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occident - Page 10

  • Après la guerre d’Ukraine, un monde fragmenté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur le site de Geopragma et consacré à la fracturation géopolitique du monde provoquée par la guerre russo-ukrainienne. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

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    Après la guerre d’Ukraine, un monde fragmenté. L’aspect monétaire et financier.

    Faire la guerre, ou à un degré plus limité, soutenir l’effort de guerre de quelqu’un, est un acte à la fois coûteux et risqué. D’où l’importance centrale des buts de guerre. Or en l’espèce, au-delà d’un point de départ évident (soutenir un État agressé et envahi),  l’évolution des buts de guerre occidentaux pose bien des questions, car elle remet sur certains points en question l’architecture même du monde que ces mêmes Occidentaux et notamment les Américains prétendent construire. Nous allons le voir sous l’angle monétaire et financier.

    La dérive idéologique occidentale

    J’ai évoqué ce sujet par ailleurs [1].  Je distingue trois grands types de buts de guerre: idéologiques, impérialistes et patriotiques. Je note que les deux premiers types favorisent les options guerrières, la première notamment, car une idéologie n’admet pas de compromis et tend à classer le monde entre bons et méchants. Ce faisant, on favorise l’ascension aux extrêmes que le processus de la guerre tend par ailleurs à produire. La guerre en Ukraine est sur ce plan particulièrement symptomatique. Côté occidental, surtout américain, la dimension idéologique a pris de plus en plus le dessus,  dans un grand récit de lutte des démocraties contre les régimes autoritaires. Cette attitude est dangereuse, notamment au vu de ce que cela signifie pour le monde de demain. Concrètement, sauf issue militaire improbable, la Russie fera partie du paysage international de demain. On peut évidemment désirer que l’issue de la guerre sera le moins favorable possible pour elle, et agir en ce sens. Mais sans de ce fait prendre de risque excessif, sans nourrir l’ascension aux extrêmes, et sans détruire des liens utiles ou des actifs. Déjà il était irrationnel de démanteler toutes les positions des entreprises occidentales en Russie, ou de boycotter sportifs et artistes russes. A fortiori de mettre en place des embargos dont les Européens souffrent au moins autant que les Russes.

    Un monde nouveau fragmenté

    Mais, au-delà de ces faits immédiats, ce qui frappe le plus est l’absence de vraie vision à terme, hors improbable réalisation du scénario dans lequel les démocraties, aidant les Ukrainiens à bouter les Russes hors de leur territoire, provoqueraient un changement de régime à Moscou, montrant par là au reste de la planète qu’il n’y a qu’une voie gagnante pour l’avenir. Nous ne savons pas comment se terminera cette aventure (indéniablement absurde et condamnable dans le cas russe) ; mais nous pouvons voir que, d’ores et déjà, les moyens déployés par les Occidentaux, y compris à travers les sanctions, façonnent en partie appréciable ce monde de demain. Et c’est vrai aussi en matière économique et financière.

    Il y avait déjà avant cette guerre une forte poussée de remise en cause de la conception antérieure, qu’on peut appeler de mondialisme ouvert, notamment du fait de la Covid. Avec la mise en évidence des risques appréciables qu’on pouvait courir, au niveau de la sécurité des approvisionnements, du fait de tels événements naturels, et cela tant au niveau national qu’à celui des entreprises. Mais avec les sanctions contre la Russie, un pas nouveau majeur a été accompli, car cette fois l’interruption résulte d’une volonté politique. et elle bouleverse la logique antérieure tant des échanges que des investissements. Du jour au lendemain, l’approvisionnement pétrolier et gazier d’origine russe s’est trouvé anathème ; de même la présence de la Société générale ou de Renault en Russie. Pour les entreprises, cela veut dire que pour l’avenir, quand vous investissez à quelque part, ou que vous vous y approvisionnez, si vous êtes occidental vous devrez inclure un facteur majeur de risque politique, non plus seulement par changement politique local comme par le passé, mais du fait de décisions des autorités de votre pays d’origine (ou de ses alliés). Bien sûr on en avait eu un petit avant-goût avec l’Iran. Mais les enjeux restaient alors limités : dès lors, on pouvait considérer que ce n’était qu’un cas particulier et que le reste de l’activité obéissait toujours aux règles antérieures. Ce n’est désormais plus le cas, car l’exemple russe est trop massif, trop porteur de précédents. Dit autrement, si le pays avec qui vous travaillez peut d’une façon ou d’une autre déplaire gravement à Washington, vous courez un risque élevé.

    Réciproquement, du point de vue desdits pays, la possibilité de telles ruptures est désormais avérée. Déjà significatif pour le pays moyen, le virage prend un sens tout particulier dans le cas de la Chine, en outre proche de la Russie. En bonne logique, la jurisprudence russe pourra s’appliquer demain à elle, et elle le sait. Elle ne peut qu’en tenir compte pour l’avenir.

    Le dilemme monétaire

    Il est en outre un domaine où ces considérations remettent tout particulièrement en cause les idées et les usages, qui est le domaine monétaire. On parle depuis longtemps et non sans motif du privilège exorbitant du dollar. Mais il reposait sur une idée implicite : que tout le monde pouvait investir et payer en dollar, et que le dollar était sûr, du moins politiquement. Or voici que non seulement les banques russes ont été exclues du système (et notamment des paiements par Swift, sauf exception), ou que les actifs d’une liste de personnages sont bloqués, mais surtout, les réserves mêmes de la Banque de Russie (en dollars et en euros, situées dans les pays occidentaux) ont été bloquées. Si on admet un ordre de grandeur de plus de 630 milliards (dont 40% au moins étaient dans les pays occidentaux en 2021), on voit l’importance de l’enjeu (le Financial Times parle de 300 milliards bloqués). Il est vrai que la Russie avait en partie prévenu le coup en transférant ses ressources hors d’Occident (où elles étaient à plus de 80 % en 2014) et en augmentant massivement son stock d’or, évalué à quelque 140 milliards de dollars, ce qui laisse au régime une marge de manœuvre, d’autant que le prix de l’or augmente. Mais désormais toute la planète sait que la sécurité des réserves d’un pays détenues dans un pays occidental n’est pas garantie. Certes on en reste à ce stade au blocage. Mais les fonds ne sont dès lors plus utilisables.

    La disruption serait bien entendue a fortiori encore plus grave si, comme certains le proposent (Josep Borrell par exemple), les Occidentaux dans leur escalade décidaient non plus simplement de bloquer, mais de confisquer ces actifs. Or si la chose est compliquée pour les oligarques (sociétés – écrans, questions judiciaires de responsabilité etc.), c’est à première vue plus facile pour les avoirs de la Banque centrale : ce sont des avoirs du pays, et ce pays en a agressé un autre, en lui infligeant des destructions massives. Quoi de plus simple politiquement que de financer en bonne partie la reconstruction de l’Ukraine (ce pour quoi les Ukrainiens par exemple évoquent jusqu’à 5 ou 600 milliards voire plus) avec l’argent de la Banque de Russie ? En clair, on façonne donc un monde dans lequel avoir des réserves dans une devise occidentale n’est plus une question purement monétaire ; ces réserves sont politiquement à risque.

    La même remarque vaut pour les transactions en dollars elles-mêmes. Les États-Unis ont décidé de bloquer les paiements par les Russes des échéances de leur dette extérieure (modeste il est vrai, qui s’élève à environ 50 milliards de dollars) – du moins si le créancier (ou sa banque) est américain. Certes, on savait déjà qu’il n’était pas innocent de faire de simples transactions en dollars : BNPP par exemple avait récemment dû payer une amende énorme pour des financements impliquant le Soudan, qui était alors sous embargo américain mais non européen. Pourtant aucune des parties n’était américaine ; mais la monnaie était le dollar (donc avec en bout de chaîne une compensation à New York). Là encore on pouvait espérer que cela resterait limité. Nous n’en sommes plus là. Maintenant quelqu’un qui a emprunté en dollars peut être déclaré en défaut de paiement (avec tout ce que cela entraîne) non pas parce qu’il n’a pas l’argent ou ne veut pas payer, mais parce que les États-Unis lui interdisent de payer !

    En réalité, c’est le sens même de ce qu’est une monnaie internationale qui change de sens. Ces monnaies (dollar et peut-être euro) ne sont plus neutres même dans leur usage par celui qui les détient. Elles sont en fait dans les mains du pouvoir politique du pays dont elles sont la monnaie, et il peut vous priver de vos actifs si vous lui déplaisez. En un sens, ce ne sont donc plus pleinement des monnaies.

    Je ne vais pas débattre ici du bienfondé de ces démarches, ni de leur efficacité. Je voudrais noter qu’on est là dans la construction d’un monde pour demain qui, hors le scénario improbable de la victoire totale, sera un monde plus fragmenté et politiquement polarisé, soit le contraire exact du monde défendu par ailleurs par les Occidentaux, Américains en tête. On risque alors de répéter la situation de 1945 : les démarches s’inscrivant pendant la guerre dans une logique de victoire ont alors débouché sur un rideau de fer – que les Alliés ne voulaient pas. De même ici : Russes et Chinois, et à leur suite bien d’autres, vont comprendre qu’ils ne pouvaient se fier aux outils communs que les Occidentaux présentaient comme mondiaux. Ils ont dès lors un intérêt majeur à développer les leurs, le plus découplé possible du reste. Quitte à continuer à jouer par ailleurs avec ces derniers lorsque le risque est jugé acceptable.

    La prétention universaliste de l’idéologie débouche donc sur l’effet contraire, celui d’un monde fragmenté, qui en matière monétaire est sans précédent dans l’histoire.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 13 juin 2022)

     

    Note :

    [1] Aide à l’Ukraine : quels sont nos buts de guerre ?

     

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  • Tour d'horizon... (228)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur La Voie de l'épée, Michel Goya nous livre une première analyse de la guerre russo-ukrainienne...

    L’infanterie, les chars et la guerre en Ukraine (1ère partie - Du design de l'acier)

    L’infanterie, les chars et la guerre en Ukraine (2e partie- Routes, bastions et corrosion)

    L’infanterie, les chars et la guerre en Ukraine (3e partie-Théorie de la ligne)

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    - le laboratoire d'idée Fondapol traduit une étude américaine de Lorenzo Vidino sur le développement d'un islamisme qui s'appuie sur le wokisme...

    La montée en puissance de l'islamisme woke dans le monde occidental

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  • Vendre la guerre...

    Les éditions de L'aube viennent de publier un essai de Pierre Conesa intitulé Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel.

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), et Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021).

     

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    " La disparition du grand ennemi soviétique a d'abord plongé les cercles stratégiques officiels dans un grand désarroi : c'est la Catastroika. Le risque de l'apocalypse nucléaire disparu, l'interventionnisme militaire redevenait envisageable dans un paysage mondial en ébullition et sans matrice. Après la victoire éclair de la Guerre du Golfe (120 heures), les plateaux télé deviennent le lieu du débat autour « d'experts » qui mandatent l'Occident en gendarme international, médiatisent telle ou telle crise, prétendent désigner le méchant, fustigent l'inaction des politiques et convainquent que telle guerre est « juste » et gagnable.
    Comment fonctionne ce complexe militaro-intellectuel ? Comment est-il né ? Comment a-t-il bâti son propre pouvoir ? "

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  • Les paradoxes de Raymond Abellio...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Rémi Soulié, pour évoquer la figure de l'écrivain Raymond Abellio, reçoit Jean-Charles Roux, membre du bureau de l'association "Raymond Abellio, Recherches et Études" (ARARE) et Raphaël Juan, conservateur des bibliothèques.

    " Étrange Raymond Abellio (1907-1986) : issu d’un milieu très modeste, il intègre la prestigieuse École Polytechnique ; d’abord "homme de puissance", engagé dans l’action politique qui le mènera de la gauche socialiste révolutionnaire au collaborationnisme, ensuite, "homme de connaissance", métaphysicien et romancier voué à l’étude des sciences sacrées traditionnelles. L’Occident, d’après lui, n’a pas dit son dernier mot : et si la pensée philosophique moderne et la recherche scientifique renouaient avec la plus ancienne sagesse ? "

     

                                              

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  • Comprendre la genèse de l'État profond occidental...

    Les éditions Terre et Peuple viennent de publier les trois premiers livrets d'une étude de Jean-Patrick Arteault intitulée Comprendre le mondialisme et les origines de l’État profond occidental et qui en comportera sept au total. Jean-Patrick Arteault collabore à la revue Terre & Peuple Magazine.

     

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    " Le premier livret est une grosse introduction sur les concepts, la méthodologie et les bases historico-culturelles du mondialisme occidental, en précisant que  mondialisme et occidentalisme sont des quasis synonymes.

    Le second s’intéresse aux premières décennies de la Société Secrète de Cecil Rhodes (la désignation est de lui-même) et du Groupe de Milner.

    Le troisième est consacré aux premiers temps de la Société Fabienne qui n’est ni la matrice du groupe Rhodes – Milner ni sa création, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là dans la littérature « conspirationniste » française."

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  • Le crépuscule des Lumières...

    Les éditions Via Romana viennent de publier un nouvel essai de Michel Geoffroy intitulé Le crépuscule des Lumières.

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020) et tout dernièrement Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    " Le cycle des Lumières, ouvert au XVIIIe siècle, a détruit l’Ancien Régime, combattu la religion catholique et triomphé au XXe siècle.
       Le progressisme des Lumières a formaté le monde occidental, accumulant les révolutions : égalitarisme, socialisme, révolution communiste, révolution des mœurs, révolution libérale/libertaire. Nous subissons de nos jours une nouvelle révolution « éclairée » : la révolution arc-en-ciel, sociétale et indigéniste, mélange détonnant de Lumières, de déconstruction et de puritanisme américain.
       Les Lumières n’ont pas libéré l’homme pour autant : au contraire, elles l’ont transformé en matière première pour un système économique désormais totalement indifférent au bien commun. Elles ont rendu l’homme, esclave de ses pulsions égoïstes. La post-démocratie despotique a détruit la démocratie en Occident. Et les Lumières de la raison n’ont pas débouché sur le progrès des mœurs mais sur le nihilisme, l’obscurantisme politiquement correct, et la guerre de tous contre tous.
       Pour cette raison nous vivons le crépuscule des Lumières.
       L’Occident est devenu au XXIe siècle la Nef des Fous. Des fous qui donnent aux étrangers les mêmes droits qu’à leurs citoyens et qui pourchassent ceux qui veulent défendre leurs frontières. Des fous qui incitent les hommes à se transformer en femmes ou inversement. Des fous qui promettent de déconstruire la famille. Des fous qui abandonnent leur souveraineté et leur indépendance aux autres pays. Des fous qui croient qu’allumer des bougies suffit à arrêter les criminels. Des fous qui conchient leur propre culture et leur religion et qui n’enseignent plus rien à leur progéniture sinon sa propre détestation.
       Les Lumières du XXIe siècle, tel le joueur de flûte de Hamelin, nous entraînent vers la catastrophe civilisationnelle au son du pipeau des « valeurs » inversées.
       Il est donc temps de combattre frontalement cette idéologie car, comme l’islamisme, dont elle est d’ailleurs le fourrier en Europe, elle menace la survie de notre civilisation, dans un monde polycentrique de plus en plus instable. Cela signifie qu’il faut avoir le courage de dénoncer sa supercherie et ses fausses évidences. "

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