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Métapo infos - Page 1492

  • La croissance mondiale va s'arrêter...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien passionnant avec le physicien américain Dennis Meadows, publié dans le quotidien Le Monde daté du 26 mai 2012. Pour ce chercheur qui a participé aux travaux du Club de Rome dans les années 70, nous allons au devant d'une crise systémique majeure...

     

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    "La croissance mondiale va s'arrêter"

    En mars 1972, répondant à une commande d’un think tank basé à Zurich (Suisse) – le Club de Rome -, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) publiaient The Limits to Growth, un rapport modélisant les conséquences possibles du maintien de la croissance économique sur le long terme. De passage à Paris , mercredi 23 mai, à l’occasion de la publication en français de la dernière édition de ce texte qui fait date (Les Limites à la croissance, Rue de l’Echiquier, coll. « Inital(e)s DD », 408 p., 25 euros), son premier auteur, le physicien américain Dennis Meadows, 69 ans, a répondu aux questions du Monde.

    Quel bilan tirez-vous, quarante ans après la publication du rapport de 1972 ?

    D’abord, le titre n’était pas bon. La vraie question n’est pas en réalité les limites à la croissance, mais la dynamique de la croissance.Car tout scientifique comprend qu’il y a des limites physiques à la croissance de la population, de la consommation énergétique, du PIB, etc. Les questions intéressantes sont plutôt de savoir ce qui cause cette croissance et quelles seront les conséquences de sa rencontre avec les limites physiques du système.

    Pourtant, l’idée commune est, aujourd’hui encore, qu’il n’y a pas de limites. Et lorsque vous démontrez qu’il y en a, on vous répond généralement que ce n’est pas grave parce que l’on s’approchera de cette limite de manière ordonnée et tranquille pour s’arrêter en douceur grâce aux lois du marché. Ce que nous démontrions en 1972, et qui reste valable quarante ans plus tard, est que cela n’est pas possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un effondrement.

    Avec la crise financière, on voit le même mécanisme de franchissement d’une limite, celle de l’endettement : on voit que les choses ne se passent pas tranquillement.

    Qu’entendez-vous par effondrement ?

    La réponse technique est qu’un effondrement est un processus qui implique ce que l’on appelle une « boucle de rétroaction positive », c’est-à-dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. Par exemple, regardez ce qui se passe en Grèce : la population perd sa confiance dans la monnaie. Donc elle retire ses fonds de ses banques. Donc les banques sont fragilisées. Donc les gens retirent encore plus leur argent des banques, etc. Ce genre de processus mène à l’effondrement.

    On peut aussi faire une réponse non technique : l’effondrement caractérise une société qui devient de moins en moins capable de satisfaire les besoins élémentaires : nourriture, santé, éducation, sécurité.

    Voit-on des signes tangibles de cet effondrement ?

    Certains pays sont déjà dans cette situation, comme la Somalie par exemple. De même, le « printemps arabe », qui a été présenté un peu partout comme une solution à des problèmes, n’est en réalité que le symptôme de problèmes qui n’ont jamais été résolus. Ces pays manquent d’eau, ils doivent importer leur nourriture, leur énergie, tout cela avec une population qui augmente. D’autres pays, comme les Etats-Unis, sont moins proches de l’effondrement, mais sont sur cette voie.

    La croissance mondiale va donc inéluctablement s’arrêter ?

    La croissance va s’arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme l’énergie. L’énergie a une très grande influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n’y a pas de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l’aviation… Les problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus au prix élevé de l’énergie.

    Dans les vingt prochaines années, entre aujourd’hui et 2030, vous verrez plus de changements qu’il n’y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l’environnement, de l’économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu’une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique.

    Pourtant, la Chine maintient une croissance élevée…

    J’ignore ce que sera le futur de la Chine. Mais je sais que les gens se trompent, qui disent qu’avec une croissance de 8 % à 10 % par an, la Chine sera le pays dominant dans vingt ans. Il est impossible de faire durer ce genre de croissance. Dans les années 1980, le Japon tenait ce type de rythme et tout le monde disait que, dans vingt ans, il dominerait le monde. Bien sûr, cela n’est pas arrivé. Cela s’est arrêté. Et cela s’arrêtera pour la Chine.

    Une raison pour laquelle la croissance est très forte en Chine est la politique de l’enfant unique. Elle a changé la structure de la population de manière à changer le ratio entre la main-d’œuvre et ceux qui en dépendent, c’est-à-dire les jeunes et les vieux. Pour une période qui va durer jusque vers 2030, il y aura un surcroît de main-d’œuvre. Et puis cela s’arrêtera.

    De plus, la Chine a considérablement détérioré son environnement, en particulier ses ressources en eau, et les impacts négatifs du changement climatique sur ce pays seront énormes. Certains modèles climatiques suggèrent ainsi qu’à l’horizon 2030 il pourrait être à peu près impossible de cultiver quoi que ce soit dans les régions qui fournissent actuellement 65 % des récoltes chinoises…

    Que croyez-vous que les Chinois feraient alors ? Qu’ils resteraient chez eux à souffrir de la famine ? Ou qu’ils iraient vers le nord, vers la Russie ? Nous ne savons pas comment réagira la Chine à ce genre de situation…

    Quel conseil donneriez-vous à François Hollande, Angela Merkel ou Mario Monti ?

    Aucun, car ils se fichent de mon opinion. Mais supposons que je sois un magicien : la première chose que je ferais serait d’allonger l’horizon de temps des hommes politiques. Pour qu’ils ne se demandent pas quoi faire d’ici à la prochaine élection, mais qu’ils se demandent : « Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans trente ou quarante ans ? » Si vous allongez l’horizon temporel, il est plus probable que les gens commencent à se comporter de la bonne manière.

    Que pensez-vous d’une « politique de croissance » dans la zone euro ?

    Si votre seule politique est fondée sur la croissance, vous ne voulez pas entendre parler de la fin de la croissance. Parce que cela signifie que vous devez inventer quelque chose de nouveau. Les Japonais ont un proverbe intéressant : « Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou. » Pour les économistes, le seul outil est la croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance.

    De même, les politiciens sont élus pour peu de temps. Leur but est de paraître bons et efficaces pendant leur mandat; ils ne se préoccupent pas de ce qui arrivera ensuite. C’est très exactement pourquoi on a tant de dettes : on emprunte sur l’avenir, pour avoir des bénéfices immédiats, et quand il s’agit de rembourser la dette, celui qui l’a contractée n’est plus aux affaires.

    Propos recueillis par Stéphane Foucart et Hervé Kempf (Le Monde, 26 mai 2012) 

     

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  • Eloge du populisme...

    Il faut s’arrêter un instant sur l’expression des adversaires de l’immigration, qui caractérisent celle-ci comme une immigration “de peuplement”. On s’accorde généralement à faire de 1974 un point de bascule quant à la nature de l’immigration, par l’effet du regroupement familial. On passa alors de l’immigration provisoire d’individus, dont les motifs étaient économiques ou de refuge (asile politique), à une immigration d’implantation. Si l’expression “immigration de peuplement” est plus juste encore que ceux qui l’emploient ne le croient, c’est parce qu’elle n’est pas seulement un phénomène quantitatif, mais un phénomène qualitatif : il s’agit effectivement de “faire peuple” à l’intérieur d’un peuple déjà existant. Ce phénomène, qui est loin d’être majoritaire, est en partie nouveau, ne se limite pas à la France, et crée de véritables diasporas à l’intérieur des pays d’accueils. C’est dans la mesure où les immigrés veulent conserver leur similitude avec le peuple du pays d’origine qu’ils refusent l’assimilation au peuple d’accueil, et cela parce qu’il est impossible d’être similaire à deux modèles contradictoires. Il est curieux que l’on déplore comme “populiste” l’attachement du peuple d’accueil à sa similitude, et que l’on encense l’attachement des immigrés à la similitude de leur peuple d’origine.

    Les éditions Elya viennent de publier Eloge du populisme, un essai signé par Vincent Coussedière. Professeur de philosophie, Vincent Coussedière en appelle au travers de ce livre à une recomposition de l'offre politique.

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    "Si un éloge du populisme reste possible, c’est parce que le populisme n’est pas ce phénomène de ressentiment identitaire critiqué par les experts, confondant populisme du peuple et démagogie populiste. Le populisme est d’abord une affirmation, l’affirmation d’un attachement profond à une tradition qu’il s’agit d’imiter. Ce que le peuple veut conserver, ce n’est pas son identité, car il n’a pas d’identité et il le sait. Ce qu’il veut conserver, c’est sa capacité d’imiter une tradition et de reconnaître la similitude de ceux qui l’imitent avec lui. C’est très maladroitement que les mouvements populistes expriment leur revendication dans un langage identitaire, tombant ainsi dans le piège des démagogues. Etre conservateur ne consiste pas à vouloir conserver une identité mais à vouloir conserver une liberté.
    A rebours de cette interprétation méprisante du « populisme », cet essai propose une réévaluation du phénomène. Le populisme n’est plus rabattu sur une forme de démagogie et d’appel au peuple, mais il est repensé comme la réaction, saine en elle-même, d’un peuple politique à sa destruction. Car il y a plus de mémoire politique dans le populisme du peuple que dans les interprétations que proposent les experts de « la tentation » populiste ou de « l’illusion » populiste. C’est cette mémoire politique, retenue encore dans le peuple populiste, et perdue par les élites, qui ménage paradoxalement un avenir au peuple français."

     

     

     

     

     

     

     

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  • "Europe, euro, rigueur, croissance : la quadrature du cercle"...

    Vous pouvez visionner ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 25 mai 2012 et consacrée à la crise européenne...


    Eric Zemmour : "Europe, euro, rigueur... par rtl-fr

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  • Le nouveau chaos international...

    Nous vous signalons la parution de la revue Rébellion (n°53, mars - avril 2012) dont le dossier aborde la question du chaos géopolitique actuel. Vous pourrez notamment y lire un entretien avec Aymeric Chauprade, consacré à la Realpolitik ainsi qu'un entretien avec le géopoliticien eurasiste Alexandre Douguine. 

     

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    Au sommaire :
    Editorial : Le temps des leurres. 
    Culture : Sank'ia, l'épopée barbare de Z. Prilipine. 
    Dossier géopolitique 
    Entretien avec Aymeric Chauprade : comprendre la Realpolitik. 
    L'Union pour la Méditerranée par Julien Teil. 
    Obama et l'Impérialisme par Terouga. 
    Entretien avec Alexandre Douguine. 
    Histoire : Thermidor, le crépuscule de la République par David l'Epée. 
    Culture : Entretien avec François Bousquet sur Jean-Edern Hallier. 
    Livre : les Mémoires Vives d'Alain de Benoist par Thibault Isabel. 
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  • Le temps du choix...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré aux heures décisives qui nous attendent et qui nécessiteront de notre part un choix...

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    Le temps du choix

    Commenter l’actualité, chaque semaine, impose le terrain, et donc la règle, celle que l’actualité plus ou moins médiate formule, à travers sa logique tennistique de va-et-vient par-dessus le filet de l’opinion. Les rets qui emprisonnent les discours, les concepts, et même les rêves, sont comme l’issue fatale de ce détour qui nous porte vers l’appât, le leurre astucieusement disposé par le chasseur. La politique, à la suite de la moribonde religion, fut un temps le dépôt du bonheur moderne, le réceptacle des utopies et des millénarismes sécularisés. Mais tout amour-passion a une fin, et les peuples se réveillent de leurs émois dans la désillusion des vieux couples, las d’eux-mêmes, mais captifs de leurs habitudes.

    Ainsi a-t-on voté, et votera-t-on, en masse. Ou peut-être un peu moins. La politique a aussi ses athées, et ses agnostiques. Sans compter ses tartuffes. Que retenir donc du remuement des choses courantes ? On s’apercevra que des mois de mots furieux et de comédie – puisque la politique est du théâtre, ce qui ne la dépare pas forcément – ont donné une curieuse apathie collective. On s’aperçoit que beaucoup ont voté contre Sarkozy, qui, pour sa part, ne s’en tire pas si mal. Touché, mais pas coulé. Si les affaires qui le poursuivent ne l’éreintent pas, si ses petits camarades ne lui broutent pas l’herbe sous le pied, et si la gauche, comme c’est probable, sombre avec le pays, il peut revenir comme une sorte de sauveur. Quant à Hollande, il n’essaie même pas de pousser le lyrisme jusqu’aux sommets grandiloquents de 81, même si des reflets ménagés astucieusement ont remué quelque nostalgie. Toutefois, le temps est à la gestion, la sacro-sainte prise en charge de la réalité. A tel point que, comme il était prévu, il existe peu de différence entre le gouvernement actuel et le précédent : la politique économique, tout autant libérale et mondialiste, s’appuie sur une Europe dominée par les banques, et ce n’est pas une légère déclinaison en faveur d’une hypothétique croissance qui change quoi que ce soit. Dans le domaine des relations étrangères, la France est toujours inféodée aux USA, et garde sa place subalterne au sein de l’OTAN. Les velléités de retrait d’Afghanistan sont à relativiser : les troupes françaises restent sur le terrain, pour réaliser ce pour quoi elles y étaient, à savoir la logistique et la formation des cadres de la police et de l’armée afghane, bras armé du fantoche Karzaï. On apprend au demeurant que la petite mise en scène, à Camp David et à Chicago, d’un président français, terriblement normal, face à un président américain condescendant, était préparée depuis plusieurs mois, et que le retour des militaires français était plié, à condition que nous acception le principe du bouclier anti-missiles installé par l’Otan, officiellement dirigé vers le Moyen-Orient, mais en réalité vers la Russie. Pour le reste, et malgré une petite virée, bien étrange, de Rocard à Téhéran, on reste ferme vis-à-vis de l’Iran, de la Syrie, et l’on a pour Israël les yeux de Chimène. La Russie est gourmandée, même si elle nous achète des navires de guerre. Et on ne voit aucune véritable erreur dans l’intervention militaire en Lybie, qui a conduit à la déstabilisation du Mali et à l’instauration d’un régime islamiste, tortionnaire et chaotique. Bref, tout peut aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, à condition de l’aider à devenir meilleur, c’est-à-dire à persévérer dans la discrimination positive, à réjouir les lobbies gay, lesbienne et tutti quanti, à enfoncer un peu plus le système éducatif dans la boue pédagogiste, et à lutter avec sévérité contre le racisme, l’antisémitisme etc. Bref, de la vieille soupe réchauffée. Ah ! j’oubliais : il y a exactement 17 femmes et 17 hommes au gouvernement, ce qui constitue sans doute un petit pas pour un premier ministre, mais un grand pour l’humanité…

    Il n’y a donc pas de quoi fouetter un journaliste. La grisaille de la décadence quotidienne, pour ainsi dire.

    Sauf que d’autres constats inquiètent tout autant. Nous ne reviendrons pas sur le score important des partis de gouvernement aux dernières élections présidentielles, d’autant plus que la participation a été élevée. La demi-réussite de Sarkozy, ajoutée au cynisme des partisans de Hollande, dont l’américanoïde Terra Nova est l’une des figures emblématiques, témoignent d’une affligeante adhésion, du moins d’une acceptation tacite, dans l’opinion, de l’ordre des choses. Les reports de voix, bien que moindres qu’en 2007, en faveur du champion affiché des Etats-Unis, montrent qu’une certaine pédagogie patriotique est encore utile.

    Certes, la rhétorique ultra du candidat de l’UMP, sécuritaire, nationale et anti-immigrationniste, même si son outrance ne parvient pas à voiler l’hypocrisie d’une telle mise en boîte de l’opinion, n’est pas sans avoir connu un certain succès, notamment en ressuscitant une dichotomie droite/gauche, que le résultat sans ambiguïté du référendum de 2005 sur le traité de constitution européenne avait invalidée. Les élections de 2012 marquent une certaine régression dans la prise conscience des véritables enjeux, même si le Front national peut, à bon droit, avoir l’impression d’avoir marqué des points.
    Encore faut-il identifier les problèmes qui sapent notre société et notre identité. Et c’est justement là que l’on perçoit les limites de la politique, le conditionnement de nos angoisses, et de nos aspirations, qui en sont orientées finalement selon les desiderata du système.

    Chaque Français doit, avant d’opter pour un choix électoral, sonder ce qui l’agit au plus profond du cœur et des reins. Or, un choix électoral se fait au nom d’idées assez convenues, du fait des règles d’un jeu médiatique formaté et canalisé. Nous nous apercevons alors que les questions offertes ne nous concernent pas totalement, et que nous sommes contraints d’abandonner notre voix en dépit de ce que nous ressentons.
    Cependant, qui fait l’effort d’interroger ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il incarne ? Il ne peut exister de véritable politique si l’air que nous respirons, la langue que nous utilisons, le goût de nos rapports les plus intimes avec le monde, la couleur de nos dilections, l’intensité de nos rejets, le grain de nos impressions ne sont pas sollicités, et mis à la question. Qu’est-ce qu’être français ? Européen ? Qui n’a pas conscience, dans sa chair, dans ses mœurs, ses relations, que nous sommes colonisés, que nous sommes soumis à une culture exogène qui nous aliène, nous rend autres, étrangers à nous-mêmes, à notre propre pays, à notre passé, à nos traditions, au mode de vie qui nous fait advenir à la clarté de l’existence. Qui n’éprouve pas cela n’atteint pas le degré de connaissance de soi qui l’appelle à la vie.

    Depuis la fin de la guerre, l’american way of life a contaminé les moindres aspect de la vie publique et de la vie privée, à tel point que l’on regarde et écoute sans sourciller des publicités qui vantent les goûts d’outre-Atlantique, sur des musiques anglo-saxonnes gluantes et horriblement stéréotypées, et des jeux d’acteurs mortellement formatés. Les publicistes considèrent que ces esthétiques pornographiques plaisent au grand nombre, et probablement ont-ils raison, bien qu’il faille faire la part, dans leur stratégie, à la propagande. Car la réclame est aussi de l’endoctrinement. Qui évoquera en outre le cinéma pour ados, débile et de mauvais goût, le show business envahissant, avec le nombre grandissant de musiciens français qui chantent en anglais, la nourriture que nous absorbons, et surtout le rythme de vie qui nous est imposé par la vie moderne, et qui tend à ressembler à celui des Américains, qui évaluera la nature des émissions télévisuelles consommées, et même le fait de regarder cette télévision, qui a tué, comme la pratique de l’automobile, la vie authentique et relationnelle que les générations précédentes connaissaient encore, qui n’a pas envie de hurler devant ce meurtre d’une nation, de son corps et de son âme, ne sait pas ce qu’il est vraiment.

    Tout n’est pas mauvais, pourtant, de l’Amérique. Oui, il faut le dire, même si les Américains ne sont pas les premiers à défendre ce qu’ils apportent de bien au monde. Le jazz, par exemple, est plus populaire en Europe, et singulièrement en France, que dans sa patrie de naissance. Il paraît aussi que le livre génial de Jack Kerouac, On the Road, qui s’en prenait vertement à l’Amérique puritaine, et initiait cette tentative de libération d’une société pourrie par le fric et le moralisme, qu’était la Beat Generation, était boudé par les libraires, et de moins en moins lu à mesure que les USA s’engageait dans le Nouveau capitalisme. Pour nous, Français, et d’autant plus que Kerouac avait des racines bretonnes, et qu’il était d’origine canadienne francophone, et qu’il se réclamait de Rimbaud et de Céline, il était l’un des nôtres. Pourquoi parler de lui, au moment où l’on a tenté, apparemment avec succès, d’adapter au cinéma son chef d’œuvre ? Eh bien, celui qui lit cette prose enflammée, endiablée, enivrée comme une ruée continentale, a une petite idée de ce que c’est que de sentir d’immense espaces, presque infinis, à portée de désir et de conquête. Lorsqu’on met les pieds sur le Nouveau continent, la sensation que tout est possible, que l’on jouit d’une liberté aussi grande que les terres qui s’étendent jusqu’au Pacifique, emplit l’esprit et le fait vibrer de désir. La nostalgie des vieilles rues européennes, des églises romanes, des places monumentales de l’Europe arrive assez vite, mais on voit ce qui nous manque ici.

    Dans la Rome antique, un Européen pensait le monde d’Alexandrie à l’Atlantique, de Carthage à la Mer du Nord. Les armées parcouraient des milles pour défendre une seule patrie. C’était le cas encore avec Charlemagne. Au moyen-âge, les pèlerins et les chevaliers sillonnaient les routes de la Chrétienté pour porter leur foi ou leurs armes. Nous, Français, avons le souvenir des batailles de la Grande armée napoléonienne, quand la Grande Nation, comme disent les Allemands, respirait à l’échelle d’un Empire. Nos colonies mêmes ouvraient des horizons à la soif d’aventure de nos jeunes soldats et de nos officiers.

    Quels sont nos horizons ? A quoi aspirons-nous ? De quoi voulons-nous nous délivrer ? Quelles sont nos chaînes ? Sommes-nous encore dignes de l’Histoire humaine ? Sommes-nous capables de regarder au-delà des turpitudes politiciennes, et de nous fixer des horizons nouveaux, des frontières si ambitieuses, que nous pourrions encore nous sentir capables de soulever des montagnes ?

    Claude Bourrinet (Voxnr, 23 mai 2012)

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  • Villes sous contrôle...

    Les éditions La Découverte viennent de publier Villes sous contrôle - La militarisation de l'espace urbain, un essai de Stephen Graham. Les travaux de Stephen Graham, géographe de formation, s'inscrive dans la lignée de ceux de l'américain Mike Davis, l'auteur de City of Quartz, Le stade Dubaï du capitalisme, Paradis infernaux : les villes hallucinées du néo-capitalisme...

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    "Checkpoints, drones, GPS, passeports biométriques, insectes cyborgs, puces RFID, détecteurs de cibles, essaims de nanocapteurs, soldats-robots, barrières Jersey, dirigeables de surveillance, bombes « incapacitantes » et arsenal « non létal »... Qu'ont en commun toutes ces « technologies » qui, pour certaines, semblent relever de la science-fiction et qui, pour d'autres, imprègnent déjà notre quotidien de citadins ? Concoctées dans les laboratoires de l'armée, elles sont les nouvelles armes de la guerre en cours, cette « guerre asymétrique » ou « permanente » qui transforme les armées occidentales en forces contre-insurrectionnelles high-tech et chacun d'entre nous en cible potentielle nécessitant d'être identifiée, pistée, surveillée, au nom de la prévention d'une menace indistincte.
    Avec Israël comme laboratoire et la « guerre contre le terrorisme » comme terrain d'application mondial, cette nouvelle forme de conflit touche de manière très différenciée les habitants du monde riche et ceux des territoires post- et néo-coloniaux. Elle se signale cependant par un trait commun à tous : ses champs de bataille ne sont plus les plaines ou les déserts, mais les principales agglomérations urbaines mondiales. Dans le sillage des travaux de Mike Davis, Naomi Klein ou Eyal Weizman, le livre de Stephen Graham nous donne les clés pour comprendre les logiques profondes de cet emballement militaro-sécuritaire globalisé."

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