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occident - Page 15

  • Quel avenir ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dmitry Orlov, cueilli sur Arrêt sur info et consacré aux scénarios de l'avenir qu'il privilégie. D'origine russe, ingénieur, Dimitry Orlov, qui a centré sa réflexion sur les causes du déclin ou de l'effondrement des civilisations, est l'auteur d'un essai traduit en français et intitulé Les cinq stades de l'effondrement (Le Retour aux sources, 2016).

     

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    Quel avenir ?

    J’aime me flatter en pensant que la raison principale pour laquelle tant de gens ont creusé un chemin vers mon blog et continuent à acheter mes livres est que pendant plus d’une décennie j’ai toujours deviné correctement quelle forme prendrait l’avenir ; pas tout le temps, mais suffisamment souvent pour inciter les gens à y prêter attention. J’essaie d’être très prudent dans mes pronostics. Je ne prédis jamais des événements relativement insignifiants tels que les krachs boursiers, les changements dans la composition des gouvernements nationaux et d’autres incidents qui ne se produisent que sur le papier ou sur un coup de tête.

    Au lieu de cela, j’essaie de me concentrer sur les aspects de la réalité physique – les flux d’énergie en particulier – qui limitent la forme de l’avenir. Je ne fais pas non plus de prédiction en ce qui concerne le calendrier : savoir si quelque chose va arriver est souvent une question qui a une réponse ; savoir quand quelque chose se produira est souvent une question pour laquelle aucune méthode ne donne de réponse fiable. En gardant cela à l’esprit (pour ne pas être déçu), je vais prendre quelques risques et faire quelques prédictions sur la forme générale de l’avenir qui se matérialisera au cours d’une seule vie humaine et peut-être même un peu plus vite.

    Je crois que l’on peut deviner la forme générale de l’avenir en se concentrant sur les quatre facteurs suivants : le climat, l’énergie, la population et la géopolitique. Regardons chacun.

    Climat

    Les changements à court terme des conditions météorologiques, entraînés par le changement climatique à plus long terme résultant de l’augmentation spectaculaire des niveaux de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère, permettent déjà d’envisager plusieurs impacts importants. Les cyclones tropicaux sont plus intenses et plus humides, entraînant des inondations massives et des dommages aux infrastructures. Cette année, les tempêtes ont assommé une grande partie de Houston, un bout de la Floride et pratiquement tout Porto Rico, plus quelques autres îles des Caraïbes. Pendant ce temps, des incendies sans précédent ont ravagé certaines parties de la Californie et du nord-ouest sur la côte Pacifique. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées ou sont restées sans abri. De telles tendances continueront vraisemblablement à mesure que ces événements destructeurs vont augmenter en intensité. Pendant un certain temps, les gens tenteront de récupérer et de reconstruire après chaque événement, mais après, ces efforts cesseront. En reconstruisant, je suis certain que la plupart des gens refuseront de prendre des mesures raisonnables pour éviter que cela ne se répète, comme la construction de maisons sur pilotis en matériaux ininflammables ; au lieu de cela, ils vont mettre en place les mêmes structures inflammables et sujettes aux inondations, parce que c’est à cela qu’ils pensent qu’une maison doit ressembler.

    En plus des inondations et des incendies, il y a de fortes chances que des vagues de chaleur estivales catastrophiques suffiront à mettre en panne le réseau électrique dans des pays comme les États-Unis, où la population dépend de la climatisation pour survivre et où le réseau électrique est terriblement périmé. De tels événements se traduiront instantanément par des morts dans les villes du sud, où les gens, en particulier les malades, les personnes âgées et les obèses morbides, succomberont à des coups de chaud. La plupart des États de l’ouest des États-Unis seront confrontés à de tels événements catastrophiques et progresseront lentement vers des conditions beaucoup plus arides, où l’agriculture deviendra peu à peu intenable à mesure que le paysage redeviendra désertique.

    Un autre effet sous-estimé des changements climatiques continus sera la sévérité accrue des hivers de l’hémisphère nord. L’Arctique est maintenant beaucoup plus chaud et sans glace durant l’été. Cela a ouvert de nouvelles voies maritimes le long des côtes nord de la Russie et du Canada, ce qui a permis de gagner des semaines d’expédition, en contournant les canaux de Suez et de Panama. La diminution de la couverture de glace de l’océan Arctique a réduit l’albédo de l’océan (la fraction du rayonnement solaire réfléchie dans l’espace), ce qui a provoqué un réchauffement encore plus rapide. En raison de ce réchauffement, le gradient des températures hivernales entre l’Arctique et les zones tempérées plus au sud sera réduit et les flux d’air ne seront plus stratifiés le long des lignes latitudinales mais serpenteront entre le nord et le sud, amenant des tempêtes hivernales depuis l’Arctique vers le sud et rendant les gelées d’hiver très sévères beaucoup plus fréquentes.

    Dans le cas de l’Europe de l’Ouest, cet effet sera exacerbé par le ralentissement du Gulf Stream, qui avait pour effet de la rendre beaucoup plus chaude que la  grande partie de l’Europe qui s’étend des Carpates à l’Oural. Le Gulf Stream dépend de la capacité de son courant remontant vers le nord, rendu plus salin par évaporation, de couler au fond quand il atteint une zone autour de l’Islande, puis de refluer vers le sud le long du fond océanique. Mais le taux de fonte des glaciers a créé une lentille d’eau douce en expansion le long de la surface de l’océan dans cette zone, limitant l’étendue du mécanisme. En raison de cet effet, les gelées hivernales profondes commenceront à affecter les régions précédemment tempérées de l’Europe occidentale et des îles britanniques.

    Énergie

    Les combustibles fossiles resteront le pilier de l’industrie énergétique jusqu’à ce que celle-ci se réduise à un niveau permettant d’obtenir suffisamment d’énergie en ne brûlant que de la biomasse. Mais ce processus devrait prendre au moins deux ou trois décennies de plus. Les sources renouvelables, telles que les éoliennes et les panneaux solaires, ne peuvent pas être produites ou entretenues sans une industrie basée sur les combustibles fossiles et elles vont produire une électricité pour laquelle il n’y aura pas beaucoup de demande une fois que l’industrie des combustibles fossiles aura disparu. De plus, ces sources d’électricité sont intermittentes, alors que l’électricité est notoirement chère et difficile à stocker, tandis que les utilisations résiduelles de l’électricité – communications, sécurité, équipement de contrôle, etc. – nécessitent un approvisionnement régulier.

    Même s’il n’y aura pas de rupture soudaine dans la disponibilité de l’énergie fossile, nous continuerons de voir une diminution constante de la capacité des consommateurs d’énergie à travers le monde à payer pour cela, ainsi que la disparition de la rentabilité des entreprises énergétiques. À la place de puits d’où le pétrole a jailli pendant des années, tout ce qui restera aux États-Unis, ce sont des puits qui nécessitent des forages horizontaux et une couteuse fracturation hydraulique, mais qui ne laissent suinter du pétrole que pendant un an ou deux avant d’être à sec. La situation est similaire en ce qui concerne le charbon et le gaz naturel. Bien que les États-Unis soient maintenant alimentés avec cette nouvelle production basée sur la fracturation hydraulique, très peu d’argent a été gagné avec ce boom temporaire, laissant les entreprises impliquées embourbées dans leur dette. Une fois terminée, les États-Unis seront à nouveau obligés d’importer de grandes quantités de pétrole et de gaz naturel – s’ils peuvent trouver l’argent nécessaire pour le faire.

    Entre-temps, la Russie restera l’une des principales sources d’exportations mondiales de pétrole et de gaz naturel pendant encore de nombreuses décennies. Les ressources énergétiques de la Russie sont de bien meilleure qualité qu’ailleurs dans le monde et, bien que la Russie possède plus de pétrole et de gaz de schiste que tout autre pays, l’exploitation de ces ressources n’est pas considérée comme une priorité.

    Population

    Compte tenu de ces tendances en matière de météorologie et d’énergie, les pays auront des capacités différentes pour maintenir une population importante. Un autre facteur qui jouera un rôle majeur sera l’infrastructure locale. Par exemple, en Russie, les gens vivent principalement dans de grands immeubles le long des lignes de chemin de fer desservies par des transports en commun et chauffés à l’aide de vapeurs chaudes provenant des centrales électriques. Toutes les infrastructures russes sont construites selon les mêmes normes et sont conçues pour bien fonctionner à des températures inférieures à -40º et sous plusieurs mètres de neige. En comparaison, en Amérique du Nord, la plupart de la population vit dans des maisons individuelles, dont beaucoup sont mal isolées, dont beaucoup ne sont pas desservies par des transports en commun et dont le chauffage revient plutôt cher en utilisant des chaudière à gaz ou à pétrole. En hiver, face à un blizzard, de nombreuses zones aux États-Unis sont simplement bloquées, tandis qu’en Russie, le concept de « journée enneigée » est inconnu : la neige est enlevée (et non repoussée) au fur et à mesure qu’elle tombe et la circulation continue. Cette comparaison implique que les Russes pourront continuer à se permettre de vivre là où ils vivent beaucoup plus longtemps que les Américains. Des types similaires de comparaisons peuvent être appliqués à de nombreux autres endroits si vous cherchez un lieu où survivre.

    Mis à part cela, et peut-être couplé avec des facteurs tels que la météo et l’énergie, certaines populations ne parviendront pas à prospérer et subiront une forte mortalité. Les États-Unis sont déjà en train de mourir de faim, les taux d’alcoolisme ayant doublé en une décennie, et une épidémie d’abus d’opioïdes rivalise avec l’expérience de la Chine d’avant les années 1950. L’esprit de désespoir absolu qui enserre maintenant les États-Unis est semblable à ce qui est arrivé à l’ex-URSS après l’effondrement soviétique, avec des conséquences démographiques similaires.
    L’expérience de l’Europe occidentale sera peut-être plus bénigne : les populations indigènes diminueront en raison de leurs très faibles taux de natalité. Entre-temps, l’Europe occidentale est de plus en plus touchée par les enclaves ethnico-religieuses de migrants qui, de plus en plus, ne parviennent pas à s’intégrer et à subsister avec les maigres subsides de l’État. Une fois ces bénéfices épuisés, ces enclaves imploseront. Elles représentent déjà un pourcentage disproportionné de la criminalité ; cette tendance va probablement s’aggraver, les habitants de ces enclaves devenant à la fois les auteurs et les victimes.

    Dans d’autres parties du monde, telles que l’Afrique sub-saharienne et certaines régions du Moyen-Orient, la mortalité sera provoquée par l’effet contraire : des taux de natalité très élevés conduiront à des conditions misérables et un surpeuplement menant à la violence et à la guerre. Ces conditions seront exacerbées par diverses catastrophes, naturelles ou artificielles, jusqu’à ce que l’on parvienne finalement à un niveau de population stabilisé beaucoup plus bas.

    Géopolitique

    Jusqu’à tout récemment, les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont réussi à rediriger vers eux la part du lion de la richesse naturelle restante de la planète. Le système financier érigé après la Seconde Guerre mondiale a été truqué afin que les institutions bancaires occidentales puissent servir de garde-chiourme au monde entier, prêtant à faible taux à leurs copains et à des taux élevés au reste du monde, menaçant quiconque refusant de jouer à ce jeu par des sanctions économiques, des assassinats politiques ou des guerres. Globalement, cela leur a permis de simplement imprimer de l’argent pour acheter ce qu’ils voulaient tout en forçant les autres à travailler pour eux. Un aspect clé de ce régime était que les exportations mondiales de pétrole étaient cotées et devaient être payées en dollars américains. Ce programme est actuellement en phase terminale.

    Ce qui le remplacera est encore incertain. Peut-être le nouvel arrangement tiendra sur un trépied composé de la Chine, la Russie et l’Iran. Ces trois pays ont des populations bien éduquées, disciplinées et patriotiques, et leurs jeunes ont tendance à regarder vers l’avenir avec beaucoup d’enthousiasme. Peut-être que d’autres pays pourront jouer un rôle majeur dans ce nouveau club eurasien. Mais ce qui est certain, c’est qu’à l’avenir, les gouvernements d’Europe occidentale et d’Amérique ne seront pas en mesure d’extorquer tout ce dont ils ont besoin au reste du monde pour soutenir artificiellement leur si confortable niveau de vie. Ceci va certainement causer beaucoup de ressentiment et d’agitation politique.

    Dmitry Orlov (Arrêt sur info, 29 octobre 2017)

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  • Kiev kaput...

    Les éditions La manufacture de livres publient dans leur collection Zapoï, dirigée par Thierry Marignac, Kiev kaput, le journal qu'a tenu par Edouard Limonov pendant la crise ukrainienne (qui est loin d'être terminée...). Figure de la littérature et de la politique russe, Edward Limonov a récemment publié en France Le Vieux (Bartillat, 2015). Chez le même éditeur, on peut également trouver Le Grand Hospice occidental  , essai polémique dont nous recommandons la lecture...

     

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    " Edouard Veniaminovitch Savenko alias « Limonov», écrivain, publiciste, poète, romancier et homme politique de la « Nouvelle Russie » a grandi et fait ses premières armes en Ukraine, à Kharkov, où il travailla, au début des années 1960, avant de « monter à Moscou », dans ce qui était encore l'URSS, à peine déstalinisée par Nikita Khrouchtchev, à l'usine Faucille et Marteau, une fonderie. L'auteur, qui a vécu quatorze ans à Paris, entre 1981 et 1995, se souvient de son enfance et de son adolescence en Ukraine (dont il parle la langue) comme d'une période « extraordinaire », dont il devait parler dans deux livres publiés en France Autoportrait d'un bandit dans son adolescence (Albin Michel) et La grande Époque (Flammarion). Devenu leader anarcho-nationaliste dans la Russie post-soviet - après avoir été si longtemps un écrivain bohème, un apatride balloté de New York à Paris, un temps idole de la gauche, puis réprouvé comme « rouge-brun » pour ses positions lors de la guerre en Yougoslavie - l'auteur nous propose, avec Kiev Kaput, un journal au jour le jour des récents évènements d'Ukraine, vu par sa lorgnette, diamétralement contraire à la vision proposée par les médias occidentaux. La partialité de Limonov a l'avantage sur celle des Occidentaux, d'être native. Si orientée qu'elle soit, sa vision présente un tableau et un rappel de troubles qui définissent l'espace contemporain de l'Europe, tel qu'on ne l'a pas entendu en Europe de l'Ouest jusqu'à présent. "

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  • Quand l'Occident s'éveillait...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier un essai de Jean Guilaine intitulé Les chemins de la protohistoire - Quand l'Occident s'éveillait (7000-2000 avant notre ère). Professeur au Collège de France et membre de l’Institut, Jean Guilaine est un spécialiste du Néolithique et on lui doit de nombreux livres, dont La France d'avant la France (Hachette, 1985) ou La Seconde naissance de l'homme: Le Néolithique (Odile Jacob, 2015).

     

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    " Qu’y a-t-il avant l’Histoire ? Une longue période, appelée la Protohistoire, qui débute avec le Néolithique et la naissance de l’agriculture et qui s’achève, en Occident, avec l’expansion romaine. C’est cette étape décisive que nous décrit ici Jean Guilaine, qui en est l’un des plus grands spécialistes. Comment, devenu paysan, l’homme est-il parti à la conquête de notre continent ? Quelle est la signification des mégalithes, dolmens et menhirs qui sont érigés durant cette période ? Comment étaient organisées les premières sociétés ? Comment sont nées les inégalités ? Comment s’est instauré le pouvoir des chefs ? À toutes ces questions, Jean Guilaine répond avec le savoir de l’explorateur et du savant. Il nous guide sur les chemins de cette Histoire d’avant l’Histoire, où se nouèrent les premiers échanges en Méditerranée et où l’homme commença à imposer sa marque sur la planète. Jean Guilaine est professeur au Collège de France et membre de l’Institut. Éminent spécialiste du Néolithique, il développe ses thèses majeures dans cet ouvrage, dans le prolongement de La Seconde Naissance de l’homme, qui fut un grand succès. "

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  • Pour en finir avec un certain libéralisme...

    Les éditions Avatar viennent de publier un essai de Michel Soriano intitulé Pour en finir avec ce libéralisme qui fabrique les crises et désespère les peuples. Chef d'entreprise, Michel Soriano a exercé dans la métallurgie, l’automobile et les énergies nouvelles, notamment, mais il a aussi dirigé un syndicat professionnel. Il connaît donc les égarements de l’économie libérale et de la finance ainsi que les processus qui conduisent à la spéculation, aux délocalisations et à la globalisation des flux de marchandises et de capitaux.

     

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    " Non, l’élection de Trump, le Brexit, la montée des « populismes » et des « extrémismes » en Europe, ne sont pas des accidents de l’histoire… le malaise est profond ! 

    Les populations occidentales n’acceptent plus un libéralisme sans règles ni lois qui engendre les délocalisations, l’endettement colossal des états, l’accroissement des inégalités et de la précarité, les outrances de la finance, l’insécurité au quotidien…

    Après avoir chiffré et analysé les dérives économiques, sociales et financières du système, l’auteur nous propose les règles pour redonner des valeurs et du sens à l’économie libérale. Un système financier assaini et une économie de proximité libérale et ouverte permettraient de refabriquer chez nous les produits que nous consommons !… Il ne serait plus possible de s’enrichir impunément par la spéculation pendant que nos agriculteurs se suicident, que nos usines ferment et que nos technologies s’en vont. Une Europe fédérale verrait ainsi le jour, indispensable et puissant contrepoids face aux Etats-Unis et à la Chine. Une Europe qui trace le chemin, qui décide, forte mais apaisée, où le travail serait à nouveau source de richesse pour construire enfin le « rêve européen » que nous attendons tous ! "

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  • Les dernières années de la démocratie en Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent texte de réflexion de Laurent Ozon consacré à l'épuisement de la forme démocratique face aux enjeux actuels. Chef d'entreprise et essayiste, Laurent Ozon est l'auteur de France, années décisives (Bios, 2015).

     

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    Les dernières années de la démocratie en Europe ?

    Les dernières élections marquent un nouveau recul de la participation au processus électoral. Les citoyens ont compris que leur vote n’a plus le pouvoir de transformer leur monde et que d’autres pouvoirs travaillent notre environnement et influent sur notre vie de quartier, familiale, professionnelle, etc. Ces autres pouvoir ne sont pas démocratiques. Face à eux, le pouvoir politique semble  impuissant et le vote comme acte politique, encore davantage. Le peuple qui est théoriquement la puissance agissante et simultanément, le destinataire de cette puissance, est transformé en profondeur par l’action de ces pouvoirs non démocratiques. Ce constat aboutit logiquement à un désengagement massif des citoyens à l’endroit du processus électoral. 

    La démocratie est un principe de gouvernement défini habituellement comme le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». « Gouvernement du peuple » signifie que le pouvoir tient sa légitimité du peuple qui l’incarne et est souverain. « Pour le peuple » signifie que les choix politiques sont dédiés aux intérêts du peuple ; et « par le peuple », qu’il exerce lui-même ce pouvoir par des mécanismes de décision, participation, délégation, contrôle, élection et de révocation.

    Dans les faits, cette définition, souvent invoquée pour définir le fonctionnement démocratique, est issue du discours de Gettysburg d’Abraham Lincoln. La démocratie athénienne accorde cette légitimité non au peuple mais au citoyen, qui ne l’est pas automatiquement du fait de son lieu de résidence ou de son appartenance à l’espèce humaine, mais le tient de son appartenance à la « Cité », c’est –à-dire à une institution politique selon des critères variables (naissance, fidélité supposée à l’institution, services rendus, âge, sexe, etc.). En synthèse, la démocratie définit, dans un processus récursif, les contours d’un acteur politique (le peuple, constitué par la somme de ses citoyens) qui est en lui-même la finalité de sa propre action et simultanément le moyen de la réaliser. 

    Cet idéal démocratique est dans les faits, contraint ou limité par trois paramètres :  1 - les compétences réelles des acteurs (peuvent-ils, par l’expression de leur volonté, réaliser leurs intérêts ?), 2 - leur nature (selon quels critères sont-ils admis à en être acteurs et donc décisionnaires et à en déterminer les finalités) et 3 - leurs moyens (par quels moyens exercent-ils leur volonté). 

    Le système démocratique présente un certain nombre de défauts bien identifiés depuis des siècles et sur lesquels je ne m’étendrai pas. Le premier d’entre eux est son caractère acompétent et donc d’un certain point de vue, irrationnel, dans la mesure où il institue le pouvoir d’une majorité, non d’une compétence ou d’une connaissance. D’autre part, les confrontations de pouvoir et d’influence, la recherche de l’assentiment des citoyens, favorisent logiquement la démagogie et/ou la trahison des promesses faites en période de campagne pour se faire élire. Enfin, comme les autres formes de gouvernement, sa corruptibilité introduit de nombreux biais dans son mode de fonctionnement. La démocratie ne fonctionne pas non plus de la même façon dans une société simple, homogène et de petite taille que dans une société complexe pour des multitudes hétérogènes. Dans une société complexe, la multiplication des institutions, des contre-pouvoirs, des lois et des règles rend l’exercice des institutions inaccessible au plus grand nombre et entraîne une professionnalisation de l’exercice du pouvoir et de fait aussi, un ralentissement de la prise de décision et de la mise en œuvre de ces décisions. C’est à cette tendance que semble répondre le processus de dé professionnalisation  de la vie politique engagé par Emmanuel Macron.

    Une fois énumérés ces reproches, il reste encore deux arguments lourds à l’encontre de la démocratie occidentale.

    Pour définir le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, encore faut-il définir ce qui fait pouvoir. La population votante est aujourd’hui travaillée par des pouvoirs sur lesquels elle n’a pas prise. De fait, le « pouvoir » évoqué par Lincoln est devenu une partie de plus en plus faible des formes de pouvoir en concurrence dans la société complexe industrielle moderne. La plupart des autres formes de pouvoir ne subissent pas la contrainte des principes démocratiques.

    Les régimes démocratiques sont en principe organisés selon le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, théorisé par Montesquieu, afin d’éviter leur concentration entre les mains d’une seule personne. Certaines Constitutions privilégient la stricte séparation des pouvoirs ; d’autres leur permettent, tout en étant distincts, de disposer de moyens de contrôle les uns à l’égard des autres. Ces trois pouvoirs se neutralisent d’ailleurs souvent entre eux.

    La démocratie dans une société complexe impliquant la représentation et la délégation, ne donne pas d’autre pouvoir au peuple que celui de choisir des représentants. Mais ceux-ci sont triés et littéralement "vendus" par d’autres pouvoirs (médiatiques, financiers  etc.) à un corps électoral dans un processus qui ressemble plus à celui de The Voice qu’à celui de l’Agora.

    La surdétermination des pouvoirs médiatiques, économiques ou technoscientifiques, soumet les citoyens à des rapports de force contre lesquels les lois, polices ou armées sont largement inopérantes. La transformation des sociétés est le fait de pouvoirs non-démocratiques et les systèmes démocratiques s’adaptent à des contraintes sur lesquelles ils n’ont pas prise mais qui eux, exercent leur puissance sur la source de la légitimité : le peuple. De fait, l’impératif de souveraineté à la base du principe démocratique (peuple souverain) est vidé de sa substance. Si la somme des pouvoirs qui impriment leurs capacités de transformation sur notre société ne sont pas démocratiques, la société démocratique, ne pouvant plus compenser ses faiblesses endogènes (loi du nombre, corruptibilité, lenteur, irrationalité, compétences, démagogie) expose les « citoyens » à toutes les expérimentations sociales, économiques, culturelles ou normatives. Le processus électif n’est alors plus que la courroie de transmission des véritables pouvoirs, de ceux qui les détiennent, et des objectifs de ceux qui les déterminent.Il est à peine exagéré de dire que la démocratie parlementaire est la forme de gouvernement qui abandonne le plus de puissance aux pouvoirs non-démocratiques.

    Le deuxième argument qui peut nous faire sérieusement douter des vertus de la démocratie parlementaire occidentale est plus définitif. Dans la mesure où elle fait du peuple en état de voter, la source légitime et la destination de son action, elle est devenue un processus de légitimation perpétuel d’un existant anthropologique « travaillé" par des pouvoirs non-démocratiques.

    Explications. Chaque critère (essence : qui est le peuple ? projet : quelle est sa volonté ? méthode : comment réalise-t-il cette volonté ? outils : via quelles institutions ?) rétroagit sur l’autre. C’est dans ce processus de rétroaction facilité que se situe la spécificité du système démocratique. Et nous avons vu que le mode de gouvernement démocratique occidental, est récursif puisqu’il définit les contours d’un acteur politique (le peuple, constitué par la somme de ses citoyens) qui est en lui-même la finalité de sa propre action et simultanément le moyen de la réaliser. 

    De fait, les transformations affectant l’un de ces quatre paramètres (essence, projet, méthode et outils), modifient les autres et justifient des adaptations permanentes sous la pression des rapports de forces. Cette capacité d’adaptation des formes de gouvernement démocratiques à leurs contraintes historiques (épidémies, transformation de la composition de la population, évolution culturelles, économie, etc.) peut être perçue comme une force mais forge par ailleurs une instabilité de nature particulière. 

    Les redéfinitions de ce qui constitue le « peuple », les « nationaux » ou « citoyens » sont permanentes, soit du fait de l’évolution naturelle de sa composition, soit du fait des manipulations par des représentants politiques de la composition de la population en attribuant le statut de citoyen ou « national » selon leurs objectifs électoraux ou leurs visions idéologiques. L’immigration massive modifiant la composition du « peuple », a bien transformé simultanément la nature de ses besoins, l’expression de sa volonté et ainsi, les moyens de parvenir à le servir.

    Winston Churchill évoquait la démocratie comme « la pire forme de gouvernement à l'exception de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps » ; elle est aujourd’hui le paravent de toutes les autres formes de gouvernement de l’histoire et de nouveaux pouvoirs, dissimulés derrière le masque de la souveraineté populaire. Ces pouvoirs en s’exerçant, « travaillent » en profondeur le peuple, et modifient en profondeur la source initiale de la légitimité. La démocratie est un mécanisme de gouvernement rétroactif qui assure la continuité de ses institutions et de ses méthodes de gouvernement en les adaptant à une population changeante ou en sacrifiant ses méthodes, ses principes et ses populations initiales au rapport de force majoritaire, et ce qui en découle. 

    De ce fait, le système démocratique occidental ne peut constituer un système de gouvernement protecteur pour la population qui l’institue. Ceci pour une raison simple : ce système redéfinit ce qui constitue le peuple, la nature des pouvoirs sur lesquels il a prise, et les moyens de ses institutions.

    Une population ainsi modifiée décide inévitablement de changer la définition de ce qui le constitue. Le changement de définition de ce qu’est le peuple est le processus auto-correctif par lequel les institutions, leurs représentants qualifiés et la masse du corps électoral modifié assoit les transformations et même le remplacement du peuple autochtone, par une masse votante, dirigée par des élites triés par des pouvoirs non-démocratiques. 

    En conclusion, la démocratie occidentale est l'exercice du droit du plus fort (les plus riches et / ou les plus nombreux) et non un mode de gouvernement capable d’assurer la continuité d’un projet civilisationnel, d’une culture ou d’une population initiale. Elle est simultanément la plus corrompue par les influences des pouvoirs non-démocratiques et la moins conservatrice sur le plan des fondamentaux anthropologiques, civilisationnels et culturels. Les institutions démocratiques présentent l’avantage d’être dynamiques, récursives et auto-correctrices et l’inconvénient de ne pas protéger l’humus des sociétés : les populations qui les ont fait advenir dans l'histoire..

    Sapée par l’élargissement et la complexification des sociétés, la démocratie ne pourra retrouver sa pertinence comme mode de gouvernement que dans des formes d’organisations relocalisées et simplifiées. Compte-tenu de la nature des enjeux prioritaires auxquels nombre de peuples devront faire face en Europe dans les années à venir, la démocratie parlementaire, devenue une cybernétique sociale à l’usage de l’Etat profond occidental, laissera probablement la place à des formes de gouvernement plus adaptées aux enjeux et aux besoins des Européens.

    Ce désengagement de l'Europe à l'égard de la forme démocratique parlementaire aura des conséquences importantes dans nombre de zones qui ont subi les influences de son hardpower puis de son softpower ces cent dernières années. En particulier les pays qui ont transposé, souvent sous la contrainte, le fétichisme organisationnel occidental. Ce désengagement, enfin, pourrait marquer le début d'une reprise de la digestion institutionnelle et politique du parlementarisme démocratique, par des pays qui disposent de leur génie politique propre. Car la condition sine qua nonde la renaissance du principe démocratique sous une forme modifiée  sera encore qu'il existe des peuples vivants pour le rendre possible...

    Laurent Ozon (Century news, 13 juin 2017)

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  • L'Orient dans tous ses états...

    Les éditions du CNRS viennent de publier un nouvel ouvrage d'Henry Laurens intitulé L'Orient dans tous ses états. Titulaire de la chaire « Histoire contemporaine du monde arabe » au Collège de France, est un grand orientaliste français auquel on doit plusieurs ouvrage consacré à la question de la Palestine.

    On peut lire ici l'entretien qu'il avait donné à la Nouvelle Revue d'Histoire, publié en septembre 2010 : L'Orient vu d'Occident

     

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    " Le nouvel opus de la série Orientales : une lecture vivifiante et la clarté d’un grand savant pour comprendre les évolutions du monde arabe.

    Méditerranée et Proche-Orient, question de Palestine, notion d’Empire dans l’histoire, habits neufs de l’antiterrorisme, printemps arabes, politique française au Liban, héritages des Frères musulmans… L’histoire contemporaine de l’Orient arabe éclaire puissamment les soubresauts de notre actualité. À l’heure de la lutte contre l’État islamique, de la guerre civile en Syrie, du regain de tension entre Israël et les Palestiniens, la mise en perspective historique d’Henry Laurens permet de saisir les ruptures et les continuités, le jeu des alliances et la force des idéologies. "

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