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souveraineté - Page 2

  • Feu et destin : Manifeste du Prométhéisme...

    Nous reproduisons ci-dessous le "Manifeste du Prométhéisme" de Prometheica, revue italienne d'études sur le surhumanisme, la technique et l'identité européenne, qui compte parmi ses animateurs, notamment, Adriano Scianca et Carlomanno Adinolfi.

     

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    Feu et Destin :
    Manifeste du Prométhéisme

    1 L’ASSAUT AU CIEL

    Le feu de la technique est aujourd’hui dérobé par un système de pouvoir qui se dit progressiste mais qui est en réalité bigot, superstitieux et stagnant. Par technique, nous entendons non seulement l’ensemble des pratiques et des savoirs liés à la science, mais aussi tout l’assortiment des actes politiques, esthétiques, religieux, sociaux avec lesquels l’homme a historiquement compris et transformé le monde, l’œuvre générale de mobilisation totale de la réalité aujourd’hui méconnue, omise et condamnée. Dans cet Olympe décadent, les dieux exténués de la civilisation humaniste, égalitariste, libérale conservent une flamme sans en avoir conscience, une flamme dont ils ne soutiennent même plus la vue. L’assaut contre ce ciel de plomb pour la libération du feu est ce que nous appelons la Révolution Prométhéenne.

    2 EUROPE AVANT-GARDE

    La technique a une portée à la fois universelle et particulière. Cette étincelle d’innovation et de création accompagne l’homme depuis toujours et en tout lieu, elle est même ce que l’être humain a de spécifique par rapport aux animaux. Cette portée a cependant été déclinée de manières très différentes dans les diverses cultures : certaines, bien que ne pouvant empêcher l’usage de la technique, l’ont entourée d’interdits, de tabous, de condamnations morales et de narrations inhibitrices. D’autres, au contraire, en ont fièrement relevé le défi. Le nom de la terre où le feu de la technique a brûlé avec le plus d’éclat est : Europe. Le prométhéisme reconnaît et revendique ce trait culturel, sans pour autant fonder sur lui aucune prétendue hiérarchie morale universellement valable.

    3 ACCÉLÉRER POUR NE PAS POURRIR

    Résolument révolutionnaire, le prométhéisme rejette toute tentation réactionnaire ou conservatrice, toute critique de l’esprit du temps qui parte de l’esprit du temps tout juste passé, tout refuge dans des valeurs et des institutions données. Le réactionnaire n’est que l’agent régulateur du subversif, celui qui défend les subversions d’hier. Ce n’est pas en retardant les processus en cours que l’on échappe à leurs aspects perturbateurs, mais en les accélérant à une vitesse telle, qu’elle en fasse ressortir l’impensé. Ne pas se retirer du processus, donc, mais aller plus loin, accélérer le processus.

    4 POUR LA SURHUMANITÉ

    Pour le prométhéisme, l’homme, comme abstraction autant éthique que biologique, est quelque chose qui doit être dépassé. Ontologiquement propulsé vers l’avant tel un projectile, l’homme est réellement fidèle à lui-même quand il dépasse ses propres limites. Il ne se retrouve pas dans une essence façonnée à l’image et à la ressemblance d’un être transcendant ou d’une charte des droits, mais dans un nombre incalculable de transformations, imitations, hybridations, relations, connexions ; il se prolonge dans la machine, s’identifie à l’animal, il se répand dans l’ordinateur, se projette dans les dieux. L’homme est sa propre expérimentation. Si cette tension vers “l’ultérieurité” accompagne l’homme dès l’hominisation, aujourd’hui elle devient consciente. Le défi pour la post-humanité devient un défi incontournable, qui peut, bien entendu, conduire à l’inhumain comme au surhumain. Le conflit fondamental – qui caractérisera l’avenir et dans lequel le prométhéisme prend part avec un lucide fanatisme – est la bataille entre les éleveurs d’un homme rétréci et les éleveurs d’un homme renforcé.

    5 POUR UNE POLITIQUE PROMÉTHÉISTE

    Le prométhéisme refuse de se cristalliser en une formule sociale spécifique déduite de la politique politicienne et admet en son intérieur des sensibilités et des provenances différentes. Il ne peut cependant s’accorder avec des positions humanistes, kantiennes, réformistes, hédonistes, réactionnaires, conservatrices, technophobes, cléricales, libérales ou politiquement correctes. Par conséquent, le cercle se resserre.

    6 SOUVERAINETÉ TECHNOLOGIQUE TOTALE

    Le thème de la souveraineté technologique s’impose avec une telle évidence que même les agendas politiques des sociétés occidentales en font de plus en plus souvent mention. Ces préoccupations sont cependant réduites à néant par les utopies mondialistes, les tabous technophobes et la perte constante de souveraineté générale que l’on constate à tous les niveaux dans nombre de ces sociétés. Le prométhéisme exige une souveraineté technologique totale, pour laquelle sera sûrement nécessaire un « saut quantique » dans la manière globale de se référer à la politique et à la technologie. La souveraineté technologique totale implique – puis elle alimentera – la souveraineté politique et la disponibilité de moyens technologiques à la hauteur, c’est-à-dire la liberté et la possibilité concrète d’adopter certaines stratégies. Ce « saut quantique » n’est donc concevable qu’à l’échelle de la grande politique, qui est forcément celle du grand espace de civilisation européen.

    7 L’AUTODÉTERMINATION BIOCOMUNAUTAIRE

    Le développement des biotechnologies et des anthropotechniques met aujourd’hui l’homme face à des décisions pour lesquelles il en ira de la quantité et de la qualité de sa descendance. Le perfectionnement des techniques de diagnostic et de soins prénataux, de procréation artificielle, d’édition génomique, de clonage change radicalement la perspective dans laquelle nous concevons aujourd’hui les questions démographiques ainsi que ce nœud de problèmes mêlés de tabous brûlants qui porte le nom d’eugénisme. Mais, que nous décidons d’utiliser pleinement toutes les techniques à notre disposition, ou que nous décidons d’y fixer des limites, nous sommes, de toute façon, pleinement responsables de la direction que nous avons choisi d’entreprendre. L’interdit bioéthique est lui aussi un choix interventionniste, culturel, auto évolutif. Le prométhéisme vise à relever de manière créative ce défi en vue d’une autodétermination biocommunautaire.

    8 UNE ÉCOLOGIE FUTURISTE

    Contrairement aux apparences, le prométhéisme est aujourd’hui la seule vision du monde qui puisse aboutir à une pratique écologique couronnée de succès. L’environnementalisme petit-bourgeois des « petits gestes quotidiens », celui nihiliste et extincteur, la temporisation suicidaire de la décroissance, le green washing hypocrite des multinationales – tout cela relève d’une idéologie anti-humaine, anti-politique et anti-européenne qui n’a, par ailleurs, le moindre espoir d’influencer les dynamiques écologiques. La seule écologie authentique est celle qui intervient sur la nature, avec plus et non avec moins de technique, et qui décide comment modeler l’environnement selon des paramètres culturels donnés. Bases pour une écologie prométhéenne : géo-ingénierie, nanotechnologie, intelligence artificielle, nucléaire, génie génétique, recherche de nouvelles ressources, de nouvelles techniques de stockage et de recyclage.

    9 DU CÔTÉ DES ROBOTS

    Depuis plus d’un siècle, la figure du robot perturbe le sommeil de la modernité, qui y entrevoit le profil d’un nouveau golem. En présence du robot, l’homme moderne fait l’expérience de la honte que l’on ressent face à la grandeur humiliante de son propre produit, qui « a vu des choses que nous, humains, ne pouvons même pas imaginer ». Mais les plaintes moralisatrices sur l’homme dépossédé de son âme par les robots négligent une donnée fondamentale : l’outil en obsidienne des premiers hominidés et la puce en silicium ont été forgés par le même feu prométhéen. C’est en « s’aliénant » dans l’artificiel que l’homme est devenu lui-même depuis la nuit des temps. Dans le robot – même dans la version la plus réaliste des super-ordinateurs et de l’IA – le prométhéisme voit le miroir de l’homme, sa volonté de dépassement, un allié au-delà du bien et du mal.

    10 ÉPIQUE DE L’ESPACE

    Dans un monde toujours plus petit, l’espace devient la dernière frontière de conquête. En plus d’être un formidable vecteur de recherche et de développement pour des technologies utiles ici sur Terre, l’exploration spatiale garantit l’accès à des matières premières rares et la consolidation de la souveraineté satellitaire. Mais c’est surtout, dans son aspect radical de découverte, de colonisation et de terraformation d’autres planètes, une source inépuisable de merveilleux. Peut-être que le prochain ver sacrum se produira en direction d’un destin stellaire. Quant aux éventuelles rencontres avec des civilisations extraterrestres, le prométhéisme n’a pas de préjugés positifs ou négatifs, tout en faisant l’éloge de la pluralité du vivant, de l’altérité radicale, de formes multiples de l’être et du devenir, de ce qui nous pousse au-delà, plus loin, plus haut, au-delà des universalismes et des anthropocentrismes judéo-chrétiens plus ou moins sécularisés.

    11 PHILOSOPHIE DE LA VOLONTÉ

    Le prométhéisme n’est pas un messianisme. Il n’annonce pas plus un nouvel âge d’or où des machines à l’intelligence semi-divine conduiront les hommes hors de l’histoire, que l’avènement d’un monde parfait où des citoyens sans défauts ne connaîtront ni maladie ni mort. Le prométhéisme est, au contraire, une philosophie inspirée du sens tragique de la vie et du volontarisme. Non prédiction fataliste de ce qui, certainement, sera, mais exhortation de ce que nous voulons être. La simple reconnaissance d’un destin déjà écrit est déjà un acte anti-prométhéiste. Prométhée est la divinité de la décision et de la volonté. À la lumière de son feu resplendit un monde façonné par notre plus authentique liberté.

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  • L'"ami américain" : quand amitié rime avec vassalité...

    Le 28 avril 2022, l'émission "64' - Le monde en français", sur TV5, recevait Eric Branca pour évoquer avec lui son livre L'ami américain - Washington contre De Gaulle 1940-1969 (Perrin, 2017).

    Journaliste et historien, Eric Branca a publié notamment des livres comme Histoire secrète de la droite, 3000 ans d'idées politiques ou Le Roman des damnés (Perrin, 2021). On lui doit également, avec Michel Marmin, dans la collection Le tour de la question, Gauche/Droite (Chroniques, 2016).

     

                                                 

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  • Pologne, Hongrie… Et bientôt France ? Manifeste pour une alliance des conservateurs au Parlement européen

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, professeur à l’université libre de Bruxelles et à l’Instytut Zachodni à Poznań, et de Krzysztof Tyszka-Drozdowski, analyste dans une agence gouvernementale polonaise, consacré au besoin d'une union politique des populistes et conservateurs européens pour transformer l'Europe en puissance géopolitique indépendante.

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    Sommet des droites populistes et conservatrices à Madrid, le 29 janvier 2022

     

    Pologne, Hongrie… Et bientôt France ? Manifeste pour une alliance des conservateurs au Parlement européen

    Les partis conservateurs les plus importants de l’Europe ont enfin trouvé un accord de principe sur leurs valeurs et leur future collaboration – un accord qui pourra bientôt se manifester en une alliance politique au sein du Parlement européen. Certes, cette alliance pourrait devenir l’une des formations les plus fortes de cette assemblée ; néanmoins, vu la configuration politique actuelle, il y a peu d’espoir de rompre le “cordon sanitaire” et de passer d’une opposition de principe vers la réforme fondamentale dont ont si besoin les institutions européennes à la dérive.

    Assurément, la Pologne et la Hongrie montrent de jour en jour les succès qu’un gouvernement patriotique et conservateur peut remporter, mais la pression à laquelle elles sont soumises est telle que leur influence sur l’évolution de l’Europe reste restreinte. En revanche, une victoire électorale du RN (ou du mouvement d’Éric Zemmour en France) ou des deux partis conservateurs en Italie pourrait avoir l’effet d’une avalanche. Bien sûr, tout comme naguère aux États-Unis après l’élection de Donald Trump, le deep state et les élites bien-pensantes feront tout leur possible pour saboter un tel gouvernement, et surtout en France, il sera difficile d’apporter un changement sans majorité parlementaire. Néanmoins, l’ébranlement de l’ordre mondialiste serait considérable, surtout s’il s’inscrivait dans la logique d’une étroite collaboration avec les autres partis et gouvernements conservateurs en Europe.

    Dans le cas de la France, cela signifierait surtout de se tourner vers la Pologne – enfin, l’on serait tenté de dire, car le relatif désintérêt des élites conservatrices pour le gouvernement polonais actuel est une erreur tactique importante. Quels pourraient être les enjeux et perspectives d’une telle potentielle coopération entre le PiS polonais et la droite patriotique française, surtout en vue du dédoublement actuel des candidats présidentiels de cette dernière et de l’incertitude idéologique qui est en train de s’y installer ?

    Évolution interne

    Pendant longtemps, les conservateurs européens ont été si fractionnés qu’il serait pertinent de se demander si le terme même de “conservateur” a encore un sens. Souverainisme contre occidentalisme, russophilie contre atlantisme, christianisme contre laïcité, libéralisme contre chrétien-socialisme – le conservatisme est un univers à part avec des divisions internes souvent plus marquées que celles, largement feintes, entre la “gauche” et la “droite” bien-pensantes. Sera-t-il possible de surmonter ces divisions historiques, exacerbées bien souvent par de vieilles rancunes historiques entre factions, partis et États ? Oui, mais il y a un prix à payer : celui d’enterrer une série de ressentiments (et d’espoirs) afin de focaliser toute l’énergie sur les points essentiels à la victoire politique.

    La Pologne constitue un excellent exemple pour cette démarche, et les choix idéologiques du gouvernement actuel semblent pouvoir constituer une inspiration réaliste et pragmatique pour les autres partis conservateurs en Europe.

    Ainsi, la Pologne a opté pour l’euroréalisme : au lieu de viser une dissolution de l’Union européenne (qui ne mènerait qu’à l’émergence des vieilles asymétries politiques européennes et serait d’ailleurs fortement impopulaire chez le citoyen), la Pologne préfère miser sur une réforme fondamentale des institutions, et considère la coopération dans des domaines comme la défense, la politique migratoire, l’infrastructure, la lutte contre la criminalité, la recherche ou l’harmonisation économique et légale comme essentielle.

    Dans le domaine identitaire, la Pologne insiste sur l’importance de l’héritage chrétien, et considère la laïcité telle qu’elle est pratiquée en France, c’est-à-dire avec un biais clairement anti-chrétien et islamophile, comme une impasse : seule la défense d’une forte culture nationale ancrée dans une attitude positive face aux valeurs spirituelles du passé pourra permettre d’éviter l’atomisation résultant de la doctrine multiculturaliste. Dans le domaine économique, finalement, la Pologne insiste sur l’obligation de l’État de protéger le citoyen contre les dérives de l’ultra-libéralisme et a lancé un programme social d’une grande envergure afin de protéger les classes inférieures et moyennes.

    Ajoutons à cela une position extrêmement claire sur la migration, l’idéologie LGBTQ, l’avortement, le natalisme et l’euthanasie ; il devient rapidement clair que le gouvernement polonais a mis en place depuis de nombreuses années déjà une politique correspondant en de nombreux points aux revendications des conservateurs français. Une alliance approfondie entre le parti le plus fort de la droite française et le parti gouvernemental polonais pourrait donc être hautement intéressante pour les deux côtés afin de constituer un moteur puissant de la nouvelle alliance conservatrice européenne.

    Équilibre politique en Europe

    À première vue, la droite française devrait donc avoir tout en commun avec les conservateurs polonais. Nous sommes d’accord sur les échecs de l’Union européenne. Nous sommes d’accord sur la question de l’immigration. Nous sommes d’accord pour dire que le libéralisme est, comme l’exprime John Milbank, une erreur anthropologique, car la communauté doit primer sur les désirs de l’individu, élevés aujourd’hui au rang d’absolu. Nous sommes d’accord pour dire que les individus se développent pleinement à travers la communauté et non en dehors d’elle, que le bonheur dépend de l’enracinement, alors que le déracinement et le reniement du passé le sapent. Pourtant, malgré ces points communs, il n’y a pas seulement une pomme de discorde – la Russie –, mais bien une deuxième : l’Allemagne.

    La question russe est évidente : de nombreux intellectuels français entretiennent une vision romantique de la Russie, remontant au XIXe siècle et alimentée par le conservatisme patriotique de Vladimir Poutine. S’il est vrai qu’idéologiquement ce dernier peut sembler a priori plus en phase avec une vision traditionaliste du monde que la politique poursuivie par le gouvernement américain actuel, les Français feraient bien de ne pas fermer les yeux sur le côté obscur du gouvernement de Poutine dont la corruption défie toute comparaison, où les dissidents ne sont pas seulement privés de leurs comptes twitter et Facebook, mais aussi de leur liberté, et qui poursuit un agenda expansionniste et hégémonique, clairement opposée à l’inviolabilité des frontières si fondamentale pour l’équilibre européen – et si vitale pour la survie d’États comme la Pologne, le Bélarus, l’Ukraine et les pays baltiques. Dès lors, un compromis entre conservatisme polonais et français ne sera possible que sur la base d’une équidistance entre Est et Ouest.

    Cette équidistance se heurte à la deuxième pomme de discorde : l’Allemagne. Il est incontestable que l’Allemagne est (re)devenue le pouvoir hégémonique en Europe. Or le plus grand allié de la Russie en Europe n’est pas la France mais l’Allemagne. Un seul exemple, le plus récent : ce n’est pas la France qui a construit Nord Stream II. Il est vrai que les Français ont une vision romantique de la Russie, mais l’élite française vit surtout dans une illusion sur l’Allemagne. Le couple franco-allemand est une expression qui n’est utilisée que dans l’Hexagone ; les Allemands ne l’utilisent jamais.

    Ainsi, c’est l’Allemagne d’Angela Merkel qui a fait éclater le règlement de Dublin sur les immigrés, lorsque la chancelière a fait venir, sans demander l’avis de personne – et surtout sans tenir compte des peuples européens –, la vague d’immigrés qui a inondé l’Europe ; c’est l’Allemagne de Merkel qui a rejeté le projet de taxe européenne sur les géants du numérique, proposé par Bruno Le Maire, afin d’éviter une hausse des droits de douane sur les voitures allemandes ; c’est l’Allemagne qui a imposé une politique d’austérité ruinant durablement le sud du continent afin de pouvoir bénéficier d’un euro (allemand) sous-évalué et imposer son hégémonie industrielle ; c’est l’Allemagne qui est en train d’imposer à l’Europe son agenda idéologique écolo-gauchiste par le biais du Green deal d’Ursula von der Leyen, etc.

    Certes, il ne faut pas tomber dans le piège du nationalisme, car l’hégémonie allemande sur l’Europe a cette particularité qu’une grande partie des Allemands sont bel et bien persuadés d’être exploités par cette même Europe, allant même jusqu’à souhaiter la sortie de l’UE.

    Ils n’ont pas tort : tout ce pouvoir politique et économique cumulé par l’élite allemande ne bénéficie nullement au citoyen allemand dont la fortune médiane est de loin inférieure à celle de la plupart de ses voisins, mais alimente une machinerie politico-économique bien distante du commun des mortels. Ainsi, le contribuable allemand est réquisitionné pour financer les subsides européens versés en grande partie à des États à l’est de l’UE – mais les surplus générés là-bas ne reviennent pas seulement en grande partie à l’Allemagne, mais y enrichissent essentiellement banques, multinationales et holdings qui mettent ces gains en sécurité hors Europe.

    Dès lors, il est grand temps pour les conservateurs européens de reconnaître cette asymétrie et de tenter de la résoudre. Puisque, dans la situation politique actuelle, une restructuration volontaire de l’économie allemande semble exclue, la France ferait bien de se rappeler l’éternelle tradition française qui, de l’Ancien Régime à de Gaulle, a cherché à faire en sorte que l’Europe ne tombe jamais sous l’hégémonie d’une seule puissance. La France a exercé sa plus grande influence sur les événements du continent lorsqu’elle a rassemblé autour d’elle des États qui voulaient rester libres et ne voulaient pas de l’hégémonie d’un autre. Aujourd’hui, cette politique doit être recréée. La France seule est trop faible pour décider du sort du continent, tout comme la coalition d’Europe centrale. Une alliance entre Paris et les petites et moyennes nations restaurera une Europe des patries, dans laquelle l’Allemagne pourra trouver une place plus favorable à l’équilibre des pouvoirs et plus juste par rapport au contribuable.

    Recouvrir la souveraineté économique, numérique et énergétique

    L’idée de la souveraineté européenne n’appartient pas à Macron. C’est une idée gaulliste, car nous devons voir en de Gaulle le vrai père de l’Europe unie, plus encore que dans ceux que nous avons salués, à la mode américaine, comme des pères fondateurs. Aujourd’hui, tous les populistes et conservateurs européens intelligents devraient être gaullistes.

    L’Europe ne deviendra pas une puissance géopolitique indépendante tant qu’elle ne retrouvera pas sa souveraineté énergétique, industrielle et numérique. Cependant, cette souveraineté se heurte à des barrières idéologiques. L’énergie nucléaire, qui est le moyen le plus rapide de parvenir à la décarbonisation – comme l’a montré l’expérience de la France ou de la Corée du Sud – inspire encore des craintes, alimentées par un radicalisme vert désuet datant d’il y a 50 ans. Les progrès en matière d’énergie nucléaire sont freinés par une hystérie idéologique sanctionnée par les déclarations du gouvernement Merkel. Le New Green Deal doit être orienté vers le développement et la modernisation, et non vers le démantèlement de l’industrie européenne et l’abaissement du niveau de vie.

    Nous devons nous opposer à une écologie punitive qui veut non seulement nous priver du mode de vie européen, mais étouffer également toutes les forces de développement. Dans le même temps, il est nécessaire de prendre conscience que l’économie post-industrielle est un mythe, et que quiconque y croit se condamne à la faiblesse. L’Allemagne n’y a jamais cru, elle a conservé sa base industrielle et c’est d’elle que découle sa puissance économique, bien qu’elle soit de plus en plus mise en cause par l’idéologie suicidaire des Verts et de la gauche qui sonnerait non pas seulement le glas de l’Allemagne elle-même, mais de toute l’Europe. Une politique de réindustrialisation réfléchie à l’échelle du continent, liée à une large coopération sur les grands projets, est une condition de la souveraineté européenne. Pour la restaurer, il faut ramener les fabricants européens en Europe par des mesures incitatives et contraignantes. Il ne s’agit pas seulement de croissance économique mais aussi de sécurité. Pendant la crise du virus chinois, nous avons vécu ce que signifiait le déplacement des chaînes d’approvisionnement vers l’Asie : pas de masques, pas de médicaments essentiels. Il s’est révélé qu’il n’y avait même pas une seule usine de paracétamol en Europe.

    La reconquête de la souveraineté numérique ne passera pas seulement par un financement accru de la R&D et la création d’un réseau européen de coopération dans ces domaines. Un protectionnisme raisonnable doit être proposé, sans lequel les équivalents européens des GAFAM ne verront pas le jour.

    Parallèlement au protectionnisme visant à créer des géants européens du numérique, la situation des travailleurs européens doit être reconsidérée. La pression à la baisse sur les salaires ne cessera pas si nous n’arrêtons pas l’immigration. Les travailleurs européens sont notre priorité, c’est pourquoi la préférence européenne est à introduire. Ceux qui sont nés en Europe, dont les pères ont construit notre civilisation, ont le droit de travailler à son avenir.

    Les avantages d’une alliance conservatrice européenne centrée sur l’axe Paris-Varsovie paraissent donc évidents, et il serait à souhaiter que non seulement les hommes politiques, mais aussi les intellectuels et académiques conservateurs, puissent approfondir leurs contacts et lancer des échanges bilatéraux aboutissant en des projets stratégiques concrets. Le modèle polonais, nous en sommes persuadés, pourrait servir d’inspiration pour clarifier les dissensions internes à l’intérieur de la droite patriotique française.

    L’un des points les plus urgents d’une telle coopération serait d’approfondir la collaboration dans le domaine médiatique et académique, car de part et d’autre, les opinions sur les partenaires conservateurs voisins restent fortement dominés par les préjugés et diffamations véhiculés par les médias mainstream clairement orientés à gauche et les “experts” universitaires également biaisés : le citoyen ne pourra estimer la vérité sur les enjeux et acteurs des défis contemporains que s’il dispose d’une information de qualité et sans déformation idéologique.

    Nous, les autres conservateurs européens, nous avons attendu trop longtemps, raté trop d’occasions. Nous savons tous que ce n’est que si nous sommes unis que nous pourrons relever les défis du monde multipolaire. Nous ne pouvons nous rassembler ni sur la base d’illusions idéologiques, ni sur la base de faux calculs. Il serait naïf de penser que rien ne nous divise. Ce serait cependant une grande erreur de ne pas saisir le potentiel de ce qui nous unit.

    David Engels et Krzysztof Tyszka-Drozdowski (Visegrád Post, 16 février 2022)

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  • La Nation, l’État, le droit ou le désordre juridique européen...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au conflit juridique entre l'Union européenne et certaines des nations qui la composent.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    La Nation, l’État, le droit ou le désordre juridique européen

    Le futur de l’Europe se joue-t-il en Pologne ?

    L’actualité le suggère. Depuis l’arrêt de la Cour de justice polonaise du 7 octobre dernier considérant les articles 1 et 19 du traité de l’Union européenne contraires à la Constitution polonaise, la Pologne est sous le feu des maximalistes de l’Union européenne, au nom du principe ; « toujours plus d’Union » contre lequel nul ne saurait s’élever. Il est tentant de reprendre la longue histoire d’arrêts contradictoires, depuis « Costa contre Enel » de la Cour de Justice des Communautés européennes de 1964 établissant en effet le principe de supériorité des traités européens sur les lois nationales passées et à venir, jusqu’aux arrêts des trois plus hautes juridictions françaises limitant cette supériorité aux domaines de la compétence européenne (principe de la compétence des compétences), et aux arrêts successifs de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe rappelant le principe essentiel ; la souveraineté in fine appartient au peuple. Mais à quoi bon ? Derrière les arguties juridiques, c’est de politique qu’il est question. Si la décision des juges polonais a suscité une réponse agressive de l’Union, c’est qu’elle touche à l’essentiel sur trois points au moins.

    La légitimité du droit

    Le premier est la source du droit. D’où procède le droit, quelle est la source des lois, et où se fonde la légitimité du droit ? Le général de Gaulle aurait donné à Jean Foyer, premier garde des Sceaux de la restauration gaulliste de 1958, la consigne définitive que rapporte Alain Peyrefitte ; «  D’abord la Nation. Ensuite l’État. Après, le droit ». Nous en sommes loin. Figure obligée de l’Union, « l’état de droit » entend précisément que la Nation et l’État soient soumis au droit. Il s’agit d’en finir avec la raison d’État, de borner le débat et le suffrage, d’encadrer la démocratie.

    Et il s’agit d’instituer une autonomie du droit à l’égard des pouvoirs politiques nationaux. C’est ainsi que l’État français est poursuivi pour ne pas remplir ses « obligations » concernant la lutte contre le changement climatique — quelles obligations au juste ?

    C’est ainsi qu’un tribunal a jugé que la réforme de l’assurance chômage enfreignait le droit — mais quel est ce droit à la main des juges qui s’imposerait au gouvernement de la France ? La question de la source du droit, et de cet « état de droit » devenu le « Sésame ouvre toi » de la bonne réputation politique, est savamment évitée. Car d’où vient ce « droit » qui s’imposerait aux Nations et aux États, et pourrait invalider le suffrage universel ? Qui a donné aux juges, aux Cours et à l’Union l’extraordinaire pouvoir de dire le droit ? Si la source du droit n’est pas la volonté des peuples exprimée par le suffrage universel, où est-elle ? Tour à tour, ou conjuguant leurs efforts, des organisations internationales, des institutions supranationales, comme l’Union européenne, des ONG et des Fondations, des Cours constitutionnelles et des magistrats entendent dire le droit, décider du droit des Nations, et imposer leurs jugements contre la volonté des peuples, notamment en interprétant à leur guise des « déclarations des droits », texte lyrique, proclamations de combat, jamais conçus pour être traduits en droit positif.

    Il faudra pourtant le reconnaître ; chaque fois que l’Union en appelle aux « valeurs », chaque fois qu’elle invoque « l’état de droit », et la primauté des traités, chaque fois la liberté des peuples recule, l’autonomie des Nations s’étouffe, et le gouffre du droit s’ouvre devant l’Union.

    Restreindre toujours plus les nations

    Le second est la hiérarchie des normes. La tentative de l’Union européenne d’étendre sans cesse le domaine du droit interroge l’affirmation de Carl Schmitt selon laquelle celui qui détient le pouvoir est celui qui peut décréter l’état d’urgence. Toute occasion est bonne, du COVID19 au réchauffement climatique, de la crise des migrants à celle des dettes publiques, pour une Union avide d’ôter aux Nations ce qui demeure leur privilège ; la capacité d’agir. L’Union entend décréter et gérer à leur place l’état d’urgence. Elle empiète ainsi sur les compétences qui demeurent celles des États, selon les termes mêmes des traités ; défense et sécurité, diplomatie, culture, éducation, santé, justice et droit de la nationalité — des compétences sans cesse remises en cause par les ingérences de la Cour européenne de Justice, opérant selon le principe «  tout ce qui est l’Union est à l’Union, tout ce qui est aux Nations est à prendre ».

    C’est ainsi que l’Union s’est saisie du COVID19 pour se mêler de la santé publique, alors même que la santé demeure une prérogative des États membres — mais l’occasion de négocier des commissions avec les « Big pharma » était trop belle ! C’est ainsi que des ONG, des mouvements divers, relayés par l’Union européenne, ont décrété l’état d’urgence contre les gouvernements polonais et hongrois, essentiellement coupables de vouloir décider des lois et des mœurs pour lesquels ils ont été élus, et peu importe si l’Irlande a vécu hors de maintes prétendues « valeurs » européennes » pendant longtemps, du droit à l’avortement au mariage gay.

    Les mêmes sont accusés de réformer un système judiciaire notoirement infiltré par les globalistes — et peu importe si le mode de désignation des juges polonais ressemble à s’y méprendre au processus de désignation des juges en Allemagne (élus sur proposition de la coalition au pouvoir). C’est ainsi que l’Union décide d’un état d’urgence écologique, concrétisé dans un « Green Deal » aux conséquences sociales dramatiques, aux conséquences politiques non maîtrisables, mais qui assure à Mme Van der Leyen de parader dans les cénacles internationaux et d’étaler sa bien-pensance. Et voilà l’un des enjeux de la confrontation entre la Pologne et l’Union ; l’affirmation d’une compétence générale qui ne figure nulle part dans les traités, au nom d’invocations lyriques à l’état de droit, aux Droits de l’homme, aux valeurs européennes, dont le Président E. Macron est d’autant plus adepte qu’elles donnent un chèque en blanc à qui les mobilise, qui justifient toutes les ingérences dans les compétences exclusives des États, et vont jusqu’à délégitimer le suffrage universel, la démocratie représentative, et cette manifestation impitoyable de la volonté populaire qu’est le referendum.

    Le Brexit a effondré le mythe européen

    Le troisième est politique. Le Brexit a ébranlé les certitudes des européistes, et démontré que les Nations qui ont choisi d’entrer dans l’Union peuvent tout aussi bien décider d’en partir. Certains comme Nicole Gnesotto, invitant la Pologne à quitter sans délai l’Union européenne (lire « Le 1 Hebdo », 27 octobre) l’ont bien compris ; l’Union n’est pas une prison, et le serait-elle qu’elle se condamnerait elle-même. Désormais, de même que les États-Unis entreprennent de répondre à l’effondrement de l’universalisme libéral, de même l’Union européenne doit-elle dépasser la formule totalitaire «  toujours plus d’Union » pour donner des limites à son projet, faute de se condamner à l’explosion. De même doit-elle entreprendre de répondre à l’incertitude qui subsiste quant à la forme politique qu’elle entend se donner.

    Car le fédéralisme n’est plus à l’ordre du jour. La déclaration de Jean Claude Juncker selon laquelle « il ne peut y avoir de décision démocratique hors des traités » résonne en arrière-plan des décisions de la Cour de Justice européenne, des mises en demeure du Conseil et de maintes déclarations au Parlement ; c’est de construire un État Nation européen dont il s’agit quand il est question de « souveraineté européenne », de « Défense européenne », de « gouvernement économique européen », même si le mot est tabou et si la chose demeure indéfinie — qui croit vraiment qu’existe un peuple européen ? L’alternative n’est pas la fédération d’États Nation, ni l’Empire, mais bien la définition d’une institution supranationale gouvernée par les États-Nations européens, qui lui délèguent en toute souveraineté les compétences qu’ils définissent et qu’ils peuvent toujours reprendre, et qui en conviennent par des traités qui s’imposent à leurs lois nationales dans les domaines expressément définis, sans qu’il soit porté atteinte à leur identité constitutionnelle, et sans que puisse être remise en cause ou limitée la source unique de légitimité du droit, des lois et des traités ; la volonté populaire exprimée par le suffrage universel et par la voie des représentants élus des Nations ou par referendum.

    Le message est clair ; ce qu’un traité a fait, un traité peut le défaire. Bénéficiaires nets des fonds européens, dont la Pologne a été et demeure de loin la grande gagnante, Pologne et Hongrie sont facilement désignées comme les cibles idéales d’une Union en mal de réaffirmer son autorité et de retrouver une dynamique. Tout serait bien différent si un Etat membre de l’Union, contributeur net, entreprenait de ramener à la raison, à la démocratie et à la légitimité les apprentis sorciers des cours européennes. Pas seulement parce que l’Union serait privée de l’arme de dissuasion que constitue la blocage des financements. Mais bien plutôt parce que l’Union serait contrainte d’argumenter et de se justifier sur le fond. Sortir du système fermé sur lui-même, autoréférentiel, savamment construit pour que l’Union refuse tout débat dont elle n’aurait pas fixé les termes, et soient soustraites à tout jugement dont elle ne déterminerait pas la cause, les arguments recevables, et le jugement final. Accepter que souffle sur les Parlements clos et les Commissions étanches le grand vent des libertés citoyennes. Voici à tout le moins ce qui devrait constituer le cœur d’un projet crédible pour une Union qui accepte ses limites, se confronte à ses résultats, et soit jugée par les seuls légitimes à le faire ; les peuples des Nations d’Europe.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 21 novembre 2021)

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  • Décision et souveraineté...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque la conception de la souveraineté et de la décision politique chez Carl Schmitt, notamment au travers de son essai Théologie politique (1922).

     

                                           

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  • Le militantisme moral ou la gangrène de la politique française ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexandre Page, cueilli sur Tysol et consacré au besoin pour la France de politiciens en prise avec leur peuple. Alexandre Page est docteur en histoire de l’art et écrivain.

     

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    Le militantisme moral ou la gangrène de la politique française

    Compte tenu de l’omniprésence de son nom dans les médias, il faudrait vivre sur une autre planète pour ne pas avoir entendu parler du dernier séisme des sondages électoraux pour les présidentielles de 2022 : Éric Zemmour, candidat même pas encore déclaré et soutenu par aucun parti serait au second tour des élections présidentielles avec au moins 17 % de promesses électorales.

    Ce séisme n’est cependant pas le plus notoire. Ce qu’il convient de retenir, c’est que ce score n’est pas si éloigné de celui de toute la gauche réunie, et qu’en s’ajoutant à ceux de toute la « droite dure », il représente allégrement le tiers de l’électorat décidé à voter en avril 2022.

    Toutefois, ce que ce sondage traduit, c’est d’abord la lassitude des Français à l’égard des appareils politiques, même celui du président qui avance sous son seul nom lorsque LREM est renvoyé aux oubliettes. Une raison est assez facile à trouver. En vérité, il n’y a plus en France beaucoup de politiciens, espèce qui s’éteint et qui — je m’en expliquerai ci-après — a subi une mort progressive venue de la gauche avant de gagner la droite. Cette maladie qui a tué les politiciens français au fil du temps pour n’en laisser aujourd’hui qu’une faible poignée s’appelle le militantisme moral. Cette notion apparue dans les années soixante se distingue du militantisme politique dans le sens où il repose essentiellement sur des concepts d’ordres humanitaires, sociaux, écologiques, dans une vision à priori trans-partisane et universelle. En soi, ce n’est pas mauvais, mais par définition, le militantisme moral ne fait pas bon ménage avec la politique, un peu comme le chlore avec le nitrate d’ammonium, et aujourd’hui les politiciens français ont laissé place à des militants se prenant pour des politiciens.

    La différence entre le militant et le politicien est fondamentale, car le militant défend une cause, des valeurs auxquelles il tient plus que tout et qu’il va servir utilement dans des associations, des organismes, des fondations… Un politicien, à l’instar de toute autre personne s’engageant à servir l’État, se met au service de son pays, de sa population et doit traduire dans ses actes ce qui ressort du débat démocratique. Pour cela, il doit mettre de côté ses propres dogmes, ses utopies, sa vision du monde, car il est un instrument et non un combattant (définition originelle du militant). Un militant peut être utopiste, un politicien doit être réaliste ; un militant peut vivre en théorie, un politicien doit être pragmatique ; un militant est là pour changer les choses, un politicien est là pour répondre au peuple devant lequel il est redevable. C’est là un principe assez simple à comprendre, mais il s’avère qu’aujourd’hui l’essentiel de nos hommes politiques — et les femmes ne font pas exception, en dépit du sacro-saint génie féminin que nous vantent certaines féministes — est militant. Ils ne sont pas dans la réalité, ils ne sont pas pragmatiques, ils ne se sentent redevables devant personne de leurs actions. Ils sont utopistes, vivent en théorie et se croient tout permis. C’est un phénomène qui est d’abord né à l’extrême gauche avec le décalage croissant entre la réalité du monde et les propos et programmes politiques du NPA, de Lutte ouvrière ou encore du Parti communiste. Ils ne veulent pas se mettre à jour des réalités du monde et restent enferrer contre vent et marée dans leur utopie. Ils ne cherchent pas à écouter les Français, à répondre à leurs problèmes, mais à défendre leur vision du monde déphasée par rapport à la réalité. Ce phénomène a progressivement contaminé toute la gauche et effondré les scores des partis les uns après les autres jusqu’à réduire le PS, jadis invité traditionnel du second tour des présidentielles, à 4 %. Puis il a mangé et mange encore le centre, amalgamé à ce fourre-tout nommé « majorité présidentielle », et la droite qui ressemble fort au noyé tentant de se débattre pour survivre, mais tout proche de voir ses dernières forces le lâcher. Toutes ces chutes, ces dégringolades, viennent du même mal : ces partis ont perdu leurs politiciens troqués contre des militants. Cette situation explique d’ailleurs l’impuissance actuelle de tous à contrer l’ascension d’Éric Zemmour, alors même qu’il semble prêter le flanc avec un programme en délicatesse sur un certain nombre de sujets (culturel, écologique, diplomatique…). Elle explique plus généralement l’appétence des Français pour les candidats souverainistes de droite dure. Comment un homme politique réagirait-il face à cette ascension ? Il chercherait sans doute à comprendre l’origine de ces votes. En en comprenant l’origine, il chercherait ensuite à répondre politiquement par des propositions qui donneraient des solutions aux problèmes et aux réclamations des Français. Enfin, il appliquerait en homme politique le programme qu’il a promis, car il ne se prend pas pour une diva redevable de rien devant personne. Ça, c’est ce que ferait un homme politique, mais pas un militant déguisé en homme politique. Le militant, face à ces votes, va d’abord pleurnicher, s’alarmer, gronder, se répandre en sentiments shakespeariens dans les médias. C’est, par exemple, la « nausée » d’Anne Hidalgo. Les émotions marchent très bien en matière de militantisme moral dans les ONG, dans les associations, dans les fondations, mais en politique, queue de cerise ! Ensuite, le militant va rester enferrer dans ses idées, dans ses dogmes, il est indéboulonnable, même lorsque les sondages lui prédisent un score tel qu’il ne remboursera pas ses frais de campagne. Les Français ne le suivent pas, mais ce n’est pas grave, il croit toujours que son programme dogmatique est ce qu’ils attendent. Là encore, les gens aiment le militant de Greenpeace qui sur sa barque se met devant les baleiniers géants, mais en politique, ils veulent qu’on écoute et qu’on réponde à leurs problèmes. Enfin, le militant, si par miracle il est élu, par exemple en ayant compris les deux premiers points, va vite jeter son programme en carton-pâte à la poubelle et faire non pas ce que les Français veulent, mais ce qui correspond à sa vision personnelle de ce que doit être le pays et la vie des Français.

    Ainsi, l’homme politique va comprendre que le succès d’Éric Zemmour ou de Marine Le Pen vient probablement de leurs propositions, des sujets qu’ils abordent, des problèmes qu’ils soulignent voire surlignent au marqueur jaune indélébile. Le militant, lui, ne cherche pas à comprendre. Il ne veut rien entendre et s’enferre dans son déni ou son utopie en disant publiquement que « Les Français n’ont rien compris » et secrètement que ce sont de gros cons fachos (et parfois ils le disent également en public).

    Le militant veut imposer sa vision du monde aux Français, un homme politique va construire le monde avec les Français et donc nécessairement devoir les écouter, leur répondre et mettre en œuvre ce qu’ils réclament. Prenons un exemple. Récemment un sondage montrait que 92 % des Français étaient favorables à la perpétuité réelle. Les Français de manière générale sont pour une justice beaucoup plus sévère. Un homme politique n’a pas à faire autre chose que de répondre présent sur ce sujet et de donner satisfaction par des mesures allant en ce sens. Pourtant, entre le déni des uns sur le laxisme judiciaire et les promesses jamais tenues des autres qui ont pris part à l’exercice du pouvoir, force est de constater que le sujet n’est vraiment abordé que par la droite radicale. Alors peut-être que les Français ont tort sur le laxisme judiciaire, mais il n’y a pas de fumée sans feu, et si autant réclament plus de sévérité, ça vient sûrement d’une expérience concrète. Peut-être de cet homme qui insulte les policiers, vole du matériel aux pompiers et écope d’un affreux vilain méchant stage de citoyenneté en retour ! C’est là un exemple entre mille autres.

    Alors bien sûr, on taxe du gros mot de « populistes » ceux qui répondent au peuple, qui disent au peuple ce qu’il veut entendre, mais c’est la moindre des choses en démocratie alors que le peuple est souverain. Si Éric Zemmour ou Marine Le Pen progressent dans les sondages, ce n’est pas en inventant les problèmes des Français. Si c’était si simple, avec tous ceux que la gauche « woke » leur inventent, Sandrine Rousseau serait déjà présidente. Ils répondent à des problèmes que les Français posent à tous et que tous écoutent, mais en omettant trop souvent la réponse.

    Prenons un autre exemple, celui de la question migratoire. Depuis plusieurs années des sondages se succèdent à ce sujet. En 2013, un sondage Ipsos avait ainsi relevé que 7 Français sur 10 estimaient qu’il y avait trop d’étrangers en France. Plus récemment, deux sondages sont venus confirmer qu’il n’y avait pas de changements notables sur ce sujet : 6 sur 10 sont favorables à un référendum pour limiter l’immigration, 4 sur dix seraient même favorables à une immigration zéro.

    Alors peut-être que les Français ont tort encore une fois, mais en vérité, l’immigration est surtout ce qu’on en fait et on peut peut-être concevoir qu’aujourd’hui il y a des problèmes considérables qui ne sont pas réglés. Le chiffre ridiculement petit des expulsions de citoyens étrangers du sol français pourtant actées par la justice française en est un exemple. Un homme politique, un véritable, ne chercherait pas à nier ces problèmes au prétexte que ça contreviendrait à sa vision idyllique de l’immigration et de ses bienfaits et que ça pourrait le maquiller d’un mascara facho. Un militant par contre, ou un militant déguisé en homme politique, chercherait à les nier, car pour lui l’immigration c’est forcément bien, c’est forcément génial, il n’y a aucun souci, tout baigne pour le mieux dans le meilleur des mondes, et les Français qui ne pensent pas cela sont soit des fachos, soit des abrutis. Le militant est dans le déni, car la réalité heurte ses valeurs et ses convictions, jette dans la tempête son utopie.

    Être politicien, un vrai politicien, et sûrement Éric Zemmour ne l’ignore-t-il pas pour en avoir connu une flopée, c’est toujours se souvenir qu’en démocratie, le peuple est souverain. Il est l’armateur du navire qui nomme son capitaine et son équipage en choisissant la route qu’ils doivent prendre. Certes, la démocratie française est bien malade et sûrement beaucoup de politiciens oublient-ils cette réalité à cause de ça, mais elle subsiste, là, sous-jacente, prête à ressurgir. Être militant, c’est s’enfermer dans sa vision dogmatique, contre vent et marée, avec la conviction que la vision que l’on porte est la bonne et en niant bien souvent les réalités contraires. Mais si le capitaine va en Amérique quand l’armateur lui demande d’aller en Afrique du Sud, alors l’armateur change le capitaine et l’équipage. Trop de politiciens aujourd’hui se prennent pour des armateurs, oublieux de leur rôle car devenus complètement hermétiques aux réalités de leur pays, aux ressentis de leur peuple.

    Je conclurai cette déjà longue réflexion politique en soulignant qu’il est bien triste dans une prétendue démocratie de devoir se fier à des sondages plutôt qu’à des référendums pour prendre le pouls de l’opinion des Français. Neuf référendums sous la Ve République née en 1958… En 2019, 73 % des Français en réclamaient un dixième dont 71 % s’exprimaient pour un référendum sur le pouvoir d’achat. Voilà nos candidats à la présidentielle dûment informés, à eux de voir si leur dogmatisme l’emportera sur la seule et unique réponse logique qu’ils doivent promettre et mettre en œuvre au service des Français à ce sujet.

    Alexandre Page (Tysol, 18 octobre 2021)

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