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Points de vue - Page 74

  • Est-il encore possible de « vivre ensemble » dans la France de 2021 ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de Julien Dir, cueillie sur Breizh-Info et consacrée à l'échec du "vivre-ensemble"...

     

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    Une société de l’anathème et du refus de tout débat ne peut mener qu’à la guerre civile

    Est-il encore possible de « vivre ensemble » dans la France de 2021 ? Poser la question, c’est déjà dresser un large constat d’échec de toutes les politiques menées depuis des décennies qui ont amené le pays dans le gouffre dans lequel nous sommes aujourd’hui.

    Il ne se passe plus une journée désormais sans « polémique » sur les réseaux sociaux, mettant aux prises politiques, journalistes, militants, lanceurs d’alertes… ou simples citoyens. Polémiques suivies d’agressions verbales, de menaces, d’anathèmes, de poursuites judiciaires, de lynchages médiatiques et parfois même, de plus en plus souvent, d’agressions ou de menaces physiques…

    Comment en sommes-nous arrivés là ? Tout simplement parce que nous avons plongé dans une société où l’anathème est roi, où le débat, le vrai, semble avoir totalement disparu ou à défaut, être devenu impossible.

    La cause ? Tout d’abord il faut le dire, des lois qui, depuis la loi Pleven (puis Gayssot, Fabius, Taubira…) empêchent les gens de s’exprimer librement sur tous les sujets, et, pire encore, les empêchent même de penser librement y compris parfois dans une sphère privée (la peur du « regard et du jugement de l’autre » face à une pensée qui aujourd’hui, vaut procès en sorcellerie). On a interdit aux individus de cultiver l’art du débat, mais y compris de l’impertinence. « Qui sème le vent… ».

    Mais au-delà de ces lois scélérates, la cause de la disparition progressive du débat dans nos sociétés occidentales est à rechercher à la fois du côté de l’individualisme poussé à l’extrême, qui amène chacun à se penser au-dessus des autres, et à vouloir être son propre roi sans plus aucun sens de la communauté. Mais aussi du côté des projets sociétaux si différents et même contraires dans un pays qui compte des millions d’individus.

    Si l’on rajoute à cela la question de l’immigration et du changement progressif de population, qui rend nos sociétés totalement hétérogènes, avec des masses trop différentes culturellement, civilisationnellement, religieusement, il y a tout pour être sérieusement inquiet sur la capacité de millions d’individus à demain vivre ensemble de manière pacifique.

    Jusqu’ici, les classes dirigeantes s’étaient parfaitement accommodées du fait qu’une partie importante de la population n’avait pas droit à la parole. Malgré les votes, malgré les sondages, malgré certains mouvements de colère dans les rues de France, des millions d’autochtones de ce pays étaient relégués, depuis des décennies, à se taire, à taire les sentiments qu’ils portaient au plus profond d’eux. Notre société du spectacle n’était alors partagée qu’entre un faux échiquier politique, une petite oligarchie dominante se transmettant les postes clés génération après génération.. Et une opposition en carton ayant fait son fonds de commerce de « l’antifascisme » et du « ventre de la bête immonde toujours fécond », empêchant toute contestation réelle du pouvoir en place.

    Ce temps a duré plusieurs décennies. Mais les crises successives qui ont eu lieu depuis le début des années 2000 (émeutes de banlieue, montée de l’islamisme, immigration devenue impossible à cacher, influence de plus en plus marquée de certains lobbys sociétaux, déconstruction en règle de l’Instruction publique…), puis l’apparition et la montée des médias alternatifs, puis les mouvements sociétaux qui ont occupé la rue un certain temps (Manif pour tous, Gilets jaunes, Bonnets rouges en Bretagne…), ont commencé à réveiller une partie de la population endormie.

    La candidature Zemmour finalement, ne fait que révéler au grand jour, en 2021, le fait qu’il y a dans ce pays une partie importante de la population, cantonnée au silence, aux brimades, à l’humiliation depuis tant et tant d’années, et qui aujourd’hui, pense avoir retrouvé un porte-parole digne de ce nom. Il a sans doute raison lorsqu’il dit que les idées qu’ils portent sont, pour beaucoup d’entre elles, majoritaires dans ce pays.

    Tous les sondages le montrent. Toutes les dernières élections montrent un profond dégoût, un ras-le-bol pour des institutions politiques vérolées, pour des politiciens et élus de tous bords qui n’ont fait que croquer du biscuit durant des décennies, sans améliorer la vie de leurs administrés.

    Cette candidature n’est que l’aboutissement d’un réveil d’une population qui sent bien qu’il n y plus beaucoup d’autres alternatives aujourd’hui entre la dormition, puis la mort certaine, ou bien le réveil, brutal et décomplexé.

    Non pas que cette candidature, aussi décomplexée qu’elle soit sur certains sujets, soit le seul agrégateur de ce réveil et une fin en soi.

    Mais elle en est un symbole fort, marquant. Et le fait qu’elle vampirise actuellement quasiment tout le débat politique et médiatique le montre. Le fait que certaines grandes fortunes aient commencé à investir dans cette « offre politique » et dans ces visions de la société proposées par une chaine comme Cnews depuis quelques années montre également qu’il y a une volonté importante d’écouter, de lire, d’autres sons de cloche que ceux servis depuis 50 ans.

    Et au final, qu’est-ce que l’on observe ? Que les tenants de l’oligarchie et leurs chiens de garde nommés « antifascistes », ont perdu une forme de monopole des cerveaux et des esprits qu’ils avaient depuis des décennies. Et que face à ce changement, face à ce réveil, ils n’ont plus le moindre argument à fournir que celui de la violence, de l’anathème, de la persécution judiciaire, politique, médiatique.

    Malheureusement, on observe aussi que dans le « camp du réveil », les mêmes armes qu’ont utilisé nos fossoyeurs sont en train d’être utilisées et notamment celles de la victimisation permanente, ou du refus du débat. On bloque, on moque, on agresse celui qui ne pense pas totalement comme nous. On diffame, on prend à partie sur la place publique, on fabrique de nouveaux procès en sorcellerie qui étaient jusqu’ici l’apanage des dominants. On parvient, avant même d’avoir accédé à la moindre parcelle de pouvoir, à semer les germes d’affrontements et de guerre, au sein même de son propre « camp ».

    Mais sérieusement, si l’on prend un peu de recul, que l’on se détache des choses, comment peut-on ne pas être inquiet ? Comment peut-on franchement espérer que tout cela se termine bien, dans un pays où les citoyens, trop nombreux, trop différents, n’étant plus que des atomes agrégés de force autour d’un projet qui n’en est pas un (La République française) et étant les fils de l’individualisme, de l’enfant roi, de familles brisées, désagrégées, semblent ne plus accepter de s’écouter, de se parler, de dialoguer ?

    Le problème semble insoluble. D’où les risques réels de guerre civile qui pointent à l’horizon. Le climat de violence politique qui existe depuis des décennies (et savamment entretenu notamment par l’extrême gauche qui a toujours pensé détenir le monopole de la violence politique légitime) est un indice. Et réprimer cette violence politique (dissoudre, emprisonner, arrêter…) n’y changera rien. Il semble impossible qu’au sein des sociétés ouest européens, nous retrouvions une homogénéité qui amène à de nouveau « faire peuple », c’est-à-dire agréger des millions d’individus se sentant un destin commun.

    Alors que faire pour ne pas sombrer dans le désespoir ? Tout simplement, dans son clan, autour de soi, continuer à agir et à penser comme des Hommes libres, exemplaires, à la fois impertinents et ouverts d’esprit. Éduquer ses enfants dans la même veine. Ne jamais céder à la lâcheté physique, intellectuelle, ou à la facilité. Faire le dos rond. Encaisser les coups si nécessaire, les rendre aussi. Et espérer avec la plus intime conviction que demain, après quelques décennies de sacrifices de nos générations, un grand changement surviendra. Parce que les Européens viennent de loin, et qu’ils n’ont pas l’intention de sortir de l’Histoire subitement.

    Le soleil reviendra.

    Julien Dir

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  • Rap, Cannabis, Mangas... Qu'avons-nous fait de nos enfants ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur A moy que chault ! et consacré à la déculturation de la jeunesse française.

    Animateur du site Paris Vox, rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur de deux recueils de chroniques intitulés Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016 et la Nouvelle Librairie, 2019), d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019) et, dernièrement, d'Hécatombe - Pensées éparses pour un monde en miettes (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    Rap, Cannabis, Mangas... Qu'avons-nous fait de nos enfants ?

    Les maux qui nous accablent ne viennent pas tous de l’extérieur, certains, hélas, nous rongent intérieurement et ces derniers sont peut-être plus terribles encore car plus insidieux et pernicieux. La déculturation de la jeunesse et son addiction aux drogues sont de ceux-là et font peser sur l’avenir de lourdes inquiétudes si ces tendances ne sont pas efficacement et énergiquement combattues.

    Ainsi, le rap, cette musique d’origine afro-américaine devenue le « mode d’expression » des cités de l’immigration de l’Hexagone, est-il devenu la musique la plus écoutée, et de loin, par la jeunesse française, quelle que soit son origine ethnique ou sociale. Ainsi n’est-il pas rare désormais de voir des minets de Passy se dandiner au son du « gangsta rap » made in Trappes ou la Courneuve, quand bien même celui-ci appelle-t-il à « bolosser les babtous » (tabasser les bancs) ou à « niquer la France ». Les rappeurs dominent aujourd’hui notamment les écoutes sur Spotify, l’un des plus gros fournisseurs de musique en ligne, en trustant l’intégralité des places du « top 10 » 2021.

    Ces « poètes de la rue » (pour Libé) sont notamment Jul, suivi par Ninho, SCH, Damso, Naps, Booba, PNL, Djadja & Dinaz, PLK et Nekfeu… Ils représentent collectivement des dizaines de millions d’écoutes. Un phénomène qui ne pourrait être qu’une affaire de « goûts » si, au-delà de la violence et du racisme anti-blancs de certains titres, ce « rap français » ne se révélait pas être d’une totale indigence (onomatopées, borborygmes, sous-argot banlieusard, éloge des drogues, du fric…) sombrant souvent dans la débilité pure et simple. Plus qu’inquiétant pour les neurones de ces millions de fans qui ingurgitent cette soupe émétique à doses pluri-quotidiennes !

    Parallèlement, on apprenait que le « chèque culture », ces 300 euros généreusement distribués par le gouvernement à tous les Français de 18 ans pour leurs « achats culturels », avait provoqué une véritable ruée sur les « mangas », les bandes dessinées japonaises, à tel point que certains libraires l’ont rebaptisé le « pass mangas ». Les mangas représenteraient en effet près de 80 % des achats réalisés grâce au dispositif gouvernemental. S’il ne s’agit pas de dénigrer cet art populaire nippon, dont certaines créations sont d’une grande qualité (mais les acheteurs en question ont plutôt tendance à se tourner vers les médiocres « bockbusters » comme One Piece ou Demon Slayer), cette tendance lourde démontre de façon criante la déculturation croissante d’une jeunesse coupée de la littérature classique, voir plus globalement du livre, et de la culture nationale et européenne.

    Pour parfaire le tableau, le baromètre santé 2020 de Santé publique France nous rappelle que le cannabis reste la drogue illicite la plus consommée en France et que son usage est largement banalisé notamment dans les couches les plus jeunes de la société.

    Ainsi, à 17 ans, plus de 40 % des adolescents indiquent en avoir consommé dans l’année, et chez les 18-24 ans, ils sont près de 26 %. La France est par ailleurs le pays qui compte le plus de consommateurs de cannabis parmi les pays de l’Union européenne.

    Cet accablant état des lieux ne peut pas être uniquement imputé à « l’époque », au matraquage publicitaire et médiatique ou à une quelconque « fatalité », il est aussi d’évidence le fruit d’une démission collective, notamment éducative et parentale. Il est plus que temps de réagir et la période de Noël peut justement être l’occasion, notamment au travers de cadeaux utiles et intelligents, de tenter d’orienter positivement les plus jeunes et de les éveiller à autre chose qu’à la sous-culture mondialisée dans laquelle ils se complaisent.

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 3 décembre 2021)

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  • Le wokisme est-il un produit du marxisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Collin cueilli sur Figaro Vox et consacré aux origines du "wokisme".  Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Denis Collin est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la philosophie, à la morale et à la pensée politique, dont Introduction à la pensée de Marx (Seuil, 2018) et Après la gauche (Perspective libres, 2018).

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    « Le wokisme est-il un produit du marxisme ? »

    L'idéologie « woke » et les différents mouvements qui s'en inspirent prennent une place croissante dans l'espace universitaire et médiatique, multipliant interdits et censures, hier contre la représentation d'une pièce d'Eschyle, le lendemain contre la statue de Colbert, réclamant la démission de professeurs « mal pensants ». Les porte-parole de ce mouvement ont table ouverte sur les radios du service dit, par habitude, public. Comme les vieux réflexes ne se perdent pas, pour dénoncer le « wokisme », il est parfois de bon ton d'y voir une nouvelle manifestation d'un marxisme, pourtant mal en point. On peut évidemment dire mal du marxisme, mais s'il est bien une accusation infondée, c'est celle qui en fait le père putatif du mouvement « woke ». En réalité, l'idéologie « woke » se présente comme une véritable arme offensive contre le marxisme (sous toutes ses formes) et contre le vieux mouvement ouvrier syndical.

    Le mouvement woke est comme le Coca-cola et halloween un produit d'importation américaine. Mais ses origines idéologiques se situent dans la « french theory », c'est-à-dire chez les philosophes français « post-modernes » ou les théoriciens de la « déconstruction » - un terme qui constitue le principal slogan du mouvement « woke ». Or, ces penseurs sont tous des adversaires résolus du marxisme. S'ils adoptent volontiers un discours « anticapitaliste », ils refusent la centralité de la lutte des classes autant que la figure de la classe ouvrière en tant sujet historique. Chez tous la classe ouvrière et ses organisations sont « ringardisés » : trop de conservatisme, trop de stéréotypes. On leur préférera les schizophrènes (Deleuze), les « taulards » (Foucault), les minorités notamment les immigrés (Badiou destitue très tôt la classe ouvrière française de tout rôle révolutionnaire au profit de la figure rédemptrice de l'immigré), les mouvements féministes, la « queer attitude » (encore Foucault). Tous ces courants, qui ont fleuri dans les années post-soixante-huit, considèrent, comme Michel Foucault, que la question du pouvoir d'État comme question centrale est dépassée et qu'il est nécessaire de s'opposer d'abord aux « micro-pouvoirs « et aux « disciplines » qui domestiquent l'individu. C'est encore chez Foucault et son élève américaine Judith Butler qu'est revendiquée la nécessité des « identités flottantes » contre les « assignations sociales » à une seule identité sexuelle. Remarquons enfin que, comme Foucault admirateur de la « révolution islamique » de Khomeiny, l'idéologie « woke » sacralise l'islam, considéré comme l'allié du mouvement contre les mâles blancs hétérosexuels.

    Cette antinomie entre marxisme et « french theory » se retrouve dans toutes les orientations du mouvement « woke ». Le marxisme est universaliste et considère que les particularités des différents peuples et des différentes religions sont appelées à passer à la moulinette du développement mondial du mode de production capitaliste. Au contraire le « woke » est relativiste et dénonce l'universalisme comme le masque de la domination « blanche ». Marx et Engels, tout en condamnant les méthodes et les exactions terribles de la colonisation y voyaient une de ces ruses de l'histoire grâce à laquelle les peuples colonisés allaient sortir de leur sommeil et prendre place dans la lutte aux côtés des autres prolétaires de tous les pays. Ils étaient franchement européo-centrés et considéraient que la civilisation européenne montrait la voie. C'est encore Lénine qui affirmait que le socialisme moderne était l'héritier de la philosophie allemande, de l'économie politique anglaise et du socialisme français, lui-même issu des Lumières. On se demande bien pourquoi les censeurs « woke » n'exigent pas le retrait immédiat des ouvrages de ces penseurs horribles.

    Les marxistes sont antiracistes et antiesclavagistes, cela va de soi. Marx rédigea l'adresse de l'Association Internationale des Travailleurs au président Lincoln, à l'occasion de sa réélection en 1864 et le qualifia d'« énergique et courageux fils de la classe travailleuse », qui sera capable de « conduire son pays dans la lutte sans égale pour l'affranchissement d'une race enchaînée et pour la reconstruction d'un monde social. » La lutte contre l'esclavage et les discriminations raciales s'inscrit pour les marxistes dans le sillage des grandes révolutions « bourgeoises » du XVIIIe siècle. Oublieux du caractère révolutionnaire de la bourgeoisie, les « woke » font de la traite négrière une tache indélébile qui condamne par avance tous les « blancs », oubliant que la plus grande traite négrière fut organisée par les Arabes et les Ottomans sous le drapeau de l'islam avec l'aide et un peu plus que la complicité des chefs des peuples d'Afrique.

    Que les divers mouvements « woke » n'aient aucun rapport avec le marxisme et la lutte des ouvriers, il suffit encore pour s'en convaincre d'écouter ses principaux héraults. Mme Houria Bouteldja, égérie du mouvement des « Indigènes de la république » ne déclarait-elle pas que l'ouvrier blanc est son ennemi ? Mme Rokhaya Diallo est une figure de la « jet-set ». Elle est une « intellectuelle organique » de la « classe capitaliste transnationale », très bien décrite voilà plus de deux décennies par Leslie Sklair. Mme Traoré est devenue la coqueluche des grandes marques à la mode. La promotion du lumpenproletariat et des petits voyous des « cités » au rang de mouvement révolutionnaire n'a rien à voir avec le marxisme : Marx et Engels disaient pis que pendre de ce « lumpen » rassemblant tous les débris des différentes classes sociales.

    Pour terminer, rappelons que les marxistes ne portaient guère dans leur cœur l'idéologie libérale-libertaire qui s'est déployée après 1968. En vieux mâle blanc hétéro, Marx condamnait le travail de nuit des femmes comme contraire à la pudeur féminine. Il ne réclamait pas l'abolition de la morale mais dénonçait le capitalisme comme un système qui balayait toutes les barrières morales !

    On peut critiquer le marxisme, en n'oubliant pas de distinguer le marxisme et le penseur Marx, mais en aucun cas, on ne peut le rendre responsable du mouvement woke. S'il y avait encore dans ce pays des marxistes sérieux, nul doute qu'ils seraient à la pointe du combat contre ces folies qui trouvent dans certains secteurs du capital une oreille complaisante mais sont dirigées d'abord contre les ouvriers, ces « salauds de pauvres, ces « beaufs » qui savent bien que le travail reste la question centrale pour nos sociétés.

    Denis Collin (Figaro Vox, 4 décembre 2021)

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  • Diplomatie casquée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au retour du commerce des armes comme instrument de la diplomatie.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Diplomatie casquée

    Que nous dit de l’état de l’Europe et du monde la récente et très amicale rencontre Sanchez-Erdogan ? Les marins de la bataille de Lépante (1571) acceptent-ils le basculement espagnol du côté turc, la fourniture de porte-hélicoptères ou de sous-marins par les chantiers espagnols à la flotte turque ? Et, de leur côté, que pensent les Russes d’une alliance entre la Turquie et l’Ukraine qui se traduit entre autres par la livraison des fameux drones TB9 et Anka, ceux qui ont tant contribué à l’écrasante victoire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie au Nagorno-Karabakh, et qui pourraient donner aux Ukrainiens la bien mauvaise idée d’aller titiller les troupes russes massées de l’autre côté d’une incertaine frontière avec le Donbass ? Sans doute comprennent-ils bien l’intérêt du jeu turc, un coup à l’Est, un coup à l’Ouest, mais toujours en brandissant l’étendard de l’Islam, et toujours en quête de l’industrie des hélicoptères et des propulseurs navals que l’Ukraine a héritée de l’URSS…

    Le temps de la diplomatie armée est revenu. L’Union européenne a-t-elle les yeux ouverts sur une réalité qui a toujours été déterminante dans la structure du commerce international ? Les diplomates suivent les marchands d’armes, comme c’est le cas en Italie, au Qatar et ailleurs. Ou bien les marchands d’armes et les industriels suivent les directives de l’État, comme en France, en Russie ou en Espagne, où les chantiers navals sont 100 % propriété d’État… Et les grands contrats d’armement suivent ou précèdent les alliances, pour les concrétiser, pour les affermir, ou pour les renverser ; la France aura-t-elle tirée toutes les conclusions de l’affaire australienne, et de l’écart qui la sépare des « five eyes » ? Mais contrats d’armement et diplomatie se sont singulièrement rapprochés.

    Qu’il s’agisse des alliances en Méditerranée orientale, formidablement réarmée, avec d’un côté la Grèce, Chypre, l’Égypte et la France, de l’autre la Turquie, le Qatar, la Lybie, la Russie, avec Israël, les USA et la Chine en invités permanents. La montée en qualité et en quantité des armes est partout, qu’il s’agisse de la Grande-Bretagne et de son agressivité contre la Russie portée par diplomates, services et industriels de l’armement, avides de réarmer la Pologne avec les missiles fabriqués par MDBA GB venant compléter les Patriot américains, avec des bateaux fabriqués dans les chantiers britanniques pour l’Ukraine en Mer Noire, qu’il s’agisse d’une Allemagne qui risque de concourir encore plus à la subordination totale des industries de la défense et des exportations à l’OTAN, le constat est à une imbrication croissante de la politique et des contrats d’armement, et à des transformations d’alliance remarquables, spectaculaires et parfois déroutantes, la montée en puissance de la Turquie en Afrique, en Méditerranée et en Europe de l’Ouest n’étant pas la moindre.

    La plus spectaculaire est pourtant britannique. La Grande-Bretagne renoue avec des stratégies de la tension, de la division et de la zizanie qui lui sont familières. Finie la comédie de l’adhésion à l’Union européenne et du rattachement au continent eurasiatique, l’alliée des États-Unis en ajoute et en rajoute dans la provocation permanente à l’égard de la Russie et aussi de la Chine. Il suffit de lire les éditoriaux de The Economist pour s’en persuader ! Les colons qui ont pillé, corrompu et détruit l’Empire chinois ne pardonnent pas à ceux qui ont refait l’unité de la Chine et de Hong Kong. Les ennemis héréditaires de l’indépendance européenne et de la puissance continentale, qui ont toujours su diviser pour régner, ont un compte à régler avec l’Union européenne, encore plus avec une Union devenue allemande — pour une large part au service de la puissance et des intérêts industriels et commerciaux allemands.

    Tout le savoir-faire du pays qui a inventé la diplomatie européenne est à la manœuvre en Pologne, en Hongrie, en Roumanie et ailleurs. Avec trois objectifs manifestes, outre celui de montrer aux États-Unis à quel point l’Angleterre sera toujours prête à prendre le grand large et à combattre contre le continent. D’abord celui de diviser l’Europe, en utilisant la vieille tactique de la provocation ; pousser l’Union à réaffirmer le principe «  une Union toujours plus étroite », c’est tout simplement tôt ou tard la condamner à subir la réaction violente de peuples qui n’acceptent de se voir déposséder de leurs compétences que jusqu’à un certain point — et la Grande-Bretagne s’emploie à ce que ce point soit dépassé, par exemple sur les migrations, sur les mœurs, sur l’éducation.

    Ensuite, en sapant la politique allemande qui fait de la Russie, de la Chine et plus largement de l’Eurasie, ses partenaires commerciaux naturels, la source de ses excédents exceptionnels, et un champ d’expansion industriel, financier et aussi politique pratiquement sans limites — si les États-Unis ont eu leur Far West, l’Allemagne a son far east. Enfin, en développant sur le modèle américain un ensemble hétérogène, mais structuré de Fondations, d’ONG, de fonds d’investissement et de fonds de pension, d’entreprises, de sociétés de service, qui assurent à la Grande-Bretagne à la fois le contrôle de technologies décisives, l’information sur des entreprises clé, une vision en profondeur des flux commerciaux et financiers, et les moyens de manipuler l’information, d’orienter le débat public et de mobiliser les opinions publiques. L’histoire dira la part que Grande-Bretagne et USA jouent dans l’obsession militaire polonaise qui conduit à payer pour accueillir une base américaine, multiplier les achats d’armements — avec des fonds européens ? — et doubler les effectifs permanents de son armée, jusqu’à anticiper sur les plus chers désirs de l’OTAN.

    Elle dira la part d’intérêts marchands et de réalisme politique qui conduit à un surarmement de l’Ukraine, à un conditionnement permanent de la population de l’Ouest ukrainien, et aussi voire surtout de la diaspora ukrainienne aux États-Unis et au Canada, au point qu’à tout moment, une escalade est possible que seule, la placidité maîtrisée de l’ours russe laisserait sans sa conséquence légitime — une correction militaire que subiraient les forces ukrainiennes, les Britanniques envoyant comme ils savent bien le faire, en Syrie comme en Afghanistan, les autres se faire tuer à leur place.

    Une seule question l’emporte. Les armes sont-elles faites pour servir ? « Si vis pacem, para bellum » place sur toute réflexion sur ce sujet, et il est certain que l’équilibre des forces, c’est-à-dire l’incertitude sur l’issue d’un conflit, est le plus puissant facteur de paix qui soit. A deux conditions ; d’abord, que la décision soit celle d’acteurs rationnels, qui pèsent froidement les conséquences d’un conflit et acceptent que le prix à payer soit trop élevé pour être risqué, celle de dirigeants suffisamment forts pour ne pas se laisser emporter par des opinions publiques aisément manipulées. Ensuite, qu’aucun belligérant ne se laisse enfermer dans la position où il fera la guerre pour d’autres, enverra ses hommes et ses armes livrer une guerre que d’autres ne veulent pas risquer, et compter les morts que d’autres auront envoyé se faire tuer pour leur propre politique et leurs propres intérêts. Certaines des Nations de l’est européen, longtemps tributaires de l’Empire ottoman pour les unes, assujetties au Reich allemand ou à l’Empire russe puis soviétique pour d’autres, membres de l’Empire austro-hongrois pour d’autres encore, ou souvent les mêmes, ont une longue et tragique expérience d’une telle situation de dépendance stratégique, une expérience sacrificielle dont la Serbie comme la Pologne traînent les cicatrices.

    La situation actuelle suggère moins une réponse que d’autres interrogations. D’abord, celle de l’absolue primauté des intérêts nationaux et des logiques nationales. Seule face à la Turquie, la France a payé pour le savoir ; la diplomatie des armes reste nationale. En matière d’armements comme en matière de conduite de la guerre, et quelles que soient les prétentions de l’OTAN, les Nations demeurent, les Nations décident et les Nations poursuivent les intérêts qui leur sont propres, par des moyens qui leur sont propres. Quelle peut être l’utilité et quelles sont les compétences de l’Union dans ce domaine ? Question ouverte, et à laquelle nul ne répond.

    Ensuite, celle du contrôle des exportations d’armement. Non seulement l’Union européenne n’a rien entrepris pour protéger l’indépendance de ses industriels et combattre leur mise sous tutelle par le complexe américain auquel l’OTAN sert de faire-valoir, mais l’alignement atlantiste de la nouvelle coalition rouge-vert Allemande fait peser les plus graves menaces sur la capacité commerciale d’un des derniers secteurs industriels puissamment exportateurs de la France — ici encore, l’Union se trompe de combat ; lutter contre la règle « ITAR » et l’extraterritorialité du droit américain, plutôt que contre les capacités de ses industriels ! Enfin, le lien entre diplomatie, armement, et interventions directes.

    Le succès israélien dans ce domaine est largement lié à la présence sur le terrain, et sur le front, de « conseillers » et « d’experts » qui ne se contentent pas de démonstration dans les salons internationaux et de signature de contrats dans les bureaux, mais qui participent au déploiement, à l’adaptation et à la mise en œuvre des armes ou des systèmes d’arme qu’ils vendent. Inutile de dire que Russes et Américains, par des biais divers, savent accompagner leurs armes sans fausse pudeur. L’Union européenne se veut pleine de bonnes intentions, sans en prendre les moyens. Elle paralyse davantage les Nations européennes qu’elle ne les aide à développer leurs légitimes stratégies industrielles et militaires. Mais est-il dans son intérêt de refuser de voir cette réalité en face ; dans un XXIe siècle qui ne ressemble pas à ce qu’il devait être, la diplomatie suit les armes, et les armes font la diplomatie ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 22 novembre 2021)

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  • Crise migratoire : le bal des hypocrites...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Geopragma et consacré au dernier épisode de la crise des migrants à la frontière polonaise, qui donne une nouvelle illustration de l'impuissance de l'Europe. Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

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    Crise migratoire : le bal des hypocrites

    Pourquoi les images où l’on voit des migrants du Moyen-Orient tenter de passer en force en Pologne à partir du territoire de la Biélorussie sont-elles pour nous si troublantes ? Seraient-elles significatives d’une triple impuissance de l’Union européenne (UE) ?

          En premier lieu, personne ne semble plus respecter les règlements de l’UE sur l’immigration extra-européenne, lesquels prévoient des procédures strictes quant à l’immigration de travail, ou l’obtention du statut de réfugié politique. Tout se passe comme si la loi européenne avait une vocation naturelle à être piétinée. On voit de solides jeunes hommes s’attaquer, en toute impunité, avec des cisailles et des pioches, aux barrières de la frontière polonaise. Depuis qu’Angela Merkel a pris la décision unilatérale d’ouvrir grand les frontières de l’Allemagne en septembre 2015 (pour les refermer un mois après), les jeunes gens débrouillards et dotés d’un bon réseau de passeurs se sont arrogés le droit de s’installer sur le territoire de l’Union européenne. Nulle part ailleurs dans le monde, on ne voit de frontière aussi laxiste, et une telle tolérance face aux réseaux criminels de trafic des êtres humains. En Afrique du nord et sahélienne, ces réseaux se livrent aussi au trafic de la drogue. Ils y financent les mouvements djihadistes. Ils sont passés maîtres dans l’art de solliciter, en Méditerranée, l’aide des ONG, qui sont devenues les idiots utiles du trafic des personnes.

          En deuxième lieu, l’UE est la seule organisation au monde à qui des Etats fassent aussi ouvertement du chantage. Au mois de février 2020, la Turquie d’Erdogan, furieuse du peu de soutien de l’Occident après la perte de 33 de ses soldats en Syrie, et désireux d’obtenir davantage d’argent de l’UE, avait mis à exécution sa menace d’ouvrir les vannes des flux migratoires. Les forces de sécurité turques avaient amené en autocars des milliers de migrants devant les postes frontières grecs. Équipés de béliers, ces jeunes hommes musulmans s’attaquaient aux barrières délimitant la frontière extérieure de l’UE, au cri de « Yunanistan ! », qui est le nom turc pour la Grèce.

          Depuis l’été 2021, nous avons vu la Biélorussie de Loukachenko faire preuve d’une incroyable mansuétude à l’égard des filières de trafics d’êtres humains, qui avaient repéré son pays comme une base de départ idéale pour l’immigration illégale vers l’UE. Des policiers biélorusses ont même conduit certains migrants moyen-orientaux vers la frontière polonaise. Le dictateur biélorusse aurait très bien pu, dès le mois d’août 2021, alors que le manège des trafiquants était devenu clair, arrêter ce flux de jeunes hommes moyen-orientaux vers son pays. Il ne l’a pas fait. Pour faire chanter l’UE, afin qu’elle reconnaisse son régime issu d’élections tronquées.

          Les 27 pays de l’UE ont eu raison de refuser le chantage et de brandir des sanctions contre les compagnies aériennes qui continueraient à se livrer à ce trafic. Par peur de nouvelles sanctions, Loukachenko a changé d’attitude le 15 novembre 2021. Il s’est engagé à ce que son administration persuade les migrants de retourner chez eux, tout en faisant mine d’être étonné par leur réticence.

          Enfin, l’UE étale son impuissance institutionnelle. En six ans, elle n’est pas parvenue à une réponse commune et efficace sur le problème des migrants. La décision solitaire de la chancelière allemande a créé un formidable appel d’air. Des dizaines et des dizaines de millions d’Africains et de Moyen-Orientaux rêvent désormais de venir s’installer dans la prospère et généreuse UE. Mais elle n’a ni les moyens économiques, ni la disposition culturelle, ni la volonté politique, de les accueillir.

          Face à cette réalité se déploie le bal des hypocrites. Les dirigeants européens se drapent dans leurs bons sentiments mais comptent sur le pays voisin pour faire le sale boulot de refouler les migrants. Dans l’UE, la démocratie ne va pas jusqu’à demander à ses citoyens s’ils souhaitent ou non vivre dans une société multiethnique. La présidente de la Commission européenne a osé déclarer que l’UE « ne saurait financer en Pologne des murs et des barbelés » mais elle ne propose aucune solution viable au problème de l’immigration clandestine.

          L’UE n’a toujours pas réussi à dire au monde combien de migrants elle était disposée à accueillir. Veut-elle se limiter aux véritables réfugiés politiques, persécutés dans leurs pays pour leur promotion des valeurs européennes ? Veut-elle élargir son accueil ? A qui ? Aux réfugiés économiques ? A quel rythme ? A quelles conditions ?Les frontières constituent un sujet politique sérieux. Si l’UE ne le traite pas très vite et une fois pour toutes, elle court à l’éclatement. Voici du pain sur la planche pour la France, qui prendra la présidence de l’UE à compter du 1er janvier 2022.

    Renaud Girard (Geopragma, 27 novembre 2021)

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  • Quand le pronom “iel” touche à la constitution symbolique de l'être humain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Robert Redeker cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'introduction dans le dictionnaire Robert du pronom sans genre "iel".

    Philosophe, Robert Redeker est notamment l'auteur de nombreux essais dont Egobody (Fayard, 2010), Le soldat impossible (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Le progrès ? Point final. (Ovadia, 2015), L'école fantôme (Desclée de Brouwer, 2016), L'éclipse de la mort (Desclée de Brouwer, 2017), Les Sentinelles d'humanité (Desclée de Brouwer, 2020) ou dernièrement Réseaux sociaux : la guerre des Léviathan (Rocher, 2021).

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    Robert Redeker: «Le pronom “iel” touche à la constitution symbolique de l'être humain»

    Ainsi, en plus d'«il» et «elle», la langue française s'enrichit, selon le dictionnaire Le Robert, d'un nouveau pronom, «iel». C'est d'un seul coup d'un seul, d'un coup de baguette magique, que la langue française s'augmente de ce mot, que presque personne n'a encore entendu prononcer. C'est donc par une sorte de putsch qu'il s'introduit dans un ouvrage de référence, arrachant son officialisation au sein de la langue française. Par ce coup de force, il passe de la quasi-inexistence à une visibilité surexposée. Que nul ne s'y méprenne : l'affaire du pronom «iel» n'est en rien une simple affaire de mots.

    Écoliers et professeurs, citoyens, écrivains, l'oublient souvent : un dictionnaire est un ouvrage politique. Ou mieux : un pouvoir spirituel qui déclenche des effets temporels. Bifide s'avère la politique du dictionnaire : instituante, ou subversive. Elle est instituante quand elle s'exerce du côté du pouvoir en place, pour réglementer la langue, unifier les imaginaires à partir de cette réglementation, elle est subversive quand elle s'exerce depuis les contre-pouvoirs, les aspirants au pouvoir, qui désirent s'emparer de la langue pour lui imposer de nouvelles façons de dire, de voir le monde et de se mouvoir en lui. Comme toute la galaxie du wokisme, les lobbyistes du «iel» se rangent dans ces contre-pouvoirs, aussi rompus à la subversion qu'assoiffés de domination.

    L'affaire de l'officialisation de ce nouveau pronom est d'acquérir de l'influence politique et anthropologique sur la réalité extérieure au langage. Sur la réalité humaine. Depuis Richelieu, le dictionnaire est toujours une instance de légitimation. Richelieu a pensé l'Académie française, chargée de confectionner le dictionnaire, comme un dispositif politique. Prétendant refléter la réalité, le dictionnaire vise au contraire à la modeler. L'installation de «iel» dans les pronoms autorisés se propose de permettre à une réalité sexuelle incroyablement minoritaire, quasiment inexistante, de bouleverser la réalité telle qu'elle est ordinairement perçue.

    Apparemment, les lexicographes tombés sous le charme du wokisme LGBT souhaitent enrichir la langue française, lui ajouter quelque chose. Apporter un joyau nouveau au trésor de la langue française. Si ce n'était que cela, cette modification resterait anodine. L'on pourrait la réputer sympathique. En réalité, les promoteurs du «iel» désirent subvertir la logique de notre langue en la déstabilisant en son point le plus décisif, celui du dualisme des sexes. Il s'agit pour eux de s'attaquer à la pierre de touche, la clef de voûte, de la langue française, cet édifice semblable à une cathédrale ou à un château, cet édifice patrimonial, afin de provoquer l'effondrement de la logique humaine – le partage de la réalité selon les deux sexes – qu'elle soutient. En particulier : le parler selon les sexes. Le parler selon les deux sexes. La parler selon la dualité sexuelle.

    Jusqu'à l'édition 2022 du Robert, les pronoms personnels demeuraient partagés en respectant la biologie. La logique grammaticale croisait la logique biologique. Ces pronoms articulaient un rapport étroit entre la biologie, la grammaire, le social, et le symbolique. Ils rivaient ensemble les trois niveaux de l'être : le biologique, le social, et le psychologique. Clouer au rivet n'est pas la même chose que refléter. Rien n'est plus évident : les forces qui poussent à la légitimation du pronom iel, qui est tombé de la dernière pluie, n'ont de cesse que de briser l'ordre biologique de l'humain, de casser le rivetage entre les ordres biologiques, psychiques, symboliques, et sociaux. Le militantisme à l'œuvre dans ce putsch lexical aspire à étendre la substitution du genre au sexe, déjà bien avancée, à amplifier la débiologisation de la réalité humaine dans sa détermination par le sexe.

    Déclinaison du sujet, un pronom personnel n'est aucunement un mot comme les autres. Il est un mode d'existence de l'être humain. La réalité et le langage sont, dans ce type de pronom, profondément en fusion. Quand je dis «je», ce pronom n'est pas qu'un mot – il est : moi. Il est Inséparable de la réalité que je suis. Il ne reflète pas cette réalité, il la porte. Il est le vêtement de cette réalité qui la porte dans le monde, aux yeux des autres. Sans ce pronom, «je», je n'appréhenderais pas la réalité que je suis. D'une certaine façon cette réalité n'existerait pas. Ce que nous affirmons de «je» est aussi vrai de «nous» : les groupes, les communautés, les nations, s'auto-appréhendent à partir du pronom «nous». Ainsi, toucher à la logique des pronoms, comme le fait ce putsch du «iel», la bousculer, revient à imposer des changements anthropologiques. C'est toucher à la constitution symbolique de l'être humain. C'est toucher à l'idée que l'être humain se forme de sa place dans le cosmos – ce que Pascal appelait sa dignité.

    Les partisans du pronom «iel» sont à juste titre convaincus que la langue est créatrice de réalité, humaine, symbolique, politique. À leurs yeux «Iel» sera subversif demain comme le prolétariat était révolutionnaire hier. À de multiples reprises dans son œuvre, Karl Marx suggère que le prolétariat n'existe pas comme classe en dehors de l'existence même de ce mot. La propagation du mot fera exister dans la société la chose qu'il nomme, le prolétariat comme classe révolutionnaire. La leçon marxienne a été bien retenue. Coup de force, l'entrée du «iel» - en vérité celle du wokisme dont l'idéologie LGBT n'est qu'un chapitre – dans le Robert, auquel tous les collégiens et lycéens ont à se référer comme à une bible de la langue – constitue, dans le domaine linguistique, un analogue de ce que fut la prise du Palais d'hiver par les partisans de Lénine: le début d'une reconfiguration, à partir du langage, de la réalité. Avant-garde, comme le fut le parti de Lénine, le wokisme LGBT est un néo-bolchévisme qui, à l'instar de son devancier historique, rêve de fabriquer un homme nouveau dont «iel» serait l'embryon.

    Robert Redeker (Figaro Vox, 23 novembre 2021)

     
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