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etats-unis - Page 5

  • Nashville : les progressistes en quête de Genre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'Observatoire du journalisme qui revient sur les errances des médias après la fusillade meurtrière commise dans une école protestante de Nashville (Etats-Unis) par une transexuelle.

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    Nashville : les progressistes en quête de Genre

    Connue en France et dans le monde pour des raisons musicales, trop nombreuses pour être détaillées ici, Nashville a malheureusement fait la Une de l’actualité anglo-saxonne, et brièvement française, à partir du 27 mars 2023. Pour quelques jours.

    Les faits : d’après 20 Minutes, dans son édition mise à jour le 29 mars, essentiellement une copie de la dépêche de l’AFP, comme la plupart des articles parus à ce propos dans la presse française, « le tireur, un homme transgenre de 28 ans, a été abattu par les forces de l’ordre ». Le journal diffuse aussi une partie de la vidéo du tueur entrant dans l’école avec une arme de poing et surtout un fusil d’assaut. La tuerie a provoqué la mort de trois adultes et de trois enfants âgés de 8 à 9 ans. La presse française indique que la fusillade a eu lieu dans une école privée mais pas que cette école est chrétienne. À de rares exceptions, et en utilisant le vocable de « presbytérien », peu habituel en France, l’essentiel de la presse ne spécifie pas que les victimes sont chrétiennes. Chez nous, avec une vision peu compréhensible partout ailleurs de la laïcité, le christianisme est dans un camp particulier — celui du mal. Peu compréhensible ? Par exemple, dans la revue progressiste, littéraire et intellectuelle de Los Angeles The Sun, datée de mars 2023, un très long et passionnant entretien avec l’historienne américaine spécialiste des religions Molly Worthen évoque la France, le temps d’une ligne. Comme le mot « laïcité » est écrit, l’éditeur de la revue est obligé d’ouvrir une parenthèse afin d’expliquer ce que signifie cette particularité. La laïcité à la française, personne ne sait ce que c’est en réalité ailleurs dans le monde.

    Un quiproquo ?

    D’après 20Minutes, « Le chef de la police locale, John Drake, a d’abord identifié le tireur comme Audrey Hale (par ailleurs ancien élève ou ancienne élève de l’école), une femme de 28 ans, abattue lors de l’intervention des forces de l’ordre. En fin de journée, ses services ont précisé qu’il s’agissait d’un homme transgenre, né femme mais qui s’identifiait comme un homme sur Linkedin sous le prénom Aiden ». On s’y perd vite : un homme qui est une femme mais qui est un homme.

     Les médias américains ont perdu la boule

    Devant cette incertitude et face à ce qui est devenu une nécessité, réagir le plus vite possible à tout et n’importe quoi sans réfléchir ni se poser de questions, ni surtout s’informer, ce qui est un comble, les médias américains progressistes ont perdu la tête durant toute cette journée. Ils ont eu beaucoup de mal à indiquer le sexe du tireur de masse, décrivant la tueuse comme étant, un homme, une femme, puis se précipitant à la vitesse d’un progressiste lancé à toute vitesse pour affirmer que le tueur était un homme. Cela ne s’est pas fait en une fois, et il ne fut pas rare, sur le fil d’actualité du New York Times par exemple, que le passage d’un sexe à l’autre devienne une « information » plus importante que les faits eux-mêmes.

    Le tireur était-il une femme ? Un homme ? Un transgenre en tout cas. Or, comme tout transgenre, il s’identifie comme femme, comme homme ou comme sans genre spécifique. Pour les autorités, lors de la déclaration du début de l’après-midi, le tueur était une femme trans.

    Juste avant que la confirmation selon laquelle le tueur s’était identifié comme transgenre, le New York Times avait tweeté un article pour montrer que « les tueuses dans les fusillades de masse aux Etats-Unis — comme celle qui s’est produite à Nashville — sont extrêmement rares ». Il a bien fallu faire machine arrière plus tard dans la soirée : « Il y a eu une confusion au sujet de l’identité de genre de l’agresseur dans la fusillade de Nashville. Les auteurs de l’article ont employé “she” and “her” pour désigner le suspect qui semblait en fait s’identifier comme un homme sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois ». La même mésaventure est arrivée à USA TODAY qui a, lui aussi, dû rebrousser chemin. Cependant ce média a choisi de s’en prendre aux forces de l’ordre ayant mal identifié le coupable. Facile.

    Une question de pronom

    Même CNN a dû réagir. La chaîne de télévision, en perte de vitesse, a précisé qu’elle s’était trompée et que le tueur utilisait bien des pronoms masculins sur les réseaux sociaux. Pour information, car en France le débat est de faible intensité en comparaison, lors de l’inscription dans nombre d’universités, par exemple, il est demandé au futur étudiant quels « pronoms il préfère utiliser ». Et ces pronoms peuvent évidemment varier dans le temps pour une personne transgenre. Prudemment, CNN a décidé de ne pas mettre de pronoms sur ses bandeaux d’information en direct…

     Les vrais coupables ? Les conservateurs.

    Pour une partie des médias, la pensée conservatrice est coupable de la tuerie. Selon ABC News, une loi récente du Tennessee serait à l’origine de la tuerie. Il s’agit d’interdire les soins médicaux transgenres pour les mineurs. Sur NBC, la fusillade serait liée au journal conservateur The Daily Wire, journal de Nashville, qui aurait trop parlé des questions transgenres. La seule information factuelle, loin de ces allégations sans fondement ? Personne ne sait pourquoi cette tuerie a eu lieu. Par contre, chacun sait que le tueur était transgenre.

    Ojim (Observatoire du journalisme, 7 avril 2023)

     

    Connue en France et dans le monde pour des raisons musicales, trop nombreuses pour être détaillées ici, Nashville a malheureusement fait la Une de l’actualité anglo-saxonne, et brièvement française, à partir du 27 mars 2023. Pour quelques jours.
    Nashville : les progressistes en quête de Genre
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  • Le reste contre l’Ouest...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré aux relations de l'occident avec le reste du monde depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

     

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    Le reste contre l’Ouest

    Fréquents adeptes du wishful thinking, les grands médias occidentaux ont souligné à l’envi que rien d’important – ni contrat de vente d’armes, ni déclaration de soutien à la guerre en Ukraine –  n’avait été signé lors de la visite que le président chinois fit à son homologue russe à Moscou, du 21 au 23 mars 2023, et que c’était donc un flop pour Vladimir Poutine.
     
    Mais les occidentaux ne comprennent pas qu’en géopolitique le symbolique prime toujours sur le matériel. Xi Jinping n’est pas un homme qui pratique le tourisme diplomatique. Quand il se rend à Moscou et qu’il étreint un Poutine qui vient tout juste de se faire inculper pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI), c’est qu’il veut faire passer un message puissant à ses rivaux occidentaux.
     
    C’est un message de défi. De refus d’une quelconque primauté morale que détiendrait l’Occident par rapport au reste de l’humanité. « Vos principes démocratiques et votre justice internationale à géométrie variable, vous pouvez les garder ! », semble vouloir dire aux Occidentaux le dirigeant chinois. Xi Jinping a peu apprécié les menaces à peine voilées exprimées par l’Amérique au cas où il renforcerait son alliance avec la Russie. « Je m’allie avec qui je veux, comme je veux et quand je veux », est la réponse de Pékin à Washington.
     
    C’est une position qui est beaucoup plus répandue sur la planète qu’on ne le croit. Elle est suivie par la plupart des Etats d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Elle permet à la Chine de se présenter comme le héraut d’un monde multipolaire, par opposition au monde unipolaire conduit par les Etats-Unis d’Amérique.
     
    Les leaders de la jeunesse urbanisée des pays qu’on qualifiait naguère du Tiers-Monde sont de plus en plus nombreux à taxer d’hypocrite le catéchisme démocratique venu d’occident. Le Sud-Africain Julius Sello Malema, né en 1981 dans un bantoustan, en est un bon exemple. Après avoir été le président de la ligue de la jeunesse de l’ANC, il a rompu avec le parti au pouvoir, pour créer son propre mouvement, Economic Freedom Fighters, qui ne cesse de grandir. Dans une vidéo qui a beaucoup tourné en Afrique, il dénonce ce qu’il estime être le deux poids, deux mesures, de la Cour internationale de La Haye. La CPI a inculpé le président russe mais ne s’est jamais intéressée aux leaders occidentaux ayant détruit deux Etats, l’Irak et la Libye, par des interventions militaires non autorisées par l’ONU.
     
    Le président américain s’est réjoui de l’inculpation de Vladimir Poutine par la CPI, et a déclaré : « Nous devons rassembler les informations et avoir un procès pour crimes de guerre ». La jeunesse du reste du monde juge hypocrite cette attitude, dans la mesure où l’Amérique n’a jamais ratifié le Statut de Rome et n’est donc pas partie à la CPI (comme la Russie ou la Chine d’ailleurs). Les crimes de guerre commis à Boutcha, en Ukraine, par l’armée russe, sont avérés. Mais ceux commis à Abou Ghraïb, en Irak, ne le sont pas moins. Or aucun dirigeant de la Coalition occidentale ayant envahi l’Irak en 2003 n’a été pour le moment inquiété par la justice internationale.  
     
    Les occidentaux expliquent que leurs interventions militaires sont désintéressées, et qu’elles se font dans le cadre d’une lutte contre le mal (la dictature) et pour la promotion du bien (la démocratie). Ce mantra manichéen, qui a pu être véhiculé par les médias de masse, passe déjà moyennement auprès de la jeunesse occidentale. Mais il ne passe plus du tout auprès des jeunesses politisées africaines, latino-américaines, asiatiques. 
     
    L’Amérique prend conscience de ce phénomène. Voilà pourquoi la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a, le 26 mars 2023, entamé une tournée en Afrique (Ghana, Tanzanie, Zambie). Washington considère que ce continent, où l’âge moyen est de vingt ans, représente l’avenir de l’humanité. Les Américains veulent y contrer la percée de la Chine et de la Russie, ces deux grandes autocraties qui ne cessent de se rapprocher depuis vingt ans.
     
    Cependant, les jeunesses politisées du reste du monde s’intéressent moins à la pureté proclamée des intentions de l’Occident qu’au résultat final de ses interventions militaires. Elles constatent qu’il a détruit, puis abandonné, deux Etats pétroliers du tiers monde qui fonctionnaient, à savoir l’Irak et la Libye.

    Le jour où un armistice entre Moscou et Kiev sera en vue, l’Occident demandera aux Russes de présenter leurs excuses pour leur agression militaire du 24 février 2022. Mais s’il veut être appuyé par le reste du monde dans cette démarche, l’Occident serait bien avisé de balayer d’abord devant sa porte. Et de présenter auparavant ses excuses pour les graves déstabilisations du Moyen-Orient et du Sahel, qu’il a provoquées par ses guerres d’Irak (2003) et de Libye (2011).

    Renaud Girard (Geopragma, 29 mars 2023)

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  • Christian Harbulot : "Les USA profitent de la guerre et l’Europe en pâtit !"

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Christian Harbulot à Régis Le Sommier sur Omerta, dans lequel il évoque la complexité des intérêts économiques qui guident la guerre en Ukraine.

    Introducteur en France, au début des années 90, de l'intelligence économique et fondateur de l’École de Guerre Économique, Christian Harbulot a notamment  publié Fabricants d'intox (Lemieux, 2016) et Le nationalisme économique américain (VA Press, 2017).

     

                                               

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  • Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Eparvier cueilli sur Polémia et consacré à l'affrontement Chine/Etats-Unis. Frédéric Eparvier, cadre dirigeant d’un grande entreprise française à caractère stratégique.

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    Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ?

    Graham Allison, prophète apocalyptique ?

    Un grand nombre de commentateurs soi-disant spécialistes de géopolitique, ou autres généraux de plateaux, ainsi que de nombreux hommes politiques font référence au « Piège de Thucydide », s’appuyant, sans même peut-être l’avoir lu, sur le livre de Graham Allison : Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide.[1]

    De qui et de quoi parle-t-on ?

    Graham Allison, est Docteur en sciences politiques de l’université de Harvard, et s’est fait connaître par sa thèse de doctorat sur le poids de l’administration sur la politique étrangère des États-Unis ; ce que l’on appellerait aujourd’hui mutatis mutandis: l’État profond.[2] Comme souvent aux États Unis, il a alterné entre enseignement à l’université de Harvard, et des participations aux administrations démocrates. Il est bien sur membre des influents « think tanks » américains : la Rand Corporation (plutôt républicaine), ou la Brookings Institution, et le Council of Foreign Relations (plutôt démocrates).

    Graham Allison a la réputation d’avoir inventé l’expression « piège de Thucydide », même si pour être très franc, « La guerre du Péloponnèse » était déjà largement utilisé comme modèle d’une relation bilatérale (États-Unis URSS à l’époque) dès les années 1980 aux États-Unis.[3]

    Thucydide est un général Athénien, qui a rédigé une extraordinaire histoire de la guerre entre Sparte et Athènes qui bouleversa la Grèce entre 431 et 404, et vit la victoire de la Cité terrestre et conservatrice : Sparte, sur la Cité maritime et impérialiste : Athènes.[4] La nouveauté de Thucydide, qui fait preuve d’un rationalisme extrême[5] est de distinguer entre les causes immédiates et les causes « vraies » du conflit. « En fait, la cause la plus vraie est aussi la moins avouée ; c’est à mon sens que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, en les contraignant ainsi à la guerre. »[6]

    La thèse de Graham Allison est que « Quand une puissance ascendante menace de supplanter une puissance établie, quelles que soient les intentions, il en résulte une telle tension structurelle que le conflit violent devient la règle, non l’exception. »[7] Et pour prouver son hypothèse, il s’appuie sur seize études de cas qui révèlent que dans 75% des cas, le « piège de Thucydide » trouve son issue dans la guerre ouverte.

    Il passe alors la relation sino-américaine au tamis de son hypothèse, pour démontrer la dangerosité de la situation actuelle, et s’il reconnaît que la guerre n’a rien d’inévitable, il souligne que « Les facteurs favorisant la guerre pèsent parfois si lourd que l’on peine à concevoir une autre issue. » [8]

    Il imagine alors différents scenarii conduisant à la guerre : accident en mer de Chine qui dégénère, guerre entre les deux Corées etc… et se met en scène pour proposer un chemin vers la paix.

    Tout cela est séduisant, mais faux, car reposant à la fois sur un problème de méthode, une analyse simpliste des causes des guerres étudiées, et enfin, une mauvaise interprétation de l’œuvre de Thucydide.

     

    Reprenons :

    Graham Allison étudie (je pense d’ailleurs, qu’il a fait étudier seize crises par des étudiants de Maîtrise ou de License – nous y reviendrons) seize « pièges de Thucydide » pour mesurer combien terminent en conflits ouverts. Les résultats sont synthétisés dans le tableau ci-dessous :[9]

     

    SIÈCLE PUISSANCE DOMINANTE PUISSANCE MONTANTE RÉSULTAT
    XV Portugal Espagne Pas de guerre
    XVI France Habsbourg Guerre
    XVII Habsbourg Empire Ottoman Guerre
    XVII Habsbourg Suède Guerre
    XVII Pays-Bas Angleterre Guerre
    XVIII France Angleterre Guerre
    XIX Angleterre France Guerre
    XIX Angleterre / France Russie Guerre
    XIX France Allemagne Guerre
    XX Chine Russie Japon Guerre
    XX Angleterre États-Unis Pas de guerre
    XX Angleterre / France Allemagne Guerre
    XX Angleterre / France / URSS Allemagne Guerre
    XX États-Unis Japon Guerre
    XX États-Unis URSS Pas de guerre
    XX Royaume-Uni France Pas de guerre

     

    Si la thèse se veut convaincante, en avançant que 75 % des crises correspondant « au piège de Thucydide » se terminent par une guerre, l’étroitesse de la base statistique suffit à la discréditer celle-ci. 16 conflits, sur les milliers de conflits que le monde a connus, depuis que le monde est monde, avec 87 % des exemples choisis en Occident, et sur cinq siècles seulement, ce n’est vraiment pas très sérieux.

    Deuxièmement, la base statistique étant trop étroite, une crise de plus ou de moins, se terminant ou non en conflit et le chiffre magique de 75 % change très vite ; s’aggravant ou perdant toute signification. Passons les études à 20, suivant que l’on en choisi de 1 à 4 se terminant par un compromis, la thèse de Graham Allison, s’effondre progressivement de 75, à 60 %, ce qui est nettement moins convaincant…

    Troisièmement, on peut quand même s’interroger sur la répartition géographique des cas étudiés. Deux cas en Asie, pas un cas en Afrique ou au Moyen Orient. C’est gens-là ne se sont jamais fait la guerre ? Franchement tout cela serait beaucoup plus sérieux, si Graham Allison avait pris 50 cas, répartis sur 2000 ans, et sur les cinq continents.

    De plus, si vous prenez la peine de lire les cas d’études, vous serez consternés par les exemples choisis : le dernier par exemple, qui met en scène une crise entre l’Angleterre et l’Allemagne dans les années 1990 pour la domination continentale en Europe ? De qui se moque-t-on ?

    Ou encore, le douzième, celui de la guerre 14-18 qui se résumerait à un affrontement entre une puissance dominante / déclinante l’Angleterre et une puissance montante l’Allemagne. Les deux livres de Christopher Clarck : Les somnambules et de Margaret MacMillan : Vers la grande guerre publiée en 2014 ont largement montrés que les causes de la guerre civile européenne étaient bien plus complexes qu’une simple rivalité entre puissances établies ou déclinantes

    Ils démontrent aussi et surtout, que rien n’était écrit à l’avance et que la paix, était et est restée très longtemps une option possible et crédible.

    Non, les seize cas étudiés par Allison donnent surtout l’impression d’être un empilage de devoirs d’étudiants en Licence (Bachelor of Arts) ou Maîtrise (Master of Arts) et quand on connait l’effondrement du niveau scolaire et universitaire américain, du fait de l’offensive « Woke » / illuminée, on ne saurait être surpris par la pauvreté du résultat.[10]

    Sens de l’histoire contre volonté des hommes

    Enfin, il convient de rester très prudent avec le concept du piège de Thucydide tel que présenté par Graham Allison.

    En effet, si Thucydide indique bien que la cause vraie de la guerre entre Sparte et ses alliés, et Athènes et ses alliés-vassaux, et la peur que Sparte eu de la montée en puissance d’Athènes, la cause profonde démontrée dans tous les discours qui illustrent le narratif « thucydidien », et dans toutes les études érudites qui en ont été faites, est le refus par Sparte de subir le changement de régime qu’une domination, pire une défaite, face à Athènes, aurait entrainé.[11] Pour la communauté dorienne qui dominait Sparte, le risque d’hégémonie athénienne sur le monde grec, revenait à accepter l’établissement d’un régime « démocratique », dans l’ensemble des Cités du Péloponnèse, et partant, à Sparte. Pour la minorité dorienne de Laconie, c’était un risque existentiel. Et c’est bien contre ce risque qu’ils sont entrés en guerre. [12]

    Bien plus qu’une compétition pour une domination régionale ou mondiale tel que présenté par Graham Allison, c’est le risque de « regime change » comme l’on dirait aujourd’hui, qui entraine -en grande partie- les conflits entre nations. C’est quand une nation, un régime, se sent menacé dans son existence même, qu’il entre en guerre.

    Soyons donc clair, il n’y a pas de piège de Thucydide. Il n’y a aucun déterminisme qui ferait que deux nations doivent obligatoirement se combattre. Comme le dit très bien Anne Cheng dans ses cours sur la Chine au Collège de France, et les dieux savent qu’elle n’est vraiment une amie du pouvoir chinois actuel, parler du piège de Thucydide, c’est mettre immanquablement la Chine et les États-Unis dans une posture de confrontation.

    Comme le disait Jean-Marie Bastien Thiry lors de son procès : « Il n’y a pas de sens de l’histoire, […] car ce qui fait l’histoire, c’est la volonté des hommes, c’est l’intelligence des hommes, ce sont leur passions bonnes ou mauvaises. » et je rajouterai : c’est le courage des hommes !

    Je rajouterai aussi, la volonté des hommes, mise au service d’une vision et d’une stratégie. Mais aujourd’hui, en Europe et en France, c’est le vide sidéral. Ce que je vous démontrerai dans un prochain article sur la consternante « boussole stratégique européenne ».

    Frédéric Eparvier (Polémia, 16 mars 2023)

     

    Notes :

    [1] ALLISON, Graham. Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide. Odile Jacob, 2019.
    [2] ALLISON, Graham. The Essence of Decision. 1976.
    [3] E.g., mes cours avec Robert JERVIS ou Zbigniew BRZEZINSKI à Columbia University.
    [4] L’ouvrage de Thucydide couvre les années 431 à 411. La suite de la guerre est décrite dans Les Helléniques de Xénophon.
    [5] Sur ce sujet on lira avec intérêt : DE ROMILLY, Jacqueline. Histoire et raison chez Thucydide. Les Belles Lettres. 2018.
    [6] THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Collection Bouquins. 1990. P.184.
    [7] ALLISON, Op. cit. p. 15
    [8] Allison, Graham. Ibid, p. 68
    [9] Op. cit. 66-67
    [10] A ce sujet, on regardera les vidéos de Victor Davis Hanson sur Youtube, et particulièrement son dialogue avec Jordan Peterson : « The downfall of the Ivy League » : « La chute des universités aristocratiques de la cote Est » : Harvard, Princeton, Yale, Columbia, Brown, Cornell, Dartmouth, Pensilvania. En anglais.
    [11] N’oublions pas qu’au début de la guerre du Péloponnèse, il y avait 60 000 citoyens à Athènes, et moins de 9 000 à Sparte. Athènes était plus puissante que Sparte.
    [12] KAGAN, Donald. Nouvelle histoire de la guerre du Péloponnèse I et II. Les belles lettres. 2019 et 2021.

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  • Derrière la Guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au monde de l'Inde...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Derrière la Guerre

    Pendant que les nouvelles du front occupent l’attention, le monde bouge. Son mouvement s’accélère, à la faveur d’une guerre qui a pour sérieuse conséquence de rendre les Nations européennes aveugles à ses enjeux. Qu’ils soient régionaux, continentaux, ou mondiaux, ces enjeux sont pourtant d’une immense importance. D’abord, parce qu’ils déjouent bien des vérités acquises et des principes établis. Ensuite, parce qu’ils réécrivent la carte des puissances, que ce soit au niveau régional, en Europe, au niveau continental, en Eurasie, ou dans le monde, entre aires de civilisation. Enfin, et surtout, parce qu’ils font éclater des vérités cachées depuis la fondation du monde — de ce monde qui est né en 1944, et qui s’achève sous nos yeux grands fermés.

    La Pologne, la Lithuanie, l’Estonie, la Lettonie, ont-elles pris le pouvoir au sein de l’Union européenne ? 

    La rhétorique anti-russe de rigueur, comme l’engagement illimité derrière l’Ukraine, comme les prises de parole imposées, facilite un déplacement majeur du pouvoir et de l’influence en Europe. Tout se passe comme si l’Allemagne et la France avaient perdu cette capacité d’entraînement qui a permis à leur accord de diriger l’Union — et de la maintenir en vie. Tout se passe comme si la fin du pari allemand — unir sa technique et ses capitaux aux ressources de la Russie pour bâtir une puissance continentale mondiale à l’abri du parapluie américain — laissait la première puissance européenne désemparée, sans plan de rechange et sans projet national — subir l’occupation américaine n’y suffit pas. Et comment reconnaître une ambition ou un projet dans les errements de la France ? En quelques mois, voilà son Président passé d’une posture de recherche d’autonomie stratégique sans les moyens de celle-ci, et d’abord l’indépendance financière, et d’abord un modèle national-européen de réindustrialisation, de maîtrise des mouvements de capitaux et de protectionnisme éclairé, à un alignement sur la stratégie anglo-américaine dont l’histoire dira si elle est de conviction, d’opportunité ou d’obligation…

    L’obsession britannique de toujours — bloquer l’accès de la Russie aux mers chaudes, interdire toute alliance continentale qui menacerait la supériorité maritime et le commerce anglais — s’accorde avec l’intérêt américain — désigner un ennemi, mobiliser contre l’ennemi et défaire l’ennemi pour oublier le désordre intérieur… rien de nouveau. Et rien de nouveau non plus dans une tactique éprouvée qui consiste à faire faire les guerres par les autres, à laisser les autres s’épuiser sous les encouragements, pour mieux partager la victoire sans avoir combattu, relever les ruines et dominer vainqueurs et vaincus également ruinés.

    À cet égard, l’affrontement entre la Russie et la Grande-Bretagne reproduit un agenda historique bien connu. Comme toujours il ne manque pas de Nations européennes assez naïves ou assez confuses pour servir la logique britannique. Comme toujours, la Pologne s’empresse de se donner une importance que la suite dramatique de ses échecs historiques ne lui donne pas. Le très intéressant papier de M. Potocki (publié dans Le Figaro, 25 février 2023), proposant à la France une alliance stratégique, révèle une ambition inédite — ou une prétention injustifiée. Et comme toujours, il ne manque pas de bons apôtres pour expliquer que cette fois, c’est différent — en oubliant l’histoire, et les morts. Il est plus nouveau que l’Allemagne et la France soient les deux grandes perdantes d’un jeu dont elles n’ont pas pris la mesure — parler d’indépendance sans en avoir les moyens n’est pas un crime, mais c’est une faute que la France paie, comme elle avait payé son refus justifié de participer à l’invasion de l’Irak. L’Empire punit ses tributaires insolents.

    Reclassement du monde

    Pas de semaine, de jour même, où le reclassement du monde ne fasse entendre son fracas aux oreilles attentives. Un jour, de grandes manœuvres maritimes réunissent en Afrique du Sud la Chine, la Russie, et l’Afrique du Sud — avec essai annoncé d’un missile hypersonique sans concurrent ni parade connus. Un jour, l’Iran est admis dans les Brics, et le surlendemain, c’est l’Arabie Saoudite qui demande à adhérer à l’Organisation de Shanghai. Un jour, c’est le Bangladesh qui est célébré comme l’économie connaissant la plus forte croissance au monde, et annoncé comme plate-forme de services et de production incontournable dans la décennie qui vient — capitale de 25 millions d’habitants qui ne menace personne, Dacca deviendrait-elle capitale de l’Indo-Asie sans que nul ne l’ait vue venir ?

    Encore un pays où le dividende démographique, mis en valeur par une politique volontariste de formation des jeunes, joue et va jouer à plein… Un jour, la Chine annonce l’émission d’obligations d’État, en renminbi, à des conditions qui devraient attirer les capitaux de toute l’Asie hors des T-bonds américains, après que la Russie et l’Iran aient annoncé mettre en œuvre un système interbancaire de paiements hors SWIFT qui suscite un intérêt régional marqué. Un jour encore, le Mexique confirme son refus de s’associer aux sanctions contre la Russie, rejoignant ainsi les grands pays d’Amérique du Sud. Et le lendemain, se dévoile une nouvelle organisation des Routes de la Soie, qui ouvre un corridor de communication partant de Khashgar, au Sing Kiang, pour déboucher à la fois par le CPEC sur le port de Gwadar au Pakistan, et sur le port de Chababar, en Iran, à 80 km de là — deux ports en eau profonde, ouverts sur l’Océan Indien et le golfe Persique, deux ports connectés à la Russie et à l’Asie centrale aussi bien qu’à la Chine, au cœur de cette zone qui, des Émirats et de l’Iran à l’Inde, avec la Chine et la Russie en arrière-cour, devient l’un des centres du monde. Le 20 février, le Ministère chinois des affaires étrangères a publié un document historique sur lequel nous reviendrons — « US hegemony and its perils ». Et le G20 de Bangalore a échoué dans sa prétention à « weaponizer » la politique économique — de quoi se mêlent-ils ?  

    Bien sûr, le nouveau Président du Brésil, Lula, se révèle collaborateur dévoué des États-Unis, comme ses confrères socialistes et verts européens. Bien sûr, les populations de l’Est européen, y compris en Moldavie, y compris en Biélorussie, et bien sûr dans la majeure partie de l’Ukraine, regardent vers l’Ouest comme vers un conte de fées — et non sans raisons ni sans illusions. Bien sûr, le soft power américain demeure, voire se nourrit d’un conflit qui envoie chacun à son intime conviction — non pas ; qui souhaite vraiment être gouverné par Moscou, ou Pékin ? Mais ; qui veut vraiment se gouverner soi-même, et en payer le prix ? Dans la poussière de faits, de traités, d’alliances stratégiques et de circonstance, une réalité devrait alerter l’Europe. Le monde s’organise pour ne plus subir la loi des intérêts stratégiques, financiers et écologiques des pays du Nord. Entendre les ONG faire la leçon à la Chine, comme j’ai dû le subir la semaine dernière, n’est plus seulement ridicule. C’est dangereux. Ils ne savent pas ce qu’ils font.

    Lire tout cela en fonction des seuls intérêts des parties en présence serait sacrifié à cet économisme qui fait tant de ravages.

    Car bien plus que de l’argent est en cause. Des économistes indiens ont chiffré, paraît-il, à 45 000 milliards de dollars les coûts de la colonisation britannique. La Grande-Bretagne, responsable entre autres des millions de morts et personnes déplacées lors de la partition de l’Inde, mesure-t-elle l’arrogance qui lui fait accuser dans un reportage de la BBC Narendra Modi de ne pas avoir protégé les musulmans de l’État qu’il dirigeait, le Gujarat, voici vingt ans ? Les Bangladeshis n’oublient pas que leur industrie textile florissante a été brutalement détruite par une colonisation qui en a fait un atelier à bas prix, bas salaire et sous-développement, comme elle a détruit le luxe indien, le premier au monde avec celui de la Chine. Le Pakistan, par sa ministre de la lutte contre le changement climatique, nous disait en novembre ce que tous là-bas savent ; avec 0 ; 2 % des émissions mondiales de CO2, le Pakistan est victime du développement inconsidéré que l’Occident a imposé au reste du monde, pour l’intérêt de la ploutocratie qui le dirige. Qui a parlé du commerce anglais comme crime contre l’humanité ? 

    Nous ne referons pas l’histoire. Mais il nous coûtera cher de l’avoir oubliée. Car eux ne l’ont pas oublié, ni les Palais pillés, ni les trésors volés au profit du British Museum — quand leurs voleurs rendront ils les frises du Parthénon ? —, ni les populations appauvries, dépossédées, réduites au sous-développement. Ils l’oublient d’autant moins que les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la France hélas, continuent de se poser en donneurs de leçons, continuent de se comporter en maîtres du monde, continuent d’adopter des postures naturelles aux géants violents et géniaux qui ont assuré leur fortune, de Cécil Rhodes à Théodore Roosevelt, sans en avoir ni le génie, ni la force. Les États-Unis et leurs collaborateurs sont près de se trouver bien seuls. Seuls, face à un monde qui les supporte de moins en moins, qui assiste avec un mélange d’amusement et de dégoût à la décadence de l’Amérique Woke, et qui est décidé à ne plus écouter ses leçons, sa morale à sens unique et les beaux principes qu’elle trahit si bien.

    La guerre livrée contre la Russie en Ukraine est-elle le moment de ce renversement du monde qui s’est joué lors du traitement inique de la crise de 2007-2008 par les autorités américaines qui ont fait payer au monde les turpitudes de la tribu financière qui les gouverne ? Semaine après semaine, les enjeux montent, et aussi les risques. Seules face à l’Asie, face à l’Afrique, seuls même face à une Amérique du Sud qui sait ce qu’elle a payé pour la doctrine Monroe, et qui attend moins de la Chine sa liberté qu’un contrepoids face à l’étouffement américain, les Nations que les États-Unis croient leurs alliés, et qui leur sont seulement soumises, doivent se livrer à un salutaire exercice pour distinguer l’ennemi principal, les adversaires et les concurrents.

    La désinformation qui sévit ne les aide pas à y voir clair, par exemple sur la pauvreté que subit la population russe aux mains des oligarques milliardaires qui forment l’entourage du Président Poutine, comme celui du Président Zelensky, et qui se ressemblent au point de suggérer que cette guerre est aussi un affrontement d’intérêts privés. Derrière la scène, les mêmes se réjouissent qui gagnent à la victoire comme à la défaite – et font se battre les autres.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 10 mars 2023)

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  • Mer de Chine du Sud : le nouveau centre du monde ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Martin, cueilli sur le site du Nouveau Conservateur et consacré à la Mer de Chine comme nouveau centre des tensions entre les deux grandes puissances mondiales...

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    Le porte-avions chinois « Liaoning », entouré d’autres navires militaires, en mer de Chine

     

    Mer de Chine du Sud : le centre du monde

    Si demain un conflit ouvert se produit entre la Chine et les USA, il y a tout lieu de croire que ce sera dans la zone maritime qui sépare la Chine, le Vietnam, la Malaisie, les Philippines et Taïwan, la mer de Chine du Sud. Cette zone est en effet totalement stratégique pour la Chine comme pour les USA.

    C’est le politologue américain Graham T. Allison qui a inventé et popularisé le concept du «Piègede Thucydide» et qui a remis à l’honneur le célèbre historien grec de l’Antiquité.

    Il s’agit d’une «situation historique qui voit une puissance dominante entrer en guerre avec une puissance émergente poussée par la peur que suscite chez la première le surgissement de la seconde».

    Comment fonctionne le Piège de Thucydide ?

    On peut dire que cette constatation relève du bon sens, qu’elle a été extrêmement courante au cours de l’Histoire, et qu’elle caractérise parfaitement les relations actuelles entre les USA et la Chine. En soi, elle n’est donc pas très intéressante ni originale. Ce qui est plus utile à analyser, par contre, ce sont les péripéties possibles de l’évolution des belligérants à l’intérieur de ce piège, et les raisons qui pourraient conduire à ce qu’une «montée aux extrêmes» se produise, où, quand et pourquoi.

    Pour ce qui est de l’évolution des acteurs du conflit, tout comme aux premiers rounds d’un match de boxe, on constate qu’il existe souvent entre eux, à partir du moment où l’un comme l’autre se rend compte qu’un affrontement politique (mais pas nécessairement militaire) sera inévitable, une sorte de «période d’observation». Chacun tente d’abord de jauger l’autre, de l’amadouer ou au contraire (ou en même temps) de l’intimider, pour savoir comment il va réagir, s’il va finalement se soumettre ou si on va pouvoir le vaincre sans combattre. De même, on va tenter de se mesurer à lui sur des théâtres secondaires, où des «tests» – victoires ou défaites – seront possibles sans que les egos des protagonistes ne soient directement affectés.

    Ces périodes peuvent durer très longtemps. Elles peuvent se conclure soit par un partage du monde (USA/URSS dans un premier temps), soit par la soumission totale de l’un des deux (USA/Japon après la Deuxième Guerre mondiale), soit par la chute de l’un des deux sans affrontement direct (ainsi en fut-il tout au long de la guerre froide entre les USA et l’URSS, jusqu’à la victoire finale des USA, en 1991), soit par une victoire militaire (chute du nazisme en 1945).

    La «montée aux extrêmes» se produit souvent sans que les belligérants (s’ils préfèrent se jauger plutôt que se battre) ne l’aient expressément souhaité, mais de telle sorte qu’ils ne puissent l’éviter, soit parce que leur ego (et donc leur image) est directement touché, soit parce que la question est ultra-stratégique, soit parce que la friction, à cet endroit, est permanente. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, tout laisse à penser, même si par ce fait même les belligérants vont y focaliser toute leur attention, que c’est là que l’explosion a le plus de chances de se produire.

    La tentative de coup de force de la Chine

    Par rapport à la Chine, après une longue période où les USA ont semblé ne pas se rendre compte du danger, c’est aujourd’hui dans la phase de jauge et d’intimidation, de déclarations fortes, voire belliqueuses 2, que la relation s’est installée, 3 on ne sait pas pour combien de temps. Mais, en même temps, les conditions d’une «montée aux extrêmes» existent déjà, et toutes les conditions décrites plus haut y sont présentes.

    Un article remarquable du Général Daniel Schaeffer, paru sur le site Asie21, nous donne, à ce titre, de précieuses indications. Il détaille la situation en mer de Chine du Sud, où la Chine tente aujourd’hui un coup de force, en se basant sur un tracé de partage des eaux datant de 1947 et défini unilatéralement (et juridiquement condamné), pour «privatiser» la quasi-totalité de cette mer, y compris les îles qui s’y trouvent 4 îles, pour certaines, déjà occupées et militarisées. Il y a évidemment, dans cette démarche, un fort intérêt de contrôle des routes maritimes et de sécurisation de ses exportations vers le détroit de Malacca et les marchés de l’Ouest. Il y a aussi la captation des ressources halieutiques et, bien sûr, celles des hydrocarbures qui s’y trouvent. Mais cela n’est que la surface des choses.

    Ce que montre Daniel Schaeffer, c’est que se trouve, en plein dans cette mer, sur l’île de Hainan, la principale base militaire de sous-marins chinoise, dans le port de Sanya. Or les Chinois ont un problème de la plus haute importance : leurs missiles Julang-2, tirés depuis leurs sous-marins Jin, ne sont aujourd’hui pas suffisamment puissants pour frapper directement, en cas de riposte nucléaire, le territoire des USA. Ils auraient besoin pour cela de s’aventurer largemet dans le Pacifique, au moins jusqu’à Hawaï. Or la profondeur de la mer, en sortie de Sanya et jusqu’au détroit de Bashi, entre les Philippines et Taïwan, n’est pas suffisante pour que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins puissent s’y fondre immédiatement dans la mer profonde. Lorsqu’ils quittent leur base, ils sont immédiatement repérés par tous les autres, y compris par les navires US qui patrouillent dans la zone et, on peut le penser, suivis ensuite à la trace. Il est donc pour eux tout à fait essentiel de chasser toute présence étrangère de la zone, ou du moins de la contrôler entièrement, de façon à sécuriser la sortie de leurs sous-marins vers le Pacifique.

    Et le Général Schaeffer va même plus loin. En effet, le meilleur endroit, pour les Chinois, pour avoir accès directement aux grands fonds dès la sortie de leur base se situerait… sur la côte Est de Taïwan ! Là, en effet, ils pourraient disposer, à sept kilomètres des plages, de profondeurs de 1 300 m. Une configuration idéale pour menacer directement les USA. On comprend à quel point la conquête de la mer de Chine est pour eux essentielle, et celle de Taïwan bien plus encore.

    • 1 -Pour les Américains, la problématique est rigoureusement inverse. Tant que la menace des sous-marins chinois reste limitée à la mer de Chine du Sud, ils sont moins en danger.
    • 2 – Le Président chinois a demandé à plusieurs reprises à l’armée (en octobre 2018 et en octobre 2020, notamment) de se préparer à la guerre avec les USA.
    • 3 – De par l’accélération hégémonique chinoise conduite par Xi Jinping depuis 2013 et la réaction de Donald Trump pendant son mandat, de 2017 à 2021, une politique apparemment poursuivie par Joe Biden.
    • 4 – Du nord au sud : les Pratas, les Paracels, les Zhongsha Qundao, les Spratleys.
    • 5 – Et pour autant que les Chinois ne développent pas d’autres missiles plus puissants, ce qu’ils sont évidemment en train de faire avec les Julang
    • Deux géants politiques, dont l’un est hégémonique et l’autre ne pense qu’à lui ravir la place, s’affrontent dans une petite mer semi-fermée, où fourmillent une multitude de protagonistes, qui se côtoient avec des frictions permanentes, et où prédominent des intérêts stratégiques majeurs. Une «faille de San Andreas» politique, pourrait-on dire. La tension y augmentera, inévitablement, d’année en année. Si une éruption se produit un jour, il y a tout lieu de croire que ce sera là. La mer de Chine du Sud est, aujourd’hui et pour longtemps, le centre du monde.

    François Martin (Le nouveau Conservateur, 24 février 2023)

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