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Points de vue - Page 142

  • Management de Soi : la servitude volontaire idéale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur Idiocratie et consacré au "développement personnel" comme instrument de contrôle des individus... A noter que le site Idiocratie publie désormais une revue !

     

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    Management de Soi : la servitude volontaire idéale
     
    Dès 1971, Julius Evola rappelait dans Masques et visages du spiritualisme contemporain « que n’importe quelle mixture a sa place dans le récipient ”spiritualisme“ : adaptation du yoga, variantes d’une confuse mystique, “occultisme” en marge des loges maçonniques, néo-rosicrucianisme, régressions naturalistes et primitivistes d’inspiration panthéiste, néo-gnosticisme et divagations astrologiques, parapsychologie, médiumnité, etc. ». Cet inventaire à la Prévert montre que même dans une société grossièrement matérialiste l’homme continue à avoir besoin d’étancher sa soif de mystère, de surnaturel, quitte à se fourvoyer dans les parodies les plus imbéciles. Pourtant, l’effervescence des années 1970 et son lot de religiosités alternatives a laissé la place à une époque froide et calculatrice dans laquelle la spiritualité elle-même fait l’objet d’une approche rationnelle pour ne pas dire managériale. On parle moins d’extase, de mystique et d’initiation que de santé, de bien-être et d’énergie avec en point d’orgue la nécessité d’« être bien dans sa peau » et l’impératif d’« atteindre le bonheur ». Avec son acuité légendaire, Philippe Muray avait parfaitement perçu le phénomène : « Le terrorisme du bien-être est l’une des ultimes tortures que pouvait encore inventer, afin de se croire un peu vivant, un monde qui a senti retomber sur lui la paix des cimetières consensuels »1. Cette recherche effrénée du bien-être constitue effectivement l’un des derniers avatars de la modernité, soit la substitution du psychique au spirituel et, en corollaire, la domestication du soi par les forces du marché-Etat. Une religion de la servitude volontaire ?
     
    Depuis les travaux de Max Weber et de Georg Simmel, l’on sait effectivement que les nouvelles formes de croire rejaillissent dans l’ensemble des rapports sociaux et contribuent de façon plus ou moins explicite à faire évoluer les systèmes politiques – comme ces derniers contribuent également à modéliser les formes de croyance. La difficulté tient cependant à l’identification d’un phénomène hétéroclite dont la notion de « bien-être » révèle à la fois le flou conceptuel et la fortune sémantique. Au départ, cette vaste thématique (bien-être) est née dans l’espace des cultures ésotériques en général et celui du domaine « Santé et développement personnel » en particulier. Elle réunit de multiples courants plus ou moins identifiés : coaching de vie, psychologie humaniste, pensée positive, New Age, néo-chamanisme, etc. Le succès considérable de certains ouvrages et la médiatisation voire la « starification » de leurs auteurs offrent une vitrine sans précédent à un phénomène qui finit par s’agréger sous la formule du « développement personnel »2. Si les approches demeurent plurielles, le contenu tend effectivement à se concentrer sur une thématique, le bien-être, qui peut elle-même se décliner sous plusieurs angles : « souci de soi », « quête de bonheur », « équilibre des énergies », « connaissance de soi-même », etc. Parmi les auteurs célèbres, il faut compter une majorité de thérapeutes/coachs de vie (Isabelle Filliozat, Christophe André, Boris Cyrulnik) auxquels se mêlent des consultants en relations humaines (Laurent Gounelle, Robert Dilts), des chamanes (Miguel Ruiz), des bouddhistes (Mathieu Ricard, Fabrice Midal) et des alchimistes (Patrick Burensteinas) – la liste n’étant pas exclusive. La notoriété des personnalités précitées a permis au développement personnel de s’adresser à un public de plus en plus large jusqu’à apparaître aujourd’hui comme une nouvelle religion, celle du bonheur hic et nunc.
     
    En vérité, nous avons plutôt à faire à une religiosité qui cherche à articuler, souvent à bricoler, plusieurs éléments issus des traditions religieuses et des imaginaires culturels dans le contexte d’une société très largement sécularisée. Selon Peter Sloterdijk, les religions ont même laissé la place à des « système d’exercices spirituels » qui ont pour fonction d’assurer une sorte d’immunité symbolique à des individus plongés dans un monde fortement pathogène. Il s’ensuit une multiplication de l’offre sur le marché des biens de salut qui se concrétise dans une grande variété de programmes « anthropotechniques »3. En parallèle, se produit une « déspiritualisation des ascèses » dans la mesure où tout le monde est appelé à s’exercer lui-même pour optimiser ses chances de survie en milieu hostile ou, plus positivement, de bien-être en système capitaliste. C’est dans ce contexte précis qu’il faut comprendre l’essor du développement personnel, comme une religiosité qui permet aux sujets de panser leurs plaies psycho-spirituelles dans un environnement soumis à de fortes pressions matérialistes.
     
    L’insistance sur la dimension individuelle et thérapeutique tend à réduire la puissance subversive du religieux au profit d’une approche ouverte, tolérante, positive de l’environnement immédiat – ce qui n’empêche pas les critiques « boboïsantes » quant à la qualité de l’air, de la nourriture, des rapports humains, etc. Mieux, le développement personnel peut apparaître à certains égards comme l’un des éléments clés de l’entreprise de normalisation généralisée des subjectivités en régime capitaliste. Autrement dit, cette religiosité qui se nourrit d’une multitude de références (psychologies, spiritualités, philosophies, etc.) s’inscrit dans les représentations contemporaines du monde, c’est-à-dire dans l’imaginaire des sociétés néolibérales. Beaucoup plus qu’une idéologie politique, il faut effectivement prendre en compte tout un ensemble de schèmes de pensées et de conduites qui ont pour effet de produire un monde commun. Ainsi, plusieurs dynamiques à l’œuvre dans le corps social sont transposées dans le développement personnel tout en subissant un léger décalage : la privatisation de l’individu, la liberté d’entreprendre, le désir d’amélioration ou encore l’optimisme de la volonté. A tel point que l’on peut parler d’« entrepreneur de soi-même » ou encore de « business de soi » pour décrire l’émergence d’un moi-projet qui se soumet tout seul au besoin compulsif de performance et d’optimisation.
     
    Cette confusion des genres ressortit dès les années 1980 avec les livres de deux célèbres coachs américains, Stephen Covey et Anthony Robbins, qui peuvent être lus à la fois comme des manuels de gestion d’entreprise et comme des guides de développement personnel. Chaque individu est appelé à devenir le PDG de sa propre existence sur laquelle il peut appliquer les règles du marketing : se concevoir comme une marque, identifier ses groupes-cibles et fidéliser ses clients. Avec pour support une litanie de mots-clés qui permettent d’être bien dans sa peau et efficace dans son travail : « motivation », « flexibilité », « horizontalité », « autonomie », « projet », « épanouissement », « responsabilité », etc. Davantage encore, les techniques du management envahissent l’espace intérieur – la dimension la plus intime de l’être ! – pour le discipliner et le conformer aux impératifs de la société marchande. C’est pourquoi le développement personnel, sous couvert de spiritualité, ne fait que transposer les recettes du management dans la conduite de sa vie individuelle. La « culture de soi », si cher aux philosophes antiques, se voit finalement rabaisser au stade de « business de soi » selon les trois grandes dynamiques du management : information, rétroaction, correction.
     
    En premier lieu, le management procède effectivement de la cybernétique pour mettre au cœur de tout son système : l’information. Cette dernière doit être collectée, traitée et diffusée par un gestionnaire (manager) afin de rendre optimale le fonctionnement d’une organisation – la société moderne étant comprise comme un ensemble complexe d’organisations intriquées les unes dans les autres à la tête duquel se trouvent des méta-organisations (Etats, organisations internationales, firmes multinationales). Dans un tel système, comme le souligne Baptiste Rappin, l’entropie risque toujours d’enrayer le processus de fabrication d’un monde en état d’interdépendance continue4. D’où la nécessité de toujours plus informer, c’est-à-dire mettre en forme de l’indifférencié et de l’homogène afin d’assurer un équilibre sans cesse remis en cause. Cette première étape correspond dans le développement personnel à celle du souci de soi ; littéralement, le moment d’inquiétude qui en appelle à un diagnostic sur l’état général de son organisation physio-psychologique. « Auditez-vous ! » disent les coachs de vie. Là aussi, l’information est primordiale comme le prouve la mise à disposition de plusieurs tests destinés à mieux se connaître : quotient émotionnel, confiance en soi, identification de l’ego, expression des sentiments, etc. Nicolas Marquis rappelle à cet égard que la majorité des lecteurs de développement personnel font état d’un malaise initial qui peut et doit être surmonté par la mise en place de mesures spécifiques. D’où les sommaires qui se décomposent en règle générale de la façon suivante : l’état du « patient », qu’il faut redéfinir dans le langage de l’intériorité, l’identification des problèmes et le protocole d’actions à mener. Notons que le management (de soi comme des organisations) repose sur la confiance dans les outils scientifiques utilisés et suppose la coopération active du sujet dans le programme de remise en forme. De façon plus fine, l’idéologie sous-jacente est bien celle d’un individu sans racines, sans références, qu’il est possible de sonder en permanence afin de l’actualiser – le rendre opérable – dans la société rationalisée. 
     
    C’est le second temps du processus managérial : la politique de rétroaction (feedback). La conversion de l’énergie (les actes) en informations (tableaux de bord) a pour fonction de modéliser le réel au plus près des schémas établis afin de s’assurer le maximum de contrôle dans un système toujours au bord de l’entropie. Concrètement, il s’agit d’ajuster les comportements en fonction des besoins et des objectifs à travers une série de protocoles qui visent à fluidifier la communication et de dispositifs qui visent à faciliter les interventions. D’où la prévalence d’une terminologie liquide : « flux », « connexion », « réseau », « flexibilité », etc. Pour le développement personnel, cette étape correspond au « travail sur soi » et peut se comprendre comme la mise en place d’une thérapie correctrice. En effet, l’organisme (tout comme l’organisation) recèle une multitude de ressources cachées – un potentiel inexploité – qu’il va falloir faire remonter à la surface de la conscience pour entamer sa « guérison ». Ce dernier terme renvoie surtout à la nécessité de s’adapter à son propre espace psychique (et ses fêlures) en vue d’optimiser ses capacités à être bien, à vivre heureux. Là encore, les programmes se fondent sur une série d’exercices qui visent à fluidifier les énergies, à contrôler les émotions ou encore à augmenter son capital confiance. Les expressions utilisées traduisent bien cette volonté de reprendre le contrôle sur son système : « remaniement émotionnel » (Boris Cyrulnik), « hygiène affective » (David Servan-Shreiber), « se faire confiance » (Isabelle Filliozat), etc. Dans ce cas, la modélisation de l’être vivant s’appuie toujours sur un ensemble d’informations (ressentis, relations, compétences, etc.) qui doivent permettre de rétroagir sur l’équilibre général de son être. Telle une entreprise, l’individu n’est pas conçu comme un ensemble de propriétés invariables mais comme « une juxtaposition de capacités mouvantes » qu’il est possible de mobiliser « par grappes au gré des projets et des contingences »5.
     
    Enfin, le troisième temps du processus managérial correspond à l’évaluation et se déploie plus profondément sous la forme d’une « éthique de l’horizontalité ». La modélisation continue du réel suppose pour être efficace de multiplier dans le même temps les dispositifs de contrôle et de correction simultanés. Cet ajustement permanent et sans fin des moyens aux objectifs finit par créer des modes de subjectivation qui rendent les individus fonctionnels et modulables par rapport aux ensembles qui les contiennent. L’un des signes de la postmodernité réside justement dans l’éclatement des références et l’étiolement des différences qui se traduisent par la promotion de valeurs telles que l’ouverture, la tolérance, le respect, la transparence. Pour le développement personnel, cette phase évaluative correspond à la gestion effective de soi : « Contrôlez-vous ! » et « Soyez efficace ! » C’est effectivement dans l’expérience du vécu que le sujet doit être capable de s’analyser et de se corriger continuellement en fonction des situations pour être à la hauteur de lui-même. Isabelle Filliozat encourage par exemple son lecteur à « cesser de se dévaloriser », à « dominer ses peurs », à « restaurer la confiance » pour ne plus avoir à subir la réalité. Les quatre accords toltèques6 s’articule autour de chapitres simples (« Que votre parole soit impeccable », « Faites toujours de votre mieux », « Briser les vieux accords », etc.) pour proposer un code de conduite capable de transformer la vie en une « expérience de vrai bonheur ». Au-delà de la tonalité parfois spiritualiste de ces discours, il en ressort toujours une éthique de l’horizontalité qui insiste une nouvelle fois sur l’ouverture aux autres, l’adaptation au monde, la fluidité des énergies et en dernier ressort la possibilité immanente du bonheur. A la condition, bien sûr, de ne pas perdre son temps et d’être capable de se moduler continuellement pour se fondre dans l’air du temps – se conformer.
     
    Au terme de cette analogie, on constate que les méthodes du management parviennent à se loger au cœur de l’être pour en faire un sujet gouvernable, prédictible, calculable, classifiable, réflexif et responsable. C’est pourquoi le « management de soi » peut aussi bien être défendu par des responsables des ressources humaines soucieux du bon fonctionnement des entreprises que par des « coachs de vie » soucieux d’optimiser les qualités de leurs clients en mal d’épanouissement. Avec ce dispositif, la société n’a plus besoin de s’appuyer sur toute une série d’institutions répressives (écoles, asiles, prisons, etc.) pour domestiquer les sujets et les intégrer au parc humain – comme le croyait encore Michel Foucault. Au contraire, il lui suffit de mettre en avant la liberté individuelle pour que chaque sujet se transforme en un « moi-projet », isolé et interchangeable avec tous les autres, qui réussit l’exploit de se gouverner et de se contrôler lui-même en fonction de paramètres intériorisés. « La liberté de pouvoir-faire, écrit Byung-Chul Han, engendre même davantage de contraintes que le devoir-faire disciplinaire avec ses commandements et ses interdictions ». En définitive, cette forme raffinée d’exploitation de soi par soi, entre un « ego manageant » et un « ego managé », constitue un modèle parfait de servitude volontaire.
     
    Des idiots (Idiocratie, 1er mai 2019)
     
     
    Notes :
     
    1 Philippe Muray, L’Empire du Bien. Essais, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 42.
    2 Précisons que le phénomène est né aux Etats-Unis au début des années 2000 et qu’il connaît depuis lors un développement continu avec plusieurs dizaines de millions de livres vendus. Cf. Nicolas Marquis, Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel, Paris, PUF, coll. « Partage du savoir », 2015.
    3 Notion créée par Peter Sloterdijk pour décrire l’ensemble des « procédés d’exercices mentaux et physiques avec lesquels les hommes des cultures les plus diverses ont tenté d’optimiser leur statut immunitaire cosmique et social face à de vagues risques pour la vie et de certitudes aiguës pour la mort » dans Tu dois changer ta vie, Paris, Libella/Maren Sell, 2011, p. 24.
    4 Baptiste Rappin, Au fondement du management. Théologie de l’Organisation, volume 1, Nice, Les éditions Ovadia, coll. « Chemin de pensée », 2014, p. 96 et s.
    5 Thibault Le Texier, Le maniement des hommes. Essai sur la rationalité managériale, Paris, La Découverte, 2016, p. 233.
    6 Publié en 1997, cet ouvrage du « chamane » mexicain Miguel Ruiz est considéré comme le premier best-seller du développement personnel. Cf. Don Miguel Ruiz, Les quatre accords toltèques. La voie de la liberté personnelle, Genève, Poches Jouvence, 2005 [1999].
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  • Une politique économique d’intérêt national, vite !...

    Nous reproduisons ci-dessous un la deuxième partie d'un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de l'intérêt national en économie.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

    hervé juvin, europe, états-unis, identité nationale, protectionnisme, souveraineté

    Une politique économique d’intérêt national, vite !

    Responsabilité Nationale des Entreprises, propriété nationale des infrastructures, fonds souverain de la vie, modèle coopératif pour un capital-risque national ; et si l’intérêt national était le secret de la nouvelle économie ?

    Tous les pays défendent leurs intérêts

    Intérêt national, le terme en fait un gros mot. Tous les autres pays européens protègent jalousement leurs intérêts nationaux. Exemples ? SAAB en Suède : protégé de toute incursion américaine. L’aéroport de Schiphol et Damen aux Pays Bas. Le secteur aérospatial en Allemagne, avec OHB imperméable à toute entreprise étrangère (et les Allemands préfèrent un lanceur américain à Ariane Espace !) Les hélicoptères en Italie. Inutile de citer les États-Unis, farouchement protectionnistes pour eux-mêmes, l’Inde, impénétrable sans entente avec les familles régnantes, la Chine bien sûr, et tous les autres.

    France : liquidation générale…Quid de l’intérêt national ?

    Victime de la naïveté avec laquelle ses élites auto-désignées adhèrent à l’idéologie européenne de l’ouverture, et en rajoutent sur les traités de libre-échange, la France abandonne ses actifs stratégiques pour de vaines promesses politiques, alors qu’elle avait constitué des géants de dimension mondiale dans tous les grands secteurs industriels où se jouent puissance et souveraineté (énergie, télécoms, nucléaire, armement, construction navale, aéronautique et spatial, etc.).

    Et la liquidation continue ; après les autoroutes (que les forces de l’ordre ne pouvaient emprunter en mars dernier en raison du coût des péages que les sociétés concessionnaires exigent des policiers, comme des gendarmes et des pompiers), au tour des aéroports d’ADP (les services de sécurité s’alarmaient récemment de la réduction des surfaces réservées aux douanes qui seront allouées au commercial, rentabilité du m2 oblige).  

    Intérêt national : ce qui prime l’économie, le rendement financier, et le droit. Ce qui a été rendu indéfendable, par la double soumission à l’idéologie européenne, si bien imposée à l’ENA par Mme Loiseau au détriment du corpus administratif et juridique français, et à un individualisme ravageur, que résume la formule de Mme Thatcher ; «  la société, ça n’existe pas ». Ce qui est devenu invisible, depuis que tout a été mélangé, brouillé, travesti, pour que les liquidations successives de nos outils stratégiques ne soient pas perçues par le peuple français. D’Alstom à Airbus et du Rafale à Morpho (Safran), n’apparaissent que des éléments épars d’un tout qui n’est jamais montré.

    Alcatel, Alstom, Technip, Areva, les autoroutes hier, aujourd’hui Airbus, ADP, et demain qui ? L’agro-alimentaire, le BTP, le système éducatif, d’abord, contre lesquels des ONG et des géants de l’Internet américains préparent l’offensive, après eux, les côtes, les espèces animales et végétales endémiques, notre patrimoine vivant, que restera-t-il à brader pour fournir des mandats aux banques d’affaires et des cibles aux capitaux nomades ?

    Les succès industriels ont été le résultat de projets nationaux intégrés à une politique de puissance et d’indépendance, ancrés sur des territoires et sur l’unité des Français. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

    La liste est longue et ne cesse de s’allonger. Quelques-uns des plus beaux fleurons industriels et technologiques français ont été vendus, dépecés, mis sous contrôle, et il n’en reste rien. Récemment encore, l’obsession financière a fait vendre Morpho, pépite du futur, elle a failli sacrifier Alstom transport, elle liquide les Chantiers de l’Atlantique et peut réduire à la portion congrue Naval Group, nouveau nom de DCNS.

    L’Allemagne s’intéresse à un réseau bancaire français en Afrique, les banques françaises quasiment toutes devenues systémiques depuis que l’obsession centralisatrice a détruit les banques régionales de plein exercice quittent l’une après l’autre les pays non alignés ; pas besoin de les racheter, le terrorisme du droit américain servi par la militarisation du dollar suffit à les tenir sans débourser un dollar de capital (soyons clairs ; une banque soumise au monitor américain, aux cabinets de conseil en conformité et aux lawyers américains n’est plus une banque française). Et jusqu’aux services de sécurité français qui, au nom du prix le plus bas et de la meilleure offre, confient leurs données à Palantir, une filiale de la CIA !

    Les rodomontades du ministre Bruno Lemaire n’y changent rien. Le pillage de la France se poursuit. Industrie, technologies, infrastructures, bientôt les terres, demain la vie ; ceux qui jugent la réussite de leur politique à la fortune de leurs amis, de leurs financiers ou de leurs donateurs exploitent la France comme n’importe quelle colonie ; puisqu’être Français n’a plus de sens, puisqu’il n’y a plus ni culture, ni identité nationale !

    Si les frontières doivent s’ouvrir, si chaque femme, chaque homme est appelé à poursuivre le bonheur là où ses pas le portent, si les Nations sont appelées à se dissoudre dans le grand tout mondial, l’intérêt national n’existe pas, et chacun n’a pour loi que celle de son intérêt individuel. Voilà pourquoi Alain Madelin interdisait que soit prononcé le mot de « stratégie industrielle ». Voilà pourquoi le commissariat au Plan a été transformé en une vague commission de la prospective. Voilà pourquoi les outils de l’expertise publique et de la définition de politiques économiques cohérentes ont été démantelés, privés de pouvoir, ou simplement supprimés.

    Voilà pourquoi le gouvernement d’Emmanuel Macron travaille à remplacer les fonctionnaires d’Etat par les salariés d’Agences investies de missions publiques, mais ne bénéficiant pas de l’indépendance apolitique que permet le statut de fonctionnaire, donc plus aisément soumis aux lobbys et aux pressions des financiers. Et voilà pourquoi pullulent les autorités administratives indépendantes, pendant que les traités internationaux sont soustraits aux tribunaux pour être jugés par des cours privés d’arbitrage, de manière à ce que les intérêts économiques et financiers échappent aux lois, aux tribunaux nationaux, à la volonté populaire et au suffrage démocratique.

    Les Français comme les Européens doivent y réfléchir. Toutes les innovations qui font la force des États-Unis, comme aujourd’hui de la Chine, ont été financées par la recherche militaire, portées et imposées par l’autorité publique. Être fort chez soi est le préalable à la puissance extérieure. À long terme, il n’y a pas de différence de nature entre dépenses civiles et militaires, entre intérêt privé et intérêt national. À long terme, nous gagnerons tous, ou nous serons esclaves.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2019)

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  • S'enraciner ici et maintenant...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo de Julien Langella consacrée à la question de l'enracinement, ou du ré-enracinement. Membre fondateur de Génération identitaire, Julien Langella est déjà l'auteur de deux essais, La jeunesse au pouvoir (Rubicon, 2015) et Catholique et identitaire (DMM, 2017).

     

                                      

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  • Pour un transhumanisme de droite ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romain d'Aspremont, cueilli sur le site de Rage et consacré au transhumanisme. Romain d'Aspremont est l'auteur d'un essai intitulé Penser l'homme nouveau - Pourquoi la droite perd la bataille des idées, disponible sur Amazon.

    romain d'aspremont

    Pour un transhumanisme de droite

    Le conservatisme standard est inefficace contre la gauche

    Le fait que la droite ignore la révolution technologique en gestation n’a rien de surprenant : qu’elle soit en retard sur l’avenir, voilà après tout sa marque de fabrique. 

    Néanmoins, manquer la révolution transhumaniste – l’ingénierie génétique et la cyborgisation – pourrait coûter à la droite bien plus que ses précédents échecs. Cette fois, les périls sont plus élevés qu’ils ne l’ont jamais été : c’est la nature humaine elle-même qui s’apprête à être transformée. Aussi est-il impératif que la droite trouve autre chose à rétorquer que « No pasarán ! »

    Car la révolution transhumaniste se produira, peu importe l’ardeur dont les conservateurs feront preuve pour l’endiguer.

    La droite est victime du paradigme conservateur : ralentir l’allure du « progrès de gauche » au lieu de proposer une nouvelle piste. Cette posture est politiquement suicidaire car elle implique d’abandonner l’écriture de l’histoire. Si l’histoire était un livre, les progressistes tiendraient la plume, les réactionnaires la gomme, et les conservateurs se battraient pour repousser l’écriture du prochain chapitre.

    Le philosophe, Luc Ferry, écrit que le transhumanisme découle en partie de la contre-culture des années 60 :« féministe, écologiste, égalitariste, libertarienne et déconstructionniste ».

    Les « progressistes » sont enclins à embrasser les nouveaux horizons ouverts par la science. Ils luttent constamment pour transformer la réalité – économique, sociale, biologique – tandis que les conservateurs rechignent à salir leurs mains, au point d’en perdre l’usage.

    Comme tout « progrès » passé, le Transhumain sera d’abord perturbé et ralenti par la mobilisation des conservateurs. Mais, comme avec le mariage homosexuel, la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui, il finira par voir le jour, façonné par les gauchistes et les libéraux.

    Le Transhumain sera asexuel, herbivore et métissé (comme le prône la féministe transhumaniste Donna Haraway, auteur du Manifeste Cyborg, 1985).

    Comme si cela ne suffisait déjà pas, des transhumanistes tels Max Moore aspirent à modifier le caractère même de l’être humain : pacifiste, dépourvu de pulsions agressives, radicalement altruiste.

    Telle est l’étape finale de leur croisade : passer de la déconstruction des stéréotypes à la déconstruction biologique.

    Poursuivons notre diabolisation du transhumanisme et nous aurons et le Transhumain et l’Hermaphrodite, génétiquement programmé par la gauche.
    Plutôt que de s’échiner à tuer dans l’œuf ce qui est déjà virtuellement parmi nous, tâchons d’imposer notre marque à cet humain du futur : intellectuellement supérieur, plus rationnel mais toujours capable d’agressivité, physiquement et musculairement amélioré (plutôt que longiligne et androgyne).

    Physique et intellectuelle, l’amélioration doit être également de nature psychologique. La création du Surhomme nietzschéen n’est plus hors d’atteinte : un homme affirmatif, libéré du ressentiment et du pessimisme, capable d’engendrer des valeurs nouvelles.

    Nietzsche s’exprimait en ces termes :

    «L’homme est le prétexte à quelque chose qui n’est plus l’homme ! C’est la conservation de l’espèce que vous voulez ? Je dis : dépassement de l’espèce ! »

    S’il se refuse au Transhumanisme, l’Occident deviendra Tiers-Monde

    De plus, si l’Occident s’interdit au transhumanisme, les civilisations asiatiques, lesquelles embrassent déjà cette opportunité technologique, nous écraseront. Faisons en sorte de ne pas répéter nos erreurs d’antan : les transferts massifs de technologies au bénéfice de nations non-occidentales, désormais capables de nous menacer économiquement et militairement.

    Le secret d’une potentielle percée dans le domaine du transhumanisme devra être jalousement conservé. En Chine, des centres de recherche sont en train de séquencer le génome des génies en vue de générer une génération d’enfants surdoués.

    Vitupérer contre les « délires prométhéens » aboutissant à « la fin de l’humanité » est stérile.

    Ceux qui dansent au bord de l’abîme ne sont peut être pas ceux que l’on croît.

    D’abord, parce que les nations transhumanistes vont surpasser les peuples bioconservateurs dans tous les domaines (scientifique, économique, militaire et même artistique). Que l’Occident emprunte la mauvaise route et il dégénérera en un Tiers-Monde peuplé d’individus au QI obsolète.

    Le Transhumanisme comme alternative au dysgénisme induit par la modernité

    Car le transhumanisme est une urgence civilisationnelle, mais également éthique : la fin de la sélection naturelle (notamment du fait des progrès de la médecine) produit une dégénérescence de l’espèce humaine, qui ne pourra être corrigée que par la manipulation de notre génome.

    Le Prix Nobel de Médecine, Jacques Monod, écrit au sujet de nos sociétés modernes :

    « la sélection y a été supprimée [ou] du moins n’a-t-elle plus rien de « naturelle » au sens darwinien du terme [si bien qu’] aujourd’hui, beaucoup de ces infirmes génétiques survivent assez longtemps pour se reproduire [car] grâce aux progrès de la connaissance et de l’éthique sociale, le mécanisme qui défendait l’espèce contre la dégradation, inévitable lorsque la sélection naturelle est abolie, ne fonctionne plus guère que pour les tares les plus graves. »

    En d’autres termes, en l’absence d’ingénierie génétique, les mutations aléatoires – non-filtrées par la sélection naturelle – s’accumuleront. Soit la pire conséquence de l’Etat Providence : protéger les faibles et les malingres, leur permettant de propager leurs gènes défectueux.

    Monod s’alarme également du risque d’une dégénérescence intellectuelle, remarquant : « une corrélation négative entre le quotient intellectuel (ou le niveau de culture) et le nombre moyen d’enfants des couples ». Les couples au QI le plus bas faisant davantage d’enfants que ceux au QI élevé.

    Avant de conclure :

    « le danger, pour l’espèce, des conditions de non-sélection, ou de sélection à rebours, qui règnent dans les sociétés avancées est certain ».

    Rappelons que Monod, loin d’être fasciste, était un sympathisant communiste.

    S’il ne s’est jamais prononcé en faveur du transhumanisme (qu’il considérait à tort comme relevant de la science fiction), son cri d’alarme devrait au moins nous conduire à réviser notre position vis-a-vis du transhumanisme : moins une lubie prométhéenne qu’un impératif moral et civilisationnel.

    Romain d'Aspremont (Rage, 10 mai 2019)

     

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  • Progressisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré au progressisme macronien... Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Progressisme

    Vers la fin du XIX° siècle, le progressisme est vaguement associé aux républicains les plus conservateurs (il existe un groupe « Républicain Progressiste » à l’Assemblée), Le mot connaît une nouvelle fortune après guerre, où il devient synonyme d’amis de l’URSS (voire de Staline « guide de l’humanité progressiste ») par opposition au camp atlantiste, colonialiste, impérialiste voire réactionnaire en matière d’arts et de mœurs. Progressisme signifie alors « dans le sens de l’Histoire » qui, à l’époque, ne pouvait être que le triomphe de l’internationalisme prolétarien.

    Perdant ses connotations de sympathie vague pour le progrès moral de l’humanité et de soutien moins vague au camp socialiste, le mot reprend un nouveau sens dans le vocabulaire macronien. Il y est opposé à populisme, ce qui est déjà douteux, puisque la caractéristique du populisme, la méfiance envers les représentations et les élites, n’implique ni « c’était mieux hier », ni refus que les choses soient « mieux » demain. Le populisme est une critique des représentations, basé sur l’idée que la volonté souveraine du peuple est mal traduite : pour lui le problème est la source du pouvoir. Le progressisme, tel que l’entendent les macroniens est orienté efficacité : plus d’innovation, davantage de transformations. Le changement étant a priori crédité d’apporter le plus donc le mieux, la question est celle de se fixer les bons objectifs. Avec les bonnes équipes.

    Pendant que le populisme mythifié - foules haineuses et gens qui ne sont rien - sert de repoussoir se dessine un progressisme « nouveau monde », élitiste sans complexe. Le progrès ainsi entendu n’a donc plus rien à voir avec sa version du temps de la Guerre froide : serait progressiste qui progresse le mieux dans le sens libéral-libertaire, donc les élites. Pour reprendre le titre du livre de I. Emelien et D. Amiel « Le progrès ne tombe pas du ciel ». Est-ce à dire que ce sont les premiers de cordée qui doivent monter le chercher ?

    Faute de principe historique de référence (perfectibilité intrinsèque de l’esprit humain à la Condorcet ou dialectique marxiste des forces productives et modes de production), le concept devient un contenu vide. Donc difficile à contredire. Qui voudrait que la médecine guérisse moins, que les gens soient moins heureux, que l’on produise moins de bons films, que le climat se dégrade ou que l’on meure davantage de faim ?

    Le progressiste new style ne se donne pas une obligation de résultat mais de moyen : laisser s’épanouir des possibilités de chacun. Il se réfère à la construction d’une autonomie mythifiée : une sorte de tendance naturelle à accroître ses potentialités que chacun porterait en soi pourvu qu’il n’en soit pas empêché. Du coup la politique se réduit à des préceptes quasi entrepreneriaux : favoriser l’innovation, ne pas se laisser décourager, jouer collectif, vaincre l’inertie, etc. Le postulat de base est qu’il ne doit pas fixer des fins communes, mais créer les conditions de la réalisation.

    Reprenant les codes du vieil utilitarisme de Bentham ou Stuart Mill, le progressisme macroniense entend maximiser l’utilité collective, sur fond d’empirisme, d’individualisme et d’hédonisme. Ce n’est pas très convaincant philosophiquement que de réclamer une augmentation ou maximisation sans préciser de quoi (Du bonheur ? De la puissance collective ? Des ressources disponibles pour tous ? De la jouissance ? De la réalisation de soi, subjective par excellent ?...). Ce programme « il faut que ce soit mieux » réduit tout à la dialectique problème/solution, encore faut-il dire quel est le critère de la «bonne » solution.

    Ainsi dans le livre de deux conseillers du président, il est expliqué que la recette du progressisme tient en trois règles : la maximisation des possibles, l’impératif d’agir ensemble pour mieux y arriver et la priorité de commencer par la base (comprenez d’améliorer les administrations, les corps intermédiaires, la démocratie locale). Le programme inverse - pourrissons la vie des gens, que chacun se débrouille dans son coin et imposons tout cela par le haut sans consulter personne - aurait, évidemment, moins de succès. Bel exemple de la langue de coton dont le principe est d’énoncer des vérités si larges en des termes si flous qu’il soit impossible d’énoncer une assertion contraire sans être odieux ou absurde.
    Le programme irréfutable recouvre en réalité une soumission aux dogmes du temps. Ou plutôt l’accompagnement d’un mouvement présumé spontané (sélectionné par une sorte d’évolution ?) des sociétés occidentales sensées aller spontanément vers l’ouverture et le renouvellement. La gauche social-démocrate aurait imposé le principe d’émancipation et d’égalité qui va dans le sens de la demande sociale, la droite celui d’efficacité économique qui doit guider la gouvernance, le nationalisme montrerait le contre-modèle d’un autoritarisme fermé : avec cette triangulation, la direction s’impose toute seule, comme par équilibre des forces. À condition de ne pas se perdre dans le triangle des Bermudes.

    Tout ceci serait sans doute fort innocent - et rappellerait les dilemmes angoissants que proposait Édouard Balladur dans les années 90 « Voulons nous plus ou moins de croissance ? Plus ou moins de justice sociale ? » - si la rhétorique progressiste ne servait d’arme de dissuasion. Car qui est l’autre, le frustré, celui qui ne veut pas des possibles faute d’avoir pu atteindre ses désirs ? Il est forcément le populiste. Emelien et Amiel en distinguent trois versions : populiste de droite crispé sur l’identité, populiste de gauche crispé sur la vieille politique de redistribution, et intégristes crispés sur leur loi divine. Les opposants sont décrétés ennemis du possible par incapacité à admettre le nouveau. La question n’est pas qu’il y ait d’autres valeurs, la question est que ces gens ne veulent pas que les choses aillent mieux. Du coup, ils font des choses horribles : ils instrumentalisent les révoltes des frustrés (extrémisme), ils désignent des boucs émissaires (complotisme) et ils prétendent parler au nom du peuple (populisme). Le parti du désespoir volontaire, voulu comme tel, traduit ainsi une attitude devant la vie. La boucle est bouclée : on pense mal parce qu’on refuse le bien.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 5 mai 2019)

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  • Le naufrage de l'Afrique du Sud...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan consacré au naufrage de l'Afrique du Sud, vingt-cinq ans après les premières élections multiraciales, qui consacraient la fin de l'apartheid. Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont  Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017) et Mai 68 vu d'en face (Balland, 2018).

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    27 avril 1994 : le début du naufrage de l’Afrique du Sud

    En Afrique du Sud, le 27 avril 1994, il y a donc 25 ans, se tinrent  les premières élections multiraciales. Grâce à elles, l’enfer de l’apartheid allait être oublié et le paradis sur terre allait advenir puisque,  des fontaines de la démocratie non raciale allaient couler le lait et le miel. Alléluia !

    Vingt-cinq ans plus tard, les illusions ont été dissipées et le pays a sombré :
    - Taux de chômage officiel, 27,7% (taux officieux 40%).
    - Chômage des jeunes âgés de 15 à 34 ans, 38,8% selon le  taux officiel.
    - PIB en chute libre : 3,5% en 2011 ; 2,6% en 2012 ; 1,9% en 2013 ; 0,6% en 2016 ; 1,3% en 2017 et 0,8% en 2018, alors qu’il faudrait 7% durant plusieurs décennies pour simplement stabiliser la pauvreté.
    - Economie entrée en récession technique depuis  2018.
    - Revenu de la tranche la plus démunie de la population noire inférieur de près de 50% à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant 1994.
    - Un habitant sur trois survivant  grâce aux aides sociales, le Social Grant.
    - A l’exception de l’agriculture, branche encore contrôlée par les Blancs, tous les secteurs économiques sud-africains sont en recul ou en faillite, à commencer par les industries de main d’œuvre (textile, vêtement, chaussures), qui n’ont pu résister aux importations chinoises. Quant aux secteurs de la mécanique dans lesquels, avant 1994, l’Afrique du Sud produisait la majeure partie des pièces dont ses industries avaient besoin, ils sont moribonds.
    - Les mines ont sombré. En raison des pertes de production et des coûts d’exploitation en hausse constants, nombre de puits secondaires ont fermé, entraînant  la  mise à pied de dizaines de milliers de mineurs. Pour maintenir la production, il aurait fallu investir des sommes colossales, mais le climat social, la corruption et l’insécurité ont découragé les investisseurs qui ont préféré faire glisser leurs activités vers des pays moins incertains.
    - L’industrie minière est pénalisée par les coupures de courant à répétition car la compagnie publique Eskom, littéralement pillée par ses nouveaux dirigeants nommés par l’ANC a vécu sur l’héritage laissé par le régime blanc sans procéder aux investissements indispensables. Résultat : les mines qui représentent aujourd’hui 10% du PIB sud-africain, qui emploient 8% de la population active et qui sont le premier employeur du pays avec 500.000 emplois directs, ont  perdu plus de 300.000 emplois depuis 1994.
    - La criminalité  fait de l’Afrique du Sud un des pays les plus dangereux au monde.
    - L’exceptionnel maillage médical a disparu.

    Face à ce désastre, regardons en arrière. En 1994, quand, après avoir menti à son peuple, le président De Klerk hissa au pouvoir un Nelson Mandela bien incapable de le conquérir par les armes, il légua à l’ANC la première économie du continent, un pays doté d’infrastructures de communication et de transport à l’égal des pays développés, un secteur financier moderne et prospère, une large indépendance énergétique, une industrie diversifiée, des capacités techniques de haut niveau et la première armée africaine.
     
    Libérée de l’ « oppression raciale », la « nouvelle Afrique du Sud » fut immédiatement la proie du parti prédateur ANC dont les cadres, aussi incapables que corrompus, eurent comme objectif principal leur propre enrichissement. Caricature du corrompu, le président Zuma fut évincé par un coup d’Etat interne à l’ANC qui mit au pouvoir  le vice-président Cyril Ramaphosa. A cette occasion, le monde médiatique entonna son habituel péan: débarrassée du « maffieux » Zuma remplacé par le « vertueux »  Ramaphosa, l’Afrique du Sud allait pouvoir renouer avec l’héritage de  Nelson Mandela. 
     
    Or, comme je l’ai dit à l’époque, en dehors du fait qu’un Venda allait remplacer un Zulu, cette révolution de palais n’allait rien changer au pays. A un Jacob Zuma lié au gang indien Gupta, succédait en effet l’ex syndicaliste Cyril Ramaphosa qui avait trahi ses camarades mineurs en se vendant au patronat blanc. C’est en effet dans les conseils d’administration des sociétés minières au sein desquels il fut adoubé pour contrer les revendications des mineurs dont il avait été le représentant avant 1994, qu’il édifia sa colossale fortune !!!
    Pris entre les pressions des milieux d’affaires pro-occidentaux dont il était la créature, et celles des tendances radicales-racialistes lourdes qui constituent le fonds de commerce de l’ANC et des partisans de Julius Malema, le nouveau président se trouva vite paralysé. Et, comme d’habitude, il utilisa l’habituel joker des politiciens de l’ANC aux abois, à savoir la dénonciation du bouc-émissaire représenté par les fermiers blancs.

    25 ans après les premières élections multiraciales, et comme l’a dit avec justesse Julius Malema: « En Afrique du Sud, la situation est pire que sous l’apartheid  la seule chose qui a changé, c’est qu’un gouvernement blanc a été remplacé par un gouvernement de Noirs ».
    Avec une différence cependant : avant 1994 les Noirs ne mouraient pas de faim, ils étaient gratuitement soignés et éduqués, l’électricité fonctionnait, les pénuries d’eau étaient inconnues et la police faisait son travail.
     
    Mais, tout cela appartient au passé car, entre 1994 et 2019, l’ANC, le mouvement de Nelson Mandela, a conduit l’Afrique du Sud vers un naufrage. Selon la Banque Mondiale, et bien que réalisant ¼ du PIB de tout le continent, le pays est aujourd’hui devenu un des 5 pays « les moins performants » d’Afrique, juste devant les Comores, Madagascar, le Soudan et le Swaziland…
    En 25 ans de pouvoir, l’ANC a donc ruiné un pays prospère, le transformant en un Etat du « tiers-monde » dérivant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violences.
     
    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 27 avril 2019)
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