Au sommaire cette semaine :
- sur Esprit Cors@ire, Richard Labévière s'oppose à l'occidentiste Bruno Tertrais à propos du bouclier antimissile américain, véritable arme de vassalisation de l'Europe...
Bouclier antimissile : un pari déraisonnable...
- sur Atlantico, Dominique Jamet revient sur les thème de prédilection du politiquement correct...
Ces nouveaux sujets rattrapés par le politiquement correct français
etats-unis - Page 83
-
Tour d'horizon... (29)
-
La décadence en marche ?...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gilles Cosson, cueilli sur Valeurs actuelles et consacré aux symptômes de la décadence de l'Occident...
La décadence en marche ?
Nous sommes en l’an 363 de notre ère. L’empereur Julien, dit l’Apostat, entre en guerre. La pensée grecque qu’il incarne se rebelle devant la menace que représente Sapor II, le despote régnant sur la Perse.Sous la férule impitoyable de ce dernier, règnent l’arbitraire et la terreur là où Rome, digne héritière d’Athènes, donne la priorité à la loi. Le but des hostilités est de prendre la capitale, Ctésiphon, pour obliger le tyran à se soumettre à un pouvoir qui se sent investi d’une mission civilisatrice : apporter les splendeurs de la philosophie hellénique à une population plongée dans la servitude et l’obscurantisme.En ces temps de déclin, les alliés de Rome sont devenus peu sûrs, l’armée peine à recruter, les habitudes de luxe poussent à une dépense sans frein, la situation financière est tendue, les moeurs sont relâchées, la foule pense à ses plaisirs, l’intégrisme chrétien menace la cohésion d’un empire habitué à honorer des dieux aussi multiples que ses peuples…Cela ne vous rappelle rien ? Sautons d’un coup d’aile dix-sept siècles et demi. Les frontières de l’esprit grec, indépendant et critique, ont été déplacées au-delà de l’Atlantique et l’antique esprit de soumission oriental a envahi les bords de la Méditerranée, à l’exception notable de l’Europe ; mais la plus grande puissance du moment, les États-Unis, a entrepris, elle aussi, de renverser un dictateur sanguinaire, Saddam Hussein, pour apporter les lumières de la démocratie au peuple irakien opprimé… Bagdad, à vingt kilomètres de Ctésiphon – étonnante proximité – , a été prise sans coup férir ; pourtant la poudrière régionale est plus menaçante que jamais.À l’image des supplétifs de l’empire latin, les alliés musulmans de l’Occident – Pakistanais, Égyptiens et autres – ne le sont plus que de nom. Le Pentagone recrute des mercenaires venus du sud du Rio Grande auxquels on promet la nationalité américaine à l’issue de leur engagement, à l’instar des légionnaires barbares faits citoyens romains après vingt-cinq ans de service. La Réserve fédérale fait marcher sans discontinuer la planche à dollars pour financer un déficit budgétaire abyssal, tel Julien frappant une monnaie d’argent appauvrie pour payer ses troupes.Les religions traditionnelles sont aussi délaissées que les dieux de l’Olympe autrefois, mais le fondamentalisme pentecôtiste ou musulman demande à la science d’oublier la théorie de l’évolution, telle l’Église des premiers temps exigeant que le Soleil tourne autour de la Terre.L’homogénéité des populations s’est beaucoup amoindrie et l’on parle l’espagnol en Californie comme hier le grec à Alexandrie. La permissivité sexuelle est devenue un article de foi à Washington comme jadis à Byzance, les juristes à la solde du plus offrant pèsent sur les décisions de justice à l’instar des rhéteurs d’autrefois, le culte du travail n’est plus ce qu’il était, l’autorité de l’État est contestée, l’individualisme fait des ravages, le pays se fracture entre factions viscéralement opposées, tout compromis devient un exploit… Voulez-vous d’autres exemples ? Bienvenue dans l’ère de la décadence !
Gilles Cosson (Valeurs actuelles, 14 juin 2012)
-
Hollande, la France et l'Amérique...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à cette étrange politique d'"amitié" franco-américaine qui justifie tous les renoncements...
Hollande, la France et l'AmériqueFrançois Hollande, le 6 juin dernier, n’a pas manqué de louer les Etats-Unis d’Amérique, et leur rôle dans la « Libération » de notre pays. Le débarquement sur les plages de Normandie est pour lui le symbole d’un partage de valeurs entre les deux nations, qui nous lie indéfectiblement. Les Français auraient-ils tant décliné, qu’ils seraient devenus incapables d’analyser leur histoire avec lucidité, sans être brouillés par les effluves toxiques de l’idéologie ? Pourtant, les faits donnent brutalement tort à la rhétorique complaisante, pour peu qu’on se penche sur eux sans idées préconçues.
Aussi bien, Hollande, avant de s’abandonner au lyrisme, aurait-il dû se souvenir des paroles de Mitterrand, qui déclarait, dans les derniers mois de son existence, à Georges Marc Benamou : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans morts. […] Oui, ils sont très durs, les Américains, ils sont voraces, ils veulent le pouvoir sans partage sur le monde. »
Voilà qui a le mérite, tardif, de la clarté. L’ancien président, malgré tout atlantiste, comme le fut toujours le parti socialiste, avait tout fait pour placer la France sous le giron américain. Il est des scrupules et des franchises que hâte l’imminence de la mort…
Mais avant de s’interroger sur la réalité d’une « Libération » qui est loin d’en être une, peut-être est-il besoin de rappeler quelles étaient les relations qu’entretenaient nos « libérateurs » avec le régime de Vichy et, parallèlement, avec le général de Gaulle et la Résistance intérieure.
Le moins que l’on puisse dire est que le gouvernement du maréchal Pétain a longtemps été préféré à la France Libre. Les diplomates du States Department (ministère des Affaires étrangères), ou les influents Cordell Hull et Summer Welles, n’ont eu de cesse que de dénigrer de Gaulle. Franklin Roosevelt, par exemple, a pensé que Weygand livrerait sans combat l’Afrique du Nord à l’armée américaine. Même lorsque le pro allemand Darlan prend le pouvoir, le crédit dont bénéficie Pétain ne change pas ces dispositions favorables. Du reste, l’entrée en guerre des Etats-Unis, le 7 décembre 41, ne change rien à l’affaire. Tout sera fait pour écarter de Gaulle. Cette attitude hostile est, par ailleurs, confortée par le socialiste Jean Monnet, « père de l’Europe », comme l’on sait. Un signe indubitable de cette politique pro vichyste a été la nomination, comme ambassadeur auprès de Pétain, de l’amiral William Daniel Leahy, et ce jusqu’en mai 42. Pourtant, les US sont en guerre contre l’Allemagne, dont le gouvernement français, collaborationniste, souhaite la victoire. Quant au remplaçant de l’amiral, son adjoint Tucck, il n’aura aucun mot sur la déportation des Juifs, hormis une simple protestation, en août 42, contre le fait que l’on sépare les enfants des parents. Eût-il fallu que les premiers suivissent les seconds ?
Quand, le 8 novembre 43, les Alliés débarquent en Afrique du Nord, à Alger, à Oran, sur les côtes du Maroc, les Français de la France combattante, à Londres, en sont les derniers informés. En tout cas n’étaient-ils nullement impliqués dans l’opération « Torch ». Les Américains, maîtres du jeu, choisissent le général Giraud, soutenu par Churchill. Dans le même temps, au grand dam du général de Gaulle, ils négocient avec Darlan. Le 19 novembre, tous les réseaux de Résistance soutiennent de Gaulle. Pour faire connaître son indignation, celui-ci est obligé d’emprunter, faute de la BBC, la radio de Brazaville et celle de Beyrouth.
Les combats qui suivent le 6 juin sont aussi significatifs. Rappelons, avant tout, certains chiffres, qui ne manquent pas d’étonner les esprits trop conditionnés par la propagande. Car si l’on comptabilise les victimes de la deuxième guerre mondiale, le bilan est remarquablement loquace : l’Union soviétique, autrement dit la Russie éternelle, comme disait le général, a donné à la « Guerre patriotique » environ 21 000 000 morts, soit 13 600 000 civils, et entre 8 800 000 et 10 700 000 soldats. L’Allemagne a perdu 3 810 000 militaires, et 5 318 000 civils. Quant au Royaume uni, il a subi 450 000 pertes, les USA 418 000 (fronts atlantique et pacifique confondus), et la France … 541 000, dont 238 000 civils.
Il convient de rappeler que les bombardements alliés des villes françaises ont été très meurtriers, et parfois dénués d’intérêt militaire. Tel est le cas, entre autres, de la destruction du Havre. Du 5 septembre 44 au 10 septembre, malgré la présence de la population, la ville a été rasée. On déplore des milliers de morts innocents. Il n’y avait aucun objectif militaire.
Et que dire des vagues destructrices et terroristes qui ont anéanti Hambourg, Dresde, Berlin etc. ? Ces cités n’abritaient parfois que des enfants, des femmes, des vieillards et des prisonniers de guerre. Guernica, à côté, n’est qu’un travail d’amateur. Pourtant, on ne cite, dans les écoles, que la ville martyre basque. Du reste, l’Amérique a perdu tout crédit moral à partir des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, dont, en France, la commémoration est pour le moins discrète.
Les Français doivent aussi absolument savoir qu’ils ont été tenus soigneusement à l’écart de l’opération « Overlord ». En fait, les Alliés envisageaient d’organiser le même système d’occupation qui avait transformé l’Italie en protectorat (l’A.M.G.O.T. , Allied Military Government of Occupied Territories). Dans le même temps, ils voulaient émettre leur propre monnaie, acte régalien dont on sait combien il est le signe et la preuve de l’indépendance nationale.
Toutes ces tensions entre la France combattante et les « libérateurs » anglo-saxons expliquent pourquoi de Gaulle esquissa assez vite un rapprochement avec la Russie (et subsidiairement avec le parti communiste français).
Les acquis sociaux du C.N.R. seront, du reste, mis en cause par les « traités » libéraux européens sous impulsion américaine, dans l’Acte unique, à Maastricht, a Amsterdam, à Nice..., en même temps que gaullistes et communistes perdaient de leur influence.
Pourquoi les USA ont-ils été de façon si tenace hostiles au chef de la France libre ?
La véritable raison réside non dans la personne du général, réputé autoritaire et conservateur, voire fasciste (sans doute Weygand, Darlan, Giraud l’étaient-ils moins…), mais dans la crainte d’une France indépendante et soucieuse de sauvegarder la place qui a toujours été la sienne ; ce que n’allait pas cesser de rappeler, à partir de 1958, le premier président de la cinquième République.
Pour comprendre l’attitude profonde des USA vis-à-vis de la France et de l’Europe, il faut la mettre en regard avec le déclin du vieux continent, accéléré à partir de la première guerre mondiale, une « guerre civile », selon le mot du maréchal Lyautey. L’armistice n’a pas empêché une perte de puissance, économique, démographique, culturelle, des nations victorieuses, et un endettement colossal, qui les mit sous la dépendance des banquiers yankees. La doctrine de Wilson, en outre, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, fut un instrument de démembrement de l’Europe, et instilla les germes d’une guerre à venir. Cette idéologie est celle que l’on invoquera pour la décolonisation, contre les vieux pays européens. Déjà, en 41, la « Charte de l’Atlantique » entre Roosevelt et Churchill, l’évoque, contre la volonté du vieux lion. Au fond, les USA ont repris, lors des deux guerres mondiales, en partie du moins, la conception britannique formulée par Marlborough, à l’occasion de la guerre de succession d’Espagne : diviser les nations du continent européen, et n’intervenir qu’indirectement, par l’argent ou les armes.
La méfiance américaine par rapport à de Gaulle avait donc un fondement plus large que des questions d’homme. C’était une logique géopolitique. Le désir de se substituer à la vieille Europe est un rêve du Nouveau Monde. Une France rétablie dans ses prérogatives était un obstacle à cette volonté hégémonique.
Pour illustrer cette entreprise conquérante, rien ne semble plus adéquat que l’accord Blum-Byrnes, le 28 mais 46. Moyennant la liquidation d’une partie de la dette française envers les Etats-Unis, et contre un prêt avantageux, on sait que le leader socialiste a ouvert les salles de cinéma de notre pays à la déferlante hollywoodienne, et à l’imaginaire de l’american way of life, qui ne nous a guère quitté, et qui est le signe ostentatoire de la colonisation des esprits, sinon des corps.
Déjà, en 44, à Bretton Woods, la suprématie du dollar avait été entérinée. En 47, les accords du GATT sont signés, fondant les bases de ce qui allait devenir le mondialisme libéral. Aussi, les Etats-Unis, épargnés par la guerre, deviennent-ils les maîtres d’une partie du globe.
L’Union européenne, qui devait rétablir un certain équilibre, n’a fait qu’accélérer ce processus de vassalisation. Pour Delors, la France et l’Europe n’ont plus pour vocation que de s’intégrer aux organismes sous obédience américaine. Hors de là, point de salut. Hollande ne fait qu’appliquer cette politique. Outre celle, libérale, poursuivie par tous les gouvernements, quels qu’ils soient, il n’a pas remis en cause, à Camp David et à Chicago, l’appartenance de l’armée française à l’OTAN, ni le lancement, dirigé contre la Russie, du bouclier antimissile « européen ». Malgré une inflexion apparente, en Afghanistan (mais à relativiser) et un voyage énigmatique de Rocard à Téhéran, il n’a pas changé d’un iota la position agressive du Quai d’Orsay vis-à-vis de l’Iran, de la Russie, de la Syrie, après avoir, du reste, appuyé la guerre néocolonialiste menée en Libye. Il partage de même, avec Sarkozy, la même faveur par rapport à l’Etat sioniste.
Aussi n’est-il pas étonnant que Nicholas Dungan, l’ex-patron de la French American Foudation, ait pu rassurer les dirigeants américains, en rappelant au Think Tank Atlantic Council que le nouveau président avait été, comme Moscovici, un ancien participant au programme des Jeunes leaders de la F.A.F.Claude Bourrinet (Voxnr, 13 juin 2012) -
Le protectionnisme gagne du terrain !...
Nous reproduisons ci-dessous un article du journaliste Régis Soubrouillard, cueilli sur le site de Marianne et consacré à ce protectionnisme que l'Union Européenne sera bientôt la seule à ne pas pratiquer...
Etats-Unis, pays émergents, le protectionnisme gagne du terrain
Présenté comme un génie malfaisant plus rarement comme un sujet de débat, longtemps le protectionnisme fut considéré comme un tabou en ces temps pas si lointains où les prêcheurs de la mondialisation bienfaitrice prônaient l’ouverture des marchés à tous vents. Au-delà des discours, déjà la levée des barrières était une pure imposture diffusée par les apologistes du libre-échangisme. L’Amérique et la Chine n’avaient de loin pas attendus la crise des subprimes et ses conséquences pour disposer des barrières freinant la pénétration de leurs marchés respectifs.
Trente ans après l'ouverture de la Chine aux investissements étrangers, les compagnies internationales se plaignent toujours de lois coûteuses, de règles avantageant leurs homologues locaux, un nationalisme croissant, et le souci de favoriser « l’innovation indigène ».
Face au libre échange, les Etats-Unis ont également développé une attitude ambivalente en multipliant les aides aux secteurs en difficultés depuis 2009. Sans compter le fameux Buy American Act mis en place par Franklin Roosevelt, lors de la Grande Dépression de 1933 pour soutenir la production nationale qui impose au gouvernement fédéral l’achat de biens manufacturiers produits aux Etats Unis.
Et la vague protectionniste ne faiblit pas. Dans un rapport publié le 6 juin, l’Union tire la sonnette d’alarme, face au constat d’une « montée considérable du protectionnisme à l’échelle mondiale qui s’est traduite par l’introduction de 123 nouvelles restrictions des échanges au cours des huit derniers mois, soit une hausse légèrement supérieure à 25 % ».
Toujours aussi confiante en l’efficacité de ses recettes ô combien éprouvées, l’Union européenne, en appelle urgemment à une trêve des mesures protectionnismes: « Les membres du G20 doivent consentir davantage d’efforts pour prévenir l’introduction de nouveaux obstacles au commerce et pour modifier les mesures de protection adoptées depuis le début de la crise ». Faute de quoi la main invisible finirait par en avoir la tremblote.Les mauvais élèves de la classe libre-échangiste
Les pays émergents, fortement impactés par la crise, apparaissent comme les plus séduits par ces dispositifs protectionnistes. Et de donner quelques exemples –à ne pas suivre- des mauvais élèves de la classe internationale :
- l’Argentine a récemment étendu l’application de nouvelles procédures administratives astreignantes de pré-enregistrement à toutes les importations de marchandises.
- l’Inde, importante productrice de coton, a institué une interdiction d’exportation concernant le coton brut.
- la Russie mérite une attention particulière, car elle est l’un des pays qui recourt le plus fréquemment à des mesures restrictives susceptibles d’être non conformes à ses obligations de futur membre de l’OMC. Le pays prépare actuellement une législation prévoyant des préférences pour les véhicules de fabrication nationale dans le cadre des marchés publics.
La commission pointe également du doigt « les pays du G20 qui ne respectent pas suffisamment leur engagement concernant la suppression des mesures en vigueur. Entre septembre 2011 et le 1er mai 2012, le démantèlement des mesures s’est ralenti: seules 13 mesures ont été abrogées, contre 40 entre octobre 2010 et septembre 2011. Dans l’ensemble, environ 17 % des mesures seulement (soit 89 mesures) ont été levées jusqu’à présent ou ont expiré depuis octobre 2008 ».
Pas sûr que le message ait été entendu par les Etats-Unis qui quelques jours après avoir annoncé des taxes de 31 à 250 % sur les panneaux solaires importés de Chine, en décrétaient de nouvelles, visant cette fois les éoliennes chinoises.Un protectionnisme éducateur
Sans aller jusqu’aux excès de la guerre commerciale que se livrent les deux géants chinois et américains, l’Union européenne pourrait se pencher sur les travaux de l’économiste allemand –un gage de sérieux…- Friedrich List à l’origine de la notion de « protectionnisme éducateur », qui inspira l’union douanière allemande allemande au 19ème siècle.
Rien à voir avec un quelconque repli frileux et permanent mais un protectionnisme stratégique, outil efficace d’intégration politique autant que de développement économique « mis au service d’un programme de développement original et ambitieux » comme le signale Danièle Blondel, économiste, professeur Emérite à Paris Dauphine. « Friedrich List le justifie en observant que de jeunes activités nationales ne peuvent se développer mondialement si leur marché est déjà occupé par des entreprises de pays étrangers ».
« Alors qu’au début du 19ème siècle la future Allemagne était constituée, outre la Prusse d’une poussière de petits états souvent économiquement arriérés, le protectionnisme s’avéra un moyen efficace d’intégration politique autant que de développement économique ». Et l’Allemagne devint un challenger redoutable de la France et de la Grande Bretagne.
Un protectionnisme éducateur et intelligent. Un plan B ?Régis Soubrouillard (Marianne, 8 juin 2012)
-
Le temps du choix...
Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré aux heures décisives qui nous attendent et qui nécessiteront de notre part un choix...
Le temps du choix
Commenter l’actualité, chaque semaine, impose le terrain, et donc la règle, celle que l’actualité plus ou moins médiate formule, à travers sa logique tennistique de va-et-vient par-dessus le filet de l’opinion. Les rets qui emprisonnent les discours, les concepts, et même les rêves, sont comme l’issue fatale de ce détour qui nous porte vers l’appât, le leurre astucieusement disposé par le chasseur. La politique, à la suite de la moribonde religion, fut un temps le dépôt du bonheur moderne, le réceptacle des utopies et des millénarismes sécularisés. Mais tout amour-passion a une fin, et les peuples se réveillent de leurs émois dans la désillusion des vieux couples, las d’eux-mêmes, mais captifs de leurs habitudes.
Ainsi a-t-on voté, et votera-t-on, en masse. Ou peut-être un peu moins. La politique a aussi ses athées, et ses agnostiques. Sans compter ses tartuffes. Que retenir donc du remuement des choses courantes ? On s’apercevra que des mois de mots furieux et de comédie – puisque la politique est du théâtre, ce qui ne la dépare pas forcément – ont donné une curieuse apathie collective. On s’aperçoit que beaucoup ont voté contre Sarkozy, qui, pour sa part, ne s’en tire pas si mal. Touché, mais pas coulé. Si les affaires qui le poursuivent ne l’éreintent pas, si ses petits camarades ne lui broutent pas l’herbe sous le pied, et si la gauche, comme c’est probable, sombre avec le pays, il peut revenir comme une sorte de sauveur. Quant à Hollande, il n’essaie même pas de pousser le lyrisme jusqu’aux sommets grandiloquents de 81, même si des reflets ménagés astucieusement ont remué quelque nostalgie. Toutefois, le temps est à la gestion, la sacro-sainte prise en charge de la réalité. A tel point que, comme il était prévu, il existe peu de différence entre le gouvernement actuel et le précédent : la politique économique, tout autant libérale et mondialiste, s’appuie sur une Europe dominée par les banques, et ce n’est pas une légère déclinaison en faveur d’une hypothétique croissance qui change quoi que ce soit. Dans le domaine des relations étrangères, la France est toujours inféodée aux USA, et garde sa place subalterne au sein de l’OTAN. Les velléités de retrait d’Afghanistan sont à relativiser : les troupes françaises restent sur le terrain, pour réaliser ce pour quoi elles y étaient, à savoir la logistique et la formation des cadres de la police et de l’armée afghane, bras armé du fantoche Karzaï. On apprend au demeurant que la petite mise en scène, à Camp David et à Chicago, d’un président français, terriblement normal, face à un président américain condescendant, était préparée depuis plusieurs mois, et que le retour des militaires français était plié, à condition que nous acception le principe du bouclier anti-missiles installé par l’Otan, officiellement dirigé vers le Moyen-Orient, mais en réalité vers la Russie. Pour le reste, et malgré une petite virée, bien étrange, de Rocard à Téhéran, on reste ferme vis-à-vis de l’Iran, de la Syrie, et l’on a pour Israël les yeux de Chimène. La Russie est gourmandée, même si elle nous achète des navires de guerre. Et on ne voit aucune véritable erreur dans l’intervention militaire en Lybie, qui a conduit à la déstabilisation du Mali et à l’instauration d’un régime islamiste, tortionnaire et chaotique. Bref, tout peut aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, à condition de l’aider à devenir meilleur, c’est-à-dire à persévérer dans la discrimination positive, à réjouir les lobbies gay, lesbienne et tutti quanti, à enfoncer un peu plus le système éducatif dans la boue pédagogiste, et à lutter avec sévérité contre le racisme, l’antisémitisme etc. Bref, de la vieille soupe réchauffée. Ah ! j’oubliais : il y a exactement 17 femmes et 17 hommes au gouvernement, ce qui constitue sans doute un petit pas pour un premier ministre, mais un grand pour l’humanité…
Il n’y a donc pas de quoi fouetter un journaliste. La grisaille de la décadence quotidienne, pour ainsi dire.
Sauf que d’autres constats inquiètent tout autant. Nous ne reviendrons pas sur le score important des partis de gouvernement aux dernières élections présidentielles, d’autant plus que la participation a été élevée. La demi-réussite de Sarkozy, ajoutée au cynisme des partisans de Hollande, dont l’américanoïde Terra Nova est l’une des figures emblématiques, témoignent d’une affligeante adhésion, du moins d’une acceptation tacite, dans l’opinion, de l’ordre des choses. Les reports de voix, bien que moindres qu’en 2007, en faveur du champion affiché des Etats-Unis, montrent qu’une certaine pédagogie patriotique est encore utile.
Certes, la rhétorique ultra du candidat de l’UMP, sécuritaire, nationale et anti-immigrationniste, même si son outrance ne parvient pas à voiler l’hypocrisie d’une telle mise en boîte de l’opinion, n’est pas sans avoir connu un certain succès, notamment en ressuscitant une dichotomie droite/gauche, que le résultat sans ambiguïté du référendum de 2005 sur le traité de constitution européenne avait invalidée. Les élections de 2012 marquent une certaine régression dans la prise conscience des véritables enjeux, même si le Front national peut, à bon droit, avoir l’impression d’avoir marqué des points.
Encore faut-il identifier les problèmes qui sapent notre société et notre identité. Et c’est justement là que l’on perçoit les limites de la politique, le conditionnement de nos angoisses, et de nos aspirations, qui en sont orientées finalement selon les desiderata du système.
Chaque Français doit, avant d’opter pour un choix électoral, sonder ce qui l’agit au plus profond du cœur et des reins. Or, un choix électoral se fait au nom d’idées assez convenues, du fait des règles d’un jeu médiatique formaté et canalisé. Nous nous apercevons alors que les questions offertes ne nous concernent pas totalement, et que nous sommes contraints d’abandonner notre voix en dépit de ce que nous ressentons.
Cependant, qui fait l’effort d’interroger ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il incarne ? Il ne peut exister de véritable politique si l’air que nous respirons, la langue que nous utilisons, le goût de nos rapports les plus intimes avec le monde, la couleur de nos dilections, l’intensité de nos rejets, le grain de nos impressions ne sont pas sollicités, et mis à la question. Qu’est-ce qu’être français ? Européen ? Qui n’a pas conscience, dans sa chair, dans ses mœurs, ses relations, que nous sommes colonisés, que nous sommes soumis à une culture exogène qui nous aliène, nous rend autres, étrangers à nous-mêmes, à notre propre pays, à notre passé, à nos traditions, au mode de vie qui nous fait advenir à la clarté de l’existence. Qui n’éprouve pas cela n’atteint pas le degré de connaissance de soi qui l’appelle à la vie.
Depuis la fin de la guerre, l’american way of life a contaminé les moindres aspect de la vie publique et de la vie privée, à tel point que l’on regarde et écoute sans sourciller des publicités qui vantent les goûts d’outre-Atlantique, sur des musiques anglo-saxonnes gluantes et horriblement stéréotypées, et des jeux d’acteurs mortellement formatés. Les publicistes considèrent que ces esthétiques pornographiques plaisent au grand nombre, et probablement ont-ils raison, bien qu’il faille faire la part, dans leur stratégie, à la propagande. Car la réclame est aussi de l’endoctrinement. Qui évoquera en outre le cinéma pour ados, débile et de mauvais goût, le show business envahissant, avec le nombre grandissant de musiciens français qui chantent en anglais, la nourriture que nous absorbons, et surtout le rythme de vie qui nous est imposé par la vie moderne, et qui tend à ressembler à celui des Américains, qui évaluera la nature des émissions télévisuelles consommées, et même le fait de regarder cette télévision, qui a tué, comme la pratique de l’automobile, la vie authentique et relationnelle que les générations précédentes connaissaient encore, qui n’a pas envie de hurler devant ce meurtre d’une nation, de son corps et de son âme, ne sait pas ce qu’il est vraiment.
Tout n’est pas mauvais, pourtant, de l’Amérique. Oui, il faut le dire, même si les Américains ne sont pas les premiers à défendre ce qu’ils apportent de bien au monde. Le jazz, par exemple, est plus populaire en Europe, et singulièrement en France, que dans sa patrie de naissance. Il paraît aussi que le livre génial de Jack Kerouac, On the Road, qui s’en prenait vertement à l’Amérique puritaine, et initiait cette tentative de libération d’une société pourrie par le fric et le moralisme, qu’était la Beat Generation, était boudé par les libraires, et de moins en moins lu à mesure que les USA s’engageait dans le Nouveau capitalisme. Pour nous, Français, et d’autant plus que Kerouac avait des racines bretonnes, et qu’il était d’origine canadienne francophone, et qu’il se réclamait de Rimbaud et de Céline, il était l’un des nôtres. Pourquoi parler de lui, au moment où l’on a tenté, apparemment avec succès, d’adapter au cinéma son chef d’œuvre ? Eh bien, celui qui lit cette prose enflammée, endiablée, enivrée comme une ruée continentale, a une petite idée de ce que c’est que de sentir d’immense espaces, presque infinis, à portée de désir et de conquête. Lorsqu’on met les pieds sur le Nouveau continent, la sensation que tout est possible, que l’on jouit d’une liberté aussi grande que les terres qui s’étendent jusqu’au Pacifique, emplit l’esprit et le fait vibrer de désir. La nostalgie des vieilles rues européennes, des églises romanes, des places monumentales de l’Europe arrive assez vite, mais on voit ce qui nous manque ici.
Dans la Rome antique, un Européen pensait le monde d’Alexandrie à l’Atlantique, de Carthage à la Mer du Nord. Les armées parcouraient des milles pour défendre une seule patrie. C’était le cas encore avec Charlemagne. Au moyen-âge, les pèlerins et les chevaliers sillonnaient les routes de la Chrétienté pour porter leur foi ou leurs armes. Nous, Français, avons le souvenir des batailles de la Grande armée napoléonienne, quand la Grande Nation, comme disent les Allemands, respirait à l’échelle d’un Empire. Nos colonies mêmes ouvraient des horizons à la soif d’aventure de nos jeunes soldats et de nos officiers.
Quels sont nos horizons ? A quoi aspirons-nous ? De quoi voulons-nous nous délivrer ? Quelles sont nos chaînes ? Sommes-nous encore dignes de l’Histoire humaine ? Sommes-nous capables de regarder au-delà des turpitudes politiciennes, et de nous fixer des horizons nouveaux, des frontières si ambitieuses, que nous pourrions encore nous sentir capables de soulever des montagnes ?Claude Bourrinet (Voxnr, 23 mai 2012)
-
Un risque de déclassement stratégique de la France ?...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pascal Boniface, cueilli sur son blog Affaires stratégiques et consacré au déclassement stratégique de notre pays en raison de sa soumission à la politique américaine...
Les vrais risques du déclassement stratégique de la France
Les questions internationales n’envahissent pas la campagne électorale. Néanmoins, dans certains cercles, le débat sur le déclassement stratégique de la France a été lancé. Il se pose en effet dans un contexte général de la perte du monopole de la puissance par le monde occidental, qui vient s'ajouter à la fin de la rente de situation dont la France bénéficiait grâce à son positionnement singulier au cours de la Guerre Froide. Comment, dans un monde dont les évolutions stratégiques ne sont pas naturellement favorables, conserver des marges de manœuvre ?
On ne peut pas aborder le problème de notre déclassement stratégique par le seul biais du taux de dépenses militaires par rapport au PIB, comme cela est trop souvent fait.
L'industrie de défense est un atout essentiel pour l'indépendance de la France. Il ne faut pas méconnaître son utilité économique et stratégique. Elle doit néanmoins rester un moyen et non devenir une fin. On ne peut développer une analyse du rôle de la France dans le monde et de sa politique à partir du seul critère des dépenses militaires. Bien plus que la baisse des budgets, c'est une analyse erronée de nos intérêts et de notre situation, pire encore, une absence de réflexion stratégique globale qui pourrait conduire à notre déclassement.
Doit-on réellement faire dépendre notre budget militaire de l'augmentation des budgets chinois, indiens ou américains comme le suggèrent certains ? Les Américains ont après 2001 choisi une fuite en avant dans le tout militaire faisant passer leur budget de 280 milliards de dollars à 700 aujourd'hui. Sont-ils pour autant plus en sécurité et la sécurité collective a-t-elle réellement progressé ? Non bien au contraire. Faut-il dès lors tenir compte de l'avertissement donné par l'ancien Secrétaire à la défense Robert Gates dans son discours d'adieu prononcé à Bruxelles en juin 2011, demandant aux Européens d'augmenter leur budget de la défense parce que le Congrès américain serait fatigué de continuer à augmenter le financement du Pentagone ? Ceci n’avait aucune rationalité du point de vue de nos intérêts.
On nous dit qu'il faut combler les lacunes capacitaires révélées en Afghanistan et en Libye ? Mais n'est-il pas beaucoup plus urgent de réfléchir au bien-fondé de certaines opérations militaires extérieures, mises sur pied sans prendre en compte leur impact global sur le long terme ? Doit-on encore se lancer dans des interventions qui se transforment en guerre de contre-insurrection dont les puissances extérieures ne peuvent plus espérer sortir vainqueurs ?
Puisque l'on parle de déclassement stratégique ne faut-il pas réfléchir à ce qu'implique notre réintégration dans les commandements militaires intégrés de l'OTAN ? Certes sur le fond la réintégration en tant que telle n'a pas changé grand-chose à la situation préexistante. Nous étions déjà quasi intégrés. Mais contrairement à ce qui avait été avancé, elle n'a en rien aidé au développement d'une européanisation de la défense, toujours en panne. Et surtout nous avons un comportement relativement passif par rapport au projet de double extension géographique et des missions de l'OTAN. Le risque de transformer en Sainte Alliance, déjà dénoncé par Mitterrand en 1990, est plus actuel que jamais. Doit-on se laisser entrainer dans une organisation qui se transforme en bras armé de l’occident ? Quelle voix particulière faisons-nous entendre ? Allons-nous, lors du sommet de Chicago de mai, rester sans réaction par rapport au projet de défense antimissile, dont le coût est exorbitant, dont l'utilité stratégique est contestable, qui constituerait une relance inutile de la course aux armements, qui est plus destiné à satisfaire les désirs du complexe militaro-industriel que les besoins de sécurité, et qui par ailleurs constitue un désaveu implicite de la politique de dissuasion ?
Le risque de déclassement est bien réel, mais il est plus lié à une absence de réflexion globale sur les évolutions stratégiques mondiales et le rôle de la France dans un contexte mutant. Ce n'est pas la répétition d'arguments repris en boucle dans les cercles otaniens qui peut nous aider à avoir cette vision.Pascal Boniface (Affaires stratégiques, 13 avril 2012)