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occident - Page 13

  • L’irrésistible ascension de « l’État-civilisation »...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Aris Roussinos, cueilli sur Le Saker Francophone et consacré à la montée, face à l'Occident, du modèle de l'Etat-civilisation. Aris Roussinos est un journaliste gréco-britannique.

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    L’irrésistible ascension de « l’État-civilisation »

    Un spectre hante l’Occident libéral : la montée de « l’État- civilisation ». Alors que le pouvoir politique de l’Amérique s’effrite et que son autorité morale s’effondre, les nouveaux adversaires eurasiens ont adopté le modèle de l’État-civilisation pour se distinguer d’un ordre libéral paralysé, qui va de crise en crise sans vraiment mourir, ni donner naissance à un successeur viable. Résumant le modèle de l’État-civilisation, le théoricien politique Adrian Pabst observe qu’« en Chine et en Russie, les classes dominantes rejettent le libéralisme occidental et l’expansion d’une société de marché mondiale. Elles définissent leurs pays comme des civilisations distinctes, avec leurs propres valeurs culturelles et institutions politiques uniques ». De la Chine à l’Inde, de la Russie à la Turquie, les grandes et moyennes puissances d’Eurasie tirent un soutien idéologique des empires pré-libéraux dont elles se réclament, remodèlent leurs systèmes politiques non démocratiques et étatiques pour en faire une source de force plutôt que de faiblesse, et défient le triomphalisme libéral-démocrate de la fin du XXe siècle.

    Le déclin de l’Amérique est impossible à dissocier de l’ascension de la Chine, il est donc naturel que la rapide remontée de l’Empire du Milieu vers sa primauté mondiale historique domine les discussions sur l’État-civilisation. Bien que cette expression ait été popularisée par l’écrivain britannique Martin Jacques, le théoricien politique Christopher Coker a observé dans son récent, et excellent, livre sur les civilisations et les États que « le virage vers le confucianisme a commencé en 2005, lorsque le président Hu Jintao a applaudi le concept confucéen d’harmonie sociale et a demandé aux cadres du parti de construire une « société harmonieuse »« . Ce n’est pourtant que sous le règne de son successeur Xi que la Chine, en tant qu’État-civilisation rivale, a réellement pénétré la conscience occidentale. L’avènement de Xi Jinping comme président chinois en 2012 a propulsé l’idée d’ » État-civilisation » au premier plan du discours politique », remarque le spécialiste indien des relations internationales Ravi Dutt Bajpai, « car Xi croit qu’une civilisation porte sur son dos l’âme d’un pays ou d’une nation ».

    Cette éthique civilisationnelle émane de l’analyse chinoise de l’avenir du pays. Dans son influent livre de 2012, The China Wave : Rise of a Civilizational State, le théoricien politique chinois Zhang Weiwei observe avec fierté que « la Chine est désormais le seul pays au monde qui a fusionné la plus longue civilisation continue du monde avec un immense État moderne… Le fait d’être la plus longue civilisation continue du monde a permis aux traditions de la Chine d’évoluer, de se développer et de s’adapter dans pratiquement toutes les branches des connaissances et des pratiques humaines, telles que la gouvernance politique, l’économie, l’éducation, l’art, la musique, la littérature, l’architecture, l’armée, les sports, l’alimentation et la médecine. La nature originale, continue et endogène de ces traditions est en effet rare et unique au monde ». Contrairement à l’Occident en constante évolution, en quête de progrès et réorganisant ses sociétés en fonction des modes intellectuelles du moment, Weiwei observe que « la Chine s’inspire de ses traditions et de ses sagesses anciennes », et que son retour à la prééminence en est le résultat naturel.

    C’est à ces traditions sacrées, un État centralisé avec une histoire de 4 000 ans, une classe bureaucratique efficace adhérant aux valeurs confucéennes et un accent mis sur la stabilité et l’harmonie sociale plutôt que sur la liberté, que les théoriciens chinois attribuent l’essor de leur État-civilisation, désormais « apparemment imparable et irréversible ». Faisant le point sur un Occident en déclin et un Moyen-Orient enlisé dans un chaos sanglant, Weiwei remarque avec un détachement froid que « si l’ancien empire romain ne s’était pas désintégré et avait pu se transformer en un État moderne, alors l’Europe d’aujourd’hui pourrait aussi être un État civilisationnel de taille moyenne ; si le monde islamique actuel, composé de dizaines de pays, pouvait s’unifier sous un régime de gouvernement moderne, il pourrait aussi être un État civilisationnel de plus d’un milliard d’habitants, mais la possibilité de réaliser tous ces scénarios a disparu depuis longtemps et, dans le monde actuel, la Chine est le seul pays où la civilisation continue, la plus longue du monde, et un État moderne ont fusionnés en un seul. ”

    Pourtant, l’attrait du modèle État-civilisation ne se limite pas à la Chine. Sous Poutine, l’autre grand empire eurasien, la Russie, a publiquement abandonné les projets de libéralisation centrés sur l’Europe des années 1990 – une période d’effondrement économique et sociétal dramatique due à l’adhésion aux politiques des théoriciens libéraux occidentaux – pour son propre sonderweg culturel c’est à dire le chemin spécial d’une civilisation uniquement russe centrée sur un État tout-puissant. Dans un discours prononcé en 2013 devant le Club Valdai, Poutine a fait remarquer que la Russie « a toujours évolué comme une civilisation d’État, renforcée par le peuple russe, la langue russe, la culture russe, l’Église orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles du pays. C’est précisément le modèle d’État-civilisation qui a façonné notre politique d’État ». Dans un discours prononcé en 2012 devant l’Assemblée fédérale russe, Poutine a également affirmé que « nous devons valoriser l’expérience unique que nous ont transmise nos ancêtres. Pendant des siècles, la Russie s’est développée comme une nation multiethnique (depuis le tout début), un État-civilisationnel lié par le peuple russe, la langue et la culture russes qui nous sont propres, nous unissant et nous empêchant de nous dissoudre dans ce monde diversifié ».

    Il convient de noter que si la Russie est souvent considérée par les commentateurs libéraux et les partisans de l’extrême droite, en particulier les Américains, comme un terreau fertile pour le nationalisme blanc soutenu par l’État, cette affirmation découle plus des obsessions raciales des États-Unis que de l’idéologie réelle de l’État russe. En effet, pour Poutine, c’est l’héritage de la Russie en tant qu’empire polyglotte qui fait que l’État qu’il dirige est un État-civilisation plutôt qu’une simple nation, soulignant explicitement que « l’autodéfinition du peuple russe est celle d’une civilisation multiethnique ».

    Dans un essai révélateur de 2018, le conseiller de Poutine, Vladislav Surkov, qui a été licencié en février dernier, a mis en avant cette hybridité, mi-européenne et mi-asiatique, comme la caractéristique centrale de l’âme russe. « Notre identité culturelle et géopolitique rappelle l’identité volatile de celui qui est né dans une famille métisse », écrit Surkov. « Un métis, un métissage, un type bizarre. La Russie est une nation métisse de l’Ouest et de l’Est. Avec son statut d’État bicéphale, sa mentalité hybride, son territoire intercontinental et son histoire bipolaire, elle est charismatique, talentueuse, belle et solitaire. Tout comme un métis l’est ». Pour Surkov, le destin de la Russie en tant que État-civilisation, comme celui de la Byzance à laquelle elle a succédé, est celui d’une « civilisation qui a absorbé l’Orient et l’Occident. Européenne et asiatique à la fois, et pour cette raison ni tout à fait asiatique ni tout à fait européenne ».

    Cette tension non résolue entre l’Est et l’Ouest, l’Europe et l’Asie définit la position politique de l’autre État successeur de Byzance et enfant à problèmes de l’Otan, la Turquie. Comme la Chine, un grand empire prémoderne éclipsé par la montée de l’Occident vers sa domination mondiale, la Turquie d’Erdogan dissimule désormais ses désirs revanchards sous le somptueux manteau du passé ottoman, insultant l’Occident alors même qu’Erdogan dépend de l’Amérique de Trump et de l’Allemagne de Merkel pour la survie de son régime. Lorsque le nouvel imam de la nouvelle mosquée Sainte-Sophie est monté en chaire le mois dernier, sabre en main, pour proclamer la renaissance de la Turquie et maudire la mémoire d’Ataturk, le modernisateur du pays qui l’a tourné vers l’Europe, c’était pour souligner que l’avenir glorieux de la Turquie dépend de la renaissance de son passé ottoman. La date de la cérémonie, le 97e anniversaire du traité de Sèvres qui a dissout l’Empire ottoman et l’a remplacé par la République turque, était tout aussi symbolique. Tout comme Justinien, en entrant dans sa nouvelle grande cathédrale, a fait remarquer qu’il avait dépassé Salomon, Erdogan a dépassé Atatürk. L’ère de la supplication pour rejoindre l’Europe, en tant que suppliant appauvri, est terminée ; l’ère de la conquête est revenue.

    Piégés dans les rêves post-historiques du libéralisme, de nombreux observateurs occidentaux de l’agression croissante d’Erdogan ont manqué ces indices symboliques, ou les ont rejetés comme une rhétorique vide, un luxe dont ne peuvent bénéficier les anciens peuples sujets de la Turquie dans les Balkans et au Moyen-Orient. Lorsqu’en mars, la Turquie a tenté de forcer l’ouverture des frontières grecques avec des milliers de migrants rassemblés depuis les bidonvilles d’Istanbul, le drone Bayraktar qui planait au-dessus de la clôture frontalière contestée portait l’indicatif 1453, date de la chute de Constantinople, tout comme les navires de forage qui menacent constamment de violer la souveraineté grecque et chypriote portent les noms des amiraux et des corsaires ottomans qui ont ravagé les côtes de la Grèce et de l’Europe.

    L’intention de la Turquie, dont le ministre de l’intérieur du pays, Suleyman Soylu, s’est vanté lors de la crise frontalière, est de détruire l’Union européenne. « L’Europe ne peut pas supporter cela, ne peut pas gérer cela », a-t-il affirmé. « Les gouvernements en Europe vont changer, leurs économies vont se détériorer, leurs marchés boursiers vont s’effondrer. » Dans un discours ce mois-ci, au moment même où la marine turque menaçait la Grèce de guerre, Soylu a exposé la vision civilisationnelle du nouvel ordre mondial de la Turquie : « Sur cette voie », a-t-il dit à l’assemblée des dignitaires militaires, « nous concevrons en embrassant le monde entier avec notre civilisation, en tenant l’Ouest et l’Est d’une main, le Nord et le Sud de l’autre, le Moyen-Orient et les Balkans d’une main, le Caucase et l’Europe de l’autre ».

    Dans les régions nouvellement annexées du nord de la Syrie, les milices rebelles proxy turques, dominées par l’ethnie turkmène, portent le nom de sultans ottomans, adoptent le sceau ottoman comme logo et donnent des interviews devant des cartes de l’Empire ottoman à son époque la plus étendue, tout en expulsant les Kurdes et les chrétiens de la région. En Syrie comme en Libye et en Irak, la vision expansionniste d’Erdogan cite explicitement l’Empire ottoman comme légitimation de son chemin de conquête, traçant les « frontières du cœur » d’Erdogan bien au-delà de la portée de la Turquie moderne, de Thessalonique à l’Ouest à Mossoul à l’Est. Saisissant la faiblesse partout où il la trouve, même le cœur de l’Europe libérale elle-même se trouve dans le viseur de l’homme fort turc.

    Lorsque ses ministres se sont vu interdire de s’adresser à des foules de Turcs ethniques aux Pays-Bas et que ses partisans se sont révoltés à La Haye, Erdogan a traité le gouvernement néerlandais de « nazi » avant de dire aux turcs d’Europe : « Ne faites pas trois, mais cinq enfants. Parce que vous êtes l’avenir de l’Europe. Ce sera la meilleure réponse aux injustices dont vous êtes victimes ». Alternant, avec toute l’incohérence passionnée d’un étudiant de la SOAS, entre l’expansionnisme islamique triomphaliste et les accusations de racisme et d’islamophobie partout où sa volonté est contrariée, l’homme fort turc chante son rôle de vedette dans le déclin du continent, se vantant que « l’Europe paiera pour ce qu’ils ont fait. Si Dieu le veut, la question de l’Union européenne sera à nouveau sur la table », et exultant que « alors qu’il y a un siècle, ils disaient que nous étions « l’homme malade », maintenant ils sont « l’homme malade » ». L’Europe est en train de s’effondrer ».

    Comme pour les Pays-Bas, où il a exhorté les Turcs d’Europe à surpasser démographiquement leurs hôtes indigènes, puis a traiter les dirigeants européens de nazis lorsqu’ils protestent, le discours civilisationnel d’Erdogan est en étrange symbiose avec l’extrême droite occidentale, comme en témoigne de façon particulièrement dramatique sa réaction à la fusillade de Christchurch l’année dernière. Lorsque le tueur Brandon Tarrant a abattu 51 fidèles musulmans dans la mosquée de Christchurch, c’était avec un fusil sur lequel il avait griffonné les noms de diverses batailles européennes contre les Ottomans. Dans son manifeste, Tarrant avait explicitement cité Erdogan comme « chef de l’un des plus anciens ennemis de notre peuple » et avait menacé les Turcs, qu’il décrivait comme des « soldats ethniques occupant actuellement l’Europe », que « nous tuerons et chasserons comme des cafards de nos terres. Nous venons pour Constantinople et nous allons détruire toutes les mosquées et tous les minarets de la ville. Sainte-Sophie sera libérée de ses minarets et Constantinople redeviendra une ville chrétienne à part entière ». En réponse directe, Erdogan a diffusé le massacre de Tarrant lors de ses rassemblements de campagne, à l’horreur du gouvernement néo-zélandais, déclarant quelques jours après les meurtres que « vous ne transformerez pas Istanbul en Constantinople » et jurant que « Sainte-Sophie ne sera plus un musée. Son statut va changer. Nous l’appellerons une mosquée », une promesse qu’il a tenu le mois dernier, en menant les fidèles à la prière lors de la deuxième conquête de la grande cathédrale.

    Au grand dam des politiciens européens libéraux, comme le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont le ministre des affaires étrangères turc, Mevlut Çavuşoğlu, a averti qu’il « entraînait l’Europe dans l’abîme » et que « les guerres saintes commenceront bientôt en Europe », le parti AKP d’Erdogan se délecte de la rhétorique du conflit des civilisations. Intentionnellement ou non, Erdogan fait beaucoup pour entraîner les politiciens centristes du continent vers la droite. Par ses actions, il alimente la peur et la méfiance à l’égard de la minorité musulmane d’Europe, et récolte ensuite les fruits de la réponse que son discours guerrier apporte au niveau national. Mais comme pour beaucoup de ses fanfaronnades, les gains à court terme d’Erdogan peuvent avoir des conséquences involontaires qui se répercuteront loin dans le futur, à la fois pour la Turquie et pour l’Europe.

    Les provocations navales croissantes de la Turquie en Méditerranée suscitent une telle colère de la part des politiciens européens, colère dirigée par Emmanuel Macron, que le ministre des affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, a récemment déclaré avec exaspération au Parlement européen qu’en écoutant l’humeur des députés européens réunis, « j’ai cru voir dans l’hémicycle que le pape Pie V avait refait surface en appelant à la Sainte Alliance contre la Turquie et en mobilisant les troupes de la chrétienté pour faire face à l’invasion ottomane ». Il n’est pas difficile de prévoir que Macron, virant à droite alors qu’il se dirige vers la saison électorale, fusionnera sa campagne contre les Frères musulmans dans son pays avec une position européenne affirmée contre la Turquie en politique étrangère. Une civilisation, tout comme un groupe ethnique, se définit autant par son opposition à un autre rival que par son contenu culturel intrinsèque, et Erdogan et Macron ont peut-être trouvé en l’autre le parfait équilibre pour leurs projets civilisationnels.

    Il est en effet frappant que le soi-disant sauveur libéral de l’Europe soit l’occidental qui ait le plus adopté la nouvelle langue des États-civilisations : sans doute que cet ancien érudit de Hegel a discerné le Weltgeist. L’année dernière, lors d’un discours qui a peu attiré l’attention, prononcé devant une assemblée d’ambassadeurs de France, Macron a laissé entendre que la Chine, la Russie et l’Inde n’étaient pas seulement des rivaux économiques, mais « de véritables États-civilisation… qui ont non seulement perturbé notre ordre international, assumé un rôle clé dans l’ordre économique, mais ont également remodelé avec beaucoup de force l’ordre politique et la pensée politique qui l’accompagne, avec beaucoup plus d’inspiration que nous ». Macron a fait observer que « aujourd’hui ils ont beaucoup plus d’inspiration politique que nous les Européens. Ils ont une approche logique du monde, ils ont une véritable philosophie, une débrouillardise que nous avons, dans une certaine mesure, perdue ».

    Il a averti son auditoire que « nous savons que les civilisations disparaissent ; les pays aussi. L’Europe va disparaître », a salué les projets civilisationnels de la Russie et de la Hongrie, qui « ont une vitalité culturelle et civilisationnelle inspirante », et a déclaré que la mission de la France, son destin historique, était de guider l’Europe dans un renouveau civilisationnel, en forgeant un « récit et un imaginaire collectifs. C’est pourquoi je crois très profondément que c’est notre projet et qu’il doit être entrepris comme un projet de civilisation européenne ».

    Il y a beaucoup de choses ici qui plairaient aux conservateurs britanniques, certainement bien plus que les fantasmes de Grande Bretagne Global que les néoconservateurs et les penseurs néolibéraux s’obstinent à essayer de vendre au gouvernement Johnson. Écrivant pour un public britannique dans le Guardian, l’année dernière, Macron a fait remarquer que « les nationalistes sont malavisés lorsqu’ils prétendent défendre notre identité en se retirant de l’UE, parce que c’est la civilisation européenne qui nous unit, nous libère et nous protège ». Au contraire, il a insisté sur le fait que « nous sommes à un moment charnière pour notre continent, un moment où nous devons, ensemble, réinventer politiquement et culturellement la forme de notre civilisation dans un monde en mutation. Le temps est venu pour une renaissance européenne ». Pourtant, pour la Grande-Bretagne, comme pour le reste de l’Europe, définir la nature essentielle de cette civilisation est une question plus difficile que pour la Chine ou la Russie.

    Alors que les États civilisateurs émergents de l’Eurasie se définissent contre l’Occident libéral, l’Occident et l’Europe luttent pour définir leur propre nature et mettent davantage l’accent intellectuel sur sa déconstruction que sur sa défense : un besoin qui, comme l’impulsion à nier l’existence des civilisations en tant qu’entités ayant des frontières, est lui-même ironiquement un marqueur unique de notre propre civilisation. Peut-être qu’une civilisation n’est qu’un empire qui a survécu à l’ère des États-nations, et même au-delà, et pourtant ce sont les États-nations, taillés dans les décombres sanglants des empires passés, qui définissent l’Europe moderne. Peut-être Guy Verhofstadt, le risible Brexiter, avait-il raison après tout lorsqu’il observait que « l’ordre mondial de demain n’est pas un ordre mondial basé sur des États-nations ou des pays. C’est un ordre mondial qui repose sur des empires ».

    Mais alors, bien qu’il y ait de forts tabous politiques contre le fait de le dire, nous vivons déjà comme les sujets d’un empire américain, même si peu de gens voudraient prétendre que l’Amérique est une civilisation ; moins de gens, en effet, que ceux qui considèrent l’hegemon en difficulté comme une anti-civilisation, dissolvant les nombreuses cultures européennes et autres dans le dur solvant du capital mondial. L’Occident lui-même existe-t-il en tant qu’entité cohérente et limitée ? Comme le note Coker, « Ni les Grecs ni les Européens du XVIe siècle… ne se considéraient comme « occidentaux, un terme qui ne remonte qu’à la fin du XVIIIe siècle ». Macron nous exhorte à ancrer notre sentiment d’appartenance à une civilisation européenne spécifique dans le Siècle des Lumières, mais cette perspective est loin d’être convaincante. Après tout, ce sont les tendances universalistes contenues dans le libéralisme des Lumières qui nous ont conduits dans cette impasse. Comme l’a fait remarquer l’ancien ministre portugais des affaires étrangères, Bruno Macaes, dans un récent et perspicace essai, ce sont précisément les aspirations globales du libéralisme qui ont coupé l’Occident, et l’Europe en particulier, de ses propres racines culturelles.

    « Les sociétés occidentales ont sacrifié leurs cultures spécifiques au profit d’un projet universel », note Macaes. « On ne peut plus trouver dans ces sociétés la vieille tapisserie de traditions et de coutumes ou une vision de la belle vie ». Notre foi naïve dans le fait que le libéralisme, issu des traditions politiques et culturelles de l’Europe du Nord, allait conquérir le monde, a maintenant été brisée pour de bon. Au lieu de cela, ce sont les États-civilisation de l’Eurasie, non libéraux, qui menacent de nous engloutir. Où cela nous mène-t-il alors, et que devons-nous faire du libéralisme ? « Maintenant que nous avons sacrifié nos propres traditions culturelles pour créer un cadre universel pour toute la planète », demande Macaes, « sommes-nous censés être les seuls à l’adopter ? »

    En 1996, le théoricien politique Samuel P. Huntington observait que « dans le monde émergeant des conflits ethniques et du choc des civilisations, la croyance de l’Occident dans l’universalité de la culture occidentale souffre de trois problèmes : Elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. L’impérialisme est la conséquence logique nécessaire de l’universalisme ». Pourtant, Huntington, comme ses détracteurs, écrivait à une époque où la prééminence américaine était incontestée. Les critiques de la thèse civilisationnelle de Huntington, tout comme les critiques académiques modernes du concept d’États-civilisation, soutiennent une construction qui n’existe plus, celle d’un Occident tout-puissant qui rejette avec arrogance le reste du monde de toute sa supériorité politique. Mais aujourd’hui, c’est nous, en Occident, qui sommes en déclin et c’est dans les mythes universels du libéralisme que nos puissants rivaux civilisationnels trouvent les causes profondes de notre échec.

    En tout cas, même au sein de l’empire américain, l’effondrement de la puissance américaine à l’étranger et la défaveur croissante avec laquelle la civilisation européenne est tenue aux États-Unis mêmes ne sont pas de bon augure pour la survie à long terme d’une civilisation occidentale cohérente. Si l’Occident, comme le libéralisme, n’est à ce stade qu’une idéologie justifiant l’empire américain, nous serons alors contraints de le remplacer assez vite par autre chose. C’est précisément ce problème de détermination de ce que sera ce remplacement qui définira la politique de la Grande-Bretagne et de l’Europe pour le reste de notre vie. Les idéologues libéraux vieillissants de l’Europe, la génération de 1968 qui a dominé notre politique pendant si longtemps, ne semblent pas avoir de réponses à ces questions ; en fait, ils ne semblent même pas réaliser, encore maintenant, que ces questions existent.

    Ce n’est que lorsque nous voyons Macron lutter pour rallier la civilisation européenne à l’âge des empires à venir, ou que nous observons des hommes forts européens comme Viktor Orban, salué par de nombreux conservateurs anglo-saxons comme le sauveur de la civilisation occidentale, se dresser contre l’Occident avec toute la passion et la fureur d’un révolutionnaire anticolonialiste, que nous entrevoyons un futur plus étrange et plus complexe que ne le permet notre discours politique actuel. Lorsque nous voyons la Pologne imposer l’étude du latin à l’école afin d’inculquer aux élèves la compréhension des « racines latines de notre civilisation », ou la jeune étoile montante de la droite radicale néerlandaise, Thierry Baudet, affirmant que nous vivons un « printemps européen », « en contradiction avec le spectre politique qui domine l’Occident depuis la Révolution française », qui va  » changer la direction que tous nos pays vont prendre dans les deux générations à venir « , nous discernons, tout comme nous le faisons pour les manifestations Black Lives Matter ou la propagation de la foi américaine en la justice sociale dans nos rues et nos universités, les champs de bataille politiques de l’avenir européen.

    La critique la plus perspicace de la thèse civilisationnelle de Huntington a toujours été que les confrontations les plus sanglantes se déroulaient au sein des civilisations et non entre elles. Dans la nouvelle ère des États-civilisation, le plus grand défi à notre harmonie sociale vient peut-être non pas des adversaires au-delà de nos frontières culturelles, mais de la bataille qui se déroule dans nos frontières pour définir qui et quoi défendre.

    Aris Roussinos (Le Saker Francophone, 6 août 2020)

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  • La nouvelle guerre des mondes...

    Les éditions Via Romana viennent de publier un essai de Michel Geoffroy intitulé La nouvelle guerre des mondes. Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean Yves Le Gallou, et un essai, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018).

     

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    Nous sommes en guerre, déclare Michel Geoffroy, et ce quatrième conflit succède à la guerre froide.
    Une véritable guerre des mondes car elle voit s’opposer différentes représentations du monde incarnées chacune par sa civilisation et parce qu’elle a le monde pour enjeu.
    Cette quatrième guerre oppose les États-Unis, bras armé de la superclasse mondiale et nation messianique, aux civilisations émergentes de l’Eurasie, qui contestent de plus en plus leur prétention à diriger le monde, rejetant un Occident aux valeurs décadentes.
    Car ce que l’on nomme aujourd’hui l’Occident, correspond à un espace dominé et formaté par les États-Unis, et n’a plus qu’un rapport lointain avec la civilisation qui l’a vu naître, la civilisation européenne. Et les « valeurs » qu’il se croit en droit de promouvoir partout par la force, sont en réalité des antivaleurs, poisons mortels.
    Monde unipolaire versus monde polycentrique, civilisations renaissantes contre la dé-civilisation occidentale : voilà la matrice de cette quatrième guerre mondiale.
    Pour notre auteur, cette guerre des mondes se déroule pour le moment principalement dans l’ordre géoéconomique, mais on ne peut exclure qu’elle finisse par déboucher sur un affrontement armé direct entre les puissances émergentes et l’unilatéralisme américain, qui instrumente au surplus l’islamisme à son profit.
    La quatrième guerre mondiale constitue donc aussi un défi européen. Parce que les pseudo-valeurs occidentales détruisent l’Europe. Et parce qu’alignés sur les États-Unis – du fait de la trahison de leurs élites – les Européens se trouvent emportés dans son belliqueux sillage, alors que les États-Unis ne gagneront pas, pour de multiples raisons développées ici, la quatrième guerre mondiale en cours.
    L’Europe doit-elle donc sortir de sa dormition pour relever le défi du monde multipolaire, en devenant à son tour un pôle de puissance indépendant et souverain ?  Les nations d’Europe connaîtront-elles le destin des cités grecques désunies : la soumission à la Macédoine, puis à Rome et finalement au Grand Turc ?

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  • L'Occident comme cunnicratie...

    Les éditions Culture & Racines viennent de publier un essai de Modeste Schwartz intitulé Yin - L'Occident comme cunnicratie. Ancien élève de l’École Normale Supérieure et linguiste, traducteur et auteur, Modeste Schwartz, après plus de quinze années passées en Roumanie et en Hongrie, s'est spécialisé dans le suivi des politiques danubiennes et est un chroniqueur régulier du Visegrad Post.

     

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    " L'auteur de ce livre s’est fixé pour but de poser, en quelques réflexions, les bases d’une analyse planétairement valable d’un phénomène qu’il perçoit comme mortifère pour l’espèce tout entière : le féminisme comme nouveau paradigme axiologique.

    S’il parle de YIN, c’est parce que le mouvement d’opinion progressiste connu en Occident sous le nom de féminisme est pour lui la pointe émergée d’une révolution anthropologique qui, en remettant en cause le fondement même de la différence sexuée, relève plutôt du transhumanisme que d’une simple « tendance politique ». 
    Alliant un ton souvent cru à un raisonnement élaboré, il cherche autant à alerter ceux qui veulent vivre qu’à simplement décrire, dans une démarche contemplative, le déroulé et les conséquences de cette révolution anthropologique probablement non-annulable, mais qui pourrait bien nous annuler. Ainsi conçu, le féminisme est pour lui un phénomène affectant des structures de pensées plus générales et plus profondes que la prophétie de Mahomet, la crucifixion du Christ, la réforme zoroastrienne ou le védisme – des structures aussi anciennes que l’humanité elle-même, à commencer par la structure bien connue des anthropologues sous le nom d’ancestralité. En séparant l’individu de son sexe – comme la physique nucléaire a séparé l’énergie de la matière – on fabrique une bombe culturelle dont l’explosion pourrait bien, à terme, faire passer la vitrification d’Hiroshima pour une aimable plaisanterie. Son constat est sans appel : l’époque infortunée qu’il nous est donné de vivre nous impose – sous peine de disparaître – de remettre les femmes à leur place...


    Encore faut-il, pour ce faire, éviter aussi le piège du masculinisme – qui n’est que l’ombre portée du féminisme, et le corrélat non moins délétère du même déséquilibre ontologique. Lu dans un registre politique, ce livre, écrit par un ennemi irréconciliable du monde moderne, n’a donc pas pour but de prendre une quelconque revanche sur les femmes, mais de contribuer à la destruction la plus rapide possible du modèle occidental et de la société bourgeoise, en fournissant à la résistance un explosif susceptible d’ébranler l’un de ses principaux piliers : la cunnicratie, ou avènement du YIN. "

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  • Le syndrome des « États défaillants », ou l’autodestruction de l’Occident...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Chaix, cueilli sur Deep News Media, dans lequel il évoque l'accélération du processus de déclin des Etats-Unis. Journaliste indépendant, Maxime Chaix a publié La guerre de l'ombre en Syrie (Erick Bonnier, 2019).

     

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    Le syndrome des « États défaillants », ou l’autodestruction de l’Occident

    Le 26 décembre 1991, « le Conseil des républiques du Soviet suprême de l’URSS déclare que (…) l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques en tant qu’État et sujet du Droit international cesse d’exister. » Ce jour-là, le Président George Bush déclara que, « dans ce monde interconnecté, nous ne réussirons qu’en continuant de mener le combat pour la liberté des peuples et pour un commerce libre et équitable. Une économie mondiale libre et fructueuse est essentielle à la prospérité de l’Amérique – ce qui signifie des emplois et la croissance économique ici-même, sur notre sol ». En ces termes, il affirmait que le peuple des États-Unis serait le premier bénéficiaire de la globalisation, tandis que leur nation s’imposait comme l’hyperpuissance mondiale incontestée.

    Or, ses successeurs ont dramatiquement accéléré le processus de paupérisation de leurs concitoyens à travers leurs politiques libre-échangistes, qui ont dépecé l’appareil industriel des États-Unis au profit de l’Empire du Milieu. Comme l’a récemment observé le journaliste Aris Roussinos, « il y a quelques mois seulement, le fait de s’alarmer sur notre dépendance envers la Chine et sur la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement – donc d’en appeler au découplage vis-à-vis de cette nouvelle puissance hégémoniste –, était considéré (…) au mieux comme romantique, au pire comme xénophobe. Lorsque Trump [s’en est ému], l’autocrate chinois Xi Jinping fut ovationné à Davos, et salué comme le nouveau champion de l’ordre mondial libéral. Mais à présent, Larry Summers – le grand prêtre de la mondialisation et de la délocalisation vers la Chine –, nous met en garde contre la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement et l’urgence du découplage, sans toutefois rappeler sa longue et brillante carrière d’architecte de cette catastrophe. »

    Soulignant le discrédit de cet ordre mondial imposé par Washington, Aris Roussinos décrit la globalisation imposée depuis l’ère Clinton comme « un processus à travers lequel les économies occidentales avancées ont unilatéralement cédé leur capacités productives à la Chine – une puissance rivale qui montait en puissance. Au lieu de faire de même, comme l’anticipaient les calculs panglossiens des théoriciens néolibéraux, Pékin s’est livrée à un mercantilisme (…) impitoyable dans la poursuite de ses propres intérêts. Comme l’a récemment écrit (…) Michael Lind dans Tablet, “les politiciens qui, à l’instar de Clinton, défendent et imposent la mondialisation ont affirmé à l’opinion que le but de l’ALENA et de l’admission de Pékin à l’OMC était d’ouvrir les marchés du Mexique et de la Chine à “tous les biens américains fabriqués aux États-Unis, du maïs aux produits chimiques en passant par les ordinateurs”. Or, deux décennies plus tôt, les multinationales américaines et leurs lobbyistes savaient que ce raisonnement était fallacieux. Depuis le début, leur objectif était de transférer la confection de nombreux produits du territoire américain vers le Mexique ou la Chine, afin de profiter de la main-d’œuvre étrangère à bas coût et, dans certains cas, des subventions des gouvernements locaux et d’autres faveurs. »

    Cette destruction organisée des capacités productives aux États-Unis, et plus largement dans de nombreux pays occidentaux, date en réalité de l’ère Reagan. En effet, la dérégulation néolibérale amorcée par ce Président fut aggravée par ses successeurs, ce qui a fini par déstabiliser l’ensemble du système financier global. Selon l’économiste colombien Daniel Munevar, « cette tendance (…) a ensuite été poursuivie par l’administration de George Bush senior, approfondie par le gouvernement du démocrate [Bill] Clinton et portée à ses extrêmes par George W. Bush. La dérégulation du système financier a créé les conditions d’une expansion sans précédent du crédit privé, semant par là-même les germes de la crise financière actuelle et, par conséquent, de la récente explosion de la dette publique. » Comme l’a souligné le commissaire et spécialiste de la criminalité financière Jean-François Gayraud, « les lois de dérégulation ont mis en place une nouvelle architecture du monde autour [du triptyque] (…) “privatisations, rigueur budgétaire, libre-échange” ». Et comme l’a observé l’économiste Jean-Michel Quatrepoint, ce processus a eu des conséquences particulièrement néfastes en Occident (chômage de masse, désindustrialisation, explosion des inégalités, etc.). Faisant campagne contre la globalisation économique, Donald Trump a fini par remporter les élections en promettant de « restaurer la grandeur de l’Amérique ».

    Manifestement, les effets catastrophiques du confinement sur l’économie réelle américaine ont balayé ce projet. Aujourd’hui, les États-Unis apparaissent donc comme un État défaillant, qui accumule les vulnérabilités et qui renonce explicitement à son leadership global. Parmi ces faiblesses structurelles, l’on peut identifier :

    1) l’explosion du chômage, soit près de quarante millions de nouveaux demandeurs d’emploi depuis la mi-mars. En parallèle, on observe la déconnexion totale de Wall Street vis-à-vis de l’économie réelle, sachant que « le marché boursier a bondi de plus de 32% depuis le 23 mars, [alors que] l’économie américaine s’est effondrée » ;

    2) la menace correspondante d’une nouvelle pénurie de crédits (« credit crunch »), dans une économie américaine qui est massivement alimentée par l’endettement des ménages ;

    3) l’effondrement de l’industrie locale du pétrole et du gaz de schiste, sachant qu’une vague de faillites est anticipée par les experts du Financial Times. Soulignons au passage que « les quatre plus grands établissements [bancaires] de l’Hexagone ont accordé 24 milliards de dollars de financement aux entreprises du secteur en Amérique du Nord » ;

    4) les risques liés à l’endettement massif des étudiants des universités américaines, qui est de l’ordre de 1 600 milliards de dollars. Bien que certains analystes tentent de nous rassurer sur cette épineuse question, il s’avère que « la crise du Covid-19 pourrait conduire des millions d’Américains à lutter désespérément pour rembourser leurs dettes universitaires » ;

    5) l’endettement gargantuesque des municipalités américaines, qui atteint les 3 900 milliards de dollars. Selon « les analystes d’UBS Global Wealth Management, le marché des obligations municipales de 3 900 milliards de dollars se dirige vers la plus grande tempête financière que l’on ait jamais observée. L’effondrement économique fulgurant des États-Unis frappe presque chaque secteur du marché, qui s’étend bien au-delà des États et des villes qui ont le pouvoir d’augmenter les impôts » ;

    6) la situation sécuritaire épouvantable, sur le plan intérieur, qui pousse Donald Trump a la surenchère face à des émeutes dont on peine à comprendre les ressorts, mais que l’on ne peut résumer à une insurrection dont les motifs se limiteraient à la dénonciation du racisme et des violences policières.

    En effet, comme l’a théorisé l’universitaire Peter Turchin, « les causes des rébellions et des révolutions sont à bien des égards similaires aux processus qui provoquent des tremblements de terre ou des incendies de forêt. Dans les révolutions et les tremblements de terre, il est utile de distinguer les “pressions” (conditions structurelles, qui s’accumulent lentement) des “déclencheurs” (événements spontanés de libération, qui précèdent immédiatement une éruption sociale ou géologique). Les déclencheurs spécifiques de bouleversements politiques sont difficiles, voire impossibles à prévoir avec précision. Chaque année, la police tue des centaines d’Américains : noirs et blancs, hommes et femmes, adultes et enfants, criminels et citoyens respectueux des lois. Les policiers américains ont déjà tué 400 personnes au cours des cinq premiers mois de l’année 2020. Pourquoi est-ce le meurtre de George Floyd qui a déclenché cette vague de protestations ? Contrairement aux déclencheurs, les pressions structurelles s’accumulent lentement, de manière plus prévisible, et se prêtent à l’analyse et à la prospective. En outre, de nombreux événements déclencheurs eux-mêmes sont finalement causés par des pressions sociales refoulées qui cherchent un débouché – en d’autres termes, par des facteurs structurels. Mes lecteurs connaissent les principales pressions structurelles qui sapent la résilience sociale : la paupérisation massive, les conflits intra-élites et la perte de confiance dans les institutions de l’État. »

    Ce chercheur ajoute qu’il est « certain que les ressorts structurels profonds de l’instabilité continuent de fonctionner sans relâche. Pire encore, la pandémie de Covid-19 a exacerbé plusieurs de ces facteurs d’instabilité. En d’autres termes, même après que l’actuelle vague d’indignation causée par le meurtre de George Floyd s’estompera, d’autres déclencheurs continueront d’engendrer de nouveaux incendies, du moins tant que les forces structurelles qui continuent de saper la stabilité des nos sociétés leur fourniront du carburant à outrance. » En 2010, Peter Turchin avait anticipé que « la paupérisation massive, les conflits intra-élites et la perte de confiance dans les institutions de l’État » engendreraient une décennie d’instabilité aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie. À son grand regret, il ne s’est pas trompé. Par conséquent, si l’on considère que les États-Unis sont un État défaillant, il est clair que nos démocraties européennes sont loin d’être à l’abri d’un tel déclin dans le contexte actuel.

    Maxime Chaix (Deep-News.media, 3 juin 2020)

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  • La Mémoire perdue...

    Les éditions du Rocher viennent de publier un essai de Francis O'Gorman intitulé La Mémoire perdue. L'auteur est professeur de littérature à l'université de Lancastre et spécialiste de John Ruskin.

     

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    " « La mémoire perdue examine comment et pourquoi nous en sommes venus à présumer qu'il nous faut vivre en nous passant de la plupart des récits - de récits complexes et riches, étranges et contradictoires, fondamentaux et difficiles, douloureux autant qu'instructifs, agréables autant que tristes. C'est un ouvrage qui s'interroge sur ce qui (comme Freud l'a bien montré) nous fait préférer voir l'histoire comme un trauma que la voir comme une richesse. Il analyse pourquoi la littérature, l'art et la musique du passé ne sont presque plus accessibles aux jeunes gens autrement que sous la forme de sujets d'épreuves scolaires ou universitaires, et, au-delà, n'ont guère d'utilité plus poussée, ni ne sont source de plaisir, de questionnements fructueux ou de sens. Il explore pour quelles raisons réfléchir sérieusement aux réalisations du passé est devenu l'apanage de quelques-uns, à l'égard de qui la modernité est en général soupçonneuse. Cette perte d'histoire se mesure en Occident à l'aune de la dégradation du goût (bien que, je le reconnais, on déplore une telle dégradation depuis que la notion même de goût existe) et de la compréhension des réalisations esthétiques et intellectuelles. Mais elle se mesure aussi à travers les multiples formes du déracinement moderne : solitude, exil, mal-être, absence symbolique et parfois littérale d'un foyer. Confrontés à l'oubli des idées et des êtres, et poussés seulement à s'efforcer d'atteindre des succès à venir qu'on présente comme s'ils étaient planifiés, les Occidentaux d'aujourd'hui habitent le séjour trépidant des égarés qui ne font qu'imaginer savoir vers quoi ils vont. » "

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  • Coronavirus : l’Occident a-t-il échoué ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dmitry Orlov cueilli sur De Defensa et consacré à l'échec de l'Occident au test civilisationnel du Coronavirus...  De nationalité américaine mais d'origine russe, ingénieur, Dimitry Orlov, qui a centré sa réflexion sur les causes du déclin ou de l'effondrement des civilisations, est l'auteur d'un essai traduit en français et intitulé Les cinq stades de l'effondrement (Le Retour aux sources, 2016).

     

    dmitry orlov,

    Coronavirus : l’Occident a échoué 

    Avec toute l’encre qui a coulé au sujet du SARS-CoV-2 et du COVID-19 et ses diverses ramifications et effets, vous pourriez penser qu’il y a peu à ajouter. Cependant, je n’ai pas encore vu d’article sur le coronavirus en tant que test – non pas dans le sens d’un test pour la présence du virus ou d’anticorps à celui-ci, mais en tant que test pour nous, en tant qu’individus, familles, communautés et nations entières. Nous constatons déjà que ses effets vont de relativement bénins à désastre complet. Comme toujours, blâmer le test pour son échec est une invitation au rire, à ses propres dépens.

    Les personnes susceptibles de rater un test peuvent préférer refuser de le passer. Mais refuser de passer le test du coronavirus n’est guère une option. Selon de nombreux épidémiologistes, environ 80 % de la population mondiale sera finalement exposée à ce virus. Un prince machiavélique régnant sur une société primitive qui ne dispose même pas d’un système de santé publique rudimentaire pourrait tout simplement l’ignorer. Ensuite, sur la base des chiffres actuellement disponibles, peu concluants certes, environ 4 % de la population mourra, mais la majorité d’entre eux seront soit âgés, soit malades, soit les deux. Le prince s’en féliciterait, pensant que les personnes âgées et malades sont un fardeau, alors bon débarras ! Il pourrait même essayer de tirer un profit politique de la situation : puisque le virus a une source étrangère, ceux qu’il infecte sont aussi d’une certaine manière étrangers, ou influencés par l’étranger, et donc des traîtres qui méritent cette affliction comme une sorte de punition surnaturelle. Le fait d’appeler le SRAS-CoV-2 “le virus chinois” va dans ce sens.

    Mais si cette principauté machiavélique dispose d’un système de santé publique, aussi modeste soit-il, elle n’a pas la possibilité de refuser toutes les personnes malades. Mais si l’on tente de les soigner sans préparation sérieuse, tous les médecins risquent d’être infectés. Le contact quotidien avec des personnes infectées leur fera accumuler une charge virale trop élevée pour que leur système immunitaire puisse la gérer. En conséquence, la principauté peut se retrouver rapidement à court de médecins. En retour, le taux de mortalité parmi la population qui aurait survécu au coronavirus augmentera parce que de nombreuses causes de décès de routine ne pourront plus être évitées. Cela pourrait amener le prince à faire une pause dans sa réflexion …

    Pourtant, les politiciens de plusieurs pays ont d’abord pris le chemin d’une passivité presque totale face à l’épidémie de coronavirus. Cette liste comprenait au départ les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suède, et ils n’ont commencé à réagir que lorsqu’ils ont vu leurs systèmes de santé publique commencer à céder sous la pression, et s’effondrer. Une stratégie commune a maintenant été mise au point. Elle comprend la fermeture de toutes les frontières et l’autorisation de rapatriement pour les touristes et les expatriés uniquement ; le dépistage et la mise en quarantaine des personnes rapatriées ; la fermeture de toutes les entreprises et organisations non essentielles et l’auto-isolement de la quasi-totalité de la population ; la mise en quarantaine de toutes les personnes infectées ; et la construction rapide d’installations hospitalières spécialisées avec de grandes unités de soins intensifs. En attendant, des travaux sont en cours sur de nombreux vaccins candidats, qui offrent la défense ultime contre le virus, mais ces travaux prendront de nombreux mois.

    L’auto-isolement est avant tout un test. Il est particulièrement difficile pour les personnes seules et sans enfant. Je ne sais pas ce qui est le pire : l’isolement ou l’enfermement avec un ou plusieurs enfants agités. L’effet sur les familles diffère selon le type de famille. D’une part, les communautés en confinement ont connu une augmentation de l’incidence des troubles domestiques. Ces situations sont probablement exacerbées lorsque l’isolement s’accompagne d’une perte de revenus, d’une menace de faillite personnelle, d’une incapacité à payer le loyer et d’autres problèmes financiers. D’autre part, certains couples ont accueilli favorablement la possibilité de passer plus de temps entre eux et avec leurs enfants. Certains d’entre eux ont même découvert les joies de l’enseignement à domicile et explorent celles de la cuisine familiale. C’est à peu près aussi positif que l’auto-isolement, mais dans une certaine mesure et pour presque tout le monde, l’auto-isolement est une épreuve.

    Au-delà de ces effets personnels, l’auto-isolement entraîne une réaction en chaîne d’effondrement commercial. Dans ce cas, l’effondrement commercial entraîne l’effondrement financier, car une baisse des revenus de l’entreprise entraîne des répercussions sous la forme d’une incapacité à assumer ses responsabilités financières. Les salaires restent impayés, les loyers, les baux et les remboursements de prêts deviennent caducs, la faillite et la liquidation commencent à sembler inévitables. Dans certains cas, les gouvernements peuvent intervenir et fournir un financement à taux zéro pour permettre aux entreprises de continuer à payer les salaires, d’accorder des délais de paiement sur les prêts et les impôts et d’autres mesures de ce type.

    De telles mesures peuvent atténuer la douleur à court terme, mais quels effets cela aura-t-il à long terme ? Les premières victimes de l’auto-isolement seront les industries qui dépendent des dépenses discrétionnaires des consommateurs grâce à leurs excédents de revenus : la restauration et le tourisme. Quel est l’intérêt de sauver ces entreprises – et les entreprises qui les approvisionnent, comme les compagnies aériennes et les avions, les hôtels, les bus touristiques, etc. – si la demande pour leurs services ne revient pas dans un avenir prévisible ? Et elle ne reviendra pas – à condition que les gens soient conscients que vivre au jour le jour, aller manger ou faire des voyages même s’ils n’ont pas d’économies, est un très mauvais plan. Beaucoup d’entre eux s’en rendront probablement compte, après avoir survécu à cette épreuve, tandis que les autres finiront tout simplement ruinés. Manger et partir en voyage pour le plaisir ne sont pas des nécessités ; avoir une bourse d’or et d’argent et un stock de nourriture dans la cave le sont. Vivre au-dessus de ses moyens et toujours à crédit peut être efficace, jusqu’à ce que la chance tourne. Et pour beaucoup de gens, avec l’arrivée du coronavirus, elle s’est épuisée.

    Est-il raisonnable de s’attendre à ce que, dans le courant de l’année, une fois que l’on aura gagné suffisamment de temps et que certaines des restrictions auront été levées – tandis que d’autres, comme les voyages à destination/en provenance de régions dangereuses, devront rester en place – les économies des pays mieux gérés se redresseront et afficheront une reprise en forme de V ? Cette attente peut être justifiée en ce qui concerne les économies qui ont une forte composante manufacturière en raison du phénomène de demande retardée : le monde continue à consommer un certain nombre d’ampoules, de liquides vaisselle et de filtres à eau, qu’il soit ou non sous confinement. Les usines peuvent fonctionner en équipes en 3/8 et rattraper le temps perdu. Mais il n’en va pas de même pour les économies de services, qui sont celles de la plupart des pays occidentaux – jusqu’à l’arrivée du virus – mais qui ne le seront probablement plus, d’abord parce que de nombreuses “industries” de services, comme le tourisme et les restaurants, ont été détruites, et ensuite parce que la demande pour ces services sera lente à revenir, si jamais elle revient, parce que les gens fauchés ne mangent pas au restaurant et que les gens effrayés ne prennent pas l’avion pour se rendre dans des endroits exotiques, potentiellement infectés par le coronavirus.

    Dans l’ensemble, ce qui aurait dû se produire se serait produit indépendamment de toute pandémie de coronavirus. Le virus offre une excuse commode pour expliquer l’effondrement de l’économie mondiale, mais elle s’était déjà bien effondrée des mois avant son arrivée sur la scène. Certains des chiffres financiers falsifiés semblaient encore relativement optimistes, mais la production industrielle déclinait de manière significative dans des nations productives clés telles que l’Allemagne et le Japon, tandis que la Chine et l’Inde affichaient les taux de croissance les plus faibles depuis plus d’une génération. Ce sont ces chiffres qui comptaient, alors que la “performance” d’économies de services presque purement parasitaires, axées sur les consommateurs, s’est avérée ne pas compter du tout. Et puis, en août 2019, il s’est avéré que la dette publique américaine n’était plus valable comme garantie, et elle ne l’est toujours pas. C’est à ce moment qu’il est devenu évident que les nations exportatrices non parasitaires, productives et non occidentales n’allaient plus accepter des promesses vides de sens, au lieu de paiements, avant longtemps. La réponse des nations occidentales a été de faire d’autres promesses vides – c’est-à-dire d’imprimer plus d’argent. Que pensez-vous que cela leur apportera ? Pas grand-chose, je pense.

    Compte tenu de cette tournure des événements, inévitable mais très joliment précipitée par l’arrivée du coronavirus, chacune des composantes majeures de l’économie mondiale est confrontée à une tâche différente. Pour la Chine, c’est la fin d’une longue période d’expansion économique et de développement social massif, nécessitant un passage à un modèle de développement durable à un rythme plus lent, car la demande étrangère pour les produits fabriqués en Chine ne peut plus être utilisée pour poursuivre l’expansion économique.

    Pour la Russie, la tâche reste la même : continuer à suivre la voie qu’elle a empruntée depuis au moins 2014 pour atteindre une souveraineté totale et une autarcie limitée tout en passant de l’exportation de matières premières à l’exportation de produits manufacturés. Elle est assez avancée sur cette voie et est déjà autosuffisante dans de nombreux domaines, y compris l’alimentation et pour de nombreux produits manufacturés, dont une grande partie du reste provient de Chine et d’autres nations non occidentales avec lesquelles la Russie entretient des relations amicales. Les sanctions occidentales antirusses ont été très utiles à cet égard. Les Russes ont d’abord été lents à reconnaître le danger de la dépendance occidentale et ont nourri l’espoir d’être traités équitablement. Les sanctions les ont aidés à se mobiliser.

    Quant à l’Union européenne et aux États-Unis, la tâche qui les attend est d’essayer de ne pas s’effondrer. Jusqu’à présent, ces deux unions semblent s’acquitter assez mal de cette tâche. Face à la crise du coronavirus, les nations de l’UE n’ont pas réussi à s’entraider et ont plutôt eu tendance à se voler mutuellement des fournitures médicales essentielles tout en réclamant l’aide de la Chine et de la Russie – qu’elles reçoivent. Pendant ce temps, le vaisseau-amiral de l’UE, ainsi que l’OTAN, se sont révélés complètement inutiles. Il y a eu tellement de désaccords entre les pays membres de l’UE qu’un retour à un statu quo ante optimiste semble peu probable. Pour l’instant, le seul point d’optimisme est que l’afflux de migrants a été stoppé. Mais c’est aussi un point de pessimisme pour la Turquie et l’Afrique du Nord où ces migrants ont été parqués par millions, dont beaucoup sont détenus dans des camps de réfugiés qui vont probablement devenir de puissants incubateurs de coronavirus.

    Aux États-Unis, divers États de l’Union semblaient initialement faire un effort pour venir en aide aux États les plus touchés par la crise, mais ce modèle ne fonctionne que si la crise touche quelques États alors que celle-ci les touchera tous et nécessitera une approche centralisée de la gestion des crises. À cet égard, Washington s’avère à peu près aussi utile que l’UE ; une combinaison d’incompétence et de tracasseries bureaucratiques a produit une situation dans laquelle les États-Unis ont une capacité très limitée à découvrir qui est infecté et qui ne l’est pas. L’une des principales lacunes des États-Unis, qui s’avère aujourd’hui fatale, est qu’ils ne disposent pas d’un système national de soins de santé. Chaque État dispose d’un système de prestation de services médicaux privés et commerciaux basé sur divers régimes d’assurance que la pandémie de coronavirus ne manquera pas de faire exploser. Les quartiers clochardisés des grandes villes américaines, peuplés entre autres de malades mentaux et de toxicomanes, offrent le même environnement fertile pour la propagation de la contagion que les camps de migrants et les enclaves ethniques d’Europe.

    Bien que tout cela soit plutôt triste, il y a une grande note d’optimisme qui se dégage. La Chine vient de donner au monde un cours de maîtrise sur la défense contre la guerre biologique. Peu importe que le SRAS-CoV-2 ait été concocté dans un laboratoire de guerre biologique américain ou non. Le fait est que cela aurait pu être le cas, car sinon, pourquoi les États-Unis auraient-ils des laboratoires de guerre biologique dispersés dans le monde entier ? Et pourquoi ont-ils collecté des échantillons d’ADN auprès des populations locales, si ce n’est pour les cibler à l’aide d’armes biologiques ? Après quelques incertitudes et hésitations, la Chine a donc choisi de traiter la lutte contre l’épidémie de SRAS-CoV-2 comme une guerre et a gagné ! La Russie a suivi le mouvement, et bien qu’il soit trop tôt pour déclarer la victoire, elle est également susceptible de remporter une victoire sur le front de la guerre biologique.

    Et si c’est le cas, la guerre est terminée et l’armée américaine peut faire ses valises et rentrer chez elle car elle n’a plus de stratégie gagnante. La guerre des étoiles était un rêve et elle n’a jamais développé de capacité nucléaire crédible de première frappe ; ses capacités conventionnelles ont été rendues obsolètes par les armes modernes de la Russie et de la Chine ; et maintenant il s’avère que ses laboratoires de guerre biologique très coûteux ont été un gaspillage complet d’argent. Les États-Unis devraient maintenant se sentir libres de réduire à zéro le budget du Pentagone et de dépenser l’argent qui leur reste pour mettre en place un système national de santé publique – tant qu’il y a encore un public et une nation.

    Dmitry Orlov (De Defensa, 17 avril 2020)

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