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ukraine - Page 7

  • La question de la guerre juste...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à la question de la guerre juste. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

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    Qu’une guerre est juste ou pas s’apprécie dans le temps et cela peut changer avec les faits : Ukraine, Gaza

    Venant après la guerre d’Ukraine, la guerre à Gaza a remis sur le devant de la scène la question de la guerre juste. Mais la plupart des réactions se caractérisent par une dominante extrêmement émotionnelle, certes compréhensible, mais qui envoie les uns et les autres dans des directions complétement divergentes, et ne donne pas de repères pour le jugement. Par ailleurs, il n’est que très rarement fait référence à la réflexion sur ce qu’on peut qualifier de guerre juste. Celle-ci est pourtant une aide précieuse pour le jugement et pour l’action. Et pour échapper aux manipulations à prétexte moralisant.

    Mais il est un point important qui est encore plus négligé : la possibilité que ce jugement puisse évoluer dans le temps, en fonction du déroulement des opérations d’une part, de l’évolution des buts de guerre réels de l’autre. Le fait qu’une guerre soit considérée juste au départ, par exemple en réponse à une agression caractérisée, n’implique pas que les décisions prises ultérieurement le soient aussi. Et il faut savoir reconnaître quand le déroulé des combats et conséquemment l’évolution des enjeux changent les données du raisonnement initial.

    Les données du débat

    Rappelons que la justesse d’une guerre ne se limite pas à la justesse de la cause défendue, mais aussi à la haute probabilité du succès des opérations, et à la conviction raisonnablement établie que la situation résultante sera sensiblement meilleure que ce qu’elle aurait été sinon. Tous facteurs de considération réaliste qui sont par nature évolutifs. En ce sens donc, réalisme et moralité ne s’opposent pas : bien au contraire ils se combinent étroitement.

    En particulier, comme je l’ai souligné par ailleurs, la guerre une fois déclenchée a sa logique : qui dit guerre dit choc de deux volontés en sens contraire, dont la solution est recherchée dans la violence réciproque. Par définition, cela suppose que l’une au moins des deux parties considère que ce recours à la force a un sens pour elle, et que l’autre soit ait la même perception, soit préfère résister à la première plutôt que céder. La clef de la sortie de l’état de guerre est dès lors principalement dans la guerre elle-même et son résultat sur le terrain. Mais comme la guerre est hautement consommatrice de ressources, puisque son principe est la destruction, elle a en elle-même un facteur majeur de terminaison : elle ne peut durer indéfiniment. Le rapport de forces sur le terrain peut d’abord aboutir à la victoire d’une des deux parties… Alternativement, on a une situation non conclusive, mais qui ne peut durer indéfiniment. A un moment donc les opérations s’arrêtent… Mais tant que ces facteurs de terminaison n’ont pas opéré suffisamment, la guerre continue… Arrêter prématurément signifierait en effet pour celui qui va dans ce sens non seulement que tous ses efforts antérieurs ont été vains, pertes humaines et coûts matériels en premier lieu, mais surtout cela reviendrait à accepter une forme de défaite avant qu’elle soit acquise ; or il avait par hypothèse décidé de se battre. Dès lors il continue, et l’adversaire de même. C’est là que les bonnes volontés, attachées à la paix, sont déçues – un peu naïvement. Leurs appels à une cessation des hostilités, si possible sans gagnant ni perdant, tombent alors presque toujours sur des oreilles sourdes. Du moins tant que la logique même du déroulement de la guerre n’y conduise.

    La guerre d’Ukraine

    Prenons la guerre en Ukraine. Sans remonter aux origines, il paraît clair que la résistance ukrainienne à l’invasion russe était une guerre juste. Corrélativement, il était justifié pour les Européens et les Américains de vouloir éviter une déferlante russe qui aurait déséquilibré le continent, et donc d’aider les Ukrainiens, en particulier par des armes. En revanche, l’ampleur des sanctions économiques était totalement disproportionnée et courait un risque élevé d’être contreproductive. Sur ce dernier plan, les faits ont confirmé cette analyse : la perte sèche de plus de 100 milliards d’actifs européens en Russie a été une grave sottise, sans parler du coût de la guerre, direct ou indirect. Parallèlement, la Russie a progressivement réorienté son activité en la rendant bien plus autonome, et surtout travaille à ressusciter son complexe militaro-industriel, dans la tradition soviétique, ce qui n’est certainement pas une évolution souhaitée par le côté européen.

    Quant au terrain principal, qui est la guerre elle-même, la perspective d’une victoire ukrainienne est désormais plus éloignée que jamais. Si donc la réaction initiale était justifiée, le jugement à porter n’est plus le même. Ni les chances de gain, ni la perspective d’une situation meilleure ne sont favorables. Et une escalade occidentale, que certains appellent de leurs vœux, serait dévastatrice. En termes clairs, pour les Ukrainiens la recherche d’une solution de paix devient de plus en plus seule pertinente, ou au moins de cessation des hostilités.

    La guerre à Gaza

    Passons maintenant à Gaza. De la même façon, l’agresseur immédiat et caractérisé le 7 octobre dernier est le Hamas, marqué en outre par une barbarie révélatrice. De plus, le programme du Hamas prévoit la destruction d’Israël, et il paraît crédible que tel est bien leur but. Dès lors l’attaque d’Israël sur Gaza paraît justifiée en soi.

    Je laisse ici de côté une question pourtant importante : celle des modalités de l’opération, notamment à l’égard des civils, car y répondre suppose une information qui me paraît actuellement trop parcellaire. Certes, à partir du moment où un pouvoir politique utilise sa population comme bouclier, on voit mal comment l’éradiquer sans des dommages sur celle-ci ; encore faut-il les réduire le plus possible, et pour cela il faut savoir dans quelle mesure la méthode suivie par Israël le fait. Je laisse donc ce débat ouvert à ce stade.

    Mais le point qui nous concerne plus directement ici est la suite des opérations. D’un côté, la guerre suscite des réactions émotionnelles considérables, notamment dans le monde arabo-musulman, mais aussi ailleurs dans le monde. On peut certes souligner qu’il y a là deux poids et deux mesures par rapport à bien d’autres situations souvent plus douloureuses pour des populations elles aussi musulmanes, mais qui ne suscitent pas les mêmes indignations bruyantes (Iraq contre Daech avec notamment la prise de Mossoul, Syrie, Yémen, Ouigours etc.). Ce qui est vrai ; mais il faut néanmoins prendre en compte la réalité de cette différence de traitement, sans doute due en bonne partie au fait qu’ici l’autre protagoniste (Israël) est perçu comme occidental. Une telle réaction peut avoir éventuellement des conséquences géopolitiques non négligeables, et pourrait déraper en guerre élargie dans la région – même si ce n’est pas le plus probable à ce stade. Sous un autre angle, on constate la même pression émotionnelle en Israël, pays démocratique obsédé par la question des otages et par là vulnérable.

    D’un autre côté, en soi la logique de l’opération israélienne est de finir ce qui a été commencé : si la guerre s’arrête demain sans élimination de l’essentiel des forces du Hamas, d’une certaine manière son effet sera limité, et par là sa justification éventuelle réduite. Toutes choses égales par ailleurs, au point où ils en sont, il peut être alors légitime pour Israël de continuer. Cela dit, la pression, notamment externe, peut conduire à une issue hybride, qui risque de ne rien clarifier.

    En revanche, il est une autre considération qui sera décisive pour apprécier la justesse de cette guerre : ce que fera Israël sur la question palestinienne. On ne peut en effet apprécier le juste fondement d’une guerre que dans une perspective longue, en considérant l’ensemble de la situation. Et donc, soit Israël propose à un moment approprié un plan de paix raisonnablement crédible, donc avec une forme ou une autre d’Etat palestinien (hors Hamas évidemment) ; mais cela suppose la viabilité des territoires palestiniens, et donc un abandon de la colonisation en Cisjordanie, y compris d’une part appréciable de celle déjà réalisée. Soit Israël écarte cette hypothèse et poursuit sa politique de réduction progressive des territoires palestiniens. Mais cela signifie alors que le problème subsistera intégralement ; la seule stabilisation possible de la situation impliquerait alors d’une manière ou d’une autre le départ des Palestiniens, ce qui n’est ni juste, ni crédible : ils ne partent pas, et leur natalité est forte ; il y en a deux fois plus dans les zones concernées qu’il y a trente ans. Du point de vue de la guerre juste, dans cette deuxième hypothèse l’objectif de la guerre devient contestable ; en tout cas elle ne peut être qualifiée de guerre juste. Dit autrement, en supposant même que la conduite de la guerre soit acceptable, une opération aussi violente et brutale que l’intervention chirurgicale en cours sur Gaza ne peut être qualifiée de juste, que si, par un paradoxe apparent, elle s’accompagne au moment approprié d’une offre de paix crédible.

    Conclusion

    Naturellement, à nouveau, le déluge d’émotions contradictoires que suscitent ces conflits, surtout le dernier, est sans commune mesure avec les considérations précédentes. Mais cela n’enlève rien à celles-ci : c’est en regardant les réalités en face qu’on peut progresser. D’autant que l’utilisation abusive d’arguments moralisants par les divers camps en présence exige de prendre du recul. Plus que jamais, l’utilisation d’arguments moraux dans des conflits suppose une analyse lucide et attentive, en outre susceptible d’évoluer dans le temps. Le raisonnement prudentiel est une chose, la vengeance ou l’émotion incontrôlée une autre.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 4 décembre 2023)

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  • Le déclin de l'Occident est-il inéluctable ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Slobodan Despot à Anti|Thèse pour évoquer le déclin de l'Occident. Éditeur, directeur de la lettre hebdomadaire Antipresse, Slobodan Despot a publié deux romans, Le miel (Gallimard, 2014) et Le rayon bleu (Gallimard, 2017).

     

                                              

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  • Ukraine, Israël : l’explosion du vieux monde ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 11 novembre 2023 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Caroline Galactéros pour évoquer la stratégie dangereuse et mortifère de l'Occident dominé par les États-Unis...

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle préside Geopragma qui veut être le pôle français de géopolitique réaliste.

     

                                           

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  • La gouvernance par l’hystérie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas de Lamberterie, cueilli sur Breizh-Info et consacré à la succession frénétique dans la vie publique française de sujets clivants qui viennent hystériser le débat et empêchent d'aborder les questions de fond.

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    La gouvernance par l’hystérie (Israël, Karabagh, Abaya, Ukraine, Covid, Charlie, etc…)

    Appréhender le pays d’où l’on vient lorsqu’on n’y habite plus depuis plusieurs années présente un avantage et une faiblesse : la faiblesse, c’est que l’on est moins au fait de l’ambiance du moment et des réalités du quotidien ; l’avantage, c’est que l’on peut observer certains phénomènes avec distance et procéder à des comparaisons. J’observe désormais la France avec distance – en l’occurrence, depuis la Hongrie (qui, comme tout pays, a ses atouts et ses défauts ; parmi ses qualités : le fait d’être une société calme et sans problèmes chroniques de sécurité).

    La gouvernance par l’hystérie

    J’observe donc avec une acuité encore plus forte (du fait de la comparaison avec la Hongrie) un phénomène que j’appréhende depuis de nombreuses années, et que j’appelle la gouvernance par l’hystérie : une vie publique française rythmée par une succession de sujets clivants (avec un infernal tandem médias-politiques qui chauffe et entretient le sujet jusqu’à épuisement), systématiquement traités avec hystérie, et qui tournent en boucle dans les médias (en particulier sur les chaînes d’information en continu). Les sujets se succèdent frénétiquement, faisant disparaître le sujet précédent. Dieudo, Charlie, Gilets Jaunes, Covid, Ukraine, Abaya, Karabagh, Israël, et j’en oublie surement en route.

    Je parle volontairement de gouvernance par l’hystérie et non de gouvernement, car régulièrement il me semble que ce n’est pas le gouvernement (indépendamment de ce que l’on peut bien en penser) qui met en musique un sujet, mais le mainstream médiatique ou les réseaux sociaux (cela a notamment été le cas suite à la manifestation du Comité du 9 mai à Paris en 2023, qui a suscité plusieurs jours d’hystérie médiatique et a amené le gouvernement à se lancer dans une logique systématique et souvent illégale d’interdiction de rassemblements – y compris dans des lieux privés – de divers groupes de sensibilité identitaire).

    Dans certains cas, il y a des sujets qui clivent plus ou moins faussement deux opinions (exemple : l’abaya), et on organise de vrais-faux débats en évitant bien souvent les problèmes de fond (dans le cas de l’abaya : l’immigration de masse, mais aussi l’abyssal vide identitaire de la France – dont le président actuellement en exercice disait qu’il n’y existe pas de culture française, et qui n’a rien à offrir à une immigration dont l’afflux dans de telles proportions n’a au demeurant jamais été souhaitée ni demandée par les Français).

    Dans d’autres cas, une seule opinion est permise (Israël 2023, Ukraine, Covid), et on saute à pieds joints sur les rares qui sont assez fous (ou parfois calculateurs) pour évoquer une opinion contraire (ou simplement vaguement divergente). Les termes du « débat » sont posés de manière encore plus simple : on a le « choix » entre être inconditionnellement Charlie ou être partisan des assassins des rédacteurs dudit journal ; on a le « choix » entre être favorable inconditionnellement à un pays étranger (Ukraine, Israël), ou bien être partisan de terroristes ayant assassiné des civils et kidnappé des enfants, etc.. Et voilà que les hommes-soja ont soudainement des pulsions de tortionnaires, appelant à éborgner les Gilets Jaunes, à enfermer et torturer les non-vaccinés, ou à dégommer physiquement ceux qui ont un quelconque « Oui, mais » à proférer au sujet du conflit israélo-palestinien.

    Pour caricaturer et rire un peu, je dirais que lorsqu’il y a consensus, BFM et CNews disent la même chose, tandis que, lorsqu’il y a faux débat, BFM et Cnews se contredisent.

    Le masque de l’impuissance

    Ces hystéries successives sont surtout, je pense, le masque de l’impuissance et de la désunion.

    L’impuissance est évidente : nos économies sont exsangues, la France et les pays européens glissent rapidement vers le sous-développement. Tandis qu’il faut des années (voire des décennies) de procédures et de contre-procédures pour faire un rond-point et construire cinq kilomètres de route nationale pour contourner une petite ville en Alsace, dans le même temps, la Chine construit des centaines de kilomètres de TGV à travers des chaînes de montagnes.

    Faute de disposer des moyens (économiques, diplomatiques, militaires, scientifiques) d’agir sur les événements du monde, les pays européens et les institutions censément européennes pondent à tour de bras des résolutions (dois-je rappeler que le Parlement européen s’était indigné il y a quelques années de la situation des personnes LGBT en Ouganda ?), protestent, s’indignent, couinassent.

    Vendredi encore, à Strasbourg, l’opposition centriste (face à la mairie tenue par les Verts) s’émouvait que l’on ait retiré du fronton de la mairie les drapeaux d’Israël, de l’Ukraine et de l’Arménie. Voilà donc à quoi se résume le débat de l’impuissance : mettre ou non des drapeaux sur le fronton de la mairie, comme d’autres mettent des badges et des drapeaux sur leur photo de profil sur les réseaux sociaux. En clair, plus on est impuissant, plus on est hystérique.

    Le masque de la désunion

    Quant à la cohésion du pays, elle n’est plus qu’un souvenir lointain. Et pas que du fait de l’immigration de masse. En 2007, un auteur brillant et méconnu écrivait ceci : « Même s’ils le désiraient, les immigrés ne pourraient pas s’intégrer à une société elle-même désintégrée et qui se définit justement par son impossibilité à se définir. Face au souvenir fier de leurs origines, la modernité libérale ne sait proposer aux individus que le renoncement à toute mémoire collective pour les enfermer dans une solitaire obsession de soi. Face à l’angoissante solitude de l’individualiste noyé dans l’immensité sociale, le communautarisme s’impose donc de lui-même comme l’ultime cadre collectif encore opérant, et ce non seulement aux populations immigrées mais aussi à tous ceux qui sont habités de perpétuer une mémoire et une identité collective. »

    J’ajouterai, à une quinzaine d’années d’intervalle de cette pensée lumineuse, qu’il me semble que les populations issues de l’immigration ont, pour partie, réussi une synthèse entre, d’une part, le nihilisme et la décadence occidentale, et, d’autre part un souvenir exacerbé et totalement hors-sol d’une pseudo-identité islamique, dernier repère pour des générations de paumés ayant souvent grandi dans des familles monoparentales (ce qui serait le cas de 60% des émeutiers appréhendés lors de l’été 2023).

    Le terroriste de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 en est sans doute la synthèse parfaite : nous sommes censés être confrontés à un individu ayant agi au nom d’une croyance religieuse souvent considérée comme assez rigoriste. Peu de gens se souviennent que ce meurtrier, censé donc avoir agi au nom de l’Islam, avait un amant, qui était à l’époque un homme d’âge mûr (presque septuagénaire !). Bien que n’étant pas théologien, je crois pouvoir affirmer avec certitude que ce type de relations n’est pas permis par la religion au nom de laquelle cet individu aurait agi (j’invite tous ceux qui veulent en savoir davantage à prendre connaissance du perturbant témoignage de l’amant du terroriste de Nice).

    Autre symbole de désunion assez frappant : les récentes manifestations pro-Israël n’ont quasiment rassemblé que des juifs (d’après Sarah Saldmann, pas beaucoup de « goys » à la manif), tandis que les manifestations pro-Palestine n’ont quasiment rassemblé que des gens issus de l’immigration musulmane. Le peu d’implication des Français de souche dans ces rassemblements me fait penser à la question amusante posée par le chroniqueur iconoclaste Modeste Schwartz : « Palestine : combien de téléspectateurs pris en otage ? »

    Même si peu de Français de souche se sentent réellement concernés par certains des sujets qui leur sont déversés avec frénésie, ils ne semblent malgré tout plus disposer des outils et de l’élan vital nécessaires pour renverser la table. Le mouvement des Gilets Jaunes, précédé par celui des Bonnets rouges, était assurément rempli d’admirables et sérieuses intentions, mais a hélas été écrasé dans la violence – le tout, dans une indifférence hélas assez générale.

    Pourquoi je préfère refuser les deux minutes de la haine du moment

    Dans le célèbre roman de George Orwell, 1984, chaque jour, les gens sont rassemblés collectivement devant un écran pour « les deux minutes de la haine » : on leur montre le visage de l’ennemi Emmanuel Goldstein (qui en fait n’existe même pas), et, durant deux minutes, la foule se met à hurler et à devenir folle à la simple vue de son visage.

    Aujourd’hui, c’est LFI qui est provisoirement soumise, au sujet du conflit israélo-palestinien, à une vindicte politico-médiatique allant, pour certaines personnalités publiques, jusqu’à appeller à la violence physique à leur endroit. Étant donné que ces gens n’ont jamais manqué d’appeler à la censure (voire au recours à la violence) contre leurs adversaires idéologiques, je ne verserai certes pas la moindre larme de crocodile pour eux (par ailleurs, il est assez évident que ce positionnement leur est avant tout dicté par la volonté de garder leur crédit auprès de leur électorat immigré).

    Je m’épargnerai toutefois de hurler avec la meute, d’une part parce que le mainstream n’a pas besoin de moi pour ce faire, d’autre part parce que ces gens ne sont pas (autant que je sache) aux affaires, et surtout parce que cela ne ferait que (modestement) contribuer à l’idée qu’il est normal de criminaliser hystériquement toute idée divergente. Dès demain, cette hystérie à laquelle on habitue les masses se retournera contre des valeurs auxquelles je crois.

    On remarquera aussi, et la France est à ce titre particulièrement concernée, que ces moments ridicules de délire collectif comblent chaotiquement l’indépassable besoin de religieux. Cela s’est particulièrement vu durant la période Covid, où tout d’un coup des légions de paumés postmodernes se sont soudainement sentis investis de la mission divine de sauver des vies (par exemple en dénonçant leurs voisins qui se réunissaient, ou en brimant les récalcitrants qui portaient leur niqab facial unisexe sous le nez), tout comme d’autres se couchent à plat ventre sur des routes pour empêcher la circulation des automobiles et ainsi sauver le climat et l’humanité.

    Dans les pays de l’Est de l’Europe et du monde post-soviétique, les mesures Covid ont été globalement les mêmes que dans la France de Macron. Et pourtant, elles étaient moins (voire très peu) appliquées dans la vie quotidienne. En effet, ces sociétés se trouvant dans un état de dissolution moins avancées, assez rapidement, la vie et le bon sens (ainsi que la nécessité de travailler pour survivre, en l’absence d’État-providence) ont repris le dessus, les populations évitant aussi bien d’appliquer des mesures absurdes que de se lancer dans un affrontement (considéré sans espoir raisonnable de succès) avec les autorités émettant lesdites mesures absurdes.

    Faute de mieux, il est préférable, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Yann Vallerie, de se positionner en sécession (au moins mentale) sur les sujets qui ne nous concernent pas directement. Et également faire (au moins provisoirement) sécession de la masse lorsqu’elle entre en fusion durant ces minutes de la haine qui lui sont déversées par les ondes et les écrans.

    Mais si, face à la folie et à l’intégrisme, il est sans doute sain de faire sécession, il faut aussi essayer de se prémunir du risque de générer une contre-folie ou un contre-intégrisme.

    Les dangers de l’anti-tout et de la « dissidence de la dissidence »

    En complément de ces considérations, j’aimerais évoquer brièvement ce que j’estime être les dangers de l’anti-tout et de l’anti-anti-tout (qu’on pourrait aussi appeler la dissidence de la dissidence).

    L’anti-tout, pour faire simple, concerne les gens qui sont à juste titre en dissidence à l’endroit d’un système politique qui ne les représente plus, les appauvrit, les avilit, les humilie. Mais qui ont le réflexe instinctif de renverser à 180° toutes les affirmations de la propagande déversée sur à peu près tous les sujets. Voici comment je pourrais formuler caricaturalement la chose : « Si LCI dit à longueur de journée que Vladimir Poutine est le Diable, alors je vais investir le personnage de Poutine de toutes les qualités que j’aimerais voir incarnées dans le chef d’État idéal qu’il faudrait à mon pays, bien que je n’aie jamais mis les pieds dans son pays et que je ne parle pas dix mots de sa langue ».

    Les réseaux sociaux ont ceci de dangereux qu’ils enferment très facilement une personne dans ses opinions, pour la faire tourner en boucle dans ce cercle restreint. Si vous vous abonnez uniquement à des pages qui relaient un message correspondant à votre vision du monde, vous allez rapidement vous enfermer dans une pensée unique (fût-elle en dissidence de la pensée dominante).

    Quand on a quelques convictions, on n’a a priori pas vocation à considérer que toutes les idées se valent. Mais le dialogue et la confrontation courtoise avec d’autres points de vue ne devraient pas pour autant cesser, ne serait-ce que pour garder la capacité d’appréhender le réel, même lorsqu’il s’agit d’une réalité à laquelle on veut légitimement échapper.

    Faire sécession, rejeter la folie et l’hystérie, c’est aussi (même quand c’est difficile) essayer de ne pas sombrer dans la contre-hystérie, comme cela a pu s’observer par exemple chez des personnes en souffrance qui étaient en légitime rupture avec la folie des mesures Covid.

    D’autant que cela peut donner un prétexte à certains, censés en principe naviguer dans les eaux troubles mais salutaires de la « dissidence », de changer de cap ou de filer à l’anglaise plus ou moins dignement.

    Tout comme les bourgeois versaillais rechignent à voter RN parce qu’ils ne veulent pas se salir les mains en tenant le même bulletin de vote que les prolos de Hénin-Beaumont, certains dissidents de salon s’efforcent de prendre puis de garder leurs distances (gestes barrière !) avec une opposition qu’ils trouvent soudainement excessive et inacceptable, bien qu’au fond d’eux ils en partagent bon an, mal an, les opinions.

    Que mon propos soit clair : chacun a le droit de changer d’avis avec le temps, ou de stratégie (ou les deux, étant donné que les deux choses sont souvent liées). Je n’attends pas que chacun partage exactement mes priorités du moment, ce serait là une grave erreur et un enfermement terrible (j’ai souvent des échanges animés avec des amis dont les vues diffèrent des miennes, ce qui constitue toujours pour moi une grande source d’enrichissement, de compréhension, et même de corrections de certaines de mes erreurs).

    Pour conclure cette tribune, je voudrais citer l’avant-propos de Mario Fantini, rédacteur en chef de The European Conservative, qui a cru nécessaire de se justifier d’avoir osé faire un entretien avec le député néerlandais Thierry Baudet (autrefois véritable Golden Boy des milieux conservateurs, et désormais assez largement pestiféré par ces mêmes milieux depuis que Baudet s’est opposé radicalement à toutes les mesures de type Covid et Great Reset à partir de 2020), et l’a fait avec des propos d’une grande justesse (mes seules réserves personnelles ayant trait à l’usage des mots « gauche » et « droite ») :

    « La politique, disait Bismarck, est l’art du possible. Mais lorsque nous avons tout perdu et que nous ne sommes autorisés à nous exprimer que dans le petit espace alloué par le courant dominant, il est temps pour la droite de se regrouper et de repenser ses tactiques. Quoi que nous ayons fait au cours des dernières décennies, cela n’a tout simplement pas fonctionné. Serait-ce parce que les conservateurs sont, en fait, plus soucieux d’être acceptés par l’establishment dominant – c’est-à-dire par nos ennemis – que de construire une large coalition pour lui résister ?

    La gauche ne désavoue jamais ses propres radicaux ou leurs idées ; au contraire, elle tente d’intégrer ces idées radicales, précisément parce qu’elle est consciente que les radicaux sont ses troupes de choc les plus efficaces et les plus puissantes. En revanche, les conservateurs repoussent systématiquement tous ceux qui se trouvent à leur droite. Mais pourquoi la peur d’être dénoncés par leurs opposants – y compris les médias grand public – est-elle si répandue chez les conservateurs ? »

    Nicolas de Lamberterie (Breizh-Info, 17 octobre 2023)

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  • Ukraine : l'été s'annonce tragique...

    Pour sa nouvelle émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit la journaliste Anne-Laure Bonnel pour évoquer avec elle la guerre russo-ukrainienne .

    Grand reporter, Anne-Laure Bonnel a réalisé depuis 2015 de nombreux reportages de terrain pour couvrir le conflit du Donbass.

     

                                              

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  • Ukraine et Russie : naissance de nations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à une des conséquences de la guerre à l'est : la naissance  de deux nations définitivement séparées, l'Ukraine et la Russie. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    Ukraine et Russie : naissance de nations

    Les événements d’Ukraine mettent en évidence une fois de plus une conséquence inattendue ou peu soulignée des conflits majeurs à l’époque moderne : la redéfinition ou même la définition d’un fait national.

    Dans les systèmes politiques traditionnels ou dans les empires, le fait national n’est pas vital pour la définition du régime politique, même s’il y est plus ou moins latent. En revanche, lorsque ces systèmes évoluent dans un sens plus ‘démocratique’ il devient un enjeu important. On en a eu un exemple spectaculaire en Yougoslavie, où le système titiste, qui restait une autocratie communiste, reconnaissait certes la diversité des peuples composant le pays, mais ce n’était pas ce qui formait la base du régime. Quand il a éclaté, non seulement les différentes composantes ont pris leur indépendance, mais le rôle désormais stratégique du facteur national a conduit à des opérations souvent cruelles de séparation, les minorités ethniques qui cohabitaient auparavant avec la majorité locale étant sommées de partir ou de se soumettre : c’est ce qu’on a appelé non sans un certain cynisme le nettoyage ethnique. Il s’est d’ailleurs fait surtout au détriment des Serbes – dont les propres essais de « nettoyage » en Bosnie ont scandalisé à juste titre, mais plus que les mouvements en sens inverse, pourtant tout aussi réels.

    Dans d’autres cas, la situation était beaucoup plus floue et indéterminée. Les modalités de dissolution de l’ex-URSS ont été dans un premier temps non-violentes. Mais ce qui paraît sous cet angle a priori préférable a aussi pour conséquence de laisser l’indétermination durer plus longtemps. D’un côté, la Russie restait dans une position floue entre l’héritage de l’empire, soviétique et auparavant tsariste, et un avenir possible de nation comme les autres, à base ethnoculturelle sinon homogène, du moins à identité dominante claire. D’un autre côté, l’Ukraine restait dans un entre-deux, s’étalant d’un Ouest de tradition occidentale mais minoritaire et partisan d’une nationalisme purement ukrainien, à un Est s’identifiant comme ethniquement russe, et avec un grand centre entre les deux, plutôt ukrainien dans sa perception de soi, mais dont la culture était largement russe et qui utilisait plus le russe que l’ukrainien dans la plupart de ses manifestations publiques : c’était d’ailleurs le cas du Pdt Zelenski, russophone pour l’essentiel avant les événements récents, notamment dans sa carrière ‘artistique’.

    Certes, on avait eu auparavant des signes réguliers dans l’histoire de la présence d’éléments nationaux ukrainiens : la langue, la spécificité culturelle et sociologique, des révoltes, la réaction à des persécutions russes comme sous Staline, ou les événements ambigus de la seconde guerre mondiale. Mais d’une part, pendant le gros de l’histoire (hors extrême Ouest), le pays était inclus dans l’empire russe ou l’URSS ; et d’autre part la culture était très largement imprégnée de Russie. La littérature était bien plus russe qu’ukrainienne. De nombreux Ukrainiens ont fait tranquillement carrière dans l’empire, tsariste ou soviétique ; et nombreux sont les gens qui en Russie ont une ascendance ou une famille ukrainienne.

    Nous n’allons pas évoquer ici les causes et modalités du conflit en cours : mais souligner sa conséquence la plus directe : le précipité national en Ukraine, au sens chimique du terme. Quelle que soit l’issue militaire du conflit, du moins parmi les hypothèses plausibles, on aura au bout du compte l’équivalent du ‘nettoyage ethnique’ à la yougoslave : une partie restera à la Russie et sera russe ; et une autre partie, majoritaire, sera ukrainienne et seulement cela.

    D’où ce paradoxe apparent : l’action de V. Poutine aura été, très involontairement, une contribution majeure à la constitution d’une nation ukrainienne à identité tranchée, largement épurée de toute influence russe. Il est en effet d’ores et déjà pratiquement acquis que, quelles que soit les péripéties, on aura une nation ukrainienne qui non seulement ne parlera qu’ukrainien et ne se sentira que telle, percevant probablement sa personnalité comme occidentale, mais aura éradiqué autant que possible de sa mémoire les éléments russes. Concrètement, on n’étudiera plus le russe dans les écoles que comme langue étrangère et si on lit de la littérature, ce sera en ukrainien ou par des traductions d’œuvres occidentales. Un bouleversement profond, qui évoque par certains côtés la rupture organisée par Atatürk par rapport à la culture ottomane, dans la même volonté d’affirmation d’un nationalisme nouveau. Et donc ce qui se passe sous nos yeux est en un sens le processus d’émergence d’une nation en train de se constituer comme telle, du moins dans la présentation consciente qu’elle aura d’elle-même, y compris ce qu’on appelle par ailleurs son « roman national ».

    Après tout, dans un autre contexte, le geste d’Hitler annexant une Autriche dont l’identité nationale était rien moins qu’assurée, a abouti lui aussi en dernière analyse à cristalliser une identité nationale autrichienne distincte de l’allemande, qui n’était nullement évidente avant 1918. Seule différence, importante : l’Autriche reste germanophone et sa culture reste largement commune avec l’allemande.

    Bien sûr, ce résultat ne sera pas uniquement le fait des décisions de V. Poutine, tant s’en faut : le rôle du côté ukrainien aura évidemment été décisif aussi, notamment avec Maidan et depuis. Mais sans les gestes radicaux du dirigeant russe, le précipité national ukrainien serait sans doute resté plus limité et plus ambigu. Si donc la Russie pourra peut-être récupérer des tranches appréciables de territoires sur la base de ceux actuellement occupés et les assimiler, d’une part cela restera quelque peu en deçà de la zone antérieurement plutôt russophone (Odessa en est un bon exemple), et d’autre part elle perdra ce faisant l’âme de tout le reste, qui lui sera devenu étranger et orienté vers l’Ouest. Indépendamment donc de toute considération morale ou normative ainsi que de la dimension internationale, on peut donc s’interroger sur le résultat local du point de vue russe : il n’est pas évident qu’au final tout cela ait été une très bonne opération pour la Russie, dans la perspective qui était la sienne.

    Cela dit, du point de vue du fait national, on peut prendre une autre approche : contrairement à ce que pensent une majorité d’observateurs, non seulement ce sera à terme une étape dans l’émergence d’une nation ukrainienne aux contours tranchés, mais cela peut éventuellement conduire à un fait analogue pour la Russie elle-même, devenant plus nettement nationale russe, et moins impériale au sens propre du terme. D’autant plus que l’empire dépasse manifestement ses moyens. Ce qui ne veut pas dire un pays sans ambition de puissance, ou devenant secondaire sur la scène internationale ; mais ce sera alors d’une façon différente du passé. Américains et Chinois par exemple ont sous différentes formes une volonté de puissance claire, mais les deux pays sont fondés sur une nation relativement homogène, du moins dans sa grande majorité, et ne visent pas la construction d’un véritable empire pluriethnique au-delà de leurs frontières. L’empire russe puis l’URSS étaient eux clairement et massivement pluriethniques et assumés comme tels, même s’ils était construits autour du peuple russe. On peut imaginer qu’une fois intégrée la déchirure en cours, ce sera beaucoup moins le cas à l’avenir de la Russie, quel que soit son régime.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 5 juin 2023)

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