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  • Opération Z...

    Les éditions max Milo viennent de publier un essai de Jacques Baud intitulé Opération Z. Ancien membre du renseignement stratégique suisse et spécialiste des pays de l’Est, il a participé à des négociations militaires de haut niveau avec les forces armées russes. Au sein de l’OTAN, il a suivi la crise ukrainienne de 2014 puis a participé à des programmes d’assistance à l’Ukraine. Il est l'auteur de plusieurs essais dont La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur (Rocher, 2003), Terrorisme - Mensonges politiques et stratégies fatales de l'Occident (Rocher, 2016) ou Poutine, maître du jeu (Max Milo, 2022).

     

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    " Pourquoi Poutine a-t-il déclenché l’opération Z en Ukraine ? Les forces ukrainiennes utilisent-elles des volontaires néonazis ? Quelles sont les forces en présence et la réalité du conflit militaire depuis six mois ? Que savons- nous des crimes de guerre comme Boutcha ? Les sanctions économiques occidentales ont-elles fonctionné ? L’envoi massif d’armes par les Occidentaux a-t-il un effet sur le conflit ?

     Après le best-seller Poutine: maître du jeu ?, dont le travail d’analyse a été salué dans le monde entier, Jacques Baud revient dans ce livre sur les causes profondes de la guerre en Ukraine et les raisons qui ont poussé Vladimir Poutine à intervenir le 24 février 2022. En s’appuyant sur les informations des services de renseignement et des rapports officiels, il analyse le déroulement des actions militaires et la manière dont elles ont été interprétées en Occident. Il explique le bouleversement de l’ordre mondial sur les plans politique et économique, ainsi que les conséquences à long terme des sanctions occidentales sur notre vie quotidienne. Il révèle comment le conflit aurait pu être évité et quelles pistes ont été volontairement délaissées par les États-Unis et l’Europe. "

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  • Alain de Benoist : « La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine est en fait une guerre des Etats-Unis contre la Russie »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne son sentiment sur l'actualité récente, et notamment sur la guerre russo-ukrainienne.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine est en fait une guerre des Etats-Unis contre la Russie »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, vous qui avez traversé la moitié du XXe siècle et le début du XXIe, diriez-vous que nous assistons actuellement, depuis quelques mois, à une accélération folle de l’histoire ?

    Tout dépend de quelle accélération vous parlez. Il y a incontestablement une accélération sociale, qui vient du fait que nous vivons aujourd’hui en temps zéro : tout événement qui se produit dans un endroit donné est immédiatement connu dans le monde entier. Cet accélérationnisme nourrit le présentisme (et le stress qui va avec) et a notamment pour conséquence de rendre éphémère tout ce qui auparavant cherchait à s’inscrire dans la durée. Mais cela concerne surtout les pays occidentaux : sous d’autres latitudes, on n’a pas nécessairement le même sens de la temporalité.

    Sur le plan historique, c’est plus complexe. On a effectivement le sentiment que beaucoup de choses sont en train de bouger, comme c’est souvent le cas lorsque différents cliquets jouent les uns sur les autres et déclenchent un ébranlement général. Mais s’agit-il vraiment d’une accélération ? On pourrait tout aussi bien penser qu’après une période glaciaire de quelques décennies, l’histoire reprend ses droits et que, comme dans toutes les époques de transition, on rebat les cartes. Mais il ne suffit pas de regarder ce qui se passe « depuis quelques mois », il faut aussi prendre un peu de recul. En l’espace de quatre ou cinq ans, il s’est plus passé d’événements sous la Révolution française qu’il ne s’en passe aujourd’hui ! Les processus en cours sont en outre loin d’être arrivés à leur terme. Sans vouloir cultiver le paradoxe, je leur trouve même une certaine lenteur… Quand on voit, par exemple, l’ampleur de la révolte sociale qui gronde, on se demande quand elle finira par éclater !

    Breizh-info.com : Que vous a inspiré l’assassinat de Darya Douguine, et le traitement médiatique occidental qui en a découlé ? Que pouvez-vous nous dire sur elle, mais aussi sur son père à qui on a voulu l’assimiler d’office comme s’il s’agissait presque du même personnage ?

    L’assassinat de Darya Douguine m’inspire ce qu’il devrait inspirer à tout homme normalement constitué : le dégoût qu’on ressent devant quelque chose d’abject. Les réactions des médias, elles, suscitent plutôt en moi un sentiment d’effroi. Que certains puissent trouver « remarquable » l’atroce attentat dont cette jeune intellectuelle, journaliste et philosophe – qui n’avait jamais fait qu’exprimer des idées –, a été la victime, certains n’hésitant même pas à s’en réjouir, montre que nous vivons dans le monde où, comme le disait Guy Debord, le vrai n’est plus qu’un moment du faux. C’est un monde orwellien, le monde de la terreur au nom du Bien.

    J’ai bien connu Darya, comme j’ai bien connu son père. C’était une jeune femme délicieuse, charmante, intelligente, cultivée, intense, dotée d’un vif sens de l’humour, qui adorait la France depuis son adolescence. Elle adhérait en effet totalement aux idées de son père, mais elle en donnait une image plus légère, comme régénérée par l’eau fraîche. Quant à Douguine, son itinéraire et ses idées sont aujourd’hui bien connus, notamment pour ce qui concerne la géopolitique et l’eurasisme. On peut être en désaccord avec sa pensée, mais on ne peut nier qu’il s’agisse d’une pensée personnelle, qui ne s’est jamais ramenée à ânonner les slogans de tel ou tel milieu. C’est à mes yeux l’essentiel.

    Breizh-info.com : La guerre en Ukraine semble faire perdre la raison à beaucoup. On sent une haine par procuration entre « supporteurs » d’un camp ou de l’autre, quasi pathologique désormais. Comment expliquez-vous cela ?

    Je suppose que cela s’explique par la nature humaine. Peu d’hommes sont capables de faire la guerre sans haine, malheureusement. Mais dans le cas des « supporteurs », je crains que cette haine ne traduise bien souvent leur incapacité à décider de façon raisonnable de leurs positions et à argumenter pour les expliquer. En pareille occasion, beaucoup se déterminent par leurs sympathies ou leurs antipathies. Or, la sympathie et l’antipathie n’ont rien à faire en la circonstance. Seule importe l’analyse (on met les pour en abscisse et les contre en ordonnée) et les conclusions qu’on peut en tirer. Les gens de droite, je l’ai souvent écrit, ne sont pas des réflexifs, mais des réactifs. Au début de l’année, on les a vus s’emballer pour la candidature Zemmour alors qu’il suffisait d’en faire l’analyse pour comprendre que celle-ci déboucherait sur un échec. Il y a certes loin de la candidature Zemmour à la guerre en Ukraine, mais les réflexes sont les mêmes.

    Je n’ai pour ma part aucune sympathie pour le sinistre président Zelensky, mais j’en ai beaucoup pour le peuple ukrainien, qui se retrouve aujourd’hui bombardé en raison des orientations désastreuses de son gouvernement. Mais que montre l’analyse ? Que la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine est en fait une guerre des États-Unis contre la Russie. La question n’est donc pas de savoir si l’on préfère les Ukrainiens ou les Russes, mais si l’on se sent ou non solidaire de l’Amérique. Le choix me semble alors pouvoir être vite fait.

    Breizh-info.com : Les répercussions en Occident, en plus des conséquences de la crise économique liée aux politiques covidistes, vont être énormes. Qu’avez-vous perçu dans le discours récent de M. Macron, qui, tel un mauvais Churchill, semble annoncer à son peuple du sang, de la sueur et des larmes ?

    Je pense qu’Emmanuel Macron a pris conscience de la gravité de la situation, mais qu’il sait en même temps qu’il ne peut plus revenir en arrière sans se déjuger. Il n’est que trop évident que les sanctions contre la Russie – des sanctions d’une ampleur encore jamais vue – auront les Européens pour premières victimes, puisque ces derniers sont moins autosuffisants que les Russes. Comme l’a dit Viktor Orban, l’Union européenne s’est « tiré une balle dans le poumon » en s’engageant dans une voie suicidaire et totalement contraire à ses intérêts industriels et énergétiques. S’y ajoute la menace de crise financière mondiale, qui est plus présente que jamais. Et aussi, disons-le, le risque d’une extension de la guerre jusqu’à un point qu’on peut seulement imaginer. Aujourd’hui, Macron cherche des arguments pour imposer le rationnement comme, au moment du Covid, il en a cherché pour imposer l’enfermement. Cela ne suffira pas à éviter le lent glissement vers le chaos.

    Breizh-info.com : La classe politique française est-elle selon vous aujourd’hui compétente, suffisamment qualifiée, pour être à la hauteur demain d’événements qui s’annoncent épiques mais aussi dramatiques pour nos populations ?

    La réponse est dans la question, et vous la connaissez aussi bien que moi. L’élément essentiel en politique est la décision, alors que la classe politique n’a été formée que pour la gestion. L’imprévu, le cas d’exception, la laissent ahurie comme un lapin pris dans les phares. La décision n’est pas affaire de dossiers techniques et de rapports d’experts. Elle requiert un sens quasi physiognomique. Il s’agit de prendre la mesure d’un moment historique, d’évaluer les rapports de force et de déterminer ce qu’il faut faire en fonction de la finalité qu’on s’est fixée. Les hommes d’État savaient faire cela, les politiciens ne le savent pas. Cela dit, on pourrait aussi se poser la question de savoir pourquoi les hommes qui ont le sens de la décision se dirigent aujourd’hui de plus en plus vers des domaines autres que la sphère politique. On s’apercevrait alors qu’en dernière analyse, la médiocrité de la classe politique est le résultat direct de la dévaluation du politique.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 6 septembre 2022)

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  • L’Ukraine ou le tombeau de l’Occident...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Hervé Juvin à Boulevard Voltaire et consacré à la position de l'Europe dans le conflit russo-ukrainien, et plus largement dans le conflit russo-américain.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                           

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  • David Engels : « Je comprends le conflit intérieur de nombreux conservateurs lorsqu'il s'agit de prendre parti dans la guerre actuelle en Ukraine »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par David Engels au site autrichien Die Tagesstimme et consacré à la fracture provoquée par la guerre russo-ukrainienne dans les milieux conservateurs et identitaires européens.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020). 

     

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    « Les conservateurs européens ne sont qu'un instrument pour Poutine »

    Dr. Engels, vous êtes chercheur à l'Institut occidental de Poznan. Quelle est la situation en Pologne? Quel regard porte-t-on là-bas sur la guerre ? En quoi la vision polonaise de la guerre diffère-t-elle de celle du camp conservateur en Allemagne ? Ai-je raison de penser que la guerre d'agression russe - notamment en raison des tentatives historiques d'invasion russes - représente une menace beaucoup plus immédiate pour la Pologne que pour l'Allemagne ?

    En effet, l'Occident a longtemps ignoré les mises en garde polonaises, baltes ou ukrainiennes contre l'expansionnisme russe et les a reléguées au rang de choses du passé. Aujourd'hui, l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et donc le déclenchement de la première guerre conventionnelle entre États sur le territoire européen depuis la Seconde Guerre mondiale, a provoqué un réveil amer. L'expérience polonaise se nourrit non seulement de la mémoire des siècles d’occupation d'une grande partie de la Pologne par les forces russes ou soviétiques, et de la répression de l'identité locale qui en a découlé, mais aussi d'une profonde familiarité avec la mentalité russe.

    L'Occident considère généralement la Russie comme un État-nation européen parmi d'autres, même s'il est grand, alors qu'il s'agit d'un État-civilisation autonome, uniquement voué à sa propre dynamique, et culturellement très étranger à l'Occident, dont la raison d'être n'est pas de trouver un équilibre avec ses voisins par le compromis et la concertation, mais plutôt d'accomplir la véritable mission du peuple russe, à savoir le "rassemblement de la terre russe", et donc la création d'un grand espace autarcique qui ne veut tolérer aucun concurrent à ses frontières.

    L'invasion russe de l'Ukraine fait apparaître des lignes de fracture au sein des conservateurs européens, qui n'étaient jusqu'à présent que masquées. Dans votre rapport sur la possibilité d'une coopération entre les groupes ID et ECR (1) au Parlement européen , vous aviez déjà souligné que la relation des conservateurs allemands avec la Russie était un élément de division dans leurs relations avec les partis de droite d'Europe de l'Est. Cette évolution vous surprend-elle moins que d'autres ?

    Engels : En Allemagne, mais aussi en France, en Italie et même en Espagne, de nombreux conservateurs entretiennent une image plutôt romantique de la Russie, toujours marquée par des réminiscences de Tolstoï, Dostoïevski, Tchaïkovski, Répine et de l'époque des tsars, mais qui n'a que très peu de rapport avec la Russie d'aujourd'hui. Pour beaucoup, la Russie est considérée comme une sorte de défenseur ultime de l'Occident qui, par idéalisme, ne se préoccupe que de cultiver et de défendre la tradition, le christianisme et la culture nationale. La réalité de la Russie réelle est tout autre : la Russie est marquée par la stagnation économique, la corruption politique, l'implosion de l'orthodoxie, la montée de l'islam, le cynisme en matière de politique étrangère, l'un des taux d'avortement les plus élevés au monde et ainsi de suite.

    L'utilisation sans scrupules des réfugiés à l'occasion de la crise migratoire polonaise ou de soldats musulmans lors de l'invasion de l'Ukraine a justement montré ce qu'il en est réellement de la Russie "chrétienne". Malgré cela, de nombreux conservateurs occidentaux continuent de croire que Poutine est leur allié prédestiné, mais ils ont du mal à voir qu'ils ne sont que les instruments d'une tentative de déstabilisation à grande échelle, dont le but est de diviser l'Occident encore plus qu'il ne l'a fait jusqu'à présent, afin de laisser les mains libres à une expansion russe sans entrave. Si les conservateurs parviennent effectivement à créer une Europe forte et patriotique, vous verrez que le voisin russe ne regardera pas ce projet d'un œil plus favorable que l'actuel hégémon libéral de gauche américain ...

    Dans quelle mesure une montée en puissance de la Russie représente-t-elle un danger pour une Europe unie et patriotique ? Certains journalistes conservateurs, voire de droite, ne voient aucun avantage à une victoire de l'Ukraine pour le conservatisme européen, qui serait plutôt une confirmation et une consolidation des structures de pouvoir mondialistes existantes. Mais dans une Europe jusqu'ici plongée dans le sommeil postmoderne, le retour du politique évoqué par les journalistes allemands comme polonais, ne pourrait-il pas aussi receler la possibilité d'une renaissance occidentale et d'une véritable unification ? Et ce, loin de tout romantisme : dans l'histoire, c'est souvent l'ennemi extérieur qui permet de souder les communautés hétérogènes.

    Engels : Je comprends en effet le conflit intérieur de nombreux conservateurs lorsqu'il s'agit de prendre parti dans la guerre actuelle en Ukraine : une victoire de la Russie transformerait une guerre d'agression mortelle en un dangereux précédent pour l'avenir de l'Europe et reléguerait en outre durablement de l'autre côté d'un nouveau rideau de fer un pays qui, dans sa grande majorité, souhaite adhérer aux institutions occidentales. D'un autre côté, une victoire de l'Occident en Ukraine pourrait également conduire à un renforcement de l'idéologie libérale de gauche, qui a déjà eu des conséquences si terribles dans le reste de l'Europe, et cimenter l'hégémonie américaine ébranlée.

    C'est pourquoi je crois qu'une guerre commune de l'OTAN contre la Russie ne conduirait pas à une véritable réconciliation entre la gauche et la droite ou entre l'Europe et les États-Unis, mais ne ferait qu'approfondir les lignes de fracture existantes à moyen terme. Le seul espoir que je vois, c’est donc la possibilité qu'une éventuelle victoire débouche sur l'intégration progressive de l'Ukraine dans le projet Trimarium, c'est-à-dire la tentative de construire un centre de pouvoir conservateur indépendant entre Berlin et Moscou, comme cela existait déjà avant les divisions polonaises sous la forme de la République polono-lituanienne, qui avait certainement fortement contribué à la stabilisation politique de l'Europe de l'Est.

    D'une manière générale, peut-on conjurer ce dualisme entre d’un côté une victoire russe qui renforce un ordre mondial multipolaire et de l’autre une victoire de l'Occident qui renforce un ordre mondial mono- ou bipolaire ? Ne voit-on pas aujourd'hui, notamment en raison des nombreuses sanctions qui - malgré leurs bases rationalistes et libérales (dans le sens de la croyance que l'ennemi se fonderait sur des considérations rationnelles et économiques et réduirait la voilure à cause de celles-ci) - prennent entre-temps des dimensions carrément antilibérales (pensez à l'annulation d'artistes russes), que cette guerre fait quelque chose à l'Europe ? Et qu'une Europe victorieuse ne peut pas être l'Europe d'hier ? Ne s'agirait-il pas plutôt d'une Europe qui s'éveille de rêves pacifistes béats ?

    Engels : En effet, nous assistons actuellement, du moins sur le plan rhétorique, à un certain réarmement des idéologues libéraux de gauche, qui semblent s'être éloignés, du moins dans leur évaluation de la situation en Ukraine, de la condamnation indifférenciée de la guerre, des armes, du patriotisme et de la masculinité prétendument toxique, et qui exigent résolument, outre des sanctions économiques, la construction d'une armée propre et puissante en Europe. Mais ce virage à droite apparent, du moins rhétorique, des élites dirigeantes politiques et médiatiques du continent, jusqu'ici plutôt situées à gauche, ne signifie en aucun cas un geste de réconciliation envers les conservateurs, mais doit plutôt être considéré avec un grand scepticisme, comme je l'ai montré dans un article paru dans Epoch Times. Le Parti communiste chinois a lui aussi opté, lorsque l'échec de l'Union soviétique est devenu évident, pour un surprenant revirement politique en remplaçant le socialisme par le capitalisme d'État, ce qui n'a toutefois pas affaibli, mais plutôt cimenté, sa position de force et sa capacité à réprimer les opposants politiques.

    Quelles seraient donc les conséquences pour l'Occident, voire pour le principe même de l'Europe, si Poutine, à la suite d'une victoire, établissait réellement un empire pan-eurasien "entre la Vistule et l'Amour" ?

    Engels : Les conséquences seraient tout à fait comparables à la situation d'une nouvelle guerre froide, mais cette fois-ci dans des conditions inégales et plus favorables, puisque même une Russie impérialement gonflée ne serait plus aujourd'hui que le partenaire junior de la superpuissance chinoise, dont la supériorité sur tout ce que l'Occident peut offrir est déjà évidente. Renforcée par cette alliance chinoise, la Russie, qui se voit à son tour de plus en plus opprimée par la Chine en Sibérie, consacrerait une grande partie de son énergie à étendre son influence en Europe et à renforcer sa base de pouvoir démographique en déclin, menacée à l'intérieur non seulement par la baisse de la natalité, mais aussi par l'augmentation de la population musulmane.

    Si la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine venaient à fusionner pour former un nouveau grand ensemble russe, les États baltes, la Moldavie et peut-être même la Pologne seraient certainement plus que menacés dans leur intégrité territoriale et leur autonomie politique, et l'on pourrait s'attendre à une répétition des scénarios déjà connus en Géorgie, au Kazakhstan et en Ukraine. La Russie, qui était jusqu'à présent le patron des conservateurs européens, pratiquerait alors de plus en plus une politique de "divide et impera" qui, si l’Europe se détournait des États-Unis, ferait tomber celle-ci de Charybde en Scylla.

    Parlons encore de la situation concrète en Ukraine : quel scénario vous semble le plus probable en ce qui concerne l'issue de la guerre ? Et : certains conservateurs croient à la solution d'une Ukraine neutre - ou pensent même qu'un gouvernement russe fantoche pourrait apporter la paix. Qu'en pensez-vous ?

    Engels : Actuellement, toute issue possible à la guerre serait une catastrophe. Une Ukraine neutralisée ou indirectement réduite au statut de Biélorussie par un gouvernement fantoche légitimerait a posteriori la guerre d'agression de Poutine, porterait son influence politique directe loin à l'ouest et serait le prélude à une extension plus large dans les pays baltes et les Balkans, car il est dans la nature des zones tampons et de sécurité "neutres" exigées par la Russie que celles-ci se déplacent toujours plus loin en fonction des situations politiques de puissance du moment.

    La demande d'une Ukraine neutre, si elle était satisfaite, entraînerait bientôt la demande d'une région balte neutre et finalement d'une Pologne neutre. Si Poutine devait perdre la guerre, les perspectives seraient également sombres, car il faudrait s'attendre à une chute rapide du maître du Kremlin et à des troubles politiques correspondants dans l'ensemble de la Fédération de Russie, qui pourrait bien connaître un processus de déclin interne, l'immense empire étant déjà affaibli par de nombreux mouvements séparatistes, par exemple dans le Caucase ou en Sibérie.

    Si le pouvoir central russe devait effectivement disparaître pendant plusieurs années, nous devrions faire face à un foyer de troubles qui traverserait tout le continent eurasien et serait bien entendu exploité par d'autres puissances comme la Chine et le monde islamique. On pourrait alors espérer que des puissances régionales comme la Pologne parviennent au moins à conclure une alliance solide avec les pays riverains de l'est et du sud et à les aider à se stabiliser économiquement et politiquement, afin de protéger au moins le flanc est de l'Europe contre le chaos.

    Par ailleurs, le fait que Poutine veuille s'approprier la nation ukrainienne et ainsi l'anéantir de facto est également contesté en partie par les conservateurs et la droite. Beaucoup pensent que le droit à la vie de la nation ukrainienne pourrait être préservé malgré la domination russe. Cela ne contredirait-il pas fondamentalement la logique impérialiste que vous diagnostiquez pour la Russie ?

    Engels : Comme je l'ai dit, ce serait une erreur de vouloir appliquer à la Russie les critères classiques des États-nations européens. Il ne s'agit pas pour la Russie de Poutine de créer un peuple russe homogène sur le plan ethnique, religieux ou culturel, mais plutôt d'accomplir une mission métaphysique de rassemblement de la "terre" russe dans toute sa diversité et même ses contradictions internes. Bien entendu, cet objectif s'accompagne d'un certain chauvinisme grand-russe, qui s'efforce d'écraser et de réprimer autant que possible les mouvements régionalistes ou nationalistes ; mais au fond, ce projet est un phénomène tout à fait multiculturel et même multireligieux.

    Cela devient particulièrement clair avec l'exemple de l'islam qui, loin d'être combattu ou refoulé en Russie, est au contraire délibérément courtisé et renforcé tant qu’il s’engage dans une relation de loyauté politique avec le gouvernement en place. Ce n'est donc qu'en surface qu'il est paradoxal que le prétendu peuple frère ukrainien soit contraint de s'allier volontairement à la Russie par des mercenaires tchétchènes fondamentalistes.

    Une annexion russe de l'Ukraine, quelle qu'elle soit, ne déboucherait donc pas nécessairement sur une destruction génocidaire de la langue ou de la culture ukrainienne, mais plutôt sur une tentative de lui retirer son caractère d'Etat-nation et de la détacher ainsi de son contexte politico-culturel occidental. Il s'agit de transformer le territoire ukrainien par une décomposition et une assimilation culturelles et politiques multiples, de manière à lui ôter toute base d'autonomie en tant qu'État national et à faire à nouveau de l'ensemble du territoire une partie intégrante de l'immense zone d'influence de la Grande Russie.

    Merci beaucoup, Monsieur le Professeur Engels !

    David Engels (Die Tagesstimme, 2 septembre 2022)

    (Traduction Métapo infos, avec DeepL)

     

    Note :

    1 : ID, groupe Identité et Démocratie (avec les députés du RN) ; ECR, Conservateurs et Réformistes européens

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  • Sanctions contre la Russie : «Quelles leçons tirer du blocus continental de 1806 ?»

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Olivier de Maison Rouge, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question des sanctions économiques contre la Russie.

    Avocat, Olivier de Maison Rouge est spécialiste des questions juridiques liées à l'intelligence économique et au secret des affaires. Il a publié deux ouvrages sur le sujet, Penser la guerre économique (VA éditions, 2018) et, récemment, Survivre à la guerre économique (VA éditions, 2020).

     

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    Sanctions contre la Russie : « Quelles leçons tirer du blocus continental de 1806 ? »

    Depuis février 2022, à la suite de l'agression militaire de son flanc est, l'Europe a répondu par des sanctions économiques: banques russes bannies du réseau Swift, gels des avoirs des oligarques, quotas, suspensions des commandes, etc.

    In fine, le rouble s'est apprécié, et l'Europe a constaté le niveau élevé de dépendance aux matières premières russes. Est-ce à dire que les sanctions économiques se retournent contre ses auteurs ?

    Prenons l'exemple du blocus européen décrété contre l'Angleterre par Napoléon 1er. Si l'industrie anglaise a dans un premier temps fléchi, elle a en définitive su nouer comme alternative de nouveaux partenariats commerciaux avec son vaste empire, lui permettant de parvenir au faîte de la gloire, sur terre et sur mer, au XIXe siècle.

    Rédigé de la main de l'Empereur, le décret dit «de Berlin» du 21 novembre 1806, institue le blocus continental dans ces termes:

    Article 1er – Les îles Britanniques sont déclarées en état de blocus.

    Article 2 – Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits. En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux postes et seront saisis. (…)

    Par le décret de Milan du 17 décembre 1807, l'Empereur ordonne que tout bateau ayant mouillé dans un port britannique, quelle que soit sa nationalité, soit considéré comme battant pavillon britannique et par conséquent susceptible d'être confisqué par l'administration des douanes.

    Avec les victoires napoléoniennes, cette disposition sera étendue aux territoires conquis sur le continent européen. Napoléon 1er voudra ainsi interdire toute marchandise britannique de Lisbonne à Saint-Pétersbourg.

    Par le traité de Tilsit conclu avec le Tsar le 7 juillet 1807, la Russie et la Prusse adhèrent à leur tour au blocus continental, créant un mouvement de «tenaille» territoriale face aux Îles britanniques (la Russie rompra cependant l'alliance territoriale le 13 décembre 1810). Le 6 septembre 1807, les pays scandinaves sont embrigadés à leur tour dans cet embargo (la Suède s'y associe le 6 janvier 1810) tandis que le 23 novembre de la même année, le verrou continental est scellé au Portugal que les armées impériales envahissent.

    Le premier effet a été la crispation des relations entre l'Amérique et la Grande-Bretagne (1812-1814). Au-delà de la rivalité qui préexistait en raison de l'indépendance des États-Unis d'Amérique, le blocus imposé par les Anglais devait contrarier le commerce transatlantique.

    En 1807, la jeune nation américaine devait rompre tout négoce avec le vieux continent. En raison de ce choix forcé de neutralité, la conséquence directe pour la France a été la rupture des approvisionnements.

    L'Angleterre, quant à elle, privée de ses fournisseurs européens, a su nouer de nouvelles relations commerciales, notamment avec le Canada, puis avec les États-Unis et l'Amérique latine.

    Un autre des revers du blocus, est la fermeture des ports aux marchandises britanniques et réciproquement, la coupure des approvisionnements en matières premières issues des colonies ultramarines. En conséquence, le port de Marseille voit ainsi sa fréquentation passer de 200 en 1805 avant de tomber à moins de 50 en 1808 et à 4 en 1812. Il en sera de même pour les ports de Hollande, d'Allemagne et d'Italie.

    La volonté de l'Empereur est manifestement d'effondrer l'économie anglaise en lui coupant ses débouchés commerciaux ainsi que les flux entrants de matières premières destinées à alimenter la production manufacturière (céréales, armes, munitions, coton, laines, etc.). De fait, on estime à 20% la chute des exportations anglaises entre 1808 et 1810.

    Le blocus ayant été imposé aux territoires occupés par l'Empire contre leur gré, un détournement sera constaté dans chaque place commerciale, parfois avec le concours de la corruption des séides français. Tout un système de contrebande verra le jour, anéantissant pour partie les effets du blocus. Face à ce contournement, les Douanes françaises vont devoir ajuster les mesures d'embargo et créer en 1809 des licences d'importation et d'exportations accordées à certaines compagnies maritimes, sur certains produits. Elles ne furent en réalité que la reconnaissance de circuits commerciaux clandestins existants.

    Le blocus continental voulu par Napoléon 1er a dans un premier temps fonctionné au bénéfice de l'industrie naissante française, notamment dans le domaine du textile. Cette expansion économique a d'ailleurs permis un rattrapage rapide des années révolutionnaires qui avaient freiné tout développement industriel.

    Mais dans un second temps, les effets du blocus se révélèrent contreproductifs, car la matière première comme les machines-outils ont manqué et les ventes hors d'Europe ne furent jamais compensées. Tandis que l'Angleterre a su forger une économie tournée vers d'autres horizons (notamment l'Amérique latine, favorisée par la chute des Bourbons d'Espagne qui devinrent des alliés de circonstances de l'Angleterre) et asseoir sa puissance maritime face au continent, se créant de nouveaux débouchés qui feront sa fortune au XIXe siècle, la France, centrée sur le seul continent, ne devait pas trouver de relais alternatifs au-delà de ses marchés domestiques. Napoléon 1er n'a pas su nouer au bénéfice de la France une relation particulière avec les États-Unis d'Amérique, alors qu'il aurait pu profiter des relations distendues avec l'ancien suzerain Britannique. Au contraire, il considère les navires marchands américains comme ennemis et les fait saisir.

    Par suite, les puissances européennes qui s'étaient vues imposer des embargos non consentis se tournèrent vers d'autres clients. Les nations européennes avaient payé un lourd tribut à la France qui avait prélevé son impôt sur elles pour financer ses guerres et fermé ses ports. Le retour de balancier n'en fut que plus rude. Le commerce extérieur de la France devait durablement chuter, affaiblissant d'autant son industrie.

    En parallèle, malgré des crises conjoncturelles passagères (1808 et 1810) et une croissance un temps ralentie, l'Angleterre est in fine sortie renforcée de cette épreuve, agrandissant par suite son empire comme sa clientèle et devenant la nation dominante du XIXe siècle.

    Ce faisant, selon François Clouzet, le blocus a eu pour conséquence de déplacer l'axe industriel de la façade Atlantique vers l'est (Alsace, Allemagne, Belgique) participant à l'accroissement des richesses industrielles rhénanes («nouvelle Lotharingie») et jetant les prémices des guerres franco-allemandes qui allaient se succéder jusqu'en 1945, concourant pour affaiblir l'Europe continentale jusqu'à la ruine et le déclassement au bénéfice des États-Unis, autre puissance thalassocratique. D'une guerre économique l'autre…

    Olivier de Maison Rouge (Figaro Vox, 20 juillet 2022)

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  • Patrick Chauvel, reporter intrépide...

    Le trente-huitième numéro de la revue Livr'arbitres, dirigée par Patrick Wagner et Xavier Eman, est en vente, avec un dossier consacré aux écrivains d'Occitanie et un autre à l'Ukraine, ainsi qu'un long entretien avec Patrick Chauvel...

    La revue peut être commandée sur son site :  Livr'arbitre, la revue du pays réel.

     

    Livr'arbitres 38.jpg

    Au sommaire de ce numéro :

    Éditorial

    Plaisirs solittéraires

    Nouveautés

    Frédéric Beigbeder

    René de Ceccatty

    Eric Holder

    Dossier

    Écrivains d'Occitanie

    Ukraine, une nation écartelée

    Entretien

    Patrick Chauvel

    Alexandre Goodarzy

    Frédéric Vitoux

    Jacqueline Blancart-Cassou

    Louis-Egoïne de Large

    Yann Vallerie

    Portrait

    Elysée reclus

    Marie Gevers

    Gustave Thibon

    Jean Mabire

    Alain Finkielkraut

    Andreï Makine

    Inédit

    Paul Gadenne

    Réédition

    Antoine Blondin

    Domaine étranger

    Maurice Maeterlinck

    Sandor Maraï

    Polar

    Pierric Guittaut

    Essai

    Stephano Boni

    Thierry Bouclier

    Eudes Gannat

    Rémi Soulié

    Histoire-panorama

    Conseils de Condorcet

    Critique du nationalisme

    Du côté de Céline

    In Memoriam

    Molière

    Proust

    Zaborov

    Cinéma

    Sacha Guitry

    Illusions perdues

    Jacques Aumont

    Revue Prime Cut

    Littérature jeunesse

    Anne-Laure Blanc / Clotilde Jannin

    Bande dessinée

    Jehanne d'Arc / La terre vagabonde

    Carrefour de la poésie

    Entretien avec Kiril Kaddiiski

    Réflexion

    Peinture en prose

    Poème en prose

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