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  • Vers la guerre civile ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir, cueilli sur RussEurope et consacré à l'aggravation de la crise politique, sociale et économique et à ses conséquences possibles...

     

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    Vers la guerre civile ?

    Les nuages qui sont en train de s’accumuler sur la société française, et dont les crimes commis en janvier 2015 sont la manifestation la plus immédiate, traduisent une perte de repères généralisée. On peut rattacher cela à une forme d’anomie politique. Celle-ci se manifeste tant par la montée de comportements narcissique que par des dérives communautaristes. On voit bien que cette anomie politique est le produit de la crise, mais on comprend aussi que la crise n’est pas la seule, ni même la principale cause de cette anomie. Car, nous avons connu, dans le passé, d’autres crises économiques qui n’ont pas produit ces effets. Cette anomie politique n’est en réalité que la conséquence de la perte de souveraineté dont souffre notre pays.

    Du quantitatif au qualitatif

    Cette perte de souveraineté a été progressive, et c’est probablement pour cela qu’elle a tardé à se manifester. Aujourd’hui, l’accumulation de petits renoncements, de petites soumissions, a induit un véritable changement qualitatif. Cette perte de souveraineté ne se fait pas au profit d’un Etat particulier, mais au système bureaucratique qui s’est mis en place à travers l’Union européenne, de Bruxelles à Francfort. Elle est devenue évidente avec les événements de l’état 2015 en Grèce qui ont montré aux yeux de tous quelle était la véritable nature des institutions européennes et pourquoi ces dernières sont radicalement incompatibles avec toute forme de démocratie. Bien des yeux se sont dessillés à cette occasion. On comprend aussi que cette perte de souveraineté ne peut que favoriser le glissement, désormais de plus en plus rapide, vers un Etat collusif, prélude à la mise en place d’un Etat réactionnaire. Mais, cette perte de souveraineté peut aussi conduire à la guerre civile, qui sera alors l’occasion rêvée qu’attendent certains pour mettre en place cet Etat réactionnaire.

    Le drame que nous avons connu les 7 et 9 janvier 2015, les assassinats commis de Charlie Hebdo à l’Hyper-Casher, sont autant de témoignages que ces nuages commencent à laisser passer l’orage. Il nous faut nous y préparer. Paradoxalement, c’est dans notre propre passé que nous pourrons trouver les principes nous permettant de nous projeter dans l’avenir et de faire face aux orages et aux tempêtes qui viennent. Mais peut-être n’y a-t-il rien de paradoxal à cela. Ces réflexions du passé qui éclairent notre avenir ne sont que l’expérience accumulée des crises que la France a connues et a surmontées. La volonté d’effacer le passé que l’on devine dans certaines décisions prises sur les programmes d’enseignement, que ce soit à droite avec le désastreux ministère de Luc Chatel, comme à gauche, n’est pas ici innocente ni sans conséquences.

    Il convient ici de le redire, la France est, et a toujours été, diverse. La société n’est pas la produit d’une quelconque homogénéité, qu’elle soit culturelle, religieuse, linguistique ou économique. La société n’est même pas le produit de décisions conscientes d’individus qui lui préexisteraient. Les individus sont en réalité le produit de la société et la construction de cette dernière est simultanée avec la construction des individus. Mais, ce processus de construction historique a une histoire et une inertie. Cette dernière n’est autre que la culture politique qui s’est construite en même temps que l’Etat et qui incorpore la mémoire des grandes crises traversées. Cette culture politique, dont le droit à la caricature est un exemple, constitue pourtant un invariant dans le court terme. Nul ne peut prétendre impunément s’en dissocier ou la rejeter sans s’exposer lui-même à un phénomène de rejet. 

    L’origine d’une Tyrannie

    Les individus qui composent la société sont donc divers car les processus de production sont eux-mêmes divers. Par ailleurs, les mythes fondateurs de la société peuvent aussi être contestés, ce qui implique une nouvelle diversité. Mais cela ne fait que nous ramener à une évidence : la société est politique. C’est par le politique que se construit le lien social, et cette construction implique un redéploiement permanent du politique. Le mot si décrié, et si oublié, de dialectique ici s’impose. Entre l’individu et le collectif s’établissent des liens complexes qui sont irréductibles à la vision tragiquement simplifiée que veulent en donner les libertariens de tout bord. Cette vision de la société n’est pas alternative à d’autres. Elle s’oppose en réalité à toute vision de l’organisation sociale. La vision libertarienne conduit immanquablement à ce que Hobbes appelait « la guerre de tous contre tous », et concrètement à la guerre civile.

    Le rapport intime entre la société et le politique impose de regarder comment s’est produit cette construction dans chaque société. Car, le processus de construction de la société et aussi un processus de différenciation des sociétés. Plus les sociétés se construisent, plus elles produisent des institutions, et plus elles affirment leurs différences. Vouloir le nier, prétendre qu’il y aurait des feuilles blanches sur lesquels des esprits forts pourraient écrire une histoire sans tenir compte de l’histoire passée, est la meilleur recette pour conduire à des drames affreux dont le pire est la guerre civile. C’est pourtant à cela que tendent aujourd’hui les institutions européennes et l’idéologie européiste autour de concepts « hors-sol » niant la pertinence de la souveraineté et par là de la légitimité. Affirmons qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans peuple et que l’idée d’une « démocratie sans démos » n’est que le masque de la pire des Tyrannies. Il nous faut donc prendre garde à arrêter au plus vite cette inquiétante dérive. 

    La construction d’une société

    Le processus de construction de la société met aussi en évidence des formes dont on peut repérer la pertinence à travers les âges. Les anciens savaient qu’il n’y a pas de légalité sans légitimité, qu’en réalité c’est la seconde qui fonde la première. Des mythes grecs à la distinction romaine entre auctoritas et potestas il y a une leçon qu’il nous faut retenir. Mais, le fondement de la légitimité devient lui-même source potentielle de conflits dès lors que la pluralité des religions devient une réalité. C’est ce que révèle l’œuvre de Jean Bodin qui, dans un même mouvement, établit la suprématie du principe de souveraineté et le détache à jamais de tout lien avec une religion particulière. La seule réponse possible aux guerres de religions du passé ou à celles qui nous menacent, aux intégrismes des uns et des autres, aux lectures littérales, c’est l’union entre le principe de souveraineté et celui de laïcité. Mais, ceci implique la distinction entre sphère privée et sphère publique, distinction que l’idéologie actuelle prétend effacer. La parade ostentatoire des narcissismes, si elle est cohérente avec l’idéologie des libertariens, porte en elle la fin de la société démocratique.

    Un danger menace la société, que ce soit par l’accumulation de richesse qui est tellement extrême qu’elle en devient odieuse, ou par la corrosion sourde d’une idéologie individualiste qui ne produit désormais qu’un narcissisme exacerbé. Le politique se trouve aujourd’hui attaqué sur deux fronts, dans les formes de son fonctionnement mais aussi dans l’intimité de son rapport aux individus. Cette attaque du politique, et donc du cœur même de ce qui produit la société, a des conséquences importantes quant aux formes d’organisation de cette dernière. Cette double menace provoque en effet la crise de l’ordre démocratique qui, comme toute forme d’organisation, ne découle de nulle « loi naturelle » mais de l’expression d’une volonté collective. Dès lors, le futur ne semble nous promettre qu’un choix entre un retour à un ordre archaïque fondé sur des fantasmes d’homogénéité de la société ou un ordre despotique fondé sur lois « immorales ». 

    A nouveau sur le lien entre souveraineté et démocratie

    La remise en cause de la souveraineté et de la démocratie porte atteinte au plus profond de la nature de la société française. Certes, il peut y avoir des Etats souverains qui ne sont pas démocratiques ; mais on n’a jamais vus d’Etat démocratique qui ne soit pas souverain. Ce sont donc les fruits amers, mais sommes tout logiques, du processus de mondialisation et de construction de l’Union européenne.

    Prétendre que l’Union européenne aurait été conçue, peu ou prou, pour protéger les peuples contres les influences de la mondialisation comme le font ses thuriféraires est un mensonge éhonté. L’Union européenne a été en réalité à l’avant garde du mouvement qui défait les Etats au profit des grandes firmes multinationales. Elle n’est que l’héritière du projet américain qui fut conçu dans la guerre froide[1]. Elle se construit sur ce que Stathis Kouvelakis va, en se référant à un ouvrage relativement récent de Perry Anderson[2], décrire comme « …une mise à distance de toute forme de contrôle démocratique et de responsabilité devant les peuples est un principe constitutif du réseau complexe d’agences technocratiques et autres collèges d’experts qui forme la colonne vertébrale des institutions de l’UE. Ce qu’on a appelé par euphémisme le « déficit de démocratie » est en fait un déni de démocratie »[3].

    L’union européenne est en réalité un espace bien trop hétérogène pour que l’on puisse penser, comme l’évoque Arnaud Montebourg ou d’autres, à un protectionnisme « européen ». Il ne peut y avoir de Souveraineté, et donc de démocratie, à l’échelle européenne car il n’y a pas de peuple européen. De ce constat découle le fait que ce qui peut exister, et fonctionner, à l’échelle européenne ce sont des coopérations multilatérales. Elles sont absolument nécessaires pour pouvoir traiter de nombreux problèmes mais elles ne seront jamais suffisantes. 

    Reconstruire l’ordre démocratique

    Il nous faut donc nous atteler à la reconstruction de cet ordre démocratique et nous devons le faire en regardant les causes de sa crise et non point seulement ses conséquences. Pour ce faire, il faudra nécessairement une profonde recomposition des forces politiques. Il y a certes de nombreuses personnalités dans les partis qui sont ou qui ont été au pouvoir qui sont convaincues de la nécessité de formes de protection de l’économie française ainsi que d’une dépréciation forte de la monnaie. On sait que cela n’est en réalité possible que dans le cadre d’une sortie de l’Euro et d’un retour au Franc. Mais, ces partis sont constitués de telle manière que la « direction » de ces derniers, un groupe réduit d’hommes et de femmes, opèrent de manière quasi indépendante de ce que pense et la base et les cadres intermédiaires de ces partis mais en profonde et parfois directe connivence avec des intérêts privés et leur expression dans les grands médias. C’est ce que l’on a appelé l’Etat collusif qui n’est qu’un étape dans la marche vers l’Etat réactionnaire.

    Ces « directions » ne s’appuient pas seulement sur les institutions internes propres à leurs organisations, mais aussi sur des réseaux de clientélisme et des phénomènes importants de corruption, pour construire leur indépendance par rapport à leurs mandants. Ajoutons à cela une politique de pressions et de dénigrement systématique de tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Au total, le niveau de démocratie dans ces partis se révèle très inférieur à ce qu’il est dans le système politique en général. Il faudra donc en passer par un éclatement et une recomposition de ces partis, en espérant que les partisans du recouvrement de la souveraineté nationale sauront s’unir ou à tout le moins travailler ensemble. Le processus d’éclatement est, semble-t-il, en marche dans ces partis du pouvoir.

    Celui de recomposition risque de se faire attendre. Le plus vite il se concrétisera, le mieux cela sera pour le pays. 

    Eviter la guerre civile

    La refondation de l’ordre démocratique est aujourd’hui, ici et maintenant, la seule démarche qui soit porteuse d’avenir et de paix civile. C’est la perspective qui apporte le plus de garanties au maintien d’une société qui soit relativement pacifiée et en conséquences, stabilisée. C’est pourquoi, aujourd’hui, la défense de l’ordre démocratique et de ses fondements, la souveraineté et la laïcité, prend la dimension d’un impératif catégorique. C’est pourquoi aussi une telle tache implique que l’on accepte de mettre temporairement de côté certaines divisions, qui sont tout à fait légitimes par ailleurs. L’ampleur de la tache implique que l’on pense les formes politiques d’une coordination dans le combat commun. C’est cela la logique des « fronts » que, par ignorance de l’Histoire, par sectarisme politique ou plus simplement par stupidité, certains s’emploient à refuser.

    Mais, cette refondation peut imposer ou impliquer des éléments de populisme. Pour combattre la tendance spontanée des bureaucraties à produire des lois sans se soucier de leurs légitimités, le recours à des éléments de légitimité charismatique s’impose. C’est le sens de la réintroduction, sur des questions essentielles, des procédures référendaires qui relèvent en partie de cette forme de légitimité. Surtout, il convient de se rappeler que les pouvoirs dictatoriaux, dans leur sens initial et non dans le sens vulgaire qu’a pris le mot de « dictature », font partie de l’ordre démocratique. Il ne faudra donc pas que notre main tremble, que l’action de tous soit interrompue, quand se posera la question de l’abrogation de lois prises dans des conditions certes légales mais entièrement illégitimes.

    La boussole en ces temps incertains devra être comme toujours la défense de la souveraineté de la Nation, et le rassemblement autour de son souverain, c’est à dire le peuple. La nature de ce dernier est en effet claire. Elle est toute entière dans cette magnifique formule héritée de la Révolution Française qui dit que la démocratie est le gouvernement « du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais il convient d’affirmer que le peuple est conçu comme un ensemble politique soudé autour du bien commun, soit de la Res Publica. C’est cela, et cela seul, qui sera notre viatique pour affronter les tempêtes à venir.

    Jacques Sapir (RussEurope, 4 octobre 2015)

    Notes :

    [1] Ce qui fut déjà analysé par J-P. Chevènement La faute de M. Monnet, Paris, Fayard, 2006.

    [2] Anderson P. Le nouveau vieux monde, Marseille, Agone, 2011 (en anglais The New Old World (2009) Londres, Verso).

    [3] Kouvelakis S., in C. Durand (sous la direction de), En Finir avec l’Europe, Paris, La Fabrique, mai 2013, p. 51

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  • Feu sur la désinformation... (61)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours d'Olivier.

    Au sommaire :

    • 1 : La France, pays de « race blanche », Morano persiste et signe.
    • 2 : Le zapping d’I-Média.

    • 3 : Libé, « Oui nous sommes bien-pensants » et alors? ».
    • 4 : Tweets d’I-Média.
    • 5 : Coup de chapeau à Faits & Documents.

     

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  • De Gaulle ne partageait pas le rêve assimilationniste et universaliste...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 1er octobre 2015 et consacrée à De Gaulle et à sa vision des Français comme « un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne »...


    "Tout le monde en France a été, est ou sera... par rtl-fr

     

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  • Hollande et les ambassadeurs ou les sophismes du « rayonnement »…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Richard Labévière, cueilli sur le site des Observateurs et consacré à la politique diplomatique de François Hollande. Ancien rédacteur en chef à Radio France internationale et à la Télévision suisse romande, Richard Labévière est spécialiste des relations internationales et des questions de défense.

     

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    Hollande et les ambassadeurs ou les sophismes du « rayonnement »…

    Le 25 août dernier, François Hollande a ouvert la 22ème conférence des ambassadeurs. Chaque année à même époque, ce rendez-vous traditionnel marque la rentrée de la diplomatie française et donne l’occasion au président de la République de développer sa vision de l’état du monde et de fixer ses priorités.

    Sans surprise, François Hollande s’est d’abord conformé aux contraintes de calendrier en appelant les diplomates français à une totale mobilisation en vue de la prochaine réunion sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre prochain. Son deuxième objet était tout aussi attendu : « la planète n’est pas seulement menacée par le réchauffement climatique, elle est confrontée à un terrorisme qui n’a jamais atteint ce niveau de barbarie, ni cette gravité depuis des décennies ». Escortant les reconfigurations du monde depuis la fin de l’empire romain, la notion de « barbarie » est-elle la plus appropriée pour qualifier et comprendre les dernières mutations de la menace terroriste ? Et, rappelant que la France avait été elle-même frappée en janvier dernier et encore tout récemment, le Président s’est félicité d’une réaction de « sang froid » ayant suscité une « solidarité internationale exceptionnelle, parce que la France représente pour le monde entier la liberté ». 

    Chacun se souvient, en effet, de la marche républicaine du 11 janvier 2015, qui s’est déroulée en l’absence du secrétaire d’Etat américain John Kerry mais où plastronnaient, au premier rang et au coude-à-coude avec le Président, Benyamin Netanyahou et le premier ministre turc Ahmet Davutoglu notamment, tous deux bien connus pour leur défense continue de la démocratie et des droits humains… Quant à la représentation universelle de la liberté, on pourrait demander à Georges Ibrahim Abdallah, entre autres, ce qu’il en pense !

    Cela dit, François Hollande prévient que « nous devons nous préparer à d’autres assauts et donc nous protéger… » Comme ses homologues occidentaux qui parlent de terrorisme, il évite soigneusement de remonter aux causes, se cantonnant à la description d’effets largement connus : « Dae’ch est le plus grand danger. Cette organisation contrôle un vaste territoire, en Syrie, en Irak, dispose de ressources importantes liées à des trafics de toutes sortes, à des ramifications sur l’ensemble du globe. Cette organisation enrôle, endoctrine, encadre pour tuer à une plus grande échelle. Les Musulmans sont ses premières victimes en Irak, en Syrie, au Koweït, en Lybie, mais les minorités sont systématiquement pourchassées et martyrisées ».

    Suit une analyse sidérante, reprenant tous les poncifs et les erreurs d’une posture inaugurée sous Nicolas Sarkozy par la fermeture de l’ambassade de France en mars 2012 à Damas : « en Syrie, le monde a mis beaucoup de temps à réagir, trop de temps. A l’été 2012 la France avait donné l’alerte, et s’était d’ailleurs, dès le départ, déclarée en soutien de l’opposition syrienne. J’étais même le premier à la considérer comme la seule représentante légitime du peuple syrien. Un an plus tard, nous étions prêts à punir un régime qui avait utilisé, il n’y avait aucun doute là-dessus, des armes chimiques contre sa population. L’inaction de la communauté internationale, après qu’une ligne rouge a été délibérément franchie, a coûté cher, très cher ; Dae’ch, qui n’existait pas alors sous cette forme en Syrie, s’est installé et Bachar al-Assad a continué à massacrer son peuple ».

    Premier mirage : celui d’une « opposition syrienne » représentée à Paris par quelques Happy Few francophones rêvant tous de devenir ministres grâce à l’appui des Frères musulmans syriens financés par le Qatar. Deuxième illusion : considérer une bande de bras cassés et d’idéologues opportunistes comme « seule représentante légitime du peuple syrien » était aller un peu vite en une besogne rappelant furieusement les bévues commises avec le CNT (conseil national de transition libyen), dont on a pu très vite apprécier la modération et le respect inné des valeurs démocratiques. Troisième curiosité : François Hollande prêt à « punir » le régime de Damas ! Punir  avant de surveiller? Mais comment surveiller, puisque l’ambassade fermée, les anges gardiens de nos services spéciaux ne mettaient plus un pied en Syrie, dépendant exclusivement des sources du renseignement américain, turc et saoudien pour « établir » que l’affreux dictateur avait fait usage, et lui seul, d’armements chimiques. Ce dernier point constitue l’erreur factuelle la plus flagrante, démolie définitivement par nombre d’experts internationaux. Enfin, et il faut le répéter ici,  Bachar al-Assad était loin d’être le seul à « massacrer » : il était confronté dès l’été 2012 à une véritable guerre civilo-régionale dans laquelle la France s’était engagée comme juge et partie prenante aux côtés de groupes armés « laïcs et modérés » comme l’Armée syrienne libre, antichambre de Jabhat al-Nosra, c'est-à-dire Al-Qaïda en Syrie, dont des représentants étaient reçus à l’Assemblée nationale… Ainsi avons-nous basculé de la « politique arabe » du Général de Gaulle et de François Mitterrand à une « politique sunnite de la France », multipliant par dix, ce faisant, nos ventes d’armes aux ploutocraties pétrolières du Golfe !

    Après un tel enchaînement de contre-vérités, le Président se demande que faire ? Réponse tout aussi affligeante : « nous devons réduire les emprises terroristes sans préserver Assad, car les deux ont partie liée, et en même temps il nous faut chercher une transition politique en Syrie, c’est une nécessité. Le Conseil de sécurité l’a reconnu en adoptant la semaine dernière une déclaration, c’était la première depuis deux ans. Elle va dans la bonne direction et c’est un pas important. La Russie s’y est associée, et un dialogue peut donc être engagé. Il faut en fixer les conditions. La première, c’est la neutralisation de Bachar al-Assad, la seconde c’est d’offrir des garanties solides à toutes les forces de l’opposition modérée, notamment sunnite et kurde et de préserver les structures étatiques et l’unité de la Syrie. Enfin, la dernière condition, sans doute celle qui sera décisive, c’est de mêler toutes les parties prenantes à la solution. Je pense aux pays du Golfe. Je pense aussi à l’Iran. Je pense à la Turquie, qui doit s’impliquer dans la lutte contre Dae’ch, et engager, ou plutôt reprendre, le dialogue avec les Kurdes. J’appelle sur cette grande question, qui a eu un rôle important ces derniers mois, à une prise de conscience générale. »

    La fable qui consiste à établir une symétrie entre le régime syrien et Dae’ch en les considérant comme des « ennemis complémentaires », les deux faces d’un même processus, et surtout en osant attribuer l’émergence de l’organisation « Etat islamique » au seul Bachar al-Assad, insulte l’intelligence de tous les experts de cette région, même ceux du Quai d’Orsay dont les notes sont jetées avant d’être lues... Ceux-ci savent pourtant pourquoi et comment l’administration Obama, les services saoudiens et turcs, avec la complicité de leurs supplétifs européens, ont fabriqué Dae’ch, espérant ainsi tourner la page d’une Qaïda qui menaçait de récupérer les « révoltes » arabes : rappelons qu’à l’époque Washington cherchait à mettre en place les Frères musulmans dans la plupart des capitales de la région. Dans les années 80, les mêmes avaient inventé Ben Laden pour lutter contre l’armée soviétique en Afghanistan, sans pour autant assurer le service après vente de ce Frankenstein qui finirait par se retourner contre ses créateurs !

    Quant à la dernière résolution du Conseil de sécurité dont se félicite le Président parce qu’elle a été aussi approuvée par les Russes, elle instaure différents groupes de travail, chargés de réactiver les propositions de Genève I et II en vue d’une négociation politique. A ce propos, le représentant spécial de l’ONU Staffan de Mistura a rappelé à plusieurs reprises que « Bachar al-Assad fait partie, de fait, de la solution… » A aucun moment, cette résolution ne propose « la neutralisation de Bachar » comme le prétend François Hollande, qui nous ressert son « opposition modérée », cette opposition qui n’existe pas ! Quant à la protection des minorités, dimension incompressible de la crise syrienne, c’est encore plus fort de café : le Président français se tourne vers l’Arabie saoudite qui finance l’islamisme radical depuis plus de trente ans et vers une Turquie qui massacre allègrement des Kurdes pourtant engagés en première ligne contre les fêlés de Dae’ch… Aujourd’hui seulement, il est contraint d’associer un Iran revenu dans le concert des nations après l’accord de Vienne sur le nucléaire (14 juillet dernier) ; accord contre lequel Laurent Fabius s’est battu jusqu’au bout en se faisant le petit télégraphiste des intérêts israéliens ! La « prise de conscience générale » à laquelle nous invite François Hollande rejoint le concert des névroses de la plupart de ses partenaires internationaux.

    Après les mièvreries humanistes obligées à propos d’un terrorisme « qui nous concerne tous », le Président nous dit le plus sérieusement du monde que « l’intervention militaire en Libye était nécessaire… » ! Là encore, méprisant toute logique de causes à effets, il se livre à un long développement sur « des crises migratoires qui ont atteint un niveau qui n’a pas d’équivalent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale », appelant ses partenaires européens à « une répartition équitable des réfugiés ». Les rédacteurs de ce discours évitent soigneusement toute espèce de lien entre « l’intervention militaire nécessaire », et l’implosion d’une Libye désormais livrée aux seigneurs de la guerre, aux factions jihadistes et autres officines mafieuses, organisatrices de ces meurtrières migrations du désespoir. Citant une dizaine de fois, sur tous ces sujets, la chancelière allemande Angela Merkel, François Hollande se garde de la plus petite ambition politique, qui permettrait –et ce serait bien le moins-, d’associer l’Union européenne, l’Union africaine et la Ligue arabe, afin d’évaluer sérieusement les mécanismes d’aide au développement et de coopération avec l’ensemble des pays concernés par ces migrations.

    Concernant le dossier palestinien, le Président nous ressert la même soupe qui renvoie les « extrêmes dos à dos », comme s’il y avait une symétrie entre la résistance palestinienne et l’occupation et la colonisation israéliennes. Et il souligne une nouvelle fois la « relation de grande confiance » établie avec l’Arabie saoudite et tous les Etats du Conseil de coopération du Golfe.

    Quant à l’Ukraine : retour à Madame Merkel « avec laquelle nous avons tout fait pour éviter que ne dégénère la crise ». Le Président concède que ce dossier a des effets délétères sur le plan politique : « les relations entre la Russie et l’Europe sont gelées, au plan économique, avec des sanctions qui ont des conséquences pour les Russes, mais aussi pour les Européens. Nous le voyons bien en matière agricole et sur le plan humanitaire, avec une situation qui ne cesse de se dégrader ». Il ajoute que « la France veut néanmoins maintenir un dialogue sincère avec la Russie, voulant agir en toute indépendance ». Et pour bien appuyer l’affirmation de cette « indépendance », il explique qu’il était parfaitement légitime de suspendre la livraison des BPC (porte-hélicoptères de projection et de commandement) de type Mistral à la Russie, alors qu’on multipliait les ventes de Rafale, de frégates et de missiles à l’Arabie saoudite et autres paradis démocratiques !

    Passons sur la fiction d’une Union européenne monétaire renforcée par la crise grecque, avant la chute qui exhorte nos Excellences : « nous sommes encore une des rares nations au monde capable de donner une direction, de prendre des initiatives, d’engager des processus, d’éviter parfois le pire et de trouver des solutions. Notre pays a vocation à assurer son rayonnement, mais aussi ses intérêts économiques et sa sécurité. C’est parce que nous sommes conscients de nos responsabilités que nous devons encore travailler pour assurer le rayonnement de la France ». La conscience, encore ! Quant au rayonnement, qui renvoie à la « brillance » plutôt qu’à la vérité et à l’action, le vieux Platon dit que les sophistes en abusent pour égarer la jeunesse…

    Richard Labévière (Les Observateurs, 2 septembre 2015)

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  • Être ou ne pas être gaullien ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Bertrand Renouvin, cueillie sur son blog et consacrée aux principes qui ont fondé la politique de De Gaulle et qui conservent toute leur actualité.

     

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    Être ou ne pas être gaullien

     

    Les chansons de geste ont leur charme mais, dans l’ordre politique, elles troublent la réflexion. Il faut se méfier du gaullisme de glorification – comme du légendaire monarchique. Présenter Charles de Gaulle comme un héros digne de l’antique, c’est encourager les dirigeants à la médiocrité. Ecoutons-les : ils sont lucides, et humbles ; ils ne sauraient prétendre à tant de grandeur ; leur courage est d’assumer petitement les petitesses du quotidien ! Les facilités de la psychologie doivent être tout aussi résolument écartées : le Caractère, l’Orgueil, la Volonté… n’expliquent rien car il faut distinguer, quand on s’intéresse aux hommes d’Etat, la personne et le personnage. Il est enfin évident que la carrière, aussi brillante soit-elle, ne prédestine pas. En juin 1940, plusieurs personnalités peuvent jouer un rôle de premier plan : Léon Blum, Georges Mandel, le général Noguès qui commande les forces françaises en Afrique du Nord, le général Catroux qui a été gouverneur général de l’Indochine française de juillet 1939 au 25 juin 1940 et qui a plus d’étoiles à son képi que le général de Gaulle…

     

    Pourquoi Charles de Gaulle ? Régis Debray donne la clé : parce que c’est « le dernier homme d’Etat ouest-européen qui ait pris la puissance de l’esprit au sérieux » (1). Le Général n’est pas un intellectuel et l’intellectualité comme l’intellectualisme ne sont pas gage de rectitude : de grands intellectuels, qui plaçaient la nation plus haut que tout – Charles Maurras, pour ne citer que lui – se sont fourvoyés dans le pétainisme. De Gaulle n’a pas lu beaucoup de livres de doctrine mais on n’a pas besoin de doctrine, et encore moins d’idéologie, lorsqu’on a une pensée. Mieux : De Gaulle a une pensée adéquate. Mieux encore : De Gaulle est l’homme d’une pensée en acte – qui se traduit par des actes et qui est elle-même en mouvement. La pensée gaullienne est ordonnée à la France, nation historique plus que millénaire – le Général lui attribue généreusement 1 500 ans. Son « idée de la France » est une idée incarnée et instituée, une réalisation qui ne s’accomplit que dans et pour la liberté. Cela signifie que la France n’est la France que dans l’indépendance, que l’indépendance s’obtient par l’acte d’un pouvoir souverain qui se légitime par le service de la patrie – de son unité, de sa sécurité – et par le consentement populaire. Etre gaullien, c’est lier, indissolublement, le principe de souveraineté et le principe de légitimité. C’est juger, par conséquent, que le reniement de ces principes et les compromis sur ces principes mettent en péril l’existence même de la France.

    En juin 1940, tout est à reconstruire face à Vichy : l’armée française, la souveraineté, le gouvernement. Cela se fait par la « puissance de l’esprit », selon une démarche méthodique déjà exposée dans La France et son armée : « Grandir sa force à la mesure de ses desseins, ne pas attendre du hasard, ni de ses formules, ce qu’on néglige de préparer, proportionner l’enjeu et les moyens : l’action des peuples, comme celle des individus, est soumise à ces froides règles. » Les principes sont indispensables, la méthode est nécessaire mais cela ne suffit pas : il faut encore réussir à incarner la légitimité en « incorporant l’unité et la continuité nationale quand la patrie est en danger » (2). C’est un travail sur soi-même, très difficile et douloureux : être gaullien, c’est se détacher de soi sans se prendre pour la France. Il faut sacrifier une grande partie de sa vie privée pour devenir le serviteur de la nation. Charles de Gaulle réussit ce tour de force en juin 1940 et c’est pour cela que ses compagnons d’armes le reconnaissent comme chef. Le général Catroux a le mot juste lorsqu’il déclare se rallier au « Connétable » : le connétable n’est pas le roi mais l’homme qui a en charge la défense du royaume. Ce n’est pas la personne privée qui incarne, mais le personnage public. Et c’est le fait d’être dépassé par son personnage qui décuple le courage physique, l’audace diplomatique, l’endurance face aux déceptions, aux intrigues et aux trahisons dont De Gaulle, comme tous les hommes d’Etat, fut accablé (3).

    Un homme d’Etat, « …c’est un homme capable de prendre des risques », disait le Général. Cette prise de risque est étrangère au calcul du carriériste et au culot de l’aventurier. Elle est proportionnée à l’enjeu politique selon la dialectique du faible et du fort. Régis Debray rappelle ce dialogue de 1942 :

    -  Churchill : « Faites comme moi, Général, je plie devant Roosevelt, et puis je me relève ».

    -  De Gaulle : « Je suis trop pauvre, je ne puis ».

     

    Etre gaullien, c’est cultiver l’intransigeance parce que l’intransigeance est la force du faible. Cette intransigeance s’appuie sur des principes politiques intangibles – la souveraineté, la légitimité – et se manifeste par une mise en jeu de sa personne et de la collectivité qu’on représente. Cette mise en jeu est angoissante et la plupart des hommes politiques préfèrent invoquer les « contraintes » qui ne justifient rien mais assurent le confort de la soumission. Pendant la guerre, le Général ne cesse de prendre les risques méthodiques, raisonnés, qui permettent de se libérer des prétendues contraintes. Après 1958, il comprendra immédiatement la stratégie nucléaire de dissuasion du fort par le faible selon le risque et l’enjeu et, disposant de la puissance de l’Etat souverain, il pourra mener une politique étrangère indépendante marquée par la chaise vide à Bruxelles, la sortie du commandement intégré de l’Otan, le discours de Phnom Penh…

    La radicalité gaullienne est sans faille tant que le Général incarne le projet national. La radicalité de la gauche de la gauche est dans le discours, non dans l’acte. Cela tient aux faiblesses de la pensée qui inspire ce discours : méfiance à l’égard des pouvoirs institués, rejet du principe de légitimité, volonté d’abolir la souveraineté nationale dans une « internationale » mythique depuis longtemps résorbée dans l’européisme banal. Fondamentalement, la gauche radicale récuse la radicalité gaullienne. Comme nous venons de le voir en Grèce, sa « culture de gouvernement » est viciée par l’esprit de compromis qui noie les grands principes dans la boue du moindre mal. Elle subira de nouvelles défaites si la capitulation d’Alexis Tsipras ne lui sert pas de leçon.

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 1er août 2015)

     

    Notes :

    (1)    Régis Debray, A demain de Gaulle, Gallimard, 1990.

    (2)    Mémoires d’Espoir, I, Le Renouveau. Cette citation comme la précédente est tirée de l’excellent ouvrage de Jean-Luc Barré, Devenir de Gaulle, 1939-1943, Perrin, 2003. Cf. mon article sur ce blog : http://www.bertrand-renouvin.fr/devenir-de-gaulle/

    (3)    Le 15 juin 1943, le Général, qui est à Alger, en pleine affaire Giraud, écrit à sa femme : « Tu ne peux pas te faire une idée de l’atmosphère de mensonges, fausses nouvelles, etc. dans laquelle nos bons alliés et leurs bons amis d’ici – les mêmes qui leur tiraient naguère dessus – auront essayé de me noyer. Il faut avoir le cœur bien accroché et la France devant les yeux pour ne pas tout envoyer promener… ». Cité par Jean-Luc Barré, op. cit. page 344.

    Les chansons de geste ont leur charme mais, dans l’ordre politique, elles troublent la réflexion. Il faut se méfier du gaullisme de glorification – comme du légendaire monarchique. Présenter Charles de Gaulle comme un héros digne de l’antique, c’est encourager les dirigeants à la médiocrité. Ecoutons-les : ils sont lucides, et humbles ; ils ne sauraient prétendre à tant de grandeur ; leur courage est d’assumer petitement les petitesses du quotidien ! Les facilités de la psychologie doivent être tout aussi résolument écartées : le Caractère, l’Orgueil, la Volonté… n’expliquent rien car il faut distinguer, quand on s’intéresse aux hommes d’Etat, la personne et le personnage. Il est enfin évident que la carrière, aussi brillante soit-elle, ne prédestine pas. En juin 1940, plusieurs personnalités peuvent jouer un rôle de premier plan : Léon Blum, Georges Mandel, le général Noguès qui commande les forces françaises en Afrique du Nord, le général Catroux qui a été gouverneur général de l’Indochine française de juillet 1939 au 25 juin 1940 et qui a plus d’étoiles à son képi que le général de Gaulle…

    Pourquoi Charles de Gaulle ? Régis Debray donne la clé : parce que c’est « le dernier homme d’Etat ouest-européen qui ait pris la puissance de l’esprit au sérieux » (1). Le Général n’est pas un intellectuel et l’intellectualité comme l’intellectualisme ne sont pas gage de rectitude : de grands intellectuels, qui plaçaient la nation plus haut que tout – Charles Maurras, pour ne citer que lui – se sont fourvoyés dans le pétainisme. De Gaulle n’a pas lu beaucoup de livres de doctrine mais on n’a pas besoin de doctrine, et encore moins d’idéologie, lorsqu’on a une pensée. Mieux : De Gaulle a une pensée adéquate. Mieux encore : De Gaulle est l’homme d’une pensée en acte – qui se traduit par des actes et qui est elle-même en mouvement. La pensée gaullienne est ordonnée à la France, nation historique plus que millénaire – le Général lui attribue généreusement 1 500 ans. Son « idée de la France » est une idée incarnée et instituée, une réalisation qui ne s’accomplit que dans et pour la liberté. Cela signifie que la France n’est la France que dans l’indépendance, que l’indépendance s’obtient par l’acte d’un pouvoir souverain qui se légitime par le service de la patrie – de son unité, de sa sécurité – et par le consentement populaire. Etre gaullien, c’est lier, indissolublement, le principe de souveraineté et le principe de légitimité. C’est juger, par conséquent, que le reniement de ces principes et les compromis sur ces principes mettent en péril l’existence même de la France.

    En juin 1940, tout est à reconstruire face à Vichy : l’armée française, la souveraineté, le gouvernement. Cela se fait par la « puissance de l’esprit », selon une démarche méthodique déjà exposée dans La France et son armée : « Grandir sa force à la mesure de ses desseins, ne pas attendre du hasard, ni de ses formules, ce qu’on néglige de préparer, proportionner l’enjeu et les moyens : l’action des peuples, comme celle des individus, est soumise à ces froides règles. » Les principes sont indispensables, la méthode est nécessaire mais cela ne suffit pas : il faut encore réussir à incarner la légitimité en « incorporant l’unité et la continuité nationale quand la patrie est en danger » (2). C’est un travail sur soi-même, très difficile et douloureux : être gaullien, c’est se détacher de soi sans se prendre pour la France. Il faut sacrifier une grande partie de sa vie privée pour devenir le serviteur de la nation. Charles de Gaulle réussit ce tour de force en juin 1940 et c’est pour cela que ses compagnons d’armes le reconnaissent comme chef. Le général Catroux a le mot juste lorsqu’il déclare se rallier au « Connétable » : le connétable n’est pas le roi mais l’homme qui a en charge la défense du royaume. Ce n’est pas la personne privée qui incarne, mais le personnage public. Et c’est le fait d’être dépassé par son personnage qui décuple le courage physique, l’audace diplomatique, l’endurance face aux déceptions, aux intrigues et aux trahisons dont De Gaulle, comme tous les hommes d’Etat, fut accablé (3).

    Un homme d’Etat, « …c’est un homme capable de prendre des risques », disait le Général. Cette prise de risque est étrangère au calcul du carriériste et au culot de l’aventurier. Elle est proportionnée à l’enjeu politique selon la dialectique du faible et du fort. Régis Debray rappelle ce dialogue de 1942 :

    -  Churchill : « Faites comme moi, Général, je plie devant Roosevelt, et puis je me relève ».

    -  De Gaulle : « Je suis trop pauvre, je ne puis ».

    Etre gaullien, c’est cultiver l’intransigeance parce que l’intransigeance est la force du faible. Cette intransigeance s’appuie sur des principes politiques intangibles – la souveraineté, la légitimité – et se manifeste par une mise en jeu de sa personne et de la collectivité qu’on représente. Cette mise en jeu est angoissante et la plupart des hommes politiques préfèrent invoquer les « contraintes » qui ne justifient rien mais assurent le confort de la soumission. Pendant la guerre, le Général ne cesse de prendre les risques méthodiques, raisonnés, qui permettent de se libérer des prétendues contraintes. Après 1958, il comprendra immédiatement la stratégie nucléaire de dissuasion du fort par le faible selon le risque et l’enjeu et, disposant de la puissance de l’Etat souverain,il pourra mener une politique étrangère indépendante marquée par la chaise vide à Bruxelles, la sortie du commandement intégré de l’Otan, le discours de Phnom Penh…

    La radicalité gaullienne est sans faille tant que le Général incarne le projet national. La radicalité de la gauche de la gauche est dans le discours, non dans l’acte. Cela tient aux faiblesses de la pensée qui inspire ce discours : méfiance à l’égard des pouvoirs institués, rejet du principe de légitimité, volonté d’abolir la souveraineté nationale dans une « internationale » mythique depuis longtemps résorbée dans l’européisme banal. Fondamentalement, la gauche radicale récuse la radicalité gaullienne. Comme nous venons de le voir en Grèce, sa « culture de gouvernement » est viciée par l’esprit de compromis qui noie les grands principes dans la boue du moindre mal. Elle subira de nouvelles défaites si la capitulation d’Alexis Tsipras ne lui sert pas de leçon.

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  • Société de surveillance et lois liberticides...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au renforcement de la société de surveillance avec le vote de la loi sur le renseignement...

     

    Alain de Benoist 2.jpg

     

    « La société de surveillance et les lois liberticides ne remontent pas à hier… »

    Radars sur les routes, caméras de surveillance à tous les coins de rue. Grande est l’impression d’être en permanence surveillés. Avec la nouvelle loi sur le renseignement, jusqu’où les dérives liberticides peuvent-elles aller ?

    La nouvelle loi autorise l’installation sur les réseaux et les serveurs de « boîtes noires », reposant sur des technologies d’« inspection des paquets en profondeur » (Deep Packet Inspection), qui permettent de lire les conversations privées sur Internet, d’intercepter et de scanner toutes les communications pour détecter, grâce à des algorithmes tenus secrets, les propos « suspects » ou les comportements « bizarres ». Elle autorise aussi, sans qu’il y ait besoin de solliciter l’autorisation d’un juge, la sonorisation des domiciles, l’intrusion informatique pour siphonner le contenu des ordinateurs, les « valises IMSI-catcher » (fausses antennes-relais qui interceptent la totalité des conversations téléphoniques dans un périmètre donné), les « keyloggers » (logiciels permettant de lire en temps réel ce qu’une personne tape sur son clavier), la pose de balises sur les voitures, la géolocalisation des personnes, des véhicules et des objets, etc.

    Les « boîtes noires » permettent aussi d’analyser l’ensemble des « métadonnées », c’est-à-dire toutes les traces que l’on laisse derrière soi en téléphonant ou en utilisant Internet. La valeur d’une donnée étant proportionnelle au carré du nombre de données auxquelles elle est reliée, le ramassage toujours plus large des « métadonnées » permet, non seulement de prédire les comportements d’un groupe d’individus aux caractéristiques déterminées, mais de connaître tout de la vie des citoyens : leurs relations, leur correspondance, leur pratique des réseaux sociaux, leurs opérations bancaires, leurs déplacements, leurs achats, leurs abonnements, leur mode de vie, leur âge, leurs opinions politiques, etc.

    Il ne s’agit donc plus de cibler, mais de quadriller. En dépit des assurances lénifiantes des pouvoirs publics, c’est bien à une surveillance de masse des citoyens que l’on est en train d’assister, alors même qu’il n’existe pour l’immense majorité d’entre eux aucune suspicion de lien avec une quelconque infraction. Le régime d’exception devient ainsi la norme. La vie privée n’existe plus et les libertés publiques sont menacées par une loi qui se fixe pour objectif de savoir si chacun d’entre nous connaît des gens qui connaissent des gens qui connaissent des gens qui ne sont pas « clairs ». Tradition « républicaine » oblige, on en revient à la loi des suspects de 1793. Les citoyens se plaignent non sans raison de ne pas être entendus. À défaut d’être entendus, ils seront écoutés.

    Les citoyens, on le sait de longue date, sont toujours prêts à abandonner des pans de liberté pour des semblants de sécurité. D’où le Patriot Act américain. Manuel Valls utilise d’ailleurs le même argument : c’est pour lutter contre le terrorisme. Benoît Hamon ajoutait, l’an dernier, que « si on n’a rien à cacher, il n’y a pas de problème à être écouté ».

    Rappel historique. Le 8 décembre 1893, pour venger Ravachol, guillotiné l’année précédente, l’anarchiste Auguste Vaillant faisait exploser à la Chambre des députés une bombe qui ne fit aucune victime. Quelques jours plus tard, les parlementaires adoptaient des lois antiterroristes, connues bientôt sous le nom de « lois scélérates », prévoyant la suppression de la liberté de la presse et l’interdiction de tout rassemblement anarchiste, même dans un lieu privé. Le banquier et futur président de la République Casimir Perier précisait à cette occasion que la « liberté d’expression ne s’applique pas aux ennemis de la civilisation ». Cela ne vous rappelle rien ? Terrorisme, « civilisation », restriction des libertés, tout y est. La « lutte contre le terrorisme » est seulement un prétexte, au demeurant très classique. Aucune des mesures de la nouvelle loi n’aurait permis d’éviter les attentats de ces derniers mois. Au demeurant, on ne déploie pas un chalut pour attraper une poignée de sardines.

    Quant à ceux qui disent que cela ne les gêne pas car « ils n’ont rien à cacher », ils méritent assurément le GPNC (Grand Prix de la naïveté citoyenne). Ce sont les mêmes idiots qui regardent les jeux télévisés ou qui achètent au bureau de tabac des cartes à gratter dans l’espoir de faire fortune. En disant cela, ils renoncent d’eux-mêmes à leurs libertés, sans réaliser que les motifs allégués par la loi (de la « prévention des violences collectives » à celle « de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous ») sont suffisamment flous pour permettre, selon les circonstances, de placer sous surveillance policière toute action concertée visant à changer les structures politiques, sociales ou économiques du pays, tous les mouvements sociaux revendicatifs, tous ceux qui ont des opinions dissidentes ou qui se permettraient de contester d’une façon ou d’une autre l’ordre établi, que ce soit les manifestants de Sivens et de Notre-Dame-des-Landes ou ceux de la Manif pour tous.

    Nos gouvernants veulent pouvoir écouter tout le monde, mais ils sont eux-mêmes écoutés, notamment par les Américains. Comment l’Élysée aurait-il dû réagir aux récentes révélations faites à ce sujet par Julian Assange ?

    François Hollande aurait pu exiger le rappel immédiat de l’ambassadrice américaine à Washington. Il aurait pu accorder le droit d’asile à Julian Assange, voire à Edward Snowden. Il aurait pu annoncer que la France se retire de la négociation sur le traité transatlantique. Il n’a rien fait de tout cela, parce qu’il est le vassal des États-Unis, dont il dépend même désormais pour conduire les opérations où nos forces armées sont engagées. Depuis que la France a réintégré l’OTAN, ayant perdu toute indépendance, elle s’est du même coup interdit toute réaction.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 juillet 2015)

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