente.

    Voilà qui devrait donner envie de se (re)plonger dans l'univers inquiétant de l'auteur alors que la première publication intégrale  de son œuvre de fiction débute aux éditions Mnémos en janvier 2022, dans une nouvelle traduction unifiée, complétée par un appareil critique conséquent, établi avec le concours des meilleurs spécialistes du maître de Providence. Cette intégrale comportera également un tome avec une sélection de lettres.

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    HP Lovecraft, rêveries contre le monde moderne

    « Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions dans cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge des ténèbres. »

    Cette citation quasi prophétique tirée de « L’Appel de Cthulhu » est un avertissement. Un avertissement d’actualité à un moment de l’Histoire où l’humanité fait face à une fuite en avant techniciste qui tend à repousser ses propres limites : recherches sur le génome humain, clonage, organismes génétiquement modifiés ou doctrines transhumantes (théorie de la confusion des genres) sont autant de menaces qui contrairement au « panthéon occulte » créé par l’auteur, sont belles et bien réelles.

    Panthéon occulte

    Ce « Panthéon occulte » est l’un des piliers majeurs, si ce n’est le pilier majeur de l’œuvre de Lovecraft. Reflet d’une civilisation a priori archaïque demeurant au-delà du temps, Il est une boîte de Pandore qui une fois ouverte engendrera des conséquences le plus souvent funestes. Nyarlathotep, Yog-Sothoth, Azathoth, Dagon et Cthulhu, autant d’entités, de Dieux vénérés par des cultes remontant à des temps immémoriaux ayant su demeurer dans le secret. Une constante des œuvres de l’auteur est la rupture de ce secret, le héros principal et/ou les protagonistes de l’histoire vont entrevoir ou être témoins d’évènements bizarres, à la limite du surnaturel qui vont bien entendu éveiller leur curiosité. Et c’est bel et bien cette faculté qui va causer la perte du héros principal, voire de l’humanité toute entière : « Il y a des horreurs, aux frontières de la vie, que nous ne soupçonnons pas, et de temps à autre, la funeste curiosité d’un homme les met à portée de nous nuit ». La curiosité va donc être l’un des facteurs déterminant de l’histoire car elle va faire basculer un destin dans l’horreur comme pour Françis Weyland Thurston, héros principal de « L’Appel du Cthulhu » et anthropologue, qui va reprendre l’enquête effectuée par son grand-oncle décédé, après avoir découvert un bas-relief représentant une créature hideuse accompagnée de hiéroglyphes inconnus.

    Lovecraft est célèbre pour avoir su créer un univers qui lui est propre : les créatures et les Dieux mentionnés plus haut sont les exemples les plus représentatifs. Mais citons également des lieux importants, comme la répugnante Innsmouth, une ville qui cache un terrible secret ou bien encore Arkham et son université la Miskatonic University. On retrouve également, et ce dans l’œuvre globale de l’auteur, un corpus de livres maudits. « Le Cultes des Goules », « Pnakotiques », « L’Unaussprechtlichen Kulten » ou le fameux « Necronomicon », des livres avec une histoire qui est propre à chacun d’entre eux, et parfois des détails fournis quant à leurs auteurs. Si bien que nombre de débats eurent lieu quant à l’existence de ces livres ! C’est notamment le cas pour le « Necronomicon », un livre emblématique de ce que certains nomment le « mythe de Cthulhu » et qui est très souvent mentionné dans les nouvelles de Lovecraft mais également au-delà (on le retrouve par exemple dans le film « Evil Dead »). Les nouvelles de Lovecraft obéissent donc à un schéma bien particulier qui demeure le plus souvent inchangé, le tout ancré dans un véritable paradigme qui plonge le lecteur dans cet univers qui a rendu son auteur célèbre. Le fond comme la forme sont indissociables et unis dans l’horreur grâce d’une part à l’univers développé ainsi qu’au cheminement de l’histoire, véritable descente en enfer qui se solde presque toujours par la folie ou la mort…

    Une humanité dépassée

    L’image de Lovecraft est en général celle d’un homme replié sur lui-même. Certes c’est un auteur tourmenté mais néanmoins, quand on s’y penche d’un peu plus près, on se rend compte que l’homme en question est bien plus ouvert au monde qu’il n’y paraît. On sait maintenant que Lovecraft était intéressé par les sciences et notamment l’astronomie. Cet aspect de sa personnalité est présent à travers toute son œuvre, cependant il est bien plus que ça. En effet, son œuvre reflète la réalité d’une époque, à savoir un dualisme d’une part entre la Science, qui monte en puissance grâce à de nombreuses avancées (découverte du quantum d’énergie par Max Planck en 1900, théorie de la relativité d’Albert Einstein en 1905, ou encore la découverte de galaxie en dehors de la nôtre par Edwin Hubble en 1924), et de l’autre un pôle conservateur à forte influence religieuse.

    Dans ses histoires, il n’est pas rare que les protagonistes adoptent une démarche scientifique pour élucider les mystères auxquels ils ont confrontés même si elle ne permet pas toujours de comprendre le pourquoi du comment (comme dans « Les couleurs tombées du ciel). Au-delà des considérations sociétales de ce dualisme, la Science a un autre impact dans l’œuvre de H.P Lovecraft, non pas en tant que sujet direct mais plutôt comme le point de départ d’une idée capitale dans l’esprit de l’auteur : l’Homme, au faîte des avancées techniques et scientifiques, notamment dans le domaine de l’astronomie et de l’univers, n’est rien. Ainsi H.P Lovecraft balaye d’un revers de main l’ethnocentrisme absolutiste hérité en grande partie de la philosophie des Lumières, non pas pour imposer un dieu connu des hommes (excepté quelques initiés) ou un dieu bienfaiteur, mais ce « panthéon occulte » qui paraît être une menace pour l’Humanité.

    Nous autres humains que sommes-nous face à des créatures, des dieux qui existent par-delà l’abîme du temps ? Malgré les progrès techniques et scientifiques il semblerait, à en croire Lovecraft, que la réponse est : « rien ». Ce pessimisme quant à notre avenir, l’auteur le doit peut-être à l’influence d’un des pontes de la Révolution Conservatrice Allemande, à savoir Oswald Spengler.

    Comme en témoigne une correspondance avec Clark Ashton Smith datant de 1927 : « C’est ma conviction et se l’était déjà bien avant que Spengler appose le sceau de la preuve académique sur ce point, que notre ère mécanique et industrielle est une ère tout à fait décadente ». La décadence selon Lovecraft s’applique également à l’individu via le prisme de la dégénérescence raciale et ethnique. L’auteur est en effet connu pour son racisme et son antisémitisme et il est indéniable que cet aspect suinte littéralement à travers son œuvre : « Tous les prisonniers avaient démontré leur appartenance à une espèce bâtarde, vile, et mentalement aberrante. Ils étaient pour la plupart marin, une aspersion de nègres et de mulâtres en provenance des Caraïbes ou du Cap-Vert qui offrait une teinte vaudou au culte. Cependant, avant que bien des questions ne soient posées, il devient apparent qu’il y avait quelque chose de plus profond et plus vieux que du fétichisme nègre. Aussi avilie et ignorantes qu’elles étaient, ces créatures s’accrochaient avec une ténacité surprenante à l’idée centrale de leur foi répugnante » (L’Appel de Cthulhu »). De nos jours, une telle description même dans un contexte purement fictif, vaudrait à l’auteur une visite à la 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris ! Ce dégoût du métissage va plus loin par moment en allant de pair avec un atavisme surnaturel et effrayant comme dans « Le cauchemar d’Innsmouth » ou « La peur qui rôde ».

    Enfin, l’un des aspects les plus intéressants de Lovecraft réside dans un affrontement global entre le monde civilisé moderne adepte des méthodes scientifiques et rationalistes, et un ennemi faussement archaïque. Point d’armes avancées tels des pistolets lasers pour annihiler l’espèce humaine (ce qui d’emblée ne caractérise pas l’œuvre de l’auteur dans le domaine de la science-fiction), l’existence même de ces créatures, le fait qu’elles n’ont rien de connu pour l’Homme ainsi que leur déconcertante puissance (magique ? scientifique ?) sont suffisantes pour avoir le dessus sur une humanité dépassée…

    L’horreur qui sommeille au-delà

    Au vu des diverses caractéristiques fondamentales de l’œuvre de Lovecraft, on peut se poser la question de savoir si ce dernier n’est, en fin de compte, qu’un réactionnaire typique de son temps. Le rejet des principes de la philosophie des Lumières, son aversion du métissage et sa position ambigüe envers la modernité laisseraient à penser que oui. Cependant, il faut prendre en compte le pessimisme, la misanthropie et la vie de l’auteur, déclassé social dans une Amérique en pleine mutation. Son rapport à la science reste l’une des clefs de compréhension de son œuvre, une véritable relation amour/haine, une tension capitale qui fait office de clef de voûte. Quel regard aurait-il au sein de l’Amérique d’aujourd’hui, QG de la finance hors sol et société fracturée entre le pire du libéral libertaire (cf. Miley Cyrus) et la bigoterie fanatique de certains ? Tout comme dieu fut tué par l’homme, selon le célèbre philosophe au marteau, H.P Lovecraft souhaiterait peut-être que l’horreur qui sommeille au-delà du temps au fin fond de R’lyeh l’engloutie, sorte de son état de dormition pour mettre un terme à cet âge de ténèbres bien trop humain…

    (Site de la revue Rébellion, 10 décembre 2021)

     

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  • L'Europe contre l'Union européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'une conférence de David Engels donnée le 3 décembre 2021 à l’occasion du colloque “How to Reform the Union for the Future of Europe” (« Comment réformer l’Union pour le futur de l’Europe »), publiée sur le Visegrad Post et consacrée aux valeurs historiques de l'Europe.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine et président de la société Oswald Spengler, David Engels, qui vit en Pologne, est devenu une figure de la pensée conservatrice en Europe et est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    L’Europe contre l’UE : comment ancrer les valeurs historiques de l’Occident dans la constitution d’une future confédération européenne ?

    L’Europe traverse une crise profonde, car elle est confrontée simultanément à des défis aussi divers que : mondialisation, migration de masse, désintégration de la famille, Cancel Culture, déclin démographique, déchristianisation, désindustrialisation, dégâts environnementaux, polarisation sociale, chômage, crise de la dette, guerres asymétriques, dé-démocratisation, islamisation, fondamentalisme, délabrement des infrastructures, terrorisme, hédonisme, obsolescence, relativisme juridique, ultralibéralisme, idéologie LGBTQ, augmentation des dépenses sociales, criminalité, bureaucratie dysfonctionnelle, folie des genres, etc. – pardonnez-moi cette longue énumération, mais ce n’est que lorsque nous aurons pris conscience de toute l’ampleur de notre déclin que nous pourrons réfléchir à des solutions adéquates.

    Cette crise n’est pas imposée de l’extérieur, elle est faite maison. Ce que craignaient déjà les pères fondateurs comme Robert Schuman, à savoir qu’une Europe unie ne doit pas rester une entreprise économique et technocratique, se paie aujourd’hui : il lui faut une âme, une prise de conscience de ses racines historiques. Sans identité commune, il ne peut y avoir de solidarité européenne en période de bouleversements comme aujourd’hui ; une telle identité doit toutefois se référer à autre chose qu’aux droits de l’homme universels, mais doit tenir compte de ce qui est propre à l’Europe et aux Européens : une vision occidentale de l’homme profondément enracinée dans la tradition et l’histoire. Si une telle entreprise échoue, il n’y a que deux possibilités : l’éclatement en États-nations, qui seront alors à la merci de puissances telles que la Chine, la Russie, le monde islamique ou les États-Unis, ou bien un centralisme bureaucratique et sans âme.

    Bien sûr, les partisans de l’actuelle UE politiquement correcte affirment que tout scepticisme à l’égard de l’UE est « conservateur » et donc condamnable, car il devrait automatiquement entraîner un retour au nationalisme, à l’autoritarisme d’extrême droite et finalement à la guerre et au génocide. Pourtant, le nombre de ceux qui veulent combiner patriotisme conservateur et défense de l’identité occidentale pour faire face aux nombreuses menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur notre civilisation ne cesse de croître. Les pays de Visegrád sont sans aucun doute à la pointe de ce mouvement à l’heure actuelle, ce qui explique pourquoi il s’agit précisément d’une institution polonaise, l’Association des artistes pour la République (Stowarzyszenie Twórców dla Rzeczypospolitej), qui a pris l’initiative, sous la présidence de Zdzisław Krasnodębski, de commander en 2020 un préambule pour une future constitution d’une « confédération de nations européennes ». Cette constitution doit pouvoir servir de point de ralliement à tous les conservateurs qui veulent s’efforcer de défendre l’Occident, indépendamment des familles politiques auxquelles ils peuvent appartenir au Parlement européen. L’objectif du préambule était d’inscrire fermement dans la Constitution les valeurs conservatrices attaquées par l’UE actuelle, en éliminant les erreurs idéologiques fondamentales de l’ancien projet de Constitution de Valéry Giscard d’Estaing.

    Ce fut un grand honneur pour moi de pouvoir rédiger en ce sens ledit « préambule », qui, entre-temps, a été publié dans de nombreuses langues européennes et paraîtra également sous forme de livre dans les prochains mois, et qui s’inscrit pleinement dans la continuité de l’idéologie de l’hespérialisme telle que je l’ai développée en 2019 dans le livre Renovatio Europae. L’idée de base de l’« hespérialisme » est très simple : il est grand temps de revenir aux valeurs qui ont jadis fait la grandeur de l’Occident, si nous voulons éviter les pires scénarios. La défense de la famille naturelle, une régulation stricte de l’immigration, le retour au droit naturel, la protection d’un modèle économique socialement responsable, la mise en œuvre radicale de la subsidiarité, la renaissance des racines culturelles de notre identité et le renouvellement de notre sens de la beauté – tels sont, en résumé, les piliers d’une telle nouvelle Europe « hespérialiste ». Si l’Europe veut survivre en tant que civilisation au 21e siècle, elle doit revenir aux valeurs et traditions historiques qui l’ont façonnée depuis le Moyen-Âge et réduire drastiquement la tendance bruxelloise au centralisme. En même temps, elle doit garantir un partenariat étroit entre les nations européennes dans certains domaines politiques clés, tels que la protection des frontières, la recherche, la lutte contre la criminalité, les infrastructures, la défense, les ressources stratégiques ou les normes juridiques. L’exemple idéal d’une telle communauté d’États n’est donc pas les États-Unis ou la République fédérale d’Allemagne, mais plutôt les grands empires pré-modernes comme l’Union polono-lituanienne ou le Sacrum Imperium, le Saint Empire romain germanique.

    On peut se demander pourquoi l’Europe a besoin d’une véritable constitution, car d’une part la dernière tentative d’élaborer une constitution explicite s’est soldée par un véritable fiasco, tandis que d’autre part, les conservateurs semblent justement plutôt favorables à une réduction, voire à un démantèlement des institutions européennes et s’opposent donc généralement à toute constitution commune contraignante. Mais c’est une erreur : d’abord, l’opposition de nombreux citoyens n’était clairement pas dirigée contre l’idée générale de l’unification européenne, mais contre sa forme concrète et très problématique ; pui, la Constitution envisagée ici ne doit pas livrer les Européens encore plus qu’avant à l’administration bruxelloise et à son idéologie de plus en plus gauchiste, mais plutôt à les en protéger : notre projet est certes une Constitution « pour » l’Europe, mais une Constitution « contre » l’UE.

    Notre Constitution veut refonder une Europe forte, fière et patriotique, qui défend son identité au lieu de la salir ; qui respecte les nations au lieu de les fusionner ; qui honore son héritage historique au lieu de le soumettre au multiculturalisme ; qui combat la polarisation sociale au lieu de faire de la politique pour les élites ; qui protège et met en œuvre la démocratie au lieu de déléguer le pouvoir à des institutions internationales sans âme et non démocratiques ; qui défend l’importance de notre continent dans le monde au lieu de le brader. Cette Europe, nous devons la reconquérir – avec les citoyens, contre ses élites actuelles. L’union politique de toutes les vraies forces conservatrices et patriotiques autour d’un tel objectif commun est un premier pas dans cette voie – espérons donc que l’histoire s’écrira aujourd’hui dans ce sens.

    David Engels (Visegrád Post, 12 décembre 2021)

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  • La Nation, l’État, le droit ou le désordre juridique européen...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au conflit juridique entre l'Union européenne et certaines des nations qui la composent.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    La Nation, l’État, le droit ou le désordre juridique européen

    Le futur de l’Europe se joue-t-il en Pologne ?

    L’actualité le suggère. Depuis l’arrêt de la Cour de justice polonaise du 7 octobre dernier considérant les articles 1 et 19 du traité de l’Union européenne contraires à la Constitution polonaise, la Pologne est sous le feu des maximalistes de l’Union européenne, au nom du principe ; « toujours plus d’Union » contre lequel nul ne saurait s’élever. Il est tentant de reprendre la longue histoire d’arrêts contradictoires, depuis « Costa contre Enel » de la Cour de Justice des Communautés européennes de 1964 établissant en effet le principe de supériorité des traités européens sur les lois nationales passées et à venir, jusqu’aux arrêts des trois plus hautes juridictions françaises limitant cette supériorité aux domaines de la compétence européenne (principe de la compétence des compétences), et aux arrêts successifs de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe rappelant le principe essentiel ; la souveraineté in fine appartient au peuple. Mais à quoi bon ? Derrière les arguties juridiques, c’est de politique qu’il est question. Si la décision des juges polonais a suscité une réponse agressive de l’Union, c’est qu’elle touche à l’essentiel sur trois points au moins.

    La légitimité du droit

    Le premier est la source du droit. D’où procède le droit, quelle est la source des lois, et où se fonde la légitimité du droit ? Le général de Gaulle aurait donné à Jean Foyer, premier garde des Sceaux de la restauration gaulliste de 1958, la consigne définitive que rapporte Alain Peyrefitte ; «  D’abord la Nation. Ensuite l’État. Après, le droit ». Nous en sommes loin. Figure obligée de l’Union, « l’état de droit » entend précisément que la Nation et l’État soient soumis au droit. Il s’agit d’en finir avec la raison d’État, de borner le débat et le suffrage, d’encadrer la démocratie.

    Et il s’agit d’instituer une autonomie du droit à l’égard des pouvoirs politiques nationaux. C’est ainsi que l’État français est poursuivi pour ne pas remplir ses « obligations » concernant la lutte contre le changement climatique — quelles obligations au juste ?

    C’est ainsi qu’un tribunal a jugé que la réforme de l’assurance chômage enfreignait le droit — mais quel est ce droit à la main des juges qui s’imposerait au gouvernement de la France ? La question de la source du droit, et de cet « état de droit » devenu le « Sésame ouvre toi » de la bonne réputation politique, est savamment évitée. Car d’où vient ce « droit » qui s’imposerait aux Nations et aux États, et pourrait invalider le suffrage universel ? Qui a donné aux juges, aux Cours et à l’Union l’extraordinaire pouvoir de dire le droit ? Si la source du droit n’est pas la volonté des peuples exprimée par le suffrage universel, où est-elle ? Tour à tour, ou conjuguant leurs efforts, des organisations internationales, des institutions supranationales, comme l’Union européenne, des ONG et des Fondations, des Cours constitutionnelles et des magistrats entendent dire le droit, décider du droit des Nations, et imposer leurs jugements contre la volonté des peuples, notamment en interprétant à leur guise des « déclarations des droits », texte lyrique, proclamations de combat, jamais conçus pour être traduits en droit positif.

    Il faudra pourtant le reconnaître ; chaque fois que l’Union en appelle aux « valeurs », chaque fois qu’elle invoque « l’état de droit », et la primauté des traités, chaque fois la liberté des peuples recule, l’autonomie des Nations s’étouffe, et le gouffre du droit s’ouvre devant l’Union.

    Restreindre toujours plus les nations

    Le second est la hiérarchie des normes. La tentative de l’Union européenne d’étendre sans cesse le domaine du droit interroge l’affirmation de Carl Schmitt selon laquelle celui qui détient le pouvoir est celui qui peut décréter l’état d’urgence. Toute occasion est bonne, du COVID19 au réchauffement climatique, de la crise des migrants à celle des dettes publiques, pour une Union avide d’ôter aux Nations ce qui demeure leur privilège ; la capacité d’agir. L’Union entend décréter et gérer à leur place l’état d’urgence. Elle empiète ainsi sur les compétences qui demeurent celles des États, selon les termes mêmes des traités ; défense et sécurité, diplomatie, culture, éducation, santé, justice et droit de la nationalité — des compétences sans cesse remises en cause par les ingérences de la Cour européenne de Justice, opérant selon le principe «  tout ce qui est l’Union est à l’Union, tout ce qui est aux Nations est à prendre ».

    C’est ainsi que l’Union s’est saisie du COVID19 pour se mêler de la santé publique, alors même que la santé demeure une prérogative des États membres — mais l’occasion de négocier des commissions avec les « Big pharma » était trop belle ! C’est ainsi que des ONG, des mouvements divers, relayés par l’Union européenne, ont décrété l’état d’urgence contre les gouvernements polonais et hongrois, essentiellement coupables de vouloir décider des lois et des mœurs pour lesquels ils ont été élus, et peu importe si l’Irlande a vécu hors de maintes prétendues « valeurs » européennes » pendant longtemps, du droit à l’avortement au mariage gay.

    Les mêmes sont accusés de réformer un système judiciaire notoirement infiltré par les globalistes — et peu importe si le mode de désignation des juges polonais ressemble à s’y méprendre au processus de désignation des juges en Allemagne (élus sur proposition de la coalition au pouvoir). C’est ainsi que l’Union décide d’un état d’urgence écologique, concrétisé dans un « Green Deal » aux conséquences sociales dramatiques, aux conséquences politiques non maîtrisables, mais qui assure à Mme Van der Leyen de parader dans les cénacles internationaux et d’étaler sa bien-pensance. Et voilà l’un des enjeux de la confrontation entre la Pologne et l’Union ; l’affirmation d’une compétence générale qui ne figure nulle part dans les traités, au nom d’invocations lyriques à l’état de droit, aux Droits de l’homme, aux valeurs européennes, dont le Président E. Macron est d’autant plus adepte qu’elles donnent un chèque en blanc à qui les mobilise, qui justifient toutes les ingérences dans les compétences exclusives des États, et vont jusqu’à délégitimer le suffrage universel, la démocratie représentative, et cette manifestation impitoyable de la volonté populaire qu’est le referendum.

    Le Brexit a effondré le mythe européen

    Le troisième est politique. Le Brexit a ébranlé les certitudes des européistes, et démontré que les Nations qui ont choisi d’entrer dans l’Union peuvent tout aussi bien décider d’en partir. Certains comme Nicole Gnesotto, invitant la Pologne à quitter sans délai l’Union européenne (lire « Le 1 Hebdo », 27 octobre) l’ont bien compris ; l’Union n’est pas une prison, et le serait-elle qu’elle se condamnerait elle-même. Désormais, de même que les États-Unis entreprennent de répondre à l’effondrement de l’universalisme libéral, de même l’Union européenne doit-elle dépasser la formule totalitaire «  toujours plus d’Union » pour donner des limites à son projet, faute de se condamner à l’explosion. De même doit-elle entreprendre de répondre à l’incertitude qui subsiste quant à la forme politique qu’elle entend se donner.

    Car le fédéralisme n’est plus à l’ordre du jour. La déclaration de Jean Claude Juncker selon laquelle « il ne peut y avoir de décision démocratique hors des traités » résonne en arrière-plan des décisions de la Cour de Justice européenne, des mises en demeure du Conseil et de maintes déclarations au Parlement ; c’est de construire un État Nation européen dont il s’agit quand il est question de « souveraineté européenne », de « Défense européenne », de « gouvernement économique européen », même si le mot est tabou et si la chose demeure indéfinie — qui croit vraiment qu’existe un peuple européen ? L’alternative n’est pas la fédération d’États Nation, ni l’Empire, mais bien la définition d’une institution supranationale gouvernée par les États-Nations européens, qui lui délèguent en toute souveraineté les compétences qu’ils définissent et qu’ils peuvent toujours reprendre, et qui en conviennent par des traités qui s’imposent à leurs lois nationales dans les domaines expressément définis, sans qu’il soit porté atteinte à leur identité constitutionnelle, et sans que puisse être remise en cause ou limitée la source unique de légitimité du droit, des lois et des traités ; la volonté populaire exprimée par le suffrage universel et par la voie des représentants élus des Nations ou par referendum.

    Le message est clair ; ce qu’un traité a fait, un traité peut le défaire. Bénéficiaires nets des fonds européens, dont la Pologne a été et demeure de loin la grande gagnante, Pologne et Hongrie sont facilement désignées comme les cibles idéales d’une Union en mal de réaffirmer son autorité et de retrouver une dynamique. Tout serait bien différent si un Etat membre de l’Union, contributeur net, entreprenait de ramener à la raison, à la démocratie et à la légitimité les apprentis sorciers des cours européennes. Pas seulement parce que l’Union serait privée de l’arme de dissuasion que constitue la blocage des financements. Mais bien plutôt parce que l’Union serait contrainte d’argumenter et de se justifier sur le fond. Sortir du système fermé sur lui-même, autoréférentiel, savamment construit pour que l’Union refuse tout débat dont elle n’aurait pas fixé les termes, et soient soustraites à tout jugement dont elle ne déterminerait pas la cause, les arguments recevables, et le jugement final. Accepter que souffle sur les Parlements clos et les Commissions étanches le grand vent des libertés citoyennes. Voici à tout le moins ce qui devrait constituer le cœur d’un projet crédible pour une Union qui accepte ses limites, se confronte à ses résultats, et soit jugée par les seuls légitimes à le faire ; les peuples des Nations d’Europe.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 21 novembre 2021)

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