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guerre - Page 4

  • Ukraine : la dangereuse décrépitude de l’Occident...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 8 juin 2024 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Caroline Galactéros pour évoquer avec elle les dangereuses gesticulations guerrières des Européens, et en particulier du président Macron, dans un conflit russo-krainien où leur seul intérêt réel serait de rétablir la paix...

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017 Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

                                            

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  • La France, combien de divisions ?...

    En contrepoint des rodomontades guerrières d'Emmanuel Macron, la revue Éléments dresse un tableau alarmant, mais malheureusement réaliste, de l'état de l'armée française...

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    La France, combien de divisions ?

    Guerre, embrasement, risques d’escalade, menace nucléaire… Autant de mots et de concepts qui sont aujourd’hui rabâchés en continu. La question de la guerre ne sort pourtant pas de nulle part. L’annexion russe de la Crimée en 2014 et la révolution « populaire » du Maïdan en ont fait ressurgir le spectre. De leur côté, François Hollande et Angela Merkel se félicitaient des accords de Minsk alors que, de leur propre aveu, il ne s’agissait ni plus ni moins que de gagner du temps pour préparer la guerre. De même, Emmanuel Macron, appliquant la stratégie des faibles, n’hésitait pas à abuser de termes guerriers (contre les Gilets jaunes, les incendies de forêt, la COVID, la dénatalité, etc.), à s’exposer en uniforme et avec des symboles militaires ou encore à se prendre en photo en plein entraînement de boxe, les muscles gonflés non pas par l’effort voire les protéines, mais uniquement par Photoshop.

    Cette posture belliqueuse et martiale incarnée par le chef des Armées ne s’est pourtant pas arrêtée à de simples clichés musclés. Ainsi le 26 février 2024, il annonce au sujet de l’envoi de troupes occidentales en Ukraine, qu’« en dynamique, rien ne doit être exclu ». Cet engagement certes ferme, mais rejeté quasi unanimement par tous les gouvernements européens, par le gouvernement américain et même par le premier concerné, Volodymyr Zelensky, a été réitéré le 16 mars par le chef de l’État, puis relayé dans les médias par deux de ses lieutenants, le général d’armée Burkhard et le général d’armée Schill, respectivement chef d’état-major des armées et chef d’état-major de l’armée de Terre. Cette posture a été une nouvelle fois « assumée » à la Sorbonne, le 26 avril dernier, dans un discours imprégné de folie européiste et en totale rupture avec l’idée de nation développée par Ernest Renan, 142 ans plus tôt…

    Si la division des Européens et la prudence américaine en disent long sur la perspective dont cette guerre entre peuples frères est envisagée, les positions du président de la République appellent une question : les Français iront-ils mourir pour Kiev ? Leur sacrifice sera-t-il réellement de nature à empêcher les T-72 russes de défiler sur les Champs Élysées ? Sacrifice physique mais aussi financier, Bruno Lemaire ayant effectivement réussi à mettre une économie à genoux, celle de la France.

    La France ? Un CDD

    Ce n’est pas un secret, la France peine à recruter. Chaque année, le ministère des Armées se débat, en vain, pour essayer de tenir ses objectifs de recrutement. En 2023, ce ne sont pas moins de 3 000 jeunes qui n’ont pas rejoint ses rangs. C’est sans compter la dernière lubie politique de vouloir doubler la réserve, dans le but de (re)constituer une force apte au combat et rappelable sur court préavis. Fort heureusement ce n’est qu’une bagatelle. Juste 25 000 hommes de plus et uniquement pour l’armée de Terre. Le corps des officiers lui ne peine pas à recruter, confirmant qu’il existe encore dans le pays des volontaires pour se dévouer à la nation. Mais bon, une fois que nous avons dit cela, qu’en est-il réellement de cette ressource humaine, censée être le « ferment de nos futures moissons » ?

    Les deux questions fondamentales à se poser quand on parle de recrutement dans les forces armées est « Pourquoi se bat-on ? » et « Pourquoi meurt-on ? » Jadis, le service militaire, malgré ses défauts, donnait des clés de réponse. Mais aujourd’hui, aucun homme politique ne sait y répondre. Gageons que McKinsey non plus… Pas plus que le peuple. Dans une société fluide, multiculturelle, hédoniste et individualiste, difficile d’avoir envie de se battre et de mourir, si ce n’est pour son petit profit personnel.

    Le recrutement en pâtit lourdement et les Armées embauchent majoritairement ceux qui trouvent un intérêt individuel à servir sous les drapeaux, selon l’expression consacrée. La plupart des jeunes s’engagent, comme s’ils s’engageaient chez McDonalds, Carrefour ou Midas. Faire carrière ? Quelle idée ! Servir la France est temporaire et doit déboucher sur mieux. L’effort de fidélisation, qui s’accompagne de l’assouplissement de toutes les règles (dont la discipline), est là pour le montrer, autant que les travaux de la Task Force Résilience (un anglicisme adopté à force d’américanisation), qui doivent permettre de déterminer, à l’aide d’une comitologie stalinienne, comment inciter la population à s’engager.

    Parmi ces jeunes, le nombre de Français « de souche » ne cesse de diminuer. Les régiments se métissent avec tous les problèmes que cela implique : quand nos militaires partaient encore en Afghanistan ou au Mali, de nombreux jeunes soldats ne voulaient pas partir « tuer des frères ». Aujourd’hui, ces mêmes jeunes, prompts à rouler des mécaniques et à se prendre en photo les armes au poing, montrent un courage toujours plus fluctuant : la frégate Alsace, sous le feu des drones houthis en mer Rouge, a ainsi déploré l’abandon de postes de jeunes marins qui ne voulaient pas mourir. Mourir pour la France ? Cela, l’histoire ne le dit pas mais on connaît déjà la réponse…

    Cette situation a été et est assez critique pour que des mesures fortes aient été prises. Le 4e régiment de Dragons, à Carpiagne (Bouches-du-Rhône), héritier des plus belles traditions de la cavalerie lourde, a ainsi été dissous en raison d’une radicalisation grandissante. Difficile de commander quand des mosquées clandestines sont installées sous les toits des compagnies. Aujourd’hui, d’autres régiments sont dans le viseur, dont le 121e régiment du train de Montlhéry qui recrute en grande partie dans le 93. Il est évident que nous pourrons avoir une confiance aveugle en ses soldats le jour où « ça camphrera ». Sans compter les bases dans lesquelles prospèrent les trafics en tout genre, en particulier les trafics de drogue. Le plateau de Canjuers, proche du hub des stupéfiants de Draguignan, est ainsi connu de triste réputation.

    Des officiers pas vraiment supérieurs

    Ce tableau sombre est à nuancer et les Armées disposent d’unités de valeur telles que les forces spéciales, la Légion étrangère, les troupes de Marine, les chasseurs alpins ou les parachutistes. En un mot des unités d’élite, où l’on n’entre pas sans effort ni sacrifice et où le service de la France a encore du sens. Néanmoins, nous sommes quand même bien loin de la grande majorité des cas.

    Qu’en est-il des officiers ? La situation est très différente, ceux-ci bénéficiant à la fois d’une meilleure éducation et « souffrant », dit-on au plus haut niveau, de l’atavisme d’une aristocratie qui ne s’accomplit que dans le service de la France par le métier des armes. Évidemment, là aussi, il est nécessaire de nuancer : les Armées étant le reflet de la société, tout le monde ne s’engage pas avec la grande flamme de l’idéal ou avec de vraies valeurs morales. Certains vont les acquérir pendant la formation, mais des brebis galeuses se retrouvent au milieu du troupeau. Les derniers scandales relatifs à des problèmes de mœurs ou de discrimination sont là pour le prouver, même si souvent, il s’agit, comme il convient au sein de notre société moderne, de camoufler sa médiocrité derrière une pseudo menace systémique.

    Le vrai problème du corps des officiers apparaît assez tardivement, après le temps de commandant de compagnie, au moment de passer le concours de l’École de Guerre. Il y a alors trois écoles : tout d’abord, l’école de ceux qui ont réussi le concours et qui se verraient bien arborer des étoiles sur les épaules. Ceux-ci sont alors prêts à tous les parjures et à toutes les trahisons pour atteindre leurs fins. Parmi eux, on retrouve généralement ceux qui ont servi aux États-Unis, soit en école, soit au sein du « Grand Temple », c’est-à-dire parmi les Young Leaders, et qui suivent les traces de nos trois derniers Présidents de la République. Le millésime 2024 de l’École de Guerre n’y a pas échappé, deux d’entre eux y sont passés, l’un immédiatement affecté au cabinet du ministre, et l’autre se préparant à voyager dans l’espace, confirmant ainsi leur « très haut potentiel »… Potentiel de calcul et de soumission ou potentiel intellectuel et moral, on est en droit de se poser la question. Bien évidemment, la franc-maçonnerie y fait aussi ses moissons et vient prestement à l’aide de ceux qui portent le tablier. Beaucoup rejoignent cette catégorie d’officiers quand ils atteignent le grade de colonel. Tous les coups sont alors permis pour accéder au généralat, la règle du jeu étant de féliciter ses chefs, de critiquer ses pairs et d’écraser ses subordonnés. Leur carrière se termine généralement sur les plateaux de télévision où nous assistons à un remake du film « Le bon, la brute et le truand » avec l’idiot (le général Trinquand), le traître (le général Yakovleff) et l’opportuniste (le général Desportes).

    La deuxième école est celle de ceux qui ont ou qui n’ont pas réussi le concours de l’École de Guerre et qui voient les Armées uniquement comme une vache à lait dont ils peuvent tirer un maximum d’avantages avec le minimum d’effort. Ces officiers se reconnaissent assez facilement par leurs réseaux, leurs petits calculs et par leur capacité à se faire muter régulièrement à l’étranger. On en dénombre malheureusement beaucoup chez les troupes de Marine et dans des organismes en lien avec les relations internationales, la DCSD (Direction de la coopération de sécurité et de défense) en particulier. Pour ces officiers, il n’y aucune autre ambition que de gagner de l’argent, de vivre des « séjours » sympas, et de finir de payer la piscine ou la deuxième maison. En revanche, l’intérêt de la France n’est pas la priorité… sauf si c’est pour mettre un autre officier en difficulté et trouver des avantages matériels pour soi-même.

    Une police militaire politique

    La troisième école, quant à elle, est rejetée par les deux précédentes. Manquant d’ambition pour les uns, trop altruiste pour les autres, elle est tout simplement composée de cette race d’officiers qui se sacrifie pour le bien commun et les intérêts de la France. Qu’ils aient réussi ou non le concours de l’École de Guerre, qu’ils aient ou non des chances de monter en grade voire d’accéder au généralat, ceux-ci se distinguent par leur amour du pays et par leur attachement à « ce vieux mot de langage militaire : servir ». Beaucoup parmi eux pensent « mal » car attachés à la France, admirant ce qu’elle a été et craignant ce qu’elle sera, ils nourrissent souvent des idées dites « nauséabonde »s. Si la plupart de ces chefs progressent sans difficulté, d’autres sont traqués pour leurs idées par la DRSD (Direction du renseignement de sécurité et de défense) qui veille sur le temple. Digne du politburo, ce service a bien compris que la plus grande menace en France n’est pas l’islamisme grandissant et les risques que ce dernier fait encourir au sein même des Armées, mais bien l’extrême droite. De l’aveu même de son chef, lors d’une conférence à l’École de Guerre au premier semestre 2023, il n’y a rien de pire que cette chienlit. Reste maintenant à définir où commence et où finit l’extrême droite, où commence et où finit la liberté de pensée, un sujet que ne manquera pas d’étudier le « quarteron de généraux en charentaises ».

    Ce constat général sur les ressources humaines des Armées ne serait pas complet sans aborder le corps des sous-officiers (officiers mariniers pour la Marine). Corps technique, celui-ci comprend dans ses rangs un peu des deux corps précédent (d’un côté les petites frappes sorties du lot, d’un autre côté les officiers manqués) ainsi qu’une masse de jeunes qui veulent composer la colonne vertébrale des Armées. Si les raisons de s’engager sont diverses, les sous-officiers montrent un engagement généralement plus sain, loin des luttes de pouvoir et au-delà du simple fait de se servir. Ayant enfin effacé leur réputation d’alcooliques héritée de la guerre froide, ces hommes et ces femmes montrent le visage d’une France qui veut donner du sens à son engagement. Malheureusement, il n’est pas rare de voir ces sous-officiers tomber dans une lutte de classe digne des plus grands combats marxistes mais qui reste pour le moins stérile.

    Moyens capacitaires

    Qu’en est-il du matériel ? Les promesses de l’économie de guerre, de la réindustrialisation de la France et la redynamisation des industries de défense semblent ouvrir le champ à de belles perspectives. Cependant, la réalité est bien plus contrastée.

    Les Armées sortent enfin d’une longue période de disette héritée des dividendes de la paix et de la fameuse fin de l’Histoire fantasmée par Francis Fukuyama. Au cours de cette période, comme le faisait remarquer à juste titre le général d’armée Pierre de Villiers (une des premières victimes de la macronie), la France faisait preuve de dissonance cognitive : les militaires affirmaient que le monde était de plus en plus dangereux, ce à quoi les chefs politiques répondaient qu’il fallait en conséquence réduire de plus en plus les forces armées. Néanmoins, plusieurs douloureux sursauts eurent lieu : après l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, en 2008 qui permit aux militaires de bénéficier d’équipements de combat de qualité ; après les attentats de 2015 qui virent la mise en place de la mission Sentinelle ; et l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 qui remit l’église au centre du village et les Armées au cœur de la défense de la nation. À noter que ce concept de défense avait été oublié, comme en témoigne le passage ahurissant du ministère de la Défense au ministère des Armées.

    Aujourd’hui, les Armées récoltent les fruits des programmes d’armement débuté dans la fin des années 90. Mais là encore la conjoncture budgétaire n’aide pas à s’équiper. L’armée de l’Air et de l’Espace peut se vanter d’avoir des Rafales de dernière génération, mais elle en a peu. Sans parler de ses avions de transport, en nombre insuffisant pour assurer ses missions logistiques autant qu’opérationnelles (les parachutistes peuvent difficilement réaliser leurs six sauts réglementaires par an par exemple). La Marine nationale, fleuron d’un royaume aujourd’hui disparu, a des navires de tout type particulièrement performants, mais là aussi cruellement insuffisants. L’armée de Terre perçoit quant à elle ses nouveaux matériels SCORPION, censés mettre en œuvre « la polyvalence et l’infovalorisation ». Problème : ils sont distillés au compte-gouttes et ne sont pas destinés au combat moderne mais à la contre-insurrection. Face à un adversaire tel que la Russie, ça risque de piquer !

    Nous pouvons toutefois nous réjouir : le matériel sort des usines ! Voilà enfin une victoire, dira le quidam. Mais c’était sans compter sur l’Ukraine, véritable tonneau des Danaïdes. Certains rétorqueront que ce ne sont que les vieux matériels qui sont sacrifiés. Néanmoins, ceux-ci étaient censés équiper certaines unités, notamment la réserve, éternel parent pauvre du ministère. D’autres diront que ces dons permettent de relancer les industries d’armement. C’est vrai mais uniquement en partie : l’état est tel que des formations ne peuvent quasiment plus s’entraîner et ne sont plus aptes au combat : ainsi en 2023, le général commandant l’artillerie affirmait que si un de ses CAESAR tombaient en panne, une partie de l’armée de Terre ne serait plus formée. Inquiétant quand on projette de faire trembler l’ours russe.

    Le cocu de l’histoire

    À cela, il faut ajouter quelques revers cuisants : il y a tout d’abord le pillage de pans entiers de notre souveraineté par les Américains, notamment grâce à la vente par Emmanuel Macron de la branche nucléaire d’Alstom ou encore des systèmes informatiques sensibles d’Athos. Une prise de conscience tardive et le rachat de tout ou partie de ces services n’auront pourtant pas empêché la récupération technologique et la divulgation des secrets, mettant ainsi davantage la France en position de faiblesse. Ensuite, il y a les sacrifices réalisés au profit des Allemands, dans la continuité de l’industrie automobile ou de l’électricité, et qui touchent autant l’armement petit calibre (remplacement du FAMAS par le HK 416) que le char et l’avion du futur (le MGCS et le SCAF). Nos camarades d’outre-Rhin ont ainsi rapidement compris que dans ce fameux couple franco-allemand, il fallait rapidement plumer le mari cocu. Enfin, il y a les autres renoncements tels que la production des munitions. Les militaires se souviennent notamment des munitions de 5.56 mm, abandonnées par la France pour être achetées moins chères au Brésil ou en Afrique du Sud et qui se sont révélées défectueuses ou complètement inadaptées aux canons des armes françaises. Aujourd’hui, se pose la question des poudres à canon, un autre secteur national liquidé au profit de la Suède. Celle-ci ayant ses propres besoins et l’État français s’étant engagé à céder encore plus d’obus à l’Ukraine, Sébastien Lecornu s’est finalement décidé à recréer une (et une seule) usine sur le territoire national.

    Mais au final, le constat est cinglant : les Armées ont de bons programmes d’armement mais ne disposent pas aujourd’hui des moyens de faire la guerre. Le général d’armée Lecointre, ancien chef d’état-major des armées rappelait dernièrement dans une de ses actions de communication dont il a le secret depuis les combats de Vrbanja, que les Armées ne peuvent plus se battre sans être dans une coalition ou accompagnées de ses alliés (au premier rang desquels les USA, bien évidemment). La RAND corporation, think tank américain de renom, publiait un rapport le 16 juin 2021 intitulé « A Strong Ally Streched Thin : An Overview of France’s Defense Capabilites from a Burdensharing Perspective » et qui se résumait par « France is ready for war, but not a long war ». Cela n’a malheureusement pas changé et nos forces ne disposent pas des moyens de faire la guerre à un pays comme la Russie. De son côté, la Russie n’a ni l’ambition ni les moyens d’attaquer l’OTAN et le glacis que représente l’Europe de l’Est pour la France fait que jamais les hommes sojas sur leur trottinette électrique avec leur thé détox, ne se confronteront aux hordes mécano-soudées des steppes de l’Oural imbibées de vodka.

    La rédaction (Éléments, 7 juin 2024)

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  • Les snipers de la semaine... (276)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Hashtable, H16 allume Macron qui se prépare à masquer sa défaite aux élections par de  dangereuses gesticulations guerrières visant la Russie...

    Macron : Une guerre pour cacher la déroute ?

     

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    - sur Polémia, c'est Camille Galic qui dézingue... Macron, bien sûr !

    Humour noir : comment Macron prétend relancer la natalité française

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  • La guerre d'Indochine : amnésie volontaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Idiocratie sur les raisons de l'occultation de la guerre d'Indochine...

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    La guerre d'Indochine : amnésie volontaire

    De la guerre d’Indochine, la triste France d’aujourd’hui ne sait plus rien. D’ailleurs, en a-t-elle jamais su quelque chose ? Lointaine, exotique, elle fut rapidement occultée par celle d’Algérie, puis du Vietnam, et semble aujourd'hui le type même de la « sale guerre » : impérialiste, cruelle, indifférente aux souffrances civiles. L’opinion française ne s’en inquiéta qu'au moment de Dien Bien Phu, dernier épisode de furia francese capable encore d’atteindre les cœurs. Pas plus qu’elle ne s’est intéressé à son Empire, la métropole n’a pris la mesure des servitudes et grandeurs de ceux qui payèrent de leur sang la défense de l'Indochine. Oubli trop parfait pour n’être pas suspect. L’ethnopsychiatrie nous l’a appris : à l’échelle collective existent aussi des amnésies volontaires. Alors, pourquoi cet acharnement dans le déni ? Pourquoi cette volonté quasi militante de ne rien savoir ? Peut-être cette guerre en savait-elle trop sur nous-mêmes.

    Comme pour sceller cette amnésie, la maigre communauté des vrais lecteurs (selon les statistiques, ceux qui lisent un livre par semaine) a oublié Lucien Bodard auteur de quelques grands livres dont La guerre d’Indochine, reportage fleuve publié en pleine radical sixties, cette époque où les baby boomers balbutiaient bruyamment leur singularité. A ces enfants tapageurs il tendit ce « miroir d’épouvante »[1] dont ils détournèrent vite la face. Best-seller à sa parution, il n’est désormais lu que par la communauté, plus maigre encore – et de plus, politiquement suspecte - des amateurs d'« histoire-bataille ». Livre de guerre, il l'est certes, mais surtout œuvre littéraire qui porte, dissimulées dans l'art d'écrire de son auteur, les clefs de la tragédie française du long vingtième siècle. 

    A force de l’entendre nous avions fini par le croire : l’histoire de France aurait pris fin en juin 40, la suite ne serait que simulacres, combats d’arrière-garde, un décorum entretenu à grand frais par un général mégalomane, le temps de solder les vestiges d’une grandeur passée. Bodard suggère autre chose : l’histoire de France ne se serait pas achevée en 40 mais seulement délocalisée ; elle ne concernerait plus le peuple français, demeuré convalescent de deux guerres mondiales, mais une minorité active, presque un happy few : le corps expéditionnaire. Celui-ci, aux prises, en pleine jungle, avec le Viet Minh,  ne serait pas une arrière-garde chargée de clôturer dignement l’histoire nationale mais une sentinelle aux avants postes d’un nouveau monde en gestation. 

    Et pourtant, cette histoire appartient bien à la France : s’y est déployé tout l’éventail de son art militaire; s’y est également exprimé, sans doute pour la dernière fois, une manière très française d’aborder les catastrophes avec courage et légèreté. Bodard explore un angle mort de l’histoire nationale, en exhume un monde englouti, une foule de personnages complexes, de portraits aux nuances dévastés par l’opprobre et l’oubli. La guerre d’Indochine révèle une veine souterraine de notre histoire qui n’a cessé de nous travailler et rend intelligible le devenir du pays sur plusieurs générations. Un classique donc, au sens que lui prête Georges Steiner : un livre qui « nous lit plus que nous le lisons», « met au défi nos ressources de conscience, d’intelligence, d’esprit et de corps »[2].

    Bodard, c’est d’abord un point de vue : celui d’un européen expatrié qui a grandi en Chine où son père fut nommé Consul jusqu’en 1924. Cette histoire personnelle lui permet à la fois une compréhension instinctive de l’Asie et un regard distancié sur ses compatriotes dont il assiste à l’égarement dans un monde qu’ils s’obstinent à ne pas comprendre. C’est aussi une méthode de journalisme : « Rien n’est exact mais tout est vrai »[3]. Le reporter Bodard interprète, ressent les nouvelles plus qu’il ne s’attache à leur précision factuelle, s’intéresse autant aux mobiles profonds de l’action qu’à l’action elle-même. La guerre d’Indochine une grande fresque de caractères : figures de la pègre de Saïgon, hauts gradés de l’état-major, fonctionnaires, prostituées, peuple des rizières, tout retient son attention, convaincu que chacun peut être amené à jouer un rôle décisif dans cette tragédie dont l’essentiel se joue dans la jungle, les bas-fonds, les marges, la pénombre. La réalité se comprend, ou plutôt se décrypte, à travers des signes, des symboles et des faits occultes. Pour Bodard, la guerre d’Indochine est une affaire d’initiés. Ce reportage obéit à une certaine conception de l’histoire, jamais théorisée, caractérisée par un rapport au temps tout asiatique : nonchalant, Bodard sait attendre, observer, laisser agir et parler ce qui lui permet d’appréhender le temps long et le rend inapte à toute croyance politique. Elle explique son rejet du maoïsme dont il pressent d’emblée les potentialités criminelles et qu'il perçoit avant tout comme l’ultime incarnation, sur un mode sénile et pourrissant, de la tradition impériale chinoise. Les intellectuels germanopratins ne lui pardonneront jamais. Par prudence, on le cantonnera dans la catégorie d’un prétendu sous-genre : celui du reportage de guerre, ou pire, du roman populaire version France Loisirs. Observateur fasciné mais jamais dupe, Bodard offre au lecteur, en même temps que le récit d’une incroyable aventure, une magistrale leçon de relativisme. 

     

    L’art français de la guerre à l’âge de la guerre subversive

    Cette fresque débute par l’après Diên Biên Phu : la capitulation de l’armée française et le défilé du Viet Minh à Hanoï. Pourquoi commencer par la fin ? Sans doute car Bodard n’a jamais cru à une victoire française. La fonction de ce premier chapitre est paradoxale : assombrir d'emblée le récit afin de mieux laisser apparaître les raisons profondes de la défaite. 

    Longtemps, l’armée française a tenu le Viet Minh en mépris, éternel complexe du civilisé pour le supposé barbare, comme jadis l’armée romaine considérait les autres peuples. Surtout, elle dédaigne la guérilla à laquelle, encore très clausewitzienne, elle oppose la bataille décisive. En son sein un code de l’honneur, empreint de siècles de chevalerie, a toujours cours : « Un officier français se bat à visage découvert »[4]. Le soldat français n’a guère changé depuis l'été 1914 : il aimerait toujours mourir en gants blancs. Cette morale de l’allure sera exportée en pleine jungle par un état-major dépassé au moment même où le communisme triomphe en Chine. L’enlisement et L’humiliation racontent la confrontation de cette mythologie anachronique à la réalité. Le responsable de cette sclérose c’est le général Carpentier : uniquement préoccupé de sa carrière, enfermé dans le palais de Norodom, son esprit est toujours à Paris où il se perd dans un embrouillamini de complots. Sa guerre est politicienne. Il n'est qu'un intriguant de la IVème République portant uniforme. Il a une obsession : son rival le général Alessandri, connaisseur de l’Indochine, mégalomane et secret, qui planifie minutieusement l’attaque du territoire d’Ho Chi Minh, en pleine jungle. Lui seul a compris la vraie nature de l’ennemi, saurait le réduire en usant des méthodes adaptées. Carpentier va choisir le pourrissement pour l’entraver, le discréditer, refusera l’application de ces plans : ce sera le désastre de Cao Bang et l’évacuation honteuse de Langson, ce « Sedan d’Asie »[5]. Pourtant les premiers aggiornamentos du corps expéditionnaire s’effectuent dès cette époque dans de modestes forts en bois perdus dans la jungle où les soldats pratiquent une guerre féodale, lèvent l’ost dans une guerre de coups de main, d’embuscades, de sièges et d’espionnage. Mais leurs efforts n’intéressent pas « ceux d’en haut », encore moins la métropole qui ne sait que faire de l’Indochine.

    L’épisode De Lattre, auquel est consacré le troisième volume L’aventure, sera « la dernière épopée romantique, la plus prodigieuse des temps modernes »[6] . Le général Jean De Lattre de Tassigny n’est pas seulement extraordinaire : c’est le pouvoir charismatique à l’état pur, capable en quelques semaines, d’amener à la victoire un corps expéditionnaire au bord de l’effondrement. Il est, jusqu’à la caricature, l’incarnation de la toute-puissance de la volonté. C’est le grand homme et son théâtre à l’ère du déterminisme économique et de la mystique des masses, un miracle d’anachronisme. De Lattre est un symbole : à lui seul il entretient l’illusion d'une France victorieuse, qui serait enfin à la hauteur des défis du siècle : n’a-t-il pas commandé la campagne Rhin et Danube ? Ne fut-il pas le seul général français présent à la capitulation de l'Allemagne ? Grâce à lui, le corps expéditionnaire aura sa dose de panache; il en sortira exalté mais dupe de lui-même, plus aveugle encore sur la nature profonde de l’adversaire. Bodard distingue les failles du « système du Roi Jean ». De Lattre ignore qu’il affronte un nouveau type d’homme, très proche de l'insecte. C’est toute l’ambiguïté de son succès : il sait galvaniser ses hommes mais, dans le même mouvement, les maintient dans leurs limites. Bodard laisse deviner que, face à Giap, il est déjà un homme d’une autre époque, comme l’était François 1er face à Charles Quint lors du désastre de Pavie. Il a peur de la jungle.  

    Lui aussi en est resté à l’école de Clausewitz. La victoire de Vin Yeh est un malentendu : s’il écrase le Viet Minh, c’est parce que Giap, grisé par son succès de Cao Bang, s’est risqué à l’affrontement à découvert, en plein jour, dans une bataille rangée classique dont rêve l’armée française depuis le début des hostilités. Les victoires suivantes, Mao Khé, Dong Trieu seront laborieuses, sournoises, terroristes, nocturnes. Si De Lattre est du côté de Clausewitz, Giap, lui, applique scrupuleusement Les principes de la guerre révolutionnaire  de Mao. En caricaturant : De Lattre c’est la force, Giap, la ruse ; à travers eux, Achille et Ulysse poursuivent leur impossible dialogue.

    Disciple de Clausewitz, De Lattre sait aussi que la guerre doit toujours être subordonnée à des objectifs politiques ; il souhaite donner au conflit indochinois le même retentissement que la guerre de Corée afin d’obtenir de la métropole et surtout des Américains, les moyens matériels nécessaires à la lutte. De Lattre est également, en bon machiavelien, un grand réaliste. D’emblée, il perçoit l’importance du rôle des journalistes : « A quoi bon remporter des victoires si l’univers les ignore  ?»[7]. Il comprendra également l’enjeu crucial de la vietnamisation du conflit, œuvrera à la création d’une armée patriotique en Cochinchine. Ce sera l’occasion d’un fameux discours : « Soyez des hommes, c’est-à-dire, si vous êtes communistes, rejoignez le Viet Minh, il y a là-bas des individus qui se battent bien pour une cause mauvaise. Mais, si vous être des patriotes, combattez pour votre patrie, car cette guerre est la vôtre. […] D'entreprise plus désintéressée, il n’en avait pas eu pour la France depuis les croisades. »[8] Il n’est pourtant pas un croisé, les croisés - ou plutôt, les scouts - ce seront les américains, qui, dédaigneux du machiavélisme français, débarqueront en Indochine la conscience farcie de moraline. Ils en reviendront traumatisés. Le général français comprend immédiatement l’arrière-plan chinois du conflit mais ne connaît pas la vraie nature du maoïsme qui est « l’inhumanité totale, la puissance absolue, insondable, comme métaphysique, de la volonté, de la haine, de la dissimulation. »[9]  Il ne comprend pas le fanatisme. Il ignore la toute-puissance de l’horreur qui brisera un certain colonel Kurtz, 20 ans plus tard.

    Le principal adversaire du corps expéditionnaire, c’est l’altérité. La France pense selon les schémas stratégiques occidentaux alors qu’il lui faut conduire une guerre asiatique, c’est-à-dire une guerre cérébrale : « Dans ces combats, tout n’est que raffinement, trésors de stratégie intellectuelle, jeu de patience Les Viets déploient une extraordinaire logique de calcul et de prévision… » Selon Bodard : «  La bonté est seulement l'effet d’un raisonnement, la cruauté aussi »[10]. La torture, à condition de rester parfaitement proportionnée participe de la civilisation. Elle est seulement condamnée quand elle est injuste car révélatrice d’un manque d’intelligence. La cruauté en Asie est une science exacte. Elle n'est pas l’expression de la haine car elle ne sépare pas mais au contraire rapproche, elle peut être une forme de dialogues entre guerriers, un « vaste compagnonnage ». Le Viet Minh mène une guerre subversive et applique ce précepte de Mao : l’armée révolutionnaire doit « être dans la population civile comme un poisson dans l’eau ». La foule asiatique est un atout décisif : « Vous me tueriez dix hommes que je vous en tuerai un. Mais même à ce compte-là, vous ne pourriez pas tenir, et c’est moi qui l’emporterai… » [11]. C’est un harcèlement constant. Giap préconise d’ « Éviter l’ennemi quand il est fort, l’attaquer quand il est faible... » et « Quand l’ennemi avance, recule ; quand il recule, suis-le ; quand il est fatigué, attaque-le ; quand il fuit, poursuis-le. » 

    L'honneur et gloire sont absents du calcul, seule compte l'efficacité. Éviter L’autocritique généralisée génère un perfectionnement continu. Même le rapport au temps est autre : « Il importe peu à une armée révolutionnaire qu’une guerre dure dix ans, et il lui importe encore moins de battre en retraite. »[12] Et cette praxis militaire voit ses effets déchainés par la propagande du maoïsme devenu croisade manichéenne et messianique. C’est enfin une guerre du renseignement, de la trahison, dont le sort se joue partout : les arrières boutiques, les villages, les recoins des bidonvilles. C'est le monde des pièges et de l'enlisement. Contre ce monde insaisissable, liquide, De Lattre s'improvise disciple de Vauban et bâtit au pas de charge une longue muraille pour sanctuariser Hanoï. Bodard perçoit cette entreprise comme une tentative d’esquiver l’Asie. En vain. L'ennemi s’infiltre, ronge de l’intérieur la défense française. Les campagnes, plaine des joncs, rizières et forêts assiègent les Villes. Le Viet Minh n’est pas une armée de guérilleros arriérés mais une Sparte asiatique tentaculaire qui se déploie silencieusement dans la jungle et bientôt, la possède toute entière.

     

    « Indochine fatale, Indochine matrice de tout »[13]

    Depuis 1940, l’armée française sait qu’elle n’est plus au diapason du nouvel art de la guerre. L’Indochine fut le lieu où brillèrent les derniers feux de son art militaire avant sa mutation définitive. Le renoncement à la morale de l’allure sera son premier sacrifice ; suivra son consentement tardif à l’horreur du XXème siècle. A la fin de la guerre, la France sera de plein pied dans ce nouveau monde des guerres idéologiques. Longtemps, les Français paraîtront ne rien apprendre - à Cao Bang, ils sont décimés dans une cuvette, scénario qui se reproduira à l'identique trois ans plus tard à Dien Bien Phu – pourtant, ce conflit sera un moment d’innovations tactiques majeures : utilisation systématique des commandos paras, du napalm, organisation de maquis sous l’égide du SDECE, création de places forte ex nihilo sur les arrières de l'ennemi. La stratégie étant « une science de l’autre »[14], une partie de l’armée s’est donc mise à l’école du Viet Minh. A leur insu, ils sont devenus disciples de Wingate dont ils retrouvent les méthodes de la guerre asymétrique mais ajustée ici à la guerre populaire maoïste. 

    C’est l’âge d’or des irréguliers et des minorités actives : le général Salan, appelé « le chinois », amoureux de l’Indochine qu’il connaît depuis 1920, prend en compte les méthodes de Giap. Il édicte le premier précepte de la guerre contre révolutionnaire : « Séparer l’eau (la population) du poisson (les combattants)"[15]. Salan, mais également Chanson, Lacheroy, qui donnera à l’école de guerre une célèbre conférence consacrée à la guerre révolutionnaire. Ce sera également la naissance du mythe « para ». L’Indochine sera perdue et cet abandon laissera amère toute une génération de soldats, remâchant jusqu’à l’écœurement son « plus jamais ça ». La guerre d’Algérie sera le champ d‘application des méthodes contractées auprès du Viet Minh. Ce sera l’heure de Roger Trinquier et de sa « guerre moderne », manuel théorique de lutte contre l’infiltration terroriste des populations civiles; celle du capitaine Paul Alain léger, ancien d’Indochine lui aussi, qui détruira le FLN de l’intérieur; enfin viendra l'heure de Salan et de son embardée catastrophique: le putsch, l’OAS, l’opprobre, puis l’oubli.

    De cette mue souterraine, fruit de l’humiliation et de la souffrance, longtemps la métropole ne saura rien. Elle finassera, minimisera l'enjeu du conflit; elle osera même envoyer Herriot discourir pour les obsèques de De Lattre. Herriot, l'incarnation même de la politicaillerie de la IVème République, hommage dérisoire qui indignera de Gaulle. Rarement armée aura été si ignorée, méprisée voire haïe comme le prouvera l’accueil par les communistes des rescapés de Diên Biên Phu. Quand la métropole comprendra, elle en appellera à De Gaulle, pour, une nouvelle fois, trouver une issue honorable. Il sera trop tard, De Gaulle n’en imposera pas à cette armée qui en avait trop vu ; il n’a pas gagné de bataille, ne connaît pas la nouvelle guerre subversive et pour cause : il n’y était pas. Il serait presque dans la situation d’un émigré retrouvant l’armée après les campagnes napoléoniennes. Ce sera la querelle de famille la plus sinistre de l’histoire de France. De Gaulle, « soldat contrarié »[16] mais vrai politique, tranchera et avec une brutalité qui aujourd’hui encore trouble ses derniers admirateurs. A ses yeux, ces forcenés malgré eux, comme lui fils de la défaite de 1940, appartiennent trop à l'ancien monde. En outre, il ne veut pas d’une armée politisée mais d’un outil au service de la nation. Il y a sans doute une part de méchanceté chez de Gaulle, ce sentimental bafoué, méchanceté née de trop de déceptions. Le Général est fatigué de sauver les apparences, pour ne gagner que l’indifférence d’un peuple frivole et ingrat : « J’ai sauvé la face, mais la France ne suivait pas… […]Qu’ils crèvent ! C’est le fond de mon âme que je vous livre tout est perdu. La France est finie ; j’aurais écrit la dernière page. »[17]

    Chaque époque marginalise ceux dont elle n’a plus besoin. L’erreur du Général fut de croire qu’il pouvait se passer d’eux, qui, pour beaucoup, furent d’anciens compagnons d’armes. Et puis, ils en savaient trop. Alors, à dessein, il les rendit fous, les accula à l’irréparable afin de solder le temps des défaites dont ils étaient, malgré eux, les derniers représentants. Il s'agissait d’avoir les mains libres pour mener sa grande politique guidée par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, lutte anti impérialiste dont la France devait être la figure de proue. Elle resta à l’état d’esquisse faute d'hommes capables de la porter. Le Général finira parmi des banquiers et des petits bourgeois émancipés, ressassant un pathétique espoir de voir renaître, un jour, une « jeunesse française », puis s’égara dans la chienlit. La suite, nous la connaissons pour en vivre les ultimes développements : déclin pépère et festif, consentement enthousiaste au « grand remplacement », attente angoissée de la prochaine guerre civile.

    La guerre d’Indochine fut l’accélérateur de la tragédie française, l'amplification souterraine d'une onde de choc amorcée en juin 1940. Elle fut le moment d’un aveu : la France n’a plus les moyens de la puissance et doit renoncer jusqu’à ses apparences. L’essentiel, pour la première fois, s’est joué ailleurs, très loin, hors du champ de vision d’un peuple français devenue depuis 1940, étranger à sa propre histoire. Une lecture Maistrienne de ce drame est possible : Dieu prenant acte de la fatigue d’être soi des Français a, par l’histoire qui est une punition, réservé ses coups aux derniers vivants d’entre eux. L’acharnement de la Providence n’y fera rien : la guerre d’Indochine restera pour la France le plus beau de ses services inutiles ; et l'origine oubliée de ses plus inactuelles mélancolies. 

     Les idiots (Idiocratie, 2 juin 2024)

     

    Notes :

    [1] Michel CRÉPU, La confusion des lettres, Paris, Grasset, 1999, p.117.

    [2] George STEINER, Errata, Paris, Folio Gallimard, 1999, p.17.

    [3] Lucien Bodard cité par Olivier WEBER, Lucien Bodard, un aventurier dans le siècle, Paris, Plon, 1997.

    [4] Lucien Bodard, France soir, 5 mars 49, cité par Olivier WEBER.

    [5] Lucien BODARD L’enlisement, Paris, éditions Grasset et Fasquelle, 1963, p. 272.

    [6] Lucien BODARD L’humiliation, Paris, éditions Grasset et Fasquelle, 1965, p. 600.

    [7] Lucien BODARD, L’aventure, Paris, éditions Grasset et Fasquelle, 1967, p. 755.             

    [8] J. DALLOZ, La guerre d’Indochine, Paris, éditions du Seuil, p. 192.

    [9] Lucien BODARD, L’humiliation, op.cit., p.411.

    [10] cité par Olivier WEBER.

    [11] Giap cité par Olivier WEBER.

    [12] Giap cité par Olivier WEBER.

    [13] cité par Olivier WEBER.

    [14] Jean Vincent HOLEINDRE, La ruse et la force, Paris, Editions Perrin, 2017, p.390.

    [15] Pierre PELLISSIER, Salan, Quarante années de commandement, Paris, Editions Perrin, 2014, p.382.

    [16] Patrice DE GUENIFFEY, Napoléon et De Gaulle, deux héros français, Paris, Editions Perrin, 2017, p.163.

    [17] Ibid., p. 32.

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  • Ukraine : des frontières dans les drames de l'histoire...

    Dans cette émission de Fenêtre sur le monde, Jean-Baptiste Noé, directeur de la revue Conflits, revient sur les frontières qui, au cours de l'histoire, ont traversé le territoire actuel de l'Ukraine au gré des guerres et des expansions impériales.

     

                                             

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  • Bayard, le « bon chevalier »...

    Les éditions Perrin ont publié récemment une étude de Thierry Lassabatère intitulée Bayard, le « bon chevalier ». Thierry Lassabatère est docteur en histoire médiévale de l'université de Paris-Sorbonne.

     

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    " Fruit d'une enquête fouillée et minutieuse, ce livre nous restitue un Bayard renouvelé parce que plus authentique, y compris dans sa dimension légendaire, culturelle, et dans son rapport profond à son époque.
    Cette réalité nouvelle du héros est d'abord celle d'un portrait dressé au croisement des sources : littéraires, avec les premiers biographes du " bon chevalier " lus au plus près des textes selon leur rhétorique propre et leur dépendance à la tradition panégyrique du temps, mais aussi les chroniqueurs, poètes et penseurs français comme italiens ; administratives, notamment ces " montres et revues " militaires qui n'avaient jusque-là été exploitées par aucun biographe du " bon chevalier ". Une conclusion émane de ces lectures croisées : la conviction, sinon la preuve, que les exploits attribués à Bayard étaient souvent exagérés, voire " volés " à d'autres, mais toujours nourris d'événements réels.
    C'est donc un Bayard plus affermi et mieux affirmé qui renaît de ces pages. Un petit noble et grand soldat imitant en même temps les héros de roman chevaleresque à la mode, bien de son temps et de sa classe dans une société très normative, dont il incarne, comme tous ses compagnons d'armes, un crépuscule très collectif et très lent, qui s'amorçait à peine avec les guerres d'Italie. Un champion de l'équitation et de la joute qui se ferait un nom de guerre en remportant un duel d'honneur et en défendant des ponts – lors de la fameuse campagne du Garigliano, mais aussi à Pavie et lors de la fatale retraite sur la Sesia. Et qui, peut-être autant qu'à son exceptionnelle bravoure, devrait sa durable célébrité au talent littéraire des biographes issus de son entourage : son cousin Symphorien Champier et son secrétaire Jacques de Mailles. Cette biographie " culturelle " est aussi un hommage à ce trio d'exception. "

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