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  • Ukraine : l'été s'annonce tragique...

    Pour sa nouvelle émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit la journaliste Anne-Laure Bonnel pour évoquer avec elle la guerre russo-ukrainienne .

    Grand reporter, Anne-Laure Bonnel a réalisé depuis 2015 de nombreux reportages de terrain pour couvrir le conflit du Donbass.

     

                                              

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  • Ukraine et Russie : naissance de nations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à une des conséquences de la guerre à l'est : la naissance  de deux nations définitivement séparées, l'Ukraine et la Russie. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    Ukraine et Russie : naissance de nations

    Les événements d’Ukraine mettent en évidence une fois de plus une conséquence inattendue ou peu soulignée des conflits majeurs à l’époque moderne : la redéfinition ou même la définition d’un fait national.

    Dans les systèmes politiques traditionnels ou dans les empires, le fait national n’est pas vital pour la définition du régime politique, même s’il y est plus ou moins latent. En revanche, lorsque ces systèmes évoluent dans un sens plus ‘démocratique’ il devient un enjeu important. On en a eu un exemple spectaculaire en Yougoslavie, où le système titiste, qui restait une autocratie communiste, reconnaissait certes la diversité des peuples composant le pays, mais ce n’était pas ce qui formait la base du régime. Quand il a éclaté, non seulement les différentes composantes ont pris leur indépendance, mais le rôle désormais stratégique du facteur national a conduit à des opérations souvent cruelles de séparation, les minorités ethniques qui cohabitaient auparavant avec la majorité locale étant sommées de partir ou de se soumettre : c’est ce qu’on a appelé non sans un certain cynisme le nettoyage ethnique. Il s’est d’ailleurs fait surtout au détriment des Serbes – dont les propres essais de « nettoyage » en Bosnie ont scandalisé à juste titre, mais plus que les mouvements en sens inverse, pourtant tout aussi réels.

    Dans d’autres cas, la situation était beaucoup plus floue et indéterminée. Les modalités de dissolution de l’ex-URSS ont été dans un premier temps non-violentes. Mais ce qui paraît sous cet angle a priori préférable a aussi pour conséquence de laisser l’indétermination durer plus longtemps. D’un côté, la Russie restait dans une position floue entre l’héritage de l’empire, soviétique et auparavant tsariste, et un avenir possible de nation comme les autres, à base ethnoculturelle sinon homogène, du moins à identité dominante claire. D’un autre côté, l’Ukraine restait dans un entre-deux, s’étalant d’un Ouest de tradition occidentale mais minoritaire et partisan d’une nationalisme purement ukrainien, à un Est s’identifiant comme ethniquement russe, et avec un grand centre entre les deux, plutôt ukrainien dans sa perception de soi, mais dont la culture était largement russe et qui utilisait plus le russe que l’ukrainien dans la plupart de ses manifestations publiques : c’était d’ailleurs le cas du Pdt Zelenski, russophone pour l’essentiel avant les événements récents, notamment dans sa carrière ‘artistique’.

    Certes, on avait eu auparavant des signes réguliers dans l’histoire de la présence d’éléments nationaux ukrainiens : la langue, la spécificité culturelle et sociologique, des révoltes, la réaction à des persécutions russes comme sous Staline, ou les événements ambigus de la seconde guerre mondiale. Mais d’une part, pendant le gros de l’histoire (hors extrême Ouest), le pays était inclus dans l’empire russe ou l’URSS ; et d’autre part la culture était très largement imprégnée de Russie. La littérature était bien plus russe qu’ukrainienne. De nombreux Ukrainiens ont fait tranquillement carrière dans l’empire, tsariste ou soviétique ; et nombreux sont les gens qui en Russie ont une ascendance ou une famille ukrainienne.

    Nous n’allons pas évoquer ici les causes et modalités du conflit en cours : mais souligner sa conséquence la plus directe : le précipité national en Ukraine, au sens chimique du terme. Quelle que soit l’issue militaire du conflit, du moins parmi les hypothèses plausibles, on aura au bout du compte l’équivalent du ‘nettoyage ethnique’ à la yougoslave : une partie restera à la Russie et sera russe ; et une autre partie, majoritaire, sera ukrainienne et seulement cela.

    D’où ce paradoxe apparent : l’action de V. Poutine aura été, très involontairement, une contribution majeure à la constitution d’une nation ukrainienne à identité tranchée, largement épurée de toute influence russe. Il est en effet d’ores et déjà pratiquement acquis que, quelles que soit les péripéties, on aura une nation ukrainienne qui non seulement ne parlera qu’ukrainien et ne se sentira que telle, percevant probablement sa personnalité comme occidentale, mais aura éradiqué autant que possible de sa mémoire les éléments russes. Concrètement, on n’étudiera plus le russe dans les écoles que comme langue étrangère et si on lit de la littérature, ce sera en ukrainien ou par des traductions d’œuvres occidentales. Un bouleversement profond, qui évoque par certains côtés la rupture organisée par Atatürk par rapport à la culture ottomane, dans la même volonté d’affirmation d’un nationalisme nouveau. Et donc ce qui se passe sous nos yeux est en un sens le processus d’émergence d’une nation en train de se constituer comme telle, du moins dans la présentation consciente qu’elle aura d’elle-même, y compris ce qu’on appelle par ailleurs son « roman national ».

    Après tout, dans un autre contexte, le geste d’Hitler annexant une Autriche dont l’identité nationale était rien moins qu’assurée, a abouti lui aussi en dernière analyse à cristalliser une identité nationale autrichienne distincte de l’allemande, qui n’était nullement évidente avant 1918. Seule différence, importante : l’Autriche reste germanophone et sa culture reste largement commune avec l’allemande.

    Bien sûr, ce résultat ne sera pas uniquement le fait des décisions de V. Poutine, tant s’en faut : le rôle du côté ukrainien aura évidemment été décisif aussi, notamment avec Maidan et depuis. Mais sans les gestes radicaux du dirigeant russe, le précipité national ukrainien serait sans doute resté plus limité et plus ambigu. Si donc la Russie pourra peut-être récupérer des tranches appréciables de territoires sur la base de ceux actuellement occupés et les assimiler, d’une part cela restera quelque peu en deçà de la zone antérieurement plutôt russophone (Odessa en est un bon exemple), et d’autre part elle perdra ce faisant l’âme de tout le reste, qui lui sera devenu étranger et orienté vers l’Ouest. Indépendamment donc de toute considération morale ou normative ainsi que de la dimension internationale, on peut donc s’interroger sur le résultat local du point de vue russe : il n’est pas évident qu’au final tout cela ait été une très bonne opération pour la Russie, dans la perspective qui était la sienne.

    Cela dit, du point de vue du fait national, on peut prendre une autre approche : contrairement à ce que pensent une majorité d’observateurs, non seulement ce sera à terme une étape dans l’émergence d’une nation ukrainienne aux contours tranchés, mais cela peut éventuellement conduire à un fait analogue pour la Russie elle-même, devenant plus nettement nationale russe, et moins impériale au sens propre du terme. D’autant plus que l’empire dépasse manifestement ses moyens. Ce qui ne veut pas dire un pays sans ambition de puissance, ou devenant secondaire sur la scène internationale ; mais ce sera alors d’une façon différente du passé. Américains et Chinois par exemple ont sous différentes formes une volonté de puissance claire, mais les deux pays sont fondés sur une nation relativement homogène, du moins dans sa grande majorité, et ne visent pas la construction d’un véritable empire pluriethnique au-delà de leurs frontières. L’empire russe puis l’URSS étaient eux clairement et massivement pluriethniques et assumés comme tels, même s’ils était construits autour du peuple russe. On peut imaginer qu’une fois intégrée la déchirure en cours, ce sera beaucoup moins le cas à l’avenir de la Russie, quel que soit son régime.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 5 juin 2023)

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  • Non à la guerre !

    Nous vous signalons la parution récente du numéro 95 (équinoxe de printemps) de la revue Terre & Peuple, dirigée par Pierre Vial, dont le dossier est consacré à cette guerre contre la Russie qu'une certaine oligarchie occidentale aimerait voir se déclencher...

    Vous pouvez commander cette revue sur le site de Terre & Peuple.

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    Au sommaire du dossier :

    non à la guerre ! , par Robert Dragan

    Demain, la troisième guerre mondiale ? , par Alain Cagnat

    La guerre, côté ukrainien, par Alain Cagnat

    La guerre, côté russe , par Alain Cagnat

    Russie : défense territoriale ou "vue du monde", par Robert Dragan

    Homo sovieticus en guerre, par Georges Feltin-Tracol
    La guerre hybride contre les peuples, par Robert Dragan
    Russie : défense territoriale ou "vue du monde", par Jean-Patrick Arteault
    Réflexions sur la politique, l'état, la guerre, par Jean-Patrick Arteault
    Vers la "dédollarisation" ? , par Robert Dragan
    Une guerre contre l'Europe, par Roberto Fiorini
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  • L'impasse ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré à l'impasse de la guerre en Ukraine.

    Jean-Philippe Immarigeon est avocat, docteur en droit public, essayiste et historien, il collabore à la Revue Défense Nationale depuis 2001, a publié de nombreux articles et plusieurs essais dont American parano et L’imposture américaine (Bourin, 2006 et 2009), La diagonale de la défaite (Bourin, 2010), et Pour en finir avec la Françamérique (Ellipses, 2012).

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    L'impasse ukrainienne

    Faut-il que l’Ukraine gagne sa guerre contre la Russie ? Cette question peut sembler incongrue, elle est pourtant posée par de nombreux analystes en France, en Asie et même aux États-Unis. On peut ainsi citer un long article publié et mis en ligne récemment par le magazine Harper’s, « Why are we in Ukraine ? » [1].

    Tous tournent autour de l’impasse où les pays de l’OTAN s’engluent aussi sûrement que dans la raspoutiza, que la contre-offensive ukrainienne échoue ou qu’elle réussisse. C’est une sortie diplomatique indépendante du facteur militaire qui est envisagée, c’est ce qu’on obtient également comme réponse lorsqu’on interroge ChatGPT – qui, sauf à être programmé par le FSB sur le narratif russe, est une synthèse de tout ce qui est publié : « Même si une victoire militaire est possible, la solution à la crise en Ukraine ne peut être que politique et doit être basée sur la volonté de toutes les parties concernées de travailler ensemble pour trouver un compromis mutuellement acceptable et respectueux des droits et des intérêts de toutes les parties. »

    Purgeons d’emblée la question : il y a un agresseur, la Russie, et il est vain de se lancer dans une rétrodiction stérile et d’invoquer, comme on dit en droit pénal, une excuse de provocation. Toutes les analyses sérieuses y consacrent pourtant de longs développements au risque de prêter le flanc à des accusations incongrues prétendant éluder tout débat. Sacrifions-y à notre tour et à ce risque, pour rappeler que les Russes avaient prévenu et motivé leur projet, qu’ils ont fait ce qu’ils avaient annoncé, et qu’il n’y avait rien de moins surprenant ni de moins inattendu que cette agression.

    Drang nach Osten

    Il a été sassé et ressassé que la Russie se cabre, depuis la disparition de l’URSS, à chaque avancée de l’OTAN vers ses frontières ; que ni l’Organisation ni les États-Unis n’ont tenu leurs promesses répétées de n’en rien faire ; que cette avancée a été dénoncée comme une faute majeure par les plus brillants stratégistes américains, dont Henry Kissinger ; que la France et l’Allemagne ont elles-mêmes longtemps mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine, mais qu’elles ont capitulé lorsque, le 10 novembre 2021, Kiev et Washington ont signé un accord de partenariat ; que Lavrov a proposé le 17 décembre 2021 la tenue d’une conférence sur la sécurité en Europe et deux drafts de négociation, et qu’on l’a envoyé promener ; qu’en conséquence, lors d’une réunion tenue au Kremlin le 21 décembre 2021 et dont la teneur est toujours en ligne sur son site, Poutine a annoncé la suite, et qu’on l’a laissé faire deux mois durant alors que les troupes russes se massaient sur le Don et en Biélorussie.

    Certes on peut, après avoir dénoncé ces dernières décennies l’erreur qui consiste à ne pas tenter de se mettre dans la peau de l’adversaire, s’étonner que les Russes se sentent agressés, qu’ils abordent l’OTAN comme une machine de guerre et non une aimable ONG à but humanitaire, ou qu’ils refusent de voir que les États-Unis sont la puissance du Bien (À Global Force for Good, pour citer un petit clip de l’US Navy). Mais l’article de Harper’s rappelle fort à propos que depuis le Kosovo, la Libye ou la Syrie, notre discours n’est plus crédible. Et ce n’est pas ce que les communistes nommaient dans les années 1950 le revanchisme allemand, qui exsude depuis 18 mois de chacune des interventions de Mme von der Leyen au nom de l’UE, qui est susceptible de les faire changer d’avis. Qu’ils se méprennent sur nos intentions ou qu’ils cèdent au discours de propagande du Kremlin, c’est un fait et ça n’a rien à voir avec un sentiment d’humiliation. La stratégie commence alors par le choix des mots, et il faut prendre les Russes dans les rets de leur propre discours.

    Relire Staline

    La stratégie, ça reste également de la géographie, même à l’heure des espaces fluides, et la géographie c’est savoir lire une carte. On considère que la Russie est un pays à l’échelle d’un continent, mais ça, c’est pour les panneaux Vidal-Lablache accrochés aux classes de notre enfance. C’est une erreur de perspective de lui prêter une profondeur stratégique allant jusqu’à l’Oural et même au-delà, car la ligne ultime de repli n’a pas changé depuis 1812 ou 1941, elle est tracée par la diagonale Saint-Pétersbourg – Smolensk – Voronej – Rostov. Au-delà, la Russie n’existe plus comme puissance.

    C’est cette ligne que trace Staline fin juillet 1942, au lendemain de la chute de Rostov et de la poussée de Manstein vers la Volga et le Caucase, en signant le fameux Ordre n° 227, celui du slogan Plus un pas en arrière qu’a repris Poutine. Cette formule n’est pas un sursaut de vanité, mais une nécessité, et ce texte est un des rares qui décrit sur le moment la situation périlleuse dans laquelle se trouvent à cette date les Alliés sur le Don, dans l’Atlantique, aux portes du Caire ou dans le Pacifique. S’il est impossible de reculer davantage, motive la Stavka, c’est que non seulement nous sommes à un point de rupture au-delà duquel même l’industrie américaine ne pourra rattraper la situation, mais qu’en termes de territoire, c’est la Russie utile qui va disparaître.

    Si l’OTAN, déjà dans les États baltes, demain en Finlande, avance de nouveau après-demain dans le Donbass puis en Biélorussie, cette ligne de repli ultime devient une ligne de front, mettant Saint-Pétersbourg et Volgograd (Leningrad et Stalingrad) à une minute des missiles occidentaux. Le Don ne sera plus ce paisible fleuve intérieur de la littérature et du cinéma russes, mais une coupure d’eau qui marquera la frontière militaire. Or une des grandes obsessions des Russes depuis le XVIIIe siècle est d’avoir des marches stratégiques, de l’espace en-avant – en-arrière ne leur sert à pas grand-chose – indépendamment de l’annexion de territoires, et c’est aussi à cela que servait le Pacte de Varsovie : les perdre serait revenir trois siècles en arrière. Poutine ou pas, ils ne l’accepteront pas, et à leur place nous ne l’accepterions pas. Ne pas le comprendre et même le refuser, c’est prendre notre billet pour dix, vingt, trente ans de guerre. Or plutôt que de tenter d’anticiper la suite, l’après-défaite ou l’après-victoire, plutôt que de définir ce que seraient les conditions d’une victoire et raisonner stratégiquement, nous nous sommes laissés entrainer dans un délire eschatologique par incapacité voire refus de penser cette guerre.

    Le degré zéro de la pensée stratégique

    La guerre d’Ukraine est en ce sens le premier conflit du XXIe siècle, non pas parce que, anticipé comme un cyber-conflit, il se résout en rattenkrieg dans des caves inondées et des faubourgs en ruine, mais parce qu’il a pris la forme d’un conflit civilisationnel, les deux camps s’invectivant dans d’hystériques outrances. À la résurgence de la vieille antienne anti-occidentale de préservation d’une identité slave et au retour de la censure brejnévienne, répondent l’interdiction de solistes ou de sportifs, l’autodafé d’ouvrages coupables d’être les agents propagateurs de visées impériales – malheureux Pouchkine, pauvre Gogol ! – et l’accusation de vouloir détruire la liberté et la démocratie. Mais prêter à Poutine, qui cherche aujourd’hui son armée comme Soubise une lanterne à la main, et à ses généraux la folie d’avoir voulu conquérir et occuper un pays de 40 millions d’habitants avec 200 fois moins de soldats, et au-delà ses voisins jusqu’à la Place de la Concorde comme on s’en inquiète aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés, relève d’un ridicule dont on en est certain qu’il ne tuera jamais personne. Les gens du Kremlin sont assurément des fous furieux, certainement pas des débiles [2].

    C’est d’ailleurs étrangement cette absence de perspective d’une guerre de haute intensité qu’on lit dans la Loi de Programmation Militaire discutée actuellement au Parlement. On aurait pu parier à l’avance que, quelque soient le conflit, le lieu et les protagonistes, on nous resservirait le prêt-à-réchauffer d’un nouvel âge de la guerre avec du cyber, du spatial, et le concept fourre-tout d’hybridation. Loin de tirer une quelconque leçon tant de l’échec de Barkhane que du retex du Donbass, le texte ne sert qu’à justifier les choix de ces dernières années et l’apriorisme d’une conflictualité très hollywoodienne, réduisant le nombre de nos avions, de nos blindés et de nos frégates, de ce matériel que Kiev nous réclame à cor et à cri parce que la guerre, ça reste encore et pour longtemps une affaire d’avions, de blindés et de corps-à-corps, pas de drones ni de numérisation.

    De Munich à Munich

    La France est en outre à côté de la plaque par incapacité à prendre parti et à choisir le seul camp envisageable : le sien. Elle surjoue la solidarité atlantiste, faisant passer les revendications de tel de ses partenaires et les caprices de tel autre avant ses propres intérêts stratégiques [3]. Et après avoir défendu sa singularité d’autre puissance nucléaire européenne – que lui rappela Poutine quinze jours avant l’agression –, donc d’arbitre ultime en cas de montée aux extrêmes, elle l’a abdiquée lors de la réunion de février 2023 à Munich, une ville et un nom qui ne nous portent décidément pas chance.

    Mais quel intérêt avons-nous à cautionner la marche de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Moscovie ? Quel avenir la perspective d’une guerre pérenne réserve-t-il à la France, interlocuteur de la Russie depuis Tilsitt ? L’article de Harper’s susmentionné s’étonne que notre vieille nation millénaire assiste sans réagir et même accompagne le détricotage de décennies d’efforts diplomatiques et commerciaux, elle qui devrait parler en son nom et d’égale à égale avec la Russie plutôt que de servir de go-between – rôle qui, par absence de positionnement clair, a fini par lui échapper, puisqu’après avoir affirmé qu’elle ne laisserait ni la Turquie ni la Chine jouer ce rôle, elle vient de supplier cette dernière d’en endosser la tunique.

    L’article de Harper’s va même plus loin : comme dans cette scène d’un western de Sergio Leone où le héros explique à son acolyte qu’il y a d’un côté ceux qui ont un pistolet chargé et de l’autre ceux qui creusent, c’est à la France de négocier par-dessus ses partenaires européens sans mésuser de leur souveraineté qui, en l’absence de l’arme nucléaire, est très relative, comme l’est par exemple celle du Canada [4]. D’aucuns se récrieront puisqu’ils ne savent que crier, mais sans nous expliquer comment reprendre aux Russes leur victoire autrement qu’en précipitant l’Europe dans une nouvelle conflagration.

    Borodino

    Car si les hostilités cessaient maintenant, les Russes auraient gagné, à un prix humain, matériel et économique certes considérable – Poutine remplacera Pyrrhus dans le langage populaire – mais assumé. Car contrairement à nos analystes qui s’épuisent depuis plus d’un an à comptabiliser les morts et les chars pulvérisés, ils ne confondent pas tactique et stratégique. Lorsqu’à la fin des défilés sur la Place Rouge, l’orchestre s’avance vers la tribune pour entonner a capella un chant de la Seconde Guerre vantant, dans le refrain, l’esprit de Borodino de 1812, c’est que, victoire tactique pour nous, ce fut pour eux une victoire stratégique. Et en 2023, à défaut d’avoir réussi à s’avancer jusque tout le long du Dniepr du fait de leur échec à prendre Kharkov, ils ont tout de même atteint l’essentiel de leurs objectifs : sécurisation de la mer d’Azov, éloignement de la ligne de front du Don, rebond en avant en Biélorussie renucléarisée et sanctuarisation de l’oblast de Kaliningrad lui aussi nucléarisé, ce poignard au cœur de la Hanse, de la Baltique et de l’UE.

    Les Polonais sont inquiets, les Suédois tout autant, les États baltes cauchemardent sur le corridor de Suwalki, mais tous préfèrent soutenir les projets ukrainiens de reconquête de quelques positions au Donbass plutôt que de se concentrer sur le Festburg de l’antique Königsberg, bastion désormais imprenable d’où les missiles russes pourraient clouer au sol toute la défense européenne. Déconcertante inversion de priorité, à croire que plus personne ne sait lire une carte.

    Car il va falloir démilitariser Kaliningrad, ce qui est autrement plus important que de grappiller quelques villages sur la mer Noire. Ce sera une négociation globale, celle qu’appelaient les Russes fin 2021, dans laquelle les Ukrainiens, comme l’anticipe Harper’s, seront neutralisés, quelque soient leurs gains ou leurs pertes sur le terrain, et même à proportion de leurs gains ou de leurs pertes mis sur la table. Pourquoi dès lors s’obstiner dans ce qui apparaitra plus tard une Unnecessary war, pour reprendre un mot de Winston Churchill ?

    La fin de l’OTAN

    L’hypothèse que Poutine serait tombé dans un piège américain est peut-être exacte, mais c’est l’OTAN qui se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé. Il y a certes une puissance militaire russe à genoux, ce qu’Européens et Américains attendaient depuis 1949. Mais précisément ; à quoi sert désormais l’Alliance et son soutien actif voire participatif à cette guerre ? À valider des choix technologiques et un infocentrage de prothèses numériques dispersées, mais qui sont autant de failles et de portes d’entrée en cas de perte entre les mains de l’adversaire – il est bien tard pour s’en apercevoir et dégrader en catastrophe le matériel livré, comme les chars Abrams ? À risquer de voir nos Wunderwaffe se ridiculiser aussi pitoyablement que les T-72 ex-soviétiques au printemps 2022 ? L’Ukraine n’a pas droit à l’erreur, l’Alliance atlantique ne lui pardonnerait pas. Et quand bien même parviendrait-elle à repousser les Russes sur leur ligne de repli, allons-nous parfaire sa victoire éphémère en l’intégrant dans l’OTAN et en installant nos bases à la frontière russe ?

    Rien n’est plus contraire à la tradition américaine que de se lier irrévocablement, c’est pourquoi l’article 5 du Traité de 1949, qui n’a pu être accepté par le Sénat américain qu’au prix du vote d’une résolution dite Vandenberg, est optionnel et facultatif. Du temps de la guerre froide, la bataille de l’avant permettait d’échanger de l’espace contre du temps. Cette marge de manœuvre disparaîtra si l’OTAN est au contact de la Russie, et sans même évoquer une nouvelle poussée vers l’ouest des armées russes une fois refaites, une méprise ou un incident – comme il y en a déjà eu par le passé – et la nécessité cette fois-ci d’arbitrer en quelques minutes voire quelques dizaines de secondes, nous placeront dans une situation de risque extrême.

    L’hubris des Américains, cette pulsion qui les pousse à ne pas savoir s’arrêter ni jamais s’empêcher, pour reprendre la définition de Camus, les entraîne bien trop loin, tout à la fois par aveuglement sur leur puissance que par incapacité à la dialectiser. La réponse de ChatGPT – ce pur produit de la modélisation managériale américaine – citée en début d’article est d’ailleurs la même que la question soit : « peut-on gagner cette guerre ? », ou : « faut-il la gagner ? ». Face au risque d’Armageddon, les États-Unis pourront toujours abandonner le jour venu l’Europe à son sort, comme ils l’ont fait du Viêt Nam ou de l’Afghanistan, ce que l’article 5 leur permet sans déroger pour autant et ce qui était, faut-il le rappeler, l’hypothèse du général de Gaulle.

    Pour prévenir cette nouvelle débandade, la constitution d’un glacis stratégique entre l’OTAN et la Russie couvrant la Finlande, les États baltes, Kaliningrad, la Biélorussie et l’Ukraine relève non seulement du bon sens, mais de l’intérêt bien compris de tous, Européens, Russes et Américains. Nous allons devoir en décider au prochain sommet de l’OTAN à Vilnius, le 11 juillet 2023 : intégrer l’Ukraine en guerre n’apportera aucune sécurité, y compris à celle-ci, et nous ramènerait à l’époque d’un continent en guerre permanente.

    La victoire des neocons

    Mais, après tout, peut-être n’est-ce que le but recherché. Il n’est qu’à lire la jubilation de la presse américaine au spectacle d’une Vieille Europe replongeant dans les affres de la conflictualité pour mesurer la défaite historique et philosophique que constitue cette guerre – et que le nom de Poutine soit maudit rien que pour cela. Les sarcasmes contre une Europe kantienne reproduisent, au mot près, les anathèmes lus et entendus il y a vingt ans au moment de l’invasion de l’Irak et de notre réticence à y contribuer.

    Ce retour du discours hobbesien sur la naturalité de la guerre vue comme un tropisme immémorial – il guerre comme il pleut ou il neige – abolit la distinction entre violence et guerre et nous détourne de Rousseau et Clausewitz qui nous ont enseigné que la guerre est un choc de volontés, un acte politique de socialisation d’une violence sans doute primitive, mais qui n’était pas la guerre. Le projet européen, qui s’oppose en cela au naturalisme américain, serait définitivement invalidé sans que l’on comprenne pourquoi Bakhmout en 2023 serait davantage un identifiant de cet échec que Srebrenica en 1995.

    Un quarteron d’intellectuels en errance, se piquant d’historicité [5], s’est fait depuis seize mois l’ardent propagandiste de cette idéologie d’importation, annonçant la fin d’une Fin de l’Histoire à laquelle ils ont été les seuls à croire par incompréhension pour les uns, lecture biaisée ou incomprise de Fukuyama pour les autres. « Voici venu le temps de préparer la guerre qui vient pour retenir la paix qui s’en va », a ainsi pu écrire récemment l’un d’entre eux, comme si les aphorismes qui se veulent pascaliens pouvaient être laissés à la discrétion de ChatGPT. Les cicatrices que laissera cette nouvelle rétrogression de la civilisation européenne sont d’ores et déjà profondes. Unmitigated defeat, aurait pu encore dire Churchill. Disons plutôt : un naufrage.

    Jean-Philippe Immarigeon (Site de la revue Conflits, 28 mai 2023)

     

    Notes

    [1] Benjamin Schwarz & Christopher Layne, « Why are we in Ukraine ? On the dangers of American hubris », Harper’s Magazine, mis en ligne le 15 mai 2023, en version papier datée du 7 juin 2023, pp. 23-35.

    [2] « Far from expressing any ambition to conquer, occupy, and annex Ukraine (an impossible goal for the 190,000 troops that Russia eventually deployed in its initial attack on the country), all of Moscow’s demarches and demands during the run-up to the invasion made clear that “the key to everything is the guarantee that NATO will not expand eastward,” as Foreign Minister Sergey Lavrov put it in a press conference on January 14, 2022. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [3] « Il faut, diront certains, montrer notre solidarité avec nos partenaires. La question centrale sera alors évitée : les intérêts de ces partenaires et les nôtres sont-ils identiques ? […] Il se trouvera toujours des stratégistes pour argumenter – parfois brillamment – en faveur de cette tétanie volontaire, en opposant généralement la nécessité de respecter des valeurs et des principes pour éviter de procéder à une analyse sans concession de ce que sont les intérêts réels dans un contexte stratégique mouvant. Ce fixisme stratégique entraînera généralement une paralysie diplomatique – qui finit par se payer très cher une fois l’écart devenu insupportable, car trop visible, entre effort opérationnel et rendement stratégique. » Olivier Zajec, « Penser la stratégie. Une guerre dépolitisée est une guerre perdue d’avance », DSI, 11 mars 2022.

    [4] « Such a system would in fundamental aspects resemble a modern Concert of Europe, in which the dominant states of the E.U., on the one hand, and Russia, on the other, acknowledge each other’s security interests, including their respective spheres of influence. In practice, this would mean, for example, that the Baltic states and Poland would enjoy the same large, but ultimately circumscribed, degree of sovereignty as, say, Canada does. It would also mean that, while Paris and Berlin won’t find Moscow’s internal arrangements to their taste, they will resume economic and trade relations with Russia and build on myriad other areas of common interest. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [5] « Ce discours de la guerre perpétuelle n’est pas seulement l’invention triste de quelques intellectuels longtemps tenus en lisière, joint à un savoir qui est parfois celui d’aristocrates à la dérive ; ce discours exclusivement historico-politique par opposition au discours philosophico-juridique est un discours sombrement critique, mais aussi intensément mythique. C’est celui des amertumes, celui des plus fous espoirs. Il est donc étranger, par ses éléments fondamentaux, à la grande tradition des discours philosophico-juridiques. Pour les philosophes et les juristes, il est le discours extérieur, étranger. C’est le discours, forcément disqualifié, que l’on peut et que l’on doit tenir à l’écart parce qu’il faut, comme un préalable, l’annuler pour que puisse commencer, comme Loi, le discours juste et vrai. » Michel Foucault « Il faut sauver la société », Cours au Collège de France, 1975-19

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  • L'ours et le renard...

    Les éditions Perrin viennent de publier un ouvrage co-signé par Michel Goya et Jean Lopez et intitulé L'ours et le renard - Histoire immédiate de la guerre en Ukraine.

    Directeur de la rédaction de Guerre & Histoire, Jean Lopez est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire militaire consacrés au conflit germano-soviétique, dont, avec Lasha Otkhmezuri, le remarquable Barbarossa (Passés composés, 2019).

    Ancien officier des Troupes de Marine, responsable du blog de réflexion militaire La voie de l'épée et membre du comité éditorial de la revue Guerre & Histoire, Michel Goya est l'auteur de plusieurs essais consacré à la chose militaire comme La chair et l'acier (Tallandier, 2004) Irak, les armées du chaos (Economica, 2008),  Sous le feu - La mort comme hypothèse de travail (Tallandier, 2014), S'adapter pour vaincre (Perrin, 2019) ou Le temps des guépards (Tallandier, 2022).

     

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    " Depuis février 2022, chacun d'entre nous est bombardé d'informations sur la guerre en Ukraine. Des informations hachées, parcellaires, souvent contradictoires, dans lesquelles on ne sait comment démêler le vrai du faux. Depuis son début, Michel Goya et Jean Lopez se concentrent sur ce conflit, le premier en tant que chroniqueur militaire pour une chaîne d'information continue, le second comme spécialiste de l'histoire militaire russe et soviétique. Tous deux ont décidé d'entamer un dialogue de plusieurs mois, en échangeant informations et analyses. L'ours et le renard est le résultat de ce long et passionnant échange au jour le jour. Précédés d'une indispensable introduction sur l'histoire longue de la relation russo-ukrainienne, cinq chapitres nous font pénétrer au cœur des combats, relevant les surprises (et elles n'ont pas manqué !), les forces les faiblesses, les bévues, les révélations et les nouveautés apportées par ce conflit qui a déjà fait plus de 350 000 victimes et mis le monde, et singulièrement l'Europe, sens dessus dessous. C'est littéralement les clés d'une Histoire qui se fait sous nos yeux que livrent Michel Goya et Jean Lopez, forts de leurs expériences complémentaires. Cet ouvrage est indispensable non seulement aux amateurs d'histoire militaire mais à tout citoyen désireux de comprendre l'énorme embrasement qui se produit à l'est et dont chacun craint que des flammèches viennent jusqu'à nous. "

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  • Alain Juillet : « Nous sommes inféodés aux Américains ! »...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné à la mi-mars 2023 par Alain Juillet à Livre noir pour évoquer les dessous de la guerre en Ukraine sous l'angle de la diplomatie secrète et des services de renseignement.

     

                                              

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