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souveraineté - Page 5

  • Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Geopragma et consacré aux conséquences de la crise du Coronavirus en Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe

    Il ne s’agit pas, comme pour l’OTAN, d’une prétendue “mort cérébrale” mais d’une très concrète mise sous respiration artificielle de l’Europe. Sans garantie de survie. Le Covid-19 agit comme un triste révélateur de la vérité de ce qu’est l’UE : une vieille dame qui a “de beaux restes” mais ne sait plus ce que veut dire “se tenir”, être digne de soi ou de ce que l’on prétend être. Telle une ancienne gloire de la scène mondiale, elle vit tellement dans ses souvenirs et ses illusions qu’elle ne s’est pas rendu compte que le monde avait complètement changé et qu’on ne l’écoutait plus.

    Les masques tombent

    Cette pandémie révèle les meilleurs et les pires des comportements humains : les trafics, les pillages dans nos hypermarchés dégoulinants de nourriture, le mépris des consignes de confinement d’une partie de notre jeunesse en sécession, l’abandon de notre partenaire italien en pleine tragédie, comme d’ailleurs celui de la Grèce plus seule que jamais face aux migrants à l’assaut de ses frontières, les coups de poignard dans le dos entre Européens (comme ces douaniers Tchèques qui récupèrent l’aide chinoise d’urgence destinée à l’Italie et la distribuent dans leurs hôpitaux). Il y a aussi le meilleur : la solidarité active de tant de nos concitoyens et de nos entreprises qui fourmillent d’initiatives et d’empathie, les policiers qui travaillent nuit et jour pour sauver de leurs bourreaux domestiques femmes et enfants plus en danger encore que d’ordinaire, les pompiers, les personnels dévoués de nos maisons de retraite et même simplement les “mercis” chantés chaque soir pour les “soignants” qui ne démissionnent pas alors même que l’impéritie gouvernementale les fait depuis des semaines monter au front presque sans masques ni gants… Ne nous trompons pas toutefois. Le dévoiement de la sémantique guerrière est à mon sens ridicule et même contreproductif. Cette rhétorique martiale dessert l’image de nos “chefs de guerre” manifestement mal armés et peu décisifs aux premiers temps de l’épidémie. Les “soignants” ne font que leur devoir. Ils vivent leur vocation, celle qui a inspiré leur choix professionnel. Ce ne sont pas des “héros”, ni des victimes. Même s’il est vrai que, comme nos gendarmes, nos policiers, nos croquemorts et tant d’autres, ils montent au front de la pandémie depuis des semaines souvent sans armes et prennent des risques personnels insensés dans un pays qui se targuait hier encore d’avoir le meilleur système de soins au monde…

    “Il est donc grand temps de redéfinir avec lucidité et ambition le périmètre du régalien”

    Les masques sont donc tombés de ce nouveau village Potemkine français, la politique préventive de santé publique. Dieu merci, Hippocrate est encore vivant. Il faudra néanmoins sérieusement s’occuper de lui dès la crise passée et le soigner à son tour sans mégoter. Cette incurie sanitaire aux conséquences désastreuses rappelle celle du budget de la défense, allègrement raboté durant des décennies au nom des “dividendes de la paix” sans réfléchir même à préserver les capacités essentielles indépendantes pour faire face à de collectives calamités. Nous sommes là au cœur de la résilience d’une nation et même de sa survie. Quand la tempête sera passée, ces domaines, comme ceux de la sécurité ou de la justice, devront une fois pour toutes échapper à nos petits hauts fonctionnaires comptables ratiocineurs, qui trouvent toujours de l’argent pour remplir les tonneaux des Danaïdes de l’assistanat à visée électoraliste, mais laissent nos soldats et nos médecins en haillons au nom de la rationalité budgétaire en misant sur leur sens du devoir pour faire le job malgré tout si besoin était. Besoin est.

    Le besoin d'état

    Il est donc grand temps de redéfinir avec lucidité et ambition le périmètre du régalien, qui dessine celui de notre souveraineté comme socle vital de la persistance dans l’être de la Nation. Temps aussi d’admettre que nous faisons face au grand retour des Etats dont il faut se réjouir au lieu de célébrer stupidement leur déliquescence comme un progrès.

    Car nos peuples, tous les peuples ont besoin d’un Etat, et d’un Etat fort qui sache les protéger et décider dans l’incertitude au mieux de leurs intérêts physiques, matériels, et même immatériels. Les utopies fluides de la globalisation, de la délocalisation vertueuse des productions indispensables (des masques et respirateurs aux catapultes de nos avions de chasse, aux turbines de nos sous-marins en passant par notre alimentation, nos médicaments, etc…), celles de la virtualisation accélérée du monde viennent de se fracasser lamentablement devant un petit virus mutant, né de nos propres expérimentations, qui décime cet humain prétendument si proche de la vie éternelle et de l’humanité “augmentée”. Le COVID 19 vous terrasse comme la peste noire ou la grippe espagnole emportèrent en leur temps des centaines de milliers de malheureux. Nous ne sommes donc rien ou plutôt pas grand-chose ! Vanitas vanitatis, omnia est vanitas ! Il était temps de s’en souvenir. Pas de masque, pas de gants, une accolade de trop et hop ! Au trou ! Cette crise est une crise de l’Ubris occidental, gavé d’utopie technicienne au point de se croire invulnérable. On n’y croyait pas. Un peu comme les Américains avant le 11 septembre 2001, qui ne pouvaient seulement imaginer, en dépit de bien des signaux d’alarme, que leur territoire allait être magistralement désanctuarisé en son cœur même. Notre civilisation “post-moderne”, pétrie d’économisme triomphant, saisie du vertige transhumaniste et nos sociétés si sophistiquées qui pratiquent le trading haute fréquence et installent des millions de Kilomètres de câbles sous-marins pour gagner plus encore, en quasi totale décorrélation d’avec l’économie réelle comme du sort des populations ordinaires, avaient juste oublié qu’elles étaient mortelles. Paul Valery n’aurait sans doute pas imaginé pareille postérité à son prophétique propos.

    “L’Etat tient” nous dit-on ! Encore heureux ! Mais pour combien de temps et surtout, saura-ton tirer profit de ce drame mondial pour prendre de la hauteur, revoir de fond en comble nos plans d’urgence, nos priorités, notre planification de crise, notre gouvernance et enfin définir ce que nous attendons de nous-mêmes en tant qu’Etat-nation digne de ce nom dans le monde tel qu’il est ? Cela nous permettrait de décider au passage ce que nous attendons de l’Europe et ce ne serait pas du luxe ! Quand on réalise le temps perdu à Bruxelles par nos eurocrates hors sol et pleins de certitudes à nous convaincre qu’il était urgent d’attendre, qu’il ne fallait surtout pas fermer les frontières nationales ni même celles de Schengen, encore moins contrôler systématiquement les entrants nationaux ou étrangers, car c’était là manquer à “l’esprit européen” de liberté et au sacro-saint dogme libre échangiste, on mesure la totale irresponsabilité de ceux qui prétendent savoir ce qu’il faut aux Européens pour vivre en paix et prospères. Il faut vivre tout court déjà !

    Saura-t-on faire que cette crise soit le catalyseur d’une prise de conscience urgentissime de ce que la souveraineté nationale n’est pas une option mais une nécessité vitale pour chaque peuple sur cette planète ? Va-t-on en finir avec le conformisme intellectuel qui nous affaiblit collectivement en nous faisant faire l’autruche et tout comprendre en permanence de travers ? Saura-t-on voir que le sujet n’est pas le populisme ou je ne sais quelle lubie rétrograde, mais bien l’urgence de protéger concrètement nos peuples et notre civilisation contre divers périls, lutte à laquelle il faut affecter les moyens suffisants au lieu de fuir dans le ronron du productivisme en roue libre et de la morale en toc qui fait au loin des tombereaux de morts ?

    Les conseilleurs n’étant pas les payeurs (quoiqu’en l’espèce un peu quand même), il serait évidemment malvenu de critiquer ceux qui dans la tempête, après l’avoir gravement sous-estimée, cherchent rames et écopes. Si cette pandémie rappelle le monde entier à son humaine condition et fait sonner à ses oreilles sidérées le même glas, on voit immédiatement que les pays sont tout sauf égaux devant elle, selon les « choix » de leurs gouvernants en matière de contrôle des frontières mais aussi de dépistage et de traitement. Le” pouvoir égalisateur ” du virus lui-même s’arrête à la décapitation de nos petites vanités dérisoires. Plus que jamais, les destinées collectives des peuples dépendent des forces morales, mentales comme de l’autorité de leurs dirigeants.

    L’état n'est plus stratège

    En France, la stratégie adoptée de limiter les tests au maximum et de confiner l’ensemble de la population en mettant à l’arrêt la vie économique du pays au lieu de dépister massivement puis d’isoler les contaminés pour les traiter, n’a d’ailleurs pas été un arbitrage scientifique. Nous n’avions juste pas (plus) les moyens de faire autrement. Ce choix nous a été imposé par notre système sous-dimensionné de prise en charge de l’urgence sanitaire. Pourtant, le risque pandémique est un risque sanitaire majeur bien connu. Et depuis 15 ans, nous avons déjà connu les tragédies de la grippe aviaire et du virus H1N1…Mais nous n’en avons pas tiré les enseignements. Nous sommes passés à autre chose. Nous délocalisons toujours les productions pharmaceutiques et médicales et nos arbitrages sont idéologiques et d’opportunisme politique, nourris d’une confiance ingénue dans la supériorité de la liberté de circulation des individus sur la contagiosité extrême d’un virus. Dont acte.

    Alors, on a différé, séquencé, délayé, et perdu un temps précieux au risque de bien des morts, et de devoir in fine, une fois le système saturé et les soignants éreintés, choisir ceux que l’on sauve et ceux que l’on sacrifie, écrémage pourtant politiquement suicidaire. Le gouvernement après quelques semaines d’atermoiements, parait désormais avoir pris la mesure du danger et de bonnes décisions. On peut tout de même remarquer que notre vaisseau prend l’eau de toutes parts, et qu’il faudrait voir à racheter une grand-voile au lieu de rapiécer sans cesse notre Tourmentin. Tout cette improvisation révèle une folle vanité et une désorientation plus vaste encore, qui font craindre pour la sécurité au sens le plus large que méritent nos compatriotes. Car, à moins que l’on ne cède au complotisme, ce virus n’a pas été intentionnellement lâché dans la nature. Le prochain le sera peut-être. La “guerre” bactériologique et chimique est aussi vieille que l’homme. Chinois comme Américains et Russes sont les meilleurs au monde en cette matière. Nous ne sommes pas mauvais non plus. C’est la massification de l’empoisonnement à l’ancienne, la strychnine à l’échelle industrielle. Alors l’économie mondiale s’enraye bien plus surement qu’avec un blackout venu du cyber-warfare ! Alors le pétrole plonge, les convoitises et les embuscades préparées de longue date contre des entreprises fragiles peuvent s’accélérer. Pékin est déjà en train de fondre sur des proies australiennes, et bien des entreprises européennes sont sur sa wish list… Cette crise est donc une répétition générale opportune pour une autre attaque probable lancée à des fins de déstabilisation offensive.

    Face à ce type d’occurrence, il faut à nos démocraties molles des “chefs” politiques ayant des vertus particulières. Des hommes ayant le sens de l’Etat et de l’intérêt général, dotés une grande humanité mais insensibles et même réfractaires à l’air du temps, sachant définir un cap et s’y tenir, donner des ordres et se faire obéir. Des hommes surtout, qui arrêtent de bêler avec les autres européistes qui ont tué l’Europe des Nations à force de l’émasculer. Or, on a cassé le moule. Les gouvernants européens sont presque tous d’une autre eau. Pour eux, la guerre est un objet historique. Ils ne savent plus ce qu’elle exige d’anticipation austère et de sacrifices impopulaires. Ils sont sans boussole intérieure, historique et morale. Ils ne savent que “gérer” l’urgence dans l’urgence, sans jamais prendre le temps de s’y préparer sérieusement, à l’instar d’ailleurs de leur pratique politique générale, qui consiste à vouloir plaire à tout le monde, donc à personne. Pourquoi cette systématique indifférence à l’anticipation ? Sans doute parce qu’elle ne rapporte rien politiquement… sauf en cas de “surprise stratégique”. C’est un pari. Qu’ils ne font pas. Celui du service de l’intérêt national dont on ne vous saura peut-être jamais gré. Un pari à rebours de l’air du temps, qui requiert des mesures de protectionnisme économique, des nationalisations, la constitution de stocks et de champions nationaux, le maintien de capacités de production indépendantes multiples. Bref, cela coûte cher et ne rapporte rien, sauf si… Cela demande de croire à la souveraineté nationale, à l’intérêt et à la raison d’Etat et d’accepter leur coût politique et financier toujours exorbitant. Or, nous parlons d’Etat stratège sans jamais en accepter l’austérité et les exigences. Gouverner n’est pas glamour.

    Dieu merci, le cadavre européen bouge encore. Ou plutôt, sous l’effet de la gravité de la crise sanitaire qui cible les populations – première richesse d’une nation-, certains de ses “organes” (les Etats-membres) sortent de leur torpeur et reprennent leur vie propre. La Hongrie, L’Allemagne, L’Italie, la Grèce, la Pologne. On appelle cela avec dégoût le populisme, le souverainisme, et même “l’i-libéralisme”, alors que ce sont les systèmes immunitaires des peuples et nations qui se réveillent, non pas contre l’Europe mais pour elle, pour la faire sortir enfin de son enveloppe abstraite mortifère !

    Caroline Galactéros (Geopragma, 4 avril 2020)

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  • Premières leçons de l’épidémie de Conoravirus 19

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Yves Le Gallou publié sur le site de l'Institut Iliade et consacré à ce que vient nous rappeler l'épidémie de coronavirus. Ancien haut-fonctionnaire, président de la Fondation Polémia, Jean-Yves Le Gallou a, notamment, publié La tyrannie médiatique (Via Romana, 2013),  Immigration : la catastrophe - Que faire ? (Via Romana, 2016) et Européen d'abord - Essai sur la préférence de civilisation (Via Romana, 2018). 

     

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    Premières leçons de l’épidémie de Conoravirus 19

    Répétons-le : le coronavirus n’est ni bon, ni méchant, il est indifférent. Le virus s’est propagé en profitant des faiblesses offertes par la mondialisation : entassement dans les villes, multiplication des échanges et des communications, goût du lucre, éloignement des centres de production et de communication. En même temps, dans le silence des villes et des forêts imposé par le confinement, la nature sauvage reprend ses droits. Malgré les utopies progressistes, la compétition des espèces n’a jamais cessé.

    « L’histoire est le lieu de l’inattendu » : jamais la leçon de Dominique Venner ne s’est montrée aussi profonde. L’imprévu ici ce n’est pas le coup de feu tuant un archiduc mais une épidémie mondiale remettant en cause l’ensemble du système économique. Comme la Grande peste marqua la fin du Moyen Âge et les mauvaises récoltes de 1788 préparèrent la Révolution. Sans doute le libre-échangisme mondial se montrera résilient mais tout porte à penser que la thèse de la « mondialisation heureuse » aura du mal à se remettre de l’épidémie.

    D’autant que le retour des frontières – thème du VIe colloque de l’Institut Iliade — s’impose comme une réponse à la fois sanitaire, économique, sociétale, politique. Au moment même le refus idéologique des frontières entre peuples et nations débouche sur le rétablissement de frontières intérieures et le confinement à domicile.

    « Est souverain celui qui décide des circonstances exceptionnelles » : l’analyse de Carl Schmitt prend ici tout son sens. Ouvrir ou fermer des frontières, confiner ou non la population, faire appliquer partout ou non ces mesures, mobiliser des moyens privés et publics, réquisitionner ou non des produits, sont des décisions politiques. Et seulement politiques. S’abriter derrière des « experts » (souvent bien défaillants d’ailleurs) ou un pseudo conseil scientifique présente un côté dérisoire. Avec la Ve République en France le souverain c’est le président de la République. Qu’il soit bon ou mauvais c’est une autre affaire. Qu’il ait un jour ou l’autre des comptes à rendre, c’est entendu, mais aujourd’hui c’est à lui décider. Pourtant un autre système se profile : la théocratie judiciaire. Saisi par des collectifs de médecins, le Conseil d’État s’est jugé compétent pour statuer sur la nécessité de renforcer ou non le confinement des Français. Certes il s’est gardé de trancher trop nettement mais c’est une avancée de plus vers le gouvernement des juges.

    « Politique d’abord » : si le Conseil d’État s‘est retenu d’aller trop loin, c’est qu’il a pris conscience des difficultés d’envahir le champ de la décision politique : car en prendre une exige de s’assurer d’abord de son opportunité mais aussi de sa proportionnalité, de sa pertinence (coût/ avantages), de son acceptabilité et tout simplement de sa faisabilité. Dans la trilogie de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire juge a posteriori, le pouvoir législatif organise a priori, l’exécutif agit dans le présent et pour le futur. C’est le rôle du politique.

    Le retour du réel  et du risque : le confinement a opéré brutalement un classement entre les tâches essentielles et celles qui le sont moins. Les tâches essentielles : les missions de service public (santé, sécurité, électricité, eau, transports, enlèvement des ordures ménagères) et l’approvisionnement (agriculture, agro-alimentaire, livraisons). Les activités qui le sont moins ? Remplir des tableaux Excel ou préparer un Power Point ! L’épidémie a mis aussi en avant les métiers les plus exposés : soignants mais aussi caissier(e)s. Les plus exposés mais pas toujours les plus considérés, et souvent les plus mal payés. Tel qu’il s’est exprimé jusqu’au 15 mars, le corps médical n’a pas vu venir la crise, mais il est aujourd’hui sur la ligne de front, exposé à la contagion, et son prestige remonte.

    La faillite de l’État : aux mains d’experts déconnectés (pour mémoire le Directeur général de la santé est professeur de médecine et infectiologue) l’État a perdu la main. Il n’offre plus sa protection aux citoyens, ce qui est sa première fonction. D’où le retour à la subsidiarité : des soignants fabriquent eux-mêmes leurs masques avec du tissu. D’autres soignants décident de traiter des patients atteints du Covid 19 avec la méthode du professeur Raoult alors que celle-ci n’est pas homologuée, voire déconseillée. Des maires décrètent un couvre-feu.

    Le survivalisme n’est pas idiot : les Français découvrent qu’il faut se méfier de l’État et s’organiser de façon autonome. La crise a montré les défaillances du gouvernement : manque de gels hydro-alcooliques, manque de masques, annonces mal préparées, décisions tardives, perte de contrôle d’une partie du territoire. Dès l’annonce du confinement les vieux réflexes d’autoprotection ont repris droit de cité : constitution de stocks alimentaires et pharmaceutiques, exode depuis les villes. La crainte d’autres événements –pillages, émeutes — dans les banlieues ne peut conduire qu’à prendre d’autres précautions : la détention d’armes notamment.

    Les banlieues de l’immigration font sécession : alors que dans leur immense majorité les Français ont accepté les mesures très contraignantes de fermeture des écoles, arrêt des entreprises et confinement, la loi commune est particulièrement mal appliquée dans les quartiers à majorités afro musulmanes. Pour une raison simple : beaucoup d’habitants ne se sentent pas concernés par le destin commun des Français et n’ont pas le sentiment d’appartenir au même peuple.

    La micro cellule familiale a repris la place centrale dans la vie des Français et des Européens.

    L’État, les communes, les entreprises, découvrent qu’ils devront se passer à l’avenir de leurs fournisseurs chinois, ou à tout le moins limiter leur dépendance à l’égard de toute zone de production hors Union européenne.

    L’Union européenne est restée hors-jeu en ne fermant pas suffisamment tôt ses frontières extérieures par pure idéologie sans-frontièriste. Et en étant parfaitement inutile par la suite : ses 43 000 bureaucrates n’étant d’aucune utilité ni pour soigner, ni pour produire les biens de première nécessité.

    Jean-Yves Le Gallou (Institut Iliade, 25 mars 2020)

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  • Les juges contre la démocratie...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Anne-Marie Lepourhiet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la montée en puissance des pouvoirs juridictionnels face à la souveraineté des États et à l’auto-détermination de leurs peuples. Anne-Marie Le Pourhiet est professeur de droit public à l’université Rennes-I et vice-président de l’Association française de droit constitutionnel.

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    Salvini devant les tribunaux: les juges contre la démocratie?

    FIGAROVOX.- Le Sénat italien, à la suite d’une demande d’un tribunal de Catane, a décidé de renvoyer en justice Matteo Salvini pour séquestration de migrants, celui-ci ayant bloqué un bateau de migrants au large de la Sicile lorsqu’il était ministre de l’intérieur. De telles mesures visant à limiter l’immigration clandestine sont pourtant soutenues par une majorité des Italiens. Cette décision révèle-t-elle un retournement du droit contre la volonté générale?

    Anne-Marie LE POURHIET: C’est beaucoup dire. S’il s’agissait d’un contentieux administratif tendant à faire admettre la responsabilité de l’État italien pour faute résultant de la violation du droit international humanitaire ou des normes européennes, on pourrait parler de conflit entre la démocratie et le droit. Mais ici, il s’agit de poursuites pénales visant la personne d’un ex-ministre de l’intérieur (et vice-président du Conseil) engagées sur le fondement du Code pénal italien pour «abus de pouvoir et séquestration de personnes», ce qui est pour le moins fantaisiste. C’est d’autant plus étonnant qu’un décret-loi (équivalent des ordonnances françaises) adopté en juin 2019 par le gouvernement Conte avait justement renforcé les pouvoirs du ministre de l’intérieur pour refuser l’entrée des navires de migrants dans les ports italiens. Ce n’est pas la première ni la dernière procédure de ce type engagée par des procureurs siciliens contre Matteo Salvini. Ce qui change c’est qu’à la faveur du renversement de coalition politique opéré l’été dernier, le Sénat a, cette fois, levé l’immunité, dans un revirement parfaitement cocasse digne de la commedia dell’arte où l’on voit les parlementaires «Cinq étoiles» voter exactement en février le contraire de ce qu’ils avaient voté en mars pour lâcher aujourd’hui le vice-président du gouvernement qu’ils soutenaient hier.

    Nous sommes davantage ici face à un phénomène de procureurs militants qui opèrent sur fond de querelles politiciennes incohérentes. On ne sait pas non plus s’il y a des ONG derrière les poursuites pénales du parquet de Catane, mais c’est assez probable, sachant que Salvini est évidemment la bête noire des militants pro-migrants.

    Ces pressions sont-elles particulièrement fortes sur la question migratoire? On se souvient du Pacte de Marrakech qui présentait les migrations comme des «facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable». Plus récemment, un collège d’experts a remis à Emmanuel Macron et au gouvernement un rapport appelant à amender une politique migratoire jugée trop restrictive...

    Il y a évidemment une pression idéologique très forte en Europe, dirigée contre le modèle wesphalien d’État-Nation et contre la protection qu’il suppose de la souveraineté et des frontières nationales. Les «valeurs» de l’Union européenne inscrites à l’article 2 du traité nous imposent la «tolérance», le respect des droits de l’homme «y compris des droits des personnes appartenant à des minorités» et surtout l’incontournable «non-discrimination» conçue comme une abolition de toutes les distinctions et hiérarchies, à commencer par celles qui séparent le national de l’étranger.

    Le rapport du Parlement européen du 4 juillet 2018 invitant à ouvrir une procédure de sanction contre la Hongrie pour violation des «valeurs» de l’Union contient trois pages consacrés aux «Droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés» mettant en cause notamment le législateur hongrois qui ne serait pas suffisamment accueillant ni pour les migrants ni pour les ONG qui les soutiennent. Comme par hasard, juste deux jours après la publication du rapport Sargentini, le Conseil constitutionnel français censurait une disposition législative réprimant l’aide aux migrants illégaux au nom d’un principe de fraternité universelle sorti de nulle part mais ressemblant comme deux gouttes d’eau au sans-frontiérisme dominant dans les institutions européennes et dans les ONG qui les influencent.

    Cette montée en puissance du pouvoir juridictionnel répond manifestement à une logique d’importation. D’où vient-elle historiquement?

    Elle est avant tout d’origine anglo-saxonne car la common law fait depuis toujours la part belle à la jurisprudence alors que le droit romain imprègne davantage le droit continental. Mais c’est évidemment la construction européenne qui est devenue l’élément moteur de ce gouvernement des juges puisque c’est sur leur servilité que repose entièrement le système de primauté des normes européennes sur le droit national. Or ces normes européennes véhiculent justement le modèle multiculturel nord-américain hyper-individualiste. C’est pour cela que la Hongrie et la Pologne, en particulier, sont dans le collimateur de l’Union au sujet du statut et de la composition de leurs tribunaux supérieurs. La commission européenne redoute que les pouvoirs polonais ou hongrois ne désignent des juges peu favorables aux normes européennes.

    Pire, ce sont les constitutions mêmes de ces États, c’est-à-dire leurs lois fondamentales souveraines qui sont critiquées et accusées de ne pas correspondre aux «valeurs» de l’Union. Le rapport Sargentini reproche ainsi à la Constitution hongroise de retenir, entre autres abominations, une «conception obsolète de la famille». De son côté, la France a eu le droit, en 2008, à un rapport hallucinant de l’«experte indépendante» du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Mme Gay McDougall, clouant au pilori le modèle républicain français jugé insuffisamment favorable aux droits des minorités et nous enjoignant de modifier la Constitution ou au moins son interprétation! La souveraineté des États et l’auto-détermination de leurs peuples n’existent plus pour les ONG et les institutions supranationales qu’elles manipulent.

    En quoi cette évolution s’inscrit-elle à rebours du modèle historique français?

    En France, la Révolution française, dans la continuité des monarques de l’Ancien régime, a fermement interdit aux juges de s’immiscer dans l’exercice des pouvoirs législatif et exécutif. Le juge, chez nous, doit être la simple «bouche de la loi», elle-même votée par les citoyens ou leurs représentants, qui l’applique fidèlement et objectivement dans les litiges. La loi des 16 et 27 août 1790 dispose: «Les tribunaux ne pourront ni directement, ni indirectement, prendre part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture». Il s’agissait, bien entendu, d’empêcher des cours aristocratiques, réputées réactionnaires, de s’opposer à l’application de la loi «expression de la volonté générale» dans un nouveau régime qui se voulait démocratique. Le Code pénal de 1810 punit même de la dégradation civique le magistrat qui aura suspendu l’exécution d’une loi.

    Quand on voit aujourd’hui nos juges, nationaux comme européens, passer leur temps à écarter les lois françaises au motif que leur application porterait, selon leur appréciation toute subjective, une atteinte disproportionnée aux «droits» individuels, notamment ceux des migrants, on mesure l’inversion vertigineuse accomplie depuis le XVIIIe siècle. Contrairement à ce qui est généralement affirmé, ce gouvernement des juges est aux antipodes de la notion d’État de droit telle qu’elle a été conçue par les juristes allemands du XIXe siècle qui voulaient, au contraire, éliminer l’arbitraire des juges et des fonctionnaires.

    Anne-Marie Le Pourhiet, propos recueillis par Joachim Imad (Figaro Vox, 14 février 2020)

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  • Une politique économique d’intérêt national, vite !...

    Nous reproduisons ci-dessous un la deuxième partie d'un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de l'intérêt national en économie.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

    hervé juvin, europe, états-unis, identité nationale, protectionnisme, souveraineté

    Une politique économique d’intérêt national, vite !

    Responsabilité Nationale des Entreprises, propriété nationale des infrastructures, fonds souverain de la vie, modèle coopératif pour un capital-risque national ; et si l’intérêt national était le secret de la nouvelle économie ?

    Tous les pays défendent leurs intérêts

    Intérêt national, le terme en fait un gros mot. Tous les autres pays européens protègent jalousement leurs intérêts nationaux. Exemples ? SAAB en Suède : protégé de toute incursion américaine. L’aéroport de Schiphol et Damen aux Pays Bas. Le secteur aérospatial en Allemagne, avec OHB imperméable à toute entreprise étrangère (et les Allemands préfèrent un lanceur américain à Ariane Espace !) Les hélicoptères en Italie. Inutile de citer les États-Unis, farouchement protectionnistes pour eux-mêmes, l’Inde, impénétrable sans entente avec les familles régnantes, la Chine bien sûr, et tous les autres.

    France : liquidation générale…Quid de l’intérêt national ?

    Victime de la naïveté avec laquelle ses élites auto-désignées adhèrent à l’idéologie européenne de l’ouverture, et en rajoutent sur les traités de libre-échange, la France abandonne ses actifs stratégiques pour de vaines promesses politiques, alors qu’elle avait constitué des géants de dimension mondiale dans tous les grands secteurs industriels où se jouent puissance et souveraineté (énergie, télécoms, nucléaire, armement, construction navale, aéronautique et spatial, etc.).

    Et la liquidation continue ; après les autoroutes (que les forces de l’ordre ne pouvaient emprunter en mars dernier en raison du coût des péages que les sociétés concessionnaires exigent des policiers, comme des gendarmes et des pompiers), au tour des aéroports d’ADP (les services de sécurité s’alarmaient récemment de la réduction des surfaces réservées aux douanes qui seront allouées au commercial, rentabilité du m2 oblige).  

    Intérêt national : ce qui prime l’économie, le rendement financier, et le droit. Ce qui a été rendu indéfendable, par la double soumission à l’idéologie européenne, si bien imposée à l’ENA par Mme Loiseau au détriment du corpus administratif et juridique français, et à un individualisme ravageur, que résume la formule de Mme Thatcher ; «  la société, ça n’existe pas ». Ce qui est devenu invisible, depuis que tout a été mélangé, brouillé, travesti, pour que les liquidations successives de nos outils stratégiques ne soient pas perçues par le peuple français. D’Alstom à Airbus et du Rafale à Morpho (Safran), n’apparaissent que des éléments épars d’un tout qui n’est jamais montré.

    Alcatel, Alstom, Technip, Areva, les autoroutes hier, aujourd’hui Airbus, ADP, et demain qui ? L’agro-alimentaire, le BTP, le système éducatif, d’abord, contre lesquels des ONG et des géants de l’Internet américains préparent l’offensive, après eux, les côtes, les espèces animales et végétales endémiques, notre patrimoine vivant, que restera-t-il à brader pour fournir des mandats aux banques d’affaires et des cibles aux capitaux nomades ?

    Les succès industriels ont été le résultat de projets nationaux intégrés à une politique de puissance et d’indépendance, ancrés sur des territoires et sur l’unité des Français. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

    La liste est longue et ne cesse de s’allonger. Quelques-uns des plus beaux fleurons industriels et technologiques français ont été vendus, dépecés, mis sous contrôle, et il n’en reste rien. Récemment encore, l’obsession financière a fait vendre Morpho, pépite du futur, elle a failli sacrifier Alstom transport, elle liquide les Chantiers de l’Atlantique et peut réduire à la portion congrue Naval Group, nouveau nom de DCNS.

    L’Allemagne s’intéresse à un réseau bancaire français en Afrique, les banques françaises quasiment toutes devenues systémiques depuis que l’obsession centralisatrice a détruit les banques régionales de plein exercice quittent l’une après l’autre les pays non alignés ; pas besoin de les racheter, le terrorisme du droit américain servi par la militarisation du dollar suffit à les tenir sans débourser un dollar de capital (soyons clairs ; une banque soumise au monitor américain, aux cabinets de conseil en conformité et aux lawyers américains n’est plus une banque française). Et jusqu’aux services de sécurité français qui, au nom du prix le plus bas et de la meilleure offre, confient leurs données à Palantir, une filiale de la CIA !

    Les rodomontades du ministre Bruno Lemaire n’y changent rien. Le pillage de la France se poursuit. Industrie, technologies, infrastructures, bientôt les terres, demain la vie ; ceux qui jugent la réussite de leur politique à la fortune de leurs amis, de leurs financiers ou de leurs donateurs exploitent la France comme n’importe quelle colonie ; puisqu’être Français n’a plus de sens, puisqu’il n’y a plus ni culture, ni identité nationale !

    Si les frontières doivent s’ouvrir, si chaque femme, chaque homme est appelé à poursuivre le bonheur là où ses pas le portent, si les Nations sont appelées à se dissoudre dans le grand tout mondial, l’intérêt national n’existe pas, et chacun n’a pour loi que celle de son intérêt individuel. Voilà pourquoi Alain Madelin interdisait que soit prononcé le mot de « stratégie industrielle ». Voilà pourquoi le commissariat au Plan a été transformé en une vague commission de la prospective. Voilà pourquoi les outils de l’expertise publique et de la définition de politiques économiques cohérentes ont été démantelés, privés de pouvoir, ou simplement supprimés.

    Voilà pourquoi le gouvernement d’Emmanuel Macron travaille à remplacer les fonctionnaires d’Etat par les salariés d’Agences investies de missions publiques, mais ne bénéficiant pas de l’indépendance apolitique que permet le statut de fonctionnaire, donc plus aisément soumis aux lobbys et aux pressions des financiers. Et voilà pourquoi pullulent les autorités administratives indépendantes, pendant que les traités internationaux sont soustraits aux tribunaux pour être jugés par des cours privés d’arbitrage, de manière à ce que les intérêts économiques et financiers échappent aux lois, aux tribunaux nationaux, à la volonté populaire et au suffrage démocratique.

    Les Français comme les Européens doivent y réfléchir. Toutes les innovations qui font la force des États-Unis, comme aujourd’hui de la Chine, ont été financées par la recherche militaire, portées et imposées par l’autorité publique. Être fort chez soi est le préalable à la puissance extérieure. À long terme, il n’y a pas de différence de nature entre dépenses civiles et militaires, entre intérêt privé et intérêt national. À long terme, nous gagnerons tous, ou nous serons esclaves.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2019)

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  • Éloge de la réciprocité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Géopragma  et consacré au bilan accablant de la politique étrangère française de ces dernières années... Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Éloge de la réciprocité

    Moscou commence à se lasser des leçons de démocratie dispensées par Paris ; notamment au regard de la gabegie « Gilets jaunes », de l’autorité de l’État bafouée et des sommets de démagogie que notre démocratie pontifiante et irréprochable déploie pour sortir de cette ornière et espérer laver aux yeux du monde cette humiliation.

    Et puis, à force d’erreurs de jugement, de fautes morales et d’entêtement, nous comptons si peu désormais sur la scène du monde. Au Moyen-Orient comme en Afrique, où nous souffrons d’une telle schizophrénie sécuritaire et d’un suivisme atlantiste aggravé, nous commençons à susciter la pitié plus que la crainte ou l’espoir. A minima, on ne nous attend plus. On discute, on négocie, et on décide sans nous. Qui « On » ? Qui sont ces impudents ? Les États-Unis, la Russie, la Chine, la Turquie, Israël, l’Iran, et même, en Europe, l’Italie ou la Hongrie… Tous ceux qui ne se paient plus de mots depuis longtemps déjà, qui ont décidé de prendre leur avenir et leurs intérêts en main, et nous jugent sans aménité. La France parle toujours haut et fort, mais elle agit peu et mal. Les pays précités lui rappellent que le temps de la préséance occidentale est révolu, que l’Hexagone n’a plus vraiment de poids sur la scène du monde, que l’injonction universaliste ne passe plus et que notre prêchi-prêcha moralisateur est devenu inaudible et même complètement ridicule.

    Pour la Russie – qui voit que Paris reste arcbouté sur ses postures malheureuses concernant l’Ukraine ou la Syrie – est venu le temps des réponses « du berger à la bergère » et de l’application du principe de réciprocité. Puisque les journalistes russes accrédités en France se voient interdits d’Élysée et que Spoutnik comme Russia Today (RT) sont diabolisés et réduits au statut de purs canaux de propagande poutiniens, Moscou envisage de rendre la pareille à Paris en interdisant certains médias français de couverture d’événements en Russie ou en suspendant leurs accréditations. Dans la même veine, il se dit que le Kremlin aurait eu l’audace de faire prévenir Paris que la France ne devait pas s’ingérer dans la situation inflammable en Algérie… L’alliance Moscou-Alger est ancienne, mais une telle audace exprime sans équivoque un nouveau rapport de force régional clairement en notre défaveur. Cela nous apprendra à boire la « repentance » comme du petit lait.

    Quoi qu’il en soit, nous affirmons lutter vaillamment contre la propagande et les fake news, pardon « l’infox ». Mais qui décide de ce qui est vrai ou faux, lisible ou devant faire l’objet d’autodafés ? De quelle légitimité supérieure peut-on se revendiquer ? Quand on voit les conclusions du rapport Mueller et le « pschitt » retentissant du Russia Gate ouvrant une phase de représailles vengeresses du président Trump, bien décidé à « enquêter sur les enquêteurs » ; quand on se remémore l’unanimisme médiatique délirant et l’hystérie russophobe qui, pendant deux ans, ont nourri la farce d’un président américain agent du Kremlin pour expliquer l’inexplicable, l’insupportable défaite de l’immaculée Hillary Clinton, on se demande qui, finalement, relaie le mieux l’intox, la manipulation et le complot ?

    Au-delà du tragicomique de nos errances, nous devons prendre garde à cette décrédibilisation massive des médias occidentaux, car elle porte celle des politiques éponymes et sert les desseins de leurs rivaux chinois, russes ou turcs. Le chantage d’Erdoğan envers Washington à propos des Kurdes syriens, envers Paris avec l’affaire du génocide arménien ou envers l’Allemagne avec les migrants n’a plus de limites. Mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes, victimes de nos inconséquences. On ne peut exiger de la Turquie qu’elle intervienne en Syrie contre le gouvernement de Bachar el-Assad soutenu par Moscou, qu’elle achète des armes américaines plutôt que russes, qu’elle conserve les centaines de milliers de réfugiés syriens sur son territoire et, « en même temps », lui interdire de consolider son influence locale, de rivaliser avec Ryad via Doha, moins encore de réduire l’abcès kurde à ses frontières alors que c’est sa préoccupation sécuritaire et politique n° 1.

    Le néo-sultan mégalomane n’a que faire de nos problèmes et de la dévalorisation stratégique de nos proxys. Il se livre à notre égard, et depuis des années, à un chantage permanent. Nous l’avons laissé faire en toute connaissance de cause, sans jamais l’arrêter, persuadés ainsi de gêner Moscou et impatients de faire tomber la malheureuse Syrie dans l’escarcelle américano-israélo-saoudienne. Nous payons aujourd’hui cette complaisance insensée, cette indulgence a minima envers l’engeance islamiste, envers Daech même, envers Al-Qaïda et ses succédanés, ainsi qu’envers leurs sponsors saoudiens, irakiens, qataris et turcs. Il est un moment où les masques tombent. Ni Washington ni l’Otan ne font plus peur à Ankara qui sait bien que jamais les États-Unis ne l’expulseront de l’Alliance. Quant à nous, Français, nous n’aurions jamais dû en rejoindre le Commandement militaire intégré ni nous soumettre à ses oukases pour quelques étoiles et postes ronflants ; un marché de dupes évident que pourtant, à Paris comme au Quai d’Orsay, on jugea logique et souhaitable puisque l’Amérique a toujours raison, nous protège et ne veut que notre bien… Nous en sommes donc à payer sans délai ni crédit le prix de nos accommodements immoraux, exposés à l’effet boomerang de notre moralisme à géométrie variable.

    Et la Russie dans tout cela ? Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, elle ne se frotte pas les mains face au champ de ruines de son rapprochement (mort-né ?) avec l’Union européenne. Son dépit amoureux face à cette part d’elle-même, qui la relie à l’âme et à l’histoire du Vieux Continent, est toujours là, tout comme son complexe obsidional que nous nous obstinons à nourrir par nos incessantes provocations. Alors, peut-être voit-elle avec une satisfaction amère le village Potemkine européen s’écrouler ; non parce qu’elle l’attaque (en cette matière, l’action d’un Steve Banon est bien plus efficace que celle des pires « idiots utiles » de Moscou), mais parce que ses fondations se révèlent chaque jour plus friables. Une sorte de victoire posthume et triste sur l’adversité. Les avanies, les humiliations, les anathèmes dont elle fait l’objet depuis bientôt vingt ans, depuis qu’elle a repris, contre toute attente, son destin en main, ne sont certes pas réparés. Et la mutation mentale des Européens vis à vis de Moscou n’est pas pour demain. L’Europe ne veut décidément pas de la Russie. Fort bien. Celle-ci s’en passera donc, et se consolera dans une bascule forcée vers l’Asie et Pékin dont nous ferons les frais lorsque la Chine et l’Amérique se disputeront nos reliefs ou s’entendront à nos dépens. Mais cette ostracisation ne portera pas chance aux États européens qui, pour complaire au suzerain américain, tiennent la dragée haute à Moscou sans comprendre l’évidente nécessité et la logique géopolitique d’un rapprochement sur des domaines d’intérêt commun (sécuritaire, migratoire, énergétique, culturel…)

    Sans se penser de façon autonome et sans la Russie, l’Europe n’est pas en mesure de faire masse critique entre les deux nouveaux môles stratégiques mondiaux. La Chine comme l’Amérique appuient sur ses plaies avec une commisération jubilatoire. Ni l’une ni l’autre ne l’aideront jamais pour rien. Les inquiétudes des peuples européens face à la menace migratoire, à l’insécurité culturelle et identitaire, au libre-échange érigé en idole, aux inégalités fiscales entre États et à la béance sociale, sont telles que la mascarade de l’unanimité et de la convergence ne tient plus. Il devient urgentissime de réformer de fond en comble tous les attendus et postulats européens, de même que les mécanismes institutionnels. Les « éléments de langage » d’une technocratie hors sol et autres postures ne suffisent plus. Il faut une évaluation froide et sans concessions de nos intérêts communs véritables et une définition chirurgicale, et non « attrape-tout », des domaines de coopération souhaitables et accessibles. Il faut arrêter de se mentir, de croire aux éléphants roses que sont « le couple franco-allemand », « l’ogre russe » et le gentil génie américain. Il faut cesser aussi de faire comme si une somme de renoncements ou de faiblesses faisait une force collective. Il faut passer aux coopérations renforcées, aux coalitions de projet, au lieu de chercher une unanimité qui produit inertie et paralysie. Il faut qu’à l’intérieur de l’Europe, chacun se mesure pour imposer ses vues et entraîner. La rivalité n’est pas la guerre ! On nous mène, en revanche, une guerre sans merci depuis l’extérieur de l’Union en jouant de notre phobie collective du conflit. Chercher chacun notre place dans la construction européenne provoquera non une guerre, mais un échange infiniment plus sain que ce mensonge permanent de chacun envers tous qui postule l’harmonie et l’identité d’intérêts.

    En conséquence, au lieu de pleurer son couple mythifié avec Berlin, qui n’a jamais vraiment existé que dans son regard embué, Paris doit se lier avec les puissances du sud et de l’est de l’Union (pour chasser sur les plates-bandes allemandes), telle l’Italie, l’Autriche ou la Hongrie, au lieu de les insulter et d’en faire des pestiférés rétrogrades. Il faut enfin oser et non plus procrastiner. Décider par exemple, que l’Europe n’est pas là pour fixer le gabarit de nos fromages de chèvre ou la taille de nos fenêtres, mais pour tenir nos frontières, instaurer une réciprocité commerciale stricte vis à vis de ceux qui prétendent atteindre notre grand marché, faire de l’euro et de la Banque centrale européenne les outils d’une croissance et d’une protection monétaire véritables qui ne se réduisent pas à la lutte contre l’inflation, faire grandir sans états d’âme des champions industriels, technologiques et numériques européens, assumer un « patriotisme économique» sourcilleux, au lieu de laisser des loups entrer dans une bergerie pour la détruire.

    Il faut enfin cesser de rêver à une « armée européenne » ou à un siège européen de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ‒ ce qui revient simplement à donner le nôtre à l’Allemagne et à ses affidés, en espérant que Berlin nous en saura gré. Outre le fait que l’on brade avec une désinvolture inouïe l’un de nos derniers avantages relatifs en termes d’influence, c’est parfaitement irresponsable envers la nation comme envers notre Histoire.

    Pour finir ‒ ou pour commencer ‒ il faut dire que la souveraineté n’est pas un gros mot, qu’à l’instar du « populisme » violent, l’européisme béat est une impasse, une imposture de la « modernité », une fuite en avant suicidaire et infantile. Nous ne parviendrons pas longtemps encore à bâillonner les peuples européens qui refusent leur perdition et la négation dogmatique de leur substrat culturel chrétien et humaniste. Pour survivre face aux ambitions dévorantes des autres, l’Europe doit réarmer tous azimuts, au sens mental, culturel et symbolique du terme. Qu’elle commence par s’affirmer en éliminant les sanctions contre la Russie et en réengageant ses projets d’échanges commerciaux avec l’Iran ! Qu’elle accepte de grandir et de s’affirmer !

    Caroline Galactéros (Geopragma, 24 avril 2019)

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  • Dictionnaire des souverainismes...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier un Dictionnaire des souverainismes de droite et de gauche, établi par Jean-Michel Salgon. L'auteur est un politologue, essayiste, auteur d’ouvrages, de nombreux articles de géopolitique consacrés notamment à l’islamisme et au Maghreb. Il a coordonné le Dictionnaire géopolitique de l’islamisme (Bayard, 2009) et a été un collaborateur régulier de la revue Les Cahiers de l’orient.

     

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    " Cet ouvrage est le premier dictionnaire complet sur le souverainisme qui en éclaire les fondements, l’ensemble des courants et des acteurs. Dans un contexte politique français marqué par une lente et profonde recomposition politique, la question de la souveraineté, populaire et nationale, est devenue une question centrale. Le souverainisme est un phénomène qui concerne l’ensemble des pays européens, en France, mais aussi au Royaume-Uni, en Italie, en Hongrie….. Invoquer la souveraineté c’est invoquer la liberté, celle de faire, de défaire et de décider. Introduit en France, à partir de 1997, le « souverainisme » est un concept qui s’est imposé dans la classe politique et médiatique française notamment après le référendum sur le traité constitutionnel de 2005. Il est l’objet de captations et de polémiques incessantes.

    Ce dictionnaire tente de répondre aux attentes de nombreux citoyens soucieux du devenir de la France. Il présente les organisations souverainistes (associations, partis politiques, clubs de pensée), les hommes et les femmes (biographies), les réseaux et les grands thèmes (Frexit, les sorties, populisme, identité nationale, Otan…). A travers ses multiples entrées, le Dictionnaire des souverainismes de droite et de gauche offre des connaissances de base, décrypte l’actualité nationale, les fractures de la société française, les interrogations de la classe politique sur le devenir de notre nation, l’histoire de France en train de se faire. "

     

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