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Points de vue - Page 190

  • Une praxis révolutionnaire et conservatrice est-elle encore possible ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jorge Vujic, cueilli sur Polémia et dans lequel il s'interroge sur les conditions de l'efficacité d'une action conservatrice-révolutionnaire visant à abattre le système dominant. Il rappelle notamment la nécessité de penser politiquement le « système des objets » qui enserre nos vies et conditionne nos façons de penser...

     

     

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    Une praxis révolutionnaire et conservatrice est-elle encore possible ?...

    Trop souvent on oublie que la reconduction au pouvoir du Système dominant et de la classe gouvernementale tient plus à l’internalisation et la reproduction des modes de pensée dominants au niveau social, culturel, sur le plan individuel comme sur le plan collectif.

    On se souvient que la praxis, notion philosophique théorisée par Aristote dans l’Ethique à Nicomaque et qui initialement renvoyait à l’idée d’une pratique ou une action qui, transformant le sujet, a été plus tard reprise par les marxistes, par Antonio Gramsci et les situationnistes pour lesquels la philosophie de la praxis désignait la pratique qui se reconnaît elle-même par la théorie qui découle de son action, mais qui, de par sa fonction révolutionnaire, devait transformer les esprits.

    Force est de constater que depuis Mai 68, le discours libertaro-marxiste a fait bon ménage avec le capitalisme libéral qui se traduit aujourd’hui par une praxis sociétale parfois schizophrène d’hyper-individualisme festif et de domination capitaliste marchande que l’on accepte comme une fatalité irréversible. Promouvoir une politique de gauche et des valeurs de droite, employer un discours à la fois révolutionnaire et conservateur impliquerait au préalable de reconnaître, en dépit des avancées les plus fines sur le plan social et politique, l’absence d’une praxis adéquate, susceptible de transformer les rapports sociaux, les façons de sentir, de penser. En effet, face à la praxis bien rodée du marché déstructurant du social, il faudra jeter les bases d’une praxis de restructuration des valeurs. D’autre part, on oublie souvent que la technique, les gadgets omniprésents dans notre société hightech constituent de puissants vecteurs d’individuation et de socialisation et trop souvent d’aliénation plus que les principes de l’éducation familiale et scolaire. Il s’agit ici de ce que Jean Francois Dufour appelle les percipiens (le principe de sentir), l’idée de forces mécaniques pesant sur notre pensée et notre entendement et qui préexistent et façonnent notre comportement, notre agir, notre praxis. Jean Baudrillard parle de « système des objets » pour rendre compte de cette mutation dans nos sociétés postmodernes du sens et du rȏle des objets de l’utilité vers la matérialité autonome (qui annule le symbolique), indéfiniment modulables et constituant un ensemble systémique cohérent de signes.

    Notre rapport au monde se réduit le plus souvent au rapport aux objets quotidiens avec lesquels nous nouons une complicité profonde entre les investissements psychologiques, souvent induits et extorqués, et les impératifs sociaux de prestige, entre les mécanismes projectifs et le jeu complexe des modèles et des séries. Pier Paolo Pasolini parlait du vrai visage du fascisme qu’il voyait dans la société de consommation, mais non plus celle d’une mécanique d’exploitation extérieure à nous-mêmes, mais d’un système de pensée et de comportement internalisé par nos sens et notre mental.

    Introduire une nouvelle praxis réellement révolutionnaire et non purement expérimentale sur le plan social et culturel suppose alors de dégager un nouveau sens du social, de produire de nouvelles formes de vivre-ensemble qui remettraient en cause de façon profonde la praxis dominante de la « valeur marché », le « fonctionnement » dont parle Gilbert Simondon, qui réside, non plus dans l’usage, mais « dans sa dimension anthropologique », dans le marché en tant que valeur et mode de reproduction des rapports sociaux.

    Même si les résultats des dernières élections parlementaires et présidentielles dans de nombreux pays européens confirment la poussée de mouvements anti-Système populistes de gauche comme de droite, on est loin d’une remise en cause générale et massive du Système libéral marchand dominant, susceptible de menacer l’ordre établi. Le conditionnement médiatique, la manipulation mentale et politique des masses semblent encore marcher à merveille en tant que mécanique à discréditer et à démoniser les alternatives politiques potentielles. La victoire de Macron en France, qui l’opposait au second tour de la présidentielle à Marine Le Pen, en est une parfaite illustration. L’abrutissement politico-médiatique et la production de la peur sociale principalement dans les classes moyennes déclassées permet encore de reproduire les schémas de domination et de gouvernance oligarchique. On se rappellera à ce titre du Prince de Machiavel qui renvoie à l’emploi de la ruse, de la fraude et de la corruption, les armes de la ruse du «renard », afin d’empêcher la violence de masse et les soulèvements révolutionnaires, un softpower qui constitue le moyen de domination principal de la classe gouvernante.

    Pourtant ce constat d’échec nous permet de nous interroger sur l’avenir du discours anti-Système qui articule à raison le fossé grandissant qui se creuse entre l’oligarchie et le peuple, et plus précisément sur la question de l’existence et l’efficacité d’une praxis réellement révolutionnaire et son adéquation avec ce que l’on peut appeler les valeurs, le discours, le narratif conservateur. Car si une infime minorité se reconnaît dans le discours et les valeurs anti-Système, lesquelles circulent par les réseaux d’informations alternatifs, on est encore loin de l’assentiment de larges masses de citoyens qui baignent dans le breuvage quotidien des médias officiels et se contentent très bien de ce déni de vérité. « L’esprit » d’une époque dépend de l’ensemble de ses faits sociaux, y compris le développement technique. Dans ce sens, les objets techniques qui s’autonomisent de plus en plus portent avec eux un impact considérable sur la manière dont nous nous représentons le monde, même des notions très abstraites comme le temps ou l’espace. Bien sûr, le rȏle des idées et le combat des idées tiennent encore une place importante dans la transformation des esprits, mais le changement de paradigme dans la praxis sociale comme cela été le cas pour le rȏle de la technique dans les révolutions scientifiques étudiées par T. Kuhn (dans La Structure des révolutions scientifiques) sera déterminant.

    Le mérite de Kuhn a été celui de développer la thèse selon laquelle une science progresse de manière fondamentalement discontinue, c’est-à-dire non par accumulation mais par ruptures. Ces ruptures, appelées révolutions scientifiques, sont selon Kuhn analogues à un renversement des représentations (ce que les psychologues de la perception appellent un gestalt switch). Appliqué à la sphère sociale et politique, ce renversement des valeurs, qui correspondrait à une rupture épistémologique de paradigmes, aboutirait donc à l’issue de cette crise de légitimation à l’avènement d’un nouveau paradigme de système de valeurs. Pourtant, nul ne sait à quel moment, dans quelle situation de crise survient ce facteur d’anomalie perturbateur qui préside à la naissance d’un nouveau paradigme révolutionnaire, processus cyclique de gestation qui peut très bien perpétuer une longue agonie avant sa pleine reconnaissance et son adoption sociale.

    Alors que les grands systèmes d’idées ne mobilisent plus, il faudra s’interroger sur quelles bases praxistes et idéologiques reconstruire. Alors que l’on dit volontiers que la révolution est une nostalgie de la gauche, force est de constater que la contre-révolution, voire les nombreux mythes de la « renaissance » de la « restauration », de l’ordre, constituent aussi une certaine forme de mélancolie de la droite, dont il est difficile de faire le deuil. A ces mythes sotériologiques et holistes se sont substitués, de façon indolore, des mythes technicistes consuméristes : le mythe de l’ouverture, le mythe de la communication, le présentisme, comme celui d’une mythologie du portable beaucoup plus attrayant pour les jeunes générations que celui des grandes luttes politiques et sociales ou du mythe Sorelien de la grève générale.

    Cette praxis du marché est celle de l’ostensible, du conditionnement opérant que génèrent les concepteurs de produits par la dissémination de besoins artificiels vérifiables dans le domaine numérique de la communication. Un conditionnement   basé sur une stratégie de dépendance qu’on dissimule derrière le leurre d’une utilisation agréable et supposée enrichissante, pouvant préparer le terrain de l’addiction. Le facteur du libre choix et de la personnalité diminue considérablement, alors que l’emprise manipulatrice et l’autorégulation des comportements sociaux neutralisent la capacité réactive de résistance au stress social à mesure que s’amoindrissent les facultés de concentration et de l’intelligence émotionnelle. Il s’agit bien d’une praxis de la narcomanie sociétale   qui fonctionne sur un mode de dépendance-approvisionnement marché/dealeur et junkies/consommateur, une oniomanie organisée et généralisée, qui se traduit par de nombreuses pathologies sociales. Cette consommation compulsive est surtout visible sur le marché du smartphone par une hausse constante de la dépendance ou l’addiction au smartphone, une cyberaddiction (dépendance à Internet), pathologie s’exprimant par un curieux mélange d’anxiété phobique, d’euphorie hystérique et de dépression.

    A l’administration des choses il faudra pourtant, tout comme le soutient Bruno Latour, re-politiser le « système des objets » et substituer le gouvernement des hommes, dire que tous les objets, la technique, ne sont pas neutres et même nocifs. En effet, alors que l’on a dépolitisé les questions de nature, il conviendra de re-politiser la question de l’impact sociétal des objets Il faudra se réapproprier l’utilité et la finalité des choses et dénoncer les stratégies de l’ostensible du marché. L’homme occidental n’est plus « mobilisable » au sens de l’ « Homme-masse », il est un agent-réseau autoconstitué connectable à l’infini, volontairement soumis à une discipline de dé-virilisation, du féminisable et de l’infantilisation à outrance. En un mot, c’est un objecteur de dé-conscience né, récalcitrant à toute forme d’engagement, de conscientisation, à la fois un nomade-déserteur. Lorsque Salvador Dali parlait de la télévision comme « instrument de crétinisation universelle », il annonçait déjà l’ouverture vers une humanité « homononcule » en voie de trollisation.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 7 juillet 2017)
    7/07/2017

    Notes

    –     Jean Baudrillard, Le Système des objets, Gallimard, 1968 [1978].
         Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, Paris 1958 ; dernière réédition corrigée et augmentée, Flammarion, Paris 2012.
    –     Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Coll. « Champs/791 », Flammarion, Paris 2008.
    –     Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence : Une anthropologie des modernes, La Découverte, Paris 2012.

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  • Cedant Arma Togae ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jacques Sapir, cueilli sur son site RussEurope et consacré à la démission du Chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers.

     

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    Cedant Arma Togae et la démission de Pierre de Villiers

    Le Général Pierre de Villiers a démissionné le mercredi 19 juillet. C’est la conclusion, logique, du conflit qui l’opposait au Président de la République. Dans une démocratie « les armes cèdent à la toge »[1]. Mais, cette décision extraordinaire, car c’est la première fois depuis 1958 qu’un chef d’Etat-Major des armées démissionne, est loin de mettre fin au conflit qui oppose les forces armées à notre Président. Cette démission entache le quinquennat d’Emmanuel Macron de manière indélébile.

    La démission du Général de Villiers est logique. Il le dit lui même dans le texte du communiqué qui a été diffusé le mercredi 19 juillet : « Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l’a acceptée ». Mais, la phrase qui précède est tout aussi importante : « Dans le plus strict respect de la loyauté, qui n’a jamais cessé d’être le fondement de ma relation avec l’autorité politique et la représentation nationale, j’ai estimé qu’il était de mon devoir de leur faire part de mes réserves, à plusieurs reprises, à huis clos, en toute transparence et vérité ».

    On connaît l’origine du conflit : les 850 millions que le gouvernement, et donc le Président, entendent prélever sur le budget de la Défense. Or, le budget, avant ces coupes sombres, était déjà notoirement insuffisant, ce que Emmanuel Macron avait lui même reconnu. Le Général de Villiers s’est exprimé sur ce sujet devant la Commission aux Forces Armées de l’Assemblée Nationale. C’était son droit, c’était même son devoir. En tant que chef d’Etat-Major des armés, il doit dire quand il considère que des coupes budgétaires mettent en péril la capacité des forces armées à remplir leurs missions. Ce n’est pas lui qui a porté « sur la place publique » ce débat. C’est ce que le Général de Villiers rappelle dans la seconde phrase citée.

    Le fait que le Président ait pris la déclaration du Général Pierre de Villiers devant cette Commission pour un acte contestant son autorité, alors qu’il s’agissait de l’exercice normal de la démocratie, nous en dit long – et même très long – sur le caractère et l’irascibilité du chef de l’Etat. Ce fait nous en dit aussi beaucoup sur son respect des procédures démocratiques les plus élémentaires.

    Le chef d’Etat-Major des armées ne se faisait visiblement aucune illusion sur la suite des événements. En témoigne un court article qu’il a posté sur la page Facebook du Chef d’Etat-Major, et intitulé « Confiance »[2]. Ce texte commence par un éloge appuyé du Général Delestraint, inspirateur et ami du Général de Gaulle, chef de l’armée secrète sous l’occupation, et qui périt en déportation. Il dit deux choses très importantes. La première concerne la confiance : « La confiance, c’est le refus de la résignation. C’est le contraire du fatalisme, l’antithèse du défaitisme… » Cela montre la nécessité de cette confiance. Et il montre l’importance de la confiance en soi, qui se construit dès l’enfance. La seconde, non moins importante, concerne ceux à qui on peut faire confiance, c’est la confiance en autrui. Cette confiance est nécessaire car un commandant, ou tout autre responsable, ne peut tout par lui même ; il doit avoir confiance envers tant ses subordonnés que ses supérieurs. Et il conclut par une mise en garde contre la confiance aveugle : « Méfiez-vous de la confiance aveugle ; qu’on vous l’accorde ou que vous l’accordiez. Elle est marquée du sceau de la facilité. Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d’être aveuglément suivi. La confiance est une vertu vivante. Elle a besoin de gages. Elle doit être nourrie jour après jour, pour faire naître l’obéissance active, là où l’adhésion l’emporte sur la contrainte ».

    Ces mots sont importants. Ils ont un sens précis dans l’institution militaire. Au-delà, ils font écho à l’un des attendus du Procès de Nuremberg contre les dignitaires nazis, qui avait rejeté l’excuse d’obéissance sous prétexte que cette dernière ne saurait être aveugle. C’est en réalité le propos du Général de Villiers.

    Cette mise en garde vise tout autant les militaires (qui ne doivent pas se réfugier derrière l’excuse d’obéissance) que les civils. Et c’est ici que l’on touche à la tension qui existe dans l’aphorisme romain « les armes cèdent à la toge ». L’historien du Droit Mario Bretone, dans son grand livre sur l’histoire du droit à Rome[3], à propos de la loi d’investiture de l’empereur Vespasien, note que : « la subordination du souverain à l’ordre légal est volontaire, seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire ressentir comme une obligation un tel choix, qui demeure libre » [4]. De fait, l’empereur réunit dans ses mains tant la potestas que l’auctoritas. S’y ajoute l’imperium, que détenaient avant lui les magistrats républicains.

    La phrase de Mario Bretone ouvre une piste[5]. Quand il écrit, « seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire ressentir comme une obligation » cela peut signifier qu’un empereur qui violerait les lois existantes pour son seul « bon plaisir » et non dans l’intérêt de l’État, perdrait alors la « majesté » qui accompagne l’imperium. Dans ce cas son assassinat deviendrait licite car le « dictateur » se serait mué en « tyran ». Et l’on sait que nombre d’empereurs sont morts assassinés, ou ont été contraints de se suicider. On pense entre autres à Néron ou à Caligula. On voit ici que les armes ne cèdent à la toge qu’à la condition que cette dernière soit digne, soit recouverte de la « majesté », un mot qui a un sens profond dans le latin juridique de l’Empire.

    Il ne s’agit pas de transposer directement des coutumes de la Rome antique dans les institutions de la France du XXIème siècle. Néanmoins, on comprend, à lire le Général de Villiers, que si les gages de la confiance ne sont pas donnés, cette confiance ne saurait être accordée, et le principe d’obéissance du militaire au civil pourrait donc être révoqué. Et ces gages ne sauraient être uniquement financiers. La relation de confiance, qui est une relation essentiellement politique apparaît comme brisée.

    Cela nous met en face d’une situation particulière qui découle de cette crise opposant le Général de Villiers au Président Macron. Pour la première fois, depuis fort longtemps, se pose donc la question de la « dignité » ou de la « majesté » du premier magistrat de la République. On voit ici que cette crise a partie lié aux déclarations scandaleuses du Président Macron à propos de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Cette crise découle directement du comportement d’Emmanuel Macron, depuis sa récente élection.

    Il dépend de lui de mesurer rapidement l’ampleur des dégâts qu’il a commis, et de fournir les gages qui permettront à l’ensemble de la Nation, et donc à ses forces armées, de reconstruire une relation de confiance. Car, ce que le Général de Villiers appelle la confiance n’est rien d’autre que la légitimité, un principe sans lequel il n’y a plus de démocratie[6]. S’il manquait à le faire, il ouvrirait de fait une période de grande incertitude quant au fonctionnement des institutions, y compris le mandat présidentiel qui pourrait, dès lors, s’en trouver dès lors abrégé.

    Jacques Sapir (RussEurope, 19 juillet 2017)

     

    Notes :

    [1] Ou Cedant arma togae, première partie d’une citation de Cicéron, De Officiis (Des Devoirs), I, 22

    [2] https://www.facebook.com/notes/chef-détat-major-des-armées/confiance/1548451188570705/

    [3] Bretone M., Histoire du droit romain, Paris, Editions Delga, 2016

    [4] Bretone M., Histoire du droit romain, op.cit., p.216.

    [5] Sapir J., (Avec B. Bourdin et B. Renouvin) Souveraineté, Nation et Religion – Dilemme ou réconciliation ?, Paris, Le Cerf, 2017

    [6] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016

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  • La défense sous le feu des technocrates...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 13 juillet 2017 et consacrée à la réduction du budget de la défense imposée par Emmanuel Macron et les  technocrates de Bercy et qui a débouché hier sur la démission du Chef d'état major des armées, le général d'armée Pierre de Villiers...

     

                                           

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  • « Vous n’aurez pas ma haine ! » : réflexion sur un leitmotiv médiatique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Laurence Maugest, cueilli sur Polémia et consacré au formatage médiatique et social des réactions aux attentats. Diplômée en psychologie sociale, Laurence Maugest a travaillé pendant plus de vingt ans dans des services d'écoute et de soutien destinés à des personnes en difficulté.

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    « Vous n’aurez pas ma haine ! »

    Nous nous souvenons, après l’attentat du 20 avril dernier où Xavier Jugelé a trouvé la mort, des propos que son compagnon a formulés. Parmi ceux-là, une phrase que nous lisons ou entendons fréquemment dans les médias, dans les fumées acres des bougies, sur les pages FaceBook, en leitmotiv depuis l’épidémie d’attentats : « Vous n’aurez pas ma haine » (1).

    Phrases à tiroirs, à tiroirs cachés

    « Vous n’aurez pas ma haine », cela signifie que la haine existe mais qu’elle est rétractée, par force, muselée. En effet, ce qui fait « la grandeur » de l’homme n’est pas de contenir ou contourner sa haine mais de la dépasser, de la métamorphoser, de la sublimer, diraient les psychanalystes, en énergie positive, énergie qui est l’expression d’une humanité singulière, élevée et transcendante qui se nourrit de ses affects pour mieux les franchir. C’est, je crois, ce que l’on appelle la civilisation.

    Imposer la forme de son deuil à l’homme, c’est chercher à le formater

    Nous pouvons redouter que cette retenue requise par les mises en scène médiatisées ne soit aussi superficielle que des images télévisées fugitives. En effet, ces commémorations peuvent-elles être assimilées à des rituels qui seraient d’ordre ethnologique alors qu’elles sont fortement incitées par les médias ? Leur forme, qui se développe à chaque attentat, à l’identique, indique une certaine « modélisation » et cela dans tous les pays occidentaux. Cette « modélisation » du travail de deuil est le signe que la globalisation, via les médias, influence ce qu’il y a de plus intime chez l’individu comme dans une société donnée.

    Nous pourrions en rester là et constater simplement qu’il est, en définitive, assez normal que les médias, qui ont une place de plus en plus considérable au sein des groupes humains, interviennent dans l’expression de ces rituels collectifs et individuels comme le rappelle cette phrase qui est devenue un hymne : « Vous n’aurez pas ma haine ».

    Nous espérons, évidemment, que ces comportements psychopompes puissent aider, un temps, les victimes directement concernées ainsi que les habitants des pays ciblés.

    Mais, néanmoins, nous pouvons réfléchir sur l’effet de ces « modélisations » qui imposent, de l’extérieur, une forme au processus de deuil et une attitude retenue de la colère. Ne perturbent-elles pas ainsi le travail de deuil naturel et singulier à chaque individu, à chaque société ? Le deuil comme l’amour, les naissances, les traumatismes et les joies d’importance construisent et révèlent la profondeur et l’énergie particulières à chaque homme. L’application d’un « formatage » dans ces rouages les plus intimes ne risque-t-elle pas de nuire à l’élévation et à l’évolution de l’humanité à titre individuel et collectif ?

    Ce « formatage » qui bride la colère ne perturbe-t-il pas le travail de deuil qui, selon Freud, après le déni, se poursuit par une période de rébellion et de haine inévitable qui permet le dépassement de la perte douloureuse ?

    De surcroît, ces manifestations et hymnes répétitifs et médiatisés ne sont en rien des incantations destinées à des forces surnaturelles, incernables. Si elles gardent des allures religieuses, dues sans doute à quelques « vertus chrétiennes devenues folles », elles ne portent pas de dimensions spirituelles, ontologiques réelles.

    En effet, elles sont essentiellement destinées à éviter « les amalgames ». Tout au moins officiellement, elles s’adressent à la cité et non pas au Divin.

    Le deuil et, avec lui, ce qu’il porte d’amour, de haine et de questions existentielles révèle aussi ce qu’il y a de plus bas et de plus élevé en l’homme. Ce sont ces sphères sacrées qui sont peu à peu façonnées par la puissance médiatique internationale.

    Il ne s’agit pas, évidemment, de faire l’apologie de la haine mais de reconnaître, encore une fois, son rôle essentiel dans l’élévation et la singularisation des individus et des sociétés qui doivent la dépasser comme en témoignent la littérature, des tragédies grecques au théâtre de boulevard.

    Mais qui donc va la recevoir cette haine ?

    Contenir la haine semble un vœu bien dangereux. Elle risque de se scléroser et d’exploser plus fort, plus tard. Elle peut aussi se détourner vers les individus qui « ne jouent pas le jeu », n’acceptent pas le silence des affects et expriment une réalité crue qui met à mal la rétention de la colère imposée par les médias et « l’air du temps ».

    Il est classique d’avoir du ressentiment pour une personne qui nous annonce une très mauvaise nouvelle, les professionnels de santé connaissent bien ces réactions épidermiques.

    Parmi les « cons » épinglés sur le fameux Mur se trouvait un rebelle qui n’a pas souhaité « allumer de bougies » pour éviter tout amalgame. En effet, le père d’une jeune fille assassinée lâchement fut placardé sur ce mur, à côté d’Eric Zemmour et d’Alain Bauer, eux-mêmes mouchetés pour leur acharnement à identifier les causes réelles des attentats.

    Désormais, ceux qui dénoncent les raisons de ces attaques meurtrières font l’objet paradoxal de cette haine qui reste entière. L’acharnement médiatique contre le Front national qui tourne à la caricature et contre Robert Ménard qui ne fait que dire courageusement la vérité en témoigne. Tous ces exemples confirment que la classe médiatique casse le thermomètre pour éviter de constater la fièvre.

    Plus dangereusement encore, ce passage de la « ritualisation » au « formatage » du deuil prouve la puissance de l’endoctrinement par les médias sur les individus qui va jusqu’à manipuler ceux qui sont touchés dans leur chair.

    Existe-t-il un trans-sentimentalisme ?

    Cette manipulation est, en définitive, effrayante, surtout si on la rapproche des recherches en cours sur le trans-humanisme au budget colossal. Elle vise à contrôler les réactions affectives des foules et se destine à asservir ce qu’il y a de plus libre et de moins prévisible chez l’homme : sa sensibilité au monde – sensibilité, qui est le tremplin du développement spirituel et de l’évolution de l’humanité qui tend vers la recherche du « sens » de la présence de l’homme sur Terre. Une telle recherche, le mythe du Progrès l’a proscrite en revendiquant sa connaissance de l’avenir : forcément meilleur que le passé, et en limitant l’évolution de l’humanité aux simples domaines techniques donc strictement humains, bien loin de tout sens métaphysique.

    Nous entendons parler au quotidien de l’intelligence artificielle qui émerge des couveuses de la Silicon Valley. Au grand jour, domestiquée dans les arènes de nos cités, façonnée par les tapages médiatiques, la sensibilité artificielle est en train d’être imposée par ceux qui savent que l’homme augmenté dans ses aptitudes intellectuelles et sensorielles doit être impérativement un « sous-doué » de la sensibilité au monde. En effet, il doit perdre sa lecture personnelle qu’il a de l’univers et de sa raison d’être mais aussi sa lecture culturelle – par le déracinement des peuples et le multiculturalisme – pour répondre aux exigences de la consommation globalisée du mondialisme.

    Laurence Maugest (Polémia, 27 juin 2017)

    Note :

    (1) http://www.liberation.fr/video/2017/04/25/le-conjoint-de-xavier-jugele-tue-sur-les-champs-elysees-vous-n-aurez-pas-ma-haine_1565202

    http://www.huffingtonpost.fr/2015/11/16/vous-naurez-pas-ma-haine-message-terroristes-bataclan-facebook_n_8577988.html

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  • En marche vers l'échec...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jacques Sapir cueilli sur RussEurope et consacré aux erreurs de la stratégie suivie par Emmanuel Macron et à l'échec auquel sa politique est vouée...

     

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    L’échec d’une politique

    Alors que le G-20 de Hambourg se termine, et après les deux discours d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe, le premier au Congrès et le second devant l’Assemblée Nationale, l’ampleur de l’échec à venir de la Présidence Macron se dessine. Ce n’est pas un point anecdotique, et il ne peut s’agir d’un constat réjouissant, mais c’est un fait : ce Président, élu sur un malentendu et appuyé sur une majorité elle-même probablement la plus mal élue de la République, va plonger la France dans une crise profonde.

    Une diplomatie ingénieuse mais perdante

    Reprenons la chronologie. A Hambourg, Emmanuel Macron, et avec lui la France, a été inaudible. Bien entendu, la première rencontre personnelle entre Donald Trump et Vladimir Poutine a concentré l’attention. Mais, au-delà, la France n’a pu faire entendre sa voix. Cela confirme un constat que l’on pouvait déjà tirer après l’échec personnel pour Emmanuel Macron qu’avait représenté le sommet européen des 22 et 23 juin. Il y avait été incapable de faire prendre en compte des revendications, que l’on peut trouver restreintes et qui constituaient le socle minimal des demandes françaises, à ses collègues de l’Union européenne.

    La stratégie d’Emmanuel Macron se déploie en deux temps. Dans le temps diplomatique, il entend jouer les intermédiaires, les « go between » pour reprendre le titre d’un grand film de Joseph Losey, entre Donald Trump et Angela Merkel, afin de bâtir un rapport de force vis-à-vis de l’Allemagne. C’est le sens de l’invitation qu’il a adressée au Président des Etats-Unis, invitation que ce dernier a acceptée, à venir assister avec lui au défilé du 14 juillet. Ce n’est pas une mauvaise idée, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon sur ce point mal inspiré, mais il est clair que cela n’aura que peu d’effets. Donald Trump, dont on dit souvent que le comportement est erratique, poursuit en réalité une politique claire de défense des intérêts de son pays. Et cette politique est aujourd’hui contradictoire avec celle de l’Allemagne. Ce n’est pas une place dans la tribune d’honneur qui y changera quelque chose, quoi qu’en dise certains journalistes. Angela Merkel, qui affronte avec sérénité des élections au mois de septembre prochain, n’a nullement l’intention, ni la volonté, de faire la moindre concession que ce soit à Donald Trump ou, indirectement, à Emmanuel Macron. En effet, aujourd’hui le cadre de l’UE de la zone Euro fonctionne à plein pour les intérêts des entreprises allemandes. Elle n’acceptera des changements que contrainte et forcée.

    Quand Macron imite la « force des forts »

    Sans doute inquiet de la tournure prise par le volet diplomatique de sa stratégie, Emmanuel Macron a décidé de mettre en œuvre un volet interne. C’est le sens du discours d’Edouard Philippe,mardi 4 juillet, devant l’Assemblée Nationale. Prenant prétexte de la « découverte » par la Cour des Comptes d’un trou de 9 milliards dans les estimations budgétaires, il a décrété un tournant austéritaire, un de plus, pour l’économie française. On peut certes s’étonner de la « découverte », quand on se rappelle qu’Emmanuel Macron fut le Ministre de l’économie jusqu’à l’été 2016. Il s’agit bien évidemment d’un prétexte.

    En annonçant des coupes importantes dans les dépenses publiques (80 milliards sur 5 ans), le gel du point d’indice des fonctionnaires qui ont pourtant perdu largement en pouvoir d’achat depuis dix ans, et diverses autres mesures dont bien entendu la fameuse réforme du Code du Travail dont les conséquences en matière de pouvoir d’achat serons considérables, Edouard Philippe assume ce tournant austéritaire. Mais, il n’en dit pas la véritable raison.

    En fait, ce tournant n’est nullement lié au problème relevé par la Cour des Comptes. Emmanuel Macron est persuadé, et sur ce point on peut lui faire crédit de sa sincérité, que c’est en appliquant cette politique, et en remettant la France dans une orthodoxie comptable (avec le respect strict de la règle des 3% du déficit), qu’il va construire sa crédibilité face à l’Allemagne et à Mme Angela Merkel. Cela revient à croire que c’est en s’imposant une purge amère que l’on peut être pris au sérieux. C’est un raisonnement d’enfant de 10 ans qui se dit, devant cette purge : « les adultes la prennent bien, si j’en suis capable, ils me prendront au sérieux ». Cette logique fut magnifiquement décrite il y a 100 ans par Jack London dans un de ses nouvelles, La Force des Forts [1]. Sauf que la politique internationale n’obéit nullement à ces règles enfantines. Elle implique des logiques d’alliances, avec des pays connaissant les mêmes problèmes que nous, et surtout elle implique que l’on nous croit capable de « casser la vaisselle ».

    L’impact d’une purge austéritaire

    Cette purge austéritaire va plonger la France dans un nouvel épisode de récession. Il suffit pour le comprendre de lire attentivement les statistiques économiques. Nous vivons aujourd’hui sur un « plateau », lié à l’amélioration du pouvoir d’achat qui s’est manifestée depuis l’hiver 2016. Mais, et les statistiques de l’INSEE l’indiquent clairement, la contraction relative des revenus nominaux associée à une (très petite) poussée d’inflation, va provoquer une détérioration du pouvoir d’achat à partir de la fin de l’année 2017. Si, en 2018, viennent se combiner à cette détérioration les effets des mesures d’austérité décidées par Edouard Philippe et les effets des mesures structurelles, dont celles concernant le Code du Travail, alors la consommation et le revenu disponible des ménages se verront amputés. Cela conduira à une nouvelle période de baisse de l’activité, tout comme la politique de François Fillon, ou le choc fiscal de François Hollande avaient eux-aussi conduit à des baisses d’activités, autrement dit à des hausses, plus ou moins importantes du chômage.

    On comprend que les français, dans leur grande majorité, soient plus que circonspects quand aux mesures promises et annoncées par Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Mais, cette circonspection peut très vite se tourner en mécontentement de fond. Or, il faut toujours le rappeler, le Président Macron a été élu sur un malentendu, par défaut, et sa majorité a réuni la plus faible proportion des inscrits par rapport à son nombre effectif de députés. Dans ces conditions, le contexte d’une crise politique grave, d’une crise politique qui pourrait déboucher sur une crise de régime, est d’ores et déjà en place.

    L’accumulation de poudre dans la Sainte-Barbe du navire France n’implique pas, évidemment, que tout va sauter. Mais, danser dans cette Sainte-Barbe avec une torche à la main, ce qui est métaphoriquement ce que font tant Emmanuel Macron qu’Edouard Philippe, et La République en Marche, dont l’attitude à l’Assemblée nationale par son refus du pluralisme mais aussi de par l’inexpérience de nombreux de ses députés, pose un véritable problème à la démocratie, est une attitude profondément malsaine et irresponsable.

    Le problème posé aux pays de la Zone Euro et de l’Union européenne par la politique allemande est une réalité. Plutôt que d’imaginer que ce soit par l’imitation, voire par l’apaisement – oh mânes de Daladier et Chamberlain à Munich – que l’on pourra faire modifier le cadre politique qui étrangle tant la France que l’Italie et de nombreux pays d’Europe, il faudrait comprendre que c’est par l’affrontement et le démantèlement volontaire d’une bonne partie de ce cadre que l’on pourra faire changer les choses. C’est là que se situe la cohérence des politiques. Si l’on veut éviter que cela se fasse dans le chaos, il faut mettre en place de manière délibérée et réfléchie ce démantèlement avant que la crise n’éclate. Et l’on sent bien qu’elle couve, que ce soit en France ou en Italie.

    Mais, il faut aussi que les oppositions à la politique d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe comprennent que, au-delà de divergences et d’oppositions qui peuvent être légitimes, elles ont aussi une responsabilité dans la situation actuelle. Car, la force du pouvoir d’Emmanuel Macron tient bien plus à la faiblesse et à l’impuissance politique de ses opposants qu’à une quelconque adhésion de la part des Français.

    Jacques Sapir (RussEurope, 8 juillet 2017)

     

    Note :

    [1] London J. : Les Temps Maudits, publié en français par 10-18 / UGE, Paris ; la nouvelle La Force des Forts ouvre ce recueil.

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  • Algérie : une catastrophe annoncée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, cueilli sur Polémia et consacré à la situation catastrophique de l'Algérie, dont l'effondrement pourrait avoir des répercussions dramatiques pour notre pays... Historien, spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016) et Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017).

     

     

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    Algérie : une catastrophe annoncée

    Les perspectives apparaissent bien sombres pour l’Algérie : même si le prix du pétrole remontait, les maux profonds et structurels dont souffre le pays ne disparaîtraient pas pour autant.

    La crise que traverse aujourd’hui l’Algérie est plus grave que celle de 1986, quand l’effondrement du prix du pétrole avait failli emporter le pays.

    En trente ans, rien n’a été fait pour diversifier l’économie et la nomenklatura a continué à se servir. Mais alors qu’en 1986 les réserves pétrolières algériennes étaient encore immenses, aujourd’hui les nappes sont en voie d’épuisement ; quant au FRR (Fonds de régulation des recettes), la réserve ultime de l’État, comme il n’est plus alimenté par les recettes pétrolières, il sera prochainement épuisé. La politique d’assistanat d’État ne pourra alors plus être suivie et, dans ces conditions, comment calmer la fureur de la rue ? Or, si le pays explosait, la Méditerranée occidentale serait embrasée ainsi que tout le Maghreb et le Sahel. Sans parler des conséquences migratoires pour la France.

    Le réveil du jihadisme

    Durant la décennie noire 1991, l’Algérie fut le théâtre d’une sauvage et sanglante lutte armée. Depuis le début de l’année 2016, l’intensification des actions armées traduit une volonté des jihadistes d’opérer un retour en force en Algérie, cible privilégiée d’Aqmi en Afrique du Nord. Si la bombe sociale algérienne n’a pas encore explosé, c’est grâce à la manne pétrolière qui permet à l’État de subventionner pour 70 milliards de dollars par an la consommation des “classes défavorisées”. Les subventions (essence, électricité, logement, transports, produits alimentaires de base, etc.), totalisent ainsi entre 25 % et 30 % du PIB. À ces sommes, il convient d’ajouter 20 % du budget de l’État qui sont consacrés au clientélisme. Avec 6 % de toutes les dotations ministérielles, le budget du ministère des Anciens Combattants est ainsi supérieur à ceux de l’Agriculture (5 %) et de la Justice (2 %).

    Plus généralement, une partie de la population algérienne est en voie de clochardisation, ce qui constitue une bombe à retardement qui peut exploser à tout moment. Le chômage des jeunes atteint au minimum 35 % avec pour résultat l’émigration de la jeunesse et des diplômés. À ce jour, sans espoir dans leur pays, près de deux millions d’Algériens nés en Algérie ont ainsi émigré, dont une partie importante de cadres formés dans les universités durant les décennies soixante-dix et quatre-vingt. Sur ce total, en 2014, 1 460 000 s’étaient installés en France (Algeria-Watch, 21 septembre 2014) ; depuis, le mouvement a connu une amplification.

    La folle démographie

    Depuis 2000, parallèlement à la réislamisation de la société, nous assistons à la reprise de la natalité alors que, durant les deux décennies précédentes, un effort de contrôle des naissances avait été fait.

    Au mois de janvier 2017, l’Algérie comptait 41,2 millions d’habitants avec un taux d’accroissement annuel de 2,15 % et un excédent annuel de 858 000 habitants. Le chiffre des naissances vivantes (enfant nés vivants) illustre d’une manière éloquente cette évolution : en 2000 l’Algérie comptait 589 000 naissantes vivantes ; en 2012, elles étaient 978 000 et en 2015, 1 040 000. Comment nourrir ces bouches supplémentaires alors que l’Algérie consacre déjà le quart de ses recettes tirées des hydrocarbures à l’importation de produits alimentaires de base – dont elle était exportatrice avant 1962 ?

    Hydrocarbures en crise

    Le pétrole et le gaz assurent bon an mal an entre 95 et 97 % des exportations et environ 75 % des recettes budgétaires de l’Algérie, troisième producteur africain de pétrole. Or, la production de pétrole baisse et le pays n’aurait encore, selon certaines sources, que pour deux à trois décennies de réserves. Le 1er juin 2014, le Premier ministre algérien, M. Abdelmalek Sellal, déclara devant l’Assemblée populaire nationale (APN) : « D’ici 2030, l’Algérie ne sera plus en mesure d’exporter les hydrocarbures, sinon en petites quantités seulement. […] D’ici 2030, nos réserves couvriront nos besoins internes seulement. »

    Aux tensions sociales s’ajoutent les problèmes ethniques qui prennent de plus en plus d’ampleur dans la région du Mzab entre Mozabites et Arabes. Le pays est également fracturé entre idéologie arabiste et berbérisme. Les Kabyles n’ont ainsi pas renoncé à lutter contre l’arabisation forcée qu’ils subissent depuis 1962, certains allant même jusqu’à parler de politique d’effacement de l’identité berbère. L’Algérie est en pleine incertitude avec un président qui n’aurait plus que quelques instants de lucidité par jour. Plusieurs clans sont prêts à s’affronter pour s’emparer ou pour conserver le pouvoir. Parmi eux, quelle est encore la force de l’armée ? Quel rôle Saïd Bouteflika pourrait-il jouer dans un proche avenir ? Le clan présidentiel réussira-t-il à imposer un successeur garantissant sa survie ? La rue viendra-t-elle perturber la succession présidentielle ? Voilà autant de questions qui demeurent en suspens et qui conditionnent l’avenir à court et à moyen terme de l’Algérie.

    Les perspectives algériennes sont donc sombres car, même si le prix du pétrole remontait, les maux profonds et structurels dont souffre le pays ne disparaîtraient pas pour autant. Ils découlent de l’artificialité de l’Algérie, des mensonges de sa fausse histoire et de l’imposture de ses mythes fondateurs. Rien ne pourra donc être entrepris en Algérie sans une volonté de fonder la nation algérienne, ce qui passe par la prise en compte de ses réalités géographiques, ethniques et historiques. À défaut, ses composants se replieront sur la segmentarisation, ce qui ouvrirait une voie royale aux islamistes.

    Bernard Lugan (Polémia, 30 juin 2017)

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