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immigration - Page 15

  • Pour un « great reset » du droit d’asile !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du juriste Carl Hubert, cueilli sur le site de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie et consacré à l'indispensable réforme du droit d'asile.

     

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    Pour un « great reset » du droit d’asile, voie d’immigration majeure vers la France et l’Europe

    Selon le §4 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel la jurisprudence du Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle, « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ». Parmi les droits-créances qu’il a proclamés, le Constituant de 1946 a mis en bonne place le droit d’asile. Mais ce droit était réservé à une catégorie bien particulière de personnes : les opposants politiques libéraux qui subissaient des persécutions de la part de régimes totalitaires ou autoritaires – on pense évidemment à l’URSS et aux démocraties dites populaires.

    Un droit d’asile dévoyé qui attire les immigrants

    On est bien loin aujourd’hui de cette philosophie fidèle aux valeurs de 1789 : islamistes tchétchènes, objecteurs de conscience turcs, ex-prostituées nigérianes, femmes appartenant à des tribus pratiquant l’excision, homosexuels d’un pays africain ou musulman, commerçants en proie à des conflits de voisinage « sans pouvoir se prévaloir de l’appui des autorités », apatrides, une bonne partie des populations du Soudan et d’Afghanistan… ont tous droit à l’asile en France, en attendant que l’on accorde aussi un improbable statut de « réfugié climatique ».

    Les conditions laxistes qui président à l’octroi du statut de réfugié – au sens de la convention de Genève de 1951 – ou, pour ceux qui ne répondent pas aux critères de cette convention malgré leur interprétation extensive, de la « protection subsidiaire » expliquent l’afflux d’immigrants vers la France et plus largement vers l’Europe. Obtenir l’asile, c’est en effet non seulement recevoir un titre de séjour (10 ans pour les réfugiés, pour soi et sa famille), mais aussi bénéficier de conditions matérielles d’accueil avantageuses (l’allocation de demandeur d’asile et l’hébergement puis le droit à la sécurité sociale et à l’ensemble des aides prévues pour les nationaux).

    Et même en cas de rejet de la demande d’asile après un délai moyen supérieur à un an[1], recours devant la Cour nationale du droit d’asile compris, les immigrés déboutés ne sont pas dénués de droits et de nouvelles voies de recours sur d’autres fondements. Ils peuvent ainsi demeurer inexpulsables en raison notamment de l’interprétation extensive de l’article 3 de la Convention dite européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont l’objet initial était d’interdire la torture[2]

    Selon les dernières données publiées par l’OFPRA, 95 600 demandes d’asile ont été introduites en 2020 (mineurs inclus mais sans compter les personnes relevant de la procédure dite « Dublin », supposés former leur demande dans un autre Etat membre de l’Union européenne). C’est moins qu’en 2019, qui a marqué un record de 133 000 personnes, mais toujours à un niveau historiquement élevé : dans les années 1970, le nombre de demandes d’asile n’a jamais dépassé 20 000. Depuis, la France subit une hausse tendancielle, qui ne s’est pas démentie dans la période la plus récente. En effet, les demandeurs d’asile issus de la vague de 2015 mais déboutés dans d’autres pays européens se sont tournés vers la France comme l’a constaté l’ancien directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Didier Leschi[3].

    Le taux d’octroi de la protection internationale ou « subsidiaire » est élevé en France : 23,7 % devant l’OFPRA mais 37,7 % après recours (quasi-systématique[4]) devant la Cour nationale du droit d’asile, qui refait le travail réalisé par l’OFPRA et dont les juges souhaitent parfois se montrer plus généreux[5]. Les immigrants ont donc double chance d’avoir l’asile, alors que, bien évidemment, le ministère de l’intérieur ne fait pas de recours contre les décisions favorables de l’OFPRA…

    Près de quatre demandeurs d’asile sur dix qui bénéficient de l’asile en France, sans compter les « mineurs non accompagnés » (qui bénéficient d’un droit au séjour hors droit d’asile) et ceux qui bénéficient d’un asile de facto faute d’être renvoyés dans leur pays d’origine[6], c’est évidemment une incitation forte à tenter sa chance en France. La part des bénéficiaires de l’asile (protection conventionnelle ou subsidiaire) dans les motifs de l’octroi d’un titre de séjour a d’ailleurs augmenté ces dernières années pour s’établir depuis 2017 autour de 12 %[7]. Mais si l’on considère que cette proportion cache des flux plus élevés de demandeurs non refoulés et que ces flux deviennent des stocks, nous avons là une cause de l’immigration vraisemblablement aussi importante que l’immigration familiale, que l’asile nourrit d’ailleurs du fait du droit au regroupement familial généreusement garanti par la Convention de Genève.

    Sortir de la convention de Genève et fonder (ou pas) un nouveau système d’asile

    Notre pays, apparemment plus que d’autres Etats européens, semble désarmé face à la demande d’asile : obligation de traiter la demande de tout immigrant, sauf à ce qu’il relève de la compétence d’un autre Etat membre (encore faut-il que ce dernier accepte d’ailleurs de le reprendre…), obligation de suivre des règles de fond et de forme encadrées par des directives européennes et par la jurisprudence, demandes d’asile prises en charge non pas par les services du ministère de l’intérieur mais par une administration autonome (l’OFPRA) et en second rang directement par une Cour qui office comme juge de plein contentieux (elle refait donc le match au lieu de se contenter de dire si la décision de l’OFPRA est légale ou non), éloignement aléatoire des déboutés du droit d’asile…

    « Il est ainsi sûrement nécessaire de mieux coordonner le traitement des demandes d’asile dans l’Union européenne, notamment pour éviter que les demandeurs déboutés dans un Etat membre puissent aller immédiatement frapper à la porte d’un autre Etat membre ! »

    Le conseiller d’Etat honoraire Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de François Fillon lors de l’élection présidentielle de 2017, a récemment dressé un tableau réaliste de la situation de l’immigration en France[8]. A cette occasion, il a formulé des propositions sur l’asile qui sont fort opportunes mais dont il n’est pas certain qu’elles seraient suffisantes au vu de la situation catastrophique actuelle. Il est ainsi sûrement nécessaire de mieux coordonner le traitement des demandes d’asile dans l’Union européenne, notamment pour éviter que les demandeurs déboutés dans un Etat membre puissent aller immédiatement frapper à la porte d’un autre Etat membre ! Améliorer l’effectivité de l’éloignement des déboutés doit également être une priorité. On peut aussi penser que les juges de la CNDA devraient être des magistrats permanents et non des magistrats et fonctionnaires à la retraite – mais cela ne changera rien à la jurisprudence qu’ils sont tenus d’appliquer. Quant au développement du dépôt des demandes d’asile à la frontière extérieure de l’Union européenne, cette solution souhaitable n’est viable que pour autant que l’on refuse de prendre les demandes formulées en Europe même – ce que le droit conventionnel et le droit de l’Union européenne ne permettent probablement pas.

    Car là réside le nœud du problème pour les Etats qui souhaitent pouvoir décider souverainement des personnes qu’elles accueillent en leur sein, sans s’en remettre aveuglément à telle ou telle règle de droit ou jurisprudence. Pour que le législateur puisse refonder le système d’asile qu’il souhaite – par exemple un système qui serait plus fidèle à l’esprit du préambule de la Constitution de 1946 et qui serait soumis à des limites quantitatives fermes – il n’y a d’autre choix, en premier lieu, que de dénoncer la convention de Genève de 1951 – ou, ce qui revient au même, son protocole de New-York de 1967 qui en a étendu le champ d’application temporel et géographique.

    En tant que telle, une telle dénonciation de ce qui n’est qu’une simple convention internationale est très simple sur le plan juridique. Mais elle n’est pas permise ou demeurerait sans effet pour les Etats membres de l’Union européenne, qui se sont engagés à développer une politique commune d’asile qui « doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu'aux autres traités pertinents » (article 78 du traité sur le fonctionnement de l’UE).

    Collectivement, l’Union peut modifier ce traité ou, à tout le moins, adopter des dispositions plus restrictives, éventuellement « provisoires » pour répondre à une situation d’urgence (qui paraît d’ores et déjà caractérisée depuis 2015 !). Un consensus en ce sens au niveau européen n’existe certes pas en l’état actuel des choses. Or, sans modification du droit de l’UE ou sans feu vert des institutions européennes pour adopter des mesures restrictives d’urgence, un Etat membre ne peut pas sortir du carcan du droit de l’asile, qui s’est transformé en droit à l’asile pour les immigrants, quel que soit leur nombre, qui arrivent à démontrer ou à faire croire qu’ils cochent une des cases permettant de bénéficier de la protection conventionnelle ou subsidiaire. Dans le système actuel, ce sont les immigrants eux-mêmes et leurs auxiliaires associatifs qui ont la main sur le robinet de l’asile – pas les Etats.

    Un gouvernement national qui, comme la Hongrie[9], voudrait maîtriser les flux migratoires, devrait donc, sauf à se résoudre à quitter l’Union européenne, peser de tout son poids pour modifier profondément les obligations en matière d’asile qui résultent des traités et directives européens – ou pour créer un « opt out ». On peut penser qu’un Etat comme la France aurait les moyens de faire pression sur ses pairs, d’autant que l’asile est de plus en plus vue comme un fardeau, et pas seulement en Hongrie : le gouvernement danois, de gauche, souhaite réformer le système d’asile européen et milite contre l’accueil de demandeurs d’asile sur le sol européen, privilégiant des centres d’accueil en dehors de l’Union[10].

    « On peut penser que notre pays a des marges de progression pour améliorer le taux d’exécution des décisions d’éloignement, dont nous avons vu qu’il était de 12,6 % en France contre une moyenne européenne de 38 %... »

    Si le statu quo conventionnel et européen devait perdurer, la France ne serait toutefois pas dépourvue de tout moyen d’action. En particulier, compte tenu de ses moyens diplomatiques, militaires et financiers publics (l’aide publique au développement) et privés (les fonds envoyés « au pays » par les diasporas présentes en France), qui sont autant de moyens de pression potentiels[11], on peut penser que notre pays a des marges de progression pour améliorer le taux d’exécution des décisions d’éloignement, dont nous avons vu qu’il était de 12,6 % en France contre une moyenne européenne de 38 %... L’Etat de droit, c’est aussi faire respecter ses décisions.

    Carl Hubert (Observatoire de l'immigration et de la démographie, 12 février 2021)

     

    Notes :

    1- Même 17 mois en 2020.

    2- On pense ainsi à ce Bangladais asthmatique dont la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 18 décembre 2020, a annulé l’obligation de quitter le territoire français en raison de la difficulté à traiter son affection respiratoire au Bangladesh compte tenu des conditions climatiques qui y prévalent…

    3- Cf. Didier Leschi. Ce grand dérangement. L’immigration en face. Gallimard. Novembre 2020.

    4- Le taux de recours contre les décisions de l’OFPRA s’est élevé à 85 % en 2019 – nettement moins en 2020 (69 %) compte tenu du contexte de crise.

    5- On se souvient que Abdouallakh Anzorov, le terroriste qui a décapité le professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, devait sa présence en France à une décision de la Cour nationale du droit d’asile, qui avait accordé l’asile en 2011 à son père en raison de son engagement dans la guérilla tchétchène.

    6- En 2019, la France a pris 123 845 décisions d’éloignement, dont seulement 15 615 ont été exécutées, soit seulement 12,6 %. Ce taux est de 88,5 % en Pologne (25 930 éloignements forcés en 2019) ou encore 46,8 % en Suède (9 955), pour une moyenne européenne de 38 %. Source : Eurostat (cf. https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/asylum-and-managed-migration/data/database).

    7- Source: ministère de l’intérieur. Cf. https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-cles

    8- Immigration - ces réalités qu'on nous cache, Robert Laffont, 2020.

    9- Qui s’est faite récemment condamnée pour manquement à ses obligations en matière d’asile par les juges de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt C-808/18 du 17/12/2020).

    10- Le 22 janvier 2021, le Premier ministre danois, la social-démocrate Mette Frederiksen, a d’ailleurs fixé devant le Parlement danois un objectif de zéro demandeur d’asile, expliquant : « Nous devons veiller à ce que pas trop de réfugiés viennent dans notre pays, sinon notre cohésion sociale ne pourrait pas tenir. Elle est déjà menacée ».

    11- Comment comprendre que le Mali ne reprenne pas l’ensemble de ses ressortissants que la France souhaite éloigner ?

     

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  • Emeutes, bandes, zones hors-contrôle : le cancer français...

    Le 8 mars 2021, Elise Blaise recevait, sur TV libertés, Xavier Raufer pour évoquer la multiplication des violences et des émeutes dans les banlieues de l'immigration.

    Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et, tout récemment, Le crime mondialisé (Cerf, 2019).

     

                                               

     

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  • On peut éventuellement assimiler des individus, mais pas des communautés...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'impossible assimilation des communautés immigrées.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (Pierre-Guillaume de Roux, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « L’assimilation des immigrés n’est ni une bonne ou une mauvaise idée… Elle est juste impossible ! »

    Le débat sur l’« intégration » des immigrés s’enlise depuis des décennies, ne serait-ce que parce qu’il n’est jamais précisé à quoi il s’agit de s’intégrer : à une nation, à une histoire, à une société, à un marché ? C’est dans ce contexte que certains préfèrent en appeler à l’« ». Il y a deux mois, le magazine Causeur consacrait tout un dossier à cette notion en titrant, en première page : « Assimilez-vous ! » Ça vous inspire quoi ?

    Dans les milieux qui s’inquiètent le plus du flot migratoire, on entend en effet souvent dire que l’assimilation serait la solution miracle : les immigrés deviendraient des « Français comme les autres », et le problème serait résolu. C’est la position défendue avec talent par Causeur, mais aussi par des auteurs comme Vincent Coussedière, qui va faire paraître un Éloge de l’assimilation, ou Raphaël Doan (Le rêve de l’assimilation, de la Grèce antique à nos jours). D’autres objectent que « les immigrés sont inassimilables ». D’autres, encore, refusent l’assimilation parce qu’elle implique nécessairement le métissage. Ces trois positions sont très différentes, et même contradictoires, mais elles ont en commun de considérer que l’assimilation est possible, au moins en théorie, même si certains n’en veulent pas ou considèrent que les immigrés ne jouent pas le jeu.

    L’assimilation est un concept de nature universaliste, hérité de la philosophie des Lumières (le mot se trouve déjà chez Diderot). Il présuppose que les hommes sont fondamentalement tous les mêmes. Pour faire disparaître les communautés, il faut donc amener les individus qui les composent à s’en détacher. C’est en quelque sorte un marché que l’on se propose de passer avec les immigrés : devenez des individus, comportez-vous comme nous et vous serez pleinement reconnus comme des égaux, puisqu’à nos yeux l’égalité suppose la mêmeté.

    Vous vous souvenez de l’apostrophe de Stanislas de Clermont-Tonnerre, en décembre 1789 : « Il faut tout accorder aux Juifs comme individus, il faut tout refuser aux Juifs comme nation ! » (Les Juifs n’ont pas cédé à ce chantage, sans quoi ils auraient dû renoncer à l’endogamie et il n’y aurait plus de communauté juive aujourd’hui.) ne dit pas autre chose quand il affirme que la citoyenneté française reconnaît « l’individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout ». Raphaël Doan est très clair sur ce point : « L’assimilation est la pratique qui consiste à exiger de l’étranger qu’il devienne un semblable […] Pour assimiler, il faut pratiquer l’abstraction des origines. » Autrement dit, qu’il cesse d’être un Autre pour devenir le Même. Pour ce faire, il doit oublier ses origines et se convertir. « Émigrer, c’est changer de généalogie », dit Malika Sorel. C’est plus facile à dire qu’à faire. Car s’assimiler aux « valeurs de la République », cela ne veut rien dire. S’assimiler, c’est adopter une culture et une histoire, une sociabilité, un modèle de relations entre les sexes, des codes vestimentaires et culinaires, des modes de vie et de pensée spécifiques. Or, aujourd’hui, les immigrés sont dans leur majorité porteurs de valeurs qui contredisent à angle droit celles des populations d’accueil. Quand on leur propose de négocier leur intégration, on oublie tout simplement que les valeurs ne sont pas négociables (ce qu’une société dominée par la logique de l’intérêt a le plus grand mal à comprendre).

    Et vous, l’assimilation, vous la jugez bonne ou mauvaise ?

    Ni bonne ni mauvaise. J’ai plutôt tendance à la croire impossible. La raison principale est qu’on peut assimiler des individus mais qu’on ne peut pas assimiler des communautés, surtout quand celles-ci représentent 20 à 25 % de la population et que celles-ci sont concentrées – « non parce qu’on les a mis dans des ghettos, mais parce que l’être humain cultive naturellement le voisinage de ceux qui vivent comme lui » (Élisabeth Lévy) – sur des territoires qui favorisent l’émergence de contre-sociétés exclusivement basées sur l’entre-soi. C’est surtout vrai dans un pays comme la France, marquée par le jacobinisme, qui n’a cessé de lutter contre les corps intermédiaires pour ramener la vie politique et sociale à un face-à-face entre l’individu et l’État. Colbert avait déjà déployé de grands efforts pour « franciser » les Indiens d’Amérique. Ce fut évidemment un échec.

    En France, l’assimilation a connu son apogée sous la IIIe République, à une époque où la battait son plein à l’initiative des républicains de gauche alors désireux de faire connaître aux « sauvages » les bienfaits du « progrès ». Mais la IIIe République a aussi été une grande éducatrice : dans les écoles, les « hussards noirs » mettaient un point d’honneur à enseigner l’histoire glorieuse du roman national. Nous n’en sommes plus là. Toutes les institutions (Églises, armée, partis et syndicats) qui facilitaient l’intégration et l’assimilation dans le passé sont en crise. L’Église, les familles, les institutions ne transmettent plus rien. L’école elle-même, où les programmes sont dominés par la repentance, n’a plus rien à transmettre, sinon la honte des crimes du passé.

    L’assimilation implique qu’il y ait une volonté d’assimiler du côté du pouvoir en place et un désir d’être assimilé du côté des nouveaux arrivants. Or, il n’y a plus ni l’une ni l’autre. En décembre dernier, Emmanuel Macron l’a explicitement déclaré à L’Express : « La notion d’assimilation ne correspond plus à ce que nous voulons faire. » On voit mal, d’autre part, quelle attractivité le modèle culturel français peut encore exercer sur des nouveaux venus qui constatent que les autochtones, qu’ils méprisent souvent, quand ils ne les haïssent pas, sont les premiers à ne vouloir rien savoir de leur histoire et à battre leur coulpe pour se faire pardonner d’exister. Dans ce qu’ils voient, qu’est-ce qui peut les séduire ? Les enthousiasmer ? Les pousser à vouloir participer à l’histoire de notre pays ?

    Dernière remarque : dans le modèle assimilationniste, l’assimilation est censée progresser de génération en génération, ce qui peut paraître logique. Or, on s’aperçoit qu’en France, c’est exactement le contraire. Tous les sondages le démontrent : ce sont les immigrés des dernières générations, ceux qui sont nés français et possèdent la nationalité française, qui se sentent le plus étrangers à la France, qui pensent le plus que la charia prime la loi civile et trouvent le plus inacceptable tout « outrage » à leur religion. En août dernier, interrogés sur la proposition « L’islam est-il incompatible avec les valeurs de la société française », 29 % des musulmans répondaient par l’affirmative, tandis chez les moins de 25 ans, cette proportion était de 45 %.

    Un tel débat est-il propre à la France ? Aux pays occidentaux ? Ou bien la question de l’intégration par l’assimilation se retrouve-t-elle un peu partout ?

    Les pays anglo-saxons, n’ayant pas été marqués par le jacobinisme, sont plus hospitaliers aux communautés. Par ailleurs, aux États-Unis, les immigrés n’ont en général aucune animosité envers le pays dans lequel ils cherchent à entrer. La grande majorité d’entre eux, à qui l’on a inculqué le respect des Pères fondateurs, veulent être américains. Le « patriotisme constitutionnel » fait le reste. En Asie, c’est encore différent. La notion d’assimilation y est inconnue, pour la simple raison que la citoyenneté se confond avec l’appartenance ethnique. Pour les deux milliards d’individus qui vivent dans le nord et le nord-est de l’Asie, en particulier dans la zone d’influence confucéenne, on naît citoyen, on ne le devient pas. C’est la raison pour laquelle la et le Japon refusent de faire appel à l’immigration et ne naturalisent qu’au compte-gouttes (les très rares Européens qui ont obtenu la nationalité japonaise ou chinoise ne seront, de toute façon, jamais considérés comme des Japonais ou des Chinois).

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 mars 2021)

     

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  • Migrants mineurs : l’aveuglement idéologique du gouvernement et des médias...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Tormenen, cueilli sur Polémia et consacré à la question des migrants mineurs, qui rentrent en masse, et clandestinement, dans notre pays. Paul Tormenen est juriste et spécialiste des questions migratoires.

     

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    Migrants mineurs : l’aveuglement idéologique du gouvernement et des médias

    Les mobilisations pour la régularisation de jeunes migrants qui ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance se multiplient. En pleine crise économique, la pléthore de postes à pourvoir dans certains secteurs de l’économie justifierait selon leurs défenseurs qu’un titre de travail leur soit octroyé à leur majorité. Le gouvernement déploie pour sa part des mesures pour favoriser l’insertion professionnelle et la pérennisation du séjour en France des jeunes étrangers. Cette politique ne fait pourtant qu’attiser l’afflux massif de clandestins.

    Des tranches de vie à foison dans les médias régionaux

    Ces derniers temps, les médias locaux abondent de récits de mobilisations pour la régularisation de jeunes migrants qui ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.

    Mallé, un jeune Malien sommé de quitter le territoire alors qu’un patron est prêt à le prendre en apprentissage dans sa boucherie, Mamadou, un Guinéen dont l’employeur, un boulanger, est en grève de la faim pour le faire régulariser, etc. : ils seraient nombreux à être dans la même situation. Arrivés en France et présumés mineurs, pris en charge à grands frais par l’aide sociale à l’enfance, ils s’engagent dans une formation professionnelle, souvent en apprentissage. Mais certains, à leur majorité, reçoivent des services de l’État une obligation de quitter le territoire français.

    Dans leur combat pour obtenir un titre de travail, les jeunes extra-Européens peuvent compter sur le soutien de multiples associations : Cimade, Patrons solidaires, Syndicat des avocats de France, Avocats pour la défense des droits des étrangers, etc. (1).

    Le gouvernement multiplie les mesures pour favoriser le maintien des « Mineurs non-accompagnés » en France

    Selon les associations immigrationnistes, les jeunes extra-Européens seraient donc de plus en plus nombreux à être sommés de quitter le territoire français à leur majorité. Pourtant, tant les statistiques sur les éloignements du territoire que les récentes annonces du gouvernement contredisent totalement cette assertion (2).

    La ministre du Travail était d’ailleurs catégorique début janvier : « La logique pour les mineurs non accompagnés, s’engageant dans des formations, est qu’ils puissent au bout de deux ans, continuer à travailler en France si tout s’est bien passé » (3).

    Le gouvernement a pris plusieurs initiatives allant dans ce sens :

    • comme nous le soulignions récemment, le ministre de l’Intérieur a adressé en septembre 2020 une instruction aux préfets visant à éviter toute « rupture de droits » à la majorité des mineurs non accompagnés, afin de « favoriser leur parcours vers l’emploi » (4) ;
    • le secrétaire d’État à la protection de l’enfance annonçait le 27 janvier 2021 « l’accompagnement de tous [les jeunes majeurs issus de l’ASE, N.D.L.R] vers l’emploi ou la formation et une allocation de 500 € par mois » (5).
    • dernière annonce en date, la ministre chargée de la citoyenneté a, dans une instruction du 17 février 2021, présenté aux préfets la politique d’intégration des « primo-arrivants » (comprendre : très majoritairement des extra-Européens arrivés récemment en France) (6).

    L’instruction décline les moyens à mettre en œuvre, dont le budget a doublé depuis le début du quinquennat du président Macron.

    La ministre y souligne la priorité donnée par le gouvernement à l’intégration des étrangers primo-arrivants et demande aux préfets d’inscrire leur emploi « dans [le] dialogue avec les entreprises et tout particulièrement dans les instances de pilotage du plan de relance ».
    Le plan de relance du gouvernement, dont le budget avoisinerait les cent milliards d’euros, prévoit notamment un « plan jeunes », avec une enveloppe de sept milliards d’euros et des aides à l’embauche de 4 000 euros pour les moins de 25 ans et de 5 000 euros pour recruter un alternant (7). Il y a donc des arguments de poids dans ce « dialogue » avec les entreprises.

    Le plan de relance serait-il une occasion pour le gouvernement de permettre de pourvoir des emplois vacants par des jeunes migrants ? Et si cette politique présentée comme humaniste était le comble de l’aveuglement et de l’idéologie cosmopolite ?

    Les emplois vacants, un vrai problème, mais pour quelle solution ?

    L’existence d’un important stock d’emplois vacants en France, malgré le chômage de masse, n’est pas une nouveauté. Les secteurs de la boulangerie-pâtisserie, de la restauration et de la mécanique seraient particulièrement touchés par la pénurie de candidats (8). Le gouvernement et certains employeurs ont donc une solution clefs en main pour tenter de résoudre ce problème, l’accueil de jeunes extra-Européens, dont les efforts lors de leur formation ou de leur activité professionnelle seront récompensés par un précieux sésame à leur majorité : un titre de séjour et de travail. On imagine la motivation des jeunes migrants. Mais cette solution, qui semble la plus rapide pour pourvoir les emplois vacants, comporte de nombreux inconvénients, outre son coût faramineux.

    Les emplois vacants, miroir de la société

    La vacance de nombreux emplois en France est le miroir de problèmes que le gouvernement refuse à prendre à bras-le-corps :

    – Un problème de formation et d’éducation : de nombreux employeurs se plaignent que de nombreux jeunes manquent de motivation au travail et ont un comportement qui laisse à désirer. Cette déficience, due tant à l’absence d’éducation par certains parents qu’aux carences d’une partie du système scolaire, est le résultat d’une idéologie soixante-huitarde et d’une sous-culture des cités qui ne cessent de faire des dégâts (9). On pourrait aussi parler de la dévalorisation irresponsable des métiers manuels.

    – Il est beaucoup plus intéressant pour de nombreux jeunes de banlieue d’exercer le commerce illicite mais très lucratif de la drogue que de travailler 35 heures pour gagner le SMIC. Le gouvernement actuel, comme les précédents, refuse de donner un coup de pied dans la fourmilière de cette économie souterraine. Il porte donc une partie de la responsabilité de ce problème.

    – À l’heure où le gouvernement étend le bénéfice de la Garantie jeunes, une sorte de RSA pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans, notamment aux mineurs non accompagnés, la fameuse « activation des dépenses sociales » relève plus que jamais du serpent de mer. En 1998, la loi instituant le revenu minimal d’insertion (RMI) visait à assurer l’insertion sociale et professionnelle de ses bénéficiaires (10). Pourtant, cette fameuse insertion professionnelle d’allocataires toujours plus nombreux des minima sociaux ne semble visiblement plus une priorité pour le gouvernement.

    – Nouvelle illustration de ce manque de sens des priorités : les jeunes sont de plus en plus nombreux à avoir abandonné tout espoir d’insertion professionnelle. Ils étaient ainsi près de 900 000 en 2018 à être sans études, sans emploi ni formation, un chiffre qui doit être bien supérieur avec la crise économique actuelle (11).

    Le gisement de candidats potentiels aux postes non pourvus existe bel et bien en France, à condition que l’on veuille bien s’en occuper. Quel sens y a-t-il dans ce contexte à faire de l’accès à l’emploi des jeunes extra-Européens une priorité ?

    **********

    En dépit de la situation déplorable du pays, le gouvernement refuse d’organiser l’indispensable moratoire de l’immigration. Tout comme il refuse de revenir sur le droit existant qui permet à des extra-Européens d’obtenir une prise en charge intégrale en se prétendant mineurs ou demandeurs d’asile. Pourtant, faire de l’insertion des primo-arrivants une priorité revient à leur donner un avantage sur le marché du travail. Pire, les mesures adoptées – sécurisation juridique du séjour à la majorité, versement d’une allocation, effort considérable pour l’accès à l’emploi – ne vont faire qu’attiser l’immigration clandestine qui se presse aux guichets de l’aide sociale à l’enfance et des demandes d’asile.

    Ce mélange d’idéologie et d’aveuglement va être rapidement intenable. Aucun droit n’est intangible, comme nous l’a montré la remise en cause du droit du sol à Mayotte (12). La remise en cause de l’aide sociale à l’enfance et de l’asile dans leur forme actuelle apparaît plus que jamais urgente.

    En 1914, Jean Jaurès s’exprimait dans L’Humanité : « … il faut empêcher aussi que cette main-d’œuvre étrangère soit employée par le patronat comme un moyen d’évincer du travail les ouvriers français et d’avilir leurs salaires ». C’était il y a presque un siècle. Ses propos n’ont pas pris une ride (13).

    Paul Tormenen (Polémia, 5 mars 2021)

     

    Notes :

    (1) « Laye Traoré, l’apprenti boulanger devenu le visage de la galère des jeunes étrangers en France ». InfoMigrants. 26 janvier 2021.
    (2) Chiffres clés de l’immigration. Les éloignements 2020. Ministère de l’Intérieur. 21 janvier 2021.
    (3) « Apprenti guinéen menacé d’expulsion : la position d’Élisabeth Borne ». maCommune.info. 8 janvier 2021.µ
    (4) Instruction du ministre de l’Intérieur relative à l’examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l’aide sociale à l’enfance. 21 septembre 2020.
    (5) « Interdiction du placement en hôtel, création d’un fichier national des agréments… Adrien Taquet dévoile ses mesures pour les enfants placés ». France Info. 27 janvier 2021.
    (6) Instruction du 17 février 2021 sur les priorités 2021 de la politique d’intégration des primo-arrivants et des bénéficiaires de la protection internationale. Ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la citoyenneté.
    (7) « Plan 1 jeune 1 solution » du plan de relance. Ministère du travail.
    (8) Cf. (1).
    (9) « Emploi : les jeunes doivent changer leur comportement ». Le Journal de Saône-et-Loire. 26 janvier 2014.
    (10) « Création du revenu minimum d’insertion (RMI) par Michel Rocard, Premier ministre ». Site du gouvernement. 9 décembre 2013.
    (11) « Plus de 900 000 jeunes sans études, ni emploi, ni formation en 2018 ». Le Figaro. 7 février 2020.
    (12) « Mayotte : retour sur le parcours législatif de la limitation du droit du sol ». Public Sénat. 22 octobre 2019.
    (13) « Socialistes et migrations ». Gilles Candar. Fondation Jean Jaurès. 5 octobre 2016.

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  • Immigration : une situation hors de contrôle....

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Patrick Stefanini, réalisé par Victor Lefebvre pour son émission Sputnik donne la parole et diffusé le 12 février 2021 sur Sputnik,  à l'occasion de la sortie son essai Immigration - Ces réalités qu'on nous cache (Robert Laffont, 2020).

    Ancien haut-fonctionnaire, Patrick Stefanini a occupé pendant un temps les fonctions de secrétaire général du ministère de l'immigration, de l'intégration et de l'identité nationale sous la présidence Sarkozy.

     

                                               

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  • Le « Grand Remplacement » : fantasme ou réalité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une étude de l' Observatoire de l'immigration et de la démographie consacrée à la question du « Grand Remplacement », popularisée par l'écrivain Renaud Camus dans un essai publié en 2011.

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    Le marché de Trappes...

     

    Le « Grand Remplacement » : fantasme ou réalité ?

    Dans un ouvrage paru à l’automne 2020, le journaliste et auteur Marc Edenweld rapportait les confidences de plusieurs collaborateurs de l’Elysée affirmant que le président Emmanuel Macron reprenait régulièrement l’expression de « grand remplacement » lors de conversations avec ses équipes au sujet de l’immigration et de l’Islam[1].

     Pareille anecdote venue du sommet de l’État confirme à quel point ce concept, né dans les marges politiques et littéraires auxquelles certains auraient voulu le circonscrire, occupe désormais une place centrale dans le débat public. Forgée et popularisée par l’écrivain Renaud Camus dans un essai éponyme paru en 2011, la notion de « grand remplacement » hante désormais les éditoriaux, les réseaux sociaux comme les plateaux des grands médias audiovisuels, mais aussi les lieux de pouvoir et les simples discussions familiales.

     Qu’il s’agisse de la défendre ou de la dénoncer avec virulence, rares sont les expressions capables de déchaîner autant de passions à leur seul emploi. Avec deux écueils majeurs : la difficulté à s’entendre sur ce que le « grand remplacement » est censé signifier, ainsi que l’absence souvent criante de données chiffrées ou de faits objectivables à l’appui des échanges.

     Face aux approximations, aux interprétations partiales et aux affirmations péremptoires, il convient d’abord de préciser ce que cette notion recouvre, puis d’examiner les arguments concrets permettant de la récuser ou de l’appuyer dans des mesures variables.

    Si l’on en trouve des échos dans des contextes antérieurs, la paternité de la notion de « grand remplacement » revient néanmoins à l’écrivain et essayiste Renaud Camus

     En novembre 2019, France Culture proposait une série de podcasts intitulée « Grand Remplacement : un virus français »[2]. Dans le premier des cinq épisodes, dédié à la recherche des origines historiques du concept, le journaliste et politologue Jean-Yves Camus rappelait qu’un écrivain nommé Danrit (en réalité le colonel Emile Driant) avait signé au début du XXème siècle deux romans d’anticipation dont les thèmes étaient respectivement « l’invasion jaune » et « l’invasion noire ». Il s’agissait de suggérer que ce type de représentation était antérieure à notre époque et aux écrits de Renaud Camus.

     Plus récemment et dans une sphère plus politique, le terme de « remplacement » a été employé par l’Organisation des Nations Unies au début des années 2000 dans un rapport intitulé Migrations de remplacement : est-ce une solution à la diminution et au vieillissement de la population ?[3]. De ce document fort commenté depuis lors, certains ont conclu - de façon hâtive - que l’ONU préconisait la substitution d’une population jeune, originaire d’Afrique, aux populations vieillissantes d’Europe de l’Ouest. Le rapport ne dit pourtant pas exactement cela, puisqu’il précise que l’immigration ne peut être la seule solution aux changements démographiques en Europe occidentale, sauf à ce que celle-ci accepte d’accueillir 160 millions de migrants en cinquante ans.

     Dans le contexte français contemporain, c’est en 2011 que l’essai Le Grand Remplacement de Renaud Camus lance ce terme sur la scène intellectuelle et politique - où il n’a cessé de gagner en attention depuis lors.

    La thèse de Renaud Camus n’est pas réductible à une théorie du complot mais comporte deux dimensions claires : l’une quantitative et l’autre qualitative

     Dans ce livre comme dans le manifeste qu’il rédige par la suite en 2013[4], l’auteur défend l’idée selon laquelle la France et l’Europe connaissent un changement de population, qu’il résume de la façon suivante : « Pouvez-vous développer le concept de Grand Remplacement ? - Oh, c'est très simple : vous avez un peuple et presque d'un seul coup, en une génération, vous avez à sa place un ou plusieurs autres peuples. »[5] Pour l’auteur, cela constitue « le choc le plus grave qu’ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque, si le changement de peuple et de civilisation, déjà tellement avancé, est mené jusqu’à son terme, l’histoire qui continuera ne sera plus la sienne, ni la nôtre ».

     Avec le « grand remplacement », Renaud Camus défend « une thèse à deux jambes »[6] selon François Héran, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire Migrations et sociétés :

    • La première jambe est quantitative, elle se réfère aux flux migratoires et aux différentiels de fécondité ;
    • La seconde est qualitative et se réfère aux changements culturels au sein de la société française.

     Pour compléter sa thèse, Renaud Camus évoque « le pouvoir remplaciste, celui qui désire et promeut le grand remplacement » comme le rappelle une émission diffusée à son sujet sur France Culture[7]. Pour cette raison, certains journalistes considèrent que la thèse de Camus est complotiste ou conspirationniste, ce dont l’auteur se défend en disant que la promotion de l’immigration par certaines catégories d’acteurs sert des intérêts économiques et politiques.

     A-t-il raison ou a-t-il tort ? Quoi que l’on pense de cette affirmation, il paraît abusif d’en déduire que son auteur est complotiste. Pour s’en référer à deux exemples fameux : au début des années 1980, Georges Marchais considérait publiquement que l’immigration faisait pression à la baisse sur les salaires et pouvait ainsi servir les intérêts du patronat ; plus récemment, le think tank Terra Nova publiait une note intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 » dans laquelle il soulignait l’opportunité que constituait le vote d’origine immigrée pour le PS. Bien que leurs thèses aient été contestées, aucune accusation sérieuse de « conspirationnisme » n’a été portée contre le dirigeant communiste ou le groupe de réflexion social-démocrate.

     Nous considérons que le débat autour de l’intentionnalité constitue un élément subsidiaire, qui ne forme pas le cœur du concept de « grand remplacement » et nous éloigne du débat véritable sur les faits (réels ou supposés) qu’il recouvre.

     Si la série de France Culture qui lui fut consacrée[8] a eu pour intérêt de placer ce sujet dans une perspective historique, elle n’a cependant apporté aucun élément quant au fond du propos. En ce sens, elle est révélatrice de l’approche partiale de certains médias : la radio publique considère l’idée du grand remplacement comme un « virus », une maladie à guérir et non une thèse à discuter.

     « L’objectivité ne consiste pas à opposer des opinions contraires au cours d’un débat. Si les deux opinions reposent sur des informations fausses, quel est l’intérêt du débat ? [...] La confrontation des incompétences n’a jamais remplacé la connaissance des faits. Le devoir de la presse est d’acquérir cette connaissance et de la transmettre » disait Jean-François Revel dans La connaissance inutile ; nous tâchons ci-dessous de fournir au lecteur les éléments du débat.

     « Sinistre farce »[9] pour le démographe Hervé Le Bras, « fantasme »[10] pour le journaliste du Monde Frédéric Joignot ou encore « vaste fumisterie » pour le rédacteur d’une tribune dans Jeune Afrique[11], que peut-on vraiment dire de la réalité du « grand remplacement » ?

    Arguments et contre-arguments

     En 2017, Alain Finkielkraut recevait dans son émission Répliques[12] Hervé le Bras et Renaud Camus. Ce dernier déclarait alors : « Le grand remplacement n’a pas besoin de définition. Ce n’est pas un concept. C’est une réalité de tous les jours que les gens peuvent observer lorsqu’ils descendent dans la rue et prennent leur voiture ». Ce propos rapide nécessite néanmoins le rappel de quelques éléments factuels apportés par les défenseurs et contradicteurs de cette vision, afin que le lecteur puisse s’en forger une opinion informée.

     Les défenseurs de la thèse du grand remplacement considèrent que la population française se transforme rapidement et de façon croissante par une substitution de populations d’origine extra-européenne, essentiellement venues du Maghreb et d’Afrique, à la population française d’origine.

    Deux principaux contre-arguments leur sont généralement opposés.

    1. D’abord, cela serait factuellement faux dans la mesure où moins de 10% de la population française serait immigrée : selon Le Monde, « les études de l’INSEE disent pourtant tout autre chose que les livres de Renaud Camus. Publiée en octobre 2012, “INSEE Référence - Immigrés et descendants d’immigrés en France” décompte ainsi 5,3 millions de personnes nées étrangères dans un pays étranger, soit 8% de la population »[13].
    2. D’autre part, il y aurait un problème méthodologique fondamental puisque l’origine ne serait pas définissable. Interrogée par Le Monde, la démographe Pascale Breuil se demande ainsi : « jusqu’où faut-il remonter pour être considéré comme faisant partie du peuple français ». Elle conclut qu’il est « très difficile de définir qui est ou non d’origine française »[14], invalidant ainsi le fait qu’une population se substitue à une autre.

    Les éléments objectifs ne manquent pourtant pas pour étayer le constat d’une transformation rapide de la démographie française sous l’effet de l’immigration

     L’importance des flux migratoires, couplée à la natalité des personnes immigrées ou d’origine immigrée, a eu pour conséquence que 11% de la population résidant en France soit immigrée en 2017 et que 25% soit d’origine immigrée - si l’on compte les enfants de la seconde génération issue de l’immigration -, selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) publiés en octobre 2018[15]. Cela représente un quart de la population française. Nous sommes donc loin du « fantasme » évoqué par certains, d’autant plus qu’il s’agit là exclusivement de stocks - c’est-à-dire de ce qui est et non de ce qui sera à l’avenir, sous l’effet des flux migratoires et des naissances futures.

     Or il convient de tenir compte du différentiel de fécondité entre les femmes descendantes d’autochtones (moins de 1,8 enfants par femme en moyenne en 2017), les femmes descendantes d’immigrés (2,02 enfants par femme en moyenne) et les femmes immigrés (2,73 enfants par femme en moyenne). Cette fécondité varie fortement selon l’origine des femmes : 3,6 enfants par femme en moyenne pour les immigrées algériennes, 3,5 enfants par femme pour les immigrées tunisiennes, 3,4 enfants par femme pour les immigrées marocaines et 3,1 enfants par femme pour les immigrées turques, ce qui est plus élevé que la fécondité de leurs pays d’origine (respectivement 3 ; 2,4 ; 2,2 ; 2,1)[16].

     Le démographe François Héran affirme cependant qu’il serait erroné de croire que ces différentiels de fécondité soient figés dans le temps, car ceux-ci auraient tendance à se lisser sur le long terme[17]. Mais les effets cumulés de l’immigration et des différentiels de fécondité ont d’ores et déjà modifié la population française et continuent de le faire, comme le montre l’évolution de la composition des naissances.

    Sur la même période de vingt ans, entre 1998 et 2018 :

    • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont français a baissé de 13,7%.
    • Le nombre de naissances d’enfants dont au moins un des parents est étranger a augmenté de 63,6%
    • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43%.[18]

    En 2018, près d’un tiers des enfants nés (31,4%) ont au moins un parent né à l’étranger.

     Commentant le résultat des projections de population d’origine étrangère dans les pays de l’UE adossées au scénario Convergence 2008-2060 d’Eurostat[19], la démographe Michèle Tribalat précisait que dans certains pays, « les natifs au carré pourraient devenir minoritaires avant l’âge de 40 ans, d’ici 2060 » - natifs au carré désignant les personnes nées dans un pays de deux parents qui y sont nés également. S’il s’agit de projections démographiques - donc d’hypothèses -, Michèle Tribalat expliquait notamment ces résultats par « la conjonction d’une démographie interne peu dynamique et des soldes migratoires projetés qui donne une contribution aussi importante à l’immigration ».[20]

     L’autre contre-argument largement utilisé par les opposants à la notion de grand remplacement consiste à affirmer qu’il est impossible de définir qui est ou non d’origine française (Pascal Breuil). Cette objection est également fragile, surtout lorsqu’elle repose sur des approximations telles que celles d’Hervé Le Bras dans son livre Malaise dans l’identité[21], où l’auteur assimile directement la défense de cette notion au racisme.

    Les raccourcis problématiques d'Hervé Le Bras

     Dans le chapitre II de son livre, intitulé « Race et Grand remplacement », Le Bras commet le raccourci de considérer que l’utilisation du terme de « remplacement » revient nécessairement à adopter une approche racialiste / biologique. L’auteur évoque pêle-mêle les idéologues racistes Gobineau et Vacher de Lapouge, en passant par certains théoriciens nazis. « Opposer des Français soi-disant de “souche” à des immigrés menaçant de les submerger, c’est supposer que les deux groupes constituent des races distinctes » (page 36).

     Si certains individus qui s’en réclament sont évidemment susceptibles de s’inscrire dans une perspective raciste, considérer que la notion elle-même est une « théorie raciste » apparaît fallacieux. La concept de grand remplacement renvoie avant tout à une dimension culturelle, aux mœurs et aux modes de vie. C’est notamment ce qu’explique le professeur François Héran lorsqu’il évoque l’aspect « qualitatif » de cette thèse. Michèle Tribalat n’affirme pas autre chose lorsqu’elle déclare : « Il me semble que son succès [de la notion de grand remplacement] vient de son pouvoir d’évocation de certaines situations vécues. Elle a un sens figuré qui évoque l’effondrement d’un univers familier que vit, ou craint de vivre, une partie de la population française : disparition de commerces, et donc de produits auxquels elle est habituée, habitudes vestimentaires, mais aussi pratiques de civilité, modes de vie… »[22]

     Quant à l’argument selon lequel il serait difficile de définir qui est ou non d’origine française, l’éditorialiste Olivier Maulin répond : « très difficile dans les laboratoires de l’INSEE, serions-nous tentés d’ajouter, car sur cette question l’homme ordinaire, guidé par son instinct, éprouve beaucoup moins de difficulté à définir les choses, et ne s'embarrasse ni de concepts, ni d’idéologie, ni même de documents administratifs dûment estampillés, et pas plus de biologie, de "race" ou de "pureté" imaginaires : est français celui qui a la nationalité française, bien sûr, pourvu qu’il vive selon les mœurs françaises ».[23] Si l’on souhaite s’en tenir à une approche scientifique de l’ascendance, les « natifs au carré » de Michèle Tribalat fournissent par ailleurs un premier angle de vue.

     À rebours des analyses fondées sur les lectures approximatives et le recours aux anathèmes, cet article aura tenté de présenter ce que recouvre la notion de grand remplacement, les arguments de ses défenseurs comme de ses contradicteurs ainsi que certaines des données essentielles au débat.

    Au lecteur - et au citoyen - de se faire sa propre opinion.

    (Observatoire de l'immigration et de la démographie, 10 février 2021)

     

     Notes :

    1. Entretien avec l'auteur, QG - Le Média Libre (Lien)

    2. France Culture, Le grand remplacement, un virus français (1/5) : à l'origine du mythe (Lien) 

    3. ONU, L’immigration de remplacement : est-ce une solution au vieillissement et au déclin démographique ?, 2001 (Lien PDF)

    4. Renaud Camus, Le changement de peuple, 2013

    5. Renaud Camus, Le Grand Remplacement, 2011

    6. Interview de François Héran par Ivanne Trippenbach pour l’Opinion, 4 octobre 2019 (Lien)

    7. France Culture, Émission Le grand remplacement, un virus français (3/5) : Renaud Camus, 2019 (Lien)

    8. France Culture, Le grand remplacement, un virus français (1/5) : à l'origine du mythe

    9. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020

    10. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020

    11. Jeune Afrique, « [Tribune] La théorie du « grand remplacement », cette vaste fumisterie », 2019, consulté en juin 2020

    12. France Culture, Répliques, “Le Grand déménagement du monde”, présenté par Alain Finkielkraut, avec Renaud Camus et Hervé Le Bras, 2017 : https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/le-grand-demenagement-du-monde-1

    13. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020

    14. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020

    15. Cités par Jean-Paul Gourévitch dans Le grand remplacement : réalité ou intox ?, 2019, Pierre-Guillaume de Roux

    16. Interview de François Héran « La formule du grand remplacement se propage à la vitesse de la lumière »

    17. Interview de François Héran « La formule du grand remplacement se propage à la vitesse de la lumière »

    18. Statistiques de l’état civil de l’INSEE et du document « T37BIS : Nés vivants selon la nationalité des parents (Union européenne à 28 ou non). Calculs : OID. https://observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration/

    19. Eurostat, Fewer, older and multicultural ? Projections of the EU populations by foreign/national background, 2011

    20. Interview de la démographe Michèle Tribalat par Rudy Reichstadt réalisée en 2017 et publiée dans Causeur en 2019, consulté en juin 2020

    21. Hervé Le Bras, Malaise dans l’identité. Notre identité ne peut être que dynamique, 2017, Actes Sud

    22. Causeur, « L’idée de ‘grand remplacement’ évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population », Entretien avec la démographe Michèle Tribalat, 2017 et 2019, consulté en juin 2020

    23. Valeurs actuelles, Le “grand remplacement” en question par Olivier Maulin, 2019, consulté en juin 2020

     

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