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Points de vue - Page 23

  • Qui est légitime ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux États-Unis qui sont devenus une puissance de désordre et de chaos et au monde qui se prépare contre eux...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Qui est légitime ?

    La puissance légitime appartient à qui apporte la paix.

    Longtemps, les États-Unis d’Amérique du Nord ont pu revendiquer la puissance mondiale parce qu’ils ont été une puissance d’ordre et de paix. Tenus par les limites de la confrontation avec le communisme soviétique, du bon sens et de la raison, les États-Unis ont joué un rôle que certains comparent à celui de l’Empire romain — un rôle de bienveillance armée. Les Européens se rappellent que Jean Monnet a accueilli le plan Marshall comme un moyen de l’indépendance de l’Europe, d’ailleurs en prévoyant une entente avec la Russie. Bob Kennedy a rapporté les sages instructions de JF Kennedy lors de l’affaire des fusées à Cuba en 1962 — l’Union soviétique n’a pas subi une défaite, une grande puissance ne doit pas être humiliée, et seule la paix a gagné. Qui s’en souvent aujourd’hui à Washington ? Et la sagesse de George Bush lors de l’invasion du Koweit par l’Irak a illustré encore en 1991 la retenue stratégique et l’intelligence politique des États-Unis — mettre fin à l’invasion, punir l’agresseur, mais laisser vivre le régime irakien, régime baasiste, laïque, opposé à l’islamisme radical. Qui sait encore à Washington ce qui signifient les mots de retenue et d’intelligence ?

    Depuis l’aventurisme des néoconservateurs, les États-Unis sont devenus une puissance de désordre, de chaos et de terreur. Et ils sont devenus le pire ennemi de leurs alliés, et leur propre ennemi. D’abord, par l’obsession militaire qui les conduit à entretenir 800 bases dans le monde — qui croit vraiment que la sécurité des États-Unis est à ce prix ? Et que disent les contribuables américains du racket de l’industrie militaire ? Ensuite, en vertu de la désignation de Nations comme cible de destruction — le général Wesley Clark s’est illustré en listant huit pays à détruire — de la Syrie à l’Afghanistan, de l’Iran à l’Irak, du Soudan à la Palestine, des millions de morts ont payé les crimes impunis des va-t’en guerre américains. Désormais, la majorité des peuples dans le monde savent qui sont les vrais terroristes, capables de réduire des peuples à la ruine et au chaos par le déchaînement de haines bibliques — et ils n’ont rien à voir avec les suspects désignés, l’Islam, les nationalismes ou les « rogue states ». Enfin et surtout, par l’incapacité du régime de ce capitalisme totalitaire qui a rompu tout lien avec le progrès collectif, le bon sens et la raison, à apporter bien être et prospérité aux populations — la montée de la misère aux États-Unis en est le meilleur exemple.

    Le piège ouvert par l’implosion de l’Union soviétique a fonctionné. Privé de son ennemi, l’empire américain en est venu à considérer le monde comme son ennemi — et à faire du monde son ennemi.

    Et ses promesses se sont évanouies. Celles de la paix et de l’ordre, d’abord. Celles ensuite de la démocratie comme libre choix par les peuples de leur destin. Celles surtout de la prospérité, qui désormais se situent clairement loin, ailleurs, et aussi, contre. Le résultat est là ; il était dangereux d’être l’ennemi des Américains, il est maintenant tout aussi dangereux d’être leur allié — Israël y réfléchit, l’Ukraine le paie d’une jeunesse foudroyée, et l’Union européenne devrait y penser.

    Quelle différence ! Le monde se détourne des États-Unis et cherche ailleurs la paix, la liberté, et la prospérité. L’accord de paix survenu sous l’égide de la Chine, au terme de semaines de négociations à Pékin, entre l’Arabie Seoudite et l’Iran, est exemplaire. Quelles que soient les pressions, les menaces, et demain peut être, les tentatives d’assassinat à l’encontre de Mohamed Ben Salman (qui n’est pas encore assuré de la succession au trône), la Chine a mis fin au diktat américain, à son parti pris et aux « deux poids, deux mesures » qui a ôté à Washington toute légitimité à intervenir dans la région. Et les menées conduites au Soudan, avec la trouble contribution des Émirats arabes unis et d’Israël, n’ont rien pour améliorer la légitimité de prétendus faiseurs de paix qui attisent la tempête et sabotent la paix revenue au Yémen.

    Le soutien au rebelle Emiti est-il le prix à payer par le Soudan pour avoir accepté des bases chinoises et russes, par la Ligue arabe pour avoir mis fin aux accords d’Abraham et au projet délirant du « Great Middle East », réintégré la Syrie et remis à l’ordre du jour la question des droits légitimes de la Palestine ? Une puissance incapable d’apporter la paix ne sait plus que se venger en suscitant la guerre, le désordre et la mort. Faut-il parler de fin de règne ?

    La proposition d’accord de paix à l’Ukraine, objet désormais d’échanges permanents entre Pékin et Kiev, recueille l’adhésion au moins tacite de la majorité des puissances opposées à la guerre comme aux sanctions, et menace de révéler l’isolement des États-Unis et de leurs colonies européennes. Et davantage est à venir. Si la rencontre à Delhi des ministres de la Défense russe et chinois a un sens, c’est bien que la Chine et l’Inde peuvent s’entendre, et sont conscients qu’un nouvel état du monde peut découler de l’entente des deux pays les plus peuplés de la planète, et qui seront aussi la première et la troisième économie du monde dans moins de dix ans.

    Le nouvel état du monde résultera à la fois du dividende démographique dont va bénéficier le monde indien (de l’Iran à la Birmanie, plus de deux milliards) et de l’intégration du continent eurasiatique à lui-même. L’Europe voit toujours dans la Chine l’atelier du monde, alors que la réalité est que déjà, les pays de l’Océan indien et de l’Asie du Sud-est, jusqu’à l’Indonésie, se substituent à elle ; les seuls pays de l’Océan Indien devraient fournir dans la prochaine décennie la moitié de la main d’oeuvre jeune et professionnellement formée du monde ! Et ces pays peuvent connaître des croissances fortes et durables parce qu’autocentrées, territoriales, et procédant des multiples accords de libre-échange, d’investissement dans les infrastructures de transport et de partenariats monétaires et financiers qui se nouent — les accords de l’Organisation de Shanghai et des BRICS n’étant que les plus connus de multiples liens qui promettent à chaque membre de bénéficier pleinement de ses avantages comparatifs dans une zone qui sera à la fois le premier marché du monde, le premier atelier du monde, et le premier continent à se libérer du racket imposé par le dollar.

    Ajoutons qu’à l’inverse de l’autosabotage entrepris par l’Union européenne au nom d’une transition écologique manipulée, la région de l’Océan indien est aussi celle qui disposera des plus grandes quantités d’énergie à bas prix, gaz et pétrole, voire charbon indonésien — et qui les utilisera. L’énergie reste le moteur de la croissance, et un pays qui limite son accès à l’énergie se condamne à la désindustrialisation, donc à la dépendance stratégique — qui le dit à Bruxelles ?     

    Pour qui sillonne la région, la rapidité avec laquelle la zone est en train de s’intégrer à elle-même est saisissante. Pipe lines et gazoducs, voies ferrées (comme celle qui va de la Russie à l’Iran, et branche le Transsibérien sur le Golfe persique), routes et autoroutes (comme le CPEC, corridor descendant d’Asie centrale vers les ports de Gwadar ou de l’Iran), aéroports, mettent fin au relatif cloisonnement qui faisait si bien l’affaire des anciennes puissances coloniales. Elle menace aussi la suprématie des puissances de la mer, les transports d’énergie, de matières premières, de biens finis ou semi-finis se faisant majoritairement par terre. Elle est surtout révélatrice de l’aveuglement de l’Union européenne, se laissant isoler des « Routes de la Soie », qui désormais se tournent vers le Sud, rendent à l’Iran le rôle de pivôt continental qui fut longtemps le sien, et promettent à l’Asie centrale une ouverture que la tutelle soviétique leur avait fait perdre.

    Le cœur du monde bat dans l’Océan Indian. Et s’entrevoit une profonde transformation des institutions internationales, la capacité croissante de chaque pays de commercer dans sa monnaie nationale, de préférence au dollar, devant conduire au développement de multiples marchés financiers recyclant les excédents commerciaux des pays exportateurs, facilitant le financement des dettes publiques comme des investissements privés, et mettant les pays de l’Océan Indien et de l’Asie à l’abri de la contagion des crises issues des dérives bancaires et financières américaines.

    C’est là du moins la perspective. Celle développée par exemple par Charles Gave, qui annonce un boom des investissements en infrastructures historique dans la région, donc une hausse des taux réels et de la production de biens réels irrésistible (l’Institut des Libertés, 3 mai 2023). Celle qui oublie à la fois les fragilités de la zone considérée et surtout, les réactions des autres acteurs à une perspective pour eux inquiétante, voire effrayante. Qui consulte la liste des participants aux organisations de la zone ne peut qu’être pris de doute ; coopération saine et durable entre l’Inde, le Pakistan et le Bangla Desh, quand les uns et les autres s’accusent de terrorisme, voire, dans le cas du Bangla Desh, du génocide de 3 millions de leurs citoyens en 1971 ?

    Coopération franche et ouverte avec le Brésil, dont le nouveau Président a bénéficié pour son élection de tous les soutiens que les États-Unis peuvent apporter ? Consistance d’accords qui réunissent des pays aussi différents que l’Égypte et le Mexique, l’Iran et le Vietnam ? Et même, accord durable entre la Chine et la Russie, qu’opposent tant de revendications territoriales non réglées à ce jour ? Les organisations régionales ou mondiales présentées comme des alternatives aux organisations construites par les États-Unis n’en ont à ce jour ni la consistance ni le caractère armé — les accords de défense, voire les alliances concurrentes de l’OTAN, du Quad (dont est membre l’Inde), de l’Aukus, sans parler des Five Eyes, sont sans équivalent ni alternatives à ce jour. Et demain ?

    Le plus décisif est aussi le plus préoccupant. La suprématie du dollar contribue à 20 % ou 30 % du niveau de vie américain — un niveau de vie dont il faut rappeler qu’il repose sur 33 000 milliards de dette publique aussi bien que sur un déficit éclatant d’investissements publics en infrastructures, etc. (le moindre drame de la Présidence actuelle n’étant pas que la France suit la même voie). Aucune puissance ne peut accepter sans se battre la baisse de son niveau de vie et de ses moyens qu’entraînerait l’abandon du dollar comme monnaie internationale. Dans la guerre hors limites qui se joue à partir de l’Opération spéciale russe en Ukraine, bien peu voient l’affolante perspective d’une puissance qui fut hégémonique, les États-Unis, menacés dans ce qui fut leur élan vital, la certitude de fixer le cours du monde, et d’apporter partout avec eux l’Ordre et la Loi, découvrant que le monde vivrait mieux sans eux, s’organise pour se passer d’eux, et condamnés à risquer une guerre mondiale pour conserver ce monopole du Bien qui reste la source de leur élan.

    Des soldats de l’armée indienne défileront à Paris pour le 14 juillet. C’est une première. La France aurait-elle compris l’urgence d’une politique de l’Océan Indien ? Catherine Colonna qui a récemment visité Delhi avait porté aux côtés de Jacques Chirac la défunte politique arabe de la France (lire Ahmed Youssef, « L’Orient de Jacques Chirac — la politique arabe de la France », Editions du Rocher, 2003). Dans ce cas comme dans l’autre, la France a-t-elle encore la liberté de choisir le monde qui vient, contre celui qui l’occupe ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2023)

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  • L'universalisme, ou le danger d'une morale hypertrophiée...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non dans laquelle il évoque un pan de la pensée d'Arnold Gehlen au travers de son essai récemment traduit, Morale et hypermorale (La Nouvelle Librairie, 2023).

    Figure de proue de l'anthropologie philosophique, Arnold Gehlen, dont la réflexion porte sur l'homme en tant qu'"animal inachevé" (Nietzsche) mais "ouvert au monde", est considéré comme un des intellectuels conservateurs les plus importants  du XXème siècle. Son œuvre a été traduite très tardivement en français et donc largement ignorée de ce côté-ci du Rhin. Après la publication de deux recueils de textes intitulés Anthropologie et psychologie sociale (PUF, 1990) et Essais d'anthropologie philosophique (Maison des sciences de l'homme, 2010), les éditions Gallimard ont publié son maître-ouvrage L'Homme - Sa nature et sa position dans le monde en 2021, quatre-vingts ans après sa sortie en Allemagne.

     

                                           

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  • Faut-il dépasser le clivage mondialisme/populisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Peter Columns cueilli sur Rage (le "magazine prométhéen qui redonne l’amour de l’avenir et de la civilisation occidentale" !...) et consacré à la question du clivage populisme/mondialisme, question qui suscite en ce moment des débats assez vigoureux dans la mouvance identitaire, au sens large...

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    Faut-il dépasser le clivage mondialisme / populisme ?

    Lorsqu’on étudie la tendance générale de la politique occidentale de ces dix dernières années, un phénomène frappe. Celui-ci se caractérise par la montée en puissance d’un courant de pensée populiste, qui entend faire la synthèse entre un patriotisme de gauche et de droite, dirigé contre les élites et le mondialisme. Au bout de dix ans, il est temps de revenir sur les résultats obtenus, et d’étudier la question suivante : faut-il continuer avec le clivage mondialiste/populiste ou bien réhabiliter le clivage gauche/droite ? Je vais argumenter en quatre points pour tenter de défendre un abandon de ce clivage.

    Le clivage mondialisme / populisme nous éloigne des sujets qui comptent

    Tout d’abord, il est nécessaire d’établir un premier constat. Pour qu’une ligne soit digne d’intérêt, elle ne doit pas seulement nous garantir la victoire, mais aussi contenir les solutions capables de résoudre la situation dans laquelle nous nous trouvons. Une victoire construite sur une agrégation de mécontentements n’a pas de réelle valeur, et peut se révéler contre-productive. Or voilà le début des problèmes.

    Le clivage « mondialistes contre populistes » nous éloigne du vrai sujet, le remplacement et l’effacement du peuple, pour préférer des thèmes secondaires, plus hasardeux. La doctrine populiste consiste à vouloir lier tous les sujets contestataires ensemble, du plus légitime au plus absurde, pour opposer un bloc compact face aux “élites” qui dirigent les différents pays occidentaux.

    Or, cet arrangement ne se fait jamais au bénéfice des thèmes identitaires, bien au contraire. Les thèmes identitaires sont utilisés pour nourrir une sphère de contestation qui n’a aucun autre objectif que de se justifier elle-même. Le changement de peuple en Occident, phénomène majeur de l’Histoire de l’humanité, ne devient plus à travers la ligne populiste qu’un sujet de contestation parmi les autres. Et pas forcément le meilleur lorsque seule la contestation compte, et que les influenceurs populistes peuvent aisément se nourrir des effectifs de la gauche et de l’immigration du tiers-monde, très versées dans les thèses complotistes et délirantes.

    Que pèse le fait de sauver les peuples européens lorsque l’anti-racisme règne en maître parmi les consommateurs de contenu complotiste? Pas grand chose. Une fois la crédibilité de la lutte contre l’immigration et les effectifs identitaires consommés, ce combat est tout simplement oublié.

    Ce qui nous amène au second point : en choisissant ce clivage, nous sommes sommés d’accepter un certain nombre de positions mortifères de la gauche. Des positions qui ne peuvent déboucher sur aucune solution capable de soigner le pays et de lui redonner un statut. Si à la fois le centre et la droite courtisent la gauche, l’utilisant comme un outil pour se dominer l’un et l’autre, alors il ne faut pas s’étonner que l’argumentaire de la gauche dévaste complètement nos sociétés.

    Tout l’intérêt du combat identitaire est de mettre la démographie au cœur du débat public. On peut donc se demander : si la victoire demande de sacrifier cet enjeu, en vaut-elle la peine ? Je crois sincèrement que non. 

    Pouvons-nous dire que le clivage mondialiste/populiste, qui laisse de côté l’enjeu démographique, nous fait épouser des enjeux plus consensuels et susceptibles de nous faire gagner par ailleurs ? Je ne le crois pas. Au contraire, on se rend compte que l’opinion publique se range très majoritairement du côté du pouvoir en place sur tous les sujets qui ne concernent pas l’immigration.

    Lutter contre les élites n’est pas un projet en soi et ne porte aucune vision. C’est un mouvement politique sans doctrine, sans épine dorsale, qui ne travaille l’opinion publique qu’en surface. C’est en réfléchissant à un projet politique, au fait qu’il tienne debout et qu’il soit crédible, que l’on réactive de fait le clivage gauche/droite. Que désirons-nous pour la France ? Défaire l’égalitarisme qui détruit tout dans tous les domaines. Cette lutte contre l’égalitarisme se décline sur le plan identitaire, considérant que c’est par volonté de rendre tous les peuples égaux que l’immigrationnisme détruit la société. C’est aussi par égalitarisme que l’on interdit aux Européens d’exprimer toute la richesse de leur identité.

    La vision portée par l’identitarisme est de redonner au meilleur, l’identité européenne, la chance de s’exprimer. Il s’agit donc davantage d’un clivage égalitarisme/élitisme. C’est la recherche d’une excellence perdue qui nous préoccupe. Épouser le logiciel de gauche dans l’espoir de créer un front anti-mondialiste nous éloigne de la possibilité de rendre aux Européens les clés de la réussite.

    Rien ni personne ne peut contrôler le populisme, ni même prédire ce qu’il nous fera défendre demain. C’est une créature née sur les réseaux sociaux, qui nourrit des influenceurs qui papillonnent d’une cause politique à l’autre sans discontinuer ni jamais rendre de compte. Aussitôt une cause décrédibilisée, ils s’envolent vers une autre. Comme si de rien n’était.

    Mais nous, nous n’avons qu’une seule cause. Préserver l’intégrité du peuple français, et des peuples européens en général. Garantir le substrat de la civilisation. Et nous ne pouvons pas nous permettre de la décrédibiliser. Plutôt que de verser dans l’approche populiste qui tend à faire exploser la radicalité sur des sujets qui ne sont pas réellement importants, nous devrions nous concentrer sur le fait de proposer des solutions rationnelles à des problèmes graves.

    Le dernier problème lié à la dérive populiste est la culture de la colère. Une colère fanatique et stérile. La colère est toujours à double tranchant. Il est très aisé de se faire contrôler par ceux qui contrôlent notre colère. Et c’est exactement ce qu’ont su faire la gauche et le centre : imposer l’agenda politique, contrôler la colère de la droite et la pousser constamment à être dans une posture de réaction, et donc de faiblesse. Désormais, des pans entiers des réseaux militants qui furent jadis “patriotes” sont désormais utilisés pour promouvoir les combats les plus absurdes. Des dizaines de milliers de militants qui auraient pu être efficaces dans une lutte rationnelle pour l’identité ont été fanatisés sur des sujets marginaux.

    Le discours populiste nous empêche de rallier à notre cause une partie des élites et de la société civile

    Il s’agit donc de faire reposer le pouvoir acquis sur une victoire idéologique. Mais pis encore, il ne faut pas simplement gagner, mais durer au pouvoir, et garantir une assise suffisante dans la société pour exercer ce pouvoir correctement. Une victoire éphémère, un coup d’éclat d’un jour, qui redonnerait juste après le pouvoir aux remplacistes pour les décennies à venir ne présenterait pas le moindre intérêt.

    L’expérience Trump nous a appris une chose : il n’est pas possible de diriger convenablement un pays contre les élites et la société civile. Un courant politique qui déciderait de diaboliser les élites, et les classes aisées en général, se retrouvera démuni, piégé dans une tour d’ivoire dont il ne pourra pas sortir, avant d’en être éjecté lors des prochaines élections.

    Qu’on le veuille ou non, les mondialistes dirigent, et doivent faire face à des problèmes concrets. Et pour convaincre sur la durée, on se doit d’essayer de comprendre avec quels paramètres ils jouent, comprendre leurs préoccupations, et montrer que nous serions capables nous-mêmes de gérer « la Machine ». Nous devons retourner une partie de l’élite en notre faveur, afin de pouvoir gouverner avec une partie de la société civile de notre côté. 

    Redresser la situation va être long. Il n’y aura pas de baguette magique une fois aux commandes. Ce sera dur. Très dur. Une vraie victoire qui reposerait sur un malentendu pour nous planter ensuite ne servirait à rien. Nous pouvons citer l’exemple de l’alliance Lega/M5S qui a volé rapidement en éclats en Italie, pour laisser place à une alliance de centre-droit sous l’égide de Georgia Meloni, qui semble tenir bon. Nous pouvons citer également l’exemple du Danemark, où l’extrême-droite s’est montrée plus conciliante et prompte à des alliances avec le centre, au point d’influencer considérablement tout le spectre politique.

    La phase finale de la dédiabolisation

    Regardons attentivement ce qui s’est produit pendant ces dix dernières années. La conséquence première de dix ans de populisme a été de consolider un bloc que l’on pourrait appeler d’extrême-centre, pratiquement indéboulonnable, muni de tous les pouvoirs dans la société, avec une adhésion totale de toutes les strates influentes qui la compose.

    La réaction du centrisme au front populiste fut extrêmement efficace. Le centrisme a su contrôler rapidement le narratif pour le décrédibiliser. C’est ainsi que naquit un extrême-centre muni de pratiquement tous les pouvoirs dans la société, reposant sur une base électorale convaincue de maintenir le pays à flot envers et contre tous, se sentant assiégée de toute part, détentrice de la vérité et du fact-checking. L’attention totale du centre est désormais concentrée sur le fait de savoir si l’extrême-droite, par exemple, va s’associer aux manifestations de l’extrême-gauche sur la réforme des retraites. Mais dans cette évolution, une chose fondamentale s’est produite : la cible du centrisme n’a plus été l’extrême-droite, mais le populisme.

    Que ce fût calculé ou non, la décennie populiste a été particulièrement dévastatrice pour la gauche. Dans un premier temps, l’extrême droite a abandonné ses thèmes pour reprendre le discours de la gauche en cherchant à poser le clivage mondialisme/populiste. Ce faisant, subrepticement, la diabolisation est passée à gauche. Aujourd’hui, il est devenu plus grave d’être populiste qu’identitaire.

    Mais le centre lui-même est plein de contradictions. Et la source de son pouvoir vient en vérité d’une alliance tacite avec la gauche. Une alliance qui devient maintenant bien plus complexe. En basculant dans une approche antipopuliste, le centre s’est mis en danger. On le voit sur des thèmes comme le nucléaire, où la démagogie est de moins en moins tolérée. Son alliance tacite avec l’extrême-gauche devient chaque jour un peu plus impossible, et les fronts républicains se retournent, comme nous avons pu le voir aux dernières législatives.

    Il n’est donc pas surprenant que dans un second temps, inconsciemment, l’extrême droite se détourne du populisme, se normalise, reprenne ses anciennes revendications, tant en s’assurant que la diabolisation reste attachée au populisme. La dernière phase de la dédiabolisation est donc de reprendre le clivage gauche/droite.

    L’erreur maintenant serait de ne pas changer de partition, et de ne pas retourner le populisme contre le centre. Elle consiste donc à dire au centre : vous voulez lutter contre le populisme ? Très bien, mais dans ce cas allez au bout, et revenez sur votre démagogie également sur le sujet de l’immigration. Regardez vous maintenant dans le miroir. Vous êtes totalement corrompus par la gauche.

    Revisiter la question du patriotisme pour se prémunir contre le populisme

    Comment nous prémunir des dangers du populisme, et combler les trous idéologiques qu’il pourrait laisser si nous décidions de nous en séparer? Souvent la droite se fait happer par le populisme avec l’angle du patriotisme. Le populisme arrive à nous faire miroiter un monde imaginaire où gens de gauche et de droite pourraient se réunir autour de la patrie. Revoir notre conception du spectre politique occidental implique de reconsidérer certains points de vue. Le dernier élément est que le mondialisme n’est pas forcément une mauvaise chose, et que le patriotisme n’est pas forcément une bonne chose.

    Par exemple, faut-il vraiment être contre des échanges culturels et économiques fructueux entre les nations ? Ne sommes-nous pas heureux de bénéficier des productions américaines et japonaises, et ne voudrions nous-mêmes pas que la France exporte et rayonne davantage ? Sur le plan économique, le protectionnisme qui découle du patriotisme nous empêche d’aller au fond du problème : pourquoi la France n’est plus compétitive, pourquoi subit-elle une telle émigration de ses talents, pourquoi le coût du travail devient mirobolant alors même qu’il devient de plus en plus difficile de vivre avec le salaire net, pourquoi les actionnaires français se désengagent. Fermer les frontières ne résoudra jamais les problèmes économiques qui se trouvent à l’intérieur de notre territoire.

    De la même façon, faut-il être contre les apports culturels étrangers ? Tous les apports culturels se valent-ils? C’est une chose d’accepter quelques influences de puissances économiques qui rencontrent le succès, C’en est une autre que la tiers-mondisation, l’imposition de cultures étrangères complètement dysfonctionnelles sur notre sol. Tous les échanges culturels ne se valent pas. Il n’y a aucune honte à se saisir d’éléments d’une culture qui rencontre le succès. Il n’y a aucune honte à rejeter les éléments d’une culture qui rencontre l’échec. Il est totalement sain d’être ouvert aux échanges culturels intéressants, tout en défendant férocement son existence sur le plan démographique.

    Faut-il être contre l’immigration de travail et la circulation libre des personnes, si elles respectent la loi, et repartent lorsque leur visa de travail expire ? Quelle place pour le rôle des importations et des exportations lorsque notre pays devient vieillissant et que le coût de production explose de ce fait ? Faut-il donc lutter contre la mondialisation, ou bien tout ce qui rend l’activité économique insoutenable sur le sol français ?

    Il en va de même pour la remise en question du patriotisme. Avec le temps, ce dernier est devenu quelque chose de vide de sens, qui oublie le peuple, pour lui préférer des symboles abstraits. En voulant élargir la question du patriotisme au point d’englober le populisme à la fois de gauche et droite, la patrie à défendre s’est retrouvée vidée de toute substance. De cette façon, le patriotisme (ou bien le nationalisme) a doucement dérivé vers ce qui a fini par s’appeler le souverainisme, compatible avec le populisme.

    Mais la patrie est elle une simple opposition à une classe dirigeante? Est-elle un sol magique qui naturalise ceux qui s’y trouvent ? Est-elle un drapeau ? Est-elle une équipe de football ? Ou bien un Etat ? Que devient la patrie lorsqu’on l’a dépossédée du peuple? Un rien. Une course vers plus d’étatisme, comme si l’Etat pouvait décréter l’identité pourvu qu’il y ait une discipline de fer, ou bien une distribution générale d’aides sociales.

    Ainsi, au patriotisme, il faudrait préférer prendre le peuple pour socle, et avoir confiance dans le génie qu’il a maintes fois prouvé dans son histoire. Le souverainisme a tenté de proposer un nationalisme sans le peuple. Les identitaires devraient peut-être maintenant songer à une doctrine centrée sur le peuple avec un nationalisme atténué.

    Il ne s’agirait donc pas d’échanger le patriotisme contre le mondialisme, au moment même d’ailleurs où le monde sort petit à petit de la mondialisation, et voit éclore un peu partout des guerres réelles ou commerciales. Nous vivons une période de transition importante. Il s’agirait plutôt de chercher un juste milieu, et de résoudre les contradictions entre ces deux courants opposés. Et ce juste milieu, je crois, peut se défendre au sein de ce qui s’appellerait la droite civilisationnelle. C’est à dire une droite qui ferait la part des choses, en circonscrivant l’élan universaliste et en lui posant comme frontières celles du monde occidental/européen.

    L’époque de la mondialisation qui a commencé dans les années 80 est en train de se refermer. Cela, les “élites” le comprennent de plus en plus. Les cartes en sont rebattues. Nous devons nous aussi en prendre conscience et capitaliser sur cette nouvelle ère qui s’ouvre.

    Peter Columns (Rage, 20 mars 2023)

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  • Une révolution est-elle possible ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui montre que les conditions d'une révolution en France sont loin d'être réunies...

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy, qui est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire, a déjà publié plusieurs essais dont Nietzsche l'actuelL'amour et la guerre - Répondre au féminisme et Philosophie de droite.

     

                                            

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  • Quand le français n'est plus perçu comme un héritage mais comme une mise à jour d'iPhone sans fin...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Carl Bergeron cueilli sur Figaro Vox et consacré à la volonté de certaines associations de généraliser l'écriture inclusive. Carl Bergeron est un écrivain québécois.

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    « Au Québec aussi, le français n'est plus perçu comme un héritage mais comme une mise à jour d'iPhone sans fin »

    Dans mon pays, une «Association des professeur.e.s de français» a dénoncé la «langue poussiéreuse» que ses membres auraient le fardeau d'enseigner et de transmettre. À en croire son porte-parole, ils rêveraient la nuit de «moderniser» l'usage du participe passé avec l'auxiliaire avoir pour le rendre invariable. Enseigner des règles «décidées il y a 400 ans» prendrait trop de temps, et ne serait pas en phase avec la «réalité des jeunes».

    Les «professeur.e.s.» ne savent plus faire ce que les « professeurs » savaient faire (ah bon, que s'est-il passé ?). Il serait donc urgent, non de corriger leur pédagogie, mais de changer les règles de grammaire, en affectant d'assouplir une langue qu'on aura pris soin de décréter raidie par les siècles. Ô Passé rigide, que de crimes commet-on en ton nom !

    Prétendue élitiste, la langue française souffrirait de la comparaison avec un certain anglais mondialisé, qui emporterait l'adhésion de la jeunesse branchée. Pour «s'adapter» aux Gafam, il nous faudrait un français «liquide», débarrassé de ses scories et ouvert aux manipulations des linguistes, qui prendrait le pli du monde tel qu'il se décide en Californie. La langue n'est plus un héritage : elle devient une mise à jour d'iPhone sans fin.

    Telle serait la manifestation du «sens de l'Histoire», qui nous placerait devant le choix de l'adhésion enthousiaste ou de l'exclusion aigrie. Les réfractaires qui trouveraient quoi que ce soit à y redire seraient ou des bêtes de cirque délirantes, qu'il importerait de calmer par de pédantesques appels à la mesure, ou des grincheux sous le joug de passions tristes (il est bien connu que ceux qui veulent soumettre la langue à leurs fantasmes politiques et en appellent à la mort sociale de leurs adversaires sont de joyeux drilles).

    C'est la base du mensonge révolutionnaire : déclarer «mort» tant du point de vue du sens de l'Histoire («poussiéreux»), de la démocratie («discriminatoire»), de l'esthétique («ringard») que de l'efficacité («inutile») ce que l'on cherche à liquider. Le mensonge se pare de l'apparence de l'évidence, par des formules truquées, censées introduire des principes démocratiques inédits, que peu de citoyens auront l'idée de remettre en cause, sous peine de se voir expulsés du «cercle de la raison», cette nouvelle nef des fous.

    Ainsi ladite «écriture inclusive», qui ment sur ce qu'elle est, en expropriant la langue qu'elle se propose de moraliser. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'écriture, mais bien de réécriture, soit de falsification : ladite «écriture inclusive» est un parasite qui se greffe sur la langue pour la vider de son sens – ou de son sang. Les complications qu'elle introduit par la porte d'en arrière n'augmentent pas la puissance ou la beauté du français, comme les «vieilles règles décidées il y a 400 ans», présumées vermoulues par les incultes, mais multiplient dans le maillage de la phrase les verrous contre la pensée, au nom de la vertu.

    Que nous dit l'«Association des professeur.e.s. de français» lorsqu'elle se présente sous ce nom dégradé, sinon que la langue qu'elle revendique n'est justement plus le français, tel qu'il nous a été transmis par nos ancêtres, mais un ersatz qui promeut le faux et interdit le vrai ? Une non-langue, qui n'est pas, ne peut penser et exprimer ce qui est. Elle ne peut que ratifier le faux en rendant impraticable le vrai. Et séduire trois catégories de gens : les terroristes intellectuels, les notables qui «collaborent» et les conformistes.

    L'apathie des élèves est-elle vraiment due aux Gafam, au manque d'heures d'enseignement, ou au mépris à peine voilé que leur vouent les adultes en autorité, qui leur destinent un français à rabais et plastifié, tout en ayant le culot de prétendre au passage que 1) c'est ce qu'ils demandent ; 2) c'est ce que la «réalité d'aujourd'hui» exige ?

    Disons que j'offre à un adolescent de choisir entre un jeu vidéo ou un roman de Flaubert, et qu'il opte pour le jeu vidéo, dis-je toute la vérité si je prétends que c'est ce qu'il demande ? Rien ne suscite plus l'apathie des jeunes gens que d'être placés devant des adultes inconséquents, qui ne croient pas en ce qu'ils doivent enseigner et transmettre.

    Lorsqu'une association de professeurs de français assume la falsification du langage jusque dans son nom, elle fait plus que d'y céder : elle y consent pour en faire un point de doctrine. Elle invite ses membres à s'effacer derrière le signe abstrait du collectif. Faites le test, pour voir. Inscrivez-vous à une association avec un nom en «inclusif» et à une autre avec un nom régulier, et osez dire que vous y avez la même liberté de parole ?

    Plus l'idéologie progresse dans son usurpation de la réalité et de l'être, plus elle prétend que la réalité et l'être ne sont qu'une fiction. Le critère de vérité ne se voit plus convoqué dans l'examen de la légitimité d'un propos : est «vrai» ce qui est digne d'exister, soit ce qui est jugé idéologiquement conforme. L'humilité devant le donné, qu'il vienne de la nature (différence sexuelle) ou de la culture (langue française), fait place à un orgueil prométhéen déviant, qui prétend pouvoir tout : changer arbitrairement les règles de grammaire ; décréter le bien et le mal, le moderne et le ringard ; mais aussi désigner dans la cité qui est le citoyen, le résident ou le paria – l'intellectuel, le polémiste ou le facho.

    Puisqu'il ne leur a pas été donné de convertir les cœurs, de renouveler la langue de l'intérieur dans des œuvres belles qui leur survivent, ils se vengent en «moralisant» et en «changeant» le patrimoine de l'extérieur. «La-langue-qui-évolue» n'est qu'un alibi.

    La langue française, ce continent englouti et ce merveilleux jardin, qu'une vie ne suffirait pas à explorer, fût-ce en partie (il suffit de plonger dans un gros tome Littré du XIXe siècle pour être saisi de vertige devant ce qu'elle peut), n'est plus reçue en tant que réalité organique, co-création des hommes et des siècles, mais comme un bibelot poussiéreux qu'on peut tripatouiller selon ses caprices. C'est toute une vision du monde qui se révèle.

    Pour s'ouvrir au génie d'une langue ou entrer dans une œuvre, l'on commence par se mettre en retrait et par enlever ses sandales. Je m'inspire pour l'allégorie d'un prêtre, présent à la table ronde de la «Nuit Pascal», organisée récemment par le Figaro Histoire au collège des Bernardins, qui évoquait pour lors non le génie d'une langue ni l'esprit d'une œuvre, mais le geste de Moïse devant le Buisson-ardent. «Je me suis souvent demandé, a-t-il dit selon mon souvenir, ce qui se serait passé si Moïse n'avait pas retiré ses scandales, s'il n'avait pas fait ce que lui avait demandé le Seigneur.» La réponse du prêtre est extraordinaire : « je crois que le Buisson se serait tout simplement éteint ».

    Si l'art et la littérature ne sont pas le sacré, ils en sont des reflets : la Lumière dont ils témoignent veut que l'homme diminue pour qu'Elle grandisse. Ce n'est qu'à cette condition que leur floraison peut donner ses fruits et élever les pauvres créatures que nous sommes. Or, les usurpateurs de la «réécriture inclusive» refusent de retirer leurs sandales. Ils s'en font même une fierté et y voient la marque de leur «indépendance».

    «Écriture inclusive» et censure, «réécriture inclusive» et réécriture exclusive» marchent main dans la main. On inclut dans la langue des greffes artificielles qui la désarticulent et la défigurent, tandis qu'on viole l'intégrité des œuvres en excluant tout ce qui exprime l'altérité, la «négativité» de l'existence. Le projet : démettre le langage de son socle symbolique pour en faire un code binaire, une série de 0 et de 1 chargés de transmettre «l'information» ; réduire les langues nationales à l'état de flux marchand (l'anglais interchangeable des Gafam). Chaque jour, les esclaves des réseaux sociaux actualiseront leur fil pour savoir qui insulter ou qui applaudir, qui lyncher ou qui adorer.

    Ne vous demandez pas si « Parent 1 » et « Parent 2 » et « personne qui s'identifie comme homme » ou « comme femme » est français et humain ; si cela sonne correctement dans la bouche et l'oreille d'un être pourvu d'entendement ; mais si les mêmes termes dans le microphone de ChatGPT sont plausibles. Demain, l'histoire des peuples ne sera plus racontée avec le verbe des écrivains et des artistes, qui peut seul dire l'unité concrète d'un destin, mais sera réécrite par une machine avec des mots qui n'existent pas, pour l'inculper de crimes qui auront été fabriqués en laboratoire. L'idole du progrès le veut.

    Des faits isolés, sans lien les uns avec les autres, seront fondus en une unité abstraite, pour raconter toujours la même « histoire » (on sait laquelle). Le reste sera rejeté en tant que « fabulation mythique ». Rien n'échappera au révisionnisme de cette époque qui n'aime qu'elle-même, et ne veut voir dans l'histoire que la confirmation de sa supériorité.

    Je suis Québécois. C'est au XVIIe siècle que nos ancêtres quittent la France. Une partie passe par l'Acadie, avant de migrer au Québec puis ailleurs en Amérique, notamment en Louisiane, dans la foulée de ce qu'on a appelé «le Grand dérangement». Entre 1755 et 1763, l'Acadie connaît un «nettoyage ethnique à grande échelle» (John Mack Faragher).

    Le régime qui se met en place après la Conquête britannique (1760) et, davantage, après les Rébellions matées de 1837-38, s'établit sur la primauté anglaise et la servitude française. La survivance» qui s'inaugure au Québec au XIXe siècle, sous l'égide de l'Église, n'est pas déshonorante mais laisse un souvenir ambigu. La ponction sur ce peuple réduit à la pauvreté fut énorme. Si les rapports avec la France n'ont certes jamais cessé dans la période, ce n'est qu'avec les années 1960 qu'ils prennent un tour plus souverain.

    Je suis ce que le poète Gaston Miron appelait un «Québecanthrope», un homme qui porte dans son corps, dans son esprit et dans son âme la mémoire de la patrie humiliée. Je me souviens de la honte ; je me souviens de l'espérance ; je me souviens de la langue tordue, verrouillée, nouée par l'humiliation de ne pas ressembler au maître, mais aussi de la langue rétablie, libérée, dénouée. Je me souviens de «l'effort inouï, inimaginable, qu'il nous a fallu pour nous mettre au monde, qui nous a pompé jusqu'à notre ombre» (Miron). Mais plus encore, je me souviens du rêve de nos pères et du cœur de nos mères.

    Je me souviens des grands départs de La Rochelle, Honfleur et Dieppe ; de Champlain et de la Grande Tabagie de Tadoussac ; de Marie de l'Incarnation, venue couronner « ses petites princesses » au bout du monde ; de la Grande Paix de 1701, et du discours et de la mort de Kondiaronk ; de Brébeuf et des Grands Lacs, de La Vérendrye et de l'Ouest, de Cavelier de La Salle et du Mississippi ; de Guillaume Couture et du baron de Saint-Castin, que la forêt américaine a convertis et baptisés, avant d'en faire des héros de légende.

    Bien avant que le fleuve Hudson fût le fleuve Hudson, le Français qui n'était déjà plus Français, y chantait sur son canot d'écorce À la claire fontaine, au Canadien qu'il devenait.

    Le Québec et l'Acadie sont les orphelins, ou les bâtards mal-aimés, d'une Amérique qui aurait pu être franco-amérindienne, et que le Godon (surnom de l'Anglais) a parqué dans des enclaves. Résultat : deux siècles après la Conquête et la Déportation des Acadiens, nous étions « l'un des rares lieux dans le monde où le français est un signe d'infériorité », selon Miron en 1981 à Apostrophes. C'était quatre ans après l'adoption, par Camille Laurin et le gouvernement de René Lévesque, de la Loi 101, qui avait remis la langue française à sa juste place - la première ; ce qui ne s'était pas vu depuis la Nouvelle-France.

    La langue, qui est symbolique, réunit ce qui a été séparé. La non-langue sépare ce qui avait été réuni, et introduit la division en interdisant toute communion. Plus que d'une « guerre culturelle », nous nous trouvons au milieu d'un combat métaphysique à même le langage, entre ce qui cherche à réunir par le haut (symbolus) et à désunir par le bas (diabolus). L'agressivité nihiliste contre la langue, contre les nations et leur histoire est une gifle à tous les dépossédés, qui attendent en périphérie de l'empire la fin du délire.

    Dans L'homme rapaillé («rassemblé» et, par métaphore : «réconcilié»), Miron voit la langue comme l'instrument de l'unité retrouvée. Le poète y fait apparaître le pays blessé, par les « chemins défoncés de son histoire / aux hommes debout dans l'horizon de la justice » : il annonce une histoire de dignité reconquise qui reste à écrire, non à réécrire.

    La révolution se manifeste quand la vérité et le mensonge deviennent une question de vie ou de mort, selon Soljénitsyne ; l'illusion de la mise en scène sociale, de la gauche et de la droite éclate. Chacun est renvoyé à sa conscience : dois-je continuer de consentir au mensonge ? Ou dois-je dire la vérité, en prenant le risque de me faire bannir de la cité ?

    D'une certaine façon, par-delà ses horreurs qui ne sont pas souhaitables, on peut penser à l'instar d'un Berdiaeff que la révolution recèle un sens caché, pour des nations qui ont pensé pouvoir vivre indéfiniment de la rente du passé, à l'abri de l'épreuve de la liberté et du combat spirituel pour la vérité. Le mensonge de la «réécriture inclusive», qui scelle l'alliance de la perversité intellectuelle et de la lâcheté mondaine, ne veut pas la justice mais la parodie de la justice, au point de nous faire oublier et la justice et la possibilité du mal. C'est la ruse du diable, ce ringard absolu, que de se faire passer pour neuf, lui qui ne sait pas créer ; qui ne sait que parodier l'Esprit en altérant tout ce qu'il touche et réécrit.

    Carl Bergeron (Figaro Vox, 4 mai 2023)

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  • L’Occident danse sur un volcan… et monte le son !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré à l'impasse stratégique dans laquelle la France et l'Europe se sont volontairement enfermées depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine.

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    L’Occident danse sur un volcan… et monte le son

    La France va mal : l’inflation dérape, les taux de crédit s’envolent, l’immobilier est à l’arrêt, et, comme pour nous mettre le nez dans notre incurie, notre note financière vient d’être de nouveau dégradée à AA- par une grande agence américaine. Ce déclassement n’est pas anecdotique. Il traduit la réalité de la dégradation de nos comptes publics, accroit encore notre dépendance aux États-Unis et la menace d’un défaut sur notre dette abyssale, et creuse notre déficit de crédibilité donc d’utilité internationale. Ce coup de semonce ne peut en effet que paralyser plus encore notre capacité résiduelle à faire bouger les lignes en portant un discours de raison et d’intelligence face au désastre de l’attitude occidentale dans le conflit en Ukraine…On me dira que c’est un faux problème car il faudrait encore en avoir le courage.

    Aux Etats-Unis, la folie de l’auto-enfermement des néoconservateurs américains dans une escalade militaire permanente face à Moscou précipite la destruction totale de l’État et du territoire ukrainiens et fait grandir le risque d’un dérapage, menaçant concrètement toute l’Europe. Pourtant, la haine ouverte de la Russie, le rêve éveillé succès que constituerait son anéantissement et son démembrement s’expriment ouvertement. Les médias occidentaux, confits dans l’ignorance et l’arrogance, devenus les pathétiques chambres d’écho d’une propagande délirante, n’ont plus aucune crédibilité. On est revenu aux pires heures du Maccarthysme ou pire, du fascisme de la pensée, de la calomnie et de la délation. Ce bouquet d’indignité empeste mais il nous est en permanence jeté à la figure, certes de façon de plus en plus ridicule et désespérée. Car le rideau et les masques sont en train de tomber face au réel récalcitrant. Pourtant, la rage et désormais la panique américaines cherchent encore à perpétuer le fantasme d’une « victoire » à venir, dont on ne s’est évidemment jamais donné la peine de définir les contours. Que peut bien vouloir dire « gagner » la guerre en Ukraine ? No Clue. Aucune vision en ce domaine. Quant à gagner la paix, on n’en veut pas. Quelle horreur ! Comment faire la paix avec Vladimir Poutine ?!!! cela parait impossible à des hémiplégiques volontaires englués dans leur rhétorique de bac à sable qui ne pensent qu’à humilier un « ennemi systémique » et en sont à faire des danses de la pluie (ou plutôt contre la pluie et la boue qui font s’embourber leurs chars de la dernière chance) pour conjurer l’inévitable. C’est donc la fuite en avant dans la haine inexpiable du Russe…jusqu’au dernier ukrainien. Le vertige est si grand face au gouffre que l’on ne sait plus qu’appuyer sur l’accélérateur de la déroute militaire et stratégique et sombrer dans une démence haineuse et sans issue. Cette haine se diffuse et infuse partout en Europe, surtout chez nos « élites » vassalisées et / ou stipendiées, elles aussi emportées dans ce piège tragique qu’elles font mine d’ignorer. Pourtant, le fiasco militaire est sans équivoque depuis déjà des mois. Même les « Mainstream media » commencent, sur ordre ou via d’opportunes fuites, à laisser filtrer l’implacable vérité : sur la réalité militaire du terrain, sur les désertions en chaine des malheureux jeunes ukrainiens ramassés dans les rues et jetés de force dans « le hachoir à viande russe », sur les pertes véritables, sur l’incapacité structurelle des forces de l’OTAN à fournir l’Ukraine en quantité en rythme et en qualité pour pouvoir prétendre tenir le choc et moins encore, pour renverser le rapport de force face à la Russie. Certes, au Pentagone comme dans les États-majors européens, on sait bien depuis des mois déjà que la messe est dite et le pari perdu. Il n’y a plus que les Polonais et les Baltes pour pousser à la roue. Mais l’on ne veut pas se réveiller, et l’on continue à inonder l’Ukraine d’armes (en grande partie détournées) et de monceaux d’argent pour assurer la « grande contre-offensive » – d’été …ou d’automne – aux allures de baroud d’honneur, dont l’échec anticipé servira à démontrer que « le camp du Bien » a fait tout ce qu’il a pu, mais que l’Ukraine n’a pas su vaincre la Russie (comme si elle le pouvait !) et qu’il faut « pour sauver l’Ukraine et son peuple » (amplement sacrifié pendant 2 ans) enfin se résoudre à négocier avec Moscou. Sans doute pas avec un président Zelenski carbonisé par son jusqu’au-boutisme et de plus en plus menacé par son entourage d’ultra-droite aux relents ouvertement fascistes. Notre déréliction morale est totale mais là encore, on le nie. Nous soutenons à bout de bras depuis 2014, avec un cynisme décomplexé une clique aux antipodes des valeurs dont nous nous gargarisons pour fomenter et mener cette « proxy war » de trop.

    Malheureusement, ce sont encore les « Neocons » de la Maison Blanche, de la CIA du NSC et du Département d’État qui font la loi à Washington. Et ils n’admettent pas que La Russie a gagné et ne s’effondrera ni militairement ni économiquement. Tout au contraire. Ses armes hypersoniques sont pour l’heure sans égales, elle a su anticiper et déjouer le piège des sanctions, son économie a tenu, son peuple soutient toujours assez massivement la réponse militaire à la menace militaire de l’OTAN à ses frontières. Surtout, elle fait désormais cause commune avec la Chine. Certes c’est une alliance en apparence du moins déséquilibrée. Mais une alliance vitale, ne nous en déplaise. Une convergence tactique et stratégique d’intérêts. Le Président Xi se frotte les mains, s’érige en pôle de stabilité financière et politique de substitution et se propose même comme faiseur de paix (rapprochement Iran-Arabie saoudite, plan en 12 points, etc…). Il rassemble ses nouvelles ouailles, troupeau disparate d’égarés en mal de protection qui n’en peuvent plus du Maitre américain et de ses pratiques de cowboy. Un rassemblement massif. Pas moins de 19 pays se pressent désormais à la porte des BRICS+, véritable « contre G7 ». Un processus d’intégration gigantesque s’ébauche à partir de ce noyau accueillant et à géométrie variable, autour de la Communauté des États indépendants (CSI), de l’Union économique eurasiatique (EAEU), de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), de l’OPEP+ et par extension, du Conseil de coopération du Golfe (GCC). Tout cela au profit de la BRI (Belt and Road initiative) chinoise, de la fortification impérative de son Corridor économique d’Asie du centre et de l’Ouest, mais aussi du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) qui reliera la Russie et l’Iran à l’Inde. Les instruments financiers de cette intégration gigantesque que sont la BAII (banque asiatique pour les investissements et infrastructures) et la Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange sont déjà très actifs…

    C’est tragique mais clair et net : Nous sommes nos propres fossoyeurs. Ce sont notre anti-russisme pathologique et notre bellicisme en Ukraine pour provoquer Moscou en espérant l’embourber et la séparer de l’Europe à jamais qui ont accéléré la grande Bascule du monde, l’émergence d’une structure multilatérale englobante et rassurante capable de mettre à bas l’hégémonie du dollar, et qui menacent l’Europe d’une crise économique financière plus grave encore que celle de 2008.

    En France, naturellement, on fait comme si de rien n’était. On «s’étonne» de la dégradation de notre note financière, alors que tous les voyants sont au rouge de part et d’autre de l’Atlantique depuis déjà des mois, et que les premières secousses bancaires aux Etats-Unis comme en Allemagne et en Suisse ont été précipitamment étouffées. Peut-on éviter une crise majeure et systémique en la traitant par le mépris ? Cela parait douteux. Quoi qu’il en soit, la présidentielle de 2024 à Washington se profile mal pour le camp démocrate. Donald Trump pourrait bien de nouveau l’emporter en dépit du mur d’affaires et d’accusations dressé contre lui. Il a le cuir épais. Et puis, le fameux verdict de James Carville, conseiller de Bill Clinton, en 1992 s’impose de nouveau : « It’s the economy, stupid ! » Les Américains ne se préoccupent pas tant de l’Ukraine agressée « de manière non provoquée » ou de la victoire de la démocratie dans le monde que de leur porte-monnaie et de la fragilisation croissante de leur dollar dont la domination s’érode à vue d’œil. Dans sa curée anti-russe, Washington a en effet commis une faute cardinale en gelant de façon totalement arbitraire une fois encore, les 300 milliards de dollars d’avoirs russes au printemps 2022. Funeste décision. Bien des États ont ce jour-là compris que ce pouvait être demain leur tour. Cette démonstration de puissance a été la goutte de trop dans le vase déjà plein de rancœurs et de fureur devant les méthodes léonines de Washington en matière de sanctions et d’extraterritorialité juridique des « règles américaines ». Bien au-delà de la Russie de l’Iran ou de la malheureuse Syrie dont le calvaire n’en finit pas. Or, personne ne supporte plus ce « Rules based World Order ». Chacun a compris que seule l’Amérique édictait ces fameuses « règles » et les modifiait au gré de ses seuls intérêts. Les principes contenus dans l’imparfaite Charte des Nations unies sont bien plus protecteurs. Le dollar n’est plus ce qu’il fut longtemps, un gage de stabilité. Il incarne désormais l’incertitude, et la pure domination. Or les échanges internationaux ne peuvent se passer de sécurité et de stabilité. Le gel des avoirs russes a donné le signal d’une défiance en chaine de multiples pays qui ont compris qu’il leur fallait désormais se protéger des oukases washingtoniens et donc regarder du côté du nouveau pôle sino-russe. Pas pour s’aligner, pour doser et équilibrer leurs dépendances selon les sujets ou les secteurs. C’est l’ère du « poly-alignement » – c’est-à-dire la fin de l’alignement façon Guerre froide et le retour en grâce du non-alignement – dont la France devrait savoir se faire le chef de file. Les chiffres sont sans appel : la part du dollar dans les réserves globales est passée de 73% en 2001 à 55% en 2021 et…. 47% en 2022. L’accélération depuis 20 ans est considérable. Sans une correction urgente, qui suppose un changement de pied drastique des États-Unis dans leur comportement vis-à-vis du reste du monde, la chute devrait se poursuivre. 70% du commerce entre la Russie et la Chine se fait désormais en Yuan ou en roubles. La Russie et l’Inde commercent en roupies, le CIPS (système interbancaire chinois qui se pose en alternative au SWIFT) fonctionne à plein régime. Total et son homologue Chinois CNOOC viennent de signer un accord gazier…. en Yuan ! Pas par amour de la Chine. Parce que c’est une question de survie pour l’entreprise, que le pragmatisme convient aux affaires mieux que le dogmatisme, et que l’idéologie est en train de mettre à bas l’économie occidentale. Le monde est multipolaire et l’on ne peut plus faire semblant de l’ignorer. Le FMI reconnait que les cinq BRICS contribuent à eux seuls pour 32,1% de la croissance mondiale contre 29,9% pour les pays du G7. Et il y a encore 19 candidats…La coopération étroite entre Moscou et Ryad est aussi de mauvais augure pour l’Amérique. Elle permet à la Russie d’équilibrer sa coopération stratégique avec l’Iran, et renforce la main de Vladimir Poutine et celle de MBS dans leur fronde face à Washington en matière de prix du pétrole. Les BRICS ont de leurs cotés toutes les « commodities » et ressources naturelles du monde et défient désormais ouvertement la seule domination qui restait aux pays du G7, celle de la finance.

    Derrière tous ces faits, il y a un « sous-texte », une réalité que nous devrions saisir avant que le boomerang ne frappe trop massivement nos économies européennes et que la Chine, au-delà de son effort pour échapper, grâce à la BRI, à la domination américaine des mers et des routes maritimes de transport vers l’Europe, n’en vienne à nourrir un rêve de puissance plus offensif. Cette réalité, c’est que la révolution actuelle dans la géopolitique mondiale correspond à un rééquilibrage nécessaire des rapports entre les États. Il y aura des heurts, des crises, des conflits dans les prochaines années, mais nous sommes en phase de restabilisation après le déclin de l’hégémon américain devenu insoutenable et qui ne correspondait plus à la réalité du champ de forces géopolitiques et géoéconomiques. Notre planète a besoin d’apaisement, de stabilité, de respect, de rétablissement d’une forme d’égalité formelle et en tout cas d’équité réelle entre ses membres, petits ou grands. On me dira que je suis angélique. Je pense que c’est la motivation première de pays et régions entières du globe qui veulent se développer et refusent ce jeu à somme nulle que l’Amérique a cru pouvoir imposer ad vitam aeternam. C’est valable pour les puissances du Moyen-Orient (Iran, Syrie, Libye) qui doivent sortir du marasme, pour l’Afrique – qui voit dans cette ouverture du jeu de vastes opportunités-, pour l’Amérique latine -qui est en train de reléguer aux oubliettes la doctrine Monroe. C’est enfin valable pour l’Asie elle-même, qui donne certains signes de crainte et de circonspection devant la nouvelle cible chinoise du bellicisme américain provoquée à grand renfort de déclarations martiales (Taiwan). Seule l’UE parait vivre dans une bulle. Qui ne la protège plus. Elle semble ne pas voir que tout a changé, qu’elle est située sur le continent eurasiatique qui est une terre d’opportunités vers laquelle il lui faut se projeter avec vigilance mais sans crainte. Son avenir n’est pas dans une coupure radicale avec la Russie ou un alignement sur Pékin. Il n’est pas d’avantage dans une vassalisation consentie envers Washington, qui après l’Ukraine, ambitionne déjà de jeter l’Otan (qui n’a vraiment plus rien d’une alliance régionale défensive) vers les eaux de la mer de Chine. A quoi bon ? Pour nourrir le complexe militaro-industriel américain ? Pour poursuivre la déstabilisation et la fragmentation du monde ? En quoi ces objectifs servent-ils nos intérêts nationaux, économiques et sécuritaires ? L’Europe doit comme je le dis depuis des années, sortir enfin de son enfance stratégique et apprendre à marcher la tête haute. Sans béquille ni laisse.

    Les néoconservateurs américains ont mis non seulement l’Amérique mais l’Europe en grand danger. Il est plus que temps de mettre fin à cette folie et de hâter la conclusion d’un cessez-le-feu en Ukraine et d’une refondation durable de la sécurité en Europe. Le peuple ukrainien, la sécurité de l’Europe toute entière, l’économie occidentale et nos peuples le méritent. C’est de l’intérêt de tout le monde. Qu’attendons-nous ?

    Caroline Galactéros (Geopragma, 2 mai 2023)

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