La revue de presse de Pierre Bérard
Au sommaire :
• Dans son émission Répliques, sur France Culture, Alain Finkielkraut recevait samedi 25 avril 2015 le philosophe anglais Roger Scruton et le sociologue Jean-Pierre Le Goff (Auteur de Malaise dans la démocratie paru ce mois-ci) pour des entretiens sur le thème "comment peut-on être conservateur ?". Ces entretiens montrent parfaitement que la culture européenne est celle de la vie interrogée.• Puis Finkielkraut reprend, toujours dans la même émission hebdomadaire, mais cette fois le 13 février 2016 avec comme invités Alain Caillé co-fondateur du MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales) et Jean-Pierre Le Goff, sur le thème Malaise dans la démocratie. Finkielkraut cite dans sa présentation un passage emprunté au chapitre V du livre de Le Goff (sur la religiosité diffuse) qui montre que les "néo-réactionnaires" sous leur allure parfois austère ne manquent pas d'un certain sens de la facétie. Quant à Alain Caillé pour répondre notamment au défi écologique il critique la démesure économique mais plaide malheureusement, mais avec mesure, pour la naissance d'un conscience mondiale. idée angélique et messianique assez peu réaliste.• Dans Marianne Alban Ketelbuters s'en prend à une certaine gauche immigrationiste dans un article consacré à "La gauche et l'extase migratoire".• Jean-Claude Empereur reprend pour Europe solidaire son article capital consacré aux thèses que le très influent George Friedman a fait connaitre par son livre Flash Points, the emerging crisis in Europe. Pour cet auteur représentant les vues de l'État profond américain "les Européen ont su conquérir le monde mais se sont montrés incapables de se conquérir eux mêmes", ce pourquoi il faut toujours la tenir en laisse. En mandataire avisé des intérêts de la thalassocratie anglo-saxonne il pointe l'Allemagne comme adversaire de la "puissance indispensable" dans la mesure où son rapprochement avec la Russie permettrait de constituer politiquement l'Eurasie en pôle autonome de puissance. Hypothèse inacceptable pour les E-U. Cet Américain bien peu diplomate a au moins le mérite de parler clair en faveur d'un jusqu'au-boutisme brutal.• De même dans l'émission de France Info "Un monde d'idées" du 15 février Olivier de Lagarde interroge Francis Gutmann, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay et l'un des 20 contributeurs du livre "Péchés capitaux. Les 7 impasses de la diplomatie française", paru récemment aux éditions "Le poing sur la table". Pour lui la diplomatie française est sur le déclin car nous ne regardons pas le monde tel qu'il est, mais tel que nous voudrions qu'il soit, bref : nous n'avons plus de conception propre du monde et ceci pourquoi ? Parce que nous sommes à la remorque des États Unis. Par exemple, à propos de la Syrie Gutmann affirme qu'il ne faut pas traiter avec les acteurs qui plaisent, mais avec les acteurs qui comptent, en l'occurrence Poutine et Bachar-el-Assad.• On peut y ajouter cet excellent texte critique de l'observatoire suisse de géostratégie consacré aux sept péchés capitaux de la diplomatie française.• Sur Télé Libertés le criminologue Xavier Raufer dresse avec ironie, trois mois après les attentats de Paris et de Saint-Denis, le bilan accablant de l'enquête policière. Mauvaises pistes, négligences, erreurs politiques et déni de réalité. Nos sociétés réagissent toujours trop tard au lieu de précéder l'événement comme il le faudrait. Alarmant.• Syrie, l'irresponsabilité des médias français par Jean-Paul Basquiat, énarque et animateur du blog Europe solidaire.• L'accord de cessez-le-feu conclu le vendredi 12 février à Munich entre les États-Unis et la Russie à propos de la guerre civile en Syrie a toutes les chances de se révéler lettre morte. Tant le bombardement par les Turcs des positions kurdes à l'extrême nord-ouest du pays que l'intensification des combats entre forces loyalistes syriennes puissamment soutenues par l'aviation russe sont le signe que cet accord sera déjoué. Les Turcs redoutent que les Kurdes syriens membres du PKK ne fassent leur jonction avec leurs "frères" de la région de Kobane et constituent ainsi un Kurdistan de fait sur leur flanc sud, pouvant servir de base arrière à la guérilla du PKK turque. Erdogan qui indispose aussi bien les Russes que les Américains, incapables de le "tenir", signe de leur déclin dans cette région, est en proie à des difficultés grandissantes au point que l'on peut légitimement se demander qui d'Erdogan ou de Bachar-el-Assad quittera la scène le premier. Ci-dessous un article de Richard Labévière du 15 février suivi d'un article de Thierry Meyssan de la même date et dont l'auteur à l'avantage d'être au contact des services russes et iraniens.• Donald Trump présenté comme un candidat clownesque et "populiste" aux primaires républicaines, a des vues novatrices en matière de politique extérieure d'après Caroline Galactéros. En effet il se démarque des projets d'interventionnisme botté défendues par tous les autres candidats.• Dans l'émission de Méridien Zero du 12 février David L'Épée souligne la dialectique contradictoire entre les "minorités" sexuelles et ethno-raciales (par exemple le féminisme et l'immigré musulman) dont la pseudo solidarité théorisée par nombre d'idéologues dès les années 60-70 a échoué et même volé en éclats comme le montrent, entre autre, le téléscopage à Cologne des idéaux féministes et des idéaux d'ouverture à l'Autre, d'où le désarroi de ces milieux. François Bousquet quant à lui développe brillamment les arguments de son livre sur Foucault et insiste sur le fait que nous avons perdu le seul combat qui compte et qui est celui du symbolique qui dotait les cultures européennes d'un système immunitaire aujourd'hui délabré à force de déconstruction . Une émission de haut niveau.• Libération publie un article consacré à Simon Leys, le grand sinologue critique qui fit tomber Mao de son piédestal. À l'encontre de tous ses thuriféraires européens, nombreux dans l'intelligentsia française, les Barthes, Sollers et compagnie dont certains voudraient encore nous donner des leçons de correctitude pour l'aujourd'hui. L'article, de la part d'un journal qui est né de La Cause Prolétarienne, signale que selon Leys, Les deux étendards (de "l'abject" Lucien Rebatet) est un chef d'oeuvre...• Cornelius Castoriadis pour qui les trotskistes n'étaient que la fraction de la bureaucratie soviétique en exil a droit dans les colonnes du périodique Rébellion à une courte mais bonne bio-bibliographie qui insiste surtout sur son absence de dogmatisme et le constat qu'il opère sur la dépolitisation de nos sociétés et tout ce qu'elle implique. "Casto" était avant tout le penseur de l'autonomie. On peut toujours à ce propos revenir avec profit sur la définition lumineuse qu'il donnait de la démocratie, bien loin de la bigoterie insipide en vigueur. La manière dont Castoriadis lie naissance de la philosophie et origine de la démocratie en Grèce est semblable à celle qui ressort de l'entretien entre Costanzo Preve et Alessandro Monchietto dans le dernier numéro de Krisis sur le socialisme. Vidéo enregistrée par Chris Marker en 1989 (seconde référence).• Le Journal du Dimanche trace le portrait édifiant d'Audrey Azoulay, nouvelle ministre de la culture "vraiment de gauche". On notera avec un certain sourire que sa désignation a suscité la colère de l'Algérie se plaignant d'une "marocanisation de la vie politique française".• Les idées raisonnables de Jean-Claude Barreau sur l'immigration et l'assimilation et le complexe européen présentées par Guillaume Bigot sur le site Causeur.• Entretien avec Alain de Benoist paru sur Boulevard Voltaire. "La vraie question c'est qu'est-ce qu'être français, non pas qui est français".http://www.bvoltaire.fr/alaindebenoist/vraie-question-cest-quest-quetre-francais-non-francais,238921• Les déclarations de Floriant Philippot (numéro deux du Front national) en Bretagne.
Métapo infos - Page 1026
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La revue de presse d'un esprit libre... (2)
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Une cise de l'identité française ?...
Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la crise identitaire française...
« La vraie question c’est : « Qu’est-ce qu’être français ? », non pas : « Qui est français ? » »
La question identitaire, souvent évacuée du débat politique, n’en finit plus de hanter les esprits. Mais quid de la définition de cette dernière ? Quelle est la part de la culture, de l’ethnie ou de la religion ?
À une époque où, comme le dit Alain Finkielkraut, un nombre croissant de Français sont « cloués au pilori médiatique parce qu’ils réclament le droit à la continuité historique », on parle en effet de plus en plus d’identité – et ce n’est pas bon signe. Quand l’identité va de soi, personne ne se pose la question de savoir en quoi elle consiste. Quand on commence à le faire, c’est que l’identité est sérieusement dégradée ou déjà perdue.
Il ne faut jamais oublier que l’identité n’est pas ce qui ne change jamais, mais ce qui définit notre façon de changer tout en restant nous-mêmes. Souvenons-nous aussi que l’identité d’un individu a toujours plusieurs facettes : identité nationale certes, mais aussi identité linguistique et culturelle, identité professionnelle, identité sexuelle, identité religieuse, identité politique ou philosophique, etc. Celle de ces facettes que nous tenons pour la plus déterminante, et qui détermine de qui nous nous sentons le plus proche (si je suis de gauche, me sens-je plus proche d’un Français de droite ou d’un Allemand de gauche ? Si je suis chrétien, me sens-je plus proche d’un Français athée ou d’un catholique sénégalais ?), n’est évidemment pas la même pour tout le monde.
Autre point capital : l’identité n’est jamais une donnée immédiate, elle ne se manifeste que par la médiation d’une culture. Or, une culture ne vaut que par sa créativité, faute de quoi elle n’est qu’une tradition postiche. Comme l’écrit le philosophe Philippe Forget, « un peuple n’exprime pas son génie parce qu’il est doté d’une identité, mais il manifeste une identité parce que son génie l’active […] Un peuple s’affirme par l’excellence de ce qu’il fait, par l’éclat de ses formes de vie, bien plus que par sa conformation obstinée à un seul modèle d’être. » Au cours de son histoire, la France n’a elle-même cessé de changer, mais elle est restée la France parce qu’à chaque étape de cette trajectoire, le peuple français a su renaître à lui-même à partir de sa manière d’être. Restituer de l’identité ne signifie donc pas reproduire le même contenu ou s’en remettre à la réception passive de formes héritées. Une histoire qui se réduit à la mémoire ou au culte du passé traduit un génie qui dégénère. Si l’identité se ramène à une incantation, au petit musée portatif des grands événements et des héros du passé, elle devient inévitablement résiduelle, fossile, voire tout simplement fantasmée.
À propos, vous êtes favorable à la déchéance de la nationalité ?
Dans les circonstances actuelles, certainement pas. Les discussions de ces dernières semaines l’ont bien montré : déchoir de leur nationalité des gens qu’on ne peut expulser n’a aucun sens. Plutôt que de s’interroger sur la façon d’enlever la nationalité française à ceux qui la possèdent, on ferait mieux de débattre de la façon dont elle doit être attribuée.
Et la sortie de Nadine Morano, citant (approximativement) de Gaulle pour dire que la France est une « nation de race blanche » ?
De Gaulle est mort depuis bientôt un demi-siècle. Nadine Morano aurait été plus crédible si elle avait parlé au passé.
Mais, en fin de compte, c’est quoi, être français ?
J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire lors de précédents entretiens. La bonne question est : « Qu’est-ce qu’être français ? », et non pas : « Qui est français ? » Me dire Français n’explicite pas le style qui me définit comme tel. En toute rigueur, est Français celui possède une carte d’identité de citoyen français. Vous me direz, bien sûr, que beaucoup de « Français de papiers » ne se sentent pas du tout français. Sans doute, mais c’est tout aussi vrai de nombre de « Français de souche », dont l’identité nationale n’est tout simplement pas la composante de leur identité qui leur paraît la plus importante. Au demeurant, on peut être Français et n’aimer ni l’île Saint-Louis, ni le mont Saint-Michel, ni Jeanne d’Arc, ni Georges Brassens, ni le camembert ! On peut être Français sans se sentir tenu d’aimer la France. On peut être Français et préférer l’Irlande à la France. Et on a aussi le droit d’être misanthrope ! Les Français qui ne sont pas républicains, enfin, ne sont pas moins français que ceux qui ne sont pas royalistes. Être Français, ce n’est pas adhérer à des principes ni à des valeurs (fussent-elles « républicaines »), mais reconnaître une appartenance qui s’inscrit ou est appelée à s’inscrire dans l’Histoire.
Le problème ne commence que lorsque l’on fait primer sur l’appartenance nationale une autre appartenance, nationale ou communautaire, censée rendre la première caduque ou inopérante. C’est le cas de certains immigrés qui, bien que détenteurs de la nationalité française, se sentent en fait Algériens, Syriens ou Sénégalais. Mais c’est aussi le cas des nationalistes corses qui, à tort ou à raison, affirment qu’il existe un peuple corse distinct du peuple français – et une nation corse distincte de la nation française – et qui ne se considèrent donc français qu’administrativement. Dans ce dernier cas, cependant, la distinction de la citoyenneté et de la nationalité, synonymes dans la tradition française mais disjointes dans bien d’autres pays, pourrait permettre de résoudre le problème (les Corses deviendraient des citoyens français de nationalité corse). Cela vaut aussi pour nos compatriotes ultramarins, dont Marion Maréchal-Le Pen rappelait récemment, à juste titre, qu’ils étaient Français avant que les Savoyards et les Niçois ne le deviennent.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 février 2016)
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Les Soldats de l'Everest...
Les éditions Les Belles Lettres viennent de publier un récit de Wade Davis intitulé Les Soldats de l'Everest - Mallory, la Grande Guerre et la conquête de l'Himalaya. Anthropologue et ethnobotaniste de nationalité canadienne, Wade Davis est explorateur pour la National Geographic Society.
" Le 6 juin 1924, 7 000 m d’altitude : deux hommes quittent leur camp perché sur une vire de glace. Objectif : le sommet de l’Everest, encore jamais gravi.
On ne les reverra pas vivants. Avec George Mallory, âgé de 37 ans, le monde perd le meilleur alpiniste britannique de sa génération.
Qui sont ces hommes partis, quelques années après la Première Guerre mondiale, au coeur d’un Himalaya inconnu des cartes ? C’est ce que nous raconte Wade Davis, qui nous emmène de l’Angleterre aux Indes, des tranchées de 14-18 aux confins encore inexplorés du Tibet, des sables ensanglantés d’Irak et de Gallipoli aux sommets immaculés de l’Himalaya.
Intrigues diplomatiques entre la Grande-Bretagne et la Russie tsariste et bolchévique, négociations secrètes entre le Raj indien et le Dalaï-lama : l’aventure de l’Everest ne fut pas qu’un haut fait de l’alpinisme ; après une victoire militaire qui laissait les vainqueurs aussi exsangues que les vaincus, elle représenta, pour les rares soldats revenus vivants mais à jamais meurtris, et pour un pays qui avait perdu toute foi en lui-même, un puissant symbole d’espoir et de rédemption nationale.
Grâce à Wade Davis, nous découvrons ces hommes remarquables qui ont mené cette aventure à bien, anciens soldats pour la plupart, géographes, médecins, explorateurs, naturalistes et alpinistes. Ils ont parcouru à pied, à dos de mule et de cheval des milliers de kilomètres dans un territoire jamais exploré, affrontant les chaleurs de l’Inde et les rigueurs glacées du Tibet, l’oeil fixé sur un nouveau Graal : le sommet de l’Everest. " -
Attentats de Paris : où en est l'enquête ?...
Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Xavier Raufer, réalisé le 13 février 2016 par Martial Bild et Élise Blaise pour TV Libertés, dans lequel il dresse un bilan de l'enquête. Mauvaises pistes, négligences, erreurs politiques, et déni de réalité, un constat implacable et alarmant...
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Science et désinformation...
Les éditions Perspectives libres viennent de publier un essai de Marc Le Menn intitulé Science et désinformation. Métrologue et océanographe, Marc Le Menn est aussi un contributeur régulier de Boulevard Voltaire.
« Si la désinformation est, et a été, l’arme des dictateurs pour guider le peuple, elle est aujourd’hui l’outil indispensable des démocraties pour modeler l’opinion. Pour ce faire, elles ont élevé la communication et le marketing au niveau d’un art. Désormais, communiquer c’est tenter de désinformer avec toute la subtilité qui s’impose… l’information scientifique sensée être rigoureuse, absolue et indépendante, est tombée dans les mêmes travers, et les exemples sont multiples pour ne pas dire quotidiens. Ils font l’objet d’une part de cet ouvrage ». Il est cependant possible d’y voir plus clair, même pour les non-initiés. C’est l’objectif de ce livre.
« Après la COP21, son échec et la chasse aux sorcières qu’elle a engendré, un livre à lire de toute urgence pour comprendre comment il est possible de manipuler la science. Les citoyens doivent apprendre à discerner la manipulation de la science dans les discours politiques car la science s’invitera de plus en plus dans l’espace public. Un vrai ouvrage de formation citoyenne ». Pierre Yves Rougeyron
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La gauche et l'extase migratoire...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alban Keetlebuters, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), cueilli sur le site de Marianne et consacré au discours sans-frontiériste de la gauche...
Emmanuelle Cosse, nouvelle ministre du Logement
La gauche et l'extase migratoire
De l’affaire Léonarda à l’actuel chaos migratoire, le discours sans-frontiériste selon lequel « il faut accueillir tous les migrants », comme le déclarait Emmanuelle Cosse le 3 septembre 2015, ressurgit à intervalle régulier dans le débat public. Abolir les frontières, encore et toujours. À ses yeux, la France aurait dorénavant pour mission et pour devoir de subvenir aux besoins des « migrants » du monde entier. Vaste programme.
Suscitant la suspicion des uns et l’incompréhension des autres, l’immigration demeure l’un des principaux impensés de la gauche française. À l’ère de la « globalisation » et des « flux », la frontière est devenue pour beaucoup, et à tort, synonyme de conservatisme et de xénophobie. Esther Benbassa, sénatrice Europe Écologie Les Verts, n’avait-elle pas qualifiée de « rafle » la reconduite à la frontière de la jeune Léonarda ?
Il faut réentendre ces mots prononcés par Régis Debray sur France Culture, peu après la parution de son Éloge des frontières (Gallimard, 2006), à contre-courant du discours caricatural qu’une partie de la gauche et des écologistes ne cesse de ressasser : « La frontière n’est pas du tout la fermeture angoissante. La frontière est une marque de modestie : je ne suis pas partout chez moi. La frontière est ambiguë, comme le sacré. On a autant de raisons de la redouter que de l’aimer. Là où il n’y a pas de frontière, il y a la guerre. Voyez le conflit israélo-palestinien. Qu’est-ce que c’est ? Une absence de frontière. On n’arrive pas à trouver la bonne frontière reconnue de part et d’autre. Il y a aujourd’hui en France un état d’esprit où, quand vous parlez frontière, on vous répond “souverainisme”, “identité”, “ethnicisme”. La frontière est un tamis. Il est bon qu’elle soit une passoire, mais une passoire qui contrôle, qui régule. Sinon c’est le tohu-bohu, et le tohu-bohu c’est le rapport de forces, c’est la loi de la jungle. Dans la jungle il n’y a pas de frontières, c’est pourquoi il n’y a pas de droit ».
Saturés d’images sensationnalistes, misérabilistes et culpabilisantes, les Français sont priés de prendre position entre l’axe du Bien et du Mal, l’ouverture ou la fermeture, le « parti de l’Autre » pour reprendre l’expression d’Alain Finkielkraut ou l’égoïsme national. Il ne manque plus que Stéphane Hessel pour inviter les citoyens à l’indignation collective : Indignez-vous ! Les réactions à la photographie obscène du petit Aylan Kurdi, que la police turque a retrouvé mort sur une plage, furent à cet égard très instructives. Comme si les Européens en général, et les Français en particulier, étaient responsables de la mort tragique de cet enfant.
Comme le soulignait déjà Pascal Bruckner dans Le sanglot de l’homme blanc (Seuil, 1983), « chaque jour, chaque année voit s’allonger un peu plus la liste des pêchés imputés à une communauté sur qui pèse l’ancestral soupçon de souiller les sources de la vie. La méchanceté est une sorte de malédiction anthropologique attachée aux peuples des pays tempérés : l’Occident serait cruel et allergique aux autres comme l’asthmatique aux poils de chat. Quoi que nous fassions, la faute prospère à notre place, l’inexpiable nous tient. » Quiconque prétend s’interroger sur ce déferlement migratoire dégage aussitôt un parfum de pétainisme et se voit qualifié de xénophobe. La question interdite reste sans réponse : une société minée par le chômage de masse et l’accroissement des inégalités sociales, en proie à une crise de l’intégration sans précédent, cible principale du djihadisme en Europe, et dont l’ascension du parti d’extrême droite dans le champ démocratique est aussi fulgurante peut-elle – doit-elle – accueillir ces migrants ?
D’autre part, sur les épaules de quelle partie de la population leur accueil va-t-il peser ? Seront-ils accueillis dans les villes ethniquement, socialement et culturellement à la fois homogènes et privilégiées ? Ou bien seront-ils à terme, comme dans le dernier film de Jacques Audiard, Dheepan, largués dans les quartiers les plus défavorisés, ces zones de non droit détruites par la misère, la délinquance, le trafic de drogue et l’intégrisme ? Va-t-on intégrer dignement ces nouvelles populations, ou va-t-on multiplier les « jungles » à l’instar de celles de Calais et du métro La Chapelle, dans le XVIIIème arrondissement de Paris ?
Au lieu de jouer le jeu du Medef, les indignés de service et autres pleureuses professionnelles feraient mieux de s’interroger sur les racines politiques de ce désastre migratoire, en particulier sur la politique d’ingérence qu’ils soutiennent sans faillir depuis des années.
Alban Ketelbuters (Marianne, 15 février 2016)