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Points de vue - Page 144

  • Le coeur et la rage...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur le site de L'Inactuel et consacré aux raisons profondes de la crise des Gilets jaunes. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018) et dernièrement La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019).

     

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    Michel Maffesoli: “Le coeur et la rage”

    Dans notre progressisme natif, nous avons du mal à accepter que les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Des esprits aigus ont pu noter, à juste titre, la fin de l’ère des révolutions (E. Hobsbawm). Si nous savons voir, avec quelque lucidité, l’architecture des sociétés contemporaines, nous pouvons dire que nous assistons à l’ère des soulèvements populaires.

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  • Sur l'effondrement qui vient...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli sur le site d'Antipresse et consacré à la crise climatique et à l'effondrement sur lequel elle doit déboucher.

    Penseur subtil et profond, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010), De l'extermination (Xénia, 2013) ou Le temps d'Antigone (Xénia, 2015) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

     

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    Sur l'effondrement qui vient

    La crise climatique inquiète, et à juste titre. Car elle est bien réelle. On ne peut plus aujourd’hui dire, comme l’ont longtemps fait (et continuent d’ailleurs encore à le faire) certains (ceux qu’on appelle les «climatosceptiques»), qu’elle n’existe pas. Oui bien sûr qu’elle existe. En sous-estimer la gravité est même d’une particulière stupidité.

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  • Droite/Gauche : fin ou transformation du clivage ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Arnaud Imatz, cueilli sur le Cercle Aristote et consacré au clivage droite - gauche. Fonctionnaire international à l’O.C.D.E. puis administrateur d’entreprise, spécialiste de l'Espagne, Arnaud Imatz a notamment publié  La Guerre d’Espagne revisitée (Economica, 1993), Par delà droite et gauche (Godefroy de Bouillon, 1996) et José Antonio et la Phalange Espagnole (Godefroy de Bouillon, 2000) et Droite - Gauche : pour sortir de l'équivoque (Pierre-Guillaume de Roux, 2016).

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    Droite/Gauche : fin ou transformation du clivage ?

    L’une des questions les plus débattues au cours des dernières années par les observateurs politiques européens – journalistes et politologues – est la possibilité ou l’impossibilité de surmonter la division droite / gauche. Il en a été ainsi tout particulièrement dans les pays dits d’Europe « latine » que sont la  France et l’Italie où pourtant la « vieille » dichotomie, implantée depuis plus d’un siècle, semblait solidement et durablement établie. Dans les sondages qui ont été effectués depuis la fin des années 2000, 60 à 70% des citoyens ont déclaré sans équivoque (du moins lorsqu’il leur a été permis de le faire) que la démocratie a cessé de fonctionner correctement, qu’il n’existe pas de différences substantielles entre les gouvernements de droite et de gauche et que le clivage n’est plus vraiment pertinent.

    J’ai moi-même contribué au débat sur la permanence ou la fin du clivage, sa transformation ou son déclin, en publiant huit mois avant les élections présidentielles de 2017, Droite / Gauche : pour sortir de l’équivoque. Histoire des idées et des valeurs non conformistes du XIXe au XXIe siècle (éditions Pierre Guillaume de Roux, 2016). Si je reviens aujourd’hui sur ce sujet, c’est afin de répondre au souhait de nombreux amis qui m’ont demandé de résumer la teneur de ce livre, et que je sais en outre, par expérience, combien un fort volume documenté peut rebuter les lecteurs pressés [1].

    Pour comprendre la radicale et surprenante évolution politico-sociale récente des pays européens (naissance et développement de nombreux mouvements populistes dans la majeure partie du continent, alliance gouvernementale entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles en Italie, rébellions/insurrections populaires comme les « Bonnets rouges » et les « Gilets jaunes » contre les oligarchies ou « élites » progressistes autoproclamées, surgissement de Vox en Espagne, Brexit du Royaume-Uni etc.), il est nécessaire de mener une réflexion approfondie en essayant de répondre sérieusement aux questions-clés : qu’est-ce que la droite ?, qu’est-ce que la gauche ?, quels sont les arguments pour et contre « l’inévitable » ou « accidentelle » division qui articule la vie politique des démocraties représentatives modernes ? Et, finalement, pourquoi la dichotomie gauche-droite est-elle de plus en plus discréditée dans l’opinion publique des pays européens ?

    Comment définir la gauche et la droite ? Le point de vue essentialiste : la division n’est pas finie

    Par delà la multiplicité des définitions de la droite et de la gauche, deux approches radicalement différentes s’affrontent : l’une est philosophique et l’autre historique. L’approche philosophique cherche à définir l’essence, le caractère intime des deux phénomènes ; l’approche historique, empirique et relativiste, nie qu’il s’agisse d’absolus isolés, indépendants de situations contingentes (locales et temporelles). La première approche conduit à renforcer ou à consolider la dichotomie traditionnelle et la seconde à la critiquer, à la questionner ou à la mettre en doute [2].

    Le point de vue essentialiste a été défendu par de nombreux auteurs depuis plus d’un demi-siècle. À partir d’une position de droite, on peut citer, entre autres, le démocrate-chrétien Français René Rémond, le traditionaliste Hongro-Américain Thomas Molnar ou le conservateur Espagnol, Gonzalo Fernández de la Mora. Plus récemment, on trouve par exemple l’ex-conseiller de l’ancien président Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson (et son biographe, proche collaborateur d’Alain de Benoist, le journaliste François Bousquet [3]), le politologue Guillaume Bernard ou le professeur de droit constitutionnel Jean-Louis Harouel. Sur le versant de gauche, il faut citer, parmi les plus connus, l’Italien Norberto Bobbio, l’Anglais Ted Honderich, le Français Jacques Julliard ou l’Espagnole Esperanza Guisán [4].

    Dans le sens le plus conventionnel et le plus vulgaire du terme, la droite serait synonyme de stabilité, d’autorité, de hiérarchie, de conservatisme, de fidélité aux traditions, de respect de l’ordre public et des convictions religieuses, de protection de la famille et de défense de la propriété privée. À l’inverse, la gauche incarnerait l’insatisfaction, la revendication, le mouvement, le sens de la justice, le don et la générosité. 

    La propagande néo-marxiste, néo-social-démocrate et parfois même néolibérale, qui se veut « progressiste », voit dans la droite la réaction contre les Lumières, contre le Progrès, la Science, l’Égalité, l’Humanisme (dieux toujours écrits en lettres capitales). La droite et la gauche ne refléteraient somme toute que le conflit éternel entre les riches et les pauvres, les dominants et les dominés, les oppresseurs et les opprimés. Mais lorsque le sujet fait l’objet d’une enquête un peu plus sérieuse, on se rend vite compte que cette identification de la droite politique avec la droite économique, ou de la droite de conviction avec la droite d’intérêt ou d’argent, si répandue dans les grands médias, n’est qu’un mythe de plus, un enfumage idéologique, un mensonge de propagande. Les lecteurs de Vilfredo Pareto, familiers de sa célèbre thèse sur la collusion entre ploutocrates et révolutionnaires, le savent bien. Les exemples qui nuancent ou infirment le mythe, abondent, depuis les acteurs et héritiers bourgeois de la Révolution française, jusqu’aux magnats milliardaires et spéculateurs financiers d’aujourd’hui comme George Soros.

    Il y a toujours eu en Europe, tout au moins depuis la fin du XIXe siècle, une droite antilibérale ou « illibérale » (comme on dit aujourd’hui), traditionnelle, sociale et anticapitaliste, qui non seulement affirme son engagement envers la communauté nationale mais défend également la justice sociale. Et il y a toujours eu aussi une gauche socialiste ou socialisante qui défend à la fois le républicanisme, la laïcité, la patrie et la nation.

    Quelles sont les oppositions conventionnelles entre la gauche et la droite ?

    Le point de vue essentialiste privilégie toujours l’ « idée » à l’ « existence », la réalité ou les faits. Il s’est développé à différents niveaux d’analyse plus ou moins sophistiqués. Rappelons ici les oppositions qu’il relève le plus fréquemment :

    1. Premièrement, il y a le pessimisme de la droite contre l’optimisme de la gauche. Le réalisme et le sentiment tragique de la vie contre l’idéalisme, le sentimentalisme, le triomphe de la bonne conscience et l’angélisme. Selon cette prémisse, il y a finalement deux tempéraments qui s’opposent toujours l’un à l’autre. Il y a toujours le même antagonisme : les réactionnaires / conservateurs versus les progressistes réformistes ou révolutionnaires.

    2. À un second niveau d’analyse, il existe deux positions métaphysiques : la transcendance et l’immanence. D’un côté, ceux qui défendent Dieu, et de l’autre, ceux qui déifient l’homme. On oppose ici la métaphysique chrétienne et la lecture correcte des Évangiles aux grandes hérésies et aux utopies falsificatrices du christianisme, au millénarisme, au gnosticisme (le Dieu du mal contre le Dieu du bien), ou encore à la croyance aux religions de la politique avec leur version sécularisée de l’apocatastase. À l’arrière-plan, il y a une sorte de combat éternel de la lumière contre les ténèbres, du bien contre le mal, chacun étant bien sûr interprété et défini différemment selon que l’on appartient ou non à l’un des deux pôles de droite ou de gauche.

    3. D’autres auteurs opposent la droite qui croit en la nature humaine sans changement et la gauche qui croit en la perfectibilité indéfinie de l’homme (un homme bien sûr non souillé par le péché originel comme l’enseigne le christianisme). Il y a donc la droite qui croit en l’ordre naturel par opposition à la gauche qui croit en la raison universelle ; la droite qui a une vision holiste de la société par opposition à l’approche individualiste de la gauche (cet individualisme radical apparu avec la Révolution française expliquerait par ailleurs la réaction collectiviste et totalitaire ultérieure du socialisme marxiste). Il existe donc l’organicisme de droite (c’est-à-dire la société qui se développe comme un arbre avec des racines et des branches qui ne peuvent être changées impunément selon la volonté de chacun) qui s’oppose au mécanicisme de gauche (c’est-à-dire la société qui fonctionne comme une horloge avec la possibilité de changer et modifier sans limites chacune des pièces).

    4. Une quatrième différence serait l’importance de l’éthique familiale et communautaire défendue par la droite face à l’obsession de la gauche pour la libération des mœurs et des coutumes.

    5. Mais l’antinomie la plus fréquemment citée est sans doute celle entre, d’une part, l’aristocratisme spirituel (à ne pas confondre avec l’aristocratisme social ou matériel) et le sentiment de liberté, typique de la droite et, d’autre part, l’égalitarisme niveleur et matérialiste, caractéristique de la gauche ; en d’autres termes la qualité versus la quantité [5]. L’idée force de la gauche serait la recherche de l’égalité dont le moteur serait l’envie, alors que le message de la droite serait la croyance en l’émulation. La gauche serait une sorte de pente vers l’égalité matérielle et la droite une sorte de pente vers l’aristocratie spirituelle [6].

    6. Une autre dissemblance significative a été également relevée : la passion de l’unité de la droite (avec l’appel habituel à l’union de la communauté nationale) face à l’esprit ou la volonté de division de la gauche (avec la réactivation permanente de la lutte des classes).

    7. Deux autres principes majeurs semblent irréductibles. Il y a la vision conflictuelle ou polémologique du monde, caractéristique de la droite qui s’oppose au rêve de l’avenir radieux de l’humanité, à l’utopie de « l’homme nouveau » obsession de la gauche. Il ne s’agit pas évidemment ici de l’homme nouveau voulu par le Dieu chrétien mais du nouvel homme désiré par les totalitarismes modernes (dans leurs versions marxiste-léniniste, national-socialiste, et néolibérale ou néo-social-démocrate mondialistes, sans oublier la variante idéologique récente de la « justice anthropologique », qui est elle-même intensifiée par les bio-idéologies, idéologies délirantes, dont étrangement les germes se retrouvent pratiquement tous dans le national-socialisme, comme l’a opportunément relevé le politologue érudit Dalmacio Negro Pavón).

    8. Last but not least, il y a l’éternel combat entre le vieux et le nouveau, le branché et le démodé, l’actuel et le caduc, l’ancien et le moderne. Certains même n’hésitent pas à voir dans la défense de la langue un authentique marqueur de droite. Mais à ce compte, les enseignants des écoles publiques, républicains, laïcs, socialistes, nationalistes et autres « progressistes » d’antan, modérés ou extrémistes, réformistes ou révolutionnaires, ne seraient que de vulgaires réactionnaires ou droitistes qui s’ignoraient.

    Bref, du point de vue essentialiste, il y a toujours une droite et une gauche.  Certains, comme Jacques Anisson du Perron, partent de la prémisse ou de l’axiome intangible : «  La droite a toujours existé puisqu’elle se confondait avec l’organisation politique des civilisations traditionnelles.  Au contraire, la gauche n’est apparue qu’aux temps modernes… ». En conséquence, nous serions condamnés éternellement à vivre et à ne connaître que deux conceptions opposées du monde et de la vie, et à un niveau inférieur, deux morales, deux formes de psychologie voire deux tempéraments.

    Arriver à ce stade, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le mathématicien et dissident russe Igor Chafarevich disait que, d’un point de vue philosophique, le socialisme a toujours existé comme une tendance spécifique des sociétés humaines (et qu’il n’est pas seulement apparu historiquement au XIXe siècle). N’oublions pas non plus que Nicolas Berdiaev disait la même chose du nationalisme ou du patriotisme (qui, malgré ce que prétendent les ignorants et les démagogues, ont beaucoup d’histoire commune dans leurs formes modernes ; nés à gauche, au début du XIXe siècle, ils sont passés partiellement à droite à la fin du XIXe siècle).

    Cela étant dit, encore faut-il souligner un point clé : la plupart des auteurs « essentialistes » insistent sur la diversité ou le caractère pluriel de la droite et de la gauche. Ils montrent à juste titre qu’il n’y a pas une droite et une gauche, mais des droites et des gauches, sans parvenir toutefois à un consensus lorsqu’il s’agit de les définir ou de les classer. Ainsi, par exemple, René Rémond distinguait trois droites : traditionaliste, libérale et nationaliste et trois gauches : libertaire, autoritaire et marxiste. Mais après lui d’autres auteurs (comme le socialiste israélien Zeev Sternhell) ont distingué deux droites : radicale/révolutionnaire et conservatrice, et deux gauches : progressiste et révolutionnaire. D’autres encore (comme Stéphane Rials) voient une seule droite traditionnelle et quatre gauches : autoritaire-nationaliste, libérale-bourgeoise, anarcho-libertaire et social-marxiste. Plus récemment enfin, des auteurs comme Marc Crapez (spécialiste de la gauche nationaliste ou « réactionnaire ») ont signalé l’existence d’une bonne douzaine de tendances de droite et de gauche et ont discrédité ou retiré beaucoup de valeur et d’intérêt aux classifications pédagogiques et universitaires. 

    Pourquoi et comment la division gauche/droite est-elle critiquée ? Le point de vue historico-relativiste

    Historiquement, la division droite/gauche a à peine un siècle voire un siècle et demi. Telle est la réalité prosaïque. Après la Révolution française et pendant des décennies, la division ou l’opposition s’est limitée à une question de langage parlementaire (les partisans du pouvoir occupaient les sièges de droite et l’opposition ceux de gauche). Comme l’a fort bien dit le philosophe Espagnol Gustavo Bueno: « Dans les Cortes de Cadix [l’Assemblée constituante siégeant de 1810 à 1814 pendant la guerre d’indépendance contre la France], il n’y a pas de droite et de gauche ». La division mythique est en effet beaucoup plus récente.

    Dans l’opinion publique, sa naissance remonte à peine aux années 1870- 1900 et peut-être même à plus tard, aux années 1930. Par conséquent, le grand conflit cyclique entre la droite éternelle et la gauche immortelle n’a guère plus d’un siècle. Comme le notait à juste titre Julien Freund en 1986, c’est une division « essentiellement européenne et même localisée aux pays latins, bien qu’elle ait été reprise il y a quelque temps par les pays anglo-saxons ».

    Pour l’historien des idées politiques, il est relativement facile de montrer que les valeurs de droite et de gauche ne sont pas immuables, que les chassés-croisés ou les échanges d’idées ont été et restent constants. Les droites sont diverses et plurielles comme les gauches, ce qui explique leurs divisions et conflits permanents. Les droites et les gauches sont universalistes ou particularistes ; mondialistes/globalistes et partisanes du libre-échange ou patriotiques et anticapitalistes ; centralistes et jacobines ou régionalistes, fédéralistes et séparatistes ; Atlantistes, occidentalistes et européistes (partisanes d’une Europe fédérale) ou nationalistes, européistes (défenseuses d’une Europe des nations) et/ou non tiers-mondistes ; elles sont individualistes, rationalistes, positivistes, organicistes, mécanicistes, athées, agnostiques, spiritualistes, théistes ou chrétiennes. Il n’y a pas de définition intemporelle de la droite ou de la gauche qui s’applique partout et à tout moment. La droite et la gauche ne peuvent être définies historiquement que par rapport aux périodes et aux problèmes qui surviennent à un moment donné.

    Il est facile de montrer que les principales questions politiques se déplacent constamment de gauche à droite et vice versa. Je crois l’avoir fait en détail dans mon livre Droite / Gauche, pour sortir de l’équivoque auquel je renvoi le lecteur intéressé. C’est le cas de l’impérialisme, du colonialisme, du racisme [7], de l’antisémitisme, de l’antisionisme, de l’antimaçonnisme, de l’anti-christianisme, de l’anti-catholisme, de l’antiparlementarisme, de la critique du modèle démo-libéral, du technocratisme et de l’antitechnocratisme, du malthusianisme et de l’antimalthusianisme [8], du fédéralisme, du centralisme, de l’antiétatisme, du régionalisme, du séparatisme, de l’écologisme, de la critique des droits de l’homme et du droit d’ingérence (souvenons-nous des critiques acerbes du libéral anti-fasciste italien Benedetto Croce, du socialiste Harold Lasky ou du nationaliste Mahatma Gandhi) ; et c’est aussi le cas de la dénonciation des Lumières, de l’anticapitalisme, de la défense de la souveraineté et de l’identité des peuples, de l’immigrationnisme et de l’anti-immigrationnisme [9], de la préférence nationale, de l’islamophilie et de l’islamophobie, de l’arabophilie et de l’arabophobie, du patriotisme, du nationalisme, du souverainisme, de l’europhilie et de l’europhobie, de la russophilie et de la russophobie, de l’alliance avec le tiers monde, de l’antiaméricanisme ou de l’anti-impérialisme américain, etc. Toutes, absolument toutes ces questions échappent au débat obsessionnel entre la droite et la gauche. Nombre d’entre elles continuent d’opposer et de diviser non seulement entre les partis, mais aussi à l’intérieur des partis. On comprend mieux alors pourquoi les unions ou les alliances à droite ou à gauche sont et ont toujours été fragiles, volatiles, éphémères ou provisoires. À cela s’ajoute bien sûr le poids de l’ego, généralement surdimensionné des dirigeants politiques, mais aussi leurs intérêts et leurs plans de carrière antagonistes, que masquent mal les prétendues divergences sur les lignes politiques ou les programmes à adopter.

    Qui sont les auteurs qui ont le plus critiqué la division gauche/droite ?

    La remise en cause de la validité permanente de la dichotomie gauche/droite est à la fois historique, philosophique et morale. Elle n’est en rien le monopole d’un auteur, d’un mouvement intellectuel ou d’un parti politique.

    C’est le libéral José Ortega y Gasset qui dit : « Etre de gauche ou être de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile ; toutes deux, en effet, sont des formes d’hémiplégie morale » (La Révolte de masses, Préface au lecteur français, 1930).

    C’est le libéral Raymond Aron qui déclare : « On n’apportera quelque clarté dans la confrontation des querelles françaises qu’en rejetant ces concepts équivoques [de droite et de gauche] » (L’opium des intellectuels, Préface, 1955).

    C’est le libéral-conservateur Julien Freund qui écrit : « La distinction entre gauche et droite est d’ordre polémique et locale, elle ne détermine pas des catégories politiques essentielles […] La justesse philosophique exige que l’on dépasse cette classification circonstancielle […] La rivalité entre la droite et la gauche n’est pas fondée sur un jugement de moralité, mais elle est l’une des formes actuelles de la lutte pour le pouvoir » (L’essence du politique, annexe, rééd., 1986).

    C’est le national-syndicaliste José Antonio Primo de Rivera qui invite à rejeter les haines recuites de droite et de gauche et qui affirme: « Être de droite ou être de gauche, c’est toujours exclure de l’âme la moitié de ce qu’elle doit ressentir. C’est même parfois exclure le tout pour lui substituer une caricature de moitié » (« Ha fenecido el segundo bienio », 9 janvier 1936).

    C’est le marxologue Costanzo Preve, figure représentative du communisme italien, qui assure : « La dichotomie droite / gauche n’est rien d’autre qu’un résidu incapacitant ou une prothèse artificielle perpétuée par la classe dominante » (Italicum, nº1-2, 2004).

    C’est l’ex-militant soixante-huitard, le gauchiste Jean Baudrillard, qui constate : « Si un jour l’imagination politique, l’exigence et la volonté politiques ont une chance de rebondir, ce ne peut être que sur la base de l’abolition radicale de cette distinction fossile qui s’est annulée et désavouée elle-même au fil des décennies, et qui ne tient plus que par la complicité dans la corruption » (De l’exorcisme en politique ou la Conjuration des imbéciles, 1998).

    C’est le socialiste libertaire grec, Cornelius Castoriadis, qui reconnait: « Il y a longtemps que le clivage gauche-droite, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques radicalement opposés » (Le Monde, 12 juillet 1986).

    En réalité, d’innombrables auteurs aux convictions très diverses s’inscrivent dans la tradition « sceptique » ou critique de la fracture gauche / droite. Ceux qui dénoncent l’épuisement du clivage sont devenus légions depuis quelques années. On peut citer ici à titre d’exemple les noms du traditionaliste Donoso Cortés, des libéraux Ortega et Unamuno, du socialiste-marxiste hétérodoxe Gustavo Bueno ;  des Français Pierre-Joseph Proudhon, Maurice Barrès, Charles Péguy, Simone Weil, Daniel-Rops, Jean Baudrillard, Jean-Claude Michéa, Christophe Guilluy, Vincent Coussedière, Alain De Benoist, Marcel Gauchet ; des Américains Christopher Lasch, Paul Piccone et Paul Gottfried ; des Italiens Costanzo Preve, Augusto del Noce, Pier Paolo Pasolini, Marco Tarchi, Marco Revelli et bien d’autres [10]. 

    La majorité des politologues et des journalistes s’accordent à constater que la gauche néo-social-démocrate (avec ses alliés d’extrême gauche) a cessé de proclamer sa volonté de résoudre la question sociale et de faire la révolution sociale (avec l’espoir de la libération du prolétariat) pour assumer les principes du libre marché et invoquer de préférence les « valeurs » sociétales et anthropologiques (défense du « citoyen mondial », intégration de minorités « victimisées », homosexuels, transsexuels, féministes, immigrants, idéologie du genre et multiculturalisme).  Quant à la droite néolibérale (qui rejette les alliances avec les droites traditionnelles et radicales), elle a abandonné la défense de la nation, la morale, la religion et la famille, pour s’occuper exclusivement et cyniquement d’économie.

    Que veut dire être simultanément de droite et de gauche

    Les marxistes, les néo-sociaux-démocrates, les sociaux-libéraux et les conservateurs-libéraux réduisent souvent la dénonciation de l’opposition droite / gauche à une attitude extrémiste et cynique. De nombreux commentateurs politiques voient même dans cette critique de la dichotomie traditionnelle la résurgence du fascisme pour ne pas dire du national-socialisme ou nazisme. Mais en réalité il ne s’agit là que d’un argument de propagande électorale invalidé par les faits historiques.

    Fondamentalement, se définir simultanément de droite et de gauche, c’est exprimer la conviction qu’une communauté politique a besoin à la fois de justice et de liberté, de progrès et de conservation, de patriotisme et d’internationalisme, de personnalisme et de solidarisme, d’ordre et de liberté, d’initiative économique et de garanties sociales, de respect des droits humains et d’affirmation des devoirs des hommes, d’égalité et de mérite, de fraternité et de compétitivité, rien de plus et rien de moins.

    Ces préoccupations peuvent être résumées en quelques mots. Il s’agit de la volonté politique de défendre des valeurs spirituelles, religieuses, patriotiques ou nationales et, simultanément, de poursuivre le bien commun  ou d’affirmer le besoin de solidarité collective et de justice sociale. Cette tentative de synthèse se retrouve dans les programmes de nombreux mouvements de pensée, qui sont nés et se sont développés en Europe depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Des mouvements qui sont radicaux, révolutionnaires et extrémistes, ou modérés et réformistes selon les lieux et les époques. Dans mon livre, je me réfère à la vingtaine de modèles ou d’exemples que sont le traditionalisme social (selon l’économiste italien Stefano Solari, Donoso Cortés, serait l’inventeur de la Troisième voie) ; le légitimisme ou premier catholicisme social (celui de René de La Tour du Pin et Frédéric Le Play), le bonapartisme et le boulangisme de la fin du XIXe siècle, le nationalisme social (de Maurice Barrès et Charles Péguy), le socialisme patriotique (des héritiers des révolutionnaires radicaux de la Révolution française, comme Jacques Hébert), le socialisme-libertaire et nationaliste d’Auguste Blanqui pendant la Commune, le socialisme non marxiste d’Henri Rochefort, Gustave Tridon, Jules Vallès, Albert Regnard, etc., le syndicalisme révolutionnaire, le coopérativisme et le mutualisme (de Proudhon, Georges Sorel, Antonio Labriola, Georges Valois, etc.), le distributionnisme et le corporatisme catholique (des anglais Hilaire Belloc et Chesterton, des français Louis Baudin, Jean Daujat, Gaétan Pirou, Louis Salleron, Gabriel Marcel et du belge Marcel De Corte), le monarchisme nationaliste de la première Action Française de Charles Maurras, le conservatisme révolutionnaire allemand (de Spengler, Jünger, Spann, Moeller van den Bruck, etc.), le personnalisme des non-conformistes français des années 1930 (Emmanuel Mounier, Thierry Maulnier, Alexandre Marc, etc.), le national-syndicalisme de José-Antonio Primo de Rivera, le Fianna Fáil de l’Irlandais Eamon de Valera (principal fondateur de la République démocratique irlandaise), le fascisme italien (dans sa double version conservatrice et révolutionnaire), le gaullisme de la France d’après-guerre (1946-1969),  l’ordolibéralisme [11] ou ex-néolibéralisme (de Walter Eucken, Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow ou Jacques Rueff), et enfin, les différents populismes [12] d’aujourd’hui (de gauche et de droite avec leurs discours souverainistes et/ou identitaires se donnant pour mission de réduire le fossé socio-économique et/ou ethnoculturel).  

    Pourquoi la division droite/gauche est-elle aussi critiquée par des représentants du social-libéralisme, de la néo-social-démocratie et du néolibéralisme?

    La division gauche/droite a été également souvent mise en question par des hommes politiques du centre. C’est notamment le cas d’Emmanuel Macron, de Matteo Renzi et de diverses autres personnalités politiques et intellectuelles. Paradoxalement, il s’agit de représentants avérés de l’oligarchie mondialiste qui, parfaits connaisseurs de la magie des mots, ont présenté à des fins électoralistes une version centriste, édulcorée et diluée de la critique de la division droite/gauche. Ils savent que la division traditionnelle est largement discréditée dans l’opinion publique et qu’ils doivent en tenir compte au moins verbalement pour séduire leurs électeurs. Mais les politiques de ces dirigeants s’inscrivent parfaitement dans la lignée de celles des politiciens sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens qui se sont illustrés il y a déjà plusieurs décennies comme Tony Blair, Schroeder ou Clinton [13]. Ces derniers se réclamaient alors de la « troisième voie » que théorisaient l’Anglais Anthony Giddens et le Nord-Américain Amitai Etzioni. En Espagne, Albert Rivera et son parti Ciudadanos, qui se sont engagés dans la même voie, ont obtenu significativement le soutien de l’ancien Premier ministre socialiste français Manuel Valls.

    On peut résumer le succès de cette stratégie et son résultat électoralement positif (quoique non définitif, comme le démontrent les difficultés considérables du président Macron et de son gouvernement devant la rébellion des Gilets jaunes), en rappelant les fameuses paroles du jeune Tancredi, personnage du Guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».

    Que reste-t-il de la division gauche/droite et quel est le nouveau clivage?

    La critique de la dichotomie D/G consiste avant tout à montrer qu’il n’y a ni « valeurs éternelles » de droite, ni « principes immortels » de gauche. En d’autres termes, critiquer la dichotomie traditionnelle, c’est révéler que la droite et la gauche sont le résultat de certaines opinions sur des faits et des idées, qui ne proviennent pas d’un modèle idéal, d’un archétype ou d’une idée au sens platonicien du terme.

    Il ne s’agit pas de nier qu’historiquement la division droite / gauche explique une grande partie des phénomènes politiques du passé, mais seulement de nier qu’elle les explique tous. Il s’agit de montrer que dans l’Europe d’aujourd’hui, le débat politique prétendument immuable, qui oppose deux catégories « essentialisées », la droite éternelle et la gauche immortelle, est devenu une prothèse artificielle qui sert à pérenniser la situation de l’oligarchie dominante.

    La division D/G est devenue un masque, qui sert à cacher une autre division, désormais beaucoup plus décisive : celle qui oppose les peuples enracinés aux élites autoproclamées vecteurs du déracinement ; celle qui oppose les défenseurs de la souveraineté, de l’identité et de la cohésion nationale aux partisans de la « gouvernance mondiale » ; celle qui oppose les exclus de la mondialisation rejetés dans les zones périphériques du pays (personnes ou citoyens qui évidemment ont – ou auront – leurs propres dirigeants en vertu de la « loi de fer de l’oligarchie [14] ») aux privilégiés du système, à l’oligarchie dominante, à la classe dirigeante mondialisée ou hyperclasse qui vit dans les beaux quartiers des grandes villes, les zones les plus développées du pays et qui, par ailleurs, côtoie de préférence ou exclusivement les privilégiés du mondialisme d’autres pays [15].

    Il y a aujourd’hui clairement, et dans toute l’Europe, un nouveau dualisme qui remplace l’ancienne opposition droite / gauche (même les auteurs essentialistes, qui rejettent la possibilité d’une extinction ou d’une disparition de la dichotomie, reconnaissent qu’il s’est produit une profonde altération ou modification). Populisme versus oligarchie, enracinement contre mondialisation, culture communautaire et solidaire contre culture libérale et progressiste, reflètent la nouvelle ligne de partage. Quoi qu’en disent les « experts » et autres « spécialistes » autoproclamés des médias, il s’agit là de deux manières tout à fait nouvelles d’interpréter la réalité qui s’affrontent, de deux façons rationnelles mais inconciliables de voir d’où vient le plus grand danger, de choisir notre avenir et notre engagement.

    Arnaud Imatz (Perspectives libres, 12 mars 2019)

     

    Notes :

    [1] Ce résumé a été fait à partir de notes rassemblées pour la conférence Par delà droite et gauche, au Cercle Aristote, présidée par Pierre Yves Rougeyron, le 10 octobre 2016 et pour une série de trois programmes de radio sur la droite et la gauche dans le cadre de l’émission Platon Regresa a la caverna du philosophe Domingo González et du politologue doyen de Faculté Jerónimo Molina Cano,  les 30 novembre, 7 et 14 décembre 2018.

    [2] À l’arrière plan il y a bien sûr la triple fracture entre les partis politiques critiques de la mondialisation radicale menée à bien depuis plus de trente ans par l’oligarchie dominante (politique, économique, financière et culturelle), dont les positions sont tantôt altermondialistes, internationalistes et crypto-marxistes (Podemos, Syriza ou La France insoumise), tantôt antimondialistes, ces derniers se divisant à leur tour entre, d’une part, les libéraux-conservateurs qui poursuivent l’union ou l’alliance des droites (comme Marion Maréchal Le Pen en France ou les leaders de Vox en Espagne), et, d’autre part, la tendance républicaine et laïque « simultanément de droite et de gauche » qui incarne une ligne cherchant à synthétiser les aspirations identitaires et souverainistes, les idées de patrie et de justice sociale (comme le Front National d’hier avec Florian Philippot ou le Rassemblement National de Marine Le Pen aujourd’hui).

    [3] C’est aussi le cas d’un autre des fondateurs de la Nouvelle Droite le journaliste  Michel Marmin (voir : M. Marmin et Eric Branca, Droite + Gauche, Paris, Éditions Chronique, 2016).

    [4] Depuis la droite, Jean-Louis Harouel, Droite-Gauche : ce n’est pas fini, Paris, Desclée de Brouwer, 2017 et Guillaume Bernard, La guerre à droite aura bien lieu. Le mouvement dextrogyre, Paris, Desclée de Brouwer, 2016 et, sur le versant de gauche, Jacques Julliard, Les gauches françaises 1762-2012, Paris, Champs Histoire, 2013 ou Carlo Galli, Perché ancora destra e sinistra, Bari, Laterza, 2013. Voir aussi : Marco Revelli, Post-Sinistra, Bari, Laterza, 2014 et Sinistra Destra : L’identita smarrita, Bari, Laterza, 2014.

    [5] Sur l’envie égalitaire de gauche et l’esprit d’émulation de droite voir Gonzalo Fernández de la La envidia igualitaria, Madrid, Planeta, 1984, Altera, 2011. Sur le principe d’égalité synthèse de la politique de gauche voir : Norberto Bobbio, Droite et gauche, Paris, Seuil, 1996 ; Esperanza Guisán, La ética mira a la izquierda, Madrid, Tecnos, 1992 et Ted Honderich, Conservatism, Londres, H. Hamilton, 1990.

    [6] Sur l’égalitarisme face à l’aristocratisme spirituel voir Jean Jaelic, La droite cette inconnue, préface G. Marcel, Paris, Sept couleurs, 1963.

    [7] On pourrait évoquer ici la raciologie ou le racialisme de la gauche modérée et radicale sous la IIIe République (la Société d’anthropologie de Paris, l’Institut d’ethnologie de Paris, le Musée de l’homme et, plus généralement, l’émergence et le développement de l’ethnologie et de l’anthropologie françaises de 1860 à 1930), ou encore l’eugénisme de la social-démocratie suédoise jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale. A noter que le « multiculturalisme » d’aujourd’hui est une forme d’internationalisme qui postule sans s’en rendre compte, du moins à ses débuts, une nouvelle forme de racisme. Significativement, les jeunes sociaux-démocrates suédois ont demandé que l’immigration soit encouragée afin de mettre fin à la race suédoise par la mixité raciale. On sait aussi que l’homophobie a longtemps marqué la pensée marxiste. Elle a été la norme à Cuba pendant toute la période de Fidel Castro.

    [8] Le malthusianisme extrémiste de l’écologiste de gauche Yves Cochet (voir sa déclaration à l’ Obs du 4 janvier 2019) lui aurait valu une volée de bois vert de la part des front-populistes des années 1930. Dans l’après-guerre, le malthusianisme (la contraception) était encore dénoncé comme une idéologie bourgeoise par le PCF, et en particulier par la femme de son Secrétaire général, Maurice Thorez, la député et sénatrice Jeannette Vermeersch.

    [9] La « préférence nationale » était le principe défendu par la gauche et le Front Populaire français dans les années trente. Les partis socialiste, radical et démocrate-chrétien et les syndicats comme la CGT marxiste s’accordaient à dénoncer le danger de l’immigration au nom de la défense de la main d’œuvre française. Voir les lois anti-immigrationnistes de 1923, 1926 et 1932 et les décrets de 1936, 1937 et 1938.

    [10] L’épuisement de la division D/G a été analysé tant à partir de la perspective  « historico-relativiste » que du point de vue « essentialiste ». On retrouve notamment l’approche essentialiste chez le meilleur spécialiste du conservatisme en Amérique du nord, l’historien et politologue Paul Gottfried (voir : Le Conservatisme en Amérique, Paris, L’Œuvre éditions, 2012). Gottfried affirme sans ambages: «Les différences politiques entre droite et gauche se réduisent de nos jours à des désaccords insignifiants entre groupements qui rivalisent pour l’obtention de places. En fait, ils ergotent sur des vétilles. Le débat est très encadré; il a de moins en moins d’intérêt et ne mérite aucune attention. » P. Gottfried, Nouvelle Revue d’Histoire, septembre-octobre 2011, p. 32. Voir aussi sur le thème « ¿Derecha- izquierda ¿Una distinción política? », Elementos, nº 63 avec les contributions de A. de Benoist, J. Ruiz Portella, J. J. Esparza, H. Giretti, A. Buela, D. Sanmarán, J. Estefania, F. Fernández Buey, A. Giddens, N. Bobbio etc.

    [11] L’ordo-libéralisme considère que les marchés ont besoin d’un cadre éthico-juridico-politique pour assurer la survie des valeurs libérales. Sur l’ordo-libéralisme (premier néolibéralisme) opposé au paléo-libéralisme, à l’ultralibéralisme, au libertarianisme et au néolibéralisme anglo-saxon du tournant du XXIe siècle voir A. Imatz, « Wilhelm Röpke et la troisième voie », Cercle Aristote, 6 juin 2017, http://cerclearistote.com/2017/06/wilhelm-ropke-et-la-troisieme-voie-neoliberale/

    [12] Voir Chantal Delsol, Populismes : les demeurés de l’histoire, Paris, Le Rocher, 2015 et Alain de Benoist, Droite- Gauche, c’est fini. Le moment populiste, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2017.

    [13] En pleine irruption des Gilets jaunes, mouvement populaire anti-oligarchique, le président Emmanuel Macron affirmait contradictoirement être un « progressiste » luttant contre la « lèpre nationaliste» (1er novembre 2018) et, très peu de temps après, « nous sommes des vrais populistes » (devant une assemblée de maires, le 21 novembre 2018).

    [14] Voir Dalmacio Negro Pavón, La ley de hierro de la oligarquía, Madrid, Ediciones Encuentro, 2015.

    [15] L’Italien Marcello Veneziani parle de lutte « entre culture communautaire et culture libérale » (M. Veneziani, Sinistra e destra, Firenze, Vallechi, 1995). Quant au sociologue Emmanuel Todd, il se réfère a la nouvelle lutte entre « démocratie xénophobe » (nationale) et « empire autoritaire » (européen) (E. Todd, entrevista « L’État ne peut pas être incarné par un enfant », Atlantico, 20 décembre 2018).

     

     

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  • Les gilets jaunes au cœur de la guerre médiatique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Didier Beauregard, cueilli sur Polémia et consacré à l'importance désormais décisive du champ de bataille médiatique dans la lutte politique, comme l'a bien illustrée la révolte des Gilets jaunes.

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    Les gilets jaunes au cœur de la guerre médiatique

    L’espace médiatique est désormais le lieu quasi unique où se joue le combat politique. C’est à partir de cette réalité, que le mouvement des gilets jaunes a bien mis en évidence, qu’il faut penser toute stratégie de confrontation politique. L’enjeu en est claire ; la conquête de l’opinion publique, qui fait la différence entre victoire et défaite, se joue à travers les médias et ouvre la voie à toutes formes de manipulation pour emporter la bataille des esprits.

    Les gilets jaunes  ont d’emblée  assumé la radicalité de leur révolte en plaçant le gouvernement en situation d’accusé sur des thèmes  très concrets comme le prix des carburants  et le pouvoir d’achat. Ils n’ont, en revanche, pas su déployer une stratégie de riposte à la hauteur des manœuvres dilatoires du pouvoir en place, construites, nous l’avons vu, sur quatre piliers : minimiser, diaboliser, diviser, isoler. C’est sur cette stratégie du contre que doit  porter aujourd’hui l’essentiel de la réflexion.

    1000 et 1 façons médiatiques  de neutraliser l’ennemi

    Cette stratégie, qui ne peut être qu’offensive dans la forme, doit poser comme principe de base que les médias sont le cœur du combat politique et, qu’en conséquence, les journalistes sont, non seulement, des acteurs engagés et non des observateurs neutres, mais ils sont mêmes les principaux acteurs du jeu politique face aux citoyens. Ils sont les premiers acteurs avec lesquels les dissidents qui ont accès à l’espace médiatique doivent se confronter.

    Dans le cas des gilets jaunes, la stratégie d’enlisement médiatique, pour l’essentiel, a consisté à minimiser l’ampleur du mouvement, en reprenant sans aucun recul les chiffres du ministère de l’Intérieur, et a extrémiser l’image des contestataires en focalisant l’information sur les violences. Il aura fallu plusieurs semaines, plus de deux mois, pour que les gilets jaunes finissent enfin par reprendre la main sur le sujet des violences en mettant en avant le nombre impressionnant de blessés dans les rangs des manifestants, et la gravité des blessures subies. Le débat national sur les LBD a, en quelque sorte, couronné le succès médiatique de cette contre offensive tardive. Si les médias ont été contraints de traiter le sujet, il n’en reste pas moins vrai que l’équilibre en termes d’images est loin d’être respecté. Les actes violents issus des manifestants sont passés en boucle de manière quasi hypnotique (exemple : l’épisode du boxeur), alors que les images des violences policières et leurs résultats sur les victimes sont présentés avec une grande retenue.

    Il y a tout un art journalistique de mettre en avant une objectivité de façade – les choses ont été effectivement dites et montrées- tout en déséquilibrant systématiquement l’information par l’inégalité de ses traitements. Il est fréquent de voir, quand un représentant des gilets jaune s’exprime, des images de destruction, voitures en flamme ou autres, accompagner son propos.

    Quant à la controverse sur les chiffres, elle n’a pas été arbitrée, et ceux annoncés par le pouvoir, massivement relayés par les médias, ont finit par s’imposer, contre toute logique, comme la seule réalité perçue. Les médias n’ont jamais mené le moindre travail critique sur les chiffres fantaisistes du gouvernement. On pourrait également analyser en détail la subtile utilisation des titres éditoriaux pour orienter la vision du citoyen, type la déclaration interrogative qui impose une réalité sans pour autant la revendiquer, comme, semaine après semaine, l’affirmation : « Le mouvement s’essouffle ? » Tout est dans le point d’interrogation ! On peut aussi utiliser la formulation directe : « La mobilisation en baisse »; on pourrait, à contrario, tout aussi bien affirmer: « La mobilisation se poursuit », ou « la contestation toujours vigoureuse », c’est juste une question de choix éditorial.

    Reductio ad hitlerum

    Enfin le processus de l’offensive anti gilets jaunes a atteint son point culminant avec la grande campagne sur le retour de l’antisémitisme et ses liens avec le mouvement de contestation populaire ; on peut d’ailleurs toujours mettre un point d’interrogation sur le sujet, mais le seul fait d’accoler les deux éléments constitue déjà une accusation. Une offensive particulièrement vicieuse qui consiste à laisser entendre, que, certes, tous les gilets jaunes ne sont pas antisémites, mais que le mouvement porte en lui- même le virus de l’antisémitisme, puisque d’essence populiste et, donc, d’extrême droite : cqfd, voilà le retour de la bête immonde !

    Un système accusatoire grossier qui a probablement nui à la mobilisation contre l’antisémitisme. Il est tout de même énorme d’exhiber un activiste salafiste comme preuve d’un retour en force d’un antisémitisme d’extrême droite, faute d’avoir le moindre crane rasé à se mettre sous la dent, comme dans les belles années 80 de « l’antiracisme » triomphant. Gêné par cet obscène détournement de sens, Alain Finkielkraut a lui-même dénoncé avec vigueur cette inversion du réel.

    Questionner les questionneurs

    Cette centralité du rôle des médias dans le rapport de force politique a finalement été prise en compte par les gilets jaunes. Pour la première fois, un mouvement social a clairement identifié la sphère médiatique comme un acteur déterminant et hostile. Un pas que la Manif pour tous n’avait jamais osé franchir. Toutefois, si les manifestants ont exprimé, parfois de manière rugueuse, leur ressentiment à l’égard des journalistes, leurs représentants, sur les plateaux télés, se sont montrés très largement conciliants et, souvent même, désarmés et naïfs face aux partis pris journalistiques. Ils n’ont pas acté la non neutralité du discours médiatique pour se donner le droit, en direct, de questionner eux-mêmes, le questionnement des journalistes.

    Or, une fois que l’on a admis le principe, évoqué plus haut, que les journalistes sont bien les principaux acteurs du débat politique et qu’ils représentent la première force du système dominant dans son interaction avec la masse, il est alors logique et évident de les considérer d’abord comme des opposants contradicteurs et non plus comme de simples poseurs de questions et présentateurs de faits. Ils sont la digue ultime qui permet de contenir la vague de la contestation. Ils doivent être perçus et traités comme tel. Cette attitude est, en quelque sorte, un hommage rendu aux médias par l’objectivation de leur importance sociale. Il n’est pas question d’agresser les journalistes mais d’engager un débat frontal sur leurs non-dits idéologiques et les formes orientées de l’information, afin de les bousculer dans leur posture trop facile de neutralité objective, extérieure aux jeux de la dominance. C’est un travail minutieux et systématique sur le traitement de l’information, où la forme, bien souvent, en dit tout autant que le fond.

    Un Grand débat, oui, mais à la télévision !

    Mais, plus fondamentalement, la reconnaissance de la centralité des médias dans le combat politique doit conduire à une attitude proactive à leur égard. Il ne s’agit plus seulement de répondre à leurs invitations pour défendre et promouvoir ses idées, mais aussi de les intégrer dans une vision stratégique globale afin d’en tirer le maximum de gain dans l’opinion en fonction du contexte politique. Dans le contexte actuel, les gilets jaunes auraient du faire de la télévision la première arme d’une stratégie en contre face au rouleau compresseur du pouvoir.

    Puisque les chaines de télévision, grâce à la puissance émotionnelle des images, sont d’abord le lieu où se joue la bataille de l’opinion publique et où les Français s’informent en priorité, les gilets jaunes auraient pu retourner à leur avantage la manœuvre gouvernementale qui consiste à enliser leur mouvement de révolte dans les méandres d’un Grand débat national dont les thèmes sont fixés par le pouvoir et les finalités des plus obscures. Il fallait pour cela prendre le pouvoir à son propre piège: le Grand débat, oui, mais en nous impliquant nous, les gilets jaunes, dans la définition des modalités de ce débat. Le propos est simple, logique et imparable en termes de légitimité démocratique ; on ne peut prétendre ouvrir un dialogue pacificateur en refusant d’emblée à son interlocuteur le droit d’exprimer ses attentes les plus élémentaires.

    Or, d’évidence le seul espace légitime pour un vrai débat, ouvert, équitable et accessible à tous, est bien la télévision, capable de réunir, dans un même moment, des millions de citoyens spectateurs pour partager un événement commun. La télévision publique, par la même occasion, pourrait jouer enfin le rôle de média citoyen qui devrait être le sien ; à l’écoute et au service de tous les Français.

    Après tout, ce que l’on reconnait comme une évidence pour l’événement culminant de la vie politique et qui s’est imposé comme un rite républicain, le débat présidentiel des candidats, devrait s’imposer tout aussi logiquement dans le cadre d’un Grand débat national qui prétend toucher tous les citoyens. Toute personne qui refuserait cette demande se mettrait en porte à faux au regard de la simple cohérence démocratique.

    Un one man show de télévangéliste

    Ainsi, au lieu d’assister au scénario hallucinant d’un président déconsidéré se livrant à un one man show de télé évangéliste pour épater la galerie et redresser sa cote, nous aurions pu, pour une fois sur nos écrans, avoir de vrais débats, sur des sujets clivants, avec de vraies oppositions exprimées par de véritables opposants qui représentent bien la masse des Français dans leur diversité. Il faut réclamer, comme condition préalable à l’exercice, une codécision sur le choix des thèmes et des intervenants. Il ne devrait plus être possible d’assister à la litanie des pseudo-débats qui encombrent nos médias, où le consensus de la bien pensance fait régner l’ordre dominant.

    Exiger la diversité politique dans les médias publics

    Sous la tutelle de sa très « progressiste » présidente, la télévision publique se veut le modèle de la diversité normalisée, tournée vers les femmes, les jeunes et les minorités dites visibles. Prenons donc Mme Ernotte et le pouvoir qu’elle représente au mot : la diversité, chiche ! mais à commencer par la première des diversités dans une démocratie, celle des opinions et des sensibilités politiques. Il est tout à fait aberrant de voir qu’à chaque sondage effectué dans les rédactions en période électorale majeure, la grande masse des journalistes affirme voter pour un candidat de gauche, alors que la majorité des Français se situe à droite. Cette déconnexion entre la réalité du pays et ceux qui sont en charge de la commenter représente un dangereux déni démocratique. Il est clair, aujourd’hui, qu’il ne peut y avoir de renouveau de la démocratie en France,- ce que réclame avant tout les gilets jaunes- sans un questionnement en profondeur du rôle des médias et de leur fonctionnement.

    Les médias publics, au moins, devraient représenter, peu ou prou, le spectre des principales familles idéologiques du pays. Voilà une revendication immédiate, concrète et pertinente pour les gilets jaunes; réclamer un minimum de diversité politique à l’intérieur du service public de l’information ! Ce dernier, du coup, deviendrait le phare citoyen du paysage audio-visuel et de la vie publique qu’il aurait toujours du être, et les autres médias se verraient, en toute logique, contraints de suivre son exemple pour ne pas perdre leur clientèle. Voilà comment, tout simplement, élargir l’espace de la démocratie dans notre pays ! Qui peut vraiment être contre ?

    Didier Beauregard (Polémia, 13 mars 2019)

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  • Comment expliquer ses échecs idéologiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et dans lequel il montre que le progressisme dénie toute légitimité à sa contestation. Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Les ratés du faire croire

    L’idéologie, trop vite congédiée par les partisans du « il n’y a pas d’alternative » ou de la « fin de l’Histoire » à la Fukuyama, revient et au galop. Son spectre hante l’Europe, ou, du moins, les européistes : populisme, illibéralisme, nationalisme, conspirationnisme, et autres vilains mots en isme...

    Ainsi, pour le « progressiste » (libéral, social et européen) de type macronien, tout s’explique par les fantasmes identitaires des oubliés de la mondialisation, par la puissance corruptrice des discours de haine, par les ratés de notre système d’éducation et d’intégration au nom de nos « valeurs », ... Quand il ne recourt pas tout simplement aux vieux clichés de classe, notamment à propos des Gilets jaunes : des abrutis, nourris de stéréotypes (antisémites, homophobes, anti-élites, contre la presse, les riches, les bobos, etc.) donc poussés uniquement par le ressentiment, incapables de s’organiser. Leur infériorité congénitale explique comment ils ne pensent pas bien. Voire ne pensent pas du tout.

    L’idéologique est d’abord réduit au psychologique (voire, plus ou moins consciemment, au biologique : ces gens sont tarés ou, comme le disait sans gêne Gaspard Gantzer, ils ont un petit QI). La thématique de réduction aux catégories mentales (haine, stéréotypes persistants, troubles identitaires...) s’inscrit dans la logique du mépris que nous avons évoquée (voir la série d’articles).

    On notera au passage que cette thématique du mépris (y compris face à la haine supposée des classes dangereuses) est nettement passée à gauche, alors qu’il était longtemps une marque de la droite réactionnaire la plus décomplexée. Il est mon adversaire parce qu’il est mon inférieur.

    Mais le second grand type d’explication recourt au principe de causalité diabolique. Nous l’avons exploré dans notre livre Fake news (depuis quelques jours en version « la manipulation en 2019 » actualisée et augmentée).

    Globalement une partie des élites attribue tous les événement fâcheux des deux dernière années Brexit, élection de Trump, référendum catalan, élections italiennes, demain résultat des élections au Parlement européen à une action délibérée des désinformateurs (notamment russes). Plus récemment l’affaire Benalla, la montée des Gilet jaunes ou même la mise en cause de notre pays par l’Onu pour brutalités policières : tout cela a été présenté comme le résultat d’influences étrangères. Lesquelles au fait ?
    Les Russes font figure de suspect habituels (rôle longtemps tenu par les Chinois). Mais les méchantes « sphères » sont aussi suspectes de saboter la démocratie à grands coups de mensonges numériques.

    Récemment, le Monde (8 mars 2019) a trouvé de nouveaux suspects. Comme le milliardaire américain Robert Mercer, qui, avec sa fille, et à travers le fond d’investissement Renaissance Technologies, financerait des campagnes pro Trump via les « alt-right », plus un think tank néoconservateur (Gatestone), et un journal canadien the Rebel (dont un salarié avait contribué à diffuser les Macronleaks) tout cela s’intéressant beaucoup à l’Europe et offrant parfois des contenus en français. Le journal rapproche aussi des activités du centre Horowitz connu pour ses opinions anti-islam ou du think tank Middle East Forum à la fois ultraconservateur et très pro-sioniste. Il y aurait des bourses, des financements, des vidéos en ligne, des soutiens à des activistes de droite comme Tommy Robinson aux États-Unis.
    Tout cela est sans doute vrai et, pour notre part, nous n’avons jamais douté qu’il y ait aux États-Unis de riches partisans de Trump et d’Israël qui financent des fondations, des messages en ligne ou des médias internationaux.

    De même que nous n’avons jamais douté qu’il y ait eu des milliardaires US qui aient milité contre le communisme ou pour l’Europe libérale. Nous n’avons jamais douté que George Soros ne donne des sommes considérables à des mouvements ou médias libéraux anti-Orban, anti-Trump, pro révolutions de couleur pro-UE, ou pro société ouverte. Et cela pour l’excellente raison qu’il le dit lui même et s’en vante. Pas davantage, nous ne doutons que les médias français soient pour une bonne entre les mains de 9 milliardaires qui ne sont pas trop favorables aux populistes ou aux Gilets jaunes. Ou qu’il existe des réseaux d’influence libéraux à travers la planète.

    La vraie question est : en quoi une ingérence anti-UE, anti-libérale, qu’elle soit menée par des États ou par des milliardaires pervertis, serait-elle en mesure de fausser la démocratie ? Pourquoi les « bonnes » influences laisseraient-elles de marbre les électorats populistes d’Europe et pas le contraire ? Quelle est la recette magique des méchants ? Et pourquoi la vérité serait-elle impuissante à triompher du mensonge, elle qui a à son service tant de gouvernements vertueux, de médias mainstream, d’ONG de bonne volonté et d’internautes profondément vertueux ?
    Nous développerons dans d’autres billets la critique de ces deux arguments majeurs de l’idéologie dominante (en disant « idéologie dominante », nous voulons simplement dire que dans toute société, s’il y a au moins deux idéologies, il y en a forcément une qui prédomine). Mais il faut aussi se poser la question complémentaire : qu’est-ce qui pousse les tenants des conceptions prédominantes à attribuer leurs échecs (leur incapacité à faire croire les masses) à des facteurs aussi triviaux que les mauvais instincts desdites masses ou les manœuvres vicieuses d’une poignée de manipulateurs ?

    L’explication est probablement que ce type d’explication satisfait les dominants. Pour eux, l’idéologie est le mal psychique par excellence : l’ignorance de la réalité (fake news, fantasmes et compagnie) constitue son terrain favorable car elle nourrit les passions tristes (obsession identitaire, haine de l’autre). À moins que les discours idéologiques anti-systèmes (donc anti-démocratie puisque nous avons été élus), ne soient que les indices d’une gigantesque opération de désinformation, surtout en ligne : haine envers le Vrai, le Beau, le Juste plus falsification de la réalité . Opération menée par les Russes, les Chinois, les islamistes, les extrémistes : le succès des idées non conformes ne peut ressortir qu’au ressentiment ou à la conspiration. La solution serait de rééduquer ou d’inclure, non de confronter des intérêts ou des projets. Éventuellement, il faudrait contrôler les réseaux sociaux...

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 9 mars 2019)

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  • L'Europe, usine à gaz...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à l'absence de politique énergétique de l'Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

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    L'Europe, usine à gaz

    La toute récente révision, permise par le revirement français, de la « Directive gaz » de 2009 étendant l’applicabilité des normes communautaires à l’extérieur du territoire de l’Union européenne (UE) est un nouveau coup (auto)porté par le Conseil européen à l’indépendance énergétique de l’UE. Les motifs invoqués sont, comme toujours, au cœur des « valeurs » européennes : concurrence loyale et accès équitable au marché européen. C’est beau comme l’Antique ! Exactement le corpus idéologique idéal qui a motivé, quelques jours auparavant, l’avis négatif de la Commission sur la fusion Siemens-Alstom… Sur deux chantiers d’importance stratégique évidente, Bruxelles s’est donc une fois encore trompée de cible, d’ennemi, d’enjeu et d’alliés…

    L’Europe est décidément hors sol, et surtout, se croit seule au monde ! Nous agissons comme si notre marché était strictement européen, comme si nous avions la vie devant nous et nul besoin de nous mettre en ordre de bataille pour projeter notre puissance de frappe commerciale collective vers le reste de la planète, afin de ne pas nous faire dévorer tout crus par Pékin et Washington. Bref, on a tout faux, mais on fonce dans le mur avec l’assurance d’un taureau au front court se précipitant sur une muleta rouge pour finir lardé de banderilles meurtrières. Aucune vision stratégique, plutôt une myopie suicidaire angoissante de la technocratie communautaire, paralysée par ses propres règlementations anachroniques. L’Europe, une nouvelle fois, consent à son effacement de la carte des grands ensembles.

    Cette révision vise évidemment le projet North Stream 2, affligé, aux yeux de Washington, donc de Paris, d’une tare insupportable : il permet à Moscou de contourner l’Ukraine…qui vient d’inscrire dans sa Constitution, cinq ans après « la révolution-coup d’État » de Maïdan, son intégration dans l’UE et l’OTAN comme objectifs prioritaires de sa politique étrangère…. La « guerre froide » n’a jamais été aussi brûlante et stupide.

    La volte-face française est un « coup de pied de l’âne » de Paris à Berlin, sous prétexte de « ne pas accroître la dépendance vis-à-vis de la Russie et nuire ainsi aux intérêts de pays de l’Union européenne tels que la Pologne et la Slovaquie ». Comme si Paris était en charge de la défense des intérêts de ces deux pays… Pour l’Allemagne, cette révision est dramatique. Avec North Stream 2, Berlin doublait la quantité de gaz déjà acheminée. Gerhard Schröder, à la tête du projet, témoigne de l’importance stratégique pour l’Allemagne de la construction d’une seconde ligne de pipelines. Le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmeier, a d’ailleurs rapidement réagi en rappelant que « chaque pays de l’Union européenne a le droit de maintenir les relations économiques et commerciales qu’il estime de son intérêt. »

    Ainsi, pourquoi cette agression française ? Alors que le couple franco-allemand est déjà au bord du divorce, Paris cherche-t-elle à nuire à son ancienne dulcinée, quelques jours seulement après la signature laborieuse du Traité d’Aix-la-Chapelle, dont l’article 1 stipule que « Les deux États approfondissent leur coopération en matière de politique européenne » ?

    Sur le plan diplomatique, soutenir les Allemands dans un projet qui leur tient à cœur revenait à accompagner d’actes concrets nos grandes envolées lyriques sur « le couple franco-allemand » et nous permettait également d’entretenir des relations, certes vigilantes mais des relations tout de même, avec la Russie. Même sur les plans strictement énergétique et économique, cette renégociation de dernière minute n’est pas dans notre intérêt. North Stream 2 nous sert objectivement. Nous en attendons une baisse du prix du gaz, nous anticipons l’épuisement des réserves norvégiennes dans deux décennies (la Norvège est notre premier fournisseur de gaz naturel, à hauteur de 40 %), nous nous positionnons pour bénéficier de la production du deuxième exploitant de gaz au monde, la Russie, et de pouvoir pallier une éventuelle coupure des exportations de gaz algérien.

    Qu’a-t-on cru pouvoir gagner, à Paris, en tombant dans le piège grossier de Washington, qui nourrit la division européenne pour asseoir son influence et empêcher tout rapprochement de l’UE avec Moscou ? Quid de nos motivations ? Un besoin de nous faire « pardonner » notre refus de participer au récent sommet de Varsovie, voulu par Washington pour réunir une coalition ouvertement anti-iranienne, prélude à une agression de la République islamique dont le projet gagne du terrain dans les esprits et les États-majors ? Un entêtement suicidaire dans une politique étrangère frappée d’inconséquence chronique ? Une tentative maladroite de prise d’ascendant dans le cœur de Washington- (évidemment vouée à l’échec) ? Un peu de tout cela sans doute. Mais il semblerait que ce changement radical de position soit surtout le fruit de la peur. D’une part, celle de l’augmentation de la dépendance par rapport à la Russie, entretenue par la diabolisation lancinante et interminable de ce pays ; d’autre part, la peur des pressions américaines considérables qui se manifestent depuis le début du projet.

    Tout récemment encore, Richard Grenell, ambassadeur des États-Unis à Berlin, mettait en garde les entreprises allemandes contre toute participation au financement du North Stream 2. Elles prenaient le « risque de sanctions importantes », avertissait-il. L’extraterritorialité dans toute sa splendeur ! Puis il déclarait que le Parlement européen, la Commission et seize pays d’Europe « partageaient le point de vue des États-Unis ». Enfin, le 7 février, les ambassadeurs américains auprès du Danemark, de l’Union européenne et de l’Allemagne s’exprimaient dans la Deutsche Welle en ces termes : « Nord Stream 2 augmentera la sensibilité de l’Europe aux tactiques de chantage énergétique de la Russie. » Nouveau rappel à l’ordre pour une Allemagne jugée décidément un peu trop « autonome ». Paris crut-il déceler là une chance à saisir de plaire au « maitre » ? On voit ici combien l’Europe est l’outil direct (et la victime) de la manœuvre américaine contre Moscou, et combien la desservir sert la convergence objective des intérêts américains et chinois. Rappelons que les États-Unis sont les premiers producteurs de gaz au monde, les troisièmes exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL), mais que ce produit n’est pas encore suffisamment compétitif sur les marchés européen et asiatique pour rivaliser avec le gaz russe. Les États-Unis cherchent donc à se positionner pour s’insérer prochainement sur le marché européen…et chinois.

    Tout en portant le fer dans la plaie, les diplomates français ont cherché à s’entendre avec leurs homologues allemands sur une directive qui réunirait leurs deux votes. Le cœur du compromis finalement adopté par le Conseil européen est le suivant : « l’application des règles européennes pour les gazoducs avec des pays tiers comme la Russie incombe aux pays de l’Union européenne où ils sont reliés pour la première fois au réseau européen ». En d’autres termes, l’Allemagne peut, par exception, décider de ne pas appliquer la directive révisée au projet North Stream 2 sans que la Commission soit en mesure de s’y opposer. Si ces pourparlers ultimes n’avaient pas abouti, il aurait fallu revoir la distribution du contrôle sur les pipelines avec les Russes, ce qui aurait entraîné un retard important dans la réalisation du projet, des coûts et une renégociation ardue des termes du contrat pour toutes les parties. Ces risques ne seront pas écartés tant que la directive ne sera pas entérinée par le Parlement européen. Certains acteurs intéressés pourraient en profiter pour jouer la montre et utiliser ce répit pour mieux se positionner sur le marché européen.

    On en comprend moins encore l’attitude de la France. Pourquoi avoir pris un tel risque vis-à-vis de l’Allemagne en cherchant à empêcher ou limiter l’expansion du North Stream 2, lorsque, in fine, on signe un accord en demi-teinte et que l’on n’atteint pas la moitié de son objectif initial tout en en recueillant l’opprobre ?

    L’Allemagne, en effet, garde la main sur le projet et les Russes ne semblent pas traumatisés par cette péripétie, comme en témoignent les déclarations du porte-parole de la présidence russe, Dimitri Peskov : « Nous sommes catégoriquement en désaccord avec l’affirmation selon laquelle cela entraînerait une augmentation de la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe, car de tels projets n’engendreraient pas la dépendance (…) mais assureraient principalement une interdépendance. Les Européens dépendent du gaz russe, et la Russie, en tant que fournisseur, dépend de la demande européenne ». Et Igor Chatrov, directeur adjoint de l’Institut national pour le développement de l’idéologie moderne, de dire : « En fait, le tout début de la mise en œuvre du projet Nord Stream 2 a montré à lui seul que l’Allemagne définissait elle-même sa politique énergétique. Et, plus encore, que cela ne dépendrait pas des États-Unis. » Sublime coïncidence ‒ et ultime affront pour Paris ‒, le 12 février, Peter Altmaier recevait à Berlin le Secrétaire américain adjoint à l’Énergie, Dan Brouillette. Les deux intéressés juraient n’avoir conclu aucun deal quant à une prochaine exportation de GNL en Allemagne, mais Peter Altmaier insistait sur la nécessité pour l’Europe de « se protéger, d’être moins vulnérable et, par conséquent, de se diversifier », citant, outre les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et Israël.

    L’Allemagne se sort donc de ce traquenard par une belle pirouette concernant ses relations diplomatiques avec les États-Unis, tandis que nous pâtissons d’avoir joué le proxy américain pour ne recueillir, in fine, que le mépris de notre Grand Allié et la défiance de notre indispensable comparse européen. La France s’est démarquée… mais à son détriment. Elle a fait affront à l’Allemagne mais n’a plus un atout en main. Après cet impair, il lui faudra tabler sur la seule patience du grand frère allemand. Qui est à bout.

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes

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