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  • Aventuriers, pèlerins, puritains : les mythes fondateurs de l’Amérique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Agnès Delahaye à la revue Conflits à l'occasion de la publication de son livre Aventuriers, pèlerins, puritains - Les mythes fondateurs de l’Amérique aux éditions Passés composés.

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    Aventuriers, pèlerins, puritains : les mythes fondateurs de l’Amérique. Entretien avec Agnès Delahaye

    P. de R. : Pourriez-vous nous expliquer brièvement les trois grandes étapes de la colonisation anglaise que vous explorez dans votre ouvrage ?

    A. D. : Mon livre cherche à mettre en lumière une période clé de la colonisation anglaise qui reste souvent méconnue, en particulier du public français : les cinquante premières années de leur implantation en Amérique du Nord. Ces décennies sont fondatrices, car elles permettent de comprendre comment les Anglais ont élaboré des stratégies de colonisation qui allaient influencer leur empire pour des siècles.

    Cette histoire peut être découpée en trois grandes étapes. La première débute avec la compagnie de Virginie et la fondation de Jamestown en 1607. C’était un projet essentiellement commercial, marqué par des conditions de vie très dures, des erreurs stratégiques et une dépendance quasi totale à l’égard des autochtones pour leur survie. Sur les premiers colons, 80 % mourront dans les premières années. Ce n’est qu’avec la découverte et l’exploitation du tabac que la colonie commence à devenir rentable.

    La deuxième étape, en 1620, est celle des Pèlerins, qui s’installent dans la baie de Plymouth. Contrairement aux colons de Jamestown, les Pèlerins ont des aspirations communautaires et religieuses très fortes. Ils recherchent l’autonomie, à la fois politique et financière, et leur organisation repose sur des principes d’autogouvernance. C’est aussi la période où ils apprennent, souvent à tâtons, à interagir avec les populations autochtones et à tirer parti des ressources locales.

    Enfin, la troisième étape est celle de la compagnie de la baie du Massachusetts dans les années 1630. Ici, on observe une véritable évolution : les terres américaines ne sont plus seulement des territoires d’exploitation. Elles deviennent un capital à long terme, intégré à un projet entrepreneurial où les colons eux-mêmes sont actionnaires. Ce modèle d’autonomie financière et d’implantation durable incarne vraiment la spécificité de la colonisation anglaise.

    P. de R. : En quoi se distingue-t-il des autres formes de colonisation ?

    A. D. : La spécificité de la colonisation anglaise réside dans ce qu’on appelle les colonies de peuplement. Contrairement aux modèles espagnol ou français, qui étaient principalement orientés vers l’extraction des richesses locales, les Anglais ont misé sur l’installation de communautés entières, souvent organisées autour de familles. Ce modèle repose sur une transformation physique et sociale des territoires colonisés pour en faire des prolongements de leur société d’origine.

    Cette approche est unique et se reflète même dans le vocabulaire. Par exemple, le mot anglais settler n’a pas d’équivalent exact en français ou en espagnol, car cette notion d’implantation durable, souvent familiale, est propre au modèle britannique. On retrouve ce type de colonisation non seulement en Amérique du Nord, mais aussi en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans ces régions, les Anglais n’étaient pas simplement là pour exploiter des ressources : ils cherchaient à s’approprier les terres et à les transformer en un territoire qui serait véritablement le leur.

    P. de R. : Votre ouvrage semble aussi dépasser la lecture strictement religieuse de cette période.

    A. D. : L’histoire de la colonisation anglaise a effectivement souvent été abordée sous un prisme religieux, notamment en ce qui concerne la Nouvelle-Angleterre. On a beaucoup insisté sur la quête de liberté spirituelle des Pèlerins ou sur l’influence du radicalisme puritain. Si cet aspect est indéniable, il ne suffit pas à expliquer l’ensemble des dynamiques en jeu.

    Ce que j’ai voulu montrer, c’est que ces entreprises coloniales s’inscrivent dans un contexte de rivalité géopolitique beaucoup plus large. Les Anglais de l’époque étaient en compétition avec les Espagnols, les Français et les Hollandais, non seulement sur le plan militaire, mais aussi économique et politique. Par exemple, la colonisation anglaise ne visait pas seulement à établir des colonies : il s’agissait de démontrer leur supériorité technique, économique et culturelle face aux autres puissances européennes.

    Les écrits de John Smith, par exemple, sont révélateurs. Il n’était pas seulement un aventurier ou un explorateur. Ses travaux montrent qu’il avait une vision stratégique et théorique de la colonisation, dans laquelle la survie économique et l’organisation communautaire étaient centrales. Cette lecture économique et géopolitique de la colonisation anglaise me semblait essentielle à réintroduire dans le débat.

    P. de R. : Quels types de sources avez-vous utilisées pour mener ces recherches ?

    A. D. : J’ai eu la chance de travailler à partir de sources extrêmement variées, allant des journaux personnels aux correspondances officielles. Les œuvres complètes de John Smith, par exemple, sont une ressource essentielle. Elles permettent de comprendre non seulement son rôle dans les premières colonies, mais aussi sa vision à long terme de ce que pourrait être un empire britannique.

    Pour la Nouvelle-Angleterre, les écrits de William Bradford, comme Of Plymouth Plantation, et ceux de Edward Winslow, publiés à Londres dès l’implantation, sont également fondamentaux. Ce sont des récits très riches, car ils mêlent à la fois des éléments personnels, spirituels et pratiques sur la manière dont les colons se sont organisés.

    Enfin, j’ai exploré les collections de la British Library pour recenser et comprendre la littérature promotionnelle de la période. Ces documents, parfois peu étudiés, incluent des manuscrits et des rapports destinés aux investisseurs. Ils montrent à quel point la colonisation était aussi une entreprise financière, où il fallait convaincre des partenaires économiques tout en minimisant les risques apparents.

    P. de R. : Les motivations des colons variaient-elles beaucoup selon les périodes et les groupes ?

    A. D. : Oui, et c’est d’ailleurs ce qui rend cette période si fascinante. Les premières vagues de colons, comme à Jamestown, étaient composées d’hommes jeunes, souvent issus de milieux modestes, qui voyaient dans la colonisation une opportunité d’enrichissement rapide. Malheureusement, beaucoup d’entre eux sont morts en raison des mauvaises conditions de vie et de l’absence d’une stratégie d’installation adaptée.

    Les Pèlerins, en revanche, avaient des motivations très différentes. Ils fuyaient un environnement hostile en Europe, notamment les Pays-Bas, où ils avaient vécu pendant une dizaine d’années. Ils aspiraient à retrouver un mode de vie agricole et à préserver leurs traditions religieuses, qu’ils estimaient menacées. Leur installation à Plymouth était autant une quête de liberté qu’une tentative de recréer un idéal communautaire au service de l’empire.

    Avec la compagnie de la baie du Massachusetts, on voit encore une autre dynamique. Ces colons, souvent issus de la classe moyenne ou de la petite bourgeoisie anglaise, avaient une vision beaucoup plus pragmatique. Ils cherchaient à créer une société prospère et stable, où la propriété et le travail collectif étaient valorisés.

    P. de R.: C’est le cas par exemple de John Winthrop ?

    A. D.: Tout à fait. Issu de la petite noblesse terrienne, ou gentry, il appartenait à une classe intermédiaire, respectée mais économiquement fragile. Sa famille avait acquis son statut grâce à l’achat de terres confisquées à l’Église sous Henri VIII, mais ce patrimoine, bien que symboliquement important, ne suffisait pas à garantir leur prospérité à long terme. Il travaillait donc comme avocat et administrateur de biens, un rôle qui le confrontait constamment aux contraintes d’un système où la primogéniture – la transmission des biens au fils aîné – limitait les opportunités pour les autres membres de la famille. Ce système, profondément ancré dans la société anglaise, était pour lui une source de frustration, car il voyait ses fils cadets condamnés à des carrières subalternes.

    Un épisode marquant de sa vie fut l’échec de son fils cadet, Henry Winthrop, à la Barbade. Ce dernier, engagé dans une tentative risquée de cultiver du tabac à l’aide d’esclaves, avait non seulement échoué économiquement, mais aussi terni la réputation familiale en s’associant à des factions politiques locales perdantes. Ces déceptions personnelles se combinaient par ailleurs à une aspiration religieuse profonde. Winthrop était un puritain convaincu, persuadé que l’Église anglicane était corrompue et incapable de réformer ses pratiques. Il voyait dans la colonisation en Amérique l’opportunité de bâtir une société pieuse, fondée sur des principes divins et une vie communautaire harmonieuse. Ce choix, loin d’être une fuite, était le fruit d’un calcul stratégique et idéologique, dans lequel il voyait une chance unique de redéfinir son avenir et celui de sa famille.

    P. de R. : Vous avez mentionné les récits fondateurs. Comment se sont-ils construits et pourquoi sont-ils si importants ?

    A. D. : Les récits fondateurs jouent un rôle essentiel dans la manière dont une société construit son identité. Aux États-Unis, des figures comme John Smith ou les Pèlerins ont été transformées en symboles, souvent bien après les faits.

    Ce qui est intéressant, dans le mythe de John Smith, c’est qu’il a été renforcé au XVIIIe siècle, bien après les événements de sa propre vie, notamment autour de l’histoire de sa rencontre avec Pocahontas. John Smith a été utilisé pour incarner l’esprit de conquête et de courage des premiers colons. Il est devenu un symbole de l’homme audacieux, indépendant, et déterminé, des traits que l’on voulait associer aux origines de la nation américaine. La manière dont Smith a été réévalué dans l’imaginaire national américain montre comment, au-delà de la réalité historique, les récits fondateurs sont façonnés pour soutenir une vision particulière du passé et légitimer un projet collectif.

    Prenons aussi le Plymouth Rock. Ce rocher, censé être le premier endroit où les Pèlerins ont posé le pied, est devenu un lieu de mémoire au XVIIIe siècle. Mais cette sacralisation a surtout servi à légitimer les élites locales de Nouvelle-Angleterre, qui cherchaient à se positionner comme les « vrais » fondateurs des États-Unis. La Nouvelle-Angleterre, en particulier, s’est toujours voulue plus « américaine » que les autres régions, en raison de son histoire et de son héritage moral et spirituel. Ce récit, largement construit au XIXe siècle, a permis à cette région de se poser comme le berceau de l’Amérique moderne.

    P. de R. : Quelle est la relation de Donald Trump avec ces récits fondateurs ?

    A. D. : Donald Trump représente une rupture nette dans l’utilisation des récits historiques. Contrairement à ses prédécesseurs, républicains ou démocrates, qui cherchaient souvent à invoquer l’histoire pour fédérer, Trump a utilisé le passé comme une arme politique pour polariser, en reprenant par exemple les symboles et les discours confédérés.

    Prenez la « Commission 1776 », par exemple. Lancée en réponse au projet 1619 du New York Times, qui met en lumière l’héritage de l’esclavage, cette initiative vise à glorifier une version très simplifiée et héroïque de l’histoire américaine : celle de la libération du joug britannique. C’est une stratégie qui répond aux revendications identitaires d’une partie de l’électorat conservateur, mais qui efface volontairement des pans entiers de l’histoire, en particulier la période de la colonisation britannique.

    Le concept d’Early America reflète une évolution importante dans l’historiographie, pour parler de l’avant 1776. Il s’éloigne des termes traditionnels comme colonial ou « pré-révolutionnaire » pour intégrer des récits plus larges : les interactions avec les populations autochtones, la traite des esclaves et les dynamiques transatlantiques. Cette approche met en lumière la pluralité des expériences et les contributions de groupes souvent marginalisés. C’est dans cette approche que s’inscrit l’histoire de la colonie de peuplement britannique. Trump, en revanche, a privilégié une vision nationaliste simplifiée, centrée sur 1776 comme point de départ de l’histoire américaine.

    P. de R. : Que retenez-vous de ces récits historiques et de leur influence aujourd’hui ?

    A. D. : Ces récits montrent que l’histoire est une matière vivante, qui évolue au fil des besoins d’une société. Aux États-Unis, les récits fondateurs sont à la fois des outils d’unité et des sources de conflit. Ils rappellent que la mémoire collective est toujours en construction et que les silences ou omissions sont aussi importants que ce qui est raconté. Avec mon livre, j’espère montrer la richesse et la complexité de ces récits. En les comprenant mieux, on peut mieux appréhender les tensions actuelles et, peut-être, imaginer des façons plus constructives de raconter notre histoire commune.

    Agnès Delahaye, propos recueillis par Paulin de Rosny (Site de la revue Conflits, 6 décembre 2024)

     

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  • Guerre en Ukraine: la désescalade doit désormais être la priorité absolue...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Tomasz Froelich, cueilli sur Euro-Synergies et consacré à la récente escalade dans la guerre russo-ukrainienne provoquée par le président américain Joe Biden. Tomasz Froelich est député européen de l'AfD.

     

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    Guerre en Ukraine: la désescalade doit désormais être la priorité absolue

    La guerre en Ukraine menace d’entrer à nouveau dans une phase d’escalade après près de trois ans de conflit

    Pourrions-nous nous réveiller un matin en découvrant l’Europe en proie aux flammes, celles d’une Troisième Guerre mondiale ? Après trois années de conflit, la guerre en Ukraine menace de s’intensifier à nouveau. Peu avant la fin de son mandat, le président américain Joe Biden attise une fois de plus les tensions sur la scène internationale : il a donné son aval pour que l’Ukraine utilise des missiles longue portée contre le territoire russe. Les Britanniques et les Français ont également donné leur feu vert. De son côté, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, avait déjà appelé à une telle action il y a plusieurs semaines. Cela franchirait une ligne rouge fixée par Vladimir Poutine. Et ce, alors que les chances de victoire de l’Ukraine sont quasiment nulles et que le moral des troupes est au plus bas. Alors que le conflit semblait s’être figé, une nouvelle étape d’escalade se profile.

    En Suède, des brochures informatives sont désormais distribuées pour préparer la population à des attaques nucléaires, cybernétiques ou biologiques. En Allemagne, la Bundeswehr s’entraîne à un scénario de guerre. Des câbles sous-marins entre la Lituanie et la Suède ont été endommagés, et des avions britanniques rencontrent des problèmes de communication en survolant l’Europe.

    En bref, la situation sur notre continent est grave. Et elle devient de plus en plus préoccupante. Les tensions montent à nouveau, tandis que les appels à la désescalade, souvent qualifiés de « propagande du Kremlin », restent minoritaires.

    Une guerre rationnelle dans ses origines

    Comment en est-on arrivé là ? La plus grande erreur des dirigeants ukrainiens, comme celle des politiciens occidentaux intervenants, a été de transformer ce conflit en une lutte pour la survie. Une bataille historique contre un ennemi éternel, un affrontement existentiel, un combat entre le bien et le mal, tout ou rien, avec pour objectifs soit des troupes ukrainiennes à Moscou, soit des bombes russes à Lisbonne.

    De telles représentations conduisent naturellement à exiger une guerre totale : tout est permis pour que l’Ukraine puisse l’emporter. C’est ce qu’on nous répète depuis presque trois ans. De nombreux États occidentaux, notamment l’Allemagne, ont offert à l’Ukraine leurs moyens de défense déjà limités, comme s’ils étaient eux-mêmes engagés dans une bataille pour la Crimée. On respire une atmosphère de « bataille décisive » historique. Pourtant, cette guerre a des origines rationnelles, aux objectifs concrets et aux frontières claires : les intérêts sécuritaires de la Russie en Ukraine étaient évidents, en conflit avec la politique américaine de domination mondiale, et le gouvernement ukrainien a accepté de jouer le jeu. Ce conflit aurait pu prendre fin depuis longtemps si des figures comme Boris Johnson n’étaient pas intervenues, et si le moralisme ambiant ne dominait pas tous les médias.

    Ce conflit mêle le pire de la vieille politique mondiale occidentale à une approche parfois irréfléchie de la Russie dans la défense de ses intérêts. Certes, Moscou ne peut être exonéré de la responsabilité de son attaque et des vies sacrifiées. Mais cette attaque s’inscrivait dans un contexte plus large, dans une stratégie occidentale risquée qui s’est finalement soldée par un échec. La victime de cette folie est la nation ukrainienne, qui sacrifie sa jeunesse dans une guerre insensée, sans véritable espoir de victoire.

    Une garantie d’indépendance nationale ukrainienne, imprudemment perdue

    Cela doit cesser immédiatement. Selon un sondage Gallup, 52 % des personnes interrogées souhaitent des négociations pour mettre fin rapidement à la guerre – contre un peu plus de 20 % au début du conflit. Une paix est envisageable, qui offrirait à l’Ukraine un avenir en tant qu’État neutre – sans avancée supposée de Poutine jusqu’à Berlin ou Lisbonne, ni stationnement d’armes nucléaires américaines dans une Ukraine membre de l’OTAN. Toute autre option est irresponsable et irréaliste.

    L’Ukraine est déjà à terre : une génération entière est tombée au combat ou s’est réfugiée dans la diaspora. Une intégration occidentale entraînerait des migrations massives pour compenser la perte démographique, les habituels investissements de reconstruction par des entreprises comme BlackRock, et une présence militaire américaine accrue. Cela rendrait un autre conflit inévitable – et celui-ci pourrait être vraiment existentiel, cette fois pour tous les Européens.

    Je respecte les sacrifices du peuple ukrainien. Toute personne prête à prendre les armes mérite le respect. Et bien sûr, le droit à la légitime défense nationale est inaliénable. Mais après plus de 1000 jours, il est clair que ce peuple est broyé entre deux grandes puissances, et que la garantie d’un État national ukrainien a été imprudemment perdue.

    Bruxelles et sa soumission transatlantique

    Les Zelensky comme les Poutine partiront un jour, mais les Ukrainiens et les Russes continueront d’exister – tout comme le reste de l’Europe. C’est pourquoi la désescalade doit être la priorité absolue. L’Europe n’a toujours pas gagné en poids géopolitique. Notre continent reste un échiquier pour des puissances extérieures. Et l’Union européenne, loin de résoudre ce problème, l’aggrave. À Bruxelles, on rivalise de soumission transatlantique – même au sein de nombreuses formations populistes de droite.

    Cela ne peut être l’ambition des Européens intègres. Les slogans de soutien inconditionnel à l’Ukraine, sans plan réaliste pour mettre fin au carnage, ne reflètent ni solidarité ni souveraineté européennes. Ils illustrent au contraire la soumission aux Américains, pour qui les Ukrainiens ne sont rien de plus que de la chair à canon. La tragédie de l’Ukraine est le symptôme d’une paralysie continentale et civilisationnelle qui nous affecte aujourd’hui partout.

    Les va-t-en-guerre transforment l’Ukraine en un second Afghanistan. Nous devrions plutôt œuvrer à faire de l’Ukraine une « Suisse de l’Est » neutre, une zone tampon et un instrument d’équilibre entre la Russie et l’Occident.

    Cette neutralité entre blocs de pouvoir pourrait, et doit, un jour conduire à une neutralité paneuropéenne, qui se transformerait alors en indépendance. L’Europe doit devenir un pôle à part entière. Et puisque nous partageons un continent avec la Russie, nous devrons coexister pacifiquement. Cette logique n’a pas de pertinence pour les Américains, protégés par l’Atlantique. Ceux qui veulent avant tout s’opposer à la Russie tout en comptant sur l’appui des États-Unis doivent en être conscients : le risque est de se laisser entraîner dans la catastrophe. L’Ukraine est un exemple à méditer.

    Tomasz Froelich (Euro-Synergies, 1er décembre 2024)

     

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  • L’Arctique : Guerre Froide ou Guerre Congelée ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré à l'Arctique, future zone de conflit géopolitique...

    Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique. 

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    L’Arctique : Guerre Froide ou Guerre Congelée ?

    Le conflit ukrainien a été le révélateur d’un nouvel échiquier géopolitique mondial, mettant fin à presque sept décennies d’un affrontement bipolaire entre les États-Unis et l’Union Soviétique, suivi d’une vision unipolaire américaine après l’éclatement de son empire rival russe. Nous avons bel et bien basculé dans un nouveau paradigme multipolaire assorti d’opportunités et de tensions inévitables entre l’Occident, les BRICS+ et le « Grand Sud ».

    Les ramifications de cette rivalité remettent en cause à juste titre l’hypocrisie occidentale sur son rôle soi-disant « juste et de principes » en termes de Droits de l’homme et de démocratie ; l’attitude cynique, belliqueuse et extraterritoriales des USA et le suivisme attentatoire européen sont passés par là. Elles englobent les questions de culture, d’économie, de sécurité et de défense, allant même jusqu’à œuvrer pour la dédollarisation des échanges commerciaux mondiaux et des réserves de devises détenues par les banques centrales.

    Ce nouvel échiquier cristallise aussi des aspirations de projection de puissance et de rapports de force, laissant poindre les zones géographiques terrestres ou du Cosmos qui deviennent ou deviendront des enjeux de tensions et de crises actuelles et futures. L’un de ces espaces est l’Arctique.

    Longtemps perçu comme un territoire hostile et inaccessible, l’Arctique redevient une préoccupation pour les grandes puissances en 1996 avec la création du Conseil de l’Arctique, un forum d’échanges et de coopération autour des sujets touchant le climat, l’environnement, la science et la sécurité, entre les 8 pays frontaliers de l’Arctique : la Russie, les États-Unis, le Canada, le Danemark (Groenland), la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Islande. A noter que cinq des huit sont membres de l’OTAN, avec deux pays supplémentaires en lice suite aux candidatures exprimées en juin dernier par la Finlande et la Suède. Sous le droit international existant, les huit nations se sont mises d’accord alors pour définir les zones exclusives économiques (ZEE), comprenant les 12 milles d’eaux territoriales et limitées aux 200 milles d’eaux internationales au-delà.

    Cependant deux enjeux majeurs ont amplifié depuis quelques années ces sujets : le réchauffement climatique et les questions militaires.

    La fonte accélérée de la banquise ouvre deux nouvelles opportunités : les passages maritimes et l’accès facilité aux ressources gisant sous la calotte de glace. À ces événements géopolitiques s’ajoutent des observations scientifiques inédites. Les grandes puissances prennent alors véritablement conscience du bouleversement à venir. Selon les experts du Giec, avec la hausse des températures, la banquise pourrait totalement disparaître en été d’ici 2030, ouvrant de nouvelles voies maritimes, c’est à dire le passage du Nord-Est, ouvrant la voie la plus courte pour relier l’Europe à l’Asie ou vice-versa, le long des côtes russes, plutôt qu’empruntant le canal de Suez. Temps de croisière diminué de 24 à 12 jours. De plus, l’Institut polaire norvégien révèle que, pour la première fois depuis le début de ses constatations en 1972, le passage du Nord-Ouest (reliant l’Alaska à l’Europe) est « entièrement ouvert à la navigation ».

    Selon une étude en 2008 du très sérieux US Geological Survey, la zone arctique recèlerait plus de 10 % des réserves mondiales de pétrole et près de 30 % des réserves de gaz naturel. Et la fonte des glaces apparaît alors comme une aubaine économique pour les pays concernés car l’Arctique regorge d’autres trésors : nickel, plomb, zinc, uranium, platine, terres rares … Cependant une grande majorité de ces hydrocarbures et ressources est située dans la ZEE russe.

    Vladimir Poutine mise beaucoup sur cet eldorado polaire et veut quadrupler d’ici 2025 le volume de fret transitant par l’Arctique. Symbole de ces aspirations, la gigantesque usine de liquéfaction de gaz naturel dans la péninsule de Yamal, conçue en collaboration avec la Chine et le groupe français Total. Outre la possibilité de développer des routes commerciales plus courtes par les passages du nord, la Chine veut ainsi imprimer sa présence sur les « routes de la Soie polaire » car les projets de GNL représentent la pierre angulaire de la coopération sino-russe en Arctique. En général, l’Empire du Milieu ne cache pas son attrait pour ce vaste territoire situé pourtant à 1.400 km de ses côtes. « Ce regain d’intérêt s’est matérialisé dès 2004 par la construction d’une station scientifique sur l’archipel norvégien du Svalbard » ; la Chine s’est peu à peu imposée comme un partenaire scientifique mais aussi comme un partenaire économique majeur.

    En 2013, l’Islande devient ainsi le premier pays européen à signer un accord de libre-échange avec Pékin. La même année, la Chine fait son entrée au Conseil de l’Arctique avec un statut de pays observateur. En 2018, la Chine présente pour la première fois sa politique arctique et se définit désormais comme un « État proche-Arctique » – un statut inventé et fondé sur une nouvelle interprétation des cartes. En quelques années, Pékin est devenu le premier investisseur dans la zone et s’est impliqué dans des dizaines de projets miniers, gaziers et pétroliers.

    La Russie, qui détient la frontière la plus longue avec l’océan Arctique, pourrait être tentée de bloquer ces routes en cas de tensions et d’escalade avec les pays occidentaux. Si les démonstrations de force de la Russie en Arctique inquiètent les pays occidentaux, pour le moment aucun pays arctique n’a intérêt à développer un conflit armé dans la région car l’instabilité ferait sans doute fuir les investisseurs, à minima.

    Des tensions géopolitiques ou de la militarisation, il n’en a pas été question à Reykjavik en mai 2021 lors du dernier Forum ; il s’était officiellement réuni pour parler développement durable, coopération économique et pacifique et protection des populations autochtones menacées par le réchauffement climatique, trois fois plus rapide dans le Grand Nord que sur le reste de la planète. « Nous nous engageons à promouvoir une région arctique pacifique où la coopération l’emporte en matière de climat, d’environnement, de science et de sécurité », a déclaré alors le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.

    Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a martelé que l’Arctique était une zone d’influence légitime de Moscou et dénoncé « l’offensive » occidentale dans la région, tandis son homologue américain en visite au Danemark quelques jours auparavant, avait pointé du doigt « l’augmentation de certaines activités militaires dans l’Arctique ».

    Ce dernier conclave a débouché sur une déclaration commune sur la nécessité de préserver la paix et de lutter contre le réchauffement climatique. Une entente de façade alors que les rivalités ne cessent de grandir dans cette région devenue le pôle de toutes les convoitises.

    Depuis 2010, la Russie a en effet construit ou modernisé 14 bases militaires datant de l’époque soviétique et multiplié les exercices militaires. En mars 2017, Moscou a simulé une attaque d’avions contre un radar norvégien. Puis les forces russes ont réalisé l’exploit d’un parachutage à 10.000 mètres d’altitude dans le cercle polaire, démontrant leur capacité de projection dans des conditions extrêmes. Des images satellites récentes montrent ces vieilles bases militaires et hangars sous-marins de l’époque soviétique rénovés, des stations radars flambant neuves installées non loin de l’Alaska et des pistes d’atterrissage qui sont apparues dans l’archipel des îles de Nouvelle-Sibérie, confirmant l’ampleur de cet effort. Pour souligner le tout, Vladimir Poutine a signé au cœur de l’été 2022 une nouvelle doctrine pour sa marine, indiquant que la Russie défendrait « par tous les moyens » ses eaux arctiques ; le document les mentionne 66 fois.

    C’est en effet dans cette région que se trouve la flotte du Nord, la plus puissante des quatre flottes russes, et qui constitue la colonne vertébrale de la dissuasion nucléaire maritime russe.

    En face, l’OTAN montre aussi les muscles avec des exercices militaires de plus en plus fréquents. En 2018, l’exercice « Trident Juncture » en Norvège a rassemblé des troupes des 29 pays membres, rejointes par celles de la Suède et de la Finlande. D’une ampleur inégalée depuis la fin de la Guerre froide, cette manœuvre avait provoqué la fureur du Kremlin. En amont d’une visite en août 2022 du système de radars de Cambridge Bay, au Canada, le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a indiqué dans une tribune que l’organisation militaire « muscle la sécurité de l’Arctique », soulignant que « le chemin le plus court vers l’Amérique du Nord pour les missiles ou bombardiers russes serait le pôle Nord ». Les États-Unis voient d’un mauvais œil cette montée en puissance militaire à quelques centaines de kilomètres de leur territoire en Alaska. “Nous avons des intérêts de sécurité nationale évidents dans cette région que nous devons protéger et défendre”, a averti en 2021 John F. Kirby, alors porte-parole du Pentagone.

    Mais dans l’esprit américain, cette militarisation de l’Arctique n’est pas seulement à but défensif. Washington craint le spectre du missile sous-marin Poséidon que la Russie serait en train de mettre au point dans l’une de ses bases tout au nord du pays. Si ces nouvelles armes inquiètent tant, c’est qu’il s’agit de drones capables de déjouer les systèmes américains de détection sous-marine et qui sont équipés de têtes explosives de plusieurs mégatonnes. En explosant, elles pourraient créer des ‘tsunamis’ radioactifs au large des côtes américaines.

    La multiplication des bases militaires russes permettrait de préparer le contrôle de facto par la Russie du trafic maritime le long de cette route. Les États-Unis n’ont aucune envie de voir se répéter dans cette région la même situation qu’en mer de Chine méridionale, où Pékin essaie d’imposer sa souveraineté en construisant un réseau d’installations militaires. Mais les Chinois essayent aussi de projeter leur influence en Arctique, en témoignent les récents exercices navals avec la Russie dans cette zone.

    Si vis pacem para bellum. Alors que John F. Kirby semblait suggérer en 2021 que “personne n’a intérêt à ce que l’Arctique devienne une zone militarisée”, ce n’était pas tant un appel à la paix dans le monde des glaciers, qu’une mise en garde indiquant que les États-Unis sont prêts à défendre leurs intérêts économiques. Les États-Unis ont déployé le 28 février dernier l’un de leurs seize Boeing E6-Mercury en Islande, qui servent (avec une autonomie de 12.000 kilomètres) de postes de commandement aériens et de relais de communication pour le National Command Authority américain, pour des attaques intercontinentales nucléaires potentielles à partir des silos aux US ou depuis les SNLEs américains qui rôdent sous la banquise à l’année, jouant au chat et à la souris avec les vaisseaux russes ou français … Des E6 additionnels pourraient rejoindre prochainement d’autres cieux otaniens en Europe.

    Plus l’Arctique se libère, plus il est rentable et intéressant d’y mener des activités économiques et militaires. Il va donc devenir un point de convergence de rivalités croissantes des puissances de l’hémisphère nord: États-Unis, Russie et Chine. L’Arctique, c’est l’enjeu du siècle à venir.

    Christopher Coonen (Geopragma, 18 novembre 2024)

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  • La guerre à venir ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue italien d'Andrea Marcigliano, cueilli sur Euro-Synergies et qui évoque l'affrontement qui vient entre la Chine te les Etats-Unis. Essayiste, Andrea Marcigliano est un des animateurs, avec l'historien Franco Cardini notamment, du laboratoire d'idées "Le Nœud gordien".

     

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    La guerre à venir

    Zheng Yongniang est conseiller du président chinois Xi Jinping. Un conseiller très écouté, d'ailleurs, et un excellent analyste de notre Occident. Et de ses intentions.

    Et Zheng ne mâche pas ses mots pour définir l'état actuel des relations entre sa Chine et cette Amérique qui résout à elle seule toutes les contradictions d'un Occident sans autre guide ni référence.

    Et son analyse, rapportée par divers sites européens, est lucide et froide.

    La guerre, une nouvelle guerre mondiale, est inévitable. Et elle aura pour principaux adversaires Pékin et Washington, et pour théâtre privilégié le Pacifique.

    Un point c'est tout.

    Sec, sec, comme les Chinois savent l'être quand ils parlent des choses vraies. Sans faux-semblants ni langue de bois. C'est-à-dire sans ces tournures de phrases, ces euphémismes qui, malheureusement, caractérisent les déclarations de nos hommes politiques. Toujours plus soucieux de nous raconter le classique « conte de fées de l'ours » que de nous dire la vérité. De nous la dire purement et simplement.

    Et la vérité, malheureusement, est une. La véritable confrontation, aujourd'hui, n'est pas celle, permanente et ouverte, entre Washington et Moscou. Qui, peut-être, (mais le conditionnel s'impose) pourrait être résolu par la nouvelle administration américaine dirigée par Donald Trump.

    Ce n'est pas non plus celle qui se déroule dans le Moyen-Orient élargi, convulsif et confus. Avec l'affrontement en cours entre Israël et la coalition chiite, dirigée par l'Iran.

    Autant de chapitres dangereux, certes, et sanglants de l'histoire contemporaine. Mais pas décisifs pour autant. Parce que la véritable confrontation est plus lointaine. Même si parler d'éloignement est, aujourd'hui, peut-être inapproprié. Notre monde étant devenu, désormais, trop interconnecté, trop petit si l'on veut simplifier, pour nous permettre de considérer une telle tension comme réellement lointaine. D'où pourrait naître (et le conditionnel, ici, n'est qu'un espoir) un nouveau conflit mondial.

    Qui voit, en filigrane, l'affrontement entre Washington et Pékin. C'est-à-dire entre ceux qui détiennent, peut-être depuis trop longtemps, une sorte de primauté géopolitique, qu'ils voudraient mondiale et absolue. Et qui cette primauté, désormais, est de plus en plus ouvertement remise en cause.

    La Chine est dirigée par une élite, si l'on préfère une oligarchie, qui est extrêmement réaliste. Qui ne souhaite pas la guerre avec le concurrent américain. Elle préfère une expansion « pacifique » - et les guillemets s'imposent - de sa propre puissance. En premier lieu, bien sûr, sur le plan commercial et économique. Dans le second cas, bien sûr, politique.

    Cependant, le réalisme que je viens d'évoquer conduit cette élite à considérer comme inévitable un choc frontal avec les États-Unis. Et cette expansion, ils ne la souhaitent pas. Tout simplement. Parce qu'ils n'entendent pas trouver ou accepter des formes de partage de la puissance mondiale.

    Un danger qu'un politologue aussi pointu que John Joseph Mearsheimer avait déjà mis en garde dès les années 1990, aujourd'hui bien lointaines.

    Il a été le premier à parler clairement de la tragédie qui se préparait. Parce qu'une seule puissance mondiale pourrait fonctionner dans les séries télévisées futuristes de Star Trek. Pas dans la réalité.

    Il n'a pas été écouté. Malheureusement.

    Aujourd'hui, Pékin a pris conscience de deux choses.

    Premièrement, la confrontation avec Washington et ses élites dirigeantes est inévitable. La Chine n'a pas l'intention de concéder le moindre espace aux ambitions d'autres pays. Quel qu'en soit le prix. Et j'ose dire qu'il coûtera très cher. Pour tout le monde, et pas seulement pour les Américains.

    Deuxièmement, et c'est peut-être le plus important, l'hégémonie américaine est désormais entrée dans une crise que l'on peut considérer comme irréversible. Bien qu'elle soit lente.

    Aujourd'hui, en effet, seule l'Europe occidentale semble soumise aux diktats des élites, financières et politiques, basées en Amérique.

    Le reste du monde a commencé à regarder autour de lui. Et à se débarrasser de certains carcans.

    Le monde arabe traverse une crise profonde. La guerre entre Israël et les chiites n'est que ce qu'elle semble être pour l'instant.

    L'Afrique est en ébullition. Et différents pays sortent d'un sommeil colonial vieux de plusieurs siècles. C'est déjà le cas dans l'ancienne Afrique française, d'où les anciens colonialistes ont été chassés.

    En Amérique latine également, les signes d'une volonté de se libérer de l'emprise américaine sont visibles. Surtout dans la région des Andes et aussi, quoique plus prudemment, dans le Brésil de Lula.

    Ne parlons pas, bien sûr, de la Russie, où l'affrontement est désormais flagrant.

    Mais c'est avec la Chine que se jouera la véritable confrontation. Et les mouvements de la lente partie d'échecs que Pékin et Washington jouent actuellement autour de Taïwan n'en sont que le premier signe.

    Andrea Marcigliano (Euro-Synergies, 12 novembre 2024)

     

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  • Colonie stratégique sur Mars : les États-Unis visent-ils une « domination astropolitique » ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Henrik Werenskiold , cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré aux projets envisagés aux États-Unis d'installation sur la planète Mars...

    Henrik Werenskiold est le fondateur et le rédacteur en chef du site norvégien Geopolitika.

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    Colonie stratégique sur Mars : les États-Unis visent-ils une « domination astropolitique » 

    Dans le légendaire jeu de stratégie de Sid Meier, Civilization, le premier joueur à atteindre la Lune remporte la bataille entre les civilisations. C’est une idée intéressante, mais elle manque peut-être sa cible. Il existe en effet une planète encore plus importante : Mars, la planète rouge, dont la colonisation pourrait constituer l’ultime outil « astrostratégique » pour toute civilisation terrestre.

    Elon Musk, l’homme le plus riche du monde et magnat de la tech, possède une technologie clé aux conséquences potentiellement énormes pour la stratégie globale des États-Unis. Il est la seule personne au monde capable, de manière crédible, de mener à bien la colonisation de Mars dans un avenir proche, ce qui, en cas de succès, pourrait avoir d’importantes répercussions géopolitiques sur Terre.

    Bien que de nombreux obstacles peuvent encore survenir, Musk affirme désormais qu’il vise à envoyer la première flotte de vaisseaux Starship non habités de SpaceX, chargés d’équipements et de fournitures essentielles, vers la planète rouge lors de la prochaine fenêtre de lancement dans un peu plus de deux ans. Si tout se déroule comme prévu, SpaceX envisage d’envoyer la première expédition habitée vers Mars lors de la fenêtre suivante, dans un peu plus de quatre ans.

    Une question de temps

    Ces astronautes posséderont une expertise essentielle dans des domaines clés pour établir une colonie viable sur Mars, notamment en ingénierie aérospatiale, environnementale et robotique, ainsi qu’en astrobiologie, médecine, psychologie, agronomie, géologie, sans oublier l’expertise en intelligence artificielle et en protection contre les radiations.

    Ces individus feront de la planète rouge leur domicile permanent et faciliteront l’arrivée de nouveaux colons. Par la suite, d’importantes fournitures seront envoyées vers Mars à chaque fenêtre de lancement, tous les deux ans, probablement en quantités croissantes. La première colonie martienne américaine permanente et autosuffisante ne semble donc être qu’une question de temps.

    Le premier à arriver gagne la véritable partie de Civilization

    À l’heure actuelle, il semble que toutes les autres entreprises de fusées et d’exploration spatiale – qu’elles soient privées ou étatiques – restent loin derrière la technologie de SpaceX en ce qui concerne la capacité réelle de coloniser Mars. Cela donne donc aux États-Unis une avance considérable pour construire une base opérationnelle sur Mars, apparemment bien avant que d’autres puissances puissent suivre leurs traces.

    Si les États-Unis et SpaceX parviennent à établir une base plus ou moins autosuffisante sur Mars, ils pourraient en principe créer un avantage « astrostratégique » permanent, impossible à reproduire par les rivaux terrestres du pays, en particulier la Chine. Les Américains pourraient en effet équiper leurs vaisseaux spatiaux en orbite autour de Mars de divers armements, ce qui pourrait, en théorie, empêcher tout rival d’établir une base concurrente sur la planète rouge.

    Il existe un traité de 1967 – le Traité sur l’espace ou Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique – qui interdit à tout pays de revendiquer la Lune ou d’autres corps célestes comme son territoire, y compris Mars. Mais avec l’évolution de la politique mondiale au cours des dernières décennies, où les grandes puissances s’opposent de plus en plus vivement et où plusieurs traités importants ont été rompus, il n’est pas impensable que les États-Unis se retirent du Traité de l’espace extra-atmosphérique et revendiquent Mars – soit comme leur propre territoire, soit réservé aux nations alliées – dès qu’ils auront établi une base permanente et autosuffisante suffisamment grande.

    Avantages géopolitiques

    Étant donné la rapidité du progrès technologique, ce n’est plus de la science-fiction. Ce n’est qu’une question de temps avant que les États-Unis n’envoient leurs premiers vaisseaux spatiaux vers Mars et ne commencent leur colonisation.

    Posséder une base permanente et autosuffisante sur Mars offre des avantages géopolitiques évidents sur Terre. En poussant le raisonnement, une guerre nucléaire internationale et le concept de DMA (destruction mutuelle assurée) s’appliqueraient autrement aux Américains. Cela se situe bien sûr plus loin dans le futur, mais ce n’est plus un scénario totalement irréaliste.

    Astre brillant

    Lorsque Mars et la Terre sont les plus proches l’une de l’autre, cela s’appelle une opposition. Cela se produit lorsque Mars, la Terre et le Soleil sont alignés, avec la Terre au milieu. C’est à ce moment que Mars est la plus proche de la Terre et apparaît donc plus lumineuse et plus grande dans le ciel nocturne. La prochaine opposition entre Mars et la Terre aura lieu le 25 janvier 2025, et la planète rouge continue de se rapprocher de la planète bleue à une vitesse record.

    Il est donc temps de lever les yeux vers les étoiles, maintenant que l’hiver et la saison sombre s’installent. Un objet brille de plus en plus fort et occupe une position dominante parmi les corps célestes du ciel étoilé : la planète rouge. Nous pourrions en effet être les derniers humains de l’histoire à voir Mars « de près » sans une activité humaine significative à sa surface.

    La course vers Mars a commencé, et les Américains semblent avoir un avantage de pionniers sans précédent dans la colonisation de la planète rouge, ce qui leur conférera une avance irremplaçable s’ils le souhaitent.

    Henrik Werenskiold (Conflits, 7 novembre 2024)

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  • L’onde de choc américaine peut-elle réveiller l'Europe ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de David Engels sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, datée du 8 novembre 2024 et consacrée à l'onde de choc du triomphe de Trump et à ses conséquences potentielles pour l'Europe.

     

                                               

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