Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque la conception de la souveraineté et de la décision politique chez Carl Schmitt, notamment au travers de son essai Théologie politique (1922).
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Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque la conception de la souveraineté et de la décision politique chez Carl Schmitt, notamment au travers de son essai Théologie politique (1922).
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexandre Page, cueilli sur Tysol et consacré au besoin pour la France de politiciens en prise avec leur peuple. Alexandre Page est docteur en histoire de l’art et écrivain.
Le militantisme moral ou la gangrène de la politique française
Compte tenu de l’omniprésence de son nom dans les médias, il faudrait vivre sur une autre planète pour ne pas avoir entendu parler du dernier séisme des sondages électoraux pour les présidentielles de 2022 : Éric Zemmour, candidat même pas encore déclaré et soutenu par aucun parti serait au second tour des élections présidentielles avec au moins 17 % de promesses électorales.
Ce séisme n’est cependant pas le plus notoire. Ce qu’il convient de retenir, c’est que ce score n’est pas si éloigné de celui de toute la gauche réunie, et qu’en s’ajoutant à ceux de toute la « droite dure », il représente allégrement le tiers de l’électorat décidé à voter en avril 2022.
Toutefois, ce que ce sondage traduit, c’est d’abord la lassitude des Français à l’égard des appareils politiques, même celui du président qui avance sous son seul nom lorsque LREM est renvoyé aux oubliettes. Une raison est assez facile à trouver. En vérité, il n’y a plus en France beaucoup de politiciens, espèce qui s’éteint et qui — je m’en expliquerai ci-après — a subi une mort progressive venue de la gauche avant de gagner la droite. Cette maladie qui a tué les politiciens français au fil du temps pour n’en laisser aujourd’hui qu’une faible poignée s’appelle le militantisme moral. Cette notion apparue dans les années soixante se distingue du militantisme politique dans le sens où il repose essentiellement sur des concepts d’ordres humanitaires, sociaux, écologiques, dans une vision à priori trans-partisane et universelle. En soi, ce n’est pas mauvais, mais par définition, le militantisme moral ne fait pas bon ménage avec la politique, un peu comme le chlore avec le nitrate d’ammonium, et aujourd’hui les politiciens français ont laissé place à des militants se prenant pour des politiciens.
La différence entre le militant et le politicien est fondamentale, car le militant défend une cause, des valeurs auxquelles il tient plus que tout et qu’il va servir utilement dans des associations, des organismes, des fondations… Un politicien, à l’instar de toute autre personne s’engageant à servir l’État, se met au service de son pays, de sa population et doit traduire dans ses actes ce qui ressort du débat démocratique. Pour cela, il doit mettre de côté ses propres dogmes, ses utopies, sa vision du monde, car il est un instrument et non un combattant (définition originelle du militant). Un militant peut être utopiste, un politicien doit être réaliste ; un militant peut vivre en théorie, un politicien doit être pragmatique ; un militant est là pour changer les choses, un politicien est là pour répondre au peuple devant lequel il est redevable. C’est là un principe assez simple à comprendre, mais il s’avère qu’aujourd’hui l’essentiel de nos hommes politiques — et les femmes ne font pas exception, en dépit du sacro-saint génie féminin que nous vantent certaines féministes — est militant. Ils ne sont pas dans la réalité, ils ne sont pas pragmatiques, ils ne se sentent redevables devant personne de leurs actions. Ils sont utopistes, vivent en théorie et se croient tout permis. C’est un phénomène qui est d’abord né à l’extrême gauche avec le décalage croissant entre la réalité du monde et les propos et programmes politiques du NPA, de Lutte ouvrière ou encore du Parti communiste. Ils ne veulent pas se mettre à jour des réalités du monde et restent enferrer contre vent et marée dans leur utopie. Ils ne cherchent pas à écouter les Français, à répondre à leurs problèmes, mais à défendre leur vision du monde déphasée par rapport à la réalité. Ce phénomène a progressivement contaminé toute la gauche et effondré les scores des partis les uns après les autres jusqu’à réduire le PS, jadis invité traditionnel du second tour des présidentielles, à 4 %. Puis il a mangé et mange encore le centre, amalgamé à ce fourre-tout nommé « majorité présidentielle », et la droite qui ressemble fort au noyé tentant de se débattre pour survivre, mais tout proche de voir ses dernières forces le lâcher. Toutes ces chutes, ces dégringolades, viennent du même mal : ces partis ont perdu leurs politiciens troqués contre des militants. Cette situation explique d’ailleurs l’impuissance actuelle de tous à contrer l’ascension d’Éric Zemmour, alors même qu’il semble prêter le flanc avec un programme en délicatesse sur un certain nombre de sujets (culturel, écologique, diplomatique…). Elle explique plus généralement l’appétence des Français pour les candidats souverainistes de droite dure. Comment un homme politique réagirait-il face à cette ascension ? Il chercherait sans doute à comprendre l’origine de ces votes. En en comprenant l’origine, il chercherait ensuite à répondre politiquement par des propositions qui donneraient des solutions aux problèmes et aux réclamations des Français. Enfin, il appliquerait en homme politique le programme qu’il a promis, car il ne se prend pas pour une diva redevable de rien devant personne. Ça, c’est ce que ferait un homme politique, mais pas un militant déguisé en homme politique. Le militant, face à ces votes, va d’abord pleurnicher, s’alarmer, gronder, se répandre en sentiments shakespeariens dans les médias. C’est, par exemple, la « nausée » d’Anne Hidalgo. Les émotions marchent très bien en matière de militantisme moral dans les ONG, dans les associations, dans les fondations, mais en politique, queue de cerise ! Ensuite, le militant va rester enferrer dans ses idées, dans ses dogmes, il est indéboulonnable, même lorsque les sondages lui prédisent un score tel qu’il ne remboursera pas ses frais de campagne. Les Français ne le suivent pas, mais ce n’est pas grave, il croit toujours que son programme dogmatique est ce qu’ils attendent. Là encore, les gens aiment le militant de Greenpeace qui sur sa barque se met devant les baleiniers géants, mais en politique, ils veulent qu’on écoute et qu’on réponde à leurs problèmes. Enfin, le militant, si par miracle il est élu, par exemple en ayant compris les deux premiers points, va vite jeter son programme en carton-pâte à la poubelle et faire non pas ce que les Français veulent, mais ce qui correspond à sa vision personnelle de ce que doit être le pays et la vie des Français.
Ainsi, l’homme politique va comprendre que le succès d’Éric Zemmour ou de Marine Le Pen vient probablement de leurs propositions, des sujets qu’ils abordent, des problèmes qu’ils soulignent voire surlignent au marqueur jaune indélébile. Le militant, lui, ne cherche pas à comprendre. Il ne veut rien entendre et s’enferre dans son déni ou son utopie en disant publiquement que « Les Français n’ont rien compris » et secrètement que ce sont de gros cons fachos (et parfois ils le disent également en public).
Le militant veut imposer sa vision du monde aux Français, un homme politique va construire le monde avec les Français et donc nécessairement devoir les écouter, leur répondre et mettre en œuvre ce qu’ils réclament. Prenons un exemple. Récemment un sondage montrait que 92 % des Français étaient favorables à la perpétuité réelle. Les Français de manière générale sont pour une justice beaucoup plus sévère. Un homme politique n’a pas à faire autre chose que de répondre présent sur ce sujet et de donner satisfaction par des mesures allant en ce sens. Pourtant, entre le déni des uns sur le laxisme judiciaire et les promesses jamais tenues des autres qui ont pris part à l’exercice du pouvoir, force est de constater que le sujet n’est vraiment abordé que par la droite radicale. Alors peut-être que les Français ont tort sur le laxisme judiciaire, mais il n’y a pas de fumée sans feu, et si autant réclament plus de sévérité, ça vient sûrement d’une expérience concrète. Peut-être de cet homme qui insulte les policiers, vole du matériel aux pompiers et écope d’un affreux vilain méchant stage de citoyenneté en retour ! C’est là un exemple entre mille autres.
Alors bien sûr, on taxe du gros mot de « populistes » ceux qui répondent au peuple, qui disent au peuple ce qu’il veut entendre, mais c’est la moindre des choses en démocratie alors que le peuple est souverain. Si Éric Zemmour ou Marine Le Pen progressent dans les sondages, ce n’est pas en inventant les problèmes des Français. Si c’était si simple, avec tous ceux que la gauche « woke » leur inventent, Sandrine Rousseau serait déjà présidente. Ils répondent à des problèmes que les Français posent à tous et que tous écoutent, mais en omettant trop souvent la réponse.
Prenons un autre exemple, celui de la question migratoire. Depuis plusieurs années des sondages se succèdent à ce sujet. En 2013, un sondage Ipsos avait ainsi relevé que 7 Français sur 10 estimaient qu’il y avait trop d’étrangers en France. Plus récemment, deux sondages sont venus confirmer qu’il n’y avait pas de changements notables sur ce sujet : 6 sur 10 sont favorables à un référendum pour limiter l’immigration, 4 sur dix seraient même favorables à une immigration zéro.
Alors peut-être que les Français ont tort encore une fois, mais en vérité, l’immigration est surtout ce qu’on en fait et on peut peut-être concevoir qu’aujourd’hui il y a des problèmes considérables qui ne sont pas réglés. Le chiffre ridiculement petit des expulsions de citoyens étrangers du sol français pourtant actées par la justice française en est un exemple. Un homme politique, un véritable, ne chercherait pas à nier ces problèmes au prétexte que ça contreviendrait à sa vision idyllique de l’immigration et de ses bienfaits et que ça pourrait le maquiller d’un mascara facho. Un militant par contre, ou un militant déguisé en homme politique, chercherait à les nier, car pour lui l’immigration c’est forcément bien, c’est forcément génial, il n’y a aucun souci, tout baigne pour le mieux dans le meilleur des mondes, et les Français qui ne pensent pas cela sont soit des fachos, soit des abrutis. Le militant est dans le déni, car la réalité heurte ses valeurs et ses convictions, jette dans la tempête son utopie.
Être politicien, un vrai politicien, et sûrement Éric Zemmour ne l’ignore-t-il pas pour en avoir connu une flopée, c’est toujours se souvenir qu’en démocratie, le peuple est souverain. Il est l’armateur du navire qui nomme son capitaine et son équipage en choisissant la route qu’ils doivent prendre. Certes, la démocratie française est bien malade et sûrement beaucoup de politiciens oublient-ils cette réalité à cause de ça, mais elle subsiste, là, sous-jacente, prête à ressurgir. Être militant, c’est s’enfermer dans sa vision dogmatique, contre vent et marée, avec la conviction que la vision que l’on porte est la bonne et en niant bien souvent les réalités contraires. Mais si le capitaine va en Amérique quand l’armateur lui demande d’aller en Afrique du Sud, alors l’armateur change le capitaine et l’équipage. Trop de politiciens aujourd’hui se prennent pour des armateurs, oublieux de leur rôle car devenus complètement hermétiques aux réalités de leur pays, aux ressentis de leur peuple.
Je conclurai cette déjà longue réflexion politique en soulignant qu’il est bien triste dans une prétendue démocratie de devoir se fier à des sondages plutôt qu’à des référendums pour prendre le pouls de l’opinion des Français. Neuf référendums sous la Ve République née en 1958… En 2019, 73 % des Français en réclamaient un dixième dont 71 % s’exprimaient pour un référendum sur le pouvoir d’achat. Voilà nos candidats à la présidentielle dûment informés, à eux de voir si leur dogmatisme l’emportera sur la seule et unique réponse logique qu’ils doivent promettre et mettre en œuvre au service des Français à ce sujet.
Alexandre Page (Tysol, 18 octobre 2021)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels consacré aux menaces de l'Union européenne à l'encontre de la Pologne visant à faire tomber le régime actuel.
Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels, qui est devenu une figure de la pensée conservatrice en Europe, vit en Pologne et est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).
Le poker autour du Polexit
Bien que la Cour constitutionnelle polonaise se soit contentée de mettre en question que la CJCE soit vraiment autorisée à remodeler la constitution polonaise même dans les domaines où l'UE n'a pas de compétence sur base des traités européens - doute déjà exprimé par maintes autres cours constitutionnelles européennes ces dernières années, y compris l'Allemagne -, cette décision est stylisée dans les médias occidentaux comme un « rejet des valeurs européennes », voire comme une dénonciation unilatérale de l'adhésion à l'UE. Dans « Der Spiegel », par exemple, Markus Becker a déclaré : « L'UE doit donc riposter avec tout ce qu'elle a, car c'est son existence même qui est en jeu. Cela signifie que la Pologne doit immédiatement couper chaque centime de fonds européens qui peut être coupé », tandis que dans les « Tagesthemen », Markus Preiß a déclaré de manière menaçante : « Depuis trop longtemps, la Commission européenne, mais aussi l'Allemagne en tant que pays le plus puissant, sont restées sans rien faire ». Ainsi, la Pologne menace « l'existence de l'UE » et l'Allemagne, en tant que « pays le plus puissant » du continent, doit enfin mettre de côté sa longanimité légendaire et contribuer à « riposter » avec tous les moyens à sa disposition et à étrangler financièrement son voisin de l'Est. Cela ne ressemble-t-il pas à une hystérie tout à fait inadaptée à la réalité, voire à une gratte dans le disque de l'histoire récente ?
En apparence, la lutte actuelle porte sur l’accusation selon laquelle la Pologne, par sa réforme juridique, violerait les traités européens et créerait une Europe « à la carte » en ne tenant pas compte des « règles du jeu » générales en continuant pourtant à « collecter l'argent des impôts de l'Europe occidentale ». Tout cela est faux à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, c’est l’UE qui, ces dernières années, par une instrumentalisation inouïe de ces prétendues « valeurs européennes », a déformé les règles du jeu au point de les rendre méconnaissables : la Commission, le Parlement et surtout la CJUE en sont venus à définir des termes tels que « liberté », « égalité », « protection des minorités » ou « État de droit » de manière si large et si idéologiquement à gauche qu'ils en tirent une justification pour presque toute intervention législative dans le droit national – et ce sans aucune possibilité de recours, puisque la CJUE, profondément politisée, sous le prétexte d'une prétendue « séparation des pouvoirs », élude toute objection des autres instances. Cela n'a peut-être pas changé la lettre des traités, mais l'esprit en a été littéralement inversé : légalité ne signifie pas légitimité, comme l'ont tragiquement démontré les régimes autoritaires du XXe siècle.
Deuxièmement, la soi-disant réforme juridique, comme cela a déjà été suffisamment débattu dans la littérature, n'était pas seulement une réaction du gouvernement actuel à la nomination illégitime et prématurée de plusieurs juges constitutionnels par le gouvernement sortant de Donald Tusk, mais découlait également de la nécessité de gérer l'héritage personnel de l'ère communiste, dont le système de patronage dans le système judiciaire polonais n'avait jamais été soumis à une véritable lustration et s'était entièrement rangé du côté des partis de gauche-libéraux. La démocratisation du système juridique polonais n'a rien fait d'autre que créer des conditions constitutionnelles qui correspondent à celles de la plupart des autres pays européens et ne menacent pas plus l'« indépendance » du pouvoir judiciaire que ce n'est le cas dans l'Allemagne actuelle, mais bien évidemment, tout cela n'a jamais été repris par les médias d'Europe occidentale : Car le vrai problème n'était pas la réforme elle-même, mais sa conséquence, à savoir le renforcement de l'élément conservateur dans le système judiciaire polonais et donc son soutien à la politique intérieure du gouvernement polonais tant détesté par l’Occident.
Troisièmement, l'argument d’une prétendue obligation d'obéissance de la Pologne en contrepartie des aides financières reçues par l’UE est incorrect à la fois sur le plan moral et factuel. Moralement, car aucun Espagnol ou Écossais ne supposerait jamais que l'Andalousie ou les Highlands du nord-ouest auraient moins de poids national que les autres régions simplement parce qu'elles génèrent moins d'argent qu'elles n'en reçoivent en raison de leur faiblesse structurelle actuelle. Pourquoi en serait-il autrement pour la Pologne au sein de l'UE ? Objectivement, parce qu'il a été prouvé (comme, par exemple, mutatis mutandis dans le cas de l'Allemagne de l'Est) que ces fonds ne sont guère des dons désintéressés, mais représentent plutôt la contrepartie de l'ouverture de la Pologne au marché intérieur européen, où les produits d'Europe occidentale étouffent aujourd'hui encore dans l'œuf leur concurrence d'Europe orientale par des prix de dumping, où le capital d'Europe occidentale profite du marché du travail polonais, aussi bon marché que hautement qualifié, et où même les grands projets d'infrastructure financés par l'UE sont le plus souvent pris en charge par des entreprises occidentales et permettent le transport de marchandises occidentales. Ce qui en résulte est tout sauf de la charité chrétienne, mais au mieux une situation gagnant-gagnant froidement calculée.
Mais cela explique aussi pourquoi le spectre du prétendu « Polexit » invoqué par les médias d'Europe occidentale est une déformation soit naïve, soit malveillante de la situation économique et politique réelle. Compte tenu des liens économiques étroits avec l'Ouest et de l'enthousiasme collectif pour l'intégration européenne, il n'y a absolument aucun désir en Pologne, et surtout pas au niveau gouvernemental, de quitter l'UE - et en fin de compte, il en va de même pour l'Europe occidentale et surtout pour l'Allemagne, qui, par un Polexit, perdrait un site central d'exportation, de production et d'investissement et ne peut avoir aucun intérêt à trouver des postes de douane sur l'Oder. Une rupture de la symbiose entre l'Est et l'Ouest ne toucherait finalement pas moins la Pologne que l'Allemagne, puisque les subsides « économisés » ne pourraient guère être investies avec plus de profit ailleurs que chez le voisin le plus proche, qui est après tout le cinquième partenaire commercial de l'Allemagne.
Alors pourquoi le spectre de Polexit est-il constamment invoqué, non seulement à Bruxelles mais aussi à Berlin, et pourquoi le pays est-il littéralement poussé hors de l'UE par une agitation médiatique sans précédent ? La réponse est simple : il s'agit ni plus ni moins d'une partie de poker dont l'objectif est en « changement de régime » classique. La pression politique, médiatique et financière est destinée à agir comme des grésillons pour obliger le gouvernement polonais à céder et donc à abandonner sa politique intérieure conservatrice - ou bien, par une intimidation progressive, à amener la population à renverser le gouvernement d'une manière ou d'une autre et à provoquer de nouvelles élections. Dans le processus, l'ancien président du Conseil européen, Donald Tusk, qui est revenu à Varsovie il y a quelques mois précisément dans ce but, serait alors réélu Premier ministre polonais et ramènerait le pays sur la voie négociée à Berlin et à Paris. Le seul hic de ce calcul, c'est que tôt ou tard, ces mesures mettraient aussi l'Europe occidentale en difficulté, d'autant plus que l'Europe de l'Est s'est jusqu'à présent très bien sortie de la crise et affiche des taux de croissance extraordinaires, ce qui signifie qu'elle offre des conditions presque paradisiaques aux investisseurs occidentaux. L'UE s'appuie donc d'autant plus sur la pression concentrée des médias pour ériger une toile de fond menaçante dont la véritable cible est la population polonaise qui, après des décennies de domination soviétique, veut à tout prix appartenir à l'« occident ». Varsovie va-t-elle céder avant de se rendre compte qu'elle n'a pas de plus mauvaises cartes que ses homologues de Bruxelles et de Berlin ?
David Engels (Tysol, 17 octobre 2021)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré à une récente déclaration de la ministre de la défense, Florence Parly, à propos des relations que doit entretenir la France avec l'OTAN et l'Union européenne. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.
La France, fille des États-Unis et de l’Europe
On pourrait appeler ça un lapsus géopolitique. « Hésiter entre autonomie stratégique (européenne, NDLR) et alliance atlantique, c’est un peu comme demander à un enfant s’il préfère sa mère ou son père », a déclaré la ministre des Armées, Florence Parly, lors d’un long entretien avec la revue Le Grand Continent.
L’on comprend intuitivement ce que veut dire Madame Parly : dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent, particulièrement depuis Nicolas Sarkozy, l’OTAN et la construction européenne sont deux processus qui auraient pour l’avenir force de destin. Il n’y aurait pas d’autre ligne d’horizon que cette double intégration de la France dans deux ensembles plus grands qu’elle mais qui, entre eux, ne seraient pas pour autant en concurrence. A l’Union européenne, l’édification des normes juridiques, politiques, économiques et sociales ; à l’OTAN l’expression de la puissance par le biais de l’outil militaire. Ce sont deux logiques impériales distinctes, mais compatibles l’une avec l’autre, dont les centres respectifs se situeraient respectivement à Bruxelles et à Washington. Nous sommes tellement habitués à cette subordination à deux têtes qu’elle nous apparaît des plus naturelles, même si elle est rarement formalisée comme telle. Attention, quand je parle d’empire, je ne pense pas à une hégémonie totale qui s’exercerait en tout lieu avec la même force. Un empire ne demande pas à chacun de ses membres – notamment aux plus éloignés – d’être des Romains à part entière. Qu’ils soient des Gallo-Romains suffit largement à la logique impériale. C’est un régime de semi-liberté au sens où, sur toutes les questions d’ordre secondaire, l’ancien barbare a la chance de pouvoir le rester un peu. Mais le centre de l’empire rayonnant, il perd un peu de sa barbarie par l’action de cette force d’attraction qui l’influence. Plus on se rapproche du centre, plus les Gallo-Romains sont romains et moins ils sont gaulois. Plus on se rapproche du centre, moins cette semi-liberté se manifeste, mais, en échange, plus le pouvoir au sein de l’empire est grand. Dans les marches de l’empire, où la force d’attraction est la plus faible, la liberté y est la plus grande, mais le pouvoir le plus faible. On y vit comme en Gaule, mais on n’y écrit pas l’histoire. Ce qui y manquera toujours, c’est l’alliance de la liberté et du pouvoir. On peut avoir plus de l’un et moins de l’autre, mais pas les deux. Ce qui manquera donc toujours, c’est la souveraineté politique, ligne rouge infranchissable de la logique impériale.
Comme l’a bien montré Régis Debray, cette logique impériale est celle qui s’impose aujourd’hui dans l’ordre occidental. Que des vieux Etats souverains se réveillent aujourd’hui – Russie, Turquie, Iran, Inde, Chine – nous laissent aussi pantois que décontenancés. Mais comment peut-on ne pas vouloir de la douceur d’être gallo-romain ? Comment peut-on être seulement gaulois ?
C’est bien là que ces quelques mots de Florence Parly, si clairement exprimés, nous sautent à la figure. « Hésiter entre autonomie stratégique (européenne, NDLR) et alliance atlantique, c’est un peu comme demander à un enfant s’il préfère sa mère ou son père. » Voici que la France millénaire, par un étonnant retournement chronologique, devient la fille de l’OTAN, née en 1949, et de l’Union européenne, née en 1958. Dit autrement, la France est la fille des Etats-Unis et de l’Europe. Va encore pour les Etats-Unis, cela peut se comprendre comme la simple traduction d’un rapport d’autorité entre deux autorités distinctes, l’une l’emportant sur l’autre. Mais quid de l’Europe ? La France et les autres pays européens (il faudrait quand même demander aux Allemands ce qu’ils en pensent…) seraient filles de l’Europe, qui, elle-même, a été engendrée par la France et ces autres pays européens ? Un psychanalyste se régalerait d’une telle filiation enchevêtrée.
Si encore la France acceptait en conscience de n’être plus que la fille de l’Europe et des Etats-Unis, soit. Nous rentrerions sagement dans la logique impériale et profiterions ainsi de la douceur de vivre du barbare qui ne l’est plus complètement. Mais, en France, quelque chose résiste, dont Emmanuel Macron est lui-même la plus pure incarnation. Se vit-il comme le gouverneur d’une satrapie éloignée ou comme le président de la cinquième puissance mondiale ? Ai-je besoin de répondre ? A l’étranger, le président français fait doucement sourire avec son ego surdimensionné, sa prétention à régir le monde entier, à refonder l’Europe, à réinventer le capitalisme (Angela Merkel a bien ri en prenant la parole après lui lors du dernier sommet de Davos, il y a un mois environ) et à se ceindre (aucune petite gloire n’est à négliger) du titre de Haut-commissaire de France au Levant (eh oui, réglons le problème libanais puisque les Libanais eux-mêmes n’en sont pas capables). You’re so French, Hubert.
Ce reliquat de puissance française, qui prête à sourire quand il n’exaspère pas, est la marque un brin pathétique de notre ambivalence : nous vivons selon la logique impériale, sans l’accepter pleinement. Reste alors le déni, les actes manqués et les lapsus pour faire remonter à la surface cette phrase du juriste Jean de Blanot (1230-1281) : « le Roi de France est empereur en son royaume ». Toute l’histoire de France a représenté un mouvement de résistance à la forme impériale, et en particulier l’édification de notre nation par un Etat souverain qui l’a précédée, de Philippe IV le Bel à Charles de Gaulle en passant par la Révolution française. Cette histoire séculaire ne sait aujourd’hui comment s’exprimer sinon par l’expression d’une grandeur un peu fantoche et par la présence réconfortante d’un président de la République qui – au-delà du cas extrême d’Emmanuel Macron – conserve l’apparence d’un monarque tout puissant. Notre droit conserve lui aussi une certaine force d’inertie. Si l’intégration du droit de l’Union européenne diffuse jusque dans les plus lointaines juridictions et administrations, notre Constitution, elle, demeure légèrement épargnée. Certes, diront les plus eurosceptiques, l’Union européenne fait depuis 1992 l’objet d’un passage entier, le titre XV, aujourd’hui intitulé « De l’Union européenne » et dont l’article 88-1 dispose que « la République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des Traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences ». Mais justement, l’on comprend à travers ces mots – n’en déplaise à Madame Parly – que c’est l’Europe qui est la fille de la France et des autres pays qui la constituent ! Quant à l’OTAN, on a beau chercher, mais on n’en trouve trace (en revanche, l’organisation nord-atlantique est inscrite dans les Traités européens). Lors, la France pourrait-elle être la fille de deux organisations dont notre Gründ Norm nous dit pour l’une, qu’elle en est la mère et pour l’autre, qu’elle n’existe pas ? Par ailleurs, bien avant le Titre XV, vient le Titre I intitulé… « De la souveraineté » où l’on peut lire en son article 3, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Ni aucune organisation ou Etat, a fortiori. Si la France peut bien sûr lier son destin à celui d’autres nations – et cela est même souhaitable, notamment avec pays les plus proches d’elle culturellement et historiquement, dont les Etats-Unis – elle ne pourra jamais le faire en tant que « fille », même avec le réconfort narcissique de se dire qu’elle est la « fille aînée ». Cela ne signifie pas que l’on doive sortir de l’OTAN ou de l’UE, seulement que l’on vive ces coopérations comme l’expression même de notre propre souveraineté et non comme celle d’une filiation qui, comme l’expression présidentielle de « souveraineté européenne », ne repose que sur du sable. Il n’y a ni mère ni fille, ni père ni fils, mais des Etats souverains disposant d’un pouvoir plus ou un grand et d’une histoire plus ou moins longue. La souveraineté n’est pas la croyance mégalomane que l’on peut faire ce que l’on veut, mais un choix premier d’où découle toute l’action politique.
Alexis Feertchak (Geopragma, 1er mars 2021)
Vous pouvez découvrir ci-dessous un exposé de Laurent Ozon diffusé sur son canal d'expression Odyssée, "Les topos de Laurent Ozon", et consacré à la question de la souveraineté.
Essayiste et analyste politique, tenant d'une écologie localiste et identitaire, premier promoteur de l'idée de remigration, Laurent Ozon est l'auteur de l'excellent essai intitulé France, années décisives (Bios, 2015).
Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Matthieu Bock-Côté à Arthur de Laborde sur Sud Radio dans lequel il évoque la mondialisation comme vecteur du Covid-19, la souveraineté et la maîtrise des frontières. Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016), Le nouveau régime (Boréal, 2017) ou L'empire du politiquement correct (Cerf, 2019).