Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

occident - Page 15

  • Relations internationales et antagonismes idéologiques...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à l'impact des antagonismes idéologiques dans le champ des relations internationales.

    Pièces échecs.jpg

    Relations internationales et antagonismes idéologiques

    A côté du schéma des relations internationales classique depuis les traités de Westphalie, fondé sur des rapports entre entités plus ou moins souveraines, d’autres facteurs sont régulièrement venus colorer ces relations. On peut citer ici les conflits de civilisations chers à S. Huntington, bien qu’historiquement on trouve peu d’exemples où un conflit significatif oppose ce qu’on peut décrire comme deux aires de civilisation (voir un billet précédent). Même si des différences culturelles profondes ont souvent contribué à renforcer les antagonismes et à les radicaliser : les conflits étaient et sont en général d’abord des conflits entre puissances. Ce n’est que dans le cas de l’Islam que ce terme pouvait acquérir plus de vraisemblance, dans son opposition avec le monde chrétien d’un côté, le monde hindou de l’autre. Mais justement l’Islam est spécifique par l’association étroite qu’il fait entre religion et politique, et donc sa proximité potentielle avec une idéologie politique.

    Cela nous conduit à mettre en lumière une autre type d’opposition, plus caractéristique de l’époque moderne au sens large, qui sont les conflits idéologiques. La guerre froide vient immédiatement ici à l’esprit, mais la seconde guerre mondiale dans une très large mesure aussi ; voire la première, du moins si on prend au pied de la lettre la propagande de l’époque. Comme si, à l’époque démocratique tout particulièrement, il fallait justifier les conflits par autre chose que les simples oppositions de puissance : par des oppositions entre un bien et un mal, moyennant bien sûr simplification éventuellement caricaturale de la réalité. Cette opposition idéologique n’oblitère évidemment pas la dimension de conflit de puissance, évidente dans tous ces cas, mais elle lui donne une caractère et une intensité toutes particulières ; elle peut en outre orienter les décisions prises, du fait de sa logique propre. C’est cette époque qu’on a pu croire un bref instant terminée en 1991 avec la fin de l’URSS.

    Qu’en est-il aujourd’hui ? Apparemment la domination de ce qu’on peut appeler l’idéologie occidentale, est considérable sinon massive : elle donne sa substance au discours international de tout côté, depuis les débats de l’ONU jusqu’aux argumentaires donnés par les faucons américains, en Iraq et ailleurs. Idéologie utilisée abondamment pour justifier des politiques, et notamment des interventions ici ou là, militaires ou non. Mais sans qu’il y ait désormais un adversaire idéologique clair.

    Les tentatives pour dresser une protestation, ou un début d’alternative, sincère ou pas, contre cette idéologie dominante sont timides et locales. C’est même vrai dans le cas de l’islamisme, sous ses différentes formes. Certes il représente un phénomène majeur. Soit comme prétexte à intervention, soit comme boutefeu, il peut jouer un rôle important dans les évènements. Mais il ne se situe pas à ce stade au niveau des grands rapports de force entre puissances, car il faudrait pour cela qu’une vraie puissance l’incarne. Sur la scène internationale il s’exprime en fait surtout sous la forme spécifique du terrorisme, dont la connexion avec de vraies puissances reste limitée. Certes un certain islamisme militant est revendiqué sous des formes diverses et souvent antagonistes par l’Arabie saoudite, l’Iran, et d’autres comme de plus en plus la Turquie. La première répand sa version rigide et extrême de l’Islam, à coups de dizaines de milliards, depuis plus de 50 ans (avec ses amis ou rivaux du Golfe), mais sans fédérer un véritable camp structuré comme tel. L’éventail de ses amis est pour le moins éclectique. Le second a su rassembler et mobiliser les communautés chiites dans un arc traversant tout le Moyen Orient, qui a actuellement le vent en poupe, mais sans sortir de ce cousinage par nature limité. Le chiisme reste fort peu missionnaire. La Turquie, importante comme puissance régionale, est peu suivie comme leader et reste à dominante nationaliste. Dans les faits donc, même si l’idéologie conditionne ces antagonismes et d’autres, le conflit de puissances reste prépondérant au niveau des relations de pouvoir. Reste que la résurgence indéniable de l’islamisme est un fait géopolitique majeur, qui peut l’être plus encore à l’avenir, si elle conduit à une modification suffisante des équilibres internes, et par là des priorités des pays concernés. C’est donc dans la patte humaine des pays musulmans qu’est l’enjeu, avant les relations internationales entre puissances.

    Une autre source majeure d’alternative idéologique, potentiellement plus massive et plus significative, est l’évolution possible de la Chine. Au stade actuel, l’ancien antagonisme entre marxistes et occidentaux ne joue plus de rôle significatif au niveau mondial. Mais la Chine reste fondée sur des principes indéniablement différents et antagonistes de ceux qui constituent la doxa internationale, notamment américaine. A ce stade, cela ne prend pas chez elle la forme d’un programme idéologique conquérant. On peut même avancer que sa situation idéologique interne n’est elle-même pas stabilisée : il est clair que le régime cherche une justification à ce niveau, mais pour réussir il faudrait que cela prenne une forme différente et surtout plus élaborée. Elle pourrait tourner autour de l’idée actuellement latente d’un régime « éclairé », possédant une vision à long terme, qui est dégagée et mise en œuvre par des élites intellectuelles et sociales elles-mêmes sélectionnées à partir du peuple par le tamis du parti : on mêlerait ainsi une certain héritage léniniste plus ou moins maoïste (cher au président chinois actuel) avec des éléments de confucianisme récupéré (l’idée ancienne d’une élite supposée vertueuse au service du peuple, mue par le culte de la moralité publique). Mais la formalisation théorique de cela reste à ce stade limitée et déficiente, et non exportable.

    A ce stade donc la Chine n’est pas mûre pour jouer un rôle international significatif à ce niveau, même si dans son mode d’intervention on voit l’impact de la différence avec les pays occidentaux, notamment dans son indifférence affichée à toute « démocratisation » dans les pays qu’elle aide. Ajoutons que la tradition chinoise séculaire était plus introvertie que messianique ; même si la Chine ancienne avait progressivement assimilé des zones vastes, grâce à son modèle culturel et politique attractif pour ses voisins ou les pays dominés. Mais outre qu’elle n’a plus cette puissance d’attraction à ce stade, sous cette forme cela ne donnerait de réponse que pour les pays de son environnement immédiat, culturellement proches (Japon, Corée, Vietnam) – et ce n’est en rien le cas actuellement. En bref la Chine actuelle commence à faire sentir sa puissance, mais elle rayonne bien plus par son pragmatisme que par son modèle ou ses idées. Elle n’a en outre aucune expérience historique des relations de puissance. Mais le temps travaille pour elle. Et à terme, on ne peut pas exclure qu’elle construise un modèle alternatif plus puissant, idéologiquement rival du modèle américain ou occidental. On peut par ailleurs trouver dans la tradition chinoise ancienne, si elle est quelque peu revisitée, un modèle politique fort, et même des motifs à interventionnisme, y compris sur base moralisante ; ainsi chez Mencius, successeur principal de Confucius, qui justifiait la guerre s’il s’agit d’éliminer des « tyrans » opprimant leur peuple. La situation reste donc mouvante et pourrait nous surprendre.

    D’autres sources encore peuvent émerger à terme long : pensons à une civilisation ancienne comme celle de l’Inde, désormais en voie d’affirmation politique elle aussi.

    Mais il n’est pas inintéressant de considérer un autre cas beaucoup plus d’actualité, quoique bien moins dramatique que les exemples cités : celui des populismes. Bien entendu les mouvements ou personnages classés comme tels sont censés faire partie du monde des démocraties à l’occidentale. En outre, ils sont hétérogènes, et ne constituent ni un front ni même une alliance. Rien ne dessine à ce stade un antagonisme d’ensemble entre eux et les autres régimes se disant démocratiques. Néanmoins la manière dont ils sont perçus, tant par les médias que par la diplomatie de ces autres pays, présente des traits caractéristiques, où la dimension idéologique (en l’espèce de réprobation) est manifestement prégnante : PIS polonais, Orban, Lega de Salvini, Brexiters à la Boris Johnson, personnages comme Trump ou Bolsonaro sont fondamentalement ressentis dans le discours dominant comme des anomalies moralement condamnables, dans leur discours même. On les rapproche parfois même d’un autre réprouvé comme V. Poutine, malgré les différences évidentes – mais justement ce rapprochement est symptomatique. Certes, le phénomène n’en est qu’à ses débuts, et peut faire long feu. Le succès ou l’échec du Brexit, l’avenir politique de D. Trump, l’évolution de l’Est de l’Europe ou de l’Italie seront ici des tournants importants, parmi d’autres. Certes, même si le phénomène subsiste, la possibilité d’un front de tout ou partie de ces dirigeants paraît plutôt improbable à ce stade. Mais on ne pourrait pas exclure qu’une fracture durable s’installe dans la belle unanimité antérieure, colorant alors les relations internationales de façon appréciable, vu l’importance des pays concernés. Le consensus idéologique occidental pourrait se trouver alors fortement altéré.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 4 novembre 2019)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Vers un nouveau Yalta...

    Les éditions Sigest viennent de publier un recueil de chroniques de Caroline Galactéros intitulé Vers un nouveau Yalta. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé récemment, avec Hervé Juvin entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

    Galactéros_Vers un nouveau Yalta.jpg

    " Yalta n'est plus. Un nouveau partage du monde est en train de se structurer. La France et l'Europe veulent-elles en être les acteurs ou les spectateurs ? La mise à sac du Moyen-Orient par l'Occident, les défis migratoires, sécuritaires et culturels, l'éclatement des mécanismes multilatéraux, les utopies pacifistes, le terrorisme multicéphale et nos graves incohérences vis-à-vis de l'islamisme radical, mais aussi le réveil des nations et des peuples, l'affirmation de nouvelles puissances ou la résilience d'anciennes que l'on a voulu enterrer trop vite, tous ces processus dessinent des lignes de faille et de crête de la réalité internationale qu'il nous faut d'urgence regarder avec lucidité, pragmatisme et humanité. Pour favoriser l'apaisement du monde, la moraline est inopérante ou franchement contreproductive. Elle n'est même pas un placebo, bien plutôt un diffuseur de violence. Les chroniques et tribunes rassemblées dans cet ouvrage éclairent les principaux évènements internationaux des cinq années passées et dissèquent sans concessions ni dogme la complexité des nouveaux équilibres mondiaux. Elles tracent les contours d'une réforme de la politique étrangère française et les chemins d'alliances souhaitables pour permettre à l'Europe de comprendre enfin que la préservation de la souveraineté de ses membres, loin d'être un handicap singulier, est un atout collectif qui peut peut-être encore la sauver de la double dévoration qui la guette. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • L'île du dernier homme...

    Les éditions Albin Michel viennent de publier un roman de Bruno de Cessole intitulé L'île du dernier homme. Critique littéraire pendant de nombreuses années à Valeurs actuelles, Bruno de Cessole a rassemblé ses chroniques dans deux recueils, Le défilé des réfractaires (L'Editeur, 2011) et L'internationale des francs-tireurs (L'Editeur, 2014). Il est aussi l'auteur d'un roman, L'heure de la fermeture dans les jardins d'Occident (La Différence, 2008).

     

    Cessole_L'île du dernier homme.jpg

    " Surnommée « l'île du bout du monde », Jura a longtemps été la plus isolée des Hébrides écossaises. C'est sur ce bout de terre inaccessible que le journaliste François Saint-Réal est venu chercher refuge, après avoir été confronté, des banlieues françaises au champ de bataille d'Alep, aux hommes qui désignent l'Occident matérialiste comme leur pire ennemi, jusqu'à éprouver une étrange fascination pour leur combat. Est-ce un hasard si George Orwell choisit cette lande sauvage pour écrire 1984, dénonçant un système d'oppression plus vivace que jamais ? Traqué par les services secrets qui le soupçonnent de sympathies islamistes, François Saint-Réal va devoir composer avec ses engagements, réviser ses idéaux et résoudre ses contradictions. Un roman d'une troublante actualité, où Bruno de Cessole livre une réflexion intempestive sur l'Histoire, sur l'engagement et sur le cynisme de nos sociétés contemporaines. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Que faire ?...

    Les éditions du Tigre bleu (Blauwe Tijger) viennent de publier un essai en français de David Engels intitulé Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe. Historien, spécialiste de l'antiquité romaine et président de la Société Oswald Spengler, David Engels est l'auteur d'un essai intitulé Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013).

     

    David engels_Que faire ?.jpg

    L’Occident est à bout de souffle, il est tard, probablement trop tard pour changer de cap, et ce qui viendra après la collision annoncée entre la bienpensance et la réalité, nul ne le sait. Et pourtant, il faut vivre ; vivre avec le déclin de l’Europe, vivre avec la certitude que demain ne pourra qu’être pire qu’aujourd’hui; vivre en sachant que les jours de la civilisation occidentale telle que nous la connaissions sont comptés. Que faire ? Comment gérer sa vie au quotidien, comment se projeter, malgré tout, dans l’avenir, et surtout, comment faire pour léguer notre héritage en danger à nos descendants? Voilà quelques questions auxquelles ce vadémécum tente de donner des réponses pratiques – et réalistes …

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Le non du peuple

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai de Gabriel Robin et de Benjamin Demeslay intitulé Le non du peuple. Journalistes les deux auteurs publient notamment des articles dans L'Incorrect.

     

    Robin-Demeslay_Le non du peuple.jpg

     

    " Pourquoi la France et l'Europe sont-elles en crise ? Quels antagonismes paraissent aujourd'hui insurmontables ? Comment expliquer la partition sociale et culturelle de notre continent ?
    Pour répondre à ces questions, Gabriel Robin et Benjamin Demeslay racontent et analysent l'histoire de la formation des nations en Occident en identifiant les étapes au cours desquelles les fragmentations au sein des peuples se sont produites : du traité de Westphalie en 1648 à l'avènement de l'Union européenne, en passant par l'éclosion des Lumières au XVIIIe siècle ou encore l'effondrement des empires après la Première Guerre mondiale. Étude historique mais aussi politique, ce livre traite des bouleversements contemporains, comme la fin du clivage gauche-droite, la montée des populismes, la lente disparition de la classe moyenne sous les effets conjoints de la mondialisation et de la globalisation.
    Géopolitique, philosophie, littérature, histoire et même pop culture, voici un ouvrage pour saisir les enjeux du présent à la lumière des événements du passé. "

     

     
    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • «Le déclin de l’Occident n’est pas un accident de parcours» ...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par David Engels au Figaro Vox et consacré au déclin de la civilisation occidentale moderne. Historien, spécialiste de l'antiquité romaine et président de la Société Oswald Spengler, David Engels est l'auteur d'un essai intitulé Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), sa seule œuvre traduite en français, qui vient de ressortir en format de poche.

    Déclin de l'occident.jpg

    David Engels: «Le déclin de l’Occident n’est pas un accident de parcours»

    FIGAROVOX.- Votre livre Que Faire? Vivre avec le déclin de l’Europe relève plus du témoignage personnel que de l’essai politique. Pourquoi avez-vous voulu partager ces réflexions intimes?

    David ENGELS.- La situation est grave: ce n’est pas seulement un modèle politique, économique ou social qui est graduellement en train de disparaître, mais l’entièreté de ce qui fut, pendant mille ans, «l’Occident». Cette évolution est tout sauf un fait divers dont il suffirait de prendre bonne note avant de continuer comme si de rien n’était: le déclin massif de l’Europe en tant que civilisation est une véritable tragédie historique qui nous concerne tous, non seulement en tant que collectif, mais aussi en tant qu’individus. Personnellement, je souffre énormément de la fin annoncée de la civilisation occidentale que j’aime de tout mon cœur, et je sais que je suis loin d’être le seul dans ce cas, bien que beaucoup de contemporains ne se rendent pas encore tout à fait compte de la nature gravissime de cette évolution ou n’osent pas en tirer les conséquences qui s’imposent. C’est pour eux que j’ai écrit ce livre, afin de partager avec eux mes réflexions pour savoir comment nous, amoureux de l’Occident, de son histoire, de son patrimoine et de ses traditions, pouvons faire pour rester fidèle, dans un monde post-européen, à nos convictions intimes, et pour les léguer à nos descendants.

    Vous rappelez l’analogie entre le déclin actuel du monde occidental et le déclin du monde gréco-romain que vous aviez étudié dans l’un de vos livres précédents. En quoi la comparaison tient-elle?

    En effet: le déclin de l’Occident, comme l’ont montré de nombreux historiens comme Oswald Spengler ou Arnold Toynbee, n’est pas un accident de parcours: il est inscrit dans la logique de l’Histoire elle-même qui a déjà connu la montée et le déclin de nombreuses autres civilisations. Dans mon livre Le Déclin , d’ailleurs tout juste sorti en édition de poche avec une nouvelle préface il y a quelques semaines, j’ai tenté de montrer à quel point la crise actuelle de l’Europe rappelait celle de la République romaine du premier siècle, quand, atteinte par une crise politique, économique, démographique, ethnique et sociale sans précédent, elle fut déchirée par des émeutes endémiques se muant en véritables guerres civiles avant de basculer vers un État autoritaire stabilisant, certes, la crise, mais au prix d’une réduction drastique de la liberté politique et d’une certaine stagnation culturelle. Je suis convaincu que cette évolution nous attend également durant les deux prochaines décennies et ne peux qu’appeler mes lecteurs à se préparer à ces événements.

    Vous pointez du doigt le fait que peu de gens osent vraiment évoquer un «déclin». Mais ne craignez-vous pas qu’en parler puisse avoir un effet performatif?

    C’est comme en médecine: aimeriez-vous être soigné par un médecin qui traitera votre cancer comme un rhume, de peur de l’impact psychosomatique de vous faire part de la véritable situation? Ainsi, je crois surtout que l’honnêteté avec elle-même doit être la vertu suprême pour toute civilisation qui se respecte. Taire volontairement la réalité des processus culturels qui se déroulent actuellement - que ce soit l’immigration de masse, le vieillissement de la population, l’islamisation, l’intelligence artificielle, la dissolution des États Nations, l’auto-destruction du système scolaire et universitaire, l’immense retard de l’Europe sur la Chine, la transformation de la démocratie en technocratie - revient, à mon avis, à un acte de haute trahison avec des conséquences durables. Car quand la vérité - c’est-à-dire la nature de plus en plus irréversible du processus - éclatera au grand jour, même les derniers restes de confiance en notre système politique se trouveront fracassés, tout comme la solidarité sociale entre les différents groupes sociaux et culturels qui composent notre société. Ce n’est qu’en analysant sincèrement et froidement la situation actuelle que nous pouvons déterminer les marges de manœuvre (de plus en plus réduites) qui nous restent et tenter d’envisager les réformes nécessaires pour sauver et stabiliser ce qui persiste de notre civilisation, comme l’a d’ailleurs très bien remarqué Michel Houellebecq quand il a écrit son appréciation de mon livre pour la quatrième de couverture.

    Ce déclin civilisationnel semble plus vous inquiéter que les discours qui nous alarment quant à l’urgence climatique…

    Au contraire: bien que je reste sceptique concernant la prétendue urgence climatique et encore plus de l’impact de l’humain dans le cadre de cette théorie, l’exploitation outrancière de nos ressources naturelles et la spoliation de la diversité et de la beauté de la nature à tous les niveaux font partie intégrale de notre déclin civilisationnel, comme ce fut d’ailleurs le cas vers la fin de la République romaine. C’est aussi pourquoi je suis convaincu qu’il est essentiel de ne pas s’attaquer à des symptômes, mais aux véritables causes: ce n’est pas seulement en diminuant le CO2 ou d’autres matières problématiques, mais en travaillant sur l’idéologie matérialiste, consumériste, égoïste du monde moderne que nous pouvons espérer trouver un nouvel équilibre avec la nature - tout en sachant que le véritable danger pour notre environnement ne vient plus de l’Europe qui a déjà fait des immenses progrès, mais plutôt de l’Asie… D’ailleurs, dans ce contexte, je m’étonne toujours du double langage de nombreux écologistes: alors que, sur le plan écologiste, ils préfèrent défendre un «conservatisme» de plus en plus radical, sur le plan culturel, ils défendent un constructivisme extrême: on dirait que, pour beaucoup d’entre eux, la disparition d’une espèce de grenouille est plus importante que celle de la civilisation européenne… C’est aussi pour sensibiliser l’opinion publique sur la richesse de notre culture et le risque de la voir diluée ou disparaître définitivement que j’ai écrit ce livre.

    Le Brexit serait-il le premier signe concret du délitement de l’Europe que vous redoutez?

    Entre nous, j’avoue n’être toujours pas convaincu que le Brexit aura véritablement lieu, bien que la nomination de Boris Johnson puisse faire changer la situation. Mais il ne faut pas confondre «Europe» et «Union européenne»: pendant des siècles, l’Occident a été politiquement et culturellement plus uni que maintenant. Une disparition ou transformation de l’Union européenne en tant que telle ne signifierait donc nullement un délitement de l’Europe en tant que civilisation. Ce délitement vient surtout de l’intérieur, non de l’extérieur. La destruction de la famille traditionnelle, le relativisme culturel, le masochisme historique, la pensée politiquement correcte, la tendance à censurer tout avis déplaisant, le remplacement de communautés homogènes et donc solidaires par une juxtaposition de groupements cherchant uniquement leur propre profit, la polarisation sociale, le cynisme avec lequel toute notion de vérité absolue est remplacée par des «compromis» négociés - voilà les véritables raisons du délitement de l’Europe. Les événements politiques que nous voyons aujourd’hui - la transformation de l’Union européenne en le défenseur principal de ce que je viens d’énumérer ainsi que la volonté non seulement des Britanniques, mais aussi des «populistes» partout en Europe, de sacrifier l’unité européenne afin de protéger, au moins, leur propre identité - n’en sont que les conséquences déplorables. Car la véritable réponse vient d’ailleurs: l’Occident ne pourra stabiliser son déclin actuel que s’il renoue à la fois avec ses racines et reste solidaire et uni. Malheureusement, ce message ne sera entendu que quand il sera trop tard.

    Vous dites ne pas vouloir vous laisser aller au catastrophisme. Pour autant vous n’êtes pas ce que l’on pourrait appeler un optimiste…

    En premier lieu, je me considère comme historien et ne peux éviter le constat que toutes les grandes civilisations humaines connaissent des cycles historiques plus ou moins analogues. Pourquoi l’Occident serait-il une exception à cette règle millénaire? Puis, je crois être un observateur assez sensible des processus qui affectent actuellement notre société: il suffit de se promener à travers les banlieues de Paris, de Londres ou de Bruxelles ; de voyager à travers les campagnes de plus en plus désertes ; de voir de ses propres yeux le niveau d’éducation des écoles et universités ; d’étudier l’évolution des taux d’intérêt ; de discuter avec les administrateurs politiques nationaux et européens de plus en plus déconnectés des réalités ; de sentir le désarroi et le désamour de plus en plus d’Européens pour leur système politique, pour voir que l’Occident est en train de se transformer radicalement, et pas pour un mieux. L’éclatement de la grande crise que nous attendons tous pourra peut-être, être encore repoussé, à grands frais, de quelques mois ou années. Mais une fois que les caisses seront vides et que la sécurité sociale s’écroulera, nous verrons que les «gilets jaunes» n’auront été que le prélude à des conflits nettement plus violents. L’Europe qui en émergera n’aura plus grand-chose à faire avec celle dont nous connaissons actuellement les derniers soubresauts. Si nous voulons commencer à conserver du moins quelques restes de ce qui nous tient à cœur de cette civilisation déclinante, le moment, c’est maintenant…

    Finalement, ce petit livre peut se lire comme un guide de survie à usage individuel (vous y tenez). N’y a-t-il vraiment plus de moyens d’action collective pour contrer un déclin qui, à vous lire, semble inéluctable?

    Si, absolument! D’ailleurs, j’insiste plusieurs fois sur le fait que ce petit guide ne remplace nullement l’activité politique et collective ; tout au contraire: «vita activa» et «vita contemplativa» doivent se compléter pour former une société véritablement stable. Mais il faut bien se rendre compte que l’Europe va très mal et que même dans le meilleur des cas, elle se retrouvera radicalement changée par rapport à l’Europe dans laquelle la plupart d’entre nous avons été socialisés. Si nous voulons vraiment conserver notre identité à travers les crises qui nous attendent, il est grand temps de ne pas renvoyer la responsabilité vers un monde politique largement indifférent, voire hostile à la véritable culture européenne - et qu’il ne sera pas facile de déboulonner du jour au lendemain -, mais de commencer par défendre et renforcer notre propre identité au quotidien. En effet, nous constatons de plus en plus la force interne de ces «sociétés parallèles» qui dominent désormais nos métropoles: si nous n’œuvrons pas rapidement à raffermir notre propre identité, nous n’aurons bientôt même plus droit à notre propre «société parallèle»… Désormais, le temps où nous pouvions compter sur la stabilité à la fois de notre système politique et culturel est révolu ; si nous voulons protéger notre héritage, la lutte doit désormais être double: d’un côté, nous devons transformer chaque individu, chaque famille, chaque groupe d’amis en une petite forteresse aux valeurs et identités soudées ; d’un autre côté, nous devons développer une nouvelle idéologie politique alliant conservatisme culturel et lutte pour une Europe unie (non nécessairement identique à l’Union européenne). C’est d’ailleurs le sujet de mon dernier livre Renovatio Europae, paru il y a quelques semaines en version allemande et, durant les prochains mois, en traduction française, anglaise, polonaise, italienne et espagnole, et qui fait diptyque avec Que faire?.

    David Engels (Figaro Vox, 2 août 2019)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!