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souveraineté - Page 5

  • Les juges contre la démocratie...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Anne-Marie Lepourhiet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la montée en puissance des pouvoirs juridictionnels face à la souveraineté des États et à l’auto-détermination de leurs peuples. Anne-Marie Le Pourhiet est professeur de droit public à l’université Rennes-I et vice-président de l’Association française de droit constitutionnel.

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    Salvini devant les tribunaux: les juges contre la démocratie?

    FIGAROVOX.- Le Sénat italien, à la suite d’une demande d’un tribunal de Catane, a décidé de renvoyer en justice Matteo Salvini pour séquestration de migrants, celui-ci ayant bloqué un bateau de migrants au large de la Sicile lorsqu’il était ministre de l’intérieur. De telles mesures visant à limiter l’immigration clandestine sont pourtant soutenues par une majorité des Italiens. Cette décision révèle-t-elle un retournement du droit contre la volonté générale?

    Anne-Marie LE POURHIET: C’est beaucoup dire. S’il s’agissait d’un contentieux administratif tendant à faire admettre la responsabilité de l’État italien pour faute résultant de la violation du droit international humanitaire ou des normes européennes, on pourrait parler de conflit entre la démocratie et le droit. Mais ici, il s’agit de poursuites pénales visant la personne d’un ex-ministre de l’intérieur (et vice-président du Conseil) engagées sur le fondement du Code pénal italien pour «abus de pouvoir et séquestration de personnes», ce qui est pour le moins fantaisiste. C’est d’autant plus étonnant qu’un décret-loi (équivalent des ordonnances françaises) adopté en juin 2019 par le gouvernement Conte avait justement renforcé les pouvoirs du ministre de l’intérieur pour refuser l’entrée des navires de migrants dans les ports italiens. Ce n’est pas la première ni la dernière procédure de ce type engagée par des procureurs siciliens contre Matteo Salvini. Ce qui change c’est qu’à la faveur du renversement de coalition politique opéré l’été dernier, le Sénat a, cette fois, levé l’immunité, dans un revirement parfaitement cocasse digne de la commedia dell’arte où l’on voit les parlementaires «Cinq étoiles» voter exactement en février le contraire de ce qu’ils avaient voté en mars pour lâcher aujourd’hui le vice-président du gouvernement qu’ils soutenaient hier.

    Nous sommes davantage ici face à un phénomène de procureurs militants qui opèrent sur fond de querelles politiciennes incohérentes. On ne sait pas non plus s’il y a des ONG derrière les poursuites pénales du parquet de Catane, mais c’est assez probable, sachant que Salvini est évidemment la bête noire des militants pro-migrants.

    Ces pressions sont-elles particulièrement fortes sur la question migratoire? On se souvient du Pacte de Marrakech qui présentait les migrations comme des «facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable». Plus récemment, un collège d’experts a remis à Emmanuel Macron et au gouvernement un rapport appelant à amender une politique migratoire jugée trop restrictive...

    Il y a évidemment une pression idéologique très forte en Europe, dirigée contre le modèle wesphalien d’État-Nation et contre la protection qu’il suppose de la souveraineté et des frontières nationales. Les «valeurs» de l’Union européenne inscrites à l’article 2 du traité nous imposent la «tolérance», le respect des droits de l’homme «y compris des droits des personnes appartenant à des minorités» et surtout l’incontournable «non-discrimination» conçue comme une abolition de toutes les distinctions et hiérarchies, à commencer par celles qui séparent le national de l’étranger.

    Le rapport du Parlement européen du 4 juillet 2018 invitant à ouvrir une procédure de sanction contre la Hongrie pour violation des «valeurs» de l’Union contient trois pages consacrés aux «Droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés» mettant en cause notamment le législateur hongrois qui ne serait pas suffisamment accueillant ni pour les migrants ni pour les ONG qui les soutiennent. Comme par hasard, juste deux jours après la publication du rapport Sargentini, le Conseil constitutionnel français censurait une disposition législative réprimant l’aide aux migrants illégaux au nom d’un principe de fraternité universelle sorti de nulle part mais ressemblant comme deux gouttes d’eau au sans-frontiérisme dominant dans les institutions européennes et dans les ONG qui les influencent.

    Cette montée en puissance du pouvoir juridictionnel répond manifestement à une logique d’importation. D’où vient-elle historiquement?

    Elle est avant tout d’origine anglo-saxonne car la common law fait depuis toujours la part belle à la jurisprudence alors que le droit romain imprègne davantage le droit continental. Mais c’est évidemment la construction européenne qui est devenue l’élément moteur de ce gouvernement des juges puisque c’est sur leur servilité que repose entièrement le système de primauté des normes européennes sur le droit national. Or ces normes européennes véhiculent justement le modèle multiculturel nord-américain hyper-individualiste. C’est pour cela que la Hongrie et la Pologne, en particulier, sont dans le collimateur de l’Union au sujet du statut et de la composition de leurs tribunaux supérieurs. La commission européenne redoute que les pouvoirs polonais ou hongrois ne désignent des juges peu favorables aux normes européennes.

    Pire, ce sont les constitutions mêmes de ces États, c’est-à-dire leurs lois fondamentales souveraines qui sont critiquées et accusées de ne pas correspondre aux «valeurs» de l’Union. Le rapport Sargentini reproche ainsi à la Constitution hongroise de retenir, entre autres abominations, une «conception obsolète de la famille». De son côté, la France a eu le droit, en 2008, à un rapport hallucinant de l’«experte indépendante» du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Mme Gay McDougall, clouant au pilori le modèle républicain français jugé insuffisamment favorable aux droits des minorités et nous enjoignant de modifier la Constitution ou au moins son interprétation! La souveraineté des États et l’auto-détermination de leurs peuples n’existent plus pour les ONG et les institutions supranationales qu’elles manipulent.

    En quoi cette évolution s’inscrit-elle à rebours du modèle historique français?

    En France, la Révolution française, dans la continuité des monarques de l’Ancien régime, a fermement interdit aux juges de s’immiscer dans l’exercice des pouvoirs législatif et exécutif. Le juge, chez nous, doit être la simple «bouche de la loi», elle-même votée par les citoyens ou leurs représentants, qui l’applique fidèlement et objectivement dans les litiges. La loi des 16 et 27 août 1790 dispose: «Les tribunaux ne pourront ni directement, ni indirectement, prendre part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture». Il s’agissait, bien entendu, d’empêcher des cours aristocratiques, réputées réactionnaires, de s’opposer à l’application de la loi «expression de la volonté générale» dans un nouveau régime qui se voulait démocratique. Le Code pénal de 1810 punit même de la dégradation civique le magistrat qui aura suspendu l’exécution d’une loi.

    Quand on voit aujourd’hui nos juges, nationaux comme européens, passer leur temps à écarter les lois françaises au motif que leur application porterait, selon leur appréciation toute subjective, une atteinte disproportionnée aux «droits» individuels, notamment ceux des migrants, on mesure l’inversion vertigineuse accomplie depuis le XVIIIe siècle. Contrairement à ce qui est généralement affirmé, ce gouvernement des juges est aux antipodes de la notion d’État de droit telle qu’elle a été conçue par les juristes allemands du XIXe siècle qui voulaient, au contraire, éliminer l’arbitraire des juges et des fonctionnaires.

    Anne-Marie Le Pourhiet, propos recueillis par Joachim Imad (Figaro Vox, 14 février 2020)

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  • Une politique économique d’intérêt national, vite !...

    Nous reproduisons ci-dessous un la deuxième partie d'un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de l'intérêt national en économie.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

    hervé juvin, europe, états-unis, identité nationale, protectionnisme, souveraineté

    Une politique économique d’intérêt national, vite !

    Responsabilité Nationale des Entreprises, propriété nationale des infrastructures, fonds souverain de la vie, modèle coopératif pour un capital-risque national ; et si l’intérêt national était le secret de la nouvelle économie ?

    Tous les pays défendent leurs intérêts

    Intérêt national, le terme en fait un gros mot. Tous les autres pays européens protègent jalousement leurs intérêts nationaux. Exemples ? SAAB en Suède : protégé de toute incursion américaine. L’aéroport de Schiphol et Damen aux Pays Bas. Le secteur aérospatial en Allemagne, avec OHB imperméable à toute entreprise étrangère (et les Allemands préfèrent un lanceur américain à Ariane Espace !) Les hélicoptères en Italie. Inutile de citer les États-Unis, farouchement protectionnistes pour eux-mêmes, l’Inde, impénétrable sans entente avec les familles régnantes, la Chine bien sûr, et tous les autres.

    France : liquidation générale…Quid de l’intérêt national ?

    Victime de la naïveté avec laquelle ses élites auto-désignées adhèrent à l’idéologie européenne de l’ouverture, et en rajoutent sur les traités de libre-échange, la France abandonne ses actifs stratégiques pour de vaines promesses politiques, alors qu’elle avait constitué des géants de dimension mondiale dans tous les grands secteurs industriels où se jouent puissance et souveraineté (énergie, télécoms, nucléaire, armement, construction navale, aéronautique et spatial, etc.).

    Et la liquidation continue ; après les autoroutes (que les forces de l’ordre ne pouvaient emprunter en mars dernier en raison du coût des péages que les sociétés concessionnaires exigent des policiers, comme des gendarmes et des pompiers), au tour des aéroports d’ADP (les services de sécurité s’alarmaient récemment de la réduction des surfaces réservées aux douanes qui seront allouées au commercial, rentabilité du m2 oblige).  

    Intérêt national : ce qui prime l’économie, le rendement financier, et le droit. Ce qui a été rendu indéfendable, par la double soumission à l’idéologie européenne, si bien imposée à l’ENA par Mme Loiseau au détriment du corpus administratif et juridique français, et à un individualisme ravageur, que résume la formule de Mme Thatcher ; «  la société, ça n’existe pas ». Ce qui est devenu invisible, depuis que tout a été mélangé, brouillé, travesti, pour que les liquidations successives de nos outils stratégiques ne soient pas perçues par le peuple français. D’Alstom à Airbus et du Rafale à Morpho (Safran), n’apparaissent que des éléments épars d’un tout qui n’est jamais montré.

    Alcatel, Alstom, Technip, Areva, les autoroutes hier, aujourd’hui Airbus, ADP, et demain qui ? L’agro-alimentaire, le BTP, le système éducatif, d’abord, contre lesquels des ONG et des géants de l’Internet américains préparent l’offensive, après eux, les côtes, les espèces animales et végétales endémiques, notre patrimoine vivant, que restera-t-il à brader pour fournir des mandats aux banques d’affaires et des cibles aux capitaux nomades ?

    Les succès industriels ont été le résultat de projets nationaux intégrés à une politique de puissance et d’indépendance, ancrés sur des territoires et sur l’unité des Français. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

    La liste est longue et ne cesse de s’allonger. Quelques-uns des plus beaux fleurons industriels et technologiques français ont été vendus, dépecés, mis sous contrôle, et il n’en reste rien. Récemment encore, l’obsession financière a fait vendre Morpho, pépite du futur, elle a failli sacrifier Alstom transport, elle liquide les Chantiers de l’Atlantique et peut réduire à la portion congrue Naval Group, nouveau nom de DCNS.

    L’Allemagne s’intéresse à un réseau bancaire français en Afrique, les banques françaises quasiment toutes devenues systémiques depuis que l’obsession centralisatrice a détruit les banques régionales de plein exercice quittent l’une après l’autre les pays non alignés ; pas besoin de les racheter, le terrorisme du droit américain servi par la militarisation du dollar suffit à les tenir sans débourser un dollar de capital (soyons clairs ; une banque soumise au monitor américain, aux cabinets de conseil en conformité et aux lawyers américains n’est plus une banque française). Et jusqu’aux services de sécurité français qui, au nom du prix le plus bas et de la meilleure offre, confient leurs données à Palantir, une filiale de la CIA !

    Les rodomontades du ministre Bruno Lemaire n’y changent rien. Le pillage de la France se poursuit. Industrie, technologies, infrastructures, bientôt les terres, demain la vie ; ceux qui jugent la réussite de leur politique à la fortune de leurs amis, de leurs financiers ou de leurs donateurs exploitent la France comme n’importe quelle colonie ; puisqu’être Français n’a plus de sens, puisqu’il n’y a plus ni culture, ni identité nationale !

    Si les frontières doivent s’ouvrir, si chaque femme, chaque homme est appelé à poursuivre le bonheur là où ses pas le portent, si les Nations sont appelées à se dissoudre dans le grand tout mondial, l’intérêt national n’existe pas, et chacun n’a pour loi que celle de son intérêt individuel. Voilà pourquoi Alain Madelin interdisait que soit prononcé le mot de « stratégie industrielle ». Voilà pourquoi le commissariat au Plan a été transformé en une vague commission de la prospective. Voilà pourquoi les outils de l’expertise publique et de la définition de politiques économiques cohérentes ont été démantelés, privés de pouvoir, ou simplement supprimés.

    Voilà pourquoi le gouvernement d’Emmanuel Macron travaille à remplacer les fonctionnaires d’Etat par les salariés d’Agences investies de missions publiques, mais ne bénéficiant pas de l’indépendance apolitique que permet le statut de fonctionnaire, donc plus aisément soumis aux lobbys et aux pressions des financiers. Et voilà pourquoi pullulent les autorités administratives indépendantes, pendant que les traités internationaux sont soustraits aux tribunaux pour être jugés par des cours privés d’arbitrage, de manière à ce que les intérêts économiques et financiers échappent aux lois, aux tribunaux nationaux, à la volonté populaire et au suffrage démocratique.

    Les Français comme les Européens doivent y réfléchir. Toutes les innovations qui font la force des États-Unis, comme aujourd’hui de la Chine, ont été financées par la recherche militaire, portées et imposées par l’autorité publique. Être fort chez soi est le préalable à la puissance extérieure. À long terme, il n’y a pas de différence de nature entre dépenses civiles et militaires, entre intérêt privé et intérêt national. À long terme, nous gagnerons tous, ou nous serons esclaves.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2019)

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  • Éloge de la réciprocité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Géopragma  et consacré au bilan accablant de la politique étrangère française de ces dernières années... Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Éloge de la réciprocité

    Moscou commence à se lasser des leçons de démocratie dispensées par Paris ; notamment au regard de la gabegie « Gilets jaunes », de l’autorité de l’État bafouée et des sommets de démagogie que notre démocratie pontifiante et irréprochable déploie pour sortir de cette ornière et espérer laver aux yeux du monde cette humiliation.

    Et puis, à force d’erreurs de jugement, de fautes morales et d’entêtement, nous comptons si peu désormais sur la scène du monde. Au Moyen-Orient comme en Afrique, où nous souffrons d’une telle schizophrénie sécuritaire et d’un suivisme atlantiste aggravé, nous commençons à susciter la pitié plus que la crainte ou l’espoir. A minima, on ne nous attend plus. On discute, on négocie, et on décide sans nous. Qui « On » ? Qui sont ces impudents ? Les États-Unis, la Russie, la Chine, la Turquie, Israël, l’Iran, et même, en Europe, l’Italie ou la Hongrie… Tous ceux qui ne se paient plus de mots depuis longtemps déjà, qui ont décidé de prendre leur avenir et leurs intérêts en main, et nous jugent sans aménité. La France parle toujours haut et fort, mais elle agit peu et mal. Les pays précités lui rappellent que le temps de la préséance occidentale est révolu, que l’Hexagone n’a plus vraiment de poids sur la scène du monde, que l’injonction universaliste ne passe plus et que notre prêchi-prêcha moralisateur est devenu inaudible et même complètement ridicule.

    Pour la Russie – qui voit que Paris reste arcbouté sur ses postures malheureuses concernant l’Ukraine ou la Syrie – est venu le temps des réponses « du berger à la bergère » et de l’application du principe de réciprocité. Puisque les journalistes russes accrédités en France se voient interdits d’Élysée et que Spoutnik comme Russia Today (RT) sont diabolisés et réduits au statut de purs canaux de propagande poutiniens, Moscou envisage de rendre la pareille à Paris en interdisant certains médias français de couverture d’événements en Russie ou en suspendant leurs accréditations. Dans la même veine, il se dit que le Kremlin aurait eu l’audace de faire prévenir Paris que la France ne devait pas s’ingérer dans la situation inflammable en Algérie… L’alliance Moscou-Alger est ancienne, mais une telle audace exprime sans équivoque un nouveau rapport de force régional clairement en notre défaveur. Cela nous apprendra à boire la « repentance » comme du petit lait.

    Quoi qu’il en soit, nous affirmons lutter vaillamment contre la propagande et les fake news, pardon « l’infox ». Mais qui décide de ce qui est vrai ou faux, lisible ou devant faire l’objet d’autodafés ? De quelle légitimité supérieure peut-on se revendiquer ? Quand on voit les conclusions du rapport Mueller et le « pschitt » retentissant du Russia Gate ouvrant une phase de représailles vengeresses du président Trump, bien décidé à « enquêter sur les enquêteurs » ; quand on se remémore l’unanimisme médiatique délirant et l’hystérie russophobe qui, pendant deux ans, ont nourri la farce d’un président américain agent du Kremlin pour expliquer l’inexplicable, l’insupportable défaite de l’immaculée Hillary Clinton, on se demande qui, finalement, relaie le mieux l’intox, la manipulation et le complot ?

    Au-delà du tragicomique de nos errances, nous devons prendre garde à cette décrédibilisation massive des médias occidentaux, car elle porte celle des politiques éponymes et sert les desseins de leurs rivaux chinois, russes ou turcs. Le chantage d’Erdoğan envers Washington à propos des Kurdes syriens, envers Paris avec l’affaire du génocide arménien ou envers l’Allemagne avec les migrants n’a plus de limites. Mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes, victimes de nos inconséquences. On ne peut exiger de la Turquie qu’elle intervienne en Syrie contre le gouvernement de Bachar el-Assad soutenu par Moscou, qu’elle achète des armes américaines plutôt que russes, qu’elle conserve les centaines de milliers de réfugiés syriens sur son territoire et, « en même temps », lui interdire de consolider son influence locale, de rivaliser avec Ryad via Doha, moins encore de réduire l’abcès kurde à ses frontières alors que c’est sa préoccupation sécuritaire et politique n° 1.

    Le néo-sultan mégalomane n’a que faire de nos problèmes et de la dévalorisation stratégique de nos proxys. Il se livre à notre égard, et depuis des années, à un chantage permanent. Nous l’avons laissé faire en toute connaissance de cause, sans jamais l’arrêter, persuadés ainsi de gêner Moscou et impatients de faire tomber la malheureuse Syrie dans l’escarcelle américano-israélo-saoudienne. Nous payons aujourd’hui cette complaisance insensée, cette indulgence a minima envers l’engeance islamiste, envers Daech même, envers Al-Qaïda et ses succédanés, ainsi qu’envers leurs sponsors saoudiens, irakiens, qataris et turcs. Il est un moment où les masques tombent. Ni Washington ni l’Otan ne font plus peur à Ankara qui sait bien que jamais les États-Unis ne l’expulseront de l’Alliance. Quant à nous, Français, nous n’aurions jamais dû en rejoindre le Commandement militaire intégré ni nous soumettre à ses oukases pour quelques étoiles et postes ronflants ; un marché de dupes évident que pourtant, à Paris comme au Quai d’Orsay, on jugea logique et souhaitable puisque l’Amérique a toujours raison, nous protège et ne veut que notre bien… Nous en sommes donc à payer sans délai ni crédit le prix de nos accommodements immoraux, exposés à l’effet boomerang de notre moralisme à géométrie variable.

    Et la Russie dans tout cela ? Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, elle ne se frotte pas les mains face au champ de ruines de son rapprochement (mort-né ?) avec l’Union européenne. Son dépit amoureux face à cette part d’elle-même, qui la relie à l’âme et à l’histoire du Vieux Continent, est toujours là, tout comme son complexe obsidional que nous nous obstinons à nourrir par nos incessantes provocations. Alors, peut-être voit-elle avec une satisfaction amère le village Potemkine européen s’écrouler ; non parce qu’elle l’attaque (en cette matière, l’action d’un Steve Banon est bien plus efficace que celle des pires « idiots utiles » de Moscou), mais parce que ses fondations se révèlent chaque jour plus friables. Une sorte de victoire posthume et triste sur l’adversité. Les avanies, les humiliations, les anathèmes dont elle fait l’objet depuis bientôt vingt ans, depuis qu’elle a repris, contre toute attente, son destin en main, ne sont certes pas réparés. Et la mutation mentale des Européens vis à vis de Moscou n’est pas pour demain. L’Europe ne veut décidément pas de la Russie. Fort bien. Celle-ci s’en passera donc, et se consolera dans une bascule forcée vers l’Asie et Pékin dont nous ferons les frais lorsque la Chine et l’Amérique se disputeront nos reliefs ou s’entendront à nos dépens. Mais cette ostracisation ne portera pas chance aux États européens qui, pour complaire au suzerain américain, tiennent la dragée haute à Moscou sans comprendre l’évidente nécessité et la logique géopolitique d’un rapprochement sur des domaines d’intérêt commun (sécuritaire, migratoire, énergétique, culturel…)

    Sans se penser de façon autonome et sans la Russie, l’Europe n’est pas en mesure de faire masse critique entre les deux nouveaux môles stratégiques mondiaux. La Chine comme l’Amérique appuient sur ses plaies avec une commisération jubilatoire. Ni l’une ni l’autre ne l’aideront jamais pour rien. Les inquiétudes des peuples européens face à la menace migratoire, à l’insécurité culturelle et identitaire, au libre-échange érigé en idole, aux inégalités fiscales entre États et à la béance sociale, sont telles que la mascarade de l’unanimité et de la convergence ne tient plus. Il devient urgentissime de réformer de fond en comble tous les attendus et postulats européens, de même que les mécanismes institutionnels. Les « éléments de langage » d’une technocratie hors sol et autres postures ne suffisent plus. Il faut une évaluation froide et sans concessions de nos intérêts communs véritables et une définition chirurgicale, et non « attrape-tout », des domaines de coopération souhaitables et accessibles. Il faut arrêter de se mentir, de croire aux éléphants roses que sont « le couple franco-allemand », « l’ogre russe » et le gentil génie américain. Il faut cesser aussi de faire comme si une somme de renoncements ou de faiblesses faisait une force collective. Il faut passer aux coopérations renforcées, aux coalitions de projet, au lieu de chercher une unanimité qui produit inertie et paralysie. Il faut qu’à l’intérieur de l’Europe, chacun se mesure pour imposer ses vues et entraîner. La rivalité n’est pas la guerre ! On nous mène, en revanche, une guerre sans merci depuis l’extérieur de l’Union en jouant de notre phobie collective du conflit. Chercher chacun notre place dans la construction européenne provoquera non une guerre, mais un échange infiniment plus sain que ce mensonge permanent de chacun envers tous qui postule l’harmonie et l’identité d’intérêts.

    En conséquence, au lieu de pleurer son couple mythifié avec Berlin, qui n’a jamais vraiment existé que dans son regard embué, Paris doit se lier avec les puissances du sud et de l’est de l’Union (pour chasser sur les plates-bandes allemandes), telle l’Italie, l’Autriche ou la Hongrie, au lieu de les insulter et d’en faire des pestiférés rétrogrades. Il faut enfin oser et non plus procrastiner. Décider par exemple, que l’Europe n’est pas là pour fixer le gabarit de nos fromages de chèvre ou la taille de nos fenêtres, mais pour tenir nos frontières, instaurer une réciprocité commerciale stricte vis à vis de ceux qui prétendent atteindre notre grand marché, faire de l’euro et de la Banque centrale européenne les outils d’une croissance et d’une protection monétaire véritables qui ne se réduisent pas à la lutte contre l’inflation, faire grandir sans états d’âme des champions industriels, technologiques et numériques européens, assumer un « patriotisme économique» sourcilleux, au lieu de laisser des loups entrer dans une bergerie pour la détruire.

    Il faut enfin cesser de rêver à une « armée européenne » ou à un siège européen de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ‒ ce qui revient simplement à donner le nôtre à l’Allemagne et à ses affidés, en espérant que Berlin nous en saura gré. Outre le fait que l’on brade avec une désinvolture inouïe l’un de nos derniers avantages relatifs en termes d’influence, c’est parfaitement irresponsable envers la nation comme envers notre Histoire.

    Pour finir ‒ ou pour commencer ‒ il faut dire que la souveraineté n’est pas un gros mot, qu’à l’instar du « populisme » violent, l’européisme béat est une impasse, une imposture de la « modernité », une fuite en avant suicidaire et infantile. Nous ne parviendrons pas longtemps encore à bâillonner les peuples européens qui refusent leur perdition et la négation dogmatique de leur substrat culturel chrétien et humaniste. Pour survivre face aux ambitions dévorantes des autres, l’Europe doit réarmer tous azimuts, au sens mental, culturel et symbolique du terme. Qu’elle commence par s’affirmer en éliminant les sanctions contre la Russie et en réengageant ses projets d’échanges commerciaux avec l’Iran ! Qu’elle accepte de grandir et de s’affirmer !

    Caroline Galactéros (Geopragma, 24 avril 2019)

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  • Dictionnaire des souverainismes...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier un Dictionnaire des souverainismes de droite et de gauche, établi par Jean-Michel Salgon. L'auteur est un politologue, essayiste, auteur d’ouvrages, de nombreux articles de géopolitique consacrés notamment à l’islamisme et au Maghreb. Il a coordonné le Dictionnaire géopolitique de l’islamisme (Bayard, 2009) et a été un collaborateur régulier de la revue Les Cahiers de l’orient.

     

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    " Cet ouvrage est le premier dictionnaire complet sur le souverainisme qui en éclaire les fondements, l’ensemble des courants et des acteurs. Dans un contexte politique français marqué par une lente et profonde recomposition politique, la question de la souveraineté, populaire et nationale, est devenue une question centrale. Le souverainisme est un phénomène qui concerne l’ensemble des pays européens, en France, mais aussi au Royaume-Uni, en Italie, en Hongrie….. Invoquer la souveraineté c’est invoquer la liberté, celle de faire, de défaire et de décider. Introduit en France, à partir de 1997, le « souverainisme » est un concept qui s’est imposé dans la classe politique et médiatique française notamment après le référendum sur le traité constitutionnel de 2005. Il est l’objet de captations et de polémiques incessantes.

    Ce dictionnaire tente de répondre aux attentes de nombreux citoyens soucieux du devenir de la France. Il présente les organisations souverainistes (associations, partis politiques, clubs de pensée), les hommes et les femmes (biographies), les réseaux et les grands thèmes (Frexit, les sorties, populisme, identité nationale, Otan…). A travers ses multiples entrées, le Dictionnaire des souverainismes de droite et de gauche offre des connaissances de base, décrypte l’actualité nationale, les fractures de la société française, les interrogations de la classe politique sur le devenir de notre nation, l’histoire de France en train de se faire. "

     

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  • Quand les dirigeants oublient que c'est le peuple qui est souverain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Michel Naulot, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de la souveraineté du peuple. Ancien membre du Collège de l’Autorité des marchés financiers, Jean-Michel Naulot est l’auteur d’Éviter l’effondrement (Seuil, 2017).

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    Brexit, référendum de 2005...: «Nos dirigeants ont oublié que c’est le peuple qui est souverain»

    Au Royaume-Uni, la démocratie est en crise. Theresa May a fait voter trois fois les parlementaires sur le même texte, comme si un dirigeant politique était libre d’ignorer un vote lorsqu’il ne lui est pas favorable. Les parlementaires eux-mêmes, majoritairement hostiles au Brexit, ont le plus grand mal à accepter le vote populaire de 2016. Enfin, situation surréaliste dans une démocratie, les perdants du Brexit manifestent pour demander l’organisation d’un nouveau référendum. Ne craignant pas de s’ingérer dans les affaires britanniques, le Président français a même été jusqu’à dénoncer récemment les «mensonges» qui avaient permis aux partisans du Brexit de gagner. Qu’auraient dit en France les partisans du oui à Maastricht si les tenants du non avaient exigé de revoter au prétexte que des mensonges avaient été énoncés par les partisans du oui? À l’époque, cette idée n’a traversé l’esprit de personne.

    En France, le référendum de 2005 avait déjà constitué un tournant inquiétant. La manœuvre qui avait consisté à faire adopter par le Parlement français le texte rejeté par le peuple n’avait pas été glorieuse. Elle montrait qu’en France et à Bruxelles, comme aujourd’hui au Royaume-Uni, certains dirigeants ont un peu de mal à accepter le vote populaire lorsqu’il leur est défavorable.

    Au Royaume-Uni, chacun savait, depuis le début des négociations, qu’aucun accord vraiment satisfaisant ne peut être trouvé. L’accord signé en 1998 avec l’Union européenne interdit en effet de rétablir la frontière entre les deux Irlande. La seule manière de résoudre ce problème, c’est le «no deal», à moins de donner un petit coup de canif dans la souveraineté britannique en prévoyant un statut spécial pour l’Irlande du Nord. Le «no deal» a l’avantage, si l’on peut dire, de rétablir la frontière sans que personne n’en assume la responsabilité…

    Lors du Sommet du 10 avril, si certains dirigeants de l’Union européenne étaient tentés d’accorder un long délai aux Britanniques pour négocier un nouvel accord sur le Brexit, avec l’arrière-pensée de laisser le temps aux Britanniques de revenir sur le choix de 2016, ils rendraient un bien mauvais service à la cause européenne et à la démocratie. Mais, dans le climat actuel, on ne peut exclure que certains dirigeants ne soient tentés de prendre prétexte de l’organisation de nouvelles élections britanniques ou de la nécessité d’ouvrir les élections européennes aux Britanniques pour accepter la solution d’un long report du Brexit. Ils confirmeraient alors que les propos tenus par Jean-Claude Juncker au lendemain de l’élection d’Alexis Tsipras - «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens» - constituent désormais l’ADN de l’analyse politique de certains dirigeants.

    En pleine crise des Gilets jaunes, certaines leçons du Brexit et du référendum de 2005 peuvent d’ores et déjà être tirées en vue des réformes institutionnelles qui suivront le Grand Débat. La revendication d’une plus grande participation des citoyens aux décisions est légitime. Le dispositif organisant le référendum d’initiative partagée doit ainsi être assoupli pour permettre à un nombre significatif de citoyens de soumettre un texte au vote populaire. Cette réforme pourrait être l’occasion d’ajouter deux règles simples au fonctionnement du référendum. Aucun référendum ne devrait pouvoir être organisé sur un texte qui a déjà été soumis à référendum si un délai raisonnable, par exemple cinq ans, ne s’est pas écoulé entre la mise en application de la décision référendaire et le nouveau référendum. Cela pour éviter que l’on ne soit tenté de faire revoter le peuple jusqu’à ce qu’il change d’avis sans avoir préalablement respecté sa décision. Par ailleurs, aucun vote parlementaire ne pourrait défaire ce que le peuple a décidé. Cela, afin d’éviter un véritable déni de démocratie.

    Ces règles vont presque de soi dans une démocratie bien vivante mais, dans le climat des dernières années, elles gagneraient à être écrites. Quant aux traités, ils ne peuvent en aucun cas être opposés à la volonté populaire. Le peuple est souverain. Les traités sont faits pour évoluer. Comme le disait De Gaulle, «Les traités sont comme les jeunes filles et les roses: ça dure ce que ça dure!».

    Le passage de la démocratie représentative à une démocratie semi-directe, amorcé par la Cinquième République en 1958 (référendum) et en 1962 (élection du Président au suffrage universel), exige qu’une place plus importante soit faite à l’expression de la volonté populaire. Mais il exige aussi que de nouvelles règles soient posées pour nous protéger des résistances d’une élite qui a parfois un peu de mal à accepter cette évolution. Un nouvel équilibre doit être trouvé, à moins de prendre le risque d’aller vers une crise démocratique beaucoup plus grave.

    Jean-Michel Naulot (Figaro Vox, 2 avril 2019)

     

     

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  • Ces frontières qu’on n’attendait plus…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au retour des frontières.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Ces frontières qu’on n’attendait plus

    Des peuples en quête de liberté, des Nations en quête de sécurité, redécouvrent la vertu de la frontière. Elle sépare de l’extérieur, elle unit à l’intérieur. Elle assure la liberté de mouvement dans le territoire qu’elle contrôle. Sans elle, pas de liberté politique, pas de souveraineté nationale, et pas de démocratie. Nous n’en sommes plus à « L’éloge des Frontières » (1) nous en sommes à l’urgence de définir, renforcer et défendre nos frontières nationales et européennes.

    Le temps de la séparation

    Barrières, murs, fossés, partout s’élèvent, se construisent ou se creusent, partout l’idéologie de l’ouverture, de la mobilité infinie et de l’unité planétaire bat en retraite, et partout vient le temps de la séparation. La frontière est la figure du monde de demain, un monde qui ne ressemble pas à ce qui nous était annoncé. Et tant pis pour qui répète les clichés hérités des années 1990, du temps où la « fin de l’histoire », le modèle de «  l’open society » et la berceuse du multiculturalisme s’enseignaient partout, de l’ENA au festival de Cannes.

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